Language of document : ECLI:EU:C:2012:546

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 6 septembre 2012 (1)

Affaire C‑243/11

RVS Levensverzekeringen NV

contre

Belgische Staat

[demande de décision préjudicielle
formée par le Tribunal de première instance de Bruxelles (Belgique)]

«Droit fiscal – Taxe nationale sur les assurances – Article 50 de la directive 2002/83/CE – Libre prestation de services – Lieu de l’imposition – Prestations d’une compagnie d’assurances néerlandaise fournies à des assurés résidant en Belgique qui, au moment de la conclusion du contrat, résidaient encore aux Pays‑Bas»





I –    Introduction

1.        Faut-il s’étonner que l’assurance sur la propre vie soit elle aussi frappée d’une taxe? Tel est, du moins, le cas dans quelques États membres de l’Union européenne. Si d’autres États membres se montrent encore gracieux à cet égard et renoncent à une telle taxe, un problème est apparu dans le marché intérieur transfrontalier des assurances sur la vie: comment éviter les distorsions de la concurrence résultant des disparités fiscales?

2.        La présente demande de décision préjudicielle concerne une compagnie d’assurances néerlandaise qui a conclu des contrats d’assurance sur la vie avec des assurés néerlandais. Aux Pays‑Bas, ces contrats ne sont soumis à aucune taxe sur l’assurance. Il n’en va pas de même en Belgique, où quelques assurés se sont établis, emportant avec eux leurs contrats d’assurance vie, comme on le fait avec tout bien d’une certaine importance.

3.        Ces contrats doivent‑ils désormais être soumis à la taxe belge sur l’assurance en raison du simple fait que les assurés ont changé de lieu de résidence? Le droit de l’Union comporte en principe une réponse à cette question également. Toutefois, le législateur de l’Union n’a pas simplifié la tâche de ceux qui appliquent le droit. C’est la raison pour laquelle il va falloir nous employer à déterminer laquelle des nombreuses dispositions que contient le droit de l’Union en matière d’assurances nous fournira la réponse en définitive.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

4.        La directive applicable en l’espèce est la directive 2002/83/CE (2) (ci‑après la «directive assurance vie») qui a été adoptée sur le pied de l’article 47, paragraphe 2, CE et de l’article 55 CE. Conformément à ceux‑ci, les directives visant à faciliter l’accès aux activités non salariées et leur exercice sont adoptées au regard du droit d’établissement et de la libre prestation des services. Aux termes de ses considérants 3 et 5, la directive assurance vie vise à favoriser l’établissement d’un marché intérieur uniforme pour les assurances sur la vie. Il résulte du considérant 55 de cette directive que des règles fiscales sont également nécessaires à cette fin:

«Certains États membres ne soumettent les opérations d’assurance à aucune forme d’imposition indirecte tandis que la majorité d’entre eux leur appliquent des taxes particulières et d’autres formes de contribution. Dans les États membres où ces taxes et ces contributions sont perçues, la structure et le taux de celles-ci divergent sensiblement. Il convient d’éviter que les différences existantes ne se traduisent par des distorsions de concurrence pour les services d’assurance entre les États membres. Sous réserve d’une harmonisation ultérieure, l’application du régime fiscal, ainsi que d’autres formes de contributions prévues par l’État membre où l’engagement est pris, est de nature à remédier à un tel inconvénient et il appartient aux États membres d’établir les modalités destinées à assurer la perception de ces taxes et ces contributions.»

5.        Conformément à son article 2, paragraphe 1, la directive assurance vie s’applique, en substance, aux assurances en cas de vie et en cas de décès ainsi qu’aux assurances contre l’incapacité de travail et l’invalidité éventuellement liées aux assurances précédentes.

6.        Le titre IV de la directive assurance vie, intitulé «Dispositions relatives au droit d’établissement et à la libre prestation de services», contient un article 50 où sont énoncées les règles suivantes en matière de taxes sur les primes:

«1.      Sans préjudice d’une harmonisation ultérieure, tout contrat d’assurance est exclusivement soumis aux impôts indirects et taxes parafiscales grevant les primes d’assurance dans l’État membre de l’engagement [...].

2.      La loi applicable au contrat en vertu de l’article 32 est sans incidence sur le régime fiscal applicable.

3.      Sous réserve d’une harmonisation ultérieure, chaque État membre applique aux entreprises d’assurance qui prennent des engagements sur son territoire ses dispositions nationales concernant les mesures destinées à assurer la perception des impôts indirects et taxes parafiscales dus en vertu du paragraphe 1.»

7.        Voici comment l’article 1er, paragraphe 1, sous g), de la directive assurance vie définit la notion d’«État membre de l’engagement» qui figure à l’article 50, paragraphe 1:

«l’État membre où le preneur a sa résidence habituelle ou, si le preneur est une personne morale, l’État membre où est situé l’établissement de cette personne morale auquel le contrat se rapporte».

8.        La notion d’«État membre de l’engagement» est utilisée dans d’autres dispositions de la directive assurance vie également. C’est ainsi que l’article 32, paragraphe 1, de celle‑ci énonce la règle suivante:

«La loi applicable aux contrats relatifs aux activités visées par la présente directive est la loi de l’État membre de l’engagement. Toutefois, lorsque le droit de cet État le permet, les parties peuvent choisir la loi d’un autre pays.»

9.        Dans le même chapitre IV, intitulé «Droit du contrat et conditions d’assurance», l’article 36 de la directive assurance vie est consacré à l’information des preneurs et dispose, notamment, ce qui suit:

«1.      Avant la conclusion du contrat d’assurance, au moins les informations énumérées à l’annexe III, point A, doivent être communiquées au preneur.

2.      Le preneur d’assurance doit être tenu informé pendant toute la durée du contrat de toute modification concernant les informations énumérées à l’annexe III, point B 

[...]»

10.      Le point a.14 du titre A de l’annexe III reprend, parmi les informations qui doivent être fournies au preneur avant la conclusion du contrat, l’obligation de fournir des «indications générales relatives au régime fiscal applicable au type de police». Le point b.2 du titre B de l’annexe III impose l’obligation de fournir pendant la durée du contrat «toutes informations relatives aux points a.4 à a.12 du titre A en cas d’avenant au contrat ou de modification de la législation y applicable».

