Language of document : ECLI:EU:C:2014:2273

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

9 octobre 2014 (*)

«Renvoi préjudiciel – Relations extérieures – Accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc – Exclusion de toute possibilité pour les navires communautaires d’exercer des activités de pêche dans les zones de pêche marocaines sur le fondement d’une licence délivrée par les autorités marocaines sans l’intervention des autorités compétentes de l’Union européenne»

Dans l’affaire C‑565/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hovrätten för Västra Sverige (Suède), par décision du 31 octobre 2013, parvenue à la Cour le 4 novembre 2013, dans la procédure pénale contre

Ove Ahlström,

Lennart Kjellberg,

Fiskeri Ganthi AB,

Fiskeri Nordic AB,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader, MM. E. Jarašiūnas (rapporteur) et C. G. Fernlund , juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour MM. Ahlström et Kjellberg, par Me E. Bergenhem, advokat,

–        pour la Commission européenne, par M. A. Bouquet et Mme C. Tufvesson, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc, approuvé au nom de la Communauté par le règlement (CE) no 764/2006 du Conseil, du 22 mai 2006 (JO L 141, p. 1, ci-après l’«accord de pêche»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de poursuites pénales engagées contre MM. Ahlström et Kjellberg ainsi que contre Fiskeri Ganthi AB (ci-après «Fiskeri Ganthi») et Fiskeri Nordic AB (ci-après «Fiskeri Nordic»), auxquels il est reproché d’avoir pratiqué la pêche de manière illégale dans les zones de pêche marocaines durant la période allant du mois d’avril 2007 à celui de mai 2008 inclus.

 Le cadre juridique

 L’accord de pêche

3        Au quatrième alinéa du préambule de l’accord de pêche, les parties contractantes ont affirmé qu’elles étaient déterminées à coopérer, dans leur intérêt mutuel, en faveur de l’instauration d’une pêche responsable pour assurer la conservation sur le long terme et l’exploitation durable des ressources maritimes biologiques, notamment par la mise en œuvre d’un régime de contrôle portant sur l’ensemble des activités de pêche, afin d’assurer l’efficacité des mesures d’aménagement et de préservation de ces ressources. Au septième alinéa du même préambule, elles ont également exprimé leur volonté d’établir les modalités et les conditions régissant les activités de pêche des navires communautaires dans les zones de pêche marocaines et celles concernant le soutien apporté par la Communauté à l’instauration d’une pêche responsable dans ces zones de pêche.

4        L’objet de l’accord de pêche est défini à son article 1er comme suit:

«Le présent accord établit les principes, règles et procédures régissant:

–        la coopération économique, financière, technique et scientifique dans le domaine de la pêche, en vue de l’instauration d’une pêche responsable dans les zones de pêche marocaines pour assurer la conservation et une exploitation durable des ressources halieutiques et de développer le secteur marocain de la pêche,

–        les conditions d’accès des navires de pêche communautaires aux zones de pêche marocaines,

–        les modalités de contrôle des pêches dans les zones de pêche marocaines en vue d’assurer le respect des conditions précitées, l’efficacité des mesures de conservation et de gestion des ressources halieutiques, et la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée,

–        les partenariats entre entreprises visant à développer, dans l’intérêt commun, des activités économiques relevant du domaine de la pêche et des activités qui s’y rattachent.»

5        Aux termes de l’article 2, sous d), de l’accord de pêche, on entend par «navire communautaire», aux fins dudit accord, «un navire de pêche battant le pavillon d’un État membre de la Communauté et enregistré dans la Communauté».

6        L’article 6 de l’accord de pêche, intitulé «Conditions d’exercice de la pêche», dispose à ses paragraphes 1 et 2:

«1.      Les navires communautaires ne peuvent exercer des activités de pêche dans les zones de pêche marocaines que s’ils détiennent une licence de pêche délivrée dans le cadre du présent accord. L’exercice des activités de pêche par les navires de la Communauté est subordonné à la détention d’une licence, délivrée par les autorités compétentes du Maroc sur demande des autorités compétentes de la Communauté.

