Language of document : ECLI:EU:C:2012:398

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO Cruz Villalón

présentées le 28 juin 2012 (1)

Affaire C‑124/11

Bundesrepublik Deutschland

contre

Karen Dittrich

Affaire C‑125/11

Bundesrepublik Deutschland

contre

Robert Klinke

Affaire C‑143/11

Jörg-Detlef Müller

contre

Bundesrepublik Deutschland

[demande de décision préjudicielle
formée par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne)]

«Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Réglementation nationale prévoyant une aide versée aux fonctionnaires en cas de maladie – Membres de la famille susceptibles d’être couverts par l’aide – Exclusion des partenaires enregistrés – Champ d’application de la directive 2000/78/CE – Notion de rémunération»





1.        Dans le cadre de trois procédures judiciaires relatives au point de savoir si les partenaires stables enregistrés («partenaires de vie») ont droit au bénéfice d’une prestation que le droit allemand garantit aux couples mariés, le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne) demande à la Cour de lui indiquer si la revendication en question peut être fondée sur le principe de l’égalité de traitement imposé par le droit de l’Union en matière d’emploi et de travail.

2.        Les présentes questions préjudicielles offrent à la Cour la possibilité d’affiner sa jurisprudence en ce qui concerne le champ d’application de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (2). Il s’agit à cette occasion de déterminer si ladite directive est applicable aux aides versées aux fonctionnaires fédéraux en cas de maladie.

3.        À cette fin, il sera nécessaire d’examiner si ces aides constituent une rémunération au sens de la directive 2000/78, dont l’applicabilité aux faits ayant donné lieu aux litiges au principal dépend – selon une interprétation combinée de son considérant 13 et de son article 3, paragraphe 1, sous c) – du fait que l’aide en question est assimilée à une «rémunération» au sens donné à ce terme par l’article 141 du traité CE (aujourd’hui l’article 157 TFUE). Pour cela, il sera nécessaire de développer les critères employés par la Cour dans sa jurisprudence en la matière, jurisprudence limitée à ce jour au cas des pensions de retraite, et, parallèlement, de déterminer en même temps la portée de l’inapplicabilité de la directive 2000/78, conformément à l’article 3, paragraphe 3, aux paiements effectués par les régimes publics ou assimilés.

I –    Le cadre législatif

A –    Droit de l’Union

4.        Selon le considérant 13 de la directive 2000/78:

«La présente directive ne s’applique pas aux régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 141 du traité CE ni aux versements de toute nature effectués par l’État qui ont pour objectif l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi.»

5.        Selon l’article 1er de la directive 2000/78:

«La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.»

6.        En vertu de l’article 2 de la directive 2000/78:

«1.      Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1:

a)      une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;

[…]»

7.        L’article 3 de la directive 2000/78 définit le champ d’application de celle-ci comme suit:

«1. Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

[…]

c)      les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;

[…]

3. La présente directive ne s’applique pas aux versements de toute nature effectués par les régimes publics ou assimilés, y compris les régimes publics de sécurité sociale ou de protection sociale.

[…]»

B –    Droit national

1.      Les dispositions nationales relatives au partenariat de vie enregistré

8.        La loi relative au partenariat de vie enregistré (Gesetz über die Eingetragene Lebenspartnerschaft, ci-après le «LPartG»), du 16 février 2001 (3), dans sa version modifiée par l’article 7 de la loi du 6 juillet 2009 (4), dispose en son article 1, paragraphe 1, que:

«Deux personnes de même sexe concluent un partenariat de vie en déclarant devant un officier d’état civil, en personne et en présence l’une de l’autre, qu’elles souhaitent établir ensemble un partenariat de vie (partenaires de vie). Les déclarations ne peuvent être faites sous condition ni pour une durée déterminée.»

9.        Selon l’article 5 du LPartG, les partenaires de vie «sont mutuellement tenus de contribuer de manière adéquate aux besoins de la communauté partenariale […]».

2.      Les dispositions nationales relatives à l’aide octroyée aux fonctionnaires

10.      Le droit des fonctionnaires fédéraux à l’octroi de l’aide en cas de maladie est consacré dans la loi allemande sur les fonctionnaires fédéraux (Bundesbeamtengesetz, ci après le «BBG»). Selon l’article 80 du BBG, cette aide est octroyée, dans certaines circonstances, au conjoint du fonctionnaire fédéral et aux enfants à sa charge.