11.      Les articles 41 et 42 de la directive assurance vie imposent aux compagnies d’assurances qui souhaitent exercer leurs activités en régime transfrontalier certaines obligations destinées à permettre leur contrôle. L’article 41 est rédigé comme suit:

«Toute entreprise d’assurance qui entend effectuer pour la première fois dans un ou plusieurs États membres ses activités en régime de libre prestation de services est tenue d’en informer au préalable les autorités compétentes de l’État membre d’origine en indiquant la nature des engagements qu’elle se propose de couvrir.»

12.      L’article 42 de la directive assurance vie contient notamment les dispositions suivantes:

«1.      Les autorités compétentes de l’État membre d’origine communiquent, dans un délai d’un mois à compter de la notification prévue à l’article 41, à l’État membre ou aux États membres sur le territoire desquels l’entreprise d’assurance entend effectuer des activités en régime de libre prestation de services:

[...]

3.      L’entreprise d’assurance peut commencer son activité à partir de la date certifiée à laquelle elle a été avisée de la communication prévue au paragraphe 1, premier alinéa.»

13.      Outre la directive assurance vie, le droit de l’Union contient encore d’autres directives relatives à d’autres segments du marché de l’assurance. Voici notamment ce que dispose l’article 46, paragraphe 2, de la directive 92/49/CEE (3) qui, conformément aux dispositions combinées de son article 2, paragraphe 2, et de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 73/239/CEE (4), ne s’applique pas à l’assurance sur la vie:

«Sans préjudice d’une harmonisation ultérieure, tout contrat d’assurance est exclusivement soumis aux impôts indirects et taxes parafiscales grevant les primes d’assurance dans l’État membre où le risque est situé au sens de l’article 2 point d) de la directive 88/357/CEE [...]»

14.      Voici comment l’article 2, sous d), de la directive 88/357/CEE (5) définit la notion d’«État membre où le risque est situé» en fonction du type d’assurance :

«[...]

–        l’État membre où se trouvent les biens lorsque l’assurance est relative [...] à des immeubles et à leur contenu [...]

–        l’État membre d’immatriculation lorsque l’assurance est relative à des véhicules [...]

–        l’État membre où le preneur a souscrit le contrat s’il s’agit d’un contrat [...] relatif à des risques encourus au cours d’un voyage ou de vacances [...]

–        l’État membre où le preneur a sa résidence habituelle ou, si le preneur est une personne morale, l’État membre où est situé l’établissement de cette personne morale auquel le contrat se rapporte dans tous les cas qui ne sont pas explicitement visés par les tirets précédents».

15.      Toutes les directives précitées ont été abrogées par la directive 2009/138/CE (6) avec effet au 1er novembre 2012. L’article 157 de cette directive est consacré aux taxes sur les primes et dispose notamment ce qui suit:

«Sans préjudice d’une harmonisation ultérieure, tout contrat d’assurance est exclusivement soumis aux impôts indirects et taxes parafiscales sur les primes d’assurance dans l’État membre où le risque est situé ou l’État membre de l’engagement.

[...]»

B –    Le droit belge

16.      En Belgique, les contrats d’assurance sont, pour la période litigieuse, soumis à une taxe annuelle. Conformément à l’article 173 du code des droits et taxes divers (ci‑après le «CDTD»), les opérations d’assurance sont assujetties à une taxe annuelle lorsque le risque se situe en Belgique. Aux termes de cette disposition, le risque de l’opération d’assurance est réputé se situer en Belgique lorsque le preneur y a sa résidence habituelle ou, si le preneur est une personne morale, lorsque l’établissement de celle‑ci auquel le contrat se rapporte se situe sur le territoire belge.

17.      L’article 175/3 du CDTD prévoit un taux d’imposition spécial de 1,10 % des primes pour les opérations d’assurance sur la vie.

III – La procédure au principal et les questions préjudicielles

18.      La requérante au principal est la compagnie d’assurances néerlandaise RVS Levensverzekeringen NV, qui propose des assurances sur la vie (ci‑après l’«assujettie»). La procédure au principal concerne la taxe sur l’assurance dont l’assujettie est redevable pour les années 2006 et 2007.

19.      L’assujettie avait conclu des contrats d’assurance avec plusieurs personnes qui, au moment de la signature du contrat, avaient leur résidence aux Pays‑Bas, mais qui résidaient en Belgique durant les années 2006 et 2007. L’administration fiscale belge a considéré que l’assujettie lui est redevable d’une somme de 16 542 euros au titre de la taxe sur l’assurance afférente à ses contrats d’assurance pour les années 2006 et 2007.

20.      L’assujettie a donc versé cette somme à l’administration fiscale, mais elle en exige aujourd’hui le remboursement, qu’elle cherche à obtenir au moyen de son action devant la juridiction de renvoi. Elle considère ne devoir acquitter la taxe sur l’assurance en Belgique que si le preneur avait sa résidence dans ce pays au moment de la signature du contrat. L’administration fiscale belge considère, au contraire, que l’élément déterminant est la résidence du preneur au moment du paiement de la prime.

21.      Le Tribunal de première instance de Bruxelles (Belgique), saisi de cette affaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 50 de la directive 2002/83[...], dont le paragraphe 1 dispose que, sans préjudice d’une harmonisation ultérieure, tout contrat d’assurance est exclusivement soumis aux impôts indirects et taxes parafiscales grevant les primes d’assurance dans l’État membre de l’engagement et dont le paragraphe 3 dispose que, sous réserve d’une harmonisation ultérieure, chaque État membre applique aux entreprises d’assurance qui prennent des engagements sur son territoire ses dispositions nationales concernant les mesures destinées à assurer la perception des impôts indirects et taxes parafiscales dus en vertu du paragraphe 1, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle qui figure aux articles 173 et 175/3 du [CDTD], conformément auxquels les opérations d’assurance (et notamment les opérations d’assurance sur la vie) sont assujetties à une taxe annuelle lorsque le risque se situe en Belgique, notamment lorsque le preneur a sa résidence habituelle en Belgique ou, si le preneur est une personne morale, lorsque l’établissement de cette personne morale auquel le contrat se rapporte est situé sur le territoire belge, sans tenir compte du lieu de résidence du preneur au moment de la conclusion du contrat?