2.      Pour des catégories de pêches non prévues par le protocole [fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues par l’accord de pêche (ci-après le «protocole»)], des licences peuvent être octroyées à des navires communautaires par les autorités marocaines. Toutefois, et dans le cadre de l’esprit de partenariat instauré par le présent accord, l’octroi de ces licences reste tributaire d’un avis favorable de la Commission européenne. La procédure permettant d’obtenir une licence de pêche pour un navire, les taxes applicables et le mode de paiement par l’armateur seront définis d’un commun accord.»

7        Sous le titre «Contrepartie financière», l’article 7 de l’accord de pêche prévoit à son paragraphe 1:

«La Communauté octroie au Maroc une contrepartie financière conformément aux termes et aux conditions définis dans le protocole et l’annexe [de l’accord de pêche]. Cette contrepartie est définie à partir de deux composantes relatives, respectivement:

a)      une compensation financière relative à l’accès des navires communautaires aux zones de pêche marocaines, et sans préjudice des redevances dues par les navires communautaires pour la redevance des licences;

b)      un appui financier de la Communauté à l’instauration de la politique nationale de la pêche fondée sur une pêche responsable et l’exploitation durable des ressources halieutiques dans les eaux marocaines.»

 Le droit de l’Union

8        Le règlement (CE) no 3317/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, établissant les dispositions générales relatives à l’autorisation de pêche dans les eaux d’un pays tiers dans le cadre d’un accord de pêche (JO L 350, p. 13), en vigueur à l’époque des faits du litige au principal, énonçait à son deuxième considérant «que, pour assurer une gestion efficace et transparente des activités de pêche exercées par les navires communautaires dans le cadre des accords de pêche conclus entre la Communauté et les pays tiers, il est nécessaire que chaque État membre intervienne pour autoriser ses navires, qui ont obtenu une licence de pêche d’un pays tiers, à exercer ces activités et que l’exercice de la pêche dans les eaux des pays tiers sans une telle autorisation doit être interdit afin de respecter les engagements de la Communauté vis-à-vis des pays tiers».

9        L’article 1er dudit règlement prévoyait:

«1.      Le présent règlement établit les dispositions générales régissant les activités de pêche des navires de pêche communautaires dans les eaux d’un pays tiers, dans le cadre d’un accord de pêche conclu entre la Communauté et ce pays, pour autant que ces activités soient subordonnées à l’exigence d’une licence de pêche de ce pays tiers.

2.      Seuls les navires de pêche communautaires ayant un ‘permis de pêche – accord de pêche’ en cours de validité peuvent exercer leurs activités de pêche dans les eaux d’un pays tiers, au titre d’un accord de pêche conclu entre la Communauté et ce pays tiers.»

10      Selon l’article 2 du même règlement, on entendait par «permis de pêche – accord de pêche» une autorisation de pêche octroyée à un navire communautaire par l’État membre du pavillon, dans le cadre d’un accord de pêche conclu entre la Communauté et un pays tiers, qui, en complément de la licence de pêche, permet à ce navire d’exercer les activités de pêche dans la zone de pêche de ce pays tiers.

11      L’article 3 du règlement no 3317/94 disposait:

«L’État membre du pavillon octroie et gère les permis de pêche – accord de pêche pour les navires de pêche battant son pavillon, conformément aux modalités fixées par le présent règlement.»

12      Aux termes de l’article 5 du même règlement:

«1.      L’État membre du pavillon transmet à la Commission, pour les navires de pêche battant son pavillon, les demandes d’obtention de licences de pêche du pays tiers en vue d’exercer des activités de pêche dans le cadre des possibilités de pêche accordées à la Communauté en vertu d’un accord de pêche conclu avec un pays tiers. Il s’assure que les demandes sont conformes aux arrangements convenus dans le cadre de l’accord de pêche concerné et aux dispositions communautaires.

2.      La Commission examine les demandes de chaque État membre compte tenu des possibilités de pêche qui ont été allouées à celui-ci en vertu des dispositions communautaires et des éventuelles conditions fixées par l’accord de pêche pour les navires de pêche communautaires. La Commission transmet au pays tiers concerné, dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la réception de la demande de l’État membre, ou dans les délais prévus par l’accord de pêche, les demandes d’obtention d’une licence de pêche du pays tiers pour les navires communautaires désireux d’exercer leurs activités de pêche dans les eaux dudit pays tiers. Au cas où l’examen par la Commission d’une demande révèle que celle-ci ne remplit pas les conditions visées au présent paragraphe, elle informe immédiatement l’État membre concerné qu’elle ne peut pas transmettre tout ou partie de ladite demande au pays tiers concerné, en lui communiquant les motifs.

