Language of document : ECLI:EU:C:2017:913

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

29 novembre 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Article 5, paragraphe 2, sous b) – Exception de copie privée – Article 3, paragraphe 1 – Communication au public – Mode technique spécifique – Fourniture d’un service d’enregistrement vidéo dans le nuage (cloud computing) de copies d’œuvres protégées par le droit d’auteur, sans l’accord de l’auteur concerné – Intervention active du prestataire du service dans ledit enregistrement »

Dans l’affaire C‑265/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Torino (tribunal de Turin, Italie), par décision du 4 mai 2016, parvenue à la Cour le 12 mai 2016, dans la procédure

VCAST Limited

contre

RTI SpA,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), M. Safjan, D. Šváby et M. Vilaras, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 mars 2017,

considérant les observations présentées :

–        pour VCAST Limited, par Mes E. Belisario, F. G. Tita, M. Ciurcina et G. Scorza, avvocati,

–        pour RTI SpA, par Mes S. Previti, G. Rossi, V. Colarocco, F. Lepri et A. La Rosa, avvocati,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mmes G. Galluzzo et R. Guizzi, avvocati dello Stato,

–        pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et D. Segoin, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes, M. Figueiredo et T. Rendas, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. L. Malferrari et Mme J. Samnadda, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 septembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10), notamment de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive, de la directive 2000/31/CE du Parlement et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (JO 2000, L 178, p. 1), ainsi que du traité FUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VCAST Limited à RTI SpA au sujet de la légalité de la mise à la disposition des clients de VCAST d’un système d’enregistrement vidéo dans le nuage des programmes télévisés transmis, notamment, par RTI.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2000/31

3        Aux termes de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31 :

« Les États membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre. »

4        L’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/31 prévoit que, notamment, l’article 3, paragraphe 2, de cette directive n’est pas applicable aux domaines visés à l’annexe de cette directive, ladite annexe visant, notamment, le droit d’auteur et les droits voisins.

 La directive 2001/29

5        Aux termes du considérant 1 de la directive 2001/29 :

« Le traité prévoit l’établissement d’un marché intérieur et l’instauration d’un système propre à empêcher les distorsions de concurrence dans le marché intérieur. L’harmonisation des dispositions législatives des États membres sur le droit d’auteur et les droits voisins contribue à la réalisation de ces objectifs. »

6        Le considérant 23 de cette directive énonce :

« La présente directive doit harmoniser davantage le droit d’auteur de communication au public. Ce droit doit s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication. Ce droit couvre toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. Il ne couvre aucun autre acte. »

7        L’article 2 de ladite directive dispose :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

a)      pour les auteurs, de leurs œuvres ;

b)      pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;

c)      pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ;

d)      pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films ;

e)      pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite. »

8        Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

9        L’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive prévoit :

« Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction prévu à l’article 2 dans les cas suivants :

[...]

b)      lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non-application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés ».

10      Aux termes de l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive :

« Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »

 Le droit italien

11      L’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 a été transposé dans le droit italien à l’article 71 sexies de la legge n. 633 – Protezione del diritto d’autore e di altri diritti connessi al suo esercizio (loi n° 633, relative à la protection du droit d’auteur et d’autres droits voisins), du 22 avril 1941, dans sa version en vigueur à la date des faits en cause au principal (ci-après la « loi relative au droit d’auteur »). Cet article 71 sexies, qui figure à la section II de cette loi, intitulée « Reproduction privée à usage personnel », dispose :

« 1.      Est autorisée la copie privée de phonogrammes et de vidéogrammes sur tous supports, effectuée par une personne physique pour un usage exclusivement personnel, sans but lucratif et à des fins non directement ni indirectement commerciales, dans le respect des mesures techniques visées à l’article 102 quater.

2.      La reproduction visée au paragraphe 1 ne peut être effectuée par des tiers. La prestation de services conçue pour permettre la reproduction de phonogrammes et de vidéogrammes par une personne physique pour son usage personnel constitue une activité de reproduction régie par les articles 13, 72, 78 bis, 79 et 80. 

[...] »

12      L’article 71 septies de la loi relative au droit d’auteur dispose :

« 1.      Les auteurs et les producteurs de phonogrammes ainsi que les producteurs originaires d’œuvres audiovisuelles, les artistes interprètes et exécutants, les producteurs de vidéogrammes et leurs ayants cause ont droit à une compensation pour la copie privée de phonogrammes et de vidéogrammes visée à l’article 71 sexies. Ladite compensation est constituée, pour les appareils exclusivement destinés à l’enregistrement analogique ou numérique de phonogrammes ou de vidéogrammes, d’une partie du prix payé par l’acquéreur final au détaillant, laquelle est calculée, pour les appareils multifonctionnels, sur le prix d’un appareil ayant des caractéristiques équivalentes à celle du composant interne destiné à l’enregistrement ou, si ce n’est pas possible, d’un montant fixe pour chaque appareil. Pour les supports d’enregistrement audio et vidéo, tels que les supports analogiques, numériques, les mémoires fixes ou transférables destinées à l’enregistrement de phonogrammes ou vidéogrammes, la compensation est constituée d’une somme proportionnée à la capacité d’enregistrement des mêmes supports. Pour les systèmes d’enregistrement vidéo à distance, la compensation visée au présent paragraphe est due par l’opérateur qui fournit le service et est proportionnée à la rémunération obtenue pour la prestation du service lui-même.