2)      Les principes communautaires relatifs à l’élimination entre les États membres de la Communauté de toutes entraves à la libre circulation des personnes et des services, principes qui résultent des articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, font-ils obstacle à une réglementation telle que celle qui figure aux articles 173 et 175/3 du [CDTD], conformément auxquels les opérations d’assurance (et notamment les opérations d’assurance sur la vie) sont assujetties à une taxe annuelle lorsque le risque se situe en Belgique, notamment lorsque le preneur a sa résidence habituelle en Belgique ou, si le preneur est une personne morale, lorsque l’établissement de cette personne morale auquel le contrat se rapporte est situé sur le territoire belge, sans tenir compte du lieu de résidence du preneur au moment de la conclusion du contrat?»

IV – Appréciation juridique

A –    Interprétation des questions préjudicielles

22.      Avant de répondre aux questions préjudicielles, il nous paraît nécessaire d’en préciser la portée.

23.      C’est fort pertinemment que la Commission européenne a fait observer à propos de la première question qu’elle est formulée en des termes excessivement larges par rapport aux faits qui ont été décrits et qu’il convient dès lors de l’interpréter de manière restrictive. En effet, la présente procédure ne comporte aucun élément qui justifierait de contrôler la conformité de la législation fiscale belge avec le droit de l’Union d’une manière aussi approfondie que l’exigeraient les termes de la question du juge de renvoi.

24.      D’une part, en effet, la question de la taxation des contrats d’assurance souscrits par des personnes morales n’est manifestement pas à l’ordre du jour dans la procédure au principal. D’autre part, la seule question dont il peut s’agir en l’espèce, c’est de savoir si l’article 50 de la directive assurance vie fait obstacle à une certaine réglementation nationale en matière de contrats d’assurance sur la vie et non pas en matière de contrats d’assurance en général. Par conséquent, la question préjudicielle porte exclusivement sur l’interprétation de l’article 50 de la directive assurance vie en ce qui concerne les contrats d’assurance sur la vie et, parmi ceux‑ci, uniquement ceux qui ont été souscrits par des personnes physiques.

25.      Quant à la seconde question, la juridiction de renvoi l’a formulée afin que la Cour lui précise en outre si certaines libertés fondamentales s’opposent à la réglementation belge.

26.      Il ne faut cependant pas perdre de vue en l’espèce que l’article 50 de la directive assurance vie contient déjà une règle de droit dérivé exhaustive au regard de laquelle doit s’apprécier la licéité de la réglementation belge en droit de l’Union. C’est sur ce point que porte la première question. Par conséquent, la réglementation belge doit être jaugée à l’aune des libertés fondamentales de droit primaire, mais bien au regard du droit dérivé énoncé à l’article 50 de la directive assurance vie. Il convient néanmoins de tenir compte également de l’importance des libertés fondamentales de manière à éviter une interprétation de l’article 50 de la directive assurance vie qui serait en porte‑à‑faux avec elles. Les aspects de droit primaire que soulève la seconde question doivent donc déjà être pris en considération dans le cadre de la réponse à la première question.

27.      Par conséquent, il n’y a pas non plus de raison de s’interroger sur la recevabilité de la seconde question en tant que telle puisque, comme la Commission l’a expliqué à bon escient, la demande préjudicielle ne permet pas de déterminer sans ambiguïté les libertés fondamentales dont la juridiction de renvoi souhaite une interprétation en particulier.

28.      En résumé, les questions préjudicielles doivent être entendues en ce sens que la juridiction de renvoi demande à la Cour de lui préciser si, eu égard aux libertés fondamentales, l’article 50 de la directive assurance vie fait obstacle à une réglementation nationale soumettant les opérations d’assurance sur la vie à une taxe annuelle lorsque le preneur a sa résidence habituelle sur son territoire cette année-là, mais ne tenant pas compte de sa résidence au moment de la signature du contrat.

B –    Réponse aux questions préjudicielles

29.      Pour répondre à cette question, il faut déterminer de quelle manière l’article 50 de la directive assurance vie répartit les compétences fiscales des États membres en matière de taxe sur les opérations d’assurance sur la vie.

30.      L’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie confie la compétence fiscale à l’«État membre de l’engagement». Il dispose que tout contrat d’assurance est exclusivement soumis aux impôts indirects et taxes parafiscales grevant les primes d’assurance dans l’État membre de l’engagement. L’article 1er, paragraphe 1, sous g), de la directive définit l’État membre de l’engagement comme étant l’État membre où le preneur a sa résidence habituelle. La présente procédure a montré que ces dispositions peuvent, en substance, être interprétées de deux manières différentes.

31.      La première est une interprétation «statique» suivant laquelle l’«État membre de l’engagement» est déterminé une fois pour toutes au moment de la signature du contrat. Conserverait ainsi la compétence fiscale pendant toute la durée du contrat l’État membre dans lequel le preneur a sa résidence habituelle au moment de la conclusion de celui‑ci. Cette interprétation est préconisée par l’assujettie et par le gouvernement estonien.

32.      L’autre interprétation est une interprétation «dynamique» conformément à laquelle l’«État membre de l’engagement» peut varier au cours du temps. C’est ainsi que la compétence fiscale appartiendrait toujours à l’État membre dans lequel le preneur a sa résidence habituelle au moment de chaque perception de la taxe sur les primes d’assurance. Cet État peut varier d’un versement de prime à l’autre. Cette interprétation dynamique est défendue par les gouvernements belge et autrichien ainsi que par la Commission.

33.      Dans les chapitres qui suivent, nous allons nous employer à montrer que le législateur de l’Union n’a pas clairement réglé la répartition des compétences fiscales en matière de taxes sur les contrats d’assurance sur la vie (1) et qu’aussi bien le contexte (2) que le sens de la réglementation dans le respect des libertés fondamentales (3) conduisent en tout cas à une interprétation statique de l’article 50 de la directive assurance vie.