3.      La Commission informe, sans délai, l’État membre du pavillon de l’octroi de la licence de pêche qui a été accordée par le pays tiers concerné en vue d’exercer des activités de pêche ou de la décision du pays tiers de ne pas octroyer la licence. Dans ce dernier cas, la Commission procède aux vérifications nécessaires, en consultation avec l’État membre du pavillon et le pays tiers concerné.»

 Le droit suédois

13      La juridiction de renvoi expose que, selon les articles 19 à 23 de la loi sur la pêche (fiskelagen, SFS 1993, no 787), le gouvernement suédois ou l’autorité qu’il désigne, à savoir le Fiskeriverket (Direction nationale des pêches) à l’époque des faits au principal, adopte des dispositions réglementaires relatives à l’exercice de la pêche. L’article 24 de cette loi prévoit que les dispositions réglementaires prises sur le fondement desdits articles 19 à 23 s’appliquent à la pêche en mer pratiquée par les navires suédois, en dehors de la zone économique suédoise, dans les eaux internationales et dans les autres eaux où la pêche est pratiquée conformément à des accords internationaux.

14      En application de l’article 40 de la loi sur la pêche, quiconque méconnaît intentionnellement ou par imprudence les dispositions réglementaires adoptées sur le fondement des articles 19, 20, premier alinéa, ou 21 à 23 de cette loi encourt une amende ou une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an. Quiconque viole intentionnellement ou par imprudence grave les règlements de l’Union concernant la politique commune de la pêche, notamment en pratiquant la pêche de manière illicite, est condamné à la même peine. Si une infraction au titre dudit article 40 doit être considérée comme grave, son auteur est condamné à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans.

15      Les dispositions réglementaires du Fiskeriverket relatives à l’accès et au contrôle des zones de pêche (Fiskeriverkets föreskrifter om resurstillträde och kontroll på fiskets område, FIFS 2004, no 25, ci-après les «dispositions réglementaires du Fiskeriverket»), telles qu’en vigueur à l’époque des faits au principal, et dont le champ d’application s’étend, selon le chapitre 1, article 1er, de celles-ci, au règlement no 3317/94, prévoient, à leur chapitre 3, article 1er:

«Les navires d’une longueur égale ou supérieure à cinq mètres peuvent être utilisés pour la pêche professionnelle en mer à condition de disposer d’une autorisation à cet effet délivrée par le Fiskeriverket».

16      Le chapitre 4 des dispositions réglementaires du Fiskeriverket, intitulé «Autorisation de pêche complémentaire [...]», est libellé comme suit:

«Pêche dans le cadre d’un accord de pêche entre la [Communauté européenne] et un État tiers

Article 1er

La demande d’une telle licence de pêche d’un pays tiers et la demande d’un ‘permis de pêche – accord de pêche’ visé par le règlement [...] no 3317/94 doivent être introduites auprès du Fiskeriverket.

Un permis de pêche est délivré par inscription du navire sur la liste de base.

Article 2

Les conditions d’octroi de l’autorisation au sens de l’article 1er sont les suivantes:

1.      Lors de l’entrée dans la zone d’un pays tiers, la déclaration active est réalisée auprès des autorités compétentes du pays tiers via Stockholm Radio. La déclaration doit comporter le numéro d’identification externe, le nom et le signal d’appel radio du navire. Lorsque le navire quitte la zone, il y a lieu de procéder à une déclaration passive au moyen de la même station de radio.

2.      Le Fiskeriverket fixe le nombre de navires titulaires d’une autorisation spécifique qui peuvent se trouver en même temps dans la zone du pays tiers.

3.      Il y a lieu de respecter les dispositions réglementaires que les autorités du pays tiers peuvent être amenées à adopter.

