Language of document : ECLI:EU:C:2013:204

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 21 mars 2013 (1)

Affaire C‑274/12 P

Telefónica SA

contre

Commission européenne

«Pourvoi – Aides d’État – Décision 2011/5/CE – Législation espagnole relative à l’impôt sur les sociétés – Qualité pour agir des personnes physiques et morales au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE – Actes réglementaires qui ne comportent pas de mesures d’exécution – Intérêt individuel du bénéficiaire effectif d’un régime d’aides national qui n’est pas touché par l’obligation de récupérer l’aide»





I –    Introduction

1.        Dans le traité de Lisbonne, les États membres ont étendu le droit de recours des particuliers contre les actes de l’Union. L’article 263, quatrième alinéa, TFUE confère à présent à toute personne physique et morale un droit de recours également contre les «actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution». Le présent pourvoi donne l’occasion, pour la première fois, de préciser les conditions dans lesquelles ce nouveau droit de recours s’exerce contre les décisions que la Commission européenne adopte en matière d’aides d’État.

2.        De surcroît, il est une nouvelle fois nécessaire d’expliquer plus avant les enseignements de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197), dont on fêtera bientôt le cinquantième anniversaire, concernant les conditions de l’intérêt individuel dans le droit de recours traditionnel de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Le présent pourvoi présente à cet effet une situation particulière: un bénéficiaire effectif d’un régime fiscal national entreprend une décision de la Commission, déclarant ce régime d’aides d’État incompatible avec le marché commun, alors que la protection de sa confiance légitime est préservée et qu’il peut conserver les avantages du régime fiscal.

II – Contexte du litige

3.        L’article 12, paragraphe 5, de la loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés prévoyait, dans sa version du 5 mars 2004, (ci-après le «régime d’aides») que l’acquisition d’une participation dans une entreprise étrangère pouvait, dans certaines conditions, constituer un fond de commerce susceptible d’être ensuite amorti sur une période maximale de vingt ans. La valeur à retenir à ce titre était l’écart entre le coût d’acquisition de la participation dans la société et la valeur de marché des actifs détenus par cette dernière. Les amortissements réduisaient la charge fiscale de l’acquéreur.

4.        Aux yeux de la Commission, ce régime constituait une aide d’État par son caractère sélectif, du fait qu’il ne s’appliquait pas à l’acquisition d’une participation dans une société espagnole, et elle a dès lors ouvert la procédure formelle d’examen au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE. La décision d’ouvrir la procédure a été publiée au JO du 21 décembre 2007.

5.        Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision 2011/5/CE (2) (ci-après la «décision litigieuse»), dont l’article 1er se lit en substance comme suit:

«1. Le régime d’aides […] est incompatible avec le marché commun pour ce qui est des aides octroyées aux bénéficiaires lors de la prise de participations intracommunautaires.

2. Néanmoins, les déductions fiscales dont les bénéficiaires ont profité […] qui remplissent les conditions pertinentes du régime d’aides avant le 21 décembre 2007 […] pourront continuer à s’appliquer durant toute la période d’amortissement prévue par le régime d’aides.

[…]»

6.        L’article 4, paragraphe 1, de la décision litigieuse ordonne la récupération par le Royaume d’Espagne des aides qui ne remplissent pas les conditions visées à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision. Aux termes de l’article 6, paragraphe 2, de ladite décision, «[l]’Espagne tient la Commission informée de l’avancement des mesures nationales adoptées afin de mettre en œuvre la présente décision».

7.        Telefónica SA (ci-après la «requérante») a acquis deux participations à la faveur du régime d’aides et dans les deux cas ces acquisitions sont intervenues avant le terme visé à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision litigieuse. Dans son recours introduit contre la Commission le 21 mai 2010, elle conclut toutefois à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse.

8.        Par ordonnance du 21 mars 2012, notifiée à la requérante le 23 mars 2012, le Tribunal a rejeté le recours dans l’affaire T‑228/10 comme irrecevable (ci-après l’«ordonnance attaquée»). D’après les motifs de l’ordonnance, la requérante n’est pas individuellement concernée par la décision litigieuse au sens de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième cas de figure, TFUE, et celle-ci n’est pas un acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution au sens du troisième cas de figure de cette disposition.

III – Procédure devant la Cour

9.        La requérante a introduit un pourvoi contre l’ordonnance attaquée le 1er juin 2012 et demande:

–        annuler l’ordonnance attaquée;

–        déclarer recevable le recours en annulation dans l’affaire T‑228/10 et renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il se prononce sur le fond du litige;

–        condamner la Commission aux dépens des deux instances.

10.      La Commission demande:

–        rejeter le pourvoi, et

–        condamner la requérante à l’ensemble des dépens.

11.      Devant la Cour, les parties ont exposé leurs positions par écrit et oralement à l’audience du 4 février 2013.

IV – Appréciation

12.      La requérante fait grief au Tribunal d’avoir méconnu le droit de l’Union et développe trois moyens à l’appui de son pourvoi.

13.      Le premier moyen concerne le droit à une protection juridictionnelle effective, les deuxième et troisième la qualité pour agir au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Alors que le deuxième moyen est consacré à la qualité pour agir en général contre des actes notamment de la Commission, le troisième moyen vise la qualité particulière pour agir contre des actes réglementaires. Le cas particulier précédant le cas général, j’examinerai les moyens dans l’ordre inverse.

