Language of document : ECLI:EU:C:2017:746

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 10 octobre 2017(1)

Affaire C363/16

Commission européenne

contre

République hellénique

« Manquement d’un État membre – Aide d’État – Obligation de récupération – Article 108, paragraphe 2, TFUE – Mesures à prendre par les États membres – Procédure de faillite – Inscription de l’aide d’État illégale au tableau des créances – Cessation des activités de l’entreprise – Suspension des enchères publiques des actifs de l’entreprise »






1.        Au mois de février 2012, la Commission européenne a adopté une décision (2) par laquelle elle déclare que certaines mesures de soutien financier accordées par la République hellénique en faveur de United Textiles SA constituent des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur et exige que la République hellénique récupère ces aides. À présent, la Commission tend à faire constater, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, que la République hellénique a manqué de se conformer à ladite décision dans les délais impartis.

2.        La République hellénique soutient qu’étant donné que le bénéficiaire de l’aide a été déclaré en faillite par décision de justice en date du mois de juillet 2012 et qu’il a été mis fin à ses activités, la distorsion de concurrence causée par l’aide d’État illégale accordée au bénéficiaire a été éliminée. La République hellénique aurait, dès lors, pris toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la décision et ne serait pas en situation de manquement à son égard.

 Le cadre juridique

3.        L’article 108, paragraphe 2, TFUE dispose :

« Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu’une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d’État n’est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l’article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine.

Si l’État en cause ne se conforme pas à cette décision dans le délai imparti, la Commission ou tout autre État intéressé peut saisir directement la Cour de justice de l’Union européenne, par dérogation aux articles 258 et 259.

[…] »

4.        Le règlement (CE) no 659/1999 (3) a établi des règles détaillées pour l’application de la législation régissant les aides d’État illégales.

5.        Le considérant 6 dudit règlement disposait que « considérant que, en vertu de l’article [4, paragraphe 3, TUE], les États membres sont tenus de coopérer avec la Commission et de lui fournir toutes les informations nécessaires pour lui permettre de remplir sa mission dans le cadre du présent règlement ».

6.        Aux termes du considérant 13 :

« [C]onsidérant que, en cas d’aide illégale incompatible avec le marché commun, une concurrence effective doit être rétablie ; que, à cette fin, il importe que l’aide, intérêts compris, soit récupérée sans délai ; qu’il convient que cette récupération se déroule conformément aux procédures du droit national ; que l’application de ces procédures ne doit pas faire obstacle au rétablissement d’une concurrence effective en empêchant l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission ; que, afin d’atteindre cet objectif, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’effet utile de la décision de la Commission. »

7.        L’article 14 dudit règlement, intitulé « Récupération de l’aide », disposait :

« 1.      En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire […]. La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général de droit [de l’Union].

[…]

3.      Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour de justice […] prise en application de l’article [278 TFUE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit [de l’Union]. »

 Les antécédents du litige et la décision de récupération

8.        United Textiles est une entreprise textile grecque qui a pour activité la production de vêtements, de fibres et de tissus. Les considérants de la décision de récupération indiquent que la situation de la société s’est détériorée constamment depuis au moins l’année 2004 et qu’à partir de l’année 2008, une grande partie de ses usines ne produisaient plus faute de fonds de roulement. Depuis l’année 2008, presque tous ses prêts bancaires sont en souffrance. D’après les rapports annuels de la société, la production a presque totalement cessé depuis le mois de mars 2009 et, depuis le mois de février 2010, la cotation de l’action de la société est suspendue à la Bourse d’Athènes (4).

9.        En 2007, la République hellénique a accordé à United Textiles une garantie pour le refinancement d’un prêt bancaire initial et l’octroi d’un nouveau prêt bancaire (ci-après la « garantie de 2007 »). En 2009, la République hellénique a procédé au rééchelonnement des dettes échues de la société vis-à-vis de la sécurité sociale pour la période 2004-2009 (ci-après le « rééchelonnement de 2009 ») (5).

10.      Le 22 février 2012, la Commission a adopté la décision de récupération qui a été notifiée à la République hellénique le 23 février 2012. La Commission a déclaré à l’article 1er, paragraphe 1, de ladite décision que la garantie de 2007 et le rééchelonnement de 2009 constituent des aides d’État illégales incompatibles avec le marché intérieur (6). Le montant total de l’aide illégale a été estimé à 30,57 millions d’euros (7).

11.      En vertu de l’article 2 de la décision de récupération, la République hellénique était tenue de récupérer l’aide d’État illégale avec les intérêts auprès de United Textiles.

12.      L’article 3 de la décision de récupération prévoyait que la récupération de l’aide devait être immédiate et effective et que la décision de récupération devait être exécutée dans un délai de quatre mois à compter de la date de sa notification.

13.      En outre, l’article 4, paragraphe 1, de la décision de récupération exigeait que la République hellénique transmette à la Commission, dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision, les renseignements suivants :

« a)      le montant total (principal et intérêts) à récupérer auprès du bénéficiaire ;

b)      une description détaillée des mesures qui ont déjà été prises ou qui seront prises afin de se conformer à la [décision de récupération] ;

c)      les documents attestant que le bénéficiaire a été mis en demeure de restituer l’aide. »

14.      Conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la décision de récupération, « [l]a Grèce tient la Commission informée de l’avancement des mesures nationales prises pour mettre en œuvre la [décision de récupération], jusqu’à la récupération complète de l’aide […]. Si la Commission en fait la demande, la Grèce lui transmet dans les plus brefs délais tous les renseignements concernant les mesures qui ont déjà été prises ou qui seront prises pour se conformer à la [décision de récupération]. La Grèce lui fournit aussi des renseignements détaillés concernant les montants de l’aide et des intérêts déjà récupérés auprès du bénéficiaire ».