11.      En vertu des dispositions réglementaires applicables jusqu’au 14 février 2009, le droit à l’aide était reconnu au conjoint du fonctionnaire fédéral et aux enfants à sa charge, mais non à la personne avec laquelle il a conclu un partenariat de vie enregistré. Il ne s’agissait, en aucun cas, d’une aide inconditionnelle, étant donné que, s’agissant du conjoint, l’aide ne lui était accordée que si ses revenus étaient inférieurs à 18 000 euros ou si, malgré une assurance maladie, il ne percevait pas de prestations au titre de cette assurance ou que ces prestations avaient été suspendues indéfiniment en raison d’une cause d’exclusion individuelle liée à une maladie congénitale ou certaines maladies. Il existait donc un droit à l’aide en cas de dépendance financière du conjoint d’une personne ayant droit à ladite aide, soit en raison d’un revenu trop faible, soit en raison d’une couverture insuffisante de son assurance maladie ne lui étant pas imputable.

12.      En vertu des dispositions de l’article 80, paragraphe 4, du BBG, le ministère fédéral des Affaires intérieures a adopté le règlement fédéral relatif à l’aide octroyée aux fonctionnaires en cas de maladie, de soins et de maternité [Verordnung über Beihilfe in Krankheits-, Pflege- und Geburtsfällen (Bundesbeihilfeverordnung), ci après la «BBhV»], du 13 février 2009 (5), qui, pour ce qui nous importe ici, maintient le régime antérieur, en excluant les partenaires de vie des bénéficiaires des aides en cas de maladie.

13.      Postérieurement aux faits litigieux, une réforme législative est intervenue en vertu de laquelle les partenaires de vie ont été inclus parmi les bénéficiaires de l’aide litigieuse, mais cette dernière est sans incidence pour la résolution des litiges au principal (6).

II – Les faits

14.      Les demandeurs au principal, fonctionnaires fédéraux, ont conclu des partenariats de vie, leurs partenaires de vie respectifs dépendant économiquement de chacun d’eux.

15.      Dans les affaires C‑124/11 et C‑125/11, après avoir réclamé le bénéfice des aides étatiques en cas de maladie et essuyé un refus de l’administration, les demandeurs au principal ont obtenu gain de cause devant le Verwaltungsgericht Berlin, qui a estimé que, si les partenaires de vie ne figurent pas parmi les bénéficiaires des aides, ils ont, malgré tout, droit à ces aides en vertu de la directive 2000/78, lorsque ces aides constituent, selon la jurisprudence de la Cour, une «rémunération» au sens de cette directive, ces dernières étant versées uniquement en raison de l’emploi et non pas en tant que prestations du régime public général de sécurité sociale ou de protection sociale.

16.      Au contraire, dans l’affaire C‑143/11, le demandeur au principal a vu sa demande rejetée tant par l’administration que par la juridiction administrative, au motif qu’il n’y avait aucune violation de la directive 2000/78, la situation d’un conjoint et celle d’un partenaire de vie n’étant pas comparables.

17.      Dans chacun des cas, la partie déboutée a formé un recours en révision devant le Bundesverwaltungsgericht.

18.      La juridiction de renvoi part du principe que la législation nationale n’inclut pas les partenaires de vie parmi les possibles bénéficiaires des aides publiques prévues pour les fonctionnaires fédéraux en cas de maladie, mais que les conjoints des fonctionnaires figureraient parmi les bénéficiaires des aides.

19.      Le Bundesverwaltungsgericht s’interroge sur l’applicabilité de la directive 2000/78 aux cas d’espèce objet des procédures au principal. Dans l’hypothèse où la directive serait applicable, cela aurait pour conséquence que les partenaires de vie devraient bénéficier du même traitement que les conjoints, de sorte que les demandeurs au principal auraient droit à l’aide publique litigieuse.