1.      Interprétation du texte

34.      Contrairement à ce qu’ont prétendu certains participants à la procédure, le texte ne fournit pas de réponse univoque à la question qui se pose en l’espèce. Cela vaut non seulement pour la version néerlandaise, qui est la langue de procédure, mais également pour les versions allemande, anglaise et française de l’article 50, paragraphe 1, et de l’article 1er, paragraphe 1, sous g), de la directive assurance vie qui le complète. La seule chose que leur texte indique clairement, c’est que la taxation doit se faire à l’endroit où le preneur a sa résidence habituelle. En revanche, le texte des versions susvisées ne répond pas à la question essentielle, qui est celle de savoir quel moment est le moment décisif pour déterminer la résidence habituelle.

35.      La qualification d’État membre «de l’engagement» ne donne pas davantage d’informations concernant ce moment pertinent. En effet, le terme «engagement» peut non seulement désigner la souscription d’un engagement, mais également son existence. Par conséquent, il ne peut être déduit sans ambiguïté de cette formulation ni que l’État membre compétent doit être déterminé une fois pour toutes au moment de la conclusion du contrat ni qu’il doit toujours être désigné à nouveau durant toute la durée du contrat.

36.      Enfin, le texte de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie parle d’une manière tout aussi ambiguë à la fois de la perception de la taxe sur les primes d’assurance et des contrats d’assurance soumis à la taxe, de sorte qu’on ne peut toujours pas déterminer clairement si le critère déterminant selon la directive est la conclusion du contrat ou le versement des primes à chaque échéance.

2.      Interprétation systématique

37.      Le contexte normatif dans lequel se situe l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie contient de nombreuses dispositions qui fournissent des indications sur son interprétation.

a)      Perception de la taxe sur l’assurance

38.      On citera en premier lieu ici l’article 50, paragraphe 3, lui‑même, aux termes duquel chaque État membre applique ses dispositions nationales pour assurer la perception de la taxe sur l’assurance. Il les applique aux compagnies d’assurances «qui prennent des engagements sur son territoire». L’assujettie, notamment, en a déduit que c’est le moment de la conclusion du contrat qui détermine la compétence fiscale.

39.      La Commission a cependant fait observer à bon droit que la formulation que le législateur a donnée à l’article 50, paragraphe 3, de la directive assurance vie ne vise pas nécessairement la conclusion du contrat d’assurance. Le point de vue que l’on retiendra dépend en effet de l’élément sur lequel on fera porter le complément «sur son territoire».

40.      D’une part, on peut considérer qu’il se rapporte au verbe «prenne» et mettre ainsi l’accent sur le lieu de la conclusion du contrat. D’autre part, on peut également considérer qu’il se rapporte aux «engagements» et que la détermination du lieu en dépend également. L’élément déterminant serait alors le lieu où se situent les engagements qui ont été pris. Cette possibilité d’interprétation apparaît encore plus clairement dans la version anglaise, qui parle de prendre des engagements qui sont situés dans un État membre (7). Le lieu où un engagement se situe pourrait, par exemple, être le lieu de la résidence habituelle du preneur, mais pas nécessairement le lieu de la conclusion du contrat.

41.      Dans ces conditions, la formulation de l’article 50, paragraphe 3, ne milite ni en faveur de l’interprétation statique de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie ni en faveur de l’interprétation dynamique.

b)      La notion d’«État membre de l’engagement» dans d’autres dispositions

42.      La façon dont la notion d’«État membre de l’engagement» est utilisée dans d’autres dispositions de la directive assurance vie pourrait s’avérer utile pour l’interprétation de l’article 50, paragraphe 1, de celle‑ci, car son article 1er, paragraphe 1, sous g), énonce une définition uniforme de cette notion pour l’ensemble des dispositions de la directive.

43.      Or, cette définition uniforme est déjà garantie lorsqu’elle recouvre, dans chaque disposition, l’État membre dans lequel le preneur a sa résidence habituelle. Dans cette définition de l’article 1er, paragraphe 1, sous g), de la directive assurance vie, le législateur n’a cependant pas précisé sur quel moment il faut se fonder à cet égard. Si le moment pertinent ne fait pas partie de la définition, il peut être déterminé différemment en fonction de la disposition dans laquelle la notion d’«État membre de l’engagement» est utilisée.

44.      Cela vaut également pour la règle énoncée à l’article 32, paragraphe 1, première phrase, de la directive assurance vie, règle invoquée par l’assujettie. Pour déterminer le droit applicable au contrat d’assurance, cette disposition se fonde sur l’«État membre de l’engagement». Certes, nous pensons, comme l’assujettie, que le législateur ne peut pas avoir voulu que l’on donne à cette disposition une interprétation dynamique qui ferait que le droit applicable change lorsque le preneur déplace sa résidence. Aux fins de l’application de l’article 32, paragraphe 1, première phrase, de la directive assurance vie, l’«État membre de l’engagement» devrait donc être l’État membre dans lequel le preneur a sa résidence habituelle au moment de la signature du contrat.

45.      Cela ne signifie cependant pas que ce serait le même moment qui serait pertinent aux fins de l’application de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie que nous avons pour mission d’analyser. D’ailleurs, l’article 50, paragraphe 2, de la directive assurance vie dispose que la loi applicable au contrat en vertu de l’article 32 est sans incidence sur le régime fiscal applicable. Bien que cette règle vise essentiellement les cas dans lesquels les parties choisissent d’appliquer une autre loi en vertu de l’article 32, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive, l’article 50, paragraphe 2, met un accent supplémentaire sur l’indépendance de la loi et du régime fiscal applicables.

c)      Les mentions du contrat d’assurance

46.      La directive assurance vie contient encore ailleurs une autre règle susceptible de fournir une indication utile pour la réponse aux questions préjudicielles. C’est ainsi que l’article 36 dispose que la compagnie doit fournir certaines indications au preneur avant la conclusion du contrat et pendant toute la durée de celui‑ci.

47.      Conformément à l’article 36, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’annexe III, titre A, point a.14, de la directive assurance vie, la compagnie doit communiquer au preneur avant la conclusion du contrat des «indications générales relatives au régime fiscal applicable au type de police». Ce régime fiscal applicable est déterminé en fonction de l’«État membre de l’engagement» au sens de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie.