2.      La compensation visée au paragraphe 1 est déterminée, dans le respect de la législation communautaire et en tout état de cause en tenant compte des droits de reproduction, par un décret du ministère des Biens et Activités culturels, devant être adopté au plus tard le 31 décembre 2009, sur avis du comité visé à l’article 190 et des associations les plus représentatives des producteurs des appareils et des supports visés au paragraphe 1. Pour déterminer la compensation, il est tenu compte de la présence ou non des mesures techniques visées à l’article 102 quater, de même que de l’incidence différente de la copie numérique par rapport à la copie analogique. Le décret est mis à jour tous les trois ans.

[...] »

13      Aux termes de l’article 102 quater de la loi relative au droit d’auteur :

« 1.      Les titulaires de droits d’auteur et de droits voisins ainsi que du droit visé à l’article 102 bis, paragraphe 3, peuvent appliquer aux œuvres ou objets protégés des mesures techniques de protection efficaces englobant toute technologie, tout dispositif ou tout composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter les actes non autorisés par les titulaires des droits.

2.      Les mesures techniques de protection sont réputées efficaces lorsque l’utilisation de l’œuvre ou de l’objet protégé est contrôlée par les titulaires grâce à l’application d’un dispositif d’accès ou d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’œuvre ou de l’objet protégé, ou si cette utilisation est limitée au moyen d’un mécanisme de contrôle de copie qui atteint l’objectif de protection.

3.      Le présent article ne porte pas atteinte à l’application des dispositions relatives aux programmes d’ordinateur visés au titre I, chapitre IV, partie VI. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      VCAST est une société de droit anglais qui met à la disposition de ses clients, sur Internet, un système d’enregistrement vidéo, dans un espace de stockage dans le nuage (cloud), des émissions d’organismes de télévision italiens transmises par voie terrestre, au nombre desquelles figurent celles de RTI.

15      Il ressort de la décision de renvoi que, en pratique, l’utilisateur choisit une émission sur le site Internet de VCAST, sur lequel figure toute la programmation des chaînes de télévision comprises dans le service fourni par cette société. L’utilisateur peut soit indiquer une émission donnée, soit une plage horaire. Par la suite, le système géré par VCAST capte le signal de télévision à l’aide de ses propres antennes et enregistre la plage horaire d’émission choisie sur l’espace de stockage dans le nuage indiqué par l’utilisateur. Cet espace de stockage est acheté par ce dernier auprès d’un autre fournisseur.

16      VCAST a assigné RTI devant la chambre spécialisée dans le droit des entreprises du Tribunale di Torino (tribunal de Turin, Italie), auquel elle a demandé de constater la légalité de ses activités.

17      En cours d’instance, par une ordonnance de référé du 30 octobre 2015, cette juridiction a accueilli partiellement une demande en référé formée par RTI et a interdit à VCAST, en substance, de poursuivre ses activités.

18      Estimant que l’issue du litige au principal dépend en partie de l’interprétation du droit de l’Union, notamment de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, le Tribunale di Torino (tribunal de Turin) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une disposition nationale qui interdit à un entrepreneur commercial de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur au moyen d’un système informatique dans le nuage, en intervenant activement dans l’enregistrement, sans autorisation du titulaire de droits, est-elle conforme au droit de l’Union, notamment à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive [2001/29] (ainsi qu’à la directive [2000/31] et au traité fondateur) ?

2)      Une disposition nationale qui permet à un entrepreneur commercial de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur au moyen d’un système informatique dans le nuage en intervenant activement dans l’enregistrement, sans autorisation du titulaire de droits, en contrepartie d’une compensation forfaitaire rémunérant le titulaire de droits, ce qui revient en substance à un régime de licence obligatoire, est-elle conforme au droit de l’Union, notamment à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive [2001/29] (ainsi qu’à la directive [2000/31] et au traité fondateur) ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

19      Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi a adopté une ordonnance de référé contenant des mesures d’interdiction provisoire de l’activité exercée par VCAST.

