Language of document : ECLI:EU:C:2013:90

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 21 février 2013 (1)

Affaires jointes C‑523/11 et C‑585/11

Laurence Prinz

contre

Region Hannover

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Hannover (Allemagne)]

Philipp Seeberger

contre

Studentenwerk Heidelberg

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Karlsruhe (Allemagne)]

«Libre circulation des citoyens de l’Union – Aide aux études à l’étranger – Condition de résidence – Règle des trois ans – Proportionnalité»






1.        La République fédérale d’Allemagne est l’un des États membres où les citoyens de l’Union européenne peuvent solliciter un financement d’études et de formation supérieures suivies auprès d’institutions situées dans d’autres États membres de l’Union européenne (ci-après l’«UE»). Mlle Laurence Prinz et M. Philipp Seeberger, tous deux ressortissants allemands, ont sollicité un tel financement. Leurs demandes ont été rejetées, car aucun des deux n’a été en mesure de démontrer avoir résidé en Allemagne pendant une période ininterrompue de trois ans immédiatement avant le début de leurs études à l’étranger (ci-après la «règle des trois ans»). Le gouvernement allemand soutient que cette règle des trois ans est imposée afin de répondre au risque d’une charge financière déraisonnable qui pourrait affecter le niveau global des aides disponibles (ci-après l’«objectif économique»), pour identifier les personnes qui sont intégrées dans la société allemande et garantir que le financement soit accordé aux étudiants qui sont les plus à même de rentrer en Allemagne après leurs études et d’y contribuer à la société (ci-après l’«objectif social»). Les étudiants qui ne peuvent pas démontrer avoir été résidents pendant une période de trois ans ininterrompue se voient refuser le financement pour toute la durée de leurs études à l’étranger. Ils peuvent néanmoins se voir octroyer un financement pour la première année d’études à l’étranger ou pour toute la durée des études effectuées en Allemagne.

 Contexte juridique

 Droit de l’Union européenne

 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après le «TFUE»)

2.        L’article 20 TFUE est ainsi libellé:

«1.   Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2.     Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres:

a)      le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres;

[…]

Ces droits s’exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci.»

3.        En vertu de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, tout citoyen de l’Union «a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application».

4.        Conformément à l’article 165, paragraphe 1, TFUE, les États membres sont responsables du «contenu de l’enseignement et [de] l’organisation du système éducatif». L’article 165, paragraphe 1, TFUE dispose que «[l]’Union contribue au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action». En vertu de l’article 165, paragraphe 2, deuxième tiret, l’action de l’Union vise aussi «à favoriser la mobilité des étudiants».

 Directive 2004/38/CE

5.        L’article 24 de la directive 2004/38/CE (2) énonce ce qui suit:

«1.      Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.

2.     Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé […], avant l’acquisition du droit de séjour permanent [(3)], d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille.»

 Droit national

6.        Le Bundesausbildungsförderungsgesetz (Bundesgesetz über individuelle Förderung der Ausbildung, ci-après le «BAföG» ou la «loi d’assistance aux étudiants») constitue la loi allemande énonçant les conditions d’obtention d’un financement d’études et de formation. Elle a été modifiée à plusieurs reprises (4), y compris afin de prendre acte de l’arrêt Morgan et Bucher (5). Dans ces affaires, la Cour a jugé que les dispositions devenues articles 20 TFUE et 21 TFUE s’opposent à une condition telle que celle figurant au point 3 de l’article 5, paragraphe 2, de l’ancienne loi d’assistance aux étudiants, qui subordonnait l’octroi d’une bourse d’études dans un établissement d’éducation à l’étranger à la condition que les études soient la continuation d’un cursus d’études ou d’une formation suivis pendant au moins une année dans l’État membre d’origine (ci-après la «condition de première phase»).

7.        L’article 5, paragraphe 1, tel que modifié, définit le «domicile permanent» comme le lieu où se trouve, d’une manière qui ne soit pas seulement temporaire, le centre des relations de l’intéressé, sans que la volonté de s’y établir à titre permanent soit requise. Il énonce également qu’une personne qui séjourne en un lieu uniquement à des fins d’éducation ou de formation n’y a pas établi son domicile permanent.

8.        L’article 5, paragraphe 2, point 3, dispose que les étudiants dont le domicile permanent se trouve sur le territoire allemand bénéficient de l’aide si l’étudiant entame ou continue ses études ou sa formation dans un établissement d’éducation ou de formation situé dans un État membre de l’Union européenne ou en Suisse.

9.        L’article 6, intitulé «Aides pour les allemands à l’étranger», prévoit que les citoyens allemands, dont le domicile permanent se trouve hors de l’Allemagne, peuvent bénéficier de l’aide aux études ou à la formation pour étudier dans l’État de leur résidence ou un État voisin, lorsque les circonstances particulières du cas concret le justifient.

10.      L’article 8, paragraphe 1, indique que les citoyens allemands et les citoyens de l’Union qui bénéficient d’un droit de séjour permanent peuvent solliciter l’aide aux études ou à la formation.

11.      L’article 16 prévoit la durée pendant laquelle l’aide aux études ou à la formation peut être obtenue. Son paragraphe 3 énonce la règle des trois ans et est ainsi libellé:

«[…] l’aide à la formation est octroyée […] pour les cas visés à l’article 5, paragraphe 2, point 3, au-delà d’une durée d’un an […] à la condition que l’étudiant, lorsque a débuté son séjour à l’étranger – postérieurement au 31 décembre 2007 – ait déjà eu depuis au moins trois ans son domicile permanent en Allemagne.»

12.      La note explicative du gouvernement fédéral au projet de loi introduisant la règle des trois ans indiquait que cette règle était censée garantir que des bourses couvrant toute la période des études ou de formation à l’étranger ne soient pas accordées à des étudiants qui n’avaient presque pas séjourné en Allemagne. L’un des principes de la politique d’éducation en Allemagne veut que l’octroi de bourses d’études et de formation soit normalement subordonné à la condition que les études ou la formation soient achevées en Allemagne ou qu’il existe tout au moins un lien particulier avec l’Allemagne. La note explicative fait observer que d’autres États membres imposent aussi une condition de résidence comme condition supplémentaire d’un financement de durée plus importante pour des études à l’étranger. Cette condition traduit concrètement l’intérêt légitime de l’État octroyant des avantages sociaux à réserver les financements par les deniers publics aux personnes pouvant démontrer un degré minimal de relation étroite avec l’État concerné.

 Faits, procédure et questions préjudicielles

Prinz

13.      Mlle Prinz est née à Cologne en 1991 et est de nationalité allemande. Elle a vécu avec sa famille environ dix ans en Tunisie, où son père travaillait pour une entreprise allemande. Depuis janvier 2007, elle vit avec sa famille en Allemagne.

14.      Depuis février 2007, Mlle Prinz a été scolarisée en Allemagne et y a terminé son enseignement secondaire en juin 2009. Le 1er septembre 2009, elle a commencé des études de gestion commerciale à l’université Erasmus aux Pays-Bas.

15.      Avant de commencer ses études aux Pays-Bas, Mlle Prinz a sollicité, le 18 août 2009, auprès de l’autorité allemande compétente, une aide aux études. Par décision du 30 avril 2010, l’aide lui a été octroyée pour l’année scolaire 2009/2010.

16.      Mlle Prinz a déposé une nouvelle demande d’aide pour l’année scolaire suivante. Par décision du 4 mai 2010, sa demande a été rejetée, car elle ne résidait de façon permanente en Allemagne que depuis janvier 2007 et ne satisfaisait donc pas à la règle des trois ans.