4.      Le Fiskeriverket peut fixer des conditions supplémentaires.

Pêche effectuée sur la base d’accords spécifiques de pêche dans les eaux de pays tiers, sur les quotas d’un autre pays et dans les eaux internationales en dehors de la zone de pêche ou de la zone économique

Article 3

La pêche dans les eaux d’un pays tiers à l’aide d’un navire de pêche suédois disposant d’une autorisation de pêche professionnelle dans un cas autre que celui visé à l’article 1er, sur les quotas d’un autre pays ou dans les eaux internationales en dehors de la zone de pêche ou de la zone économique n’est autorisée que sur la base d’une autorisation spéciale délivrée par le Fiskeriverket.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      Il ressort de la décision de renvoi que M. Ahlström, représentant légal de Fiskeri Ganthi, propriétaire du navire Aldo, et M. Kjellberg, représentant légal de Fiskeri Nordic, propriétaire du navire Nordic IV, sont poursuivis, sur le fondement des articles 24 et 40 de la loi sur la pêche, ainsi que des chapitres 3, article 1er, et 4, article 3, des dispositions réglementaires du Fiskeriverket, pour avoir, durant la période allant du mois d’avril 2007 au mois de mai 2008 inclus, intentionnellement ou par imprudence grave, pratiqué la pêche professionnelle au large du Sahara occidental avec ces navires immatriculés au registre des navires suédois, alors qu’ils ne possédaient et ne détenaient pas à bord les autorisations nécessaires délivrées par le Fiskeriverket, à savoir les autorisations générales de pêche professionnelle et les autorisations spécifiques de pêche dans les eaux concernées conformément à l’accord de pêche.

18      Subsidiairement, le Kammaråklagaren (ministère public) a fondé lesdites poursuites sur les articles 40 de la loi sur la pêche, 3 du règlement (CE) no 1281/2005 de la Commission, du 3 août 2005, concernant la gestion des licences de pêche et les informations minimales qu’elles doivent contenir (JO L 203, p. 3), et 22, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO L 358, p. 59), en combinaison avec l’article 6 de l’accord de pêche.

19      Au soutien desdites poursuites, le Kammaråklagaren a fait valoir, notamment, que lesdits navires, dont l’équipage était composé de pêcheurs suédois et marocains, ont pratiqué de manière continue la pêche au chalut, laquelle a généré au total des recettes s’élevant au moins à 14 millions de couronnes suédoises (SEK) en 2007 et à 6 millions de SEK en 2008. Il a qualifié les infractions de graves en raison du fait qu’elles ont été commises de manière systématique durant une longue période, qu’elles portent sur une activité particulièrement importante et que les prises sont d’une grande valeur.

20      MM. Ahlström et Kjellberg nient les faits qui leur sont reprochés et contestent leur responsabilité pénale. Ils font valoir que les navires de pêche Aldo et Nordic IV ont, par un contrat d’affrètement dit de «coque nue», été loués à la société marocaine Atlas Pelagic, laquelle dispose de ses propres droits de pêche dans les eaux territoriales marocaines ainsi que des droits de pêche d’autres personnes marocaines. Cette société aurait, dans le cadre de son activité, pris en location les deux navires et en aurait disposé de manière autonome. Selon eux, aucune autorisation des autorités suédoises ou d’une autre autorité européenne n’était requise pour exercer cette activité, les dispositions réglementaires du Fiskeriverket ne s’appliquant pas à l’activité de location exercée par Fiskeri Ganthi et Fiskeri Nordic. Il n’aurait été commis aucune infraction au droit de l’Union, l’article 6, paragraphe 1, de l’accord de pêche, tout comme l’ensemble de cet accord, ne s’appliquant pas aux faits de l’affaire au principal.

21      Le Hovrätten för Västra Sverige (cour d’appel de Suède occidentale), qui est saisi d’un appel formé contre un jugement du Göteborgs tingsrätt (tribunal de première instance de Göteborg), estime qu’il existe une incertitude sur le point de savoir si le droit de l’Union et l’accord de pêche excluent la pêche par des navires communautaires dans les eaux marocaines sans autorisation de l’Union ou de l’un de ses États membres.

22      La juridiction de renvoi considère en substance que l’article 6, paragraphe 2, de l’accord de pêche peut être interprété dans le sens d’une telle exclusion. Cependant, elle relève que, selon certains auteurs, cette disposition autoriserait une interprétation selon laquelle un navire communautaire peut pratiquer la pêche en vertu d’une licence privée délivrée par un pays tiers. Elle ajoute que, dans l’affaire au principal, il est soutenu que les autorités marocaines compétentes ont considéré que l’activité de pêche des deux navires en cause était exercée en conformité avec l’accord de pêche et qu’elles avaient délivré les autorisations nécessaires pour ce faire.