20      Cela étant, ladite juridiction a posé à la Cour deux questions portant sur cette activité, en retenant deux hypothèses opposées, l’une envisageant qu’une législation nationale interdit ladite activité, l’autre supposant que cette dernière est, au contraire, autorisée.

21      Ainsi, il est permis de déduire de ces considérations qu’il n’est pas établi que la législation en cause au principal interdise effectivement une telle activité.

22      Dans ces conditions et afin de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile, la Cour répondra à ces deux questions conjointement, en retenant l’hypothèse dans laquelle une législation nationale autorise l’exercice d’une activité telle que celle en cause au principal.

23      Il convient de constater, par ailleurs, que la juridiction de renvoi interroge la Cour au sujet de la conformité au droit de l’Union de la disposition nationale en cause au principal en évoquant, non seulement la directive 2001/29, notamment l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle-ci, mais également la directive 2000/31 ainsi que le « traité fondateur ».

24      À cet égard, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 19 de ses conclusions, la disposition de la directive 2000/31 éventuellement pertinente en l’occurrence serait l’article 3, paragraphe 2, de celle-ci, qui interdit aux États membres de restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre. Toutefois, aux termes de l’article 3, paragraphe 3, de ladite directive, se trouvent exclues du champ d’application de ladite interdiction, notamment, les restrictions découlant de la protection du droit d’auteur et des droits voisins.

25      Il s’ensuit que les dispositions de la directive 2000/31 ne sont pas applicables dans une affaire telle que celle au principal, qui concerne le droit d’auteur et les exceptions à celui-ci.

26      S’agissant des questions posées en tant qu’elles portent sur le « traité », il y a lieu de rappeler, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’une question est réglementée de manière harmonisée au niveau de l’Union, toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation (voir, notamment, arrêts du 13 décembre 2001, DaimlerChrysler, C‑324/99, EU:C:2001:682, point 32 ; du 24 janvier 2008, Roby Profumi, C‑257/06, EU:C:2008:35, point 14, ainsi que du 1er octobre 2009, HSBC Holdings et Vidacos Nominees, C‑569/07, EU:C:2009:594, point 26).

27      Or, il convient de relever que l’un des objectifs poursuivis par la directive 2001/29 consiste, ainsi qu’il ressort du considérant 1 de celle‑ci, à harmoniser des dispositions législatives des États membres sur le droit d’auteur et les droits voisins, afin de contribuer à la réalisation de l’objectif visant à l’établissement d’un marché intérieur.

28      Partant, il n’y a pas lieu de se prononcer sur les questions posées au regard du traité FUE.

29      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par ses questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2001/29, notamment l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle-ci, s’oppose à une législation nationale qui permet à une entreprise commerciale de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance dans le nuage de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur, au moyen d’un système informatique, en intervenant activement dans l’enregistrement, sans autorisation du titulaire de droits.

 Réponse de la Cour

30      En vertu de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales.

31      Par ailleurs, l’article 5, paragraphe 5, de cette directive prévoit que les exceptions et limitations, notamment celles prévues à l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.

32      S’agissant de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions d’une directive qui dérogent à un principe général établi par cette même directive doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (arrêt du 10 avril 2014, ACI Adam e.a., C‑435/12, EU:C:2014:254, point 22 ainsi que jurisprudence citée). Il s’ensuit que ledit article 5, paragraphe 2, sous b), doit faire l’objet d’une telle interprétation.

33      La Cour a également jugé que la réalisation d’une copie par une personne physique agissant à titre privé doit être considérée comme un acte de nature à engendrer un préjudice pour le titulaire de droits concerné, dès lors qu’elle est réalisée sans que soit sollicitée, au préalable, l’autorisation de ce titulaire (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2010, Padawan, C‑467/08, EU:C:2010:620, points 44 à 46).

34      En outre, la Cour a considéré que, si l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être entendu en ce sens que l’exception de copie privée interdit, certes, au titulaire de droits de se prévaloir de son droit exclusif d’autoriser ou d’interdire des reproductions à l’égard des personnes qui réalisent des copies privées de ses œuvres, cette disposition ne doit pas être entendue comme imposant, au‑delà de cette restriction prévue explicitement, au titulaire du droit d’auteur qu’il tolère des violations de ses droits pouvant accompagner la réalisation de copies privées (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, ACI Adam e.a., C‑435/12, EU:C:2014:254, point 31).

35      Enfin, il ressort de la jurisprudence que, pour pouvoir se prévaloir de l’article 5, paragraphe 2, sous b), il n’est pas nécessaire que les personnes physiques concernées possèdent les équipements, appareils ou supports de reproduction. Elles peuvent également se voir fournir par un tiers un service de reproduction, qui constitue la prémisse factuelle nécessaire pour que ces personnes physiques puissent obtenir des copies privées (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2010, Padawan, C‑467/08, EU:C:2010:620, point 48).