48.      Pendant la durée du contrat, la compagnie doit également communiquer certaines indications au preneur conformément à l’article 36, paragraphe 2, de la directive assurance vie. Aux termes de l’annexe III, titre B, point b.2, de la directive, elle doit, en cas d’avenant au contrat ou de modification de la législation y applicable, lui communiquer de nombreuses informations actualisées concernant les droits et obligations des parties qu’elle avait déjà dû lui communiquer au moment de la signature du contrat. La référence aux informations qui devaient être communiquées au moment de cette signature n’inclut cependant précisément pas les informations sur le régime fiscal applicable.

49.      On retiendra de cette disposition que le législateur de l’Union n’est manifestement pas parti de l’idée que le régime fiscal applicable pouvait changer au cours de la durée du contrat. En effet, rien n’autorise à conclure que, si le régime fiscal applicable a bien une importance telle qu’il fait partie des informations qui doivent être fournies au moment de la conclusion du contrat, la compagnie pourrait toutefois se dispenser de signaler toute modification de ce régime qui interviendrait pendant la durée du contrat.

50.      L’article 36 lu en combinaison avec l’annexe III de la directive assurance vie contient donc une indication claire de la nécessité d’une interprétation statique de l’article 50, paragraphe 1, de celle‑ci.

d)      Conditions préalables à l’exercice de l’activité d’assureur en matière de contrôle

51.      Dans le cadre de son analyse systématique, le gouvernement estonien a en outre mis le doigt sur l’obligation d’information que l’article 41 de la directive assurance vie fait aux compagnies d’assurances. Aux termes de cette disposition, elles doivent informer au préalable les autorités compétentes de l’État membre d’origine au moyen d’une notification qui, aux termes de l’article 42, paragraphes 1 et 3, fait partie des conditions auxquelles la compagnie doit se plier avant de pouvoir exercer l’activité d’assureur dans un autre État membre.

52.      Selon nous, c’est néanmoins à tort que le gouvernement estonien présume que les compagnies d’assurances ne pourraient pas s’acquitter de ce devoir de notification si la résidence habituelle du preneur au moment de chaque versement de prime était le critère déterminant d’un point de vue fiscal. En effet, la notion d’exercice de l’activité d’assureur au sens de l’article 41 de la directive doit s’analyser indépendamment de la question de la répartition des compétences fiscales.

53.      Comme la Commission l’a d’ailleurs souligné, la question de savoir si une compagnie d’assurances exerce une activité dans un autre État membre au sens de l’article 41 de la directive assurance vie en raison du fait que le preneur y a déménagé ne se pose pas en l’espèce. Il s’agit uniquement des conséquences fiscales d’un déménagement qu’il y a lieu de déduire de l’article 50 de la directive. On ne voit d’ailleurs aucun motif impérieux de répondre uniformément aux deux questions.

e)      Autres directives sur le marché de l’assurance

54.      S’écartant du cadre de la directive assurance vie, le gouvernement belge et la Commission ont l’un et l’autre établi une comparaison avec les dispositions de directives régissant d’autres assurances que l’assurance sur la vie en droit de l’Union.

55.      C’est ainsi que l’article 46, paragraphe 2, de la directive 92/49 énonce une règle fiscale pratiquement identique à celle de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie. La seule différence réside dans le fait que cette autre directive utilise non pas le critère de l’«État membre de l’engagement», mais bien celui de l’«État membre où le risque est situé au sens de l’article 2, point d) de la directive 88/357[...]».

56.      L’article 2, sous d), définit l’État membre où le risque est situé différemment selon le type de contrat d’assurance. Alors que le quatrième tiret de cette disposition contient une définition résiduelle identique à la définition de l’«État membre de l’engagement» qui figure dans la directive assurance vie, le troisième tiret applique, pour les contrats d’assurance voyage, le critère de l’État membre dans lequel le preneur a conclu le contrat.

57.      Il nous est toutefois impossible de souscrire à la conclusion du gouvernement belge, qui conclut de cette collation que la signature du contrat ne peut avoir aucune incidence sur l’application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive assurance vie. S’il est vrai que l’on peut déduire des différentes définitions qui figurent aux troisième et quatrième tirets de l’article 2, sous d), de la directive 88/357 que le législateur de l’Union n’entend pas le lieu de la conclusion du contrat lorsqu’il parle de l’«État membre de l’engagement», la présente affaire porte cependant non pas sur la question de savoir si c’est le lieu de la signature du contrat qui est l’élément décisif pour déterminer le régime fiscal applicable conformément à l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie, mais bien celle de savoir si c’est la résidence habituelle du preneur au moment de la conclusion du contrat qui est le critère déterminant. Comme la résidence habituelle du preneur coïncide généralement avec son domicile, il est parfaitement possible que l’État membre où le contrat a été signé n’est pas le même que l’État membre dans lequel le preneur a sa résidence habituelle à ce moment-là.

58.      La directive 2009/138, qui rassemblera à l’avenir les différentes directives en matière d’assurance que compte le droit de l’Union, directive qui a été citée par certaines parties à la procédure, ne contient pas elle non plus un éclairage supplémentaire qui permettrait de répondre aux questions préjudicielles.

59.      L’article 157 de cette directive utilise le critère de «l’État membre où le risque est situé ou l’État membre de l’engagement» pour déterminer le régime fiscal applicable, ce qui permet, en tout cas, de conclure que la notion d’«État membre de l’engagement» qui figure à l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie doit, pour le législateur de l’Union, être distinguée de l’État membre où le risque est situé.

60.      Il est toutefois incontestable que le lieu où le risque est situé n’a aucune incidence sur l’application de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie. Compte tenu de l’objet du contrat, ce lieu du risque devrait être déterminé en fonction de l’endroit où réside la personne dont la vie est assurée et qui n’est pas nécessairement le preneur. Ce lieu n’est déterminant ni pour l’interprétation statique ni pour l’interprétation dynamique, de sorte que la distinction, entre État membre de l’engagement et État membre où le risque est situé, que fait l’article 157 de la directive 2009/138 est dénuée de pertinence aux fins du problème d’interprétation que nous avons à résoudre.

3.      Interprétation téléologique

61.      Après avoir constaté que, d’un point de vue systématique, l’article 36 lu en combinaison avec l’annexe III de la directive assurance vie milite en faveur d’une interprétation statique de l’article 50, paragraphe 1, de la directive (8), nous allons nous intéresser à présent à la finalité de cette disposition.