15.      À la suite de la notification de la décision de récupération, les autorités helléniques compétentes ont certifié une dette pour un montant de 19 181 729,10 euros (correspondant à la garantie de 2007) le 21 juin 2012. Le 19 juillet 2012, par jugement du Polymeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d’Athènes, Grèce), United Textiles a été déclarée en faillite.

16.      Le 29 août 2012, les autorités helléniques compétentes ont certifié une dette supplémentaire d’un montant de 15 827 427,78 euros (correspondant au rééchelonnement de 2009).

17.      Les dettes ont été notifiées au greffe du tribunal des faillites le 3 août 2012 (la garantie de 2007) et le 14 septembre 2012 (le rééchelonnement de 2009).

18.      La première réunion des créanciers a eu lieu le 18 décembre 2012. La dernière notification de dette résultant de l’aide à récupérer a eu lieu le 7 février 2013. Le tableau des créances a été finalisé le 11 septembre 2013.

19.      À partir de l’année 2013, les actifs de United Textiles ont été vendus par voie d’enchères publiques.

20.      Entre les mois de mai 2012 et mai 2015, la Commission et la République hellénique ont échangé un certain nombre de courriers concernant l’exécution de la décision de récupération et l’état d’avancement de la procédure de faillite.

21.      Par courriers électroniques des 7 et 17 décembre 2015, l’administrateur de la faillite de United Textiles a informé la Commission des tentatives de relance de l’entreprise par le gouvernement hellénique et a demandé à la Commission dans quelle mesure elle souscrivait à ce projet de relance. Par lettre du 18 décembre 2015, la Commission a demandé aux autorités helléniques de lui préciser s’il y avait effectivement des projets de suspension de la procédure de faillite de United Textiles et de relance de l’entreprise.

22.      Par l’acte de contenu législatif édicté le 30 décembre 2015 (ci‑après l’« ACL »), il a été décidé que « [la] procédure d’enchères publiques […] pour la vente des actifs de la société anonyme dénommée “United Textiles SA” est suspendue pour une période de six mois à compter de la date de publication du présent acte au Journal officiel » (8).

23.      Le 19 janvier 2016, la République hellénique a répondu à la lettre de la Commission du 18 décembre 2015 en confirmant que la vente des actifs avait été suspendue. Elle a communiqué des informations complémentaires sur cette question à la Commission par lettre du 11 avril 2016.

24.      Les enchères publiques des actifs de la société ont été effectivement suspendues à partir de la date de la publication de l’ACL pour une période de six mois jusqu’au 30 juin 2016. Le gouvernement hellénique a confirmé lors de l’audience que les enchères publiques pour la vente des actifs de United Textiles avaient repris en septembre 2016.

 Procédure et conclusions des parties

25.      Le 30 juin 2016, la Commission a formé le présent recours.

26.      La Commission demande à la Cour de constater qu’en n’ayant pas pris, dans les délais prévus, toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès du bénéficiaire l’aide d’État déclarée illégale et incompatible avec le marché intérieur par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision de récupération, et en n’informant pas suffisamment la Commission des mesures prises en application de l’article 4 de cette décision, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, 3 et 4 de ladite décision ainsi qu’en vertu du traité FUE.

27.      Lors de l’audience du 21 juin 2017, le gouvernement hellénique et la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par la Cour.

28.      Dans sa requête, la Commission a indiqué que « d’un point de vue formel », la République hellénique n’avait pas assuré l’exécution des obligations résultant de la décision de récupération à la date d’expiration du délai imparti (voir point 39 ci-dessous). Cependant, elle a consacré la plus grande partie de ses observations écrites et orales à la suspension de la vente des actifs de la société trois ans plus tard, le 30 décembre 2015.

29.      Lors de l’audience, lorsqu’il lui a été demandé de préciser en quoi la République hellénique avait manqué à ses obligations, la Commission a mentionné trois motifs principaux pour lesquels la République hellénique avait, selon elle, violé la décision de récupération, à savoir : i) en ne récupérant pas l’aide dans le délai de quatre mois fixé dans la décision de récupération (United Textiles ayant été déclarée en faillite après l’expiration du délai) ; ii) en n’informant pas la Commission de manière complète sur l’avancement de la récupération de l’aide d’État illégale, à la fois en ne fournissant pas à la Commission les informations requises par l’article 4, paragraphe 1, de la décision de récupération dans les deux mois de la notification de cette dernière et en n’informant pas la Commission que les enchères publiques avaient été suspendues au mois de décembre 2015 ; et iii) en suspendant, par l’ACL, les enchères publiques des actifs de United Textiles.

 Observations préliminaires

30.      Il importe de clarifier d’emblée certains aspects de la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, la date de référence pour apprécier l’existence d’une infraction au titre de cette procédure et la nature de l’obligation imposée aux États membres par une décision de récupération.

 La procédure au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et la charge de la preuve

31.      Lorsqu’un État membre ne se conforme pas à une décision de récupération, la Commission ou un autre État membre peut saisir la Cour, par dérogation aux articles 258 et 259 TFUE, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Contrairement à l’article 258 TFUE, cette dernière option ne prévoit pas de phase précontentieuse (9).

32.      Le choix de la procédure à adopter pour chaque cas incombe à la Commission (10). La Cour a jugé que la voie de recours offerte par l’article 108, paragraphe 2, TFUE n’est qu’une variante du recours en manquement, adaptée de manière spécifique aux problèmes particuliers que présentent les aides étatiques pour la concurrence dans le marché intérieur (11). Dans la présente affaire, la Commission a introduit une action au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

33.      L’accès à la Cour au titre de cette disposition est plus rapide et plus aisé puisque l’échange formel de vues avec les États membres et (le cas échéant) avec d’autres intéressés a déjà eu lieu au cours de la procédure administrative qui a conduit à l’adoption de la décision litigieuse de la Commission (12). Le comportement d’un État membre contre lequel un recours en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE est formé doit être apprécié uniquement à la lumière des obligations qui lui ont été imposées par ladite décision (13).