A –    Sur la qualité pour agir contre des actes réglementaires (troisième moyen)

14.      Dans son troisième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a méconnu les conditions requises par l’article 263, quatrième alinéa, troisième cas de figure, TFUE pour agir. Cette disposition permet d’agir contre les actes réglementaires qui concernent directement la requérante et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.

15.      Aux points 43 et 45 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal expose à cet égard qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la nature d’acte réglementaire de la décision litigieuse, dès lors qu’elle comporte en tout cas des mesures d’exécution. La qualité pour agir au titre du troisième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE est dès lors d’emblée exclue selon lui.

16.      La Cour pouvant aussi procéder, le cas échéant, à une substitution de motifs (3), nous estimons ici opportun non seulement de vérifier si le Tribunal a fait une juste interprétation de la condition visant les mesures d’exécution, mais aussi d’examiner l’ensemble des conditions de la qualité pour agir au titre du troisième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

1.      Acte réglementaire

17.      Pour permettre à la requérante de tirer un droit de recours de l’article 263, quatrième alinéa, troisième cas de figure, TFUE, il faudrait que la décision litigieuse de la Commission soit un acte réglementaire.

18.      Ainsi que nous l’avons déjà exposé dans une autre affaire, les actes réglementaires englobent tous les actes à portée générale, à l’exception toutefois des actes législatifs au sens de l’article 289, paragraphe 3, TFUE (4). Une décision (5) peut aussi en faire partie conformément à l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, en particulier lorsqu’elle n’est pas adressée à certains destinataires (6).

19.      La décision litigieuse, intervenue encore sous l’empire de l’article 249, quatrième alinéa, CE, n’est pas un acte législatif, car elle n’a pas été adoptée dans une procédure législative.

20.      Il reste donc à examiner si elle a une portée générale.

21.      Selon la définition ordinairement retenue dans la jurisprudence, un acte a une portée générale s’il s’applique à des situations déterminées objectivement et s’il produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (7).

22.      On pourrait dire que la décision litigieuse ne réunit pas ces conditions, tout d’abord parce qu’elle n’est adressée qu’à un seul destinataire, à savoir le Royaume d’Espagne, conformément à son article 7. Aux yeux de la Commission, une telle décision ne peut avoir de portée générale, car elle n’est obligatoire que pour le destinataire.

23.      Il convient, tout d’abord, de préciser que le caractère obligatoire d’un acte ne doit pas se confondre avec sa portée générale. Tant l’article 249, deuxième alinéa, CE que l’article 288, deuxième alinéa, TFUE font en effet une distinction, à l’endroit des règlements, entre leur portée générale et l’étendue de leur caractère obligatoire.

24.      Il est vrai que l’analyse de la Commission peut s’autoriser de la jurisprudence que la Cour a consacrée à l’ancien article 173, deuxième alinéa, CE en déterminant à plusieurs reprises que le critère de distinction entre un règlement et une décision au sens de l’ancien article 189 CE doit être recherché dans la portée générale ou non de l’acte en question (8). La Cour a ainsi précisément vu que la caractéristique d’une décision est de ne pas avoir de portée générale (9).

25.      Les décisions qui, à l’instar de la décision litigieuse, s’adressent à un ou plusieurs États membres constituent toutefois une particularité. Chaque État incarne en effet aussi un ordre juridique national. Les décisions qui s’adressent à un État membre s’imposent de surcroît à tous les organes de l’État destinataire, y compris à ses juridictions (10). Même si elles n’ont qu’un seul destinataire, les décisions adressées à un État membre peuvent ainsi façonner un ordre juridique national et déployer de la sorte une portée générale. La jurisprudence le montre aussi en jugeant qu’une disposition d’une décision adressée à un État membre pouvait être invoquée par les personnes concernées à l’encontre de cet État membre (11). Il n’est dès lors pas étonnant que la Cour ait aussi reconnu dans certains cas une portée générale à ce type de décision (12).

26.      De surcroît, selon une jurisprudence constante, une décision de la Commission interdisant, telle la présente décision litigieuse, un régime d’aides est pour les bénéficiaires potentiels du régime d’aides une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (13). La décision de la Commission a ainsi pour les bénéficiaires potentiels d’un régime d’aides le caractère d’une mesure de «portée générale» (14).

27.      L’interdiction d’un régime d’aides s’adresse certes uniquement à l’État membre concerné. Dans le même temps, l’ordre juridique national s’en trouve transformé. Du fait de la décision de la Commission, en effet, le régime d’aides ne peut plus être mis en œuvre par aucun organisme public. Toutes les personnes relevant du champ d’application du régime d’aides en ressentent de ce fait également des effets juridiques. Dans la mesure où le régime d’aides lui-même s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite, il en va de même de la décision de la Commission qui l’interdit.

28.      Le régime espagnol de l’impôt des sociétés partiellement interdit par la décision litigieuse était aussi applicable à des opérations déterminées objectivement d’acquisitions de participation dans la Communauté européenne et s’adressait à la catégorie de contribuables envisagée abstraitement et de manière générale. Dans la mesure, à tout le moins, où la décision litigieuse déclare le régime d’aides partiellement incompatible avec le marché commun, elle revêt de ce fait une portée générale.

29.      La requérante a attaqué la décision sur ce seul point. Son recours vise donc un acte réglementaire au sens du troisième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

2.      Acte qui ne comporte pas de mesures d’exécution

30.      Le droit d’agir au titre du troisième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE requiert en outre que l’acte attaqué ne comporte pas de mesures d’exécution.