62.      L’auteur de la directive assurance vie a défini cette finalité dans le cinquante‑cinquième considérant de celle‑ci. Conformément à celui-ci, l’article 50 de ladite directive a pour objet d’empêcher les distorsions de la concurrence entre États membres dans le domaine des assurances. De telles distorsions pourraient apparaître en raison des disparités qui existent entre les États membres en matière d’impôts indirects sur les contrats d’assurance. L’application uniforme du régime fiscal en vigueur dans l’État membre «où l’engagement est pris» vise à empêcher de telles distorsions.

63.      Tout d’abord, cette formulation ne permet de tirer aucune conclusion concernant l’État membre déterminant, comme nous l’avons déjà expliqué à propos de l’interprétation de l’article 50, paragraphe 3, de la directive assurance vie (9). Que, contrairement à celle de l’article 50, paragraphe 3, de la directive assurance vie, la version anglaise du cinquante‑cinquième considérant soit formulée différemment n’ébranle pas foncièrement cette appréciation (10). En effet, même en interprétant le libellé de ce considérant en ce sens que c’est l’État membre de la signature du contrat qui est déterminant pour désigner le régime fiscal applicable, cette conclusion ne militerait ni en faveur de l’interprétation statique de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie ni en faveur de son interprétation dynamique. En effet, comme nous l’avons déjà expliqué (11), le lieu de la conclusion du contrat doit être distingué du lieu de la résidence habituelle du preneur au moment de celle-ci.

64.      Par ailleurs, l’interprétation téléologique de l’article 50, paragraphe 1, ne doit pas prioritairement être fondée sur le libellé d’un considérant, mais elle doit rechercher sa finalité telle qu’elle apparaît sans ambiguïté de ce considérant (et d’autres sources).

a)      Empêcher les distorsions de la concurrence

65.      Il apparaît sans ambiguïté du cinquante‑cinquième considérant que l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie a pour finalité d’empêcher les distorsions de la concurrence dans le secteur des assurances.

66.      L’assujettie a expliqué à ce sujet que l’on ne se trouve plus dans une situation de concurrence après qu’un preneur a conclu un contrat d’assurance aux Pays-Bas avant d’aller établir sa résidence en Belgique. C’est la raison pour laquelle une interprétation statique serait en harmonie avec le but de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie.

67.      Selon nous, cela vaut peut-être pour la concurrence lorsqu’il s’agit de conclure le contrat, mais pas pour la concurrence qui a pour enjeu le changement de compagnie en cours de contrat. Dans le second cas, la concurrence serait faussée si seule la résidence habituelle du preneur au moment de la conclusion du contrat devait être décisive. Après son déménagement, il conserverait, par exemple, le privilège de l’exonération fiscale si, au moment de la conclusion du contrat, il avait sa résidence habituelle dans un État membre qui n’applique aucune taxe sur les contrats d’assurance. En revanche, si l’État membre de sa nouvelle résidence perçoit une taxe sur l’assurance, il devrait l’acquitter s’il concluait un nouveau contrat. Un tel désavantage peut d’emblée dissuader le preneur de changer de compagnie d’assurances.

68.      Le cinquante‑cinquième considérant de la directive assurance vie souligne néanmoins que l’article 50 vise à empêcher les distorsions de la concurrence «sous réserve d’une harmonisation ultérieure». Cette réserve semble contenir l’aveu que la répartition actuelle des compétences fiscales n’empêche pas encore entièrement les distorsions. Une interprétation de l’article 50 de la directive assurance vie qui n’exclut pas toutes les distorsions de la concurrence serait dès lors encore couverte par la finalité de cette disposition.

69.      Cela est également confirmé par le fait qu’au cours de l’audience, la Commission, à laquelle la Cour avait adressé une question écrite, a expliqué qu’à sa connaissance, aucune question relative à la mobilité des preneurs et aux effets de celle-ci sur les régimes fiscaux applicables n’a été abordée dans le cadre de la genèse de la directive assurance vie ni dans le cadre de celles qui l’avaient précédée. Rien ne permet donc de conclure qu’en adoptant l’article 50 de la directive assurance vie, le législateur de l’Union entendait également empêcher les distorsions de la concurrence susceptibles d’intervenir pendant la durée d’une relation contractuelle.

70.      De surcroît, la nature même du risque assuré dans le domaine de l’assurance vie ne laisse en tout cas d’espace que pour une concurrence limitée entre les contrats en cours et les contrats nouvellement conclus auprès d’une nouvelle compagnie puisqu’aussi bien le risque de survie au-delà d’une certaine date que le risque de décès augmentent au fur et à mesure que l’assuré avance en âge. Les primes afférentes à de nouveaux contrats d’assurance sur la vie qui auraient été conclus seraient probablement, pour ce seul motif déjà, structurellement plus élevées que les primes afférentes aux contrats existants.

71.      La finalité consistant à empêcher les distorsions de la concurrence militerait donc plutôt en faveur d’une interprétation dynamique de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie, mais ne l’impose pas catégoriquement.

b)      Éviter les doubles impositions et les non-impositions

72.      Dans une affaire qui portait sur une disposition comparable de la directive 88/357 et sur son article 2, sous d), quatrième tiret, que nous avons déjà évoqués (12), la Cour a en outre déclaré qu’elle avait pour objet non seulement d’éviter les distorsions de la concurrence, mais également d’empêcher les doubles impositions et les non‑impositions. Dans ce contexte, elle a souligné l’importance d’éléments objectivement vérifiables (13).

73.      La Commission prétend que faire dépendre l’imposition de la résidence habituelle du preneur au moment de la conclusion du contrat présenterait un risque particulier de double imposition, mais son point de vue ne nous convainc guère. Un tel risque n’existe que lorsque plusieurs États membres interprètent la disposition de façon différente. Une interprétation et une application uniformes de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie permettent donc d’éviter aussi bien la double imposition que la non-imposition, indépendamment du critère décisif retenu par cette interprétation.