34.      Indépendamment du choix de la procédure effectué par la Commission, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre d’un recours en manquement, « il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque » (14). Il appartient, en revanche, à l’État membre concerné, lorsque l’absence de récupération d’une partie ou de la totalité des aides en cause a été établie, de justifier les raisons de ce manquement (15).

 La date de référence aux fins d’apprécier l’existence d’une infraction

35.      Dans une procédure telle que la présente, dans laquelle la procédure nationale tendant à la récupération de l’aide d’État illégale a duré plusieurs années, il est crucial d’établir la date de référence aux fins d’apprécier l’existence d’une infraction. À cet égard, le choix entre la procédure d’infraction générale et la procédure au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE n’est pas sans conséquence. Dans la mesure où cette dernière procédure n’exige pas que la Commission émette un avis motivé, la date de référence pour apprécier l’existence d’un manquement aux obligations ne saurait (comme dans la procédure de l’article 258 TFUE) être la date fixée pour se conformer à un tel avis.

36.      Il ressort plutôt d’une jurisprudence constante que la date de référence pour l’application de l’article 108, paragraphe 2, TFUE est celle prévue dans la décision en vertu de laquelle l’aide d’État doit être récupérée ou, le cas échéant, celle que la Commission a fixée par la suite (16). Les événements ultérieurs à la date de référence ne sauraient être pris en considération pour apprécier l’existence d’une infraction ou son absence (17).

37.      Dans la présente affaire, l’article 3, paragraphe 2, de la décision de récupération a fixé un délai de quatre mois à compter de la date de la notification de la décision. La Commission n’a pas fixé ensuite de nouveau délai. En conséquence, la date de référence devrait se situer quatre mois après le 23 février 2012, la date de la notification de la décision, à savoir le 23 juin 2012 (18). Comme ce jour était un samedi, la date de référence est le 25 juin 2012.

38.      En outre, l’article 4, paragraphe 1, de la décision de récupération exige que la République hellénique fournisse des informations spécifiques à la Commission dans un délai de deux mois suivant la date de la notification, à savoir au plus tard le 23 avril 2012.

39.      Les dates de référence pour déterminer si la République hellénique a manqué à l’obligation de fournir des informations et à l’obligation de récupérer l’aide d’État sont, dès lors, respectivement le 23 avril 2012 et le 25 juin 2012.

40.      La Commission a fait valoir lors de l’audience que la suspension des enchères publiques pour la vente des actifs de United Textiles par l’ACL le 30 décembre 2015 constitue une deuxième date de référence pour apprécier l’existence d’une infraction.

41.      À cet égard, la Commission a ensuite allégué que la Cour juge habituellement qu’un État membre qui ne s’est pas conformé à une décision exigeant qu’il récupère une aide d’État dans le délai imparti commet une infraction continue (19).

42.      Je n’admets pas cette interprétation de la jurisprudence. Certes, dans certains de ces arrêts, la Cour a indiqué que l’infraction s’est poursuivie après la date de référence et jusqu’à l’audience, mais la constatation effectuée par la Cour était limitée à l’existence d’une infraction à la fin du délai fixé dans la décision de la Commission (20).

43.      Il ressort, en outre, clairement de l’arrêt Commission/Belgique (21) que les événements subséquents à la date fixée dans la décision ordonnant la récupération de l’aide d’État illégale sont dénués de pertinence aux fins de déterminer l’existence d’une infraction en vertu de la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Cela dit, l’État membre reste soumis après cette date à l’obligation continue de récupérer l’aide illégale en vertu du principe de coopération loyale (22).

 La nature de l’obligation de récupération

44.      L’obligation de récupérer une aide d’État illégale découle de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, tel qu’il est appliqué aux fins de la présente affaire par le règlement no 659/1999. La Cour a toujours dit pour droit que « la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité » (23). La récupération vise au rétablissement de la situation antérieure dans la mesure du possible et à l’élimination de l’avantage concurrentiel indu résultant de l’aide d’État illégale (24).

45.      L’obligation de récupération est une obligation de résultat (25). Le règlement no 659/1999 exige que les États membres récupèrent les aides d’État illégales conformément aux procédures nationales sans délai, tandis que l’exécution de la décision de récupération doit être « immédiate et effective » (26). À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, les États membres sont libres de choisir les moyens par lesquels ils exécuteront l’obligation résultant de la décision de récupération, pourvu que les mesures choisies ne portent pas atteinte à la portée et à l’efficacité du droit de l’Union (27).

46.      La récupération doit s’effectuer non seulement dans son intégralité, mais également dans le délai imparti, à savoir dans le délai prévu dans la décision (ou dans celui que la Commission a fixé par la suite) ; une récupération tardive, postérieure aux délais impartis, ne saurait satisfaire aux exigences du TFUE (28).

47.      La Cour a toujours dit pour droit que seule une impossibilité absolue est susceptible de justifier la non-récupération d’une aide d’État illégale (29). La jurisprudence interprète cette exception de manière stricte, refusant d’accepter que « la simple crainte » de difficultés internes constitue une impossibilité absolue (30). Les États membres ne peuvent pas invoquer des conditions de leur droit national, telles que l’impossibilité de procéder à la récupération en vertu du droit national (31) ; un vide juridique (32) ; des difficultés administratives ou techniques (33) ; ou des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présentait la mise en œuvre de la décision, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause afin de récupérer l’aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en œuvre de la décision qui auraient permis de surmonter les difficultés (34).

48.      Un État membre peut-il soutenir que le fait que la situation financière du bénéficiaire ne permet pas de récupérer les aides constitue une « impossibilité absolue » de récupération ?