20.      La juridiction de renvoi considère que l’applicabilité de la directive 2000/78 dépend de la qualification juridique de l’aide publique en question. Concrètement, elle dépendrait du point de savoir si cette dernière constitue un élément de la rémunération au sens de l’article 157 TFUE – cas dans lequel la directive 2000/78 serait applicable – ou si elle correspond à une prestation du régime de la sécurité sociale ou à l’équivalent, auquel cas elle serait exclue du champ d’application de la directive.

21.      Selon le Bundesverwaltungsgericht, les critères qui ont été définis par la Cour pour distinguer entre les pensions de retraite en fonction de l’origine de leur financement ne sont pas appropriés dans le cadre des régimes de protection maladie. Et ce, notamment, parce que les aides au titre de la protection maladie ne dépendent pas de la durée de service dans le statut de fonctionnaire.

III – Les questions posées

22.      Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, dans chacune des affaires au principal, la question préjudicielle suivante:

«La directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, est-elle applicable aux dispositions nationales concernant l’aide versée aux fonctionnaires en cas de maladie?»

IV – La procédure devant la Cour

23.      Les questions préjudicielles ayant donné lieu aux affaires C‑124/11 et C‑125/11 ont été enregistrées au greffe de la Cour le 9 mars 2011, celle ayant donné lieu à l’affaire C-143/11 l’ayant été le 24 mars 2011.

24.      Les trois questions préjudicielles ont fait l’objet d’une jonction par ordonnance du président de la Cour du 27 mai 2011.

25.      Mme Karen Dittrich, MM. Robert Klinke et Jörg-Detlef Müller, ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites.

26.      Lors de l’audience, qui a eu lieu le 3 mai 2012, les représentants des parties ont comparu et formulé des observations orales.

27.      Dans la lettre de convocation à l’audience, les parties ont été invitées à apporter des précisions par écrit en ce qui concerne le mode de financement de l’aide en cause, et d’indiquer, en particulier, si cette aide est financée, en tout ou partie, par des cotisations versées par la République fédérale d’Allemagne en qualité d’employeur des fonctionnaires fédéraux, ou par le budget de la sécurité sociale. Le délai imparti pour répondre expirait le 13 avril 2012.

V –    Arguments des parties

28.      Les demandeurs au principal soutiennent que la directive 2000/78 est applicable à l’aide litigieuse. Ils justifient cette affirmation par le fait que, selon eux, et conformément à la jurisprudence de la Cour, d’une part, toute rémunération au sens de l’article 157 TFUE tombe dans le champ d’application de la directive et que, d’autre part, la notion d’emploi comprend aussi la relation qui lie le fonctionnaire à l’État (7).

29.      Les demandeurs au principal soutiennent que la qualification de l’aide comme rémunération ne saurait être contestée par le fait que son régime est fixé par la loi, le législateur n’agissant dans ce cas que comme employeur et non pas en tant que pouvoir public. L’argument selon lequel les fonctionnaires constituent une catégorie générale de travailleurs ne serait pas non plus pertinent, les demandeurs au principal invoquant à cet égard l’arrêt du 17 mai 1990, rendu dans l’affaire Barber (8); de même, enfin, que le fait que l’aide ne dépend pas de la durée de la relation de travail et que son montant n’est pas calculé sur les derniers traitements perçus. En définitive, les demandeurs au principal soutiennent que ces éléments peuvent être pertinents s’agissant de déterminer la nature des pensions de retraite, mais non pas pour déterminer si l’aide litigieuse constitue ou non une rémunération.

30.      La Commission, pour sa part, partage l’analyse des demandeurs au principal. Après avoir rappelé que, conformément à la jurisprudence, la notion de rémunération doit être interprétée de manière large, en y incluant, par conséquent, toute prestation ou rémunération octroyée au travailleur en raison de son activité, que ce soit en vertu d’un contrat, de dispositions légales ou d’une décision de justice, la Commission fait valoir que la Cour a toujours considéré que, en matière de pensions de retraite, l’unique critère déterminant – mais non exclusif – a été celui selon lequel la pension a été accordée en raison de la relation de travail qui liait le travailleur à son ancien employeur. À ce premier critère s’ajoutent trois autres critères supplémentaires qui permettent de qualifier une pension de retraite de prestation octroyée au titre d’un régime professionnel de sécurité sociale et, par conséquent, de rémunération au sens de l’article 157 TFUE, la distinguant ainsi d’une prestation accordée en vertu d’un régime public de sécurité sociale, à savoir: a) que la pension ne soit pas reconnue à une catégorie particulière de travailleurs; b) qu’elle dépende directement du temps travaillé; c) que son montant soit calculé à partir du dernier salaire.