74.      Il convient cependant de constater que la possibilité de disposer d’éléments objectivement vérifiables est mieux garantie pour toutes les parties si l’on retient l’interprétation statique. Dans cette hypothèse, la résidence habituelle du preneur ne doit être déterminée qu’une seule fois, à savoir au moment de la signature du contrat. Cela permet de réduire au maximum les situations dans lesquelles plusieurs États membres sont divisés sur le point de savoir où un preneur déterminé a sa résidence habituelle au cours d’une année donnée, situation qui entraîne, en effet, une double imposition ou une non-imposition.

75.      L’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie ayant pour finalité d’empêcher les doubles impositions ou les non‑impositions, cette finalité milite en faveur d’une interprétation statique.

c)      Prise en considération des libertés fondamentales

76.      Une interprétation téléologique doit en outre tenir compte des libertés fondamentales, à la lumière desquelles le droit dérivé doit être interprété (14). L’article 50, paragraphe 1, qu’il nous appartient d’interpréter, fait partie du titre IV de la directive assurance vie, dont l’intitulé renvoie déjà à l’objectif de garantir le libre établissement et la libre prestation des services.

77.      Ce n’est pas pour déterminer si l’une d’entre elles a été violée concrètement en l’espèce qu’il faut ici prendre les libertés fondamentales en considération. Il s’agit bien plus de rechercher quelle variante d’interprétation assure au mieux le respect des libertés fondamentales pour tous les cas visés par l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie.

78.      La liberté d’établissement de la compagnie d’assurances ne relève pas du champ d’application de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie. Ce qui nous intéresse, c’est la libre prestation des services et la libre circulation du preneur, et l’incidence qu’elles ont sur l’interprétation de cette disposition.

i)      La libre prestation des services

79.      Il faut tout d’abord se demander quelle influence la libre prestation des services garantie par le traité FUE peut avoir sur l’interprétation de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie.

80.      Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, sont des restrictions à la libre prestation des services les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (15). Dès lors qu’il ne s’agit pas d’apprécier une mesure nationale en l’espèce, mais bien d’intégrer la libre prestation des services dans l’interprétation de dispositions de droit secondaire, il convient à présent de rechercher quelle variante d’interprétation limite le moins la libre prestation des services en ce sens.

81.      L’assujettie a exposé à ce sujet qu’une interprétation dynamique entrave la libre prestation des services parce qu’en cas de déménagement du preneur, les compagnies d’assurances néerlandaises devraient supporter la charge fiscale sans avoir la possibilité de récupérer la taxe dans le cadre de l’exécution du contrat. Répercuter celle-ci sur le preneur ne serait pas possible si l’on retient cette interprétation.

82.      On lui rétorquera cependant que répercuter la taxe en cas de déménagement n’est qu’une affaire de rédaction du contrat. Lorsqu’elle a rédigé les siens, l’assujettie ne semble pas s’être fondée sur une interprétation dynamique et n’a donc pas prévu d’adaptation des primes en cas de déménagement du preneur. En cas d’interprétation dynamique, l’assujettie serait ainsi confrontée à un problème qui résulte non pas de cette variante d’interprétation, mais uniquement de son évaluation incorrecte de la situation juridique en vigueur. Il faut cependant concéder que ce problème ne peut se présenter qu’en cas d’interprétation dynamique.

83.      D’autre part, l’interprétation dynamique a manifestement sur la libre prestation des services des répercussions négatives plus importantes que l’interprétation statique.

84.      C’est à bon droit que le gouvernement estonien a mis le doigt sur les difficultés auxquelles seraient confrontées les compagnies d’assurances si l’on interprète l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie de façon dynamique, et cela même si elles répercutent la taxe sur le preneur, car elles devraient alors, pour s’acquitter de leurs obligations fiscales, s’informer en permanence sur le lieu de résidence habituel du preneur à tout moment et, surtout, sur les règles fiscales en vigueur à cet endroit à ce moment-là. Les compagnies seraient ainsi contraintes de respecter une multitude de règles fiscales nationales différentes en raison du simple fait qu’indépendamment de leur volonté, leurs cocontractants vont s’établir dans d’autres États membres.

85.      Si l’on retient l’interprétation statique, en revanche, les règles fiscales d’un autre État membre ne doivent être prises en compte que lorsque la compagnie d’assurances décide délibérément de conclure un contrat d’assurance sur la vie avec une personne qui a sa résidence habituelle dans un autre État membre, étant entendu que ces règles fiscales seront les seules applicables pendant toute la durée du contrat.

86.      L’interprétation dynamique entraîne donc une restriction plus importante des prestations de services transfrontalières d’une compagnie d’assurances parce qu’en cas de déménagement du preneur, elle soumet le contrat à un autre régime fiscal.

87.      Une telle conséquence juridique est également susceptible de dissuader les compagnies d’assurances de maintenir leurs prestations après un déménagement transfrontalier du preneur. Afin d’éviter les frais que le respect des règles fiscales d’un autre État membre entraînerait pour elles en cas d’interprétation dynamique de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie, elles pourraient le cas échéant être tentées de ne conclure des contrats qu’à la condition que le preneur réside à un endroit déterminé. Indépendamment de la question de savoir si un tel comportement de la compagnie serait compatible avec le droit de l’Union, il n’y a pas lieu de craindre qu’elle adopte une telle attitude si c’est l’interprétation statique qu’il faut retenir.

88.      En conclusion, la garantie d’une libre prestation des services milite plutôt en faveur d’une interprétation statique.

ii)    La libre circulation du preneur

89.      Certaines parties à la procédure estiment qu’une interprétation dynamique de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie entraînerait une restriction directe des différents droits à la libre circulation que le traité garantit au preneur, mais nous ne sommes pas du même avis.

90.      S’il est vrai qu’une interprétation dynamique serait susceptible, si le contrat le prévoit, d’entraîner pour le preneur un surcroît de prime parce que la taxe sur l’assurance est plus élevée dans son nouvel État membre de résidence, il est de jurisprudence constante à la Cour que le traité ne garantit pas à un citoyen de l’Union que le transfert de ses activités dans un État membre autre que celui dans lequel il résidait jusque-là sera neutre en matière d’imposition (16).