49.      La Cour a jugé que cette situation ne constitue pas une impossibilité d’exécution, dès lors que l’objectif de la suppression de l’aide est susceptible d’être atteint par la liquidation de l’entreprise (35). L’absence d’actif récupérable est la seule façon de démontrer l’impossibilité absolue de récupérer les aides et il appartient à l’État de tenter de provoquer la liquidation judiciaire de l’entreprise de telle sorte qu’il puisse faire valoir ses créances sur les actifs, si toutefois il y en avait et si le rang de leurs créances le permettait (36).

50.      L’exception d’impossibilité absolue s’attache au résultat à atteindre : la récupération de l’aide illégale. Si elle pouvait être invoquée quant à la manière dont cette récupération a été effectuée, il serait trop facile pour un État membre de choisir une procédure dont il s’est avéré qu’elle ne permet pas la récupération de l’aide illégale et de prétendre ensuite qu’il est dégagé de son obligation de récupérer l’aide (37).

51.      Certains impératifs complémentaires se présentent lorsqu’un État membre rencontre des difficultés à récupérer l’aide. Un État membre ne peut se prévaloir de l’exception d’impossibilité absolue que s’il a attiré l’attention de la Commission sur ces problèmes et s’il a essayé de résoudre les difficultés auxquelles il est confronté (38). Partant, un État qui rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission est tenu de soumettre ces problèmes à l’appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l’État membre doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions de l’Union des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l’article 4, paragraphe 3, TUE, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés (39).

 Le manquement aux obligations

 L’obligation de récupérer l’aide d’État

 Arguments des parties

52.      La Commission affirme dans sa requête que la République hellénique n’avait pas récupéré l’aide illégale dans les délais impartis.

53.      La Commission fait valoir que lorsqu’il est impossible de récupérer l’intégralité de l’aide d’État illégale au motif que l’entreprise est en difficulté ou est en faillite, l’État membre doit exiger l’inscription au tableau des créances de l’entreprise de celle relative à la restitution de l’aide dans le cadre d’une procédure de faillite. L’entreprise doit procéder à la cessation définitive de ses activités. En l’espèce, la République hellénique n’a pas rempli ces obligations à l’expiration du délai imparti, à savoir le 25 juin 2012.

54.      La République hellénique soutient que United Textiles a été déclarée en faillite le 19 juillet 2012 et a cessé ses activités. La distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel du bénéficiaire de l’aide a donc été éliminée, conformément à la décision de récupération.

 Appréciation

55.      Dans une affaire telle que celle en l’espèce, dans laquelle l’entreprise concernée ne dispose pas des fonds nécessaires pour restituer l’aide d’État illégale, l’obligation de récupération demeure. La jurisprudence de la Cour établit, en effet, fermement que l’obligation de récupérer l’aide d’État illégale s’étend à la récupération auprès de bénéficiaires, telle United Textiles, qui sont en difficulté ou en faillite (40).

56.      Dans de tels cas, « le rétablissement de la situation antérieure et l’élimination de la distorsion de concurrence résultant des aides illégalement versées peuvent, en principe, être accomplis par l’inscription au tableau des créances de celle relative à la restitution des aides concernées » (41). Si nécessaire, l’État membre lui-même – en tant que créancier ou actionnaire de la société – doit provoquer la liquidation de la société (42).

57.      Dans le cas où les autorités étatiques ne pourraient récupérer l’intégralité du montant de l’aide, l’inscription de la créance au tableau des créances n’est pas suffisante en soi. La procédure de faillite doit aboutir « à la liquidation de l’entreprise bénéficiaire des aides illégales, c’est-à-dire à la cessation définitive de son activité » (43).

58.      Il s’ensuit que lorsque l’État ne peut récupérer l’intégralité du montant de l’aide illégale en raison de la situation financière de l’entreprise, i) l’entreprise doit être déclarée en faillite, et ii) la créance liée à la restitution de l’aide en cause doit être inscrite au tableau des créances. Si la récupération de l’intégralité du montant de l’aide reste impossible, la procédure de faillite doit aboutir à la liquidation de l’entreprise et à la cessation définitive de ses activités. L’obligation de récupération ne peut être considérée comme remplie qu’à ce moment-là.

59.      Une autre question concerne le moment auquel la décision de récupération doit être exécutée. Il paraît improbable que les différentes étapes d’une procédure de faillite, de la demande initiale de faillite à la déclaration de faillite, jusqu’à la liquidation du bénéficiaire et la cessation définitive de ses activités, aient lieu normalement dans le délai de quatre mois fixé habituellement par la Commission pour la récupération de l’aide illégale. Dans ces circonstances, que peut-on raisonnablement attendre d’un État membre qui souhaite se conformer intégralement et dans les délais impartis à une décision de récupération ?

60.      La Cour considère que c’est l’inscription au tableau des créances de celle relative à l’aide d’État illégale qui constitue le moyen approprié pour réaliser l’élimination de la distorsion de concurrence et exige qu’elle ait lieu dans le délai imparti par la décision de récupération (44).

61.      L’État membre doit donc initier la procédure de faillite (si aucun autre créancier ne l’a déjà fait), notifier ses créances à l’administrateur de la faillite et les inscrire au tableau des créances conformément aux procédures nationales dans le délai imparti par la décision de récupération.

62.      Il est possible que, dans un cas particulier, certaines circonstances ou certains motifs liés à des procédures internes empêchent l’État membre d’inscrire la créance au tableau des créances dans le délai imparti. Dans un tel cas, l’État membre doit soumettre cette difficulté à l’appréciation de la Commission en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. La Commission et l’État membre doivent respecter le devoir de coopération loyale et collaborer de bonne foi (45).