17.      Mlle Prinz a introduit un recours à l’encontre de cette décision auprès du Verwaltungsgericht Hannover (tribunal administratif de Hanovre). Premièrement, elle a fait valoir qu’elle résidait en Allemagne depuis trois ans et quatre mois au total, à savoir de septembre 1993 à avril 1994 (6) et de janvier 2007 à août 2009. Deuxièmement, elle a avancé qu’une condition de résidence telle que la règle des trois ans était contraire au droit de libre circulation consacré à l’article 21 TFUE.

18.      La troisième chambre du Verwaltungsgericht a sursis à statuer et déféré à la Cour la question préjudicielle ci-après:

«Le fait qu’une ressortissante allemande qui a son domicile permanent sur le territoire allemand et fréquente un établissement d’éducation situé dans un État membre de l’Union européenne ne bénéficie que pour un an de l’aide au titre de la fréquentation de cet établissement d’éducation étranger, au motif que, au début du séjour à l’étranger, elle n’avait pas son domicile permanent sur le territoire allemand depuis au moins trois ans, constitue-t-il une restriction du droit de libre circulation et de séjour, conféré aux citoyens de l’Union par les articles 20 TFUE et 21 TFUE, non justifiée au sens du droit communautaire?»

19.      Les gouvernements allemand, danois, grec, néerlandais, autrichien, finlandais et suédois, ainsi que la Commission européenne, ont présenté leurs observations écrites. Lors de l’audience du 29 novembre 2012, les mêmes parties, sauf le gouvernement néerlandais, ont présenté des observations orales.

Seeberger

20.      M. Seeberger est de nationalité allemande. Il est né en Allemagne en 1983 et y a vécu jusqu’en 1994 avec ses parents, eux aussi ressortissants allemands. De 1989 à 1994, il a été scolarisé à l’école primaire et secondaire en Allemagne.

21.      Entre 1994 et décembre 2005, M. Seeberger a vécu en Espagne avec ses parents, où son père a travaillé comme consultant commercial indépendant. La juridiction nationale a indiqué que, en déménageant dans ce pays pour ce motif, le père de M. Seeberger avait exercé ses droits au titre des dispositions devenues articles 45 TFUE et 49 TFUE. M. Seeberger a terminé l’école secondaire en Espagne et a obtenu le diplôme de fin d’études secondaires moyennes, pour ensuite partir en 2000. En avril 2005 et à l’issue d’une formation professionnelle suivie au cours des années 2004 et 2005, il a obtenu le diplôme d’agent immobilier, toujours en Espagne. En janvier 2006, les parents de M. Seeberger sont retournés en Allemagne. Bien qu’il affirme que, depuis janvier 2006, son domicile permanent se trouvait également en Allemagne, M. Seeberger n’a été inscrit à Munich qu’à partir du 26 octobre 2009. Une déclaration d’un ancien employeur semble montrer que l’intéressé avait effectué un stage en tant que web designer à Cologne du 2 avril au 27 juin 2007.

22.      En avril 2009, il a passé avec succès l’examen externe qui lui permet d’entreprendre des études à l’université des Baléares à Palma de Majorque. En septembre 2009, il y a entamé un cours de sciences économiques. Il a demandé en Allemagne l’octroi d’une aide pour ses études.

23.      L’autorité compétente allemande a rejeté sa demande au motif qu’il n’existait pas d’indices suffisants selon lesquels le domicile permanent de l’intéressé était effectivement établi en Allemagne au cours des trois années immédiatement avant le début de ses études.

24.      M. Seeberger a introduit une réclamation à l’encontre de cette décision en invoquant la contrariété de la règle des trois ans à son droit de libre circulation en tant que citoyen de l’UE. Après le rejet de cette réclamation, il a introduit un recours auprès du Verwaltungsgericht Karlsruhe (tribunal administratif de Karlsruhe). Il y a fait valoir qu’il subissait une atteinte à son droit de libre circulation, car la règle des trois ans lui imposait de renoncer à son domicile permanent dans un autre État membre et de transférer son domicile permanent en Allemagne en temps utile pour prétendre à l’octroi d’une aide à la formation pour ses études à l’étranger.

25.      La cinquième chambre du Verwaltungsgericht Karlsruhe a sursis à statuer et déféré à la Cour la question préjudicielle ci-après:

«Le droit de l’Union s’oppose-t-il à une réglementation nationale qui refuse l’octroi d’une aide à la formation pour des études dans un autre État membre au seul motif que le domicile permanent de l’étudiant qui a fait usage du droit de libre circulation ne se trouve pas, lors du début des études, dans son État membre d’origine depuis au moins trois ans?»

26.      M. Seeberger, les gouvernements allemand, danois, néerlandais, autrichien, finlandais et suédois, ainsi que la Commission, ont présenté leurs observations écrites. Lors de l’audience du 29 novembre 2012, les mêmes parties, sauf le gouvernement néerlandais, ont présenté des observations orales; le gouvernement grec y a aussi assisté et présenté des observations orales.

 Appréciation

Remarques préliminaires

27.      Dans les deux affaires, la Cour est saisie de la question de savoir si les articles 20 TFUE et 21 TFUE empêchent un État membre de subordonner le financement d’études à l’étranger à une condition de résidence telle que la règle des trois ans.

28.      À la différence de la juridiction de renvoi dans l’affaire Prinz, celle dans l’affaire Seeberger a formulé sa question dans des termes qui ne précisent pas si l’étudiant est un ressortissant de l’État membre accordant l’aide. Toutefois, il résulte manifestement du reste de la décision de renvoi dans cette affaire que des éclaircissements sont demandés quant à la situation d’un ressortissant allemand.

29.      Avant d’exercer leur droit de libre circulation pour étudier ailleurs dans l’UE, Mlle Prinz et M. Seeberger ont tous deux quitté l’Allemagne pour différentes raisons. Mlle Prinz a quitté l’UE lorsque son père a été engagé en Tunisie. M. Seeberger a déménagé en Espagne au moment où son père a exercé son droit à la liberté d’établissement pour s’y engager dans une activité indépendante.

30.      À la différence de Mlle Prinz, M. Seeberger semble donc avoir exercé auparavant son droit de libre circulation au titre du droit de l’Union européenne. Ce fait n’affecte pas l’analyse des questions déférées à la Cour, car, en tant que citoyens de l’UE, tous deux peuvent se prévaloir, à l’égard de leur État membre d’origine, des droits afférents à un tel statut (7), telle la liberté de circulation, afin d’étudier ailleurs en UE. Toutefois, la Commission doute du point de savoir si la situation de M. Seeberger doit aussi être appréciée au regard du droit à la liberté d’établissement. J’aborderai ce point en tant que question portant sur le droit pertinent (8).

31.      La Cour a déjà examiné, à plusieurs occasions, la question de savoir si les États membres peuvent subordonner le financement d’études à une condition de résidence en substance identique à la condition en cause en l’espèce. La Cour a été saisie de ces affaires sous diverses formes. Elles ont concerné des travailleurs migrants et les membres de leur famille à charge (9), mais également des étudiants qui n’avaient pas fondé leur demande de financement sur leur lien à un citoyen de l’UE engagé dans une activité économique à but lucratif (10). Ces affaires ont porté sur des demandes de financement de l’État membre d’origine (11), l’État membre d’emploi (12) ou encore l’État membre d’accueil où l’étudiant espérait étudier (13). Certaines affaires étaient antérieures à l’entrée en vigueur de la directive 2004/38, tandis que d’autres se référaient directement ou indirectement à l’article 24, paragraphe 2, de ladite directive. Dans plusieurs de ces affaires, la mesure concernée était prétendument justifiée parce que, notamment, elle évitait une charge déraisonnable pour les finances publiques de l’État membre octroyant le financement et/ou permettait d’identifier les personnes suffisamment liées à cet État membre et celles qui, à la suite de leurs études, étaient susceptibles de retourner dans l’État membre octroyant l’aide.