31.      En ce qui concerne l’aide en cause, la Commission souligne, en premier lieu, qu’elle constitue une prestation reconnue à une catégorie particulière de travailleurs; en second lieu, qu’elle est accordée en raison d’une relation d’emploi et qu’elle est liée à un traitement ou à une pension de fonctionnaire, d’où il suit qu’elle constitue un élément de cette rémunération. Elle estime, en troisième lieu, que les autres critères établis par la jurisprudence en matière de pensions ne sont pas pertinents en l’espèce, étant donné que la Cour n’a appliqué le critère du temps de service et celui du calcul sur la base du dernier traitement perçu que pour déterminer si les pensions de retraite des fonctionnaires peuvent être considérées comme une rémunération malgré le fait qu’elles ne répondent normalement pas aux critères que la Cour a considérés comme étant caractéristiques d’un régime de retraite privé dans l’arrêt Barber, précité. Et il convient de préciser que, s’agissant de l’aide accordée aux fonctionnaires en cas de maladie, il n’existe pas de régime similaire dans le cadre du droit privé. Pour cette raison, il serait impossible de s’appuyer sur des régimes de droit privé analogues pour déterminer des critères de délimitation par rapport au régime de sécurité sociale légal.

32.      En conséquence, le seul élément déterminant est que l’aide en question est accordée en vertu de la relation d’emploi avec l’État et que ce dernier agit en tant qu’employeur et non au titre de caisse maladie d’un régime légal public. Cette aide doit donc être qualifiée de rémunération au sens de l’article 157 TFUE, sans que l’on puisse opposer le fait qu’elle est accordée en vertu de dispositions légales ou qu’elle réponde également à des considérations de politique sociale.

33.      En réponse à l’invitation adressée aux parties, mentionnée au point 24 des présentes conclusions, les demandeurs au principal et le gouvernement allemand ont répondu que l’aide litigieuse était financée par la République fédérale d’Allemagne en sa qualité d’employeur, la sécurité sociale n’ayant aucune part au financement de cette aide.

VI – Appréciation

A –    Considérations préliminaires

34.      Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, les questions préjudicielles jointes ont pour objet l’applicabilité de la directive 2000/78 s’agissant du point de savoir si les «partenaires de vie» au sens de la législation d’un État membre ont droit au bénéfice d’une prestation que ce droit garantit aux couples mariés.

35.      Les présentes questions préjudicielles ne vont pas au-delà de cette question. Nous tenons à préciser que les questions préjudicielles ne portent pas sur le point de savoir si le droit des demandeurs au principal à être traités de la même manière que les personnes mariées a été méconnu ou non, mais uniquement sur celui de savoir si les conditions permettant de considérer que les litiges au principal doivent être résolus par application de la directive 2000/78 sont réunies ou non.

36.      Il n’est donc pas demandé à la Cour de se prononcer sur l’existence d’une éventuelle discrimination, mais seulement de dire si la condition permettant à la juridiction de renvoi de résoudre les litiges au principal en faisant application de la directive est réunie ou non. À cette fin, il doit suffire de déterminer si les aides litigieuses constituent ou non une rémunération au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, cette question dépendant du point de savoir si l’aide litigieuse peut être assimilée à une «rémunération» au sens de l’article 157 TFUE, disposition à laquelle la directive, en son considérant 13, renvoie pour définir ce terme.

B –    Les conditions d’applicabilité de la directive 2000/78

37.      Comme le signale à juste titre le Bundesverwaltungsgericht, l’applicabilité de la directive 2000/78 dépend du point de savoir si l’aide litigieuse peut être qualifiée de «rémunération» au sens de l’article 157 TFUE.

38.      En effet, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/78 dispose que «la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne: […] c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération».