63.      En conséquence, lorsqu’un État membre a des difficultés à respecter le délai fixé par la décision de récupération en raison de particularités de la procédure de faillite, il doit informer pleinement la Commission et demander un délai supplémentaire pour se conformer à ladite décision, en motivant dûment le délai supplémentaire demandé. Selon moi, la Commission, qui est également soumise au devoir de coopération loyale, est ensuite tenue d’accorder une prolongation raisonnable du délai fixé pour la récupération lorsque les circonstances de l’affaire l’exigent.

64.      En l’espèce, il est constant que United Textiles n’a pas été déclarée en faillite avant le 19 juillet 2012. Les montants à récupérer ont été notifiés au greffe du tribunal des faillites le 3 août 2012 (la garantie de 2007) et le 14 septembre 2012 (le rééchelonnement de 2009). La République hellénique a indiqué lors de l’audience que la dernière notification d’une créance relative à l’aide d’État illégale a eu lieu le 7 février 2013. Le tableau des créances a été finalisé le 11 septembre 2013. Tous ces événements ont eu lieu après la date de référence du 25 juin 2012.

65.      Bien que toutes les mesures entreprises pour exécuter la décision de récupération (la déclaration de faillite de United Textiles, la notification des créances au registre d’insolvabilité et l’établissement d’un tableau de créances comprenant celle relative à l’aide d’État illégale) aient eu lieu après le délai fixé par la Commission pour la récupération, la République hellénique n’a pas demandé à la Commission de délai supplémentaire pour exécuter la décision de récupération conformément à ses procédures nationales. Les mesures d’exécution ont donc eu lieu après la date de référence.

66.      L’infraction est, dès lors, établie.

 L’obligation de tenir la Commission informée

 Arguments des parties

67.      La Commission affirme que la République hellénique ne l’a pas suffisamment informée des mesures prises en vue de l’exécution de la décision de récupération. La Commission soutient que la République hellénique ne l’a pas informée à l’avance de la suspension des enchères publiques pour la vente des actifs de United Textiles par l’ACL. En outre, la République hellénique n’aurait pas fourni d’informations concernant l’évolution de l’affaire depuis la lettre du 11 avril 2016.

68.      La République hellénique soutient qu’elle a informé suffisamment la Commission des mesures prises en vue de l’exécution de la décision de récupération.

 Appréciation

69.      L’article 4 de la décision de récupération imposait une obligation d’information spécifique à la République hellénique. En premier lieu, la République hellénique était tenue de transmettre trois types d’informations particulières dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision (article 4, paragraphe 1). En second lieu, la République hellénique était soumise à une obligation continue de tenir la Commission informée de l’avancement des mesures prises pour la récupération de l’aide jusqu’à la récupération complète de celle-ci (article 4, paragraphe 2).

70.      La Cour a jugé qu’un État membre n’ayant pas pris les mesures nécessaires afin de récupérer l’aide d’État dans les délais impartis manque également à son obligation d’informer la Commission des mesures prises (46). Dans la mesure où la République hellénique n’avait pas pris de mesures en vue d’exécuter la décision de récupération à la date du 23 avril 2012, elle n’a pas non plus pu informer la Commission de ces mesures.

71.      En conséquence, le manquement à cette obligation est également établi.

72.      Il convient de noter ici que le gouvernement hellénique a confirmé lors de l’audience que les trois types d’informations particulières requises par l’article 4, paragraphe 1, de la décision de récupération n’ont pas été transmises à la date du 23 avril 2012. En outre, il ressort de la correspondance entre les parties que le gouvernement hellénique n’a pas pris contact avec la Commission jusqu’en mai 2012, à savoir de nouveau après la date de référence.

73.      En ce qui concerne l’obligation de tenir la Commission informée de l’avancement des mesures prises en vue de la récupération de l’aide jusqu’à la récupération complète de celle-ci (article 4, paragraphe 2, de la décision de récupération), les parties ont présenté à la Cour un certain nombre de lettres qui montrent une correspondance fréquente entre la République hellénique et la Commission depuis le mois de mai 2012. Par ces lettres, la République hellénique a informé la Commission de l’avancement de la procédure de faillite de United Textiles. Cependant, la République hellénique n’a pas informé la Commission à l’avance de l’adoption de l’ACL portant suspension des enchères publiques de United Textiles. Ce n’est que postérieurement à la demande de la Commission adressée à la République hellénique (par lettre du 18 décembre 2015) visant à clarifier la situation que la République hellénique a informé la Commission (par lettre du 19 janvier 2016) qu’elle avait suspendu les enchères publiques concernant la vente des actifs de United Textiles pour une période de six mois afin d’évaluer un plan de relance des activités.

74.      À mon sens, il s’agit d’une infraction à l’article 4, paragraphe 2, de la décision de récupération.

75.      Je conclus, dès lors, que la République hellénique n’a pas informé suffisamment la Commission des mesures prises en vue de la récupération de l’aide illégale comme elle était tenue de le faire en vertu de l’article 4 de la décision de récupération.

 La suspension des enchères publiques et la possibilité de relancer les activités de United Textiles

76.      La suspension des enchères publiques des actifs de United Textiles a eu lieu après la date de référence aux fins d’apprécier l’existence d’une infraction (voir points 35 à 43 des présentes conclusions). Elle ne saurait, dès lors, être prise en compte à cet égard. Cependant, puisque les observations des parties portent dans une large mesure sur cet élément, je l’examinerai brièvement par souci d’exhaustivité.

77.      La Commission soutient que la récupération doit être effectuée conformément aux procédures nationales et doit être immédiate et effective. Lorsque la récupération de l’intégralité du montant de l’aide d’État illégale n’est pas possible et que l’État membre choisit la voie de la procédure de faillite, cette procédure devrait, in fine, aboutir à la liquidation de l’entreprise et à la cessation définitive de ses activités. La suspension des enchères publiques pour la vente des actifs de United Textiles interromprait le processus de liquidation de l’entreprise, qui est censé être irréversible, et ralentirait la récupération de l’aide d’État illégale.