32.      Si la Cour admet que les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour décider du financement des études et des modalités et des destinataires de ce financement, elle n’a, selon moi, pas expliqué aussi précisément quels étaient les éléments à considérer pour examiner si une restriction particulière pouvait être justifiée. Suffit-il qu’un État membre avance l’objectif économique ou doit-il aussi établir l’existence du risque d’une charge financière déraisonnable? Un État membre peut-il justifier une restriction telle que la règle des trois ans fondée sur l’objectif consistant à octroyer un financement à des étudiants démontrant un certain degré d’intégration, indépendamment de questions liées au coût financier du régime d’aides? Convient-il d’apprécier la proportionnalité d’une restriction telle que la règle des trois ans par rapport à l’objectif économique en vérifiant si cette règle n’est pas plus restrictive que ce qui est nécessaire pour établir le degré requis d’intégration?

33.      Ces incertitudes, et éventuellement d’autres, pourraient expliquer pourquoi certains États membres continuent de recourir à une condition de résidence comme l’unique mesure de réalisation d’objectifs véritablement complexes, pourquoi plusieurs États membres sont intervenus dans les présentes affaires au soutien de la République fédérale d’Allemagne et pourquoi la Cour est sans cesse interrogée pour décider si une variation particulière d’une condition de résidence est en conformité avec le droit de l’UE.

Droit pertinent

34.      Les juridictions de renvoi ont demandé à la Cour uniquement d’interpréter les dispositions du traité sur la citoyenneté européenne.

35.      À l’évidence, elles ont eu raison de ne pas demander à la Cour d’examiner l’article 24 de la directive 2004/38. Cette disposition régit la situation où un État membre d’accueil se voit obligé d’accorder à des citoyens de l’UE, résidant sur son territoire en vertu de la directive, un traitement identique à celui de ses propres ressortissants, y compris concernant des aides d’entretien pour des études. Toutefois, rien n’indique que Mlle Prinz et M. Seeberger aient sollicité un financement respectivement aux Pays-Bas et en Espagne. Au contraire, ils en ont fait la demande à leur État membre d’origine.

36.      Que penser de la suggestion de la Commission selon laquelle la situation de M. Seeberger devrait être examinée par référence à la règle relative à la liberté d’établissement?

37.      La règle des trois ans n’était pas en vigueur lorsque M. Seeberger et sa famille ont exercé leur droit à se déplacer en Espagne. Elle ne peut donc pas avoir affecté ce déplacement initial.

38.      Toutefois, maintenant que cette règle est en place, elle a potentiellement un «effet dissuasif» sur tout citoyen de l’UE envisageant d’exercer ses droits de libre circulation dans l’UE comme travailleur, travailleur indépendant ou comme simple citoyen. Elle désavantage aussi les personnes qui ont exercé ces droits et qui ne regagnent pas l’Allemagne en temps utile pour satisfaire à la règle des trois ans.

39.      La juridiction de renvoi a été interrogée au sujet de la validité de la décision refusant le financement pour M. Seeberger. Elle n’a établi aucune conclusion quant à savoir si M. Seeberger est toujours dépendant de (l’un ou l’autre de) ses parents ou, à défaut, à quel moment il a cessé d’en dépendre. La Cour dispose donc d’éléments insuffisants pour comprendre si la juridiction de renvoi devrait aborder l’affaire dont elle est saisie en considérant que M. Seeberger a exercé ses droits de libre circulation en liaison avec i) l’exercice par son père de son droit à la liberté d’établissement et ii) la décision subséquente de son père de retourner dans son État membre d’origine.

40.      J’ajoute que rien dans les décisions de renvoi ne suggère que Mlle Prinz et M. Seeberger invoquent leur statut de citoyens de l’UE économiquement actifs ou des liens familiaux significatifs, par exemple, avec un travailleur migrant en Allemagne. Dès lors, tout comme les juridictions de renvoi, je ne traiterai la question que sur le fondement des articles 20 TFUE et 21 TFUE.

Définition de la résidence

41.      Le lieu de résidence d’une personne est une question de fait. Toutefois, le lieu où une personne réside réellement ou est enregistrée comme résident n’est pas nécessairement le lieu qu’un État membre qualifiera légalement de résidence ou de domicile permanent de la personne.

42.      La règle des trois ans est définie par référence à une résidence permanente ininterrompue en Allemagne. Conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la loi d’assistance aux étudiants, le domicile permanent est «le lieu où se trouve, d’une manière qui ne soit pas seulement temporaire, le centre des relations de l’intéressé, sans que la volonté de s’y établir à titre permanent soit requise».

43.      Or, il semble, tout au moins dans le cas de M. Seeberger, que la décision de refus de financement reposait sur une notion différente du domicile. M. Seeberger fait valoir qu’il a résidé en Allemagne depuis janvier 2006, mais n’a été inscrit comme résident à Munich qu’à partir du 26 octobre 2009.

44.      Lors de l’audience, le gouvernement allemand a confirmé que les autorités compétentes utilisent parfois la date d’inscription comme un indicateur pour déterminer si la règle des trois ans est respectée. Si le financement est refusé car la période séparant la date d’inscription de celle de début d’études à l’étranger est inférieure à trois ans, un demandeur peut contester cette décision et produire des preuves devant les juridictions allemandes, selon lesquelles il a résidé en Allemagne avant de s’y inscrire. Le gouvernement allemand a souligné qu’il convenait de tenir compte de l’ensemble des faits et circonstances lors de l’examen du point de savoir si le demandeur résidait en Allemagne au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la loi d’assistance aux étudiants.

Restriction du droit des citoyens de l’UE à la liberté de circulation

45.      Le droit de l’UE ne fait pas obligation aux États membres d’accorder un financement pour des études suivies soit sur leur territoire, soit ailleurs. Toutefois, si les États membres sont compétents dans ce domaine, ils doivent néanmoins exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union (14).

46.      Les juridictions de renvoi, dans les affaires Prinz et Seeberger, considèrent que la règle des trois ans est susceptible de restreindre les droits de libre circulation des citoyens de l’UE au sens des articles 20 TFUE et 21 TFUE. Pour des motifs analogues à ceux retenus par la Cour dans l’arrêt Morgan et Bucher (15), elles estiment que la règle des trois ans pourrait dissuader un citoyen de l’UE de déménager dans un autre État membre, pour y démarrer des études ou une formation, ou encore créer, dans l’hypothèse où ces études ou cette formation à l’étranger auraient déjà commencé, une pression amenant l’étudiant à interrompre ses études et à regagner l’Allemagne.

47.      Je suis d’accord que la règle des trois ans constitue une restriction.

48.      Une mesure qui subordonne le droit à un avantage social à la résidence dans l’État membre qui l’accorde est susceptible de restreindre la liberté de circulation. Elle désavantage tout citoyen de l’UE qui a déjà exercé ses droits de libre circulation (à savoir, tout citoyen résidant ou ayant résidé ailleurs en UE) avant de solliciter l’avantage en question. Par sa nature même, une condition de résidence du type de celle en cause est susceptible de dissuader un citoyen de l’UE d’exercer son droit de se déplacer dans un autre État membre (16) et d’y suivre un enseignement secondaire avant de solliciter un financement pour des études supérieures (l’«effet dissuasif»).

49.      Dans les présentes affaires, M. Seeberger subit un désavantage lorsqu’il choisit de poursuivre des études en dehors de l’Allemagne uniquement parce que, avant de commencer ces études, ses parents et lui avaient exercé leur droit de libre circulation et qu’il est considéré comme n’étant pas retourné en Allemagne en temps utile par rapport au début de ses études. Mlle Prinz est aussi sous pression financière pour étudier en Allemagne plutôt que de suivre son cours préféré aux Pays-Bas, et ce parce qu’elle ne peut pas obtenir de financement pour étudier aux Pays-Bas au-delà de la première année de son cursus.

50.      Je reconnais donc que la règle des trois ans constitue une restriction aux droits de libre circulation que les citoyens de l’UE tirent des articles 20 TFUE et 21 TFUE.

51.      Cette restriction ne peut se justifier que si elle est fondée sur des considérations objectives d’intérêt général, qu’elle est appropriée pour atteindre l’objectif légitime correspondant et proportionnée à celui-ci, c’est-à-dire qu’elle n’est pas plus restrictive que cela est nécessaire pour atteindre cet objectif.

52.      Le gouvernement allemand identifie deux objectifs sur lesquels peut être fondée la règle des trois ans. Chacun d’eux sera traité à la suite.

Justification fondée sur l’objectif économique

 La légitimité de l’objectif

53.      Le gouvernement allemand invoque les arrêts Bidar et Morgan et Bucher de la Cour pour justifier la règle des trois ans. Cette approche correspond à la note explicative au projet de loi introduisant la règle (17).

54.      Dans l’arrêt Bidar, la Cour a indiqué, concernant les citoyens de l’UE économiquement non actifs, qu’«il est loisible à tout État membre de veiller à ce que l’octroi d’aides visant à couvrir les frais d’entretien d’étudiants provenant d’autres États membres ne devienne pas une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État» (18). Il était donc légitime de n’octroyer une telle aide «qu’aux étudiants ayant démontré un certain degré d’intégration dans la société de cet État» (19). Dans l’arrêt Morgan et Bucher, la Cour a retenu le même raisonnement concernant l’octroi par un État membre d’aides à ses propres ressortissants souhaitant étudier dans un autre État membre (20), avant de conclure que la condition d’une première phase d’études, en cause dans cette affaire, présentait un caractère trop général et exclusif pour satisfaire au critère de proportionnalité (21).

55.      La Cour a donc reconnu que l’objectif consistant à éviter une charge déraisonnable pouvant avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvait en principe justifier une restriction à la liberté de circulation telle que la règle des trois ans.

56.      Or, suffit-il pour un État membre de se borner à invoquer purement et simplement l’existence d’un tel objectif économique?

57.      Telle n’est pas mon opinion.

58.      Dans l’arrêt Morgan et Bucher, la Cour a conclu que, en principe, des considérations telles que celles avancées dans l’arrêt Bidar peuvent s’appliquer à des aides pour des étudiants souhaitant étudier à l’étranger «s’il existe un risque d’une telle charge déraisonnable» (22). La Commission souligne dans les présentes affaires que la république fédérale d’Allemagne n’a pas démontré que le risque qu’elle entend éviter ou limiter existe.

59.      Il appartient à l’évidence à chaque État membre de décider de la partie de ses fonds publics qu’il souhaite réserver au financement d’études sur son territoire et à l’étranger et d’apprécier quelle charge financière globale il considère comme raisonnable (23). Certains États membres pourront décider de ne rendre disponible qu’un modeste montant de financement. D’autres pourront souhaiter consacrer à cet objectif une part considérablement plus importante de leurs fonds publics. S’il n’appartient pas à la Cour d’examiner une décision d’un État membre concernant ce qui est «raisonnable», elle peut fournir des directives aux juridictions nationales concernant l’examen du point de savoir si, étant donné cette décision, la couverture des coûts d’entretien (et éventuellement d’autres coûts) d’étudiants venant d’autres États membres créera un risque de charge déraisonnable.

60.      Assortir de n’importe quelle condition un droit à un avantage social est susceptible de limiter le nombre de personnes pouvant présenter avec succès une demande et donc le coût budgétaire global de mise à disposition de cet avantage. Ce fait ne saurait suffire en tant que tel pour justifier une restriction aux droits de libre circulation au sens des articles 20 TFUE et 21 TFUE. Au contraire, j’estime qu’un État membre doit apprécier les risques réels ou potentiels résultant de la mise à disposition de versions particulières de financement. Sur le fondement de cette appréciation, il pourrait ensuite déterminer ce que pourrait constituer une charge financière déraisonnable et définir des mesures visant à éviter ou à limiter le risque d’une telle charge.

61.      Dans les présentes affaires, le gouvernement allemand invoque des données provenant de l’office fédéral de la statistique (Statistisches Bundesamt) montrant que, en 2008, approximativement un million de ressortissants allemands vivait dans d’autres États membres, dont un demi million dans des États membres voisins. Le gouvernement allemand fait valoir que, si la condition de résidence était supprimée, ce groupe et certaines personnes non ressortissantes auraient un droit à financement pour toute la durée de leurs études en dehors de l’Allemagne.

62.      Certes, je ne vois pas pourquoi il faudrait douter de l’exactitude de ces chiffres; pourtant, ils ne disent manifestement rien de l’existence d’un risque réel ou potentiel de charge financière déraisonnable. Il est permis de douter que tous les Allemands résidant ailleurs en UE, des nouveau-nés aux retraités, aient l’intention de poursuivre des études (et notamment en dehors de l’Allemagne). Il n’est pas non plus évident que les personnes qui entendent devenir étudiants solliciteront toutes un financement auprès des autorités allemandes.

63.      Le gouvernement allemand a confirmé à l’audience qu’il ne disposait pas d’autres éléments plus détaillés à présenter à la Cour.

64.      Je considère qu’il convient de procéder à une appréciation plus approfondie du risque potentiel d’une «charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État» (24), et ce afin d’établir qu’une restriction telle que la règle des trois ans est justifiée au regard de l’objectif économique. Une telle appréciation exigerait aussi de considérer le caractère adéquat de la restriction comme moyen d’éviter ou de limiter le risque d’une telle charge.

65.      Pour autant que l’objectif légitime reconnu dans les arrêts Bidar et Morgan et Bucher consiste à éviter une charge financière déraisonnable qui pourrait affecter le niveau global des aides accordées, le caractère adéquat et proportionné de la restriction doit être apprécié par rapport à cet objectif.

66.      Toutefois, s’il ne fait aucun doute que la République fédérale d’Allemagne invoque en l’espèce l’objectif économique, elle soutient aussi que la restriction est proportionnée par rapport à l’exigence consistant à octroyer un financement uniquement à ceux des étudiants démontrant un certain degré d’intégration dans sa société.

67.      Cette thèse suggère que l’État membre comprenne la jurisprudence de la Cour en ce sens qu’une restriction telle que la règle des trois ans peut être justifiée eu égard à l’exigence d’un certain degré d’intégration (ci-après l’«objectif d’intégration») indépendamment de questions relatives au coût financier du régime d’aides (l’objectif économique).

68.      Il est vrai que la Cour a reconnu que l’objectif économique pouvait être réalisé en octroyant un financement uniquement aux étudiants démontrant un certain degré d’intégration dans l’État membre octroyant le financement, qu’il s’agisse de l’État membre d’accueil ou d’origine. En cas de demande de financement auprès de l’État membre d’accueil, les étudiants qui sont des ressortissants d’un autre État membre ne peuvent bénéficier d’une solidarité financière qu’après une première période de séjour (25).

69.      Dans mes conclusions concernant l’affaire Commission/Pays-Bas, j’ai exposé ce que la Cour m’avait paru juger dans son arrêt Bidar. Ma compréhension de cet arrêt est que la Cour n’a pas reconnu d’objectif d’intégration distinct. Au contraire, l’exigence de la preuve d’un degré d’intégration était considérée comme un moyen de réduire le nombre de personnes pouvant prétendre obtenir des aides, et donc d’éviter une charge financière déraisonnable (26). Une exigence de résidence sert cet objectif. Dans l’arrêt Commission/Pays-Bas, la Cour n’a pas statué sur ce point. Elle y a retenu que l’objectif économique n’était pas susceptible de justifier une inégalité de traitement de travailleurs migrants tout en reconnaissant, dans le cadre de la même analyse, le droit dont disposent les États membres d’exiger des ressortissants d’autres États membres de démontrer un certain degré d’intégration dans leurs sociétés afin de recevoir des avantages sociaux (27).

70.      En l’état actuel du droit de l’Union européenne, il est déraisonnable d’exiger d’un État membre d’assumer une responsabilité financière pour un étudiant qui n’a aucun lien avec lui. La thèse inverse impliquerait que les États membres aient accepté une solidarité financière totale pour financer les étudiants et qu’il existe une «mobilité» totale de cet avantage social, ce qui n’est clairement pas le cas. Les États membres sont donc fondés à refuser de financer les étudiants qui ne présentent pas de lien significatif afin d’éviter une charge financière déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global des aides. En d’autres termes, ils peuvent restreindre l’étendue des bénéficiaires afin de réaliser l’objectif économique; dans ce but, il est acceptable d’utiliser un critère permettant de démonter un degré d’intégration.

71.      Dans mes conclusions concernant l’affaire Commission/Pays-Bas, j’ai laissé ouverte la possibilité d’une lecture différente de la jurisprudence de la Cour, en ce sens qu’elle indiquerait qu’un État membre peut exiger un degré d’intégration indépendamment de questions relatives au coût financier associé à la mise à disposition d’aides aux études (28). Dans une telle approche, l’objectif d’intégration (défini adéquatement) suffirait en tant que tel pour justifier la restriction aux droits de libre circulation. La question de savoir si une condition de résidence telle que la règle des trois ans était considérée comme proportionnée dépendrait alors du point de savoir si cette règle était plus restrictive que cela était nécessaire pour identifier quels demandeurs présentaient le lien de rattachement requis (29).

72.      Je pense que les juridictions de renvoi en l’espèce gagneraient à voir la Cour clarifier sa position quant au lien entre l’objectif économique et l’objectif d’intégration. L’objectif d’intégration constitue-t-il un objectif légitime distinct permettant de justifier une restriction au droit de libre circulation (30), y compris lorsque cette restriction est appliquée aux propres ressortissants d’un État membre? Ou bien les deux objectifs constituent-ils des intérêts liés, qui doivent donc être considérés comme faisant partie d’un unique objectif? Ou encore, le critère du degré d’intégration n’est-il qu’un moyen de réalisation de l’objectif économique?

73.      Dans la partie restante de mon analyse, je traiterai du caractère adéquat et proportionné d’une mesure telle que la règle des trois ans par rapport à chaque objectif respectif.

 Caractère adéquat de la restriction

–       Objectif économique

74.      Il ne fait aucun doute que toute mesure limitant la catégorie de bénéficiaires réduira le coût du régime d’aides comparativement au coût d’un régime de financement de l’ensemble des citoyens de l’UE sans distinction. De fait, la règle des trois ans limite ainsi la catégorie des bénéficiaires potentiels.

75.      Toutefois, il appartient au juge national de décider si la règle des trois ans présente un lien raisonnable avec l’objectif consistant à éviter une charge déraisonnable pouvant avoir des conséquences pour le niveau global des aides. Cette question dépendra du point de savoir si l’application de la règle des trois ans réduit le risque à une charge raisonnable.

–       Objectif d’intégration

76.      Le lieu de résidence d’une personne montre normalement où la personne est intégrée dans la société. Une condition de résidence constitue donc de prime abord un moyen adéquat de réalisation de l’objectif d’intégration.

 Proportionnalité de la restriction

77.      L’ambiguïté du point de savoir si une restriction telle que la condition de résidence prévue par la règle des trois ans peut être justifiée au regard de l’objectif économique ou de l’objectif d’intégration semble avoir donné lieu à une logique erronée quant à la question de l’appréciation de la proportionnalité d’une telle restriction. Les États membres semblent invoquer l’objectif économique afin de justifier une restriction, mais soutiennent ensuite que la mesure est proportionnée par référence à l’objectif d’intégration.

78.      Ainsi, dans les présentes affaires, le gouvernement allemand fait principalement valoir que la règle des trois ans identifie ceux des demandeurs qui présentent un lien suffisant avec la société allemande pour se voir accorder un financement payé par des fonds publics. Il indique qu’il importe de vérifier l’existence d’un tel lien pour ses propres nationaux, car le type de solidarité qui sous-tend un financement par des fonds publics d’études relève d’une solidarité qui existe entre habitants d’un État membre, mais pas nécessairement entre ses ressortissants (31). Le gouvernement allemand soutient, dans un argumentaire distinct, que la règle des trois ans s’applique de manière transparente, garantit la sécurité juridique et est efficace du point de vue administratif.

79.      J’aborderai la proportionnalité de la règle des trois ans par rapport à l’objectif économique et à l’objectif d’intégration.

–       Objectif économique

80.      Une mesure telle que la règle des trois ans est proportionnée si elle n’impose pas plus de restrictions que ce qui est nécessaire pour maintenir la charge financière dans les limites du raisonnable. Dans cette appréciation, il convient d’envisager s’il existe des mesures alternatives mais moins restrictives. Lors de la comparaison de la mesure actuelle (ou privilégiée) avec d’autres mesures, des motifs d’efficacité administrative, de sécurité juridique et de transparence entreront dans l’équation.

81.      La juridiction nationale ne saurait entreprendre cette appréciation sans savoir i) ce qui est considéré comme une charge financière déraisonnable et ii) comment est estimé l’impact quantitatif de la règle des trois ans sur cette charge.

82.      À supposer, par exemple, qu’un État membre décide qu’il est prêt à consacrer 800 millions d’euros au financement d’une aide aux études supérieures. Il procède à un examen des nouvelles dispositions qu’il propose de mettre en place et réalise que, à moins d’imposer un critère additionnel, il risque de devoir payer plus d’un milliard d’euros. Il qualifie ce risque d’inacceptable. Après examen de l’historique de résidence passé d’un échantillon représentatif d’étudiants bénéficiant d’un financement (un échantillon suffisamment important pour être statistiquement fiable), il conclut que, s’il imposait la condition selon laquelle le demandeur doit avoir résidé quatre ans sur son territoire, suffisamment de candidats potentiels s’en trouveront exclus pour limiter le risque de dépasser sérieusement le budget. Le critère additionnel est choisi afin d’atteindre l’objectif économique. Pour autant que l’analyse risque/coût soit correctement effectuée, je considère que les dispositions ne sont pas intrinsèquement critiquables, bien qu’elles puissent bel et bien entraîner une restriction aux droits de libre circulation des citoyens de l’UE. De plus, comparativement à des mesures alternatives, ce critère pourrait être proportionné. Toutefois, j’insiste sur le caractère purement économique d’une telle analyse. La condition de résidence ne serait pas invoquée en tant que mesure de substitution pour un «certain degré d’intégration».

–       Objectif d’intégration

83.      Le gouvernement allemand soutient que limiter la catégorie de bénéficiaires, quelle que soit leur nationalité, à ceux satisfaisant la règle des trois ans constitue une mesure proportionnée pour garantir que seuls les étudiants pouvant démontrer un degré suffisant de rattachement à la société allemande obtiendront un financement à partir de fonds publics. Pour étayer cette thèse, il invoque notamment les arrêts Bidar et du 18 novembre 2008, Förster (C‑158/07, Rec. p. I‑8507).

84.      Comme je l’ai souligné dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Pays-Bas, la Cour n’a pas dû, dans l’affaire Bidar, examiner la proportionnalité (32). Dans l’arrêt Förster, elle a, sur le fondement du texte de la directive 2004/38, conclu que la restriction résultant de la condition de résidence en cause dans cette affaire était justifiée. Ce faisant, elle a insisté sur le fait que cette directive énonçait des exigences spécifiques concernant le degré d’intégration d’étrangers dans l’État membre d’accueil (33).

85.      La directive 2004/38 n’est pas applicable en l’espèce (34). Par conséquent, il n’est pas indiqué de réexaminer ici l’arrêt Förster ou d’examiner plus en profondeur le lien entre l’article 24, paragraphe 2, de cette directive et le principe de proportionnalité. De la même manière, j’estime que, pour résoudre les présentes affaires, l’analyse dans l’arrêt Förster d’une condition de résidence de cinq ans visant à démontrer une intégration afin de réclamer un financement d’études auprès d’un État membre d’accueil n’est pas d’une grande aide.

86.      En l’absence d’harmonisation, j’estime que les États membres devraient bénéficier d’une certaine liberté pour définir le degré d’intégration qu’ils exigent des demandeurs à un financement d’études ou de formation, ainsi que pour choisir une mesure principale adéquate pour établir la preuve d’une telle intégration.

87.      Le rattachement d’un citoyen de l’UE à la société d’un État membre particulier est une question complexe tant du point de vue du citoyen que de l’État. Ce rattachement peut exister du fait de la naissance (et donc être involontaire) ou être acquis. Il est susceptible d’évoluer dans le temps avec une intensité variable. Son appréciation peut être subjective ou objective. Il semble raisonnable de supposer que, quel que soit le contexte, il implique l’appartenance à une communauté donnée.

88.      Toutefois, si les États membres devraient disposer d’une certaine liberté pour définir cette communauté, il ne suffit pas qu’ils prétendent que la preuve du degré requis de rattachement se trouve être rapportée invariablement par une résidence pendant un certain nombre d’années. Cet argument est circulaire parce qu’il donne à penser que, dans les présentes affaires, la règle des trois ans serait ainsi proportionnée dans la mesure où elle n’est pas plus restrictive que ce qui est nécessaire pour établir qui peut démontrer avoir été résident pendant trois ans ininterrompus immédiatement avant le début des études à l’étranger.

89.      Si un État membre choisit de demander des preuves d’intégration à travers une mesure qui restreint le droit de libre circulation, il doit accepter que l’exercice de ce pouvoir dans ce domaine soit soumis notamment aux principes de proportionnalité et de non-discrimination. Donc, dans l’arrêt Bidar, la Cour a expressément reconnu que la condition, selon laquelle le demandeur d’un prêt étudiant devait être établi au Royaume-Uni au sens du droit national et devait satisfaire à une condition de résidence de trois ans, entraînait une discrimination indirecte à l’égard des non-ressortissants: elle n’était donc justifiée que si elle se fondait sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et qu’elle était proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (35).

90.      La Cour semble avoir déjà écarté la thèse voulant que, s’agissant de l’objectif d’intégration, un critère unique puisse être proportionné.

91.      Par exemple, dans l’arrêt Morgan et Bucher, la Cour a conclu que la condition de première phase (36) n’était pas proportionnée, car «le degré d’intégration dans sa société qu’un État membre pourrait légitimement exiger doit, en tout état de cause, être considéré comme établi du fait que les requérantes […] ont été élevées en Allemagne et y ont accompli leur scolarité». Si la condition d’une première phase d’études était imposée pour tester le degré d’intégration, la Cour (et la juridiction nationale) a admis que le degré nécessaire d’intégration était établi «en tout état de cause» pour les requérants (ressortissants allemands) sur le fondement d’autres facteurs tels que le lieu où ils avaient été élevés et où ils avaient accompli leur scolarité (37).

92.      Plus récemment, dans l’arrêt Commission/Autriche, la Cour a confirmé en des termes généraux que «la preuve exigée pour faire valoir l’existence d’un tel lien réel ne doit pas avoir un caractère trop exclusif, privilégiant indûment un élément qui n’est pas nécessairement représentatif du degré réel et effectif de rattachement entre le demandeur […] et l’État membre […], à l’exclusion de tout autre élément représentatif» (38). Le lien réel requis «devrait être établi en fonction des éléments constitutifs de la prestation en cause, notamment sa nature et ses finalités» (39).

93.      Ces considérations m’amènent à conclure que la règle des trois ans en cause en l’espèce est également plus restrictive que cela est nécessaire.

94.      Lors de l’audience, la Commission a exposé l’exemple de deux ressortissants allemands: le premier, qui a vécu 17 ans en dehors de l’Allemagne, regagne l’Allemagne trois ans avant de commencer ses études à l’étranger; le second, qui a vécu 17 ans en Allemagne, quitte l’Allemagne trois ans avant le début de ses études ailleurs en l’Union européenne. Au titre de la règle des trois ans, le premier peut obtenir un financement, tandis que le second ne le peut pas. Or, qui est plus intégré dans la société allemande?

95.      Cet exemple montre que la règle des trois ans est trop rigide. Elle risque d’exclure d’un financement les étudiants qui, en dépit du fait qu’ils n’ont pas résidé en Allemagne pendant une période ininterrompue de trois ans immédiatement avant d’étudier à l’étranger, sont néanmoins suffisamment rattachés à la société allemande en raison de leur nationalité allemande, de leur résidence, de leur scolarité, de leur emploi dans ce pays, de leurs capacités linguistiques, de leur famille et d’autres liens sociaux ou économiques ou encore d’autres éléments aptes à démontrer ce lien.

96.      Au titre de la loi d’assistance aux étudiants, il est absolument sans importance qu’un étudiant allemand qui souhaite étudier en France ait, par exemple, vécu et étudié en Allemagne auparavant ou que sa famille vive à proximité et/ou que ses parents travaillent en Allemagne. À l’inverse, si cet étudiant était par exemple bulgare et qu’il ait déménagé en Allemagne seulement trois ans avant de commencer des études universitaires en Pologne ou dans son État membre d’origine, il aurait droit à un financement à partir de fonds publics allemands, aucun autre élément de fait ne devant être pris en compte pour décider s’il appartenait à la catégorie ciblée des bénéficiaires «intégrés».

97.      La question en jeu ne porte à l’évidence pas sur le point de savoir si des étudiants bulgares ou allemands peuvent prétendre recevoir un financement du gouvernement allemand. Ce qui importe, c’est le rapport entre la règle des trois ans, l’objectif qu’elle entend réaliser et le fondement de la décision selon laquelle (dans cet exemple) l’étudiant bulgare perçoit un financement, alors que l’étudiant allemand n’en perçoit aucun.

98.      Au titre de la règle des trois ans, il importe peu que le demandeur ait la nationalité allemande. Toutefois, comme la Cour en a jugé dans l’arrêt Rottman, la nationalité constitue le «rapport particulier de solidarité et de loyauté» qui, avec la «réciprocité de droits et de devoirs […] sont le fondement du lien de nationalité» (40). Je considère qu’il est difficile d’imaginer qu’il s’agit là d’un lien qui peut être entièrement ignoré lors de l’appréciation de la proportionnalité des mesures qu’un État membre adopte pour réaliser l’objectif d’intégration.

99.      J’estime donc qu’une mesure telle que la règle des trois ans est trop rigide et qu’elle ne permet pas aux autorités nationales d’établir le degré réel et effectif d’intégration.

100. Existe-t-il des mesures alternatives moins restrictives?

101. Je considère qu’il pourrait en exister.

102. La juridiction nationale pourrait considérer que la règle pourrait être conçue de manière moins restrictive sans perdre sa faculté d’identifier les étudiants présentant un degré suffisant d’intégration en Allemagne. Des règles alternatives éventuelles pourraient être moins restrictives, mais toujours efficaces. Une approche différente pourrait comporter davantage de flexibilité. Je souligne que je ne recommande pas de règle particulière, cela relevant du domaine de compétence de l’État membre. Je ne fais qu’observer qu’il serait possible d’établir des dispositions moins rigides et donc plus proportionnées.

103. Lors de la comparaison de mesures alternatives, il importe à l’évidence d’évaluer si l’application d’une mesure «[repose] sur des critères clairs et connus à l’avance et [prévoit] une voie de recours de nature juridictionnelle» (41).

104. Ici, je conviens, avec le gouvernement allemand, de ce que la règle des trois ans, outre le fait qu’elle est transparente et administrativement efficace, offre une sécurité juridique. Les informations pertinentes peuvent être aisément obtenues, la décision étant mécanique puisqu’elle est positive ou négative. Le coût d’administration du régime est susceptible d’être relativement faible, notamment en ce qui concerne le budget global alloué au financement étudiant. Il s’agit là de questions pertinentes à prendre en considération lors de la comparaison de la règle des trois ans avec d’autres mesures possibles.

105. Toutefois, la mesure la plus transparente et efficace n’est pas nécessairement proportionnée. Sa proportionnalité dépend d’autres éléments tels que la configuration, la structure et la cohérence globale du régime, ainsi que l’objectif sous-jacent.

106. Une mesure du type de la règle des trois ans est susceptible d’être plus transparente et efficace qu’une mesure exigeant d’examiner au cas par cas des circonstances individuelles. Cette dernière serait éventuellement moins restrictive et plus inclusive. Un troisième type de mesure pourrait prévoir que la résidence peut être utilisée comme moyen principal ou habituel pour démontrer le degré requis d’intégration, sans empêcher le demandeur ou l’autorité de présenter des faits démontrant l’existence (ou l’absence) d’un rattachement réel et effectif. Une telle mesure apparaîtrait plus transparente et efficace que celle du deuxième type tel que je l’ai décrit et moins restrictive qu’une mesure telle que la règle des trois ans.

107. Les avantages d’une mesure telle que la règle des trois ans doivent aussi être appréciés compte tenu du régime réglementaire global dont cette mesure relève. Sur ce point, la juridiction nationale pourrait souhaiter garder à l’esprit que, à d’autres égards, par exemple l’appréciation du point de savoir si un étudiant réside en Allemagne (42) ou s’il existe des «circonstances particulières» justifiant d’octroyer un financement au titre de l’article 6 de la loi d’aide aux étudiants (43), il semble possible de concilier un examen attentif de circonstances individuelles avec la nécessité d’assurer la sécurité juridique, la transparence et l’efficacité administrative.

 Justification fondée sur l’objectif social

108. Les observations écrites du gouvernement allemand ne permettaient pas de déterminer tout à fait clairement si ce dernier avançait un autre fondement pour justifier la règle des trois ans, à savoir qu’il souhaitait octroyer un financement uniquement aux étudiants qui deviendraient, après leurs études à l’étranger, des membres effectifs de la main-d’œuvre allemande ou qui seraient absorbés d’une autre façon dans l’économie et la société de ce pays.

109. Toutefois, plusieurs autres États membres ayant déposé des observations ont suggéré que la question de savoir si le financement d’études à l’étranger était un succès dépendait partiellement du point de savoir si les étudiants, une fois qu’ils avaient accompli leurs études, regagnaient l’État membre qui avait accordé les fonds. Les États membres accordent souvent ces fonds en raison des effets positifs escomptés sur leur marché du travail, en se fondant sur la probabilité envisagée qu’un étudiant ainsi financé aura tendance à retourner dans la société de cet État membre et y contribuer.

110. Lors de l’audience, le gouvernement allemand a confirmé défendre la thèse selon laquelle la règle des trois ans était aussi justifiée eu égard à l’objectif social.

Légitimité de l’objectif

111. Cet objectif correspond partiellement à l’objectif social invoqué dans l’affaire Commission/Pays-Bas pour justifier la règle des trois ans sur six en cause dans cette affaire (44). La Cour y a reconnu que la promotion de la mobilité des étudiants constituait une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction (45). Elle a également admis le double postulat selon lequel i) le régime visait à encourager les étudiants résidant aux Pays-Bas à envisager d’étudier à l’étranger plutôt que dans leur pays et ii) les Pays-Bas s’attendaient à ce que les étudiants qui bénéficieraient dudit régime retourneraient aux Pays-Bas après avoir terminé leurs études pour y résider et y travailler (46).

112. J’estime que le même objectif peut justifier la règle des trois ans en cause en l’espèce.

Adéquation de la restriction

113. Dans l’arrêt Commission/Pays-Bas, la Cour a admis le caractère adéquat de la règle des trois sur six pour la réalisation de l’objectif social, car, à défaut, les étudiants suivraient normalement leurs études dans l’État membre où ils résident, sans oublier que les études à l’étranger apportent un enrichissement non seulement aux étudiants, mais aussi à la société et au marché de l’emploi des États membres (47).

114. Dans mes conclusions concernant cette affaire, j’ai retenu un point de vue différent fondé sur une considération qui n’est pas traitée dans l’arrêt de la Cour. Je n’étais pas convaincue qu’il existait un lien évident entre le lieu où résident les étudiants avant leurs études à l’étranger et le lieu où ils résideront et travailleront après leurs études (48).

115. Je n’ai pas changé d’avis; d’ailleurs, la règle des trois ans contribue elle-même à en illustrer les raisons.

116. Premièrement, cette règle exclut du financement d’études à l’étranger tous les étudiants qui ne peuvent pas démontrer trois ans de résidence ininterrompue en Allemagne. Une telle règle est prétendument susceptible d’identifier les personnes qui retourneront en Allemagne. Or, la même logique n’entraîne-t-elle pas tout aussi bien la conclusion que, après trois ans ou plus d’études ou de résidence à l’étranger, un étudiant, une fois qu’il sera diplômé, restera dans l’État membre où il aura étudié pour y travailler et y vivre?

117. Deuxièmement, l’endroit où un diplômé qui aura terminé ses études à l’étranger commencera à travailler peut vraisemblablement être déterminé partiellement par des aspects pratiques tels que l’endroit où il y a du travail, la ou les langues qu’il parle et l’état général du marché de l’emploi en UE. Il peut bien sûr retourner dans son précédent État membre de résidence; il peut cependant tout aussi bien demeurer là où il a étudié ou déménager ailleurs. Faut-il réellement supposer qu’un rattachement à l’État membre dans lequel il a vécu sans interruption pendant les trois années précédant immédiatement le début de ses études prévaudra automatiquement sur toute autre considération?

118. Pour ces motifs, j’estime que le lien entre la règle des trois ans et l’objectif social est loin d’être évident.

119. Dans un but d’exhaustivité, j’examinerai toutefois brièvement la proportionnalité de la règle des trois ans par rapport à l’objectif social.

Proportionnalité de la restriction

120. En la matière, les observations écrites et orales du gouvernement allemand étaient considérablement moins développées que pour l’objectif économique et l’objectif d’intégration.

121. Si le gouvernement allemand a souligné l’attractivité de la règle des trois ans du point de vue de la sécurité juridique, la transparence et l’efficacité administrative au regard de l’objectif économique, il n’a pas expressément indiqué s’il s’appuyait aussi sur ces arguments quant à l’objectif social. À supposer qu’il ait entendu le faire, j’estime, pour des motifs déjà indiqués (49), que ces éléments sont insuffisants pour démontrer que la règle des trois ans n’est pas plus restrictive que cela est nécessaire par rapport à l’objectif social.

122. Dans des circonstances similaires, dans l’arrêt Commission/Pays-Bas, la Cour a relevé qu’il appartenait à l’État membre de montrer pourquoi il avait opté pour une condition de résidence, à l’exclusion de tout autre élément représentatif. Elle a retenu que cette règle présentait un «caractère trop exclusif», en ce qu’elle «privilégie un élément qui n’est pas nécessairement le seul représentatif du degré réel de rattachement entre l’intéressé et [l’État membre accordant le financement]» (50).

123. J’aboutis à la même conclusion concernant la règle des trois ans. Je ne suis pas convaincue que le fait qu’une personne ait résidé précédemment dans un État membre puisse être utilisé comme unique critère pour prédire une résidence future après que cette personne aura résidé dans un autre État membre (51). Au contraire, et comme la Commission l’indique dans son livre vert, «les européens qui ont séjourné à l'étranger en tant que jeunes apprenants ont une plus grande propension à être mobiles plus tard, dans un contexte professionnel» (52).

 Conclusion

124. Je suggère donc à la Cour de répondre aux questions préjudicielles dans les termes suivants:

«Les articles 20 TFUE et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’un État membre n’est pas fondé à subordonner l’octroi d’une bourse d’études, en vue de fréquenter un établissement d’enseignement à l’étranger pour toute la durée de ces études, à une condition selon laquelle tout citoyen de l’Union européenne, y compris un ressortissant dudit État, doit avoir résidé sur son territoire pendant une période ininterrompue de trois ans immédiatement avant le début desdites études à l’étranger.»


1 –      Langue originale: l’anglais.


2 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, JO 2005, L 197, p. 34, et JO 2007, L 204, p. 28).


3 – La règle générale veut que le droit de séjour permanent s’acquiert après avoir séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans: voir article 16 de la directive 2004/38.


4 – Selon les observations du gouvernement allemand, il semble que la version présentée à la Cour correspond à celle publiée le 7 décembre 2010.


5 – Arrêt du 23 octobre 2007 (C‑11/06 et C‑12/06, Rec. p. I‑9161).


6 – La décision de renvoi ne permet d’établir clairement à quelle date exacte après sa naissance Mlle Prinz a déménagé avec sa famille en Tunisie ou pourquoi elle a quitté pendant quelques temps la Tunisie pour regagner l’Allemagne en septembre 1993 avant apparemment de repartir de nouveau en avril 1994.


7 – Arrêt Morgan et Bucher (précité note 5, points 22 et 23 et jurisprudence citée).


8 – Voir points 36 à 39 ci-dessous.


9 – Voir, par exemple, arrêt du 14 juin 2012, Commission/Pays-Bas (C‑542/09).


10 – Voir, par exemple, arrêt du 15 mars 2005, Bidar (C‑209/03, Rec. p. I‑2119).


11 – Voir, par exemple, arrêt Morgan et Bucher (précité note 5).


12 – Voir, par exemple, arrêt Commission/Pays-Bas (précité note 9).


13 – Voir, par exemple, arrêt Bidar (précité note 10).


14 – Arrêt Morgan et Bucher (précité note 5, point 24 et jurisprudence citée).


15 – Idem (points 25 et 26).


16 – Voir, par exemple, en matière de pension d’invalidité, arrêt du 22 mai 2008, Nerkowska (C‑499/06, Rec. p. I‑3993, point 31 et jurisprudence citée).


17 – Voir point 12 ci-dessus.


18 – Arrêt précité note 10, point 56.


19 – Idem, point 57.


20 – Arrêt précité note 5, points 43 et 44.


21 – Idem, point 46.


22 – Idem, point 44 (souligné par mes soins).


23 – Voir aussi, par exemple, mes conclusions dans l’affaire Commission/Pays-Bas (précitée note 9, point 103).


24 – Arrêt Bidar (précité note 10, point 56).


25 – Voir considérant 10 de la directive 2004/38; voir aussi arrêt du 4 octobre 2012, Commission/Autriche (C-75/11, point 60).


26 – Voir point 84 de mes conclusions dans cette affaire (précitée note 9).


27 – Arrêt précité note 9, points 63 et 69.


28 – Voir point 120 de mes conclusions dans cette affaire (précitée note 9).


29 – Voir points 80 et 82 ci-dessous.


30 – Si l’affaire Stewart ne portait pas sur le même type d’avantage social que celui en cause dans les présentes affaires, la Cour y a jugé qu’il est légitime de vouloir i) s’assurer de l’existence d’un lien réel entre le demandeur d’une prestation et l’État membre compétent ainsi que ii) de garantir l’équilibre financier du système national de sécurité sociale. Il semble qu’elle ait ensuite examiné le caractère adéquat et proportionné de la mesure concernée par rapport au premier objectif avant de conclure que, concernant le second objectif, «les considérations précédentes peuvent également être reprises au regard [du second objectif]» et que «la nécessité d’établir un lien de rattachement réel et suffisant […] permet audit État de s’assurer que la charge économique associée au versement de la prestation en cause […] ne devienne pas déraisonnable»: arrêt du 21 juillet 2011, Stewart (C‑503/09, Rec. p. I‑6497, points 89 et 103).


31 – Si ces arguments pourraient donner à penser que l’Allemagne subordonne le droit au financement d’études à l’étranger à un lien à son système fiscal, le gouvernement allemand a confirmé à l’audience que tel n’est pas le cas. Il a expressément indiqué ne pas entendre octroyer de financement uniquement aux citoyens de l’UE qui avaient précédemment contribué au budget de l’État à partir duquel les aides sont payées. À la question de savoir comment définir la solidarité à laquelle il s’était référé dans ses observations écrites, il a répondu que les bénéficiaires devraient être les personnes présentant un lien avec la société allemande.


32 – Arrêt précité note 9, point 113 des conclusions.


33 – Arrêt précité, points 54 et 55.


34 – Voir point 35 ci-dessus.


35 – Voir arrêt précité note 10, points 51 à 54 et jurisprudence citée.


36 – Voir point 6 ci-dessus.


37 – Arrêt précité note 5, points 45 et 46.


38 – Précité note 25, point 62.


39 – Idem, point 63.


40 – Arrêt du 2 mars 2010 (C‑135/08, Rec. p. I‑1449, point 51).


41 – Arrêt du 23 mars 2004, Collins (C‑138/02, Rec. p. I‑2703, point 72). Dans cette affaire, la condition de résidence était appliquée pour restreindre le bénéfice d’un avantage social relevant d’une catégorie qui, selon la jurisprudence antérieure de la Cour, pouvait être rattachée au marché géographique du travail en cause (voir point 67).


42 – Voir point 44 ci-dessus.


43 – Voir point 9 ci-dessus. Lors de l’audience, un désaccord est apparu quant au domaine d’application de cette règle. Le gouvernement allemand l’a décrit comme une «règle de force majeure» applicable dans des circonstances exceptionnelles où l’étudiant est dans l’incapacité de déménager en Allemagne afin d’y étudier (par exemple, du fait d’un handicap ou de la minorité de l’étudiant). L’avocat de M. Seeberger a suggéré qu’elle était utilisée pour tenir compte des enfants de diplomates allemands vivant à l’étranger. La Cour aura l’occasion d’examiner l’article 6 du BaföG dans l’affaire Thiele Meneses (C‑220/12), encore en instance.


44 – Outre le fait d’avoir droit à un financement pour étudier aux Pays-Bas, cette règle exigeait d’un demandeur d’un financement étudiant «portable» d’avoir résidé légalement au moins trois ans aux Pays-Bas au cours des six années précédant ses études.


45 – Arrêt précité note 9, point 72; voir aussi points 135 à 140 de mes conclusions dans cette affaire.


46 – Idem, point 77.


47 – Idem, points 76 à 79.


48 – Voir point 147 de mes conclusions dans cette affaire (précitée note 9).


49 – Voir points 103 à 106 ci-dessus.


50 – Arrêt précité note 9, point 86.


51 – Voir aussi point 117 ci-dessus.


52 – Livre vert – Promouvoir la mobilité des jeunes à des fins d’apprentissage [COM(2009) 329 final, p. 2].