39.      S’agissant, comme c’est le cas en l’espèce, d’une prestation versée par une autorité publique, il est nécessaire d’examiner l’exception prévue au même article 3 de la directive 2000/78, dont le paragraphe 3 dispose que «[l]a présente directive ne s’applique pas aux versements de toute nature effectués par les régimes publics ou assimilés, y compris les régimes publics de sécurité sociale ou de protection sociale».

40.      Cette exception doit cependant être lue en combinaison avec les dispositions du considérant 13 de la directive 2000/78, selon lequel «[l]a présente directive ne s’applique pas aux régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 141 du traité CE ni aux versements de toute nature effectués par l’État qui ont pour objectif l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi».

41.      Cette interprétation combinée de l’article 3, paragraphe 3, et du considérant 13 de la directive, interprétation que la Cour a retenue dans son arrêt Maruko (9), suppose que toutes les prestations versées par les pouvoirs publics ne soient pas exclues de l’application de la directive 2000/78, et que toutes celles qui sont versées, parmi les pouvoirs publics, par les organismes de sécurité sociale, n’en soient pas non plus exclues, mais que seules le soient celles qui, versées par ces organismes, ne peuvent être considérées comme des «rémunérations» au sens de l’(actuel) article 157 TFUE.

1.      La notion de «rémunération»

42.      Pour répondre à la question posée, il est par conséquent nécessaire de résoudre une question très concrète, celle de savoir si l’aide litigieuse constitue ou non une «rémunération» au sens de l’article 157 TFUE, disposition à laquelle renvoie, comme nous l’avons déjà indiqué, la directive 2000/78 pour définir la notion de rémunération employée en son article 3, paragraphe 1, sous c). Comme nous le verrons, en recherchant si chacun des trois éléments constitutifs de la notion de «rémunération» est présent, le bien-fondé de l’exception résultant de l’interprétation combinée de l’article 3, paragraphe 3, et du considérant 13 de la directive 2000/78 apparaîtra avec évidence. Cette dernière, en définitive, ne fait rien d’autre que préciser une conséquence découlant nécessairement de la notion même de «rémunération».

43.      L’article 157 TFUE définit la rémunération comme «le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier». Cette notion présente par conséquent un élément matériel (le salaire ou le traitement et les autres avantages) et un élément subjectif (l’employeur et le travailleur), ainsi qu’un élément causal (l’emploi). Il convient donc d’examiner si tous ces éléments sont réunis s’agissant de l’aide litigieuse.

44.      Pour ce qui est de l’élément matériel, il ne fait pas de doute que la référence contenue dans l’article 157 TFUE à «tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature» est suffisamment large pour couvrir le contenu de l’aide litigieuse. Grâce à cette aide, en effet, le travailleur obtient le remboursement de 50 à 80 % des dépenses de santé que ce dernier ou certaines personnes à sa charge ont pu exposer (10).

45.      De même, il nous semble que l’élément causal est réuni en l’espèce. L’aide est réservée, en effet, aux fonctionnaires fédéraux en tant que tels et du fait qu’ils ont cette qualité. Qui plus est, elle leur est réservée dans la mesure où, outre le fait d’être fonctionnaires fédéraux, ils travaillent effectivement en cette qualité. C’est ce qu’il ressort des dispositions de l’article 2, paragraphe 2, de la BBhV, en vertu duquel le droit à l’aide n’est pas affecté par un congé sans solde, à condition que ce congé ne dure pas plus d’un mois. Le lien de causalité entre l’aide litigieuse et l’emploi nous paraît donc évident (11).

46.      Reste enfin l’élément le plus épineux. L’aide en question constitue une prestation en espèces à laquelle a droit le fonctionnaire fédéral en vertu de la relation de travail qui le lie à l’administration fédérale. Pourtant, s’agit-il bien d’une prestation versée «par l’employeur au travailleur», comme l’exige l’article 157 TFUE? C’est là que réside, à notre avis, le nœud de la question.

2.      En particulier, le financement de la prestation matérielle

47.      Une prestation reçue par un travailleur en raison de la relation de travail qui le lie à son employeur ne constitue une «rémunération» au sens de l’article 157 TFUE que si celui qui la verse est, précisément, l’employeur lui-même. D’autres prestations parmi celles dont peut bénéficier le travailleur, y compris en raison de l’emploi, demeurent ainsi exclues de la définition qui nous occupe ici et, par conséquent, l’application à ces dernières des règles en matière de lutte contre la discrimination doit être recherchée en dehors de la directive 2000/78.