78.      La République hellénique soutient que United Textiles avait cessé ses activités et que l’avantage concurrentiel dont elle avait bénéficié avait dès lors disparu. Ni la jurisprudence ni la pratique de la Commission n’exigeraient que la procédure de faillite aboutisse inévitablement à la liquidation et à la dissolution de l’entreprise concernée. La suspension des enchères publiques a duré seulement six mois, et la procédure de liquidation s’est ensuite poursuivie normalement. En outre, le projet de relance des activités de United Textiles incluait une disposition visant à la récupération immédiate de l’aide d’État.

79.      Un État membre peut-il, s’agissant de récupérer une aide d’État illégale dans le cadre d’une procédure de faillite, suspendre cette procédure afin d’examiner un plan de relance des activités du bénéficiaire ?

80.      Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler plusieurs principes.

81.      En premier lieu, la récupération doit être effectuée sans délai et l’exécution de la décision de récupération doit être immédiate et effective (47).

82.      En deuxième lieu, les États membres concernés sont libres de choisir les moyens par lesquels ils exécuteront leur obligation de récupération, pourvu que les mesures choisies ne portent pas atteinte à la portée et à l’efficacité du droit de l’Union et ne rendent la récupération pratiquement impossible. Les mesures adoptées par les États membres doivent être aptes à rétablir les conditions normales de concurrence qui ont été faussées par l’octroi de l’aide illégale (48).

83.      En troisième lieu, les obligations particulières relatives à la récupération d’aides d’État et le devoir plus général de coopération loyale au titre de l’article 4, paragraphe 3, TUE sont étroitement liés ; l’article 4, paragraphe 3, TUE façonne la manière dont un État membre doit agir au cours de la procédure de récupération (49).

84.      Enfin, l’objectif global poursuivi par la récupération des aides d’État illégales, à savoir l’élimination de la distorsion de concurrence (50), doit être examiné à la lumière des objectifs généraux de l’Union, établis à l’article 3 TUE, en particulier, une croissance économique équilibrée et une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi, en tant que piliers du développement durable de l’Union (51).

85.      Dans ce contexte, je ne partage pas l’opinion exprimée par la Commission lors de l’audience selon laquelle la récupération au moyen d’une procédure de faillite est un processus à sens unique qui doit inévitablement aboutir à la liquidation du bénéficiaire.

86.      En premier lieu, la jurisprudence de la Cour indique expressément qu’afin de satisfaire à l’obligation de récupération, la procédure de faillite doit aboutir « à la liquidation de l’entreprise bénéficiaire des aides illégales, c’est-à-dire à la cessation définitive de son activité » ; mais cette obligation ne s’applique que « dans le cas où les autorités étatiques ne pourraient récupérer l’intégralité du montant des aides » (52). À contrario, si l’intégralité du montant de l’aide peut être récupérée au cours de la procédure de faillite, la liquidation de l’entreprise et la cessation définitive de ses activités ne sont plus exigées.

87.      En deuxième lieu, la thèse selon laquelle les règles relatives aux aides d’État, dans un système qui vise la croissance économique et le plein emploi, exigeraient mécaniquement que des entreprises qui seraient autrement viables cessent leurs activités, avec la perte d’emplois consécutive, est intrinsèquement indigne.

88.      En troisième lieu, comme la République hellénique le note à bon droit, la Commission a elle-même déclaré que, « lorsqu’un plan de poursuite des activités du bénéficiaire est proposé […], les autorités nationales responsables de l’exécution de la décision de récupération ne peuvent accepter ce plan que s’il fait en sorte que l’aide soit totalement remboursée dans le délai prescrit par la décision de récupération de la Commission » (53). Certes, la Commission poursuit en indiquant qu'« [e]n particulier, l’État membre ne peut renoncer en partie à sa demande de récupération ni ne peut accepter aucune autre solution qui ne déboucherait pas sur une cessation immédiate des activités du bénéficiaire. En l’absence de remboursement intégral et immédiat de l’aide illégale et incompatible avec le marché commun, les autorités responsables de l’exécution de la décision de récupération doivent prendre toutes les mesures dont elles disposent pour s’opposer à l’adoption d’un plan de poursuite des activités du bénéficiaire et insister sur la nécessité de mettre un terme à ces dernières dans le délai fixé par la décision de récupération » (54). Mais cela n’affecte pas le fait que la Commission considère elle-même comme étant acceptable un plan de poursuite aboutissant à la restitution intégrale dans le délai imparti de l’aide illégale versée.

89.      Je considère, dès lors, qu’en principe un État membre peut envisager de relancer les activités du bénéficiaire d’une aide d’État illégale dans des circonstances telles que celles de la présente affaire.

90.      Cependant, je suggère qu’au moins les conditions minimales suivantes doivent être remplies : i) le projet doit permettre la récupération de l’intégralité du montant de l’aide d’État illégale ; ii) la procédure doit être conforme au droit national ; iii) la Commission doit être pleinement informée à l’avance ; iv) le devoir de coopération loyale et l’effectivité du droit de l’Union doivent être respectés ; v) la Commission doit donner son accord au projet et fixer un délai contraignant pour sa mise en œuvre ; et vi) le délai fixé par la Commission doit être respecté par l’État membre.

91.      Dans le cas présent, la suspension de la procédure de faillite par l’ACL portait uniquement sur les enchères publiques des actifs de United Textiles. Elle n’a pas affecté l’inscription de la créance au tableau des créances ni la cessation des activités de l’entreprise (55). Elle n’a donc pas en elle-même prolongé l’avantage concurrentiel indu dont a bénéficié United Textiles.

92.      Cependant, la République hellénique n’a informé la Commission au sujet de l’ACL qu’après son adoption et à la demande de la Commission. Je rejette l’argument de la République hellénique selon lequel elle ne pouvait pas informer immédiatement la Commission du projet au motif qu’il était toujours à l’étude. En outre, le dossier ne contient aucune indication selon laquelle la République hellénique a impliqué la Commission dans la procédure, comme elle aurait dû le faire en vertu du devoir de coopération loyale.

93.      Je considère dès lors que la suspension des enchères publiques par l’ACL en vue d’examiner un plan de relance des activités de United Textiles était contraire aux obligations incombant aux autorités helléniques en vertu de la décision de récupération et du devoir de coopération que sous-tend, en particulier, l’article 4, paragraphe 3, TUE.

 Dépens

94.      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 Conclusion

95.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, j’invite la Cour à :

1)      déclarer qu’en n’ayant pas pris, dans les délais impartis, toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès du bénéficiaire l’aide d’État déclarée illégale et incompatible avec le marché intérieur par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2012/541/UE de la Commission, du 22 février 2012, concernant l’aide d’État SA.26534 (C 27/10 ex NN 6/09) octroyée par la Grèce en faveur de United Textiles SA, et en n’informant pas suffisamment la Commission européenne des mesures prises en application de l’article 4 de la décision 2012/541, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, 3 et 4 de ladite décision ;

2)      condamner la République hellénique aux dépens.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Décision 2012/541/UE de la Commission, du 22 février 2012, concernant l’aide d’État SA.26534 (C 27/10 ex NN 6/09) octroyée par la Grèce en faveur de United Textiles SA (JO 2012, L 279, p. 30) (ci-après la « décision de récupération »).


3      Règlement du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO 1999, L 83, p. 1). Ce règlement a depuis été abrogé et remplacé par le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9). Le premier règlement était en vigueur à la date à laquelle la décision de récupération a été adoptée et à la date de référence aux fins de l’appréciation de l’infraction. Le dernier règlement est entré en vigueur le 14 octobre 2015. En tout état de cause, le contenu de l’article 16 du dernier règlement est, hormis la numérotation des dispositions, identique à celui de l’article 14 du règlement no 659/1999.


4      Considérants 11 à 15 de la décision de récupération.


5      Considérants 18 à 21 de la décision de récupération.


6      Article 1er, paragraphe 1, de la décision de récupération.


7      Considérants 98 et 99 de la décision de récupération.


8      Article 17 de l’ACL. La base légale de l’adoption de cet acte était l’article 44, paragraphe 1, de la constitution hellénique qui prévoit que, « [d]ans des cas exceptionnels d’une nécessité extrêmement urgente et imprévue, le président de la République peut, sur proposition du Conseil des ministres, édicter des actes de contenu législatif ».


9      Arrêt du 3 juillet 2001, Commission/Belgique (C‑378/98, EU:C:2001:370, point 26).


10      Arrêt du 26 juin 2003, Commission/Espagne (C‑404/00, EU:C:2003:373, point 25 et jurisprudence citée). Je ne peux en conséquence accepter l’argument invoqué par la Commission lors de l’audience selon lequel lorsqu’un État membre ne s’est pas conformé à une décision adoptée en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sa seule option est de saisir la Cour en vertu de ladite disposition.


11      Arrêt du 3 juillet 2001, Commission/Belgique (C‑378/98, EU:C:2001:370, point 24 et jurisprudence citée).


12      Conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Commission/Allemagne (C‑527/12, EU:C:2014:90, point 26).


13      Arrêt du 2 février 1988, Commission/Pays-Bas (213/85, EU:C:1988:39, point 8). C’est la décision de récupération qui délimite la portée d’une procédure au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (exécution complète et dans le délai imparti). D’autres considérations, telles que le comportement subséquent d’un État membre, relèvent de l’article 258 TFUE (après avoir émis un avis motivé) ou de l’article 260 TFUE (lorsque la Cour a déjà reconnu qu’un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent) suivant la procédure qui y est fixée.


14      Arrêt du 26 juin 2003, Commission/Espagne (C‑404/00, EU:C:2003:373, point 26 et jurisprudence citée).


15      Voir, à cet égard, arrêt du 12 février 2015, Commission/France (C‑37/14, non publié, EU:C:2015:90, point 71).


16      Arrêt du 12 décembre 2013, Commission/Italie (C‑411/12, non publié, EU:C:2013:832, point 30 et jurisprudence citée). La décision en question concernait l’obligation de récupération. Les mêmes principes régissent, selon moi, l’obligation de fournir des informations à la Commission.


17      Voir, à cet effet, arrêt du 3 juillet 2001, Commission/Belgique (C‑378/98, EU:C:2001:370, point 28).


18      Par exemple, dans l’arrêt du 9 juillet 2015, Commission/France (C‑63/14, EU:C:2015:458), la Cour a indiqué que la décision avait été notifiée le 3 mai 2013 (point 14) et que la date de référence était le 3 septembre 2013 (point 46). Voir également l’arrêt du 12 février 2015, Commission/France (C‑37/14, non publié, EU:C:2015:90), dans lequel la décision avait été notifiée le 29 janvier 2009 (point 15) et la date pour apprécier le défaut de se conformer à la décision a été fixée au 29 mai 2009 (point 58).


19      Les trois arrêts cités par la Commission à l’appui de cette analyse sont les arrêts du 13 octobre 2011, Commission/Italie (C‑454/09, non publié, EU:C:2011:650) ; du 12 février 2015, Commission/France (C‑37/14, non publié, EU:C:2015:90), ainsi que du 9 juillet 2015, Commission/France (C‑63/14, EU:C:2015:458).


20      Par exemple, dans son arrêt du 12 février 2015, Commission/France (C‑37/14, non publié, EU:C:2015:90), la Cour a indiqué, s’agissant de l’obligation de tenir la Commission informée de la récupération de l’aide illégale, que l’État membre n’avait communiqué toutes les informations requises ni dans le délai initial de deux mois fixé dans la décision ni à une date ultérieure avant l’audience devant la Cour (point 88).