23      C’est dans ces conditions que le Hovrätten för Västra Sverige a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 6, paragraphe 1, de [l’accord de pêche] peut-il être considéré comme une disposition d’exclusivité en ce sens qu’il exclut la possibilité pour les navires communautaires de pratiquer la pêche dans les zones de pêche marocaines sur la base de licences délivrées uniquement par les autorités marocaines compétentes aux propriétaires marocains de quotas de pêche?

2)      L’article 6, paragraphe 1, de [l’accord de pêche] peut-il être considéré comme une disposition d’exclusivité en ce sens qu’il exclut la possibilité de louer des navires communautaires à des sociétés marocaines, par un contrat d’affrètement ‘coque nue’ (conformément à la formule type ‘Barecon 2001’ BIMCO standard Bareboat Charter), pour qu’elles pratiquent la pêche dans les zones de pêche marocaines sur la base de licences délivrées uniquement par les autorités marocaines compétentes aux propriétaires marocains de quotas de pêche?

3)      La réponse à la deuxième question est-t-elle différente dans le cas où le loueur fournit également à la société marocaine un savoir-faire en termes d’administration et d’effectifs ainsi qu’une assistance technique?

4)      [L’accord de pêche] prévoit-il que le Royaume du Maroc développe et pratique parallèlement à [cet] accord sa propre industrie nationale de pêche pélagique au sud du vingt-neuvième parallèle nord? Dans l’affirmative, cet accord octroie-t-il au Royaume du Maroc un droit de louer des navires de pêche battant pavillon d’un État membre de l’[Union européenne] ou d’accorder des licences directement à ces navires, pour sa propre pêche nationale, sans autorisation de [cette dernière]?»

 Sur les questions préjudicielles

24      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’accord de pêche, notamment l’article 6 de celui-ci, doit être interprété en ce sens qu’il exclut toute possibilité pour les navires communautaires d’exercer des activités de pêche dans les zones de pêche marocaines sur le fondement d’une licence délivrée par les autorités marocaines sans l’intervention des autorités compétentes de l’Union.

25      Ladite juridiction s’interroge, en particulier, sur la question de savoir si l’accord de pêche exclut la possibilité, pour pratiquer la pêche dans ces zones de pêche, de louer un navire communautaire, par un contrat d’affrètement «coque nue», à une société marocaine détenant uniquement une licence délivrée par les autorités marocaines compétentes à des propriétaires marocains de quotas de pêche. Elle se demande, en outre, s’il en est de même lorsque le loueur fournit également à cette société un savoir-faire et une assistance technique.

26      Il convient de relever que les parties à l’accord de pêche ont manifesté, dans le préambule de celui-ci, leur volonté d’établir les modalités et les conditions régissant les activités de pêche des navires communautaires dans les zones de pêche marocaines. L’objet de cet accord, tel que défini à son article 1er, est d’établir les principes, règles et procédures régissant notamment les conditions d’accès de ces navires auxdites zones de pêche. Ledit accord ne prévoyant aucune exception à ces conditions, il en résulte que sont soumis à celles-ci tous les navires communautaires – qui, selon l’article 2, sous d), de l’accord de pêche, sont les navires battant pavillon d’un État membre de la Communauté enregistrés dans cette dernière – voulant exercer des activités de pêche dans ces zones.

27      Ainsi, l’article 6 de l’accord de pêche, relatif aux conditions d’exercice de la pêche, prévoit, à son paragraphe 1, que les navires communautaires ne peuvent exercer des activités de pêche dans les zones de pêche marocaines que s’ils détiennent une licence délivrée dans le cadre de cet accord de pêche.

28      Selon le libellé même de ladite disposition, l’exercice des activités de pêche par les navires communautaires dans les zones de pêche marocaines est subordonné à la détention d’une licence, délivrée par les autorités compétentes du Royaume du Maroc, sur demande des autorités compétentes de l’Union. L’article 6, paragraphe 2, de l’accord de pêche prévoit, par ailleurs, que des licences peuvent être octroyées à des navires communautaires par lesdites autorités pour des catégories de pêches non prévues par le protocole, mais que, dans le cadre de l’esprit de partenariat instauré par l’accord de pêche, l’octroi de telles licences «reste tributaire d’un avis favorable de la Commission européenne».