48.      C’est la raison pour laquelle toutes les prestations de sécurité sociale ne peuvent pas être couvertes par la notion de «rémunération», mais uniquement celles qui, en plus de constituer une rémunération «en raison de l’emploi», sont versées par l’employeur, même si c’est par le biais d’un organisme de la sécurité sociale, c’est-à-dire de manière indirecte.

49.      Ainsi que l’a jugé très tôt la Cour, dans son arrêt du 25 mai 1971, Defrenne (12), les régimes de sécurité sociale «assurent aux travailleurs le bénéfice d’un système légal au financement duquel travailleurs, employeurs et éventuellement les pouvoirs publics contribuent dans une mesure qui est moins fonction du rapport d’emploi entre employeur et travailleur que de considérations de politique sociale» (point 8), de sorte que «la part incombant aux employeurs dans le financement de pareils systèmes ne constitue pas un paiement direct ou indirect au travailleur» (point 9), et que, d’ailleurs, «ce dernier bénéficiera normalement des prestations légalement prévues, non en raison de la contribution patronale, mais du seul fait qu’il réunit les conditions légales exigées pour l’octroi de la prestation» (point 10).

50.      Le fait que la directive 2000/78 ne s’applique pas «aux régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération au sens donné à ce terme pour l’application de l’article [157 TFUE]» (considérant 13) implique, puisque cette assimilation n’est possible que si la prestation perçue par le travailleur est versée par son employeur, qu’il est nécessaire de déterminer si le financement du régime de sécurité sociale incombe sur ce point à l’employeur, au travailleur ou à la puissance publique. Et c’est seulement dans la mesure où le financement par l’employeur est établi et qu’il est possible de conclure que le régime de sécurité sociale sert en réalité une prestation qui est indirectement à charge de ce dernier que l’on pourra affirmer qu’il s’agit d’une «rémunération» au sens de l’article 157 TFUE.

51.      Cette analyse est également valable pour les organismes de sécurité sociale, en particulier, et pour tous les régimes publics de financement de prestations professionnelles, en général. Et la raison en est que, parce qu’il est déterminant que la prestation soit payée en dernier lieu par l’employeur, le fait qu’il la verse de manière directe ou par le biais d’un intermédiaire est dénué de pertinence, tout comme, dans ce dernier cas, le point de savoir si le payeur interposé est une entité privée ou une institution publique, quels qu’ils soient, s’il s’agit d’une personne de droit public, la forme de sa personnalité morale et son régime de fonctionnement importent peu.

52.      Cela implique qu’il est nécessaire, dans chaque cas, de déterminer l’origine du financement de la prestation reconnue au travailleur. Si l’on se base sur le payeur final, une fois que l’on a constaté qu’il ne s’agit pas de l’employeur, il est nécessaire de vérifier si ce dernier n’est pas un simple intermédiaire de l’employeur. S’agissant de prestations versées par des organismes publics, en général, ou de sécurité sociale, en particulier, il conviendra de déterminer si ces prestations sont financées par des cotisations incombant à l’employeur ou si elles sont financées par des cotisations à charge d’autres contribuables, des travailleurs eux-mêmes, des pouvoirs publics, ou des uns et des autres en différentes proportions. Ainsi qu’il apparaît clairement, compte tenu des disparités observées parmi les États membres à cet égard, il est évident que cette tâche ne peut incomber qu’aux juridictions nationales respectives.

53.      Selon nous, le critère de la charge du financement – combiné avec celui du contenu matériel de la prestation et celui de sa «cause» liée à l’emploi – peut s’avérer plus utile, en raison de son caractère intrinsèquement transversal, que celui de la distinction des bénéficiaires de la prestation ou celui de la plus ou moins grande proximité de celle-ci avec d’autres prestations équivalentes dans le cadre de l’assurance maladie privée.

54.      Ce critère doit servir également, selon nous, pour les prestations consistant en une pension de retraite comme pour celles ayant pour objet une aide en cas de maladie. S’agissant d’une prestation matérielle versée en raison de l’emploi, ce qui importe est uniquement de savoir si la source du financement est ou non l’employeur. Il nous semble que les avantages que présente cette formule pour simplifier le problème de la qualification d’une prestation en tant que «rémunération» au sens de l’article 157 TFUE ne sont pas contestables (13).