21      Arrêt du 3 juillet 2001 (C‑378/98, EU:C:2001:370, point 28) ; voir également point 36 des présentes conclusions.


22      Voir point 80 et suiv. ci-dessous, en particulier point 83.


23      Voir arrêt du 9 juillet 2015, Commission/France (C‑63/14, EU:C:2015:458, point 44).


24      Voir, à cet effet, arrêt du 14 avril 2011, Commission/Pologne (C‑331/09, EU:C:2011:250, point 56) et mes conclusions dans l’affaire Commission/France (C‑214/07, EU:C:2008:343, point 39).


25      À cet égard, je partage les conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Commission/Allemagne (C‑527/12, EU:C:2014:90, points 31 à 38).


26      Considérant 13 et article 14, paragraphe 3, du règlement no 659/1999.


27      Arrêt du 11 septembre 2014, Commission/Allemagne (C‑527/12, EU:C:2014:2193, point 40 et jurisprudence citée).


28      Arrêt du 9 juillet 2015, Commission/France (C‑63/14, EU:C:2015:458, point 45).


29      Arrêt du 26 juin 2003, Commission/Espagne (C‑404/00, EU:C:2003:373, point 45 et jurisprudence citée).


30      Arrêt du 29 janvier 1998, Commission/Italie (C‑280/95, EU:C:1998:28, points 14 à 16).


31      Arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission (C‑303/88, EU:C:1991:136, point 60).


32      Arrêt du 17 octobre 2013, Commission/Grèce (C‑263/12, non publié, EU:C:2013:673, point 36).


33      Arrêt du 29 janvier 1998, Commission/Italie (C‑280/95, EU:C:1998:28, points 18 à 26).


34      Arrêt du 5 mai 2011, Commission/Italie (C‑305/09, EU:C:2011:274, point 33). Sur la notion d’« impossibilité absolue », voir également Karpenschif, M., Droit européen des aides d’État, Bruylant, Bruxelles, 2015, p. 383 à 387.


35      Voir, à cet effet, arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne (C‑499/99, EU:C:2002:408, points 37 et 38 et jurisprudence citée).


36      Arrêt du 2 juillet 2002, Commission/Espagne (C‑499/99, EU:C:2002:408, point 37).


37      Voir mes conclusions dans l’affaire Commission/France (C‑214/07, EU:C:2008:343, point 44).


38      Arrêts du 14 février 2008, Commission/Grèce (C‑419/06, non publié, EU:C:2008:89, point 40), et du 12 février 2015, Commission/France (C‑37/14, non publié, EU:C:2015:90, point 67 et jurisprudence citée).


39      Arrêt du 26 juin 2003, Commission/Espagne (C‑404/00, EU:C:2003:373, point 46).


40      Arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne (C‑610/10, EU:C:2012:781, point 71 et jurisprudence citée).


41      Arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne (C‑610/10, EU:C:2012:781, point 72 et jurisprudence citée).


42      Arrêt du 6 décembre 2007, Commission/Italie (C‑280/05, non publié, EU:C:2007:753, point 28 et jurisprudence citée).


43      Arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne (C‑610/10, EU:C:2012:781, point 104 et jurisprudence citée).


44      Arrêts du 14 avril 2011, Commission/Pologne (C‑331/09, EU:C:2011:250, points 60 à 65) ; du 13 octobre 2011, Commission/Italie (C‑454/09, non publié, EU:C:2011:650, points 38 à 42), et du 11 décembre 2012, Commission/Espagne (C‑610/10, EU:C:2012:781, points 73 à 75).


45      Voir point 51 et note de bas de page 38 des présentes conclusions.


46      Voir, notamment, arrêt du 9 juillet 2015, Commission/France (C‑63/14, EU:C:2015:458, points 62 et 63).


47      Voir point 45 des présentes conclusions.


48      Arrêt du 11 septembre 2014, Commission/Allemagne (C‑527/12, EU:C:2014:2193, points 40 à 42).


49      Voir, notamment, arrêt du 12 février 2015, Commission/France (C‑37/14, non publié, EU:C:2015:90, point 67), et mes conclusions dans l’affaire Commission/France (C‑214/07, EU:C:2008:343, point 48).


50      Voir point 44 des présentes conclusions.


51      Article 3, paragraphe 3, TUE.


52      Arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne (C‑610/10, EU:C:2012:781, point 104 et jurisprudence citée).


53      Communication de la Commission, « Vers une mise en œuvre effective des décisions de la Commission enjoignant aux États membres de récupérer les aides d’État illégales et incompatibles avec le marché commun » (JO 2007, C 272, p. 4, point 67).


54      Communication de la Commission, « Vers une mise en œuvre effective des décisions de la Commission enjoignant aux États membres de récupérer les aides d’État illégales et incompatibles avec le marché commun » (JO 2007, C 272, p. 4, point 67).


55      La Commission n’a présenté aucun élément de preuve à la Cour indiquant que les activités de United Textiles se poursuivent. Au contraire, la décision de récupération indique, au considérant 13, que les usines de l’entreprise ont cessé leur activité depuis 2008, faute de fonds de roulement. De son côté, la République hellénique soutient que la poursuite des activités d’une société déclarée en faillite n’est possible que par une autorisation du tribunal des faillites, ou par décision de l’assemblée des créanciers. Par lettres du 12 novembre 2014 et du 15 mai 2015, les autorités helléniques ont signalé à la Commission que tel n’était pas le cas. Dans ce contexte, je considère que les allégations faites par la Commission lors de l’audience concernant une éventuelle poursuite de facto des activités de United Textiles ne sont pas suffisantes pour satisfaire à la charge de la preuve qui lui incombe (voir point 34 des présentes conclusions).