91.      Une interprétation dynamique pourrait cependant entraver indirectement les droits de la libre circulation du preneur dans l’hypothèse, décrite plus haut (17), où sa compagnie d’assurances refuserait de poursuivre les relations contractuelles en cas de déménagement transfrontalier. Comme il n’y aurait pas lieu de craindre de telles conséquences négatives pour le preneur dans le cas de l’interprétation statique, la garantie des droits de libre circulation du preneur milite elle aussi plutôt en faveur de cette variante d’interprétation.

d)      Répartition équilibrée des compétences fiscales

92.      Contrairement à ce que le gouvernement autrichien a soutenu, enfin, assurer une répartition équilibrée des compétences fiscales entre les États membres n’est pas un objectif à prendre en considération dans le cadre de l’interprétation de l’article 50 de la directive assurance vie. La question de savoir si une répartition déterminée des compétences fiscales entre les États membres doit être considérée comme équilibrée en fonction d’une interprétation statique ou plutôt d’une interprétation dynamique doit s’apprécier uniquement sur la base de la finalité de la perception d’une taxe sur l’assurance. Cette finalité pourrait diriger le choix de l’État membre auquel doit revenir la taxe, en particulier si l’on pouvait déterminer laquelle des deux parties à un contrat d’assurance sur la vie doit supporter cette taxe.

93.      La finalité de la perception d’une taxe sur l’assurance n’a cependant aucune importance pour la répartition des compétences fiscales entre les États membres conformément à l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie. Du point de vue du droit de l’Union, il est dès lors foncièrement dénué d’importance de savoir qui supporte la charge d’une taxe sur l’assurance. D’une part, cela résulte du fait que la directive assurance vie est fondée sur les articles 47, paragraphe 2, CE et 55 CE, qui ont trait uniquement à la réalisation de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services. D’autre part, il ressort du considérant 55 de cette directive que la règle énoncée à l’article 50, paragraphe 1, de celle-ci a pour seule finalité d’empêcher les distorsions de la concurrence.

94.      Le droit de l’Union ne règle donc la possibilité pour les États membres d’appliquer des taxes nationales sur l’assurance uniquement du point de vue des distorsions de la concurrence pouvant fausser le marché intérieur. En d’autres termes, le droit de l’Union n’a pas pour objet de créer une taxe sur l’assurance ni de mettre une telle taxe à la charge d’une partie contractante déterminée. L’existence de taxes nationales sur l’assurance est considérée comme un simple fait. Leur perception et donc leur finalité relèvent exclusivement de la compétence des États membres, comme l’expriment d’ailleurs sans ambiguïté l’article 135, paragraphe 1, sous a), et l’article 401 de la directive 2006/112/CE (18).

e)      Résultat de l’interprétation téléologique

95.      L’analyse de la finalité de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie amène ainsi à la conclusion qu’aussi bien l’objectif d’empêcher les doubles impositions et les non-impositions que la garantie de la libre prestation des services et des droits de libre circulation du preneur d’assurance militent en faveur d’une interprétation statique. Dans le cas des assurances sur la vie, le fait qu’une interprétation dynamique soit, le cas échéant, plus susceptible d’empêcher des distorsions de la concurrence que l’interprétation statique est secondaire.

V –    Conclusion

96.      Étant donné qu’aussi bien le contexte que la finalité de l’article 50, paragraphe 1, de la directive assurance vie considérés au regard des libertés fondamentales militent en faveur d’une interprétation statique, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Tribunal de première instance de Bruxelles:

L’article 50, paragraphe 1, de la directive 2002/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 novembre 2002, concernant l’assurance directe sur la vie, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’il s’agit de personnes physiques, l’«État membre de l’engagement» doit être déterminé au moment de la conclusion du contrat d’assurance. Il s’oppose donc à une réglementation d’un État membre conformément à laquelle les opérations d’assurance sur la vie sont soumises à une taxe annuelle lorsque le preneur a sa résidence habituelle dans cet État membre au cours de l’exercice fiscal, indépendamment de la résidence qui était la sienne au moment de la conclusion du contrat.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 5 novembre 2002 concernant l’assurance directe sur la vie (JO L 345, p. 1).


3 – Directive du Conseil du 18 juin 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive «assurance non vie») (JO L 228, p. 1).


4 –      Première directive du Conseil du 24 juillet 1973 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité de l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, et son exercice (JO L 228, p. 3).


5 – Deuxième directive du Conseil du 22 juin 1988 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, fixant les dispositions destinées à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services et modifiant la directive 73/239 (JO L 172, p. 1).


6 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II) (JO L 335, p. 1); voir considérant 1 de cette directive ainsi que l’article 310, paragraphe 1, de celle-ci.


7 – «[...] each Member State shall apply to those assurance undertakings which cover commitments situated within its territory [...]».


8 – Voir points 46 et suiv. des présentes conclusions.


9 – Voir points 38 et suiv. des présentes conclusions.


10 – «[...] application of the tax [...] provided for by the Member States in which commitments entered into [...]».


11 – Voir points 57 et suiv. des présentes conclusions.


12 – Voir points 55 et suiv. des présentes conclusions.


13 – Voir arrêt du 14 juin 2001, Kvaerner (C-191/99, Rec. p. I-4447, point 51).


14 – Voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 1981, Broekmeulen (246/80, Rec. p. 2311, point 20); du 6 novembre 2003, Lindqvist (C-101/01, Rec. p. I‑12971, point 87), et du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C-305/05, Rec. p. I-5305, point 28), ainsi que point 40 des conclusions que l’avocat général Alber a présentées le 9 juillet 2002 dans l’affaire Geha Naftiliaki e.a. (arrêt du 14 novembre 2002, C-435/00, Rec. p. I-10615).


15 – Voir, notamment, arrêt du 13 octobre 2011, Waypoint Aviation (C-9/11, Rec. p. I-9697, point 22 et jurisprudence citée).


16 – Voir, notamment, arrêts du 29 avril 2004, Weigel (C-387/01, Rec. p. I-4981, point 55); du 12 juillet 2005, Schempp (C-403/03, Rec. p. I-6421, point 45), et du 26 avril 2007, Alevizos (C‑392/05, Rec. p. I-3505, point 76).


17 – Voir point 87 des présentes conclusions.


18 – Directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).