C –    Le cas des litiges au principal

55.      Pour ce qui est des litiges au principal ayant donné lieu aux questions préjudicielles, il ressort des informations qui ont été communiquées à la Cour que les prestations en cause naissent de la relation de travail qui lie les fonctionnaires fédéraux à l’administration fédérale et que leur financement découle directement du niveau fédéral, ce financement étant constitué par des fonds publics versés par l’État membre en tant qu’employeur desdits fonctionnaires fédéraux.

56.      Dans ces conditions, tout concourt à laisser penser, sur la base des raisons exposées dans les présentes conclusions, que les prestations en cause méritent en l’espèce d’être qualifiées de «rémunération» au sens de l’article 157 TFUE, d’où il découle que la directive 2000/78 est applicable aux dispositions nationales qui les régissent.

57.      En résumé, il appartient à la juridiction nationale de vérifier en dernière instance si, en effet, le financement des prestations en question incombe, compte tenu de leur régime spécifique, à l’État membre en tant qu’employeur des fonctionnaires concernés dans les procédures au principal.

VII – Conclusion

58.      À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à la question posée dans les termes suivants:

«La directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, est applicable aux dispositions nationales en matière d’aides étatiques accordées aux fonctionnaires en cas de maladie si leur financement incombe, à titre principal, à l’État en tant qu’employeur public, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.»


1 – Langue originale: l’espagnol.


2 – JO L 303, p. 16.


3 – BGBl. I, p. 266.


4 – BGBl. I, p. 1696.


5 –      BGBl. I, p. 3226.


6 – Réforme de la BBhV du 13 juillet 2011 (BGBl. I, p. 1394).


7 – Arrêts du 23 octobre 2003, Schönheit et Becker (C‑4/02 et C‑5/02, Rec. p. I‑12575), et du 1er avril 2008, Maruko (C‑267/06, Rec. p. I‑1757).


8 – C‑262/88, Rec. p. I‑1889, point 26.


9 – Et, plus récemment, l’arrêt du 10 mai 2011, Römer (C‑147/08, Rec p. I‑3591, point 32).


10 – La Cour applique de manière constante un critère très large lorsqu’il s’agit de définir le contenu matériel de la notion de «rémunération». Ainsi, elle a jugé que constituent une rémunération des avantages en matière de transport (arrêt du 9 février 1982, Garland, 12/81, Rec. p. 359, point 9), des gratifications de Noël (arrêt du 9 septembre 1999, Krüger, C‑281/97, Rec. p. I‑5127, point 17) ou des indemnisations pour participation à des stages de formation (arrêt du 4 juin 1992, Bötel, C‑360/90, Rec. p. I‑3589, points 12 à 15). Rien ne s’oppose, selon nous, à ce que l’on ajoute à cette liste une rémunération telle que celle qui nous occupe ici.


11 – Il importe peu, nous semble-t-il, que la prestation en laquelle consiste matériellement la rémunération corresponde à l’une ou l’autre finalité. Peu importe qu’il s’agisse d’une contreprestation stricto sensu, d’un encouragement à la productivité ou d’une mesure visant à l’amélioration des conditions de travail. Ce qui est déterminant en l’espèce, c’est la cause de la prestation, et non pas la finalité qu’elle poursuit. La prestation doit découler d’une relation de travail (qui est, par conséquent, constitutive de sa «raison», pour reprendre les termes de l’article 157 TFUE) et peut répondre à tous les objectifs que l’employeur peut légitimement arrêter.


12 – 80/70, Rec. p. 445.


13 – De même aux fins d’un certain degré d’uniformisation matériel entre les régimes des États membres, au-delà des différences formelles qui résultent de leurs systèmes respectifs de sécurité sociale et d’assistance publique ainsi que de leur liberté d’organisation en la matière. On pourra se reporter sur ce point à Krebber, S., «Art.157», dans Callies, C., et Ruffert, M., EUV/AEUV, 4e éd., Ch. Beck, Munich, 2011, n° 28.