Language of document : ECLI:EU:C:2008:624

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

13 novembre 2008 (*)

«Manquement d’État – Marchés publics – Conception et réalisation d’un tramway municipal – Marché public de travaux – Attribution par la voie d’une procédure visant à l’attribution d’une concession de travaux publics – Violation de la directive 93/37»

Dans l’affaire C‑437/07,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 19 septembre 2007,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. C. Zadra et D. Kukovec, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par MM. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. G. Fiengo, avvocato dello stato,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. A. Ó Caoimh, J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), J. Klučka et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, la commune de L’Aquila (Italie) (ci-après la «commune») ayant attribué un marché public de travaux concernant la conception et la réalisation d’une ligne de tramway sur pneus pour le transport en commun public dans cette ville au moyen d’une procédure telle que celle du «financement de projet», visant à l’attribution d’une concession de travaux, et ayant procédé à une modification du projet préliminaire sur lequel se fondait l’appel d’offres, postérieurement à la publication de l’avis de marché, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), notamment de ses articles 7 et 11, ainsi que des articles 43 CE et 49 CE et des principes de transparence et de non-discrimination qui en constituent le corollaire.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2        L’article 1er, sous a), de la directive 93/37 définit les marchés publics de travaux de la manière suivante:

«les ‘marchés publics de travaux’ sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre, d’une part, un entrepreneur et, d’autre part, un pouvoir adjudicateur défini au point b) et ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement l’exécution et la conception des travaux relatifs à une des activités visées à l’annexe II ou d’un ouvrage défini au point c), soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur».

3        L’article 1er, sous d), de ladite directive définit la concession de travaux publics dans les termes suivants:

«la ‘concession de travaux publics’ est un contrat présentant les mêmes caractères que ceux visés au point a), à l’exception du fait que la contrepartie des travaux consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix».

4        L’article 7 de la directive 93/37 prévoit que, pour passer leurs marchés publics de travaux, les pouvoirs adjudicateurs appliquent soit la procédure ouverte, soit la procédure restreinte et qu’ils peuvent recourir à la procédure négociée dans certains cas exceptionnels, limitativement énumérés. Ces obligations ne s’appliquent pas à l’attribution des concessions de travaux publics.

5        L’article 11, paragraphes 2 et 3, de ladite directive prévoit:

«2.      Les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public de travaux par procédure ouverte, restreinte ou négociée dans les cas visés à l’article 7 paragraphe 2 font connaître leur intention au moyen d’un avis.

3.      Les pouvoirs adjudicateurs désireux d’avoir recours à la concession de travaux publics font connaître leur intention au moyen d’un avis.»

 La réglementation nationale

6        Les articles 37 bis à 37 quater de la loi n° 109, loi-cadre sur les travaux publics (legge quadro in materia di lavori pubblici), du 11 février 1994 (supplément ordinaire à la GURI n° 41, du 19 février 1994, ci-après la «loi n° 109/94») traitent de l’attribution des marchés publics de travaux financés, en tout ou en partie, par des personnes privées.

7        L’article 37 bis de cette loi permet à des personnes privées de présenter aux organismes adjudicateurs des propositions de réalisation de travaux publics ou de travaux d’utilité publique et de signer les contrats correspondants prévoyant le financement et la gestion des travaux.

8        L’article 37 ter de la même loi décrit la procédure de sélection du promoteur. Ainsi, il prévoit que les pouvoirs adjudicateurs évaluent la faisabilité des propositions présentées sous différents aspects: construction, urbanisme, environnement, qualité du projet, fonctionnalité, jouissance de l’ouvrage, accessibilité au public, rendement, coût de gestion et d’entretien, durée de la concession, délais de réalisation des travaux de la concession, tarifs applicables et méthode de révision, valeur économique et financière du plan et contenu du projet de convention. Ces pouvoirs doivent s’assurer qu’aucun élément n’empêche la réalisation de ces propositions et, après avoir examiné et comparé ces dernières et entendu les promoteurs qui le demandent, ils indiquent quelle proposition est d’intérêt public.