31.      Aux points 43 à 45 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal estime que cette condition n’est pas remplie. Selon lui, il ressort déjà de l’article 6, paragraphe 2, de la décision litigieuse que la récupération des aides requiert des mesures d’exécution. De surcroît, la décision déclarant l’incompatibilité avec le marché commun appellerait également une mise en œuvre, dont notamment celle consistant à rejeter une demande de bénéfice de l’avantage fiscal de ce régime.

32.      La requérante rétorque que la décision déclarant un régime d’aides incompatible avec le marché commun a un effet direct et ne requerrait pas de mesures d’exécution. Elle estime que le Tribunal a commis une erreur en droit en considérant, dans l’ordonnance attaquée, que la décision comporte des mesures d’exécution uniquement parce qu’elle en requiert dans la récupération des aides. La récupération est en effet accessoire, selon elle, par rapport à l’interdiction du régime d’aides du fait de son incompatibilité déclarée avec le marché commun, qui est l’objet principal de la décision.

33.      Ces considérations nous amènent tout d’abord à constater que, pour vérifier si l’acte attaqué comporte des mesures d’exécution, il faut certes se référer à l’objet du recours. Le recours a pour seul objet l’incompatibilité partielle du régime d’aides avec le marché commun, déclarée à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse, et non pas la récupération des aides, ordonnée à l’article 4, paragraphe 1. Il convient dès lors de se limiter à rechercher plus bas si la déclaration de l’incompatibilité partielle du régime d’aides avec le marché commun comporte des mesures d’exécution au sens du troisième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

34.      On ne doit toutefois pas exclure d’emblée que la récupération d’une aide constitue une mesure d’exécution de la décision déclarant son incompatibilité avec le marché commun. Cela dépend de l’idée que l’on se fait de la condition du droit de recours à examiner ici.

a)      Énoncé

35.      Il n’est pas facile de s’en faire une idée à la lecture du troisième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

36.      On pourrait tout d’abord considérer avec les parties au présent litige que les mesures d’exécution visées par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE désignent seulement l’application de l’acte au cas particulier. Cette analyse se heurte toutefois à l’emploi fait également à l’article 311, quatrième alinéa, première phrase, TFUE de la notion de «mesures d’exécution» en y désignant là un règlement qui a précisément une portée générale conformément à l’article 288, deuxième alinéa, première phrase, TFUE. La version en langue française du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne renferme encore une autre signification possible en employant en plus les termes «mesures d’exécution» à l’article 299, quatrième alinéa, seconde phrase, TFUE et cela dans le sens de voies d’exécution, c’est-à-dire d’exécution forcée d’un acte.

37.      Les choses deviennent encore plus floues lorsqu’on se demande quand un acte réglementaire «comporte» une telle mesure d’exécution. Les énoncés en langues allemande et anglaise (15) de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE décrivent une suite logique ou chronologique: l’acte entraîne des mesures d’exécution (ultérieures). Mais un acte est toujours suivi de mesures d’exécution dans son application à des cas concrets, que ce soit en fait ou en droit, par exemple en cas d’exécution forcée. Seul un acte n’ayant aucun champ d’application ne comporterait alors jamais de mesures visant à l’exécuter.

38.      De surcroît, l’énoncé en langue française (16) de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peut aussi se comprendre en ce sens que l’acte peut ne contenir aucune mesure d’exécution. On trouve une formulation analogue en allemand dans les travaux préparatoires (17). Il serait tout bonnement très difficilement compréhensible qu’à ce titre un acte contenant précisément des mesures d’exécution, et n’en requérant dès lors plus, ne soit pas attaquable.

b)      Genèse

39.      Cela nous amène à considérer que la portée de la condition visant les mesures d’exécution ne peut dès lors être recherchée qu’à travers la genèse du troisième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

40.      Ainsi que nous l’avons déjà exposé plus avant dans un autre contexte, à l’origine, le troisième membre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE figurait dans le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, issu des travaux de la Convention européenne (18). L’ajout des mots «sans comporter de mesures d’exécution» vise à limiter l’extension du droit de recours des particuliers aux seuls cas où le particulier «doit d’abord enfreindre le droit pour ensuite pouvoir accéder à un juge» (19). Cette idée avait déjà été émise auparavant par l’avocat général Jacobs dans l’affaire Unión de Pequeños Agricoltores/Conseil. Le fait qu’un particulier affecté par une mesure communautaire puisse, dans certains cas, en contester la validité devant les juridictions nationales en violant les dispositions prévues par ladite mesure et en se prévalant de l’illégalité de celles-ci dans le cadre des procédures pénales ou civiles ouvertes à son encontre ne lui offre pas, selon lui, une protection juridictionnelle adéquate (20).

41.      Compte tenu de cet objectif reconnu (21) du troisième membre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, la condition requise visant l’absence de mesures d’exécution d’un acte réglementaire doit se comprendre en ce sens que l’acte, ainsi que les parties le soutiennent de manière concordante dans le présent litige, produit ses effets directement pour les particuliers sans requérir de mesures d’exécution (22). Ce critère de la nécessité de mesures d’exécution répond à la finalité de la qualité pour agir: le droit de recours direct ne s’impose que lorsque l’acte réglementaire produit par lui-même des effets juridiques définitifs sur le particulier.

42.      Il convient de distinguer ici les effets juridiques abstraits et concrets, car, on l’a vu, un acte à portée générale produit par définition des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (23). De tels effets juridiques abstraits, résultant de l’aptitude d’une norme juridique à recevoir application, ne peuvent toutefois pas conduire à admettre qu’un acte juridique ne requiert plus de mesures d’exécution. Sinon, la condition supplémentaire voulant qu’un acte réglementaire ne puisse pas comporter de mesures d’exécution n’aurait plus aucun sens. Les effets juridiques qu’il faut constater à ce titre doivent dès lors être à ce point concrets qu’ils n’appellent plus d’individualisation à l’endroit de particuliers. En d’autres mots, l’acte réglementaire doit déterminer lui-même définitivement ses effets juridiques pour chaque particulier.

c)      Nécessité de mesures d’exécution pour la décision litigieuse

43.      Alors que les parties semblent unanimes sur le plan abstrait, elles sont toutefois en désaccord sur la nécessité de mesures d’exécution que requerrait en l’espèce la décision litigieuse.

44.      La Commission estime que la décision litigieuse requiert des mesures d’exécution, car elle n’est obligatoire que pour son destinataire, le Royaume d’Espagne. Cela vaut en particulier pour la récupération des aides qui requiert d’autres actes du Royaume d’Espagne.

45.      La requérante rétorque que la décision litigieuse produit des effets directs à plusieurs égards. Ceux-ci ne concerneraient pas uniquement le Royaume d’Espagne. L’interdiction directement applicable du régime d’aides, inscrite à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse, empêche, selon elle, directement les bénéficiaires effectifs et potentiels de prétendre à l’avenir au régime d’aides.

46.      Tout d’abord, contrairement aux motifs de la décision litigieuse et à l’analyse de la Commission, on doit constater que la récupération des aides n’est pas une mesure d’exécution nécessaire à la déclaration figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse, de l’incompatibilité partielle du régime d’aides avec le marché commun. Cette déclaration est certes une condition nécessaire, ou «logique» (24), pour récupérer les aides. Mais, ainsi que le montrent l’article 14, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 (25) et la situation de la requérante, la récupération ne découle pas impérativement de l’incompatibilité déclarée, mais procède d’une décision distincte de la Commission. L’injonction de l’article 4, paragraphe 1, de la décision litigieuse, imposant au Royaume d’Espagne de récupérer certaines aides, est ainsi un volet propre de la décision dont la mise en œuvre qu’elle nécessite n’intéresse pas le présent objet du recours faute d’être attaqué.

47.      Il s’ensuit que la seule chose qui intéresse la qualité pour agir de la requérante est de savoir si la déclaration de l’incompatibilité partielle du régime d’aides avec le marché commun nécessite en tant que telle des mesures d’exécution.

48.      Sur ce point, la requérante a certes raison lorsqu’elle soutient que cette déclaration produit des effets juridiques concrets immédiats. Tel n’est cependant le cas qu’envers l’État membre destinataire de la décision. Sur ce point, la Commission indique à juste titre que cette décision n’est pas obligatoire à l’égard d’autres personnes conformément à l’article 249, quatrième alinéa, CE.

49.      La décision adressée uniquement à l’État membre a toutefois pour effet de transformer l’ordre juridique national (26). C’est en cela que l’abandon du régime d’aides a aussi des effets juridiques sur les personnes qui relèvent du champ d’application du régime d’aides. Raison pour laquelle la nécessité de mesures d’exécution doit aussi être examinée au regard de ces effets.

50.      On doit constater à cet égard l’absence pour les bénéficiaires du régime d’aides de l’effet juridique concret et définitif requis pour fonder le droit de recours. L’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse ne définit pas encore les conséquences que l’abandon du régime d’aides a pour chacun des contribuables. Ces conséquences ne se produisent que dans un avis d’imposition, car l’abandon du régime d’aides n’emporte en lui-même pour les contribuables aucune interdiction ni injonction. De surcroît, l’incidence de l’abandon du régime d’aides sur le solde de l’avis d’imposition ne sera pas la même pour chacune des personnes relevant du champ d’application du régime d’aides. Avant tout, il faut bien sûr qu’une participation ait été acquise au cours d’un exercice d’imposition. Ses conséquences concrètes pour chacune des personnes concernées de manière abstraite varieront alors selon la consistance du fonds de commerce financier constitué au titre du régime d’aides et selon le montant des pertes et profits à déterminer au reste.

51.      Les conséquences pour les contribuables de l’abandon du régime d’aides doivent nécessairement être individualisées par un avis d’imposition. L’avis d’imposition est de ce fait une mesure d’exécution que l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse «comporte» au sens de l’article 263, paragraphe 4, TFUE.

52.      En outre, il est sans importance qu’il s’agisse d’une mesure d’exécution de l’Union ou, comme en l’espèce, d’un État membre. En effet, le système de protection juridictionnelle, tout comme le système administratif de l’Union, repose sur une coopération entre les organismes de l’Union et ceux des États membres.

53.      L’abandon partiel du régime d’aides de l’impôt espagnol sur les sociétés n’est pas non plus une interdiction que les contribuables pourraient enfreindre en se voyant alors infliger des sanctions. Juridiquement, l’abandon emporte suppression de la possibilité de prétendre à un avantage fiscal. On n’aperçoit pas pourquoi il ne devrait pas être raisonnablement possible pour les contribuables de prétendre dans leur déclaration fiscale à un amortissement répondant au régime d’aides et d’attaquer ensuite devant une juridiction nationale un avis d’imposition qui rejetterait cet amortissement. La juridiction nationale peut alors contrôler incidemment la validité de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse et saisir le cas échéant la Cour d’une question en appréciation de validité au titre de l’article 267 TFUE.

54.      La circonstance que la requérante ait renoncé à prétendre au bénéfice du régime d’aides faute de certitude dans ses projets ne peut avoir à cet égard aucune incidence. Certes, après la date de référence à retenir pour la confiance légitime conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision litigieuse, elle a, à ses dires, déjà structuré par prudence deux acquisitions de participation de manière à ce que le régime d’aides ne reçoive toutefois pas application en sorte qu’il ne serait absolument pas possible de se livrer à cet examen incident. Toutefois, cela est uniquement dû à son estimation de la probabilité que la décision litigieuse soit valide et à l’initiative qu’elle a prise à ce titre et non pas à l’absence de possibilité de saisir directement le Tribunal. Même si elle avait eu cette possibilité de saisir le Tribunal, la requérante n’aurait pas pu acquérir les participations en toute sécurité juridique.

55.      C’est donc à juste titre que le Tribunal a estimé au point 44 de l’ordonnance attaquée, que le refus d’accorder l’avantage fiscal prévu dans le régime d’aides est une mesure d’exécution de la décision litigieuse.

56.      L’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse comporte donc des mesures d’exécution au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Il s’ensuit que le recours de la requérante ne visait pas un acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution.

3.      Conclusion intermédiaire

57.      La requérante n’avait donc pas qualité pour agir au titre de l’article 263, quatrième alinéa, troisième cas de figure, TFUE en ce que l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse est certes un acte réglementaire, mais comporte des mesures d’exécution. Le troisième moyen est dès lors non fondé.

4.      Intérêt direct

58.      Si la Cour devait en juger autrement, il faudrait encore examiner le droit d’agir de la requérante au titre de l’article 263, quatrième alinéa, troisième cas de figure, TFUE en vérifiant si elle est directement concernée par la décision litigieuse.

59.      Comme il n’y a aucune raison d’interpréter l’intérêt direct requis ici autrement que dans le deuxième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (27), on doit considérer, selon une jurisprudence constante, qu’un requérant est directement concerné lorsque la mesure contestée, en premier lieu, produit directement des effets sur la situation juridique du particulier et, en second lieu, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (28).

60.      La deuxième condition présuppose que l’acte attaqué appelle encore une mise en œuvre. Toutefois, tel n’est précisément pas le cas d’un acte qui ne comporte pas de mesures d’exécution. De tels actes produisent toujours automatiquement des effets juridiques au seul titre du régime de l’Union.

61.      La seule question qui importe donc encore dans le troisième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE est de savoir si l’acte attaqué produit directement des effets sur la situation juridique du requérant. Le lien est ainsi établi avec la requérante concrète. Les deux premières conditions ne visent en effet que l’acte attaqué sans considérer la situation du requérant. Si l’on s’en tenait à ces deux conditions, toute personne pourrait agir contre un acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution, qu’elle relève ou non en fin de compte du champ d’application de cet acte. L’intérêt direct requis du requérant sert donc ici à exclure l’action dite «populaire», à l’instar de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

62.      Mais, si la requérante relève du champ d’application d’un acte de ce type, celui-ci produit nécessairement aussi un effet directement sur lui. Tel est le cas de la requérante si elle relève du champ d’application du régime d’aides rendu inapplicable en raison de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse. Étant assujettie en Espagne à l’impôt sur les sociétés, elle serait aussi, au cas où la Cour qualifierait sur ce point la décision litigieuse d’acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution, directement concernée.

B –    Sur la qualité pour agir contre toutes les formes d’actes (deuxième moyen)

63.      Par son deuxième moyen, la requérante fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur en droit dans l’application de la jurisprudence relative à la recevabilité de recours introduits au titre du deuxième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, contre des décisions rendues en matière d’aides d’État. Ce cas de figure permet à toute personne de former un recours contre toutes les formes d’actes dont elle n’est certes pas destinataire, mais qui la concernent directement et individuellement.

64.      Le Tribunal a considéré, dans l’ordonnance attaquée, que la requérante n’est individuellement concernée par une décision de la Commission interdisant un régime d’aides que si elle bénéficie effectivement de ce régime d’aides et que la Commission a ordonné la récupération de l’aide octroyée. La requérante a certes la qualité de bénéficiaire effectif selon le Tribunal. Toutefois, il ajoute qu’elle a bénéficié au titre de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision litigieuse de la protection de la confiance légitime et n’est précisément pas concernée par la récupération de l’aide.

65.      Selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (29). Ainsi que nous l’avons déjà exposé dans une autre affaire, cette jurisprudence doit continuer à être observée dans l’examen de la qualité pour agir au titre de la nouvelle version de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (30).

66.      La Cour a admis que le bénéficiaire effectif d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides dont la Commission a ordonné la récupération est, de ce fait, individuellement concerné (31). Elle a exposé plus particulièrement à cet égard que l’injonction de récupérer les aides expose les bénéficiaires du régime au risque de voir récupérer les avantages reçus et les affecte ainsi dans leur position juridique. En outre, l’éventualité que, ultérieurement, les avantages déclarés illégaux ne soient pas récupérés chez leurs bénéficiaires n’exclut pas que ceux-ci soient considérés comme individuellement concernés (32).

67.      La requérante estime que cette jurisprudence est applicable à sa situation. Bien que, selon l’article 1er, paragraphe 2, de la décision litigieuse, elle ne doive pas rembourser les aides perçues, elle affirme être aussi exposée au risque de les rembourser. Ce risque tient d’une part au fait qu’un concurrent a déjà saisi le Tribunal d’un recours contre cette disposition (33). D’autre part, il est possible que des tiers engagent au niveau national des recours fondés sur l’incompatibilité partielle déclarée du régime d’aides avec le marché commun.

68.      La Commission estime que ce qui se passe après l’adoption de la décision litigieuse est indifférent dans l’appréciation de l’intérêt individuel du requérant. Cela vaut, en particulier, pour les décisions de justice éventuellement rendues dans le sillage de la décision litigieuse.

69.      Il convient, tout d’abord, de considérer aussi l’objet du présent recours dans l’examen du deuxième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Dans son recours, la requérante avait uniquement attaqué l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse, qui déclare l’incompatibilité partielle du régime d’aides avec le marché commun. La requérante devrait donc être individuellement concernée par cette disposition.

70.      Abstraction faite de l’injonction de récupérer les aides, qui ne fait pas l’objet du recours, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse a tout d’abord pour seul effet qu’elle ne peut plus bénéficier à l’avenir du régime d’aides. Or, selon une jurisprudence constante, une entreprise ne saurait, en principe, attaquer une décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime (34). La requérante ne peut donc pas être individuellement concernée en sa qualité de bénéficiaire potentiel de ce régime. Le bénéfice qu’elle en a effectivement tiré dans le passé ne la fait pas non plus sortir du cercle des personnes qui, à l’avenir, ne peuvent plus prétendre à l’avantage.

71.      Dans la mesure où la requérante fait valoir, en qualité de bénéficiaire effectif, le risque de voir récupérer les avantages du régime d’aides déjà reçus, force est de constater qu’un tel risque doit en tout cas découler de la décision litigieuse elle-même. La jurisprudence citée par la requérante, qui repose sur le simple risque d’une récupération, concernait elle aussi un risque de ce type. On n’apercevait en effet pas clairement dans la décision de la Commission s’il y avait en l’espèce une aide illégale et si l’aide devait être récupérée pour cette raison (35).

72.      D’après la décision litigieuse en l’espèce, la requérante n’a toutefois certainement aucun remboursement à faire. Il n’existe dès lors aucun risque induit de la décision litigieuse, mais uniquement un dans le cas où la décision litigieuse doit être modifiée à l’initiative d’un tiers. Le cas échéant, la requérante peut alors agir contre une telle décision nouvelle sans que les effets définitifs d’autres procédures puissent la contrarier.

73.      L’incompatibilité partielle du régime d’aides avec le marché commun déclarée dans la décision litigieuse n’entraîne pas non plus, par le détour de recours éventuels de tiers au niveau national, un risque de perdre les avantages reçus. La Commission a indiqué sur ce point à juste titre que les juridictions nationales sont liées par la décision litigieuse et la protection de la confiance légitime qu’elle accorde. La protection de la confiance légitime de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision litigieuse vaut aussi à l’égard d’autres prétentions auxquelles la requérante s’imagine être exposée.

74.      Il s’ensuit que, dans l’ordonnance attaquée, c’est à juste titre que le Tribunal a considéré que la requérante n’est pas individuellement concernée par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse au sens du deuxième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Le deuxième moyen est donc également non fondé.

C –    Sur la méconnaissance du droit à une protection juridictionnelle effective (premier moyen)

75.      Pour terminer, la requérante soutient encore dans son premier moyen que la décision litigieuse méconnaît son droit à une protection juridictionnelle effective. Ce droit découle des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).

76.      Le Tribunal a exposé à cet égard, au point 38 de l’ordonnance attaquée, que rien ne s’oppose à ce que la requérante propose au juge national un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, pour remettre, au besoin, en cause, par cette voie, la validité de la décision litigieuse.

77.      La requérante estime au contraire que cette possibilité n’est pas effective, car cette voie ne lui garantit pas l’accès au juge de l’Union. D’une part, il n’est pas sûr qu’un litige puisse être suscité sur le plan national (36). D’autre part, la voie de la procédure préjudicielle n’est pas comparable, selon elle, à la procédure du recours offert par l’article 263 TFUE, quand on sait qu’il n’est jamais absolument certain que le juge décide d’un renvoi et quand on connaît la durée et les modalités de ce type de procédure.

78.      Dans les conclusions présentées dans l’affaire Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, nous avons déjà abondamment exposé que le droit à un recours effectif énoncé à l’article 47 de la Charte, dans le respect des articles 6 et 13 de la CEDH, ne requiert pas de pouvoir agir aussi directement contre des actes législatifs (37). Cela vaut aussi pour la décision de portée générale en cause ici. Le système de protection juridictionnelle des traités, qui est fondé sur les juridictions de l’Union et les juridictions nationales, offre ici aussi une protection juridictionnelle effective par la voie du contrôle incident de légalité (38).

79.      Au regard du droit à un recours effectif, il serait certes insuffisant qu’un particulier doive tout d’abord enfreindre la loi et s’exposer ensuite à une sanction pour parvenir à un contrôle de légalité d’un acte en attaquant la sanction (39). On n’aperçoit pas de situation de ce genre en l’espèce (40).

80.      L’ordonnance attaquée ne méconnaissant pas l’article 47 de la Charte ni les articles 6 et 13 de la CEDH, le premier moyen est lui aussi dénué de fondement.

D –    Sur l’intérêt à agir

81.      Les trois moyens de la requérante étant dénués de fondement, le pourvoi doit être rejeté comme non fondé. Au cas où la Cour devrait néanmoins admettre un droit de recours au titre du deuxième ou du troisième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, il faudrait encore examiner l’intérêt à agir de la requérante.

82.      Dans la procédure devant le Tribunal, la Commission a également fondé son exception d’irrecevabilité sur un défaut d’intérêt de la requérante. Au point 46 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a laissé cette question ouverte.

83.      Dans le contexte de la présente procédure, la Commission invoque une nouvelle fois le défaut d’intérêt et demande à la Cour, le cas échéant, de confirmer l’ordonnance par substitution de motifs.

84.      La requérante rétorque avoir un intérêt à agir en annulation de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse. D’une part, cela écarterait le risque pour elle d’être lésée par l’incompatibilité déclarée du régime d’aides avec le marché commun si la protection de sa confiance légitime venait éventuellement à lui être déniée. D’autre part, la requérante pourrait à nouveau bénéficier à l’avenir du régime d’aides. Le Royaume d’Espagne a certes supprimé ce régime dans l’intervalle au titre de la décision litigieuse. Mais l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision permettrait toutefois de remettre ce régime en place ou d’agir en responsabilité contre l’État espagnol.

85.      Un recours n’est recevable que si la requérante a un intérêt à agir au regard de l’objet du recours. Cela suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (41).

86.      Il ne faudrait pas, selon nous, faire preuve d’exigences exorbitantes pour retenir l’existence d’un tel bénéfice. Cela vaut en particulier lorsque les conditions strictes des deuxième ou troisième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE sont déjà remplies, ce qui est présumé être le cas dans le contexte de cet examen subsidiaire. L’intérêt est requis pour protéger toutes les parties à une procédure en évitant de les voir entraînées dans un litige qui ne peut être d’aucune utilité pour la requérante. Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce.

87.      Il est vrai que nous n’apercevons aucun bénéfice à l’endroit des acquisitions de participations déjà achevées pour lesquelles l’article 1er, paragraphe 2, de la décision litigieuse confère une protection de la confiance légitime à la requérante. Une annulation de l’article 1er, paragraphe 1, ne changerait rien à sa position sur ce point (42). Les choses se présenteraient toutefois sous un autre jour si la Cour ne devait admettre un droit de recours qu’au titre du deuxième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, au motif que la décision litigieuse expose la requérante à un risque de récupération des aides.

88.      Le recours aurait en tout cas pu procurer à la requérante un bénéfice en ce que, en cas d’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse, l’ordre juridique espagnol ne comporterait plus l’interdiction d’appliquer le régime d’aides favorable à la requérante.

89.      On devrait ainsi admettre que la requérante a un intérêt à agir. Au cas donc où la Cour devrait reconnaître à la requérante le droit d’agir au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, le recours serait recevable. L’ordonnance attaquée ne pourrait, dès lors, pas être confirmée par substitution de motifs en déclarant que la requérante n’avait pas d’intérêt à agir. Le pourvoi serait au contraire fondé et l’ordonnance attaquée devrait être annulée.

E –    Résumé

90.      L’ensemble des moyens de la requérante étant à notre sens dénués de fondement, il convient de rejeter le pourvoi ainsi que la Commission le demande.

V –    Dépens

91.      Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé la Cour statue sur les dépens. La Commission ayant conclu en ce sens, il convient dès lors de condamner la requérante aux dépens en tant que partie qui succombe, conformément aux dispositions combinées des articles 138, paragraphe 1, et 184, paragraphe 1, du règlement de procédure.

VI – Conclusion

92.      Par tous ces motifs, nous proposons à la Cour de statuer comme suit:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Telefónica SA supporte les dépens.


1 –      Langue originale: l’allemand.


2 –      Décision de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48).


3 – Arrêt du 9 juin 2011, Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, Rec. p. I‑4727, point 118).


4 – Voir points 30 et suiv. des conclusions que j’ai présentées le 17 janvier 2013 dans l’affaire Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, pendante devant la Cour).


5 – Cette note n’intéresse pas la version des conclusions en langue française.


6 – Voir points 50 à 52 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (précitée à la note 4).


7 – Voir arrêts du 11 juillet 1968, Zuckerfabrik Watenstedt/Conseil (6/68, Rec. p. 595, 612, 620); du 5 mai 1977, Koninklijke Scholten Honig/Conseil et Commission (101/76, Rec. p. 797, points 20 à 22), et du 17 juin 1980, Calpak et Società Emiliana Lavorazione Frutta/Commission (789/79 et 790/79, Rec. p. 1949, point 9), ainsi qu’ordonnances du 28 juin 2001, Eridania e.a./Conseil (C‑352/99 P, Rec. p. I‑5037, point 42), et du 8 avril 2008, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission (C‑503/07 P, Rec. p. I‑2217, point 71). Voir, dans le même sens, aussi arrêts du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré (C‑263/02 P, Rec. p. I‑3425, point 43), et du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, Rec. p. I‑1655, point 51).


8 – Voir arrêt du 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil (16/62 et 17/62, Rec. p. 963, 978), ainsi qu’ordonnances du 5 novembre 1986, UFADE/Conseil et Commission (117/86, Rec. p. 3255, point 9), et du 12 juillet 1993, Gibraltar et Gibraltar Development/Conseil (C‑168/93, Rec. p. I‑4009, point 11). Voir aussi arrêt AJD Tuna (précité à la note 7, points 50 et suiv.).


9 – Voir arrêt Koninklijke Scholten Honig/Conseil et Commission (précité à la note 7, points 8 à 11).


10 – Arrêt du 21 mai 1987, Albako Margarinefabrik (249/85, Rec. p. 2345, point 17).


11 – Arrêt du 10 novembre 1992, Hansa Fleisch Ernst Mundt (C‑156/91, Rec. p. I‑5567, points 12 et suiv.).


12 – Voir arrêt du 7 juin 2007, Carp (C‑80/06, Rec. p. I‑4473, point 21), ainsi qu’ordonnance Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission (précitée à la note 7, point 71). Voir aussi arrêt du Tribunal du 25 octobre 2011, Microban International et Microban (Europe)/Commission (T‑262/10, Rec. p. II‑7697, points 23 et suiv.), et ordonnance du Tribunal du 4 juin 2012, Eurofer/Commission (T‑381/11, point 43).


13 – Voir arrêts du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission (67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, point 15); du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission (C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I‑8855, point 33); du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, point 37), et du 17 septembre 2009, Commission/Koninklijke FrieslandCampina (C‑519/07 P, Rec. p. I‑8495, point 53); voir, dans le même sens, aussi arrêt Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission (précité à la note 3, point 64).


14 – Voir, en ce sens, arrêt Italie/Commission (précité à la note 13, point 39).


15 – Les versions en langues allemande et anglaise de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE se lisent en substance comme suit: «[…] gegen Rechtsakte mit Verordnungscharakter, die […] keine Durchführungsmaßnahmen nach sich ziehen […]» et «[…] against a regulatory act which […] does not entail implementing measures».


16 – «[…] contre les actes réglementaires […] qui ne comportent pas de mesures d’exécution».


17 – Secrétariat de la Convention européenne, rapport final du cercle de discussion sur le fonctionnement de la Cour de justice, 25 mars 2003 (document CONV 636/03, point 21).


18 – Voir points 39 et suiv. et point 44 des conclusions que nous avons présentées dans l’affaire Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (précitée à la note 4).


19 – Secrétariat de la Convention européenne, rapport final du cercle de discussion sur le fonctionnement de la Cour de justice (cité à la note 17, point 21).


20 – Point 43 des conclusions de l’avocat général Jacobs du 21 mars 2002 dans cette affaire (arrêt du 25 juillet 2002, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677).


21 – Ordonnances du Tribunal du 4 juin 2012, Hüttenwerke Krupp Mannesmann e.a./Commission (T‑379/11, point 52), et Eurofer/Commission (précitée à la note 12, point 60).


22 – Voir, également, arrêt du Tribunal Microban International et Microban (Europe)/Commission (précité à la note 12, point 34), limité toutefois aux mesures d’exécution des États membres.


23 – Voir plus haut, point 21.


24 – Voir arrêt du 14 avril 2011, Commission/Pologne (C‑331/09, Rec. p. I‑2933, point 54 et jurisprudence citée).


25 – Règlement du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1).


26 – Voir plus haut, points 25 et 27.


27 –      Voir points 68 et suiv. des conclusions que nous avons présentées dans l’affaire Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (précitée à la note 4).


28 – Arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission (C‑463/10 P et C‑475/10 P, Rec. p. I‑9639, point 66 et jurisprudence citée).


29 – Voir, notamment, arrêts Plaumann/Commission (précité au point 2, p. 213); du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum (C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737, point 33), et Deutsche Post et Allemagne/Commission (précité à la note 28, point 71).


30 – Voir points 89 et suiv. des conclusions que nous avons présentées dans l’affaire Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (précitée à la note 4).


31 – Arrêts Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission (précité à la note 3, point 53); Italie et Sardegna Lines/Commission (précité à la note 13, point 34) et Italie/Commission (précité à la note 13, point 39).


32 – Arrêt Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission (précité à la note 3, point 56).


33 –      Voir affaire Deutsche Telekom/Commission (T‑207/10, pendante devant le Tribunal).


34 – Voir seulement arrêt Italie et Sardegna Lines/Commission (précité à la note 13, point 33 et jurisprudence citée).


35 – Voir points 71 à 78 des conclusions que l’avocat général Trstenjak a présentées le 16 décembre 2010 dans l’affaire Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission (précitée à la note 3).


36 – Voir les développements de cet aspect plus haut, au point 54.


37 – Voir points 106 et suiv. des conclusions que nous avons présentées dans cette affaire (précitée à la note 4).


38 – Ibidem, points 115 et suiv.


39 – Ibidem, points 118 et suiv.


40 – Voir les développements de cet aspect plus haut, au point 53.


41 – Arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission (C‑362/05 P, Rec. p. I‑4333, point 42), et ordonnance du président de la Cour du 5 mars 2009, Commission/Provincia di Imperia (C‑183/08 P, point 19).


42 – Voir, mais dans un sens différent, arrêt du Tribunal du 21 mai 2010, France e.a./Commission (T‑425/04, T‑444/04, T‑450/04 et T‑456/04, Rec. p. II‑2099, points 122 et suiv.).