29      Il en découle qu’une intervention des autorités compétentes de l’Union est toujours requise pour qu’un navire communautaire soit autorisé à exercer des activités de pêche dans les zones de pêche marocaines et, par conséquent, qu’un tel navire ne peut exercer dans celles-ci de telles activités en vertu d’une licence délivrée par les autorités marocaines compétentes sans une telle intervention.

30      À cet égard, il convient d’observer que le règlement no 3317/94 établissait, à son article 5, la procédure à suivre par l’État membre du pavillon et la Commission en vue de l’obtention des licences de pêche délivrées par des pays tiers en vue d’exercer des activités de pêche dans le cadre des possibilités de pêche accordées à la Communauté en vertu d’un accord de pêche, en chargeant la Commission de procéder à un examen des demandes d’obtention de telles licences avant de les transmettre au pays tiers concerné. Ce règlement soumettait en outre, ainsi que cela ressort tant de son deuxième considérant que de ses articles 1er, paragraphe 2, 2 et 3, la possibilité pour les navires communautaires d’exercer des activités de pêche dans les eaux d’un pays tiers, au titre d’un accord de pêche conclu entre la Communauté et ce pays tiers, à une autorisation de pêche octroyée par l’État membre du pavillon.

31      Il doit en outre être relevé qu’octroyer la possibilité aux navires communautaires d’accéder aux zones de pêche marocaines pour y exercer des activités de pêche en s’affranchissant de cette intervention des autorités compétentes de l’Union irait à l’encontre de l’objectif de l’accord de pêche visant, ainsi que cela ressort de son préambule et de ses articles 1er et 3, à instaurer une pêche responsable dans ces zones de pêche pour assurer la conservation sur le long terme et l’exploitation durable des ressources halieutiques, notamment par la mise en œuvre d’un régime de contrôle portant sur l’ensemble des activités de pêche afin d’assurer l’efficacité des mesures de conservation et de gestion de ces ressources. Une telle possibilité pourrait en effet être de nature à augmenter l’accès des navires communautaires à ces zones de pêche et à intensifier dans celles-ci l’exploitation par ces navires de ces ressources, et ce sans le contrôle des autorités compétentes de l’Union.

32      De même, un accès des navires communautaires aux zones de pêche marocaines en dehors des prévisions de l’accord de pêche ne serait pas en adéquation avec le fondement et la finalité de la contrepartie financière octroyée par l’Union au Royaume du Maroc en vertu de l’article 7 de cet accord, consistant, selon ce même article, à compenser financièrement l’accès des navires communautaires aux zones de pêche marocaines et à apporter un appui financier à l’instauration de la politique nationale de la pêche fondée sur une pêche responsable et l’exploitation durable des ressources halieutiques dans les eaux marocaines.

33      Dès lors, il ne saurait être admis que des navires communautaires accèdent aux zones de pêche marocaines pour y exercer des activités de pêche en concluant à cette fin un contrat d’affrètement «coque nue» avec une société marocaine détenant une licence délivrée par les autorités marocaines à des propriétaires marocains de quotas de pêche ou en utilisant tout autre instrument juridique afin d’accéder à ces zones de pêche pour y exercer de telles activités en dehors du cadre de l’accord de pêche et, partant, sans l’intervention des autorités compétentes de l’Union.

34      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’accord de pêche, notamment son article 6, doit être interprété en ce sens qu’il exclut toute possibilité pour les navires communautaires d’exercer des activités de pêche dans les zones de pêche marocaines sur le fondement d’une licence délivrée par les autorités marocaines sans l’intervention des autorités compétentes de l’Union.

 Sur les dépens

35      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc, approuvé au nom de la Communauté par le règlement (CE) no 764/2006 du Conseil, du 22 mai 2006, notamment son article 6, doit être interprété en ce sens qu’il exclut toute possibilité pour les navires communautaires d’exercer des activités de pêche dans les zones de pêche marocaines sur le fondement d’une licence délivrée par les autorités marocaines sans l’intervention des autorités compétentes de l’Union européenne.

Signatures


* Langue de procédure: le suédois.