9        Dans ce cas, en application de l’article 37 quater de la loi n° 109/94, est mise en œuvre une procédure restreinte destinée à susciter la présentation de deux autres offres. La concession est ensuite attribuée dans le cadre d’une procédure négociée au cours de laquelle la proposition du promoteur initialement sélectionné et ces autres offres sont examinées. Au cours de cette procédure, ledit promoteur peut adapter sa proposition à celle que le pouvoir adjudicateur estime convenir le mieux. Si tel est le cas, il deviendra adjudicataire de la concession.

10      Cette procédure est désignée sous le nom de «financement de projet» («finanza di progetto»).

 Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse

11      Par décision n° 49, du 29 janvier 2002, la commune a constaté, en application de l’article 37 ter de la loi n° 109/94, la faisabilité et l’intérêt public d’une proposition présentée par le promoteur Raggruppamento CGRT (ci-après «CGRT»), relative à la conception et à la réalisation d’une ligne de tramway sur pneus pour le transport en commun public dans cette ville. Selon cette décision, le montant estimé des travaux était de 33 569 698,44 euros, dont 20 141 819,06 euros, soit 60 % de celui-ci, financés directement par le ministère des Infrastructures et des Transports (Ministero delle Infrastrutture e dei Trasporti) et 13 427 879,38 euros, soit les 40 % restants, financés par CGRT.

12      Par décision n° 212, du 26 mars 2002, la commune a lancé un appel d’offres pour l’attribution d’une concession de travaux en vue de la construction de cette ligne de tramway. L’avis de concession a été publié, notamment, au Journal officiel des Communautés européennes, série S, du 25 avril 2002, sous la référence 2002/S 81‑063094.

13      Cet appel d’offres s’étant révélé infructueux, la commune a, par décision n° 798, du 27 novembre 2002, attribué cette concession à CGRT. La commune et CGRT ont conclu un contrat en conséquence de cette attribution le 2 décembre 2002.

14      Le point 12, sous c), du préambule de ce contrat indique que la personne qui sera chargée de la gestion du service de tramway par la voie d’un contrat de services à conclure avec la commune devra payer une redevance périodique à CGRT.

15      L’article 5 de ce contrat stipule, en ce qui concerne la rémunération du concessionnaire:

«[...]

Comme mentionné au point 12, sous c), du préambule afin de garantir le respect des prévisions du plan économico-financier joint au projet préliminaire et, partant, la viabilité économique et financière de l’opération, le concessionnaire se verra attribuer à titre de rémunération, outre la contribution publique, le droit d’exploiter la ligne de tramway sur le plan tant opérationnel qu’économique, pendant toute la durée de la concession, ce droit pouvant être assorti de la perception d’une redevance spécifiée dans ledit plan économico-financier et due par le gestionnaire du service qui aura conclu un contrat de services avec le concédant, en contrepartie de ladite exploitation et pour l’utilisation de la ligne de tramway et des ouvrages connexes réalisés par le concessionnaire.

À cette fin, le concédant, eu égard à la nécessité de garantir l’équilibre économico-financier du concessionnaire et au fait qu’il est essentiel, à cet effet, que le gestionnaire du service assure ponctuellement le paiement de la redevance susmentionnée au concessionnaire, s’engage, par la présente convention et pour toute la durée de celle-ci, à prévoir expressément, dans le ou les appels d’offres et les documents annexes pour l’attribution du service de transport public lié à la ligne de tramway et en particulier dans le contrat de services régissant la prestation de ce service, l’obligation pour le gestionnaire du service de payer au concessionnaire ladite redevance, telle qu’indiquée dans le plan économico-financier annexé au projet préliminaire.»

16      D’après les éléments figurant au dossier, le montant de la redevance que le gestionnaire du service de tramway devrait payer à CGRT a été fixé à 1 446 079,32 euros par an pendant une période de trente ans.

17      À la date d’introduction du présent recours, la commune n’avait pas encore désigné de gestionnaire dudit service.

18      Par ailleurs, le projet préliminaire de l’ouvrage, sur lequel se fondait l’appel d’offres, a été modifié dans le projet définitif que CGRT a présenté après la publication de l’avis de concession. Ces modifications ont été approuvées par le ministère des Infrastructures et des Transports par note du 29 septembre 2004.

19      Sans que le coût total de l’ouvrage soit changé, le coût des travaux relevant de la catégorie «bâtiments civils et industriels», estimé à 2 948 695,88 euros dans le projet préliminaire, a été porté à 7 613 505,11 euros dans le projet définitif, tandis que le coût des travaux relevant de la catégorie «équipements de traction électrique», estimé à 3 956 137,32 euros dans le projet préliminaire, a été porté à 3 140 566,98 euros dans le projet définitif.

20      À la suite d’une plainte relative à l’attribution des travaux en cause, la Commission a pris contact, les 16 et 17 juin 2005, avec les autorités italiennes, lesquelles lui ont fourni certaines informations.

21      N’étant pas satisfaite des réponses données par ces autorités, la Commission a adressé à la République italienne une lettre de mise en demeure le 18 octobre 2005 et un avis motivé le 4 juillet 2006, avant de former le présent recours.

 Sur le recours

22      À l’appui de son recours, la Commission invoque deux griefs.

 Sur le premier grief

 Argumentation des parties

23      La Commission fait valoir, par son premier grief, que le contrat conclu entre la commune et CGRT le 2 décembre 2002 constitue un marché public de travaux au sens du droit communautaire. Certes, la contrepartie des travaux, en l’espèce, consisterait en partie dans le droit d’exploiter l’ouvrage. Cependant, dans la mesure où CGRT n’exploite pas lui-même l’ouvrage, mais perçoit une redevance garantie par un tiers chargé de l’exploitation de celui-ci, CGRT n’assumerait pas le risque financier de cette exploitation. Par conséquent, cette opération ne pourrait être qualifiée de concession de travaux publics. Elle devrait être qualifiée de marché public de travaux et devrait respecter des procédures de passation y afférentes.

24      La passation de ce marché par la voie d’une procédure telle que celle du «financement de projet», qui vise à l’attribution d’une concession de travaux publics, serait contraire aux dispositions de la directive 93/37, et notamment à ses articles 7 et 11.

25      La République italienne estime que, en l’espèce, le schéma de la concession se réalise pleinement. Le concessionnaire réaliserait l’ouvrage moyennant un concours financier fixe ne dépassant pas 60 % du prix de celui-ci. Les risques liés à cette réalisation seraient assumés par le concessionnaire qui ne pourrait rien exiger en dehors de ce concours financier.

26      En ce qui concerne le droit d’exploiter l’infrastructure, le service de transport en commun serait réservé dans la commune à un seul opérateur, à savoir Azienda della Mobilità Aquilana SpA (ci-après «AMA»), celle-ci étant tenue d’appliquer à l’égard des utilisateurs un prix administré et d’utiliser une billetterie intégrée avec les autres services de transport. Pour cette raison, le droit pour CGRT d’exploiter l’ouvrage se transformerait en un droit de percevoir une redevance fixe de la part d’AMA. Il s’agirait là d’une modalité d’exploitation de l’ouvrage qui n’enlève pas à l’opération en cause son caractère de concession de travaux publics.

 Appréciation de la Cour

27      Il résulte de l’article 1er, sous d), de la directive 93/37, applicable à la date des faits, que la concession de travaux publics est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché public de travaux, à l’exception du fait que la contrepartie des travaux consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix.

28      La Commission fait valoir que, en outre, la concession de travaux publics est caractérisée par le fait qu’elle implique un transfert du risque lié à l’exploitation de l’ouvrage vers le concessionnaire.

29      Sur ce point, la Cour a considéré que l’on est en présence d’une concession de services lorsque le mode de rémunération convenu tient dans le droit du prestataire d’exploiter sa propre prestation et implique que celui-ci prenne en charge le risque lié à l’exploitation des services en question (voir arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Italie, C-382/05, Rec. p. I-6657, point 34 et jurisprudence citée).

30      Il résulte également de la jurisprudence que l’absence de transfert au prestataire du risque lié à la prestation des services indique que l’opération visée constitue un marché public de services et non pas une concession de services publics (voir, en ce sens, arrêts du 27 octobre 2005, Contse e.a., C-234/03, Rec. p. I-9315, point 22, et Commission/Italie, précité, points 35 et 37).

31      Ces considérations, établies en ce qui concerne les marchés et concessions de services, valent pour les marchés et concessions de travaux.

32      En l’espèce, si l’article 5 du contrat conclu le 2 décembre 2002 entre la commune et CGRT prévoit que cette dernière se verra attribuer à titre de rémunération, outre la contribution publique, le droit d’exploiter la ligne de tramway en question, il ressort de ce même article 5, du point 12, sous c), du préambule de ce contrat ainsi que des autres éléments du dossier que l’exploitation du tramway doit être assurée par un gestionnaire qui devra conclure un contrat de services, non pas avec le concessionnaire, mais avec le concédant qui fixera le montant à payer au concessionnaire.

33      Le montant de la redevance qui devrait être payée à CGRT par le futur gestionnaire du service de tramway s’élève à 1 446 079,32 euros par an pendant 30 ans. Il résulte des éléments figurant au dossier que ce montant fixe a été calculé pour assurer le paiement à CGRT de la fraction du coût de l’ouvrage, égale à 40 % de ce dernier, dont les pouvoirs publics italiens n’assurent pas directement le versement.

34      Dans une telle situation, CGRT n’assume pas les risques liés à l’exploitation de l’ouvrage en question.

35      Il s’ensuit qu’il convient de qualifier l’opération en cause de marché public de travaux et non pas de concession de travaux publics.

36      Il est constant que, en l’espèce, le montant estimé des travaux envisagés dépasse le seuil d’application de la directive 93/37.

37      Par conséquent lesdits travaux auraient dû être attribués conformément aux procédures prévues par la directive 93/37 pour la passation des marchés publics de travaux.

38      Il est constant que, en l’espèce, la procédure d’attribution appliquée par la commune ne correspond pas à ces procédures.

39      Par conséquent, il convient de considérer le premier grief invoqué par la Commission comme fondé.

 Sur le second grief

 Argumentation des parties

40      Par son second grief, la Commission affirme que la modification du projet préliminaire de l’ouvrage en cause, sur lequel se fondait l’appel d’offres, après la publication de l’avis de concession, est contraire aux articles 43 CE et 49 CE ainsi qu’aux principes de transparence et de non-discrimination qui en constituent le corollaire.

41      La République italienne estime que ce second grief est dénué de fondement. En effet, l’appel à la concurrence se serait déroulé sur la base d’un projet préliminaire à caractère expérimental et une série d’ajustements techniques se seraient révélés indispensables afin d’assurer la sécurité et la viabilité du projet. Par ailleurs, les modifications techniques qui ont été apportées n’auraient pas altéré les termes globaux de l’opération ni favorisé un opérateur au détriment d’un autre.

 Appréciation de la Cour

42      Tel qu’il est présenté dans la requête, le second grief est tiré d’une violation des règles applicables aux concessions, notamment des articles 43 CE et 49 CE, du principe de non-discrimination et de l’obligation de transparence, à l’exclusion des directives communautaires en matière de marchés publics. Au soutien de ce grief, la Commission cite exclusivement des arrêts de la Cour ayant pour objet des concessions et non pas des marchés publics.

43      Ce grief serait opérant dans l’hypothèse où l’opération en cause serait qualifiée de concession de travaux publics et non pas de marché public de travaux, contrairement à ce que la Commission fait valoir dans le cadre de son premier grief.

44      Or, la Cour a accueilli ce premier grief en constatant, au point 30 du présent arrêt, que l’opération en cause constitue un marché public de travaux et non pas une concession de travaux publics.

45      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu pour la Cour de se prononcer sur le second grief invoqué par la Commission.

46      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que la commune ayant attribué un marché public de travaux concernant la conception et la réalisation d’une ligne de tramway sur pneus pour le transport en commun public dans cette ville au moyen d’une procédure autre que celles prévues pour la passation des marchés publics de travaux par la directive 93/37, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

 Sur les dépens

47      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant en substance succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      La commune de L’Aquila ayant attribué un marché public de travaux concernant la conception et la réalisation d’une ligne de tramway sur pneus pour le transport en commun public dans cette ville au moyen d’une procédure autre que celles prévues pour la passation des marchés publics de travaux par la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

2)      La République italienne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.