Language of document : ECLI:EU:C:1999:531

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TRADUCTION PROVISOIRE DU

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO LA PERGOLA

présentées le 28 octobre 1999 (1)

Affaire C-443/97

Royaume d'Espagne

contre

Commission européenne

«Coordination des instruments structurels - Orientations internes de la Commission - Corrections financières nettes»

I - Introduction

1.
    Le recours du royaume d'Espagne ayant donné lieu à la présente instance tend à l'annulation, en vertu de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE) d'un acte adopté par la Commission européenne (ci-après la «Commission»), intitulé «Orientations internes dans le cadre de l'application de l'article 24 du règlement (CE) n° 4253/88» du Conseil, du 19 décembre 1988, portant dispositions d'application du règlement 2052/88 en ce qui concerne la coordination entre les interventions des différents Fonds structurels, d'une part, et entre celles-ci et celles de la Banque européenne d'investissement et des autres instruments financiers existants, d'autre part (ci-après, respectivement, les «orientations internes» (2) et le «règlement de coordination» (3)).

2.
    Selon le gouvernement espagnol, les orientations internes font peser sur les États membres la menace de nouvelles sanctions à caractère pécuniaire. Elles consistent en des corrections nettes (c'est-à-dire des réductions ou des suppressions) des contributions communautaires à la suite de manquements à des obligations de contrôle de la régularité des actions co-financées par les Fondsstructurels, imposées aux États membres par l'article 23 du règlement de coordination. La Commission a indiqué l'article 24 dudit règlement comme base juridique de l'adoption des orientations internes. Le gouvernement requérant, à l'appui duquel sont intervenus les gouvernements italien et portugais, soutient que la Commission n'est pas compétente pour adopter un tel acte, lequel serait de surcroît entaché d'un défaut de motivation.

II - Le cadre normatif dans lequel s'insère l'acte attaqué

3.
    Les origines du présent litige doivent être placées dans le cadre de la législation communautaire concernant les fonds à finalité structurelle. Revêtent à cet égard plus particulièrement de l'importance les dispositions du traité CE sur la cohésion économique et sociale (articles 130 A-130 E, devenus - certains après modification - les articles 158 CE à 162 CE), qui fixent les principes généraux concernant l'action des fonds et des autres instruments financiers et chargent les institutions communautaires de les mettre en oeuvre. Le règlement (CEE) n° 2052/88 du Conseil, du 24 juin 1988 concernant les missions des Fonds à finalité structurelle, leur efficacité ainsi que la coordination de leurs interventions entre elles et celles de la Banque européenne d'investissement et des autres instruments financiers existants (ci-aprèsle «règlement cadre» (4), et le règlement de coordination contiennent les principales règles en la matière.

4.
    Comme on sait, les fonds structurels donnent lieu à une série d'interventions destinées à renforcer la cohésion économique et sociale et visant, en particulier, à réduire les disparités entre les différentes régions et le retard de celles qui sont les moins favorisées. Ces interventions se présentant sous forme de co-financements par la Communauté de différents projets sélectionnés par les États membres, il est essentiel de contrôler que les fonds contribuent uniquement au financement de projets, initiatives, ou «actions», satisfaisant aux «conditions d'éligibilité» pour les subventions, conformément aux dispositions communautaires pertinentes. Selon l'article 23, paragraphe 1, du règlement de coordination (voir point 5), le contrôle précité - dont les modalités ont été réglementées de façon plus précise par le règlement n° 2064/97 (voir point 6) - incombe avant tout aux États membres, responsables de la gestion de 80 % des dépenses communautaires.

5.
    En particulier, et pour autant qu'il importe en l'espèce, l'article 23, paragraphe 1, du règlement de coordination, intitulé «Contrôle financier», dispose comme suit:

«Afin de garantir le succès des actions menées par des promoteurs publics ou privés, les États membres prennent, lors de la mise en oeuvre des actions, les mesures nécessaires pour:

- vérifier régulièrement que les actions financées par la Communauté ont été menées correctement,

- prévenir et poursuivre les irrégularités,

- récupérer les fonds perdus à la suite d'un abus ou d'une négligence (...).

Dès l'entrée en vigueur du présent règlement, la Commission arrête les modalités détaillées de mise en oeuvre du présent paragraphe (...)».

En vertu de l'article 24 du règlement de coordination, qui est la disposition servant de base à l'acte attaqué dans le cadre de la présente instance et qui est intitulé «Réduction, suspension ou suppression du concours»,

«1. Si la réalisation d'une action ou d'une mesure semble ne justifier ni une partie ni la totalité du concours financier qui lui a été alloué, la Commission procède à un examen approprié du cas dans le cadre dupartenariat (5), en demandant notamment à l'État membre ou aux autorités désignées par celui-ci pour la mise en oeuvre de l'action de présenter leurs observations dans un délai déterminé.

2. Suite à cet examen la Commission peut réduire ou suspendre le concours pour l'action ou la mesure concernée si l'examen confirme l'existence d'une irrégularité ou d'une modification importante qui affecte la nature ou les conditions de mise en oeuvre de l'action ou de la mesure et pour laquelle l'approbation de la Commission n'a pas été demandée (...)».

III - Contenu de l'acte attaqué

6.
    La Commission a adopté deux règlements aux fins de l'application de l'article 23 du règlement de coordination: parmi ceux-ci, le règlement (CE) n° 2064/97 du 15 octobre 1997 arrêtant les modalités détaillées d'application du règlement (CEE) n° 4253/88 du Conseil en ce qui concerne le contrôle financier effectué par les États membres sur les opérations co-financées par les Fonds structurels (ci-après le«règlement n° 2064/97») (6), par lequel la Commission, en vue d'assurer une rigueur suffisante des contrôles effectués par les États membres, en a défini certaines des exigences minimales (voir deuxième considérant). A la même date, la Commission a adopté les orientations internes, présentement en cause, notifiées aux États membres le 23 juin suivant.

7.
    Les orientations internes précisent, au bénéfice des différents services de la défenderesse respectivement intéressés, les circonstances dans lesquelles la Commission pourra appliquer des corrections financières nettes dans le cadre de l'application de l'article 24 du règlement de coordination. De manière générale, une décision en ce sens sera adoptée si, au stade de la réalisation des actions co-financées par la Communauté, le contrôle financier opéré dans les États membres fait apparaître des déficiences ou lacunes significatives.

8.
    Les orientations internes prévoient quatre types de corrections: des corrections nettes (points 3 et 4 des orientations internes), des corrections financières plus importantes que celles directement liées à l'irrégularité ou aux irrégularités spécifiques constatées (point 5; ci-après les «corrections financières plus importantes»), les corrections forfaitaires (points 6 et 7) et les corrections nettes provisoires (point 9). Normalement, une fois qu'une irrégularité a été constatée pour ce qui concerne une action déterminée, la correction financière se traduit parune réaffectation de la contribution à une autre action. Toutefois, toujours selon les orientations internes, cette correction pourrait, en fonction de la gravité des irrégularités dont l'État membre intéressé s'est rendu responsable, revêtir la forme d'une «correction nette», à savoir une véritable réduction, excluant de la sorte toute possibilité de réaffectation.

9.
    En particulier, on pourrait appliquer une correction nette en cas de «non-respect significatif» des obligations de contrôle prévues à l'article 23, paragraphe 1, du règlement de coordination, à savoir: la vérification périodique de la mise en oeuvre correcte des actions financières de la Communauté, la prévention et la sanction des irrégularités ainsi que la récupération des fonds perdus à cause d'un abus ou d'une négligence. Afin d'établir le caractère «significatif» d'une telle violation, la Commission examine si la ou les irrégularités identifiées doivent être attribuées à une lacune significative, imputable aux autorités compétentes de l'État membre intéressé, en particulier sous l'angle de l'instauration de procédures et de régimes de saine gestion financière et de contrôle.

10.
    Une correction nette porte exclusivement sur une ou plusieurs irrégularités constatées par la Commission, à moins que celle-ci ait quelques bonnes raisons de penser que l'irrégularité était systémique, reflétant, par conséquent, une insuffisante systémique du contrôle financier, celle-ci pouvant se retrouver dans toute une série de cassimilaires (par exemple, le non-respect systémique d'une condition spécifique d'éligibilité). Un cas de ce genre révèlerait l'existence d'un risque plus général d'abus dans l'exécution des Fonds et pourrait justifier une correction financière plus importante. Le recours à une telle mesure dépendrait tout d'abord du niveau de la structure administrative nationale responsable du non-respect, ainsi que de l'étendue probable des abus. En tout état de cause, précise le texte, une correction nette, quelle qu'elle soit, serait limitée à la «forme d'intervention» concernée (7) (par exemple, un programme opérationnel, qui comprend per sé des «actions» différentes; voir point 8 des orientations internes).

11.
    Lorsque, en dépit des informations fournies par l'État membre concerné, il n'a pas été possible de déterminer avec suffisamment de précision l'importance de l'abus ou des abus constatés, la Commission procède à l'application de corrections financières forfaitaires, fondées sur une évaluation raisonnée de la probabilité et de l'importance de l'abus. Des corrections forfaitaires seraient adoptées également dans l'hypothèse où les irrégularités découvertes n'ont pas de valeur financière spécifique; tel est le cas lorsque l'État membre concerné persiste à ne pas donner à la contribution financière de la Communauté toute la publicité requise par la décision 94/342/CE de la Commission,du 31 mai 1994, en matière d'actions d'information et de publicité à mener par les États membres relatives aux interventions des Fonds structurels et de l'instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP) (8).

12.
    Dans l'hypothèse, enfin, où un État membre aurait manqué à ses obligations de manière moins flagrante, ou pourrait invoquer des circonstances atténuantes, la Commission pourrait procéder à une correction nette provisoire, qui serait ensuite supprimée si l'État membre pouvait démontrer que les lacunes de la gestion et du contrôle financier ont été éliminées. Selon les orientations internes, une telle correction serait justifiée, à défaut de négligence grave de l'État membre concerné, pour ce qui est des lacunes du contrôle qui, même significatives, pourraient être corrigées rapidement.

IV - L'exception d'irrecevabilité

13.
    A titre préliminaire, la Commission a soulevé l'irrecevabilité du recours, étant donné qu'à son avis l'acte en question, du fait qu'il n'impose pas aux États membres d'obligations supplémentaires par rapport à celles déjà prévues par l'article 23 du règlement de coordination, n'affecte nullement leur situation juridique préexistante, ni ne produit d'effets juridiques.

14.
    Le gouvernement requérant et ceux qui sont intervenus soutiennent au contraire qu'en dépit de la dénomination de l'acte attaqué et du fait qu'il est exclusivement destiné aux services de la Commission au niveau de l'application de l'article 24 du règlement de coordination, les orientations internes sont susceptibles de faire l'objet d'un recours en vertu de l'article 173 du traité CE. L'analyse de leur contenu démontrerait qu'elles produisent des effets juridiques obligatoires, différents de ceux qui découlent déjà du règlement de coordination, affectant ainsi de manière substantielle la situation juridique des États membres.

15.
    Pour pouvoir apprécier si les orientations internes constituent un acte attaquable et vérifier par conséquent le fondement de l'exception soulevée par la Commission, il convient d'examiner si elles visent à produire des effets juridiques qui s'ajoutent à ceux qui résultent du règlement de coordination. Il importe donc d'examiner d'emblée le contenu de l'acte en question (9).

V - Les arguments des parties

16.
    Pour ce qui est de l'incompétence alléguée de la Commission, le gouvernement requérant et ceux qui sont intervenus font grief à la défenderesse d'avoir, au travers d'orientations internes, introduit - sur la seule base de l'article 24 du règlement de coordination - une série de sanctions pécuniaires en cas de non-respect par les États membres des obligations qui leur incombent en vertu de l'article 23 dudit règlement. En réalité, selon l'Italie, le Portugal et l'Espagne, la possibilité d'opérer des réductions, suspensions ou suppressions des contributions communautaires, prévues à l'article 24, viserait exclusivement à sanctionner les irrégularités commises lors de «la réalisation d'une action ou d'une mesure» (voir article 24, paragraphe 1), ou des «irrégularités (...) qui affecte(nt) la nature ou les conditions de mise en oeuvre» de l'action ou de la mesure (voir article 24, paragraphe 2), ayant obtenu le co-financement communautaire (par exemple, lorsque la contribution est affectée à des fins différentes de celles en vue desquelles elle avait été approuvée). C'est pourquoi, la Commission ne pouvait pas se prévaloir de la faculté visée à l'article 24 dans l'hypothèse où les États membres ne satisfont pas aux obligations visées à l'article 23, qui tendent essentiellement vers un contrôle financier efficace.

17.
    La Commission est d'avis que, même si les règlements sur les Fonds structurels ne fournissent pas une définition de la notion d'«irrégularité» visée aux articles 23 et 24 du règlement de coordination, celle-ci ne saurait être entendue de manière restrictive. Le non-respect des obligations prévues à l'article 23 constituerait donc une irrégularitéau sens de l'article 24. Au soutien de sa thèse, la défenderesse invoque (i) la responsabilité qui est la sienne, en vertu de l'article 205 du traité CE (devenu, après modification, l'article 274 CE), d'assurer que le budget communautaire soit exécuté en conformité du principe de bonne gestion financière, (ii) le principe général de l'exécution correcte du co-financement communautaire, consacré à l'article 7, paragraphe 1, du règlement cadre, intitulé «compatibilité et contrôle» (10); (iii) la jurisprudence WWF UK, dans laquelle la Cour avait donné une interprétation plus large de la notion d'irrégularité au sens de l'article 24 du règlement de coordination, en sorte de pouvoir y englober également des infractions aux obligations visées à l'article 23, paragraphe 1, dudit règlement (11); et (iv) après avoir tiré un parallèle entre les Fonds structurels et le FEOGA (ci-après le «FEOGA»), section garantie (ci-après le «FEOGA-garantie») (12), la jurisprudence de la Cour en matière d'apurement, par la Commission, des comptes présentés par les États membres, contenant les postes de dépenses à mettre à la chargedu FEOGA-garantie, a de manière itérative consacré le pouvoir de la Commission de procéder à des corrections financières nettes au cas où les vérifications effectuées par cette dernière ont révélé des manquements, imputables à l'État membre concerné, dans le régime de gestion et de contrôle des fonds du FEOGA (13).

VI - Analyse juridique

18.
    Nous ne sommes pas convaincu par les arguments de la Commission. Tout d'abord, comme l'ont observé tous les États membres présents à l'instance, il doit être tenu compte d'une donnée importante on ne peut plus claire, à savoir l'article 24 du règlement de coordination. Cette disposition autorise certes la Commission à appliquer des corrections financières nettes en cas d'irrégularités. Ces dernières doivent toutefois se référer à la «nature» ou aux «conditions de réalisation» d'une (seule) action ou d'une (seule) mesure bénéficiaire des aides communautaires. Toute autres sont en revanche, les irrégularités consistant dans des lacunes générales ou des défaillances des systèmes de gestion et de contrôle des États membres, qui constituent des manquements aux obligations prévues à l'article 23, paragraphe 1, du règlement de coordination. Ces irrégularités se situent sur un plan différent de la «mise en oeuvre» ou de la «réalisation»d'une action ou d'une mesure, précisément parce qu'elles concernent le système global de gestion des Fonds structurels. Et même si la Commission devait constater une irrégularité dans les contrôles effectués par un État membre en ce qui concerne une action ou une mesure spécifique à laquelle les aides communautaires sont destinées, on ne pourrait pas pour autant dire que ce manquement intéresse la «nature» ou les «conditions de mise en oeuvre» de l'action ou de la mesure en question.

19.
    En second lieu, nous estimons peu pertinent le renvoi opéré par la Commission à la jurisprudence WWF UK (voir note 10), dans laquelle la Cour a précisé que l'article 24 du règlement de coordination «vise à permettre à la Commission de suspendre ou de réduire le concours financier communautaire en cas d'irrégularité commise par l'État concerné, notamment lorsque celui-ci apporte une modification importante à la nature ou aux conditions de mise en oeuvre de l'action ou de la mesure sans demander son approbation» (14). Certes, en se référant à la notion d'irrégularité, la Cour a entendu se référer à différentes violations du droit communautaire. Toutefois, ces violations (ou «irrégularités») doivent toujours concerner en particulier l'action ou la mesure en question. D'une part, dans le passage qui vient d'être cité, la Cour reprend quasi textuellement le libellé de l'article 24,paragraphe 2 (15), sur la signification duquel nous venons juste de nous exprimer. D'autre part, l'arrêt de la Cour porte sur une affaire ayant pour objet un projet de construction d'un centre touristique dans un parc naturel, pour lequel WWF et An Taisce (c'est-à-dire le National Trust for Ireland) reprochaient à l'État membre intéressé le non-respect de directives visant la protection de l'environnement. Il est évident, par conséquent, que l'irrégularité imputée en l'espèce à l'État («commise par l'État concerné» selon les termes mêmes de la Cour) avait pour objet la nature ou les conditions de mise en oeuvre d'une mesure spécifique seulement, et n'avait rien à faire avec des carences de contrôle du type de celles prévues à l'article 23, paragraphe 1, du règlement de coordination (16).

20.
    En troisième lieu, il y a le renvoi à la jurisprudence - que la Commission invoque en vue de se soustraire à l'étroitesse du donné textuel, dont se prévalent le gouvernement requérant ainsi que les gouvernements italien et portugais - concernant les pouvoirs de la Commission dans le cadre du FEOGA-garantie. La Commission part de l'idée que, du fait qu'ils se concrétisent par l'utilisation de ressources du budget communautaire, tant les Fonds structurels que le FEOGA-garantie doivent, au regard de leur fonctionnement, s'en tenir, en tout cas, au principe général de «bonne gestion financière» (voir l'article 274 CE), y compris l'obligation de garantir un emploi des ressources communautaires conforme aux dispositions concernant le contrôle à effectuer au stade de l'exécution des Fonds. La défenderesse ajoute qu'en raison de l'exigence d'une gestion financière correcte pour toutes les hypothèses d'emploi du budget communautaire, il existe une analogie certaine entre certaines dispositions du cadre normatif sur les Fonds structurels et d'autres dispositions, relatives auFEOGA-garantie (17). Parmi les dispositions relatives à ces deux typologies d'aides communautaires qu'on suppose analogues, figureraient, si nous comprenons bien, des dispositions spécifiques ayant trait à des obligations de contrôle des États membres: l'article 23, paragraphe 1, du règlement de coordination et, pour le FEOGA-garantie, l'article 8, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune (ci-après le «règlement n° 729/70») (18), acte auquel la Commission s'est à plusieurs reprises référée au cours de son argumentation (19). Une fois tracé un tel parallèle, la Commission estime applicable au cas d'espèce la jurisprudence par laquelle la Cour a jugé légales les corrections financières nettes apportées au stade de la liquidation des comptes du FEOGA-garantie dans des hypothèses danslesquelles l'État membre s'était rendu responsable de lacunes ou de défaillances dans le système de gestion et de contrôle ressortissant à sa compétence (20).

21.
    A notre avis, les thèses auxquelles nous nous sommes présentement référé, loin de corroborer la position de la défenderesse, en minent le fondement jusqu'à la racine. L'intention de la Commission est, en effet, de démontrer que son pouvoir d'adopter des corrections nettes pour cause de non-respect des obligations de contrôle prévues par l'article 23, paragraphe 1, est inhérent au système des articles 23 et 24 du règlement de coordination. Or, si tel était le cas, l'acte attaqué neproduirait pas d'effet juridique (et le recours serait par conséquent irrecevable), et la Commission n'aurait, à travers ses orientations internes, rien fait d'autre que de clarifier la signification de certaines dispositions, en décrivant une série de typologies de corrections nettes. Un tel argument participe, dans une large mesure, d'un «procédé d'interprétation» fondé sur l'analogie, en transposant dans le domaine des Fonds structurels des énonciations de la Cour relatives au FEOGA-garantie. Or, cette analogie qu'on voudrait établir en l'espèce, ne serait pas tant une opération herméneutique qu'un processus d'élaboration de nouvelles règles, à partir de la prémisse qu'il y a une lacune normative à combler. Il ne s'agit pas, en effet, d'une interprétation extensive ayant pour effet de pousser la signification d'une disposition jusqu'aux limites extrêmes de sa portée sémantique, selon l'usage linguistique général. En l'espèce, nous avons vu que la teneur littérale de l'article 24 ne permet pas d'englober dans la notion d'«irrégularité», des infractions aux obligations visées à l'article 23, paragraphe 1, en sorte de justifier des réductions nettes (ce que la jurisprudence WWF UK semble confirmer). C'est la raison pour laquelle, manifestement, la Commission estime qu'il y a là une lacune normative, qu'elle voudrait colmater de manière analogique, en transposant en l'espèce, au moyen des orientations internes, le régime prévu dans le cadre du FEOGA-garantie.

22.
    Il résulte donc de ce qui précède qu'à travers les orientations internes, la Commission ne s'est pas bornée à donner son interprétationde l'article 24 du règlement de coordination, à savoir, qu'elle n'a pas décrit l'application de corrections nettes pour des irrégularités prévues, ou susceptibles d'être déduites par voie d'interprétation, par cette disposition. La défenderesse a au contraire, en s'inspirant du système propre au FEOGA-garantie, adopté un acte par lequel elle introduit pour la première fois la possibilité de mettre à charge des États membres des corrections nettes - hypothèse revêtant un caractère de «sanction», prévue en tant que telle par l'article 24 - dans l'hypothèse d'irrégularités distinctes de celles qui concernent «la nature ou les conditions de mise en oeuvre» d'une action ou d'une mesure bénéficiant d'une intervention des Fonds structurels, qui sont les seules indiquées dans la disposition qui prévoit ces sanctions.

23.
    Une telle conclusion est, au reste, confirmée par un récent développement normatif dont les parties ont amplement fait état au cours de l'audience. En effet, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1260/99, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les Fonds structurels (ci-après le «règlement n° 1260/99») (21), destinées à remplacer le règlement cadre et le règlement de coordination pour lesannées 2000 à 2006 (22). Les gouvernements présents à l'instance ont relevé que l'article 39 du règlement n° 1260/99 (correspondant en partie aux articles 23 et 24 du règlement de coordination), intitulé «Rectifications financières», énonce explicitement, pour la première fois, le pouvoir de la Commission d'adopter ces rectifications au cas où, à la suite des vérifications requises, elle aboutirait à la conclusion, notamment, qu'un «État membre ne s'est pas conformé aux obligations [de contrôle y prévues]» ou «qu'il existe des insuffisances graves dans les systèmes de gestion ou de contrôle qui pourraient conduire à des irrégularités de caractère systémique». La Commission a rétorqué en soutenant qu'il s'agit là d'une simple codification ou explication de l'actuel cadre juridique relatif aux Fonds structurels. A notre avis, la teneur littérale de l'article 39 ne permet toutefois pas d'accueillir la thèse avancée par la requérante. C'est précisément au moyen de ladite disposition qu'a été comblée la lacune qui caractérisait, par rapport au FEOGA-garantie, le cadre normatif concernant les Fonds structurels.

24.
    En conclusion, il y a de bonnes raisons pour estimer que le pouvoir de la Commission de procéder à des réductions financières nettes - telles que décrites dans les orientations internes - par suite du non-respect par les États membres des obligations qui leur incombenten vertu de l'article 23, paragraphe 1, dudit règlement, n'est pas inhérent (23) à l'article 24 du règlement de coordination. L'acte attaqué - tout en n'imposant pas, comme l'a dit la défenderesse, de nouvelles obligations aux États membres (24) - instaure donc des «sanctions» financières pour des irrégularités commises par les États membