Language of document : ECLI:EU:C:2014:2133

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

3 septembre 2014 (*)

«Renvoi préjudiciel – Directive 79/7/CEE – Égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale – Assurance accident des travailleurs salariés – Montant d’une indemnité forfaitaire pour préjudice permanent – Calcul actuariel fondé sur l’espérance de vie moyenne selon le sexe du bénéficiaire de ladite indemnité – Violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union»

Dans l’affaire C‑318/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein hallinto-oikeus (Finlande), par décision du 7 juin 2013, parvenue à la Cour le 11 juin 2013, dans la procédure engagée par

X,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis, J.‑C. Bonichot et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 avril 2014,

considérant les observations présentées:

–        pour X, par Me K. Kuusi, asianajaja,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mmes E.‑M. Mamouna et M. Tassopoulou, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et I. Koskinen, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 mai 2014,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4 de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant X au ministère des Affaires sociales et de la Santé (ci-après le «ministère») au sujet de l’octroi d’une indemnité forfaitaire versée en raison d’un accident du travail.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        La directive 79/7, aux termes de son article 3, paragraphe 1, sous a), s’applique aux régimes légaux qui assurent une protection, notamment, contre les risques d’accident du travail.

4        Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive:

«Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne:

–        le champ d’application des régimes et les conditions d’accès aux régimes,

–        l’obligation de cotiser et le calcul des cotisations,

–        le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations.»

 Le droit finlandais

5        La mise en œuvre de l’assurance accident est une tâche de gestion publique dont l’exécution, en Finlande, est confiée à des compagnies d’assurances privées. Les employeurs, afin de satisfaire à l’obligation de pourvoir à la sécurité des travailleurs en matière d’accident du travail, sont tenus de contracter une assurance auprès d’une compagnie d’assurances habilitée à assurer les risques relevant de la loi sur l’assurance accident des travailleurs salariés (tapaturmavakuutuslaki), de 1982, telle que modifiée en 1992 (ci-après la «loi sur l’assurance accident»). Les coûts de l’assurance légale instituée en matière d’accident sont couverts par les primes d’assurance versées par les employeurs.

6        L’indemnité pour préjudice permanent est l’une des prestations d’assurance accident. Elle relève du régime légal de sécurité sociale. Son objet est d’accorder au travailleur la réparation dudit préjudice résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, c’est-à-dire de la diminution de sa capacité fonctionnelle pour toute la durée de sa vie.

7        L’article 14, paragraphe 1, point 1, de cette loi prévoit le versement, notamment, d’une indemnité pour préjudice permanent à titre de réparation en cas de lésion ou de maladie provoquée par un accident du travail.

8        L’article 18 ter, paragraphe 1, de la loi sur l’assurance accident prévoit que l’indemnité pour préjudice permanent est versée, selon le cas, soit en une fois, soit sous forme de rente. Selon le paragraphe 3 dudit article, l’indemnité versée en une fois est calculée sous la forme d’un capital correspondant à la valeur de l’indemnité pour préjudice permanent, en tenant compte de l’âge du travailleur, conformément à des critères établis par le ministère.

9        La décision no 1662/453/82 du ministère, du 30 décembre 1982, relative aux éléments de détermination de la valeur du capital des rentes versées au titre de l’assurance accident ou, quand il n’y a pas lieu au versement d’une rente, de l’indemnité versée en une fois, a défini les critères en fonction desquels cette dernière indemnité doit être calculée.

10      À cet égard, l’annexe de cette décision établit les formules suivantes:

«La mortalité applicable sera (TLE-82) avec un report d’âge de 3 ans soit

ux = 0,0000797 e 0,0875 (x+3) (homme)

ux = 0,0000168 e 0,1000 (y+3) (femme).»

11      Les dommages provoqués par les lésions ou les maladies sont répartis, aux fins de la quantification du préjudice général permanent, en 20 classes en fonction de leur nature médicale et de leur degré de gravité. Le montant de l’indemnité accordée est fonction de la classe du préjudice. La réparation au titre des lésions et des maladies moins graves, qui relèvent des classes de préjudice 1 à 10, est toujours versée en une seule fois. Dans le cas des classes de préjudice 11 à 20, les assurés peuvent opter pour un versement en une fois ou pour une rente mensuelle à vie.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      X, né en 1953, a été blessé lors d’un accident du travail survenu le 27 août 1991. Le vakuutusoikeus (tribunal des assurances sociales), par une décision rendue le 18 octobre 2005, a constaté que celui-ci avait droit à une indemnité forfaitaire pour préjudice permanent, en application de la loi sur l’assurance accident.

13      À la suite de cette décision, la compagnie d’assurances compétente, par décisions rendues le 16 décembre 2005, a fixé à 4 197,98 euros, toute majoration comprise, le montant forfaitaire à verser à X au titre de cette indemnité.

14      X a formé un recours contre ces décisions, en faisant valoir que l’indemnité versée en une seule fois pour préjudice permanent devait être calculée sur la base des mêmes critères que ceux qui sont prévus pour les femmes. Le recours a été rejeté le 31 août 2006 par la commission de recours des cas d’accidents du travail. Cette décision a été confirmée par le vakuutusoikeus le 27 mai 2008.

15      X, dans une lettre adressée le 13 octobre 2008 au ministère, a soutenu que le montant forfaitaire qui lui avait été versé au titre de l’indemnité pour préjudice permanent avait été déterminé en méconnaissance des dispositions du droit de l’Union relatives à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes. X a donc réclamé la somme de 278,89 euros, majorée des intérêts de retard. Ce montant correspond à la différence entre l’indemnité perçue par X et celle qui aurait été versée à une femme du même âge se trouvant dans une situation comparable. Le ministère a, le 27 mai 2009, refusé le paiement de la somme demandée.

16      Le 17 juin 2009, X a introduit un recours devant le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif de Helsinki) afin que l’État finlandais soit condamné à lui verser la somme en question. Le Helsingin hallinto-oikeus, par décision du 2 décembre 2010, a déclaré ce recours irrecevable, au motif qu’il n’était pas compétent.

17      X a alors formé un recours contre cette décision devant le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) qui, le 28 novembre 2012, a annulé la décision du Helsingin hallinto-oikeus.

18      Quant au fond, la juridiction de renvoi se demande si les dispositions du droit de l’Union relatives à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, et en particulier l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le montant d’une prestation sociale légale versée en raison d’un accident du travail est, du fait de l’application de facteurs actuariels fondés sur le sexe, différent selon que le bénéficiaire est un homme ou une femme.

19      La juridiction de renvoi relève également que, si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause dans le litige pendant devant elle, se pose la question de savoir si les conditions de l’engagement de la responsabilité de l’État membre concerné pour violation du droit de l’Union sont remplies.

20      C’est dans ces conditions que le Korkein hallinto-oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 4, paragraphe 1, de la directive [79/7] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant, pour le calcul d’une prestation sociale légale versée en raison d’un accident du travail, l’application, comme facteur actuariel, de la différence d’espérance de vie entre les hommes et les femmes, lorsque l’application de ce facteur conduit à ce que la réparation versée en une seule fois au titre de ladite prestation est inférieure, lorsqu’elle est allouée à un homme, à celle que percevrait une femme du même âge qui se trouverait dans une situation similaire?

2)       Dans l’affirmative, y-a-t-il en l’espèce violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union, en tant que condition de la mise en œuvre de la responsabilité de l’État membre, compte tenu notamment du fait que:

–        la Cour ne s’est pas expressément prononcée, dans sa jurisprudence, sur la licéité d’une prise en compte de facteurs actuariels fondés sur le sexe lors de la détermination de prestations versées au titre d’un régime légal de sécurité sociale et relevant du champ d’application de la directive 79/7;

–        la Cour a constaté, dans l’arrêt Association belge des Consommateurs Test-Achats e.a. (C‑236/09, EU:C:2011:100), que l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2004/113/CE du Conseil, du 13 décembre 2004, mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services [(JO L 373, p. 37)], qui autorise la prise en compte de tels facteurs, était invalide, mais tout en précisant qu’il n’en serait ainsi qu’à l’expiration d’une période de transition, et que

–        le législateur de l’Union, dans les directives [2004/113] et 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail [(JO L 204, p. 23)], a approuvé, sous certaines conditions, la prise en compte de facteurs actuariels fondés sur le sexe lors du calcul des prestations visées par ces directives, laissant ainsi le législateur national supposer que ces facteurs pouvaient être pris en compte également dans le cadre du régime légal de sécurité sociale ici litigieux?»

 Sur la compétence de la Cour

21      Le gouvernement finlandais a relevé lors de l’audience que les faits à l’origine du litige, à savoir l’accident du travail de X, se sont produits au cours de l’année 1991, c’est-à-dire avant l’adhésion de la République de Finlande à l’Union européenne. Bien que l’indemnité forfaitaire en cause vise à réparer le préjudice permanent occasionné par ledit accident du travail, seule importerait la date du fait générateur de ce préjudice aux fins de l’applicabilité du droit de l’Union. Dans ces conditions, le gouvernement finlandais considère que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la juridiction de renvoi.

22      À cet égard, il y a lieu d’observer que l’acte juridique faisant l’objet du litige au principal a été adopté au cours de l’année 2008 par la décision du vakuutusoikeus. Il est également constant que l’indemnité pour préjudice permanent dont il s’agit vise à compenser les conséquences de l’accident de X durant toute la vie de celui-ci.

23      Il s’ensuit que le litige au principal n’a pas pour objet une situation qui aurait produit tous ses effets avant l’adhésion de la République de Finlande à l’Union.

24      Dès lors, la Cour est compétente pour répondre à la juridiction de renvoi.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

25      Afin de répondre à la première question, il y a lieu d’observer à titre liminaire que, s’il est vrai que l’indemnité en cause au principal est versée par une compagnie d’assurances privée, l’assurance accident des travailleurs salariés en Finlande et les critères d’octroi de ladite indemnité font partie des régimes «légaux» qui assurent une protection contre les risques d’accident du travail, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7. Par conséquent, l’indemnité en cause au principal relève du champ d’application de cette directive.

26      Il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 interdit, notamment, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe quant au calcul des prestations y visées.

27      Il ressort de la décision de renvoi que l’affaire au principal porte sur les modalités de calcul du montant d’une indemnité due au titre du préjudice résultant d’un accident du travail, qui est versée en une fois sous la forme d’une indemnité forfaitaire. Ledit calcul doit être effectué en fonction, notamment, de l’âge du travailleur ainsi que de l’espérance de vie moyenne résiduelle de celui-ci. Pour la détermination de ce dernier facteur, il est tenu compte du sexe du travailleur.

28      Il est constant que, en vertu des modalités de calcul de l’indemnité forfaitaire en cause au principal, une femme du même âge que X qui a subi, le même jour que ce dernier, un accident du travail identique et occasionnant les mêmes préjudices a droit à une indemnité forfaitaire supérieure à celle dont bénéficie X.

29      Le gouvernement finlandais fait valoir, cependant, qu’une telle femme et X ne se trouvent pas dans une situation comparable. Il expose, à cet égard, que les modalités de calcul de la réparation versée en une fois au titre de l’indemnité pour préjudice permanent, prévue par la réglementation nationale, sont censées permettre de fixer le montant de celle-ci à un niveau équivalent au montant global de cette même indemnité dans le cas où celle-ci serait versée sous la forme d’une rente à vie. Compte tenu de l’existence d’une durée différente d’espérance de vie entre les hommes et les femmes, l’application d’un coefficient de mortalité identique pour les deux sexes conduirait à ce que la réparation versée en une fois à un travailleur accidenté de sexe féminin ne corresponde plus à l’espérance de vie résiduelle moyenne de son bénéficiaire.

30      Le gouvernement finlandais précise que la différenciation en fonction du sexe est nécessaire pour éviter de défavoriser les femmes par rapport aux hommes. En effet, les femmes ayant statistiquement une espérance de vie plus élevée, l’indemnité qui vise à réparer forfaitairement le préjudice subi pour la durée de vie résiduelle de la personne lésée devrait être plus élevée pour les femmes que pour les hommes. Par conséquent, il n’y aurait pas de discrimination entre les hommes et les femmes.

31      À cet égard, et ainsi que Mme l’avocat général l’a fait observer au point 29 de ses conclusions, il importe de relever qu’une telle argumentation permettrait tout au plus de justifier l’inégalité de traitement entre les hommes et les femmes lors de l’octroi d’une indemnité telle que celle en cause au principal, et non de nier, comme l’a reconnu le gouvernement finlandais lors de l’audience, la réalité d’une inégalité de traitement, à laquelle conduit l’application des dispositions du droit national, en ce qu’elles aboutissent, dans des circonstances identiques, à des indemnités différentes.

32      Il convient donc de constater que les dispositions du régime d’assurance accident en cause au principal comportent une inégalité de traitement susceptible de constituer une discrimination contraire à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7.

33      Dans ces conditions, il y a lieu de déterminer si cette inégalité de traitement est susceptible d’être justifiée.

34      Quant aux éventuels motifs de dérogation au principe d’égalité de traitement énoncés à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, il convient de constater que la prise en compte d’un facteur fondé sur l’espérance de vie résiduelle n’est prévu ni à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, ayant pour objet des dispositions relatives à la protection de la femme en raison de la maternité, ni à l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive qui permet aux États membres d’exclure du champ d’application de celle-ci un certain nombre de règles, d’avantages et de prestations en matière de sécurité sociale.

35      En outre, il ne résulte pas du libellé de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 79/7 que les motifs de dérogation y énoncés ne sont pas de nature exhaustive et que les États membres sont libres de concevoir d’autres motifs de dérogation au principe d’égalité de traitement. Le fait qu’une prise en compte d’un tel facteur ne soit pas expressément interdite par les dispositions de cette directive ne saurait être interprété comme autorisant le législateur national à prévoir ce facteur comme élément de calcul pour une indemnité telle que celle au principal.

36      Le gouvernement finlandais fait toutefois valoir que la différence du montant de cette indemnité selon le sexe du travailleur concerné peut être justifiée par la différence objective d’espérance de vie moyenne des hommes et des femmes. Toute autre solution conduirait à défavoriser les femmes, dont l’espérance de vie est supérieure à celle des hommes, puisque le versement de l’indemnité forfaitaire a vocation à compenser les conséquences d’un préjudice pour toute la durée de vie résiduelle de la personne lésée.

37      Il importe d’observer, à cet égard, que, nonobstant le fait que l’indemnité forfaitaire en cause au principal est prévue par un régime qui fixe également des prestations pour préjudice en raison d’un accident du travail versées durant toute la vie résiduelle de la personne lésée, le calcul de cette indemnité ne saurait s’effectuer sur la base d’une généralisation relative à l’espérance de vie moyenne des hommes et des femmes.

38      En effet, une telle généralisation est susceptible de conduire à un traitement discriminatoire des assurés de sexe masculin par rapport à ceux de sexe féminin. En outre, la prise en compte de données statistiques générales, selon le sexe, se heurte à l’absence de certitude qu’une assurée ait toujours une espérance de vie supérieure à celle d’un assuré du même âge placé dans une situation comparable.

39      Il découle de ces considérations que le régime national en cause au principal ne saurait être justifié.

40      Il convient donc de répondre à la première question que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant, pour le calcul d’une prestation sociale légale versée en raison d’un accident du travail, l’application, comme facteur actuariel, de la différence d’espérance de vie entre les hommes et les femmes, lorsque l’application de ce facteur conduit à ce que la réparation versée en une fois au titre de ladite prestation est inférieure, lorsqu’elle est allouée à un homme, à celle que percevrait une femme du même âge qui se trouve dans une situation similaire.

 Sur la seconde question

41      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, telle que celle en cause au principal, doit être qualifiée de violation du droit de l’Union «suffisamment caractérisée» constitutive de l’une des conditions requises pour l’engagement de la responsabilité de l’État membre concerné.

42      Il y a lieu de rappeler à cet égard que la Cour, au point 56 de son arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame (C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79), a précisé que, parmi les éléments que la juridiction compétente peut être amenée à prendre en considération, figurent le degré de clarté et de précision de la règle violée, l’étendue de la marge d’appréciation que la règle enfreinte laisse aux autorités nationales ou de l’Union, le caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, le caractère excusable ou inexcusable d’une éventuelle erreur de droit, la circonstance que les attitudes prises par une institution de l’Union ont pu contribuer à l’omission, l’adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l’Union.

43      La Cour a également souligné que la mise en œuvre des conditions permettant d’établir la responsabilité des États membres pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union doit, en principe, être opérée par les juridictions nationales, conformément aux orientations fournies par la Cour pour procéder à cette mise en œuvre (voir arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, C‑446/04, EU:C:2006:774, point 210 et jurisprudence citée).

44      Il s’ensuit que la Cour ne saurait substituer ses appréciations à celles des juges nationaux (voir arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, EU:C:1996:79, point 58). Toutefois, la Cour peut fournir à ces derniers des orientations et des indications pour la mise en œuvre de ce principe (voir arrêt Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 100).

45      En ce qui concerne la présente affaire, il convient de relever trois éléments devant être pris en compte aux fins de la réponse à la question de savoir si les dispositions du droit national en cause doivent être considérées comme une violation «suffisamment caractérisée» de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7.

46      En premier lieu, la portée du principe d’égalité de traitement énoncé à l’article 4, paragraphe 1, de cette directive et l’interprétation de celle-ci n’ont jusqu’à présent pas fait l’objet d’un arrêt de la Cour. En outre, la violation du droit de l’Union concernant X, constatée ci-dessus, ne s’est concrétisée qu’en 2008, par la décision définitive du vakuutusoikeus.

47      En deuxième lieu, ni la législation finlandaise en cause au principal ni aucune autre législation nationale n’ont à ce jour été visées par un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE pour une violation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7.

48      Il importe d’observer, en troisième lieu, que, s’agissant d’actes adoptés par le législateur de l’Union visant à mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2004/113 a accordé aux États membres la faculté d’autoriser, avant le 21 décembre 2007, des différences proportionnelles en matière de primes et de prestations pour les assurés lorsque le sexe est un facteur déterminant dans l’évaluation des risques, sur la base de données actuarielles et de statistiques pertinentes et précises. En outre, le législateur de l’Union, à l’article 9, paragraphe 1, sous h), de la directive 2006/54, tout en décidant que sont contraires au principe d’égalité de traitement un certain nombre de règles dans le domaine des régimes professionnels de sécurité sociale fondées sur le sexe, a néanmoins fait figurer au nombre des dérogations audit principe, dans certains cas, l’utilisation de facteurs actuariels différents selon le sexe.

49      En ce qui concerne la première de ces dispositions, la Cour a jugé, le 1er mars 2011, au point 32 de l’arrêt Association belge des Consommateurs Test-Achats e.a. (EU:C:2011:100), que permettre aux États membres de maintenir sans limitation dans le temps une dérogation à la règle des primes et des prestations unisexes est contraire à la réalisation de l’objectif d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes que poursuit la directive 2004/113 en précisant que ladite disposition, en raison de son caractère discriminatoire, doit être considérée comme invalide.

50      Au regard des éléments qui précèdent, il appartient à la juridiction nationale de déterminer si, dans le cas d’espèce, la violation du droit de l’Union doit être considérée comme étant «suffisamment caractérisée».

51      Dès lors, il convient de répondre à la seconde question qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si les conditions de l’engagement de la responsabilité de l’État membre sont remplies. De même, quant à la question de savoir si la réglementation nationale en cause au principal constitue une violation «suffisamment caractérisée» du droit de l’Union, cette juridiction devra prendre en considération, notamment, le fait que la Cour ne s’est pas encore prononcée sur la licéité d’une prise en compte d’un facteur fondé sur l’espérance de vie moyenne selon le sexe lors de la détermination d’une prestation versée au titre d’un régime légal de sécurité sociale et relevant du champ d’application de la directive 79/7. La juridiction de renvoi devra également tenir compte de la faculté accordée aux États membres par le législateur de l’Union, qui s’est manifestée à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2004/113, ainsi que de l’article 9, paragraphe 1, sous h), de la directive 2006/54. Ladite juridiction sera, en outre, appelée à considérer que la Cour a jugé, le 1er mars 2011 (C‑236/09, EU:C:2011:100), que la première desdites dispositions est invalide, celle-ci enfreignant le principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

 Sur les dépens

52      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant, pour le calcul d’une prestation sociale légale versée en raison d’un accident du travail, l’application, comme facteur actuariel, de la différence d’espérance de vie entre les hommes et les femmes, lorsque l’application de ce facteur conduit à ce que la réparation versée en une fois au titre de ladite prestation est inférieure, lorsqu’elle est allouée à un homme, à celle que percevrait une femme du même âge qui se trouve dans une situation similaire.

2)      Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si les conditions de l’engagement de la responsabilité de l’État membre sont remplies. De même, quant à la question de savoir si la réglementation nationale en cause au principal constitue une violation «suffisamment caractérisée» du droit de l’Union, cette juridiction devra prendre en considération, notamment, le fait que la Cour ne s’est pas encore prononcée sur la licéité d’une prise en compte d’un facteur fondé sur l’espérance de vie moyenne selon le sexe lors de la détermination d’une prestation versée au titre d’un régime légal de sécurité sociale et relevant du champ d’application de la directive 79/7. La juridiction de renvoi est également appelée à tenir compte de la faculté accordée aux États membres par le législateur de l’Union, qui s’est manifestée à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2004/113/CE du Conseil, du 13 décembre 2004, mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services, ainsi que de l’article 9, paragraphe 1, sous h), de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail. Ladite juridiction sera, en outre, appelée à considérer que la Cour a jugé, le 1er mars 2011 (C‑236/09, EU:C:2011:100), que la première desdites dispositions est invalide, celle-ci enfreignant le principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

Signatures


* Langue de procédure: le finnois.