36      C’est à la lumière de la jurisprudence susmentionnée qu’il convient de vérifier si un service tel que celui en cause au principal, dont les éléments pertinents sont précisés aux points 14 et 15 du présent arrêt, relève de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.

37      À cet égard, il convient de constater que le fournisseur de ce service ne se borne pas à organiser la reproduction, mais, de surcroît, fournit, en vue de leur reproduction, un accès aux émissions de certaines chaînes de télévision pouvant être enregistrées à distance. Ainsi, il revient aux clients individuels de choisir les émissions qui doivent être enregistrées.

38      En ce sens, le service en cause au principal possède une double fonctionnalité, consistant à assurer à la fois la reproduction et la mise à disposition des œuvres et objets concernés par celui-ci.

39      Or, si l’exception de copie privée implique que le titulaire de droits doit s’abstenir d’exercer son droit exclusif d’autoriser ou d’interdire des copies privées réalisées, par des personnes physiques, dans les conditions prévues à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, l’exigence d’une interprétation stricte de cette exception implique que ce titulaire ne soit pas pour autant privé de son droit d’interdire ou d’autoriser l’accès aux œuvres ou aux objets, dont ces mêmes personnes souhaitent réaliser des copies privées.

40      En effet, il résulte de l’article 3 de la directive 2001/29 que toute communication au public, y compris la mise à disposition d’une œuvre ou d’un objet protégé, doit être soumise à l’autorisation du titulaire de droits, étant entendu que, ainsi qu’il ressort du considérant 23 de cette directive, le droit de communication d’œuvres au public doit s’entendre au sens large, comme couvrant toute transmission ou retransmission d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion.

41      À cet égard, la Cour a déjà jugé que la notion de « communication au public » associe deux éléments cumulatifs, à savoir un « acte de communication » d’une œuvre et la communication de cette dernière à un « public » (arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, point 37).

42      Cela étant précisé, il convient, s’agissant, premièrement, de la notion d’« acte de communication », de souligner que celui-ci vise toute transmission des œuvres protégées, indépendamment du moyen ou du procédé technique utilisé (arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, point 38).

43      Par ailleurs, chaque transmission ou retransmission d’une œuvre qui utilise un mode technique spécifique doit être, en principe, individuellement autorisée par l’auteur de l’œuvre en cause (arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, point 39).

44      Deuxièmement, pour relever de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, encore faut-il, ainsi qu’il a été rappelé au point 41 du présent arrêt, que les œuvres protégées soient effectivement communiquées à un « public » (arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, point 40).

45      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la notion de « public » vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important (arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, point 41).

46      En l’espèce, le fournisseur de services en cause au principal enregistre les émissions radiodiffusées et les met à la disposition de ses clients au moyen d’Internet.

47      En premier lieu, il apparaît évident que l’ensemble des personnes ciblées par ce fournisseur constitue un « public », au sens de la jurisprudence évoquée au point 45 du présent arrêt.

48      En second lieu, la transmission d’origine effectuée par l’organisme de radiodiffusion, d’une part, et celle réalisée par le fournisseur de services en cause au principal, d’autre part, sont effectuées dans des conditions techniques spécifiques, suivant un mode différent de transmission des œuvres et chacune d’elles est destinée à son public (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a., C‑607/11, EU:C:2013:147, point 39).

49      Les transmissions évoquées constituent donc des communications au public différentes, et chacune d’elles doit, dès lors, recevoir l’autorisation des titulaires de droits concernés.

50      Dans ces conditions, il n’y a plus lieu d’examiner, en aval, si les publics ciblés par ces communications sont identiques ou si, le cas échéant, le public ciblé par le fournisseur de services en cause au principal constitue un public nouveau (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a., C‑607/11, EU:C:2013:147, point 39).

51      Il en résulte que, en l’absence d’une autorisation donnée par le titulaire de droits, la réalisation de copies d’œuvres au moyen d’un service tel que celui en cause au principal risque de porter atteinte aux droits de ce titulaire.

52      Partant, un tel service d’enregistrement à distance ne saurait relever de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.

53      Dans ces conditions, il n’y a plus lieu de vérifier le respect des conditions qu’impose l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive.

54      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la directive 2001/29, notamment son article 5, paragraphe 2, sous b), s’oppose à une législation nationale qui permet à une entreprise commerciale de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance dans le nuage de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur, au moyen d’un système informatique, en intervenant activement dans l’enregistrement de ces copies, sans l’autorisation du titulaire de droits.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

La directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, notamment son article 5, paragraphe 2, sous b), doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale qui permet à une entreprise commerciale de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance dans le nuage de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur, au moyen d’un système informatique, en intervenant activement dans l’enregistrement de ces copies, sans l’autorisation du titulaire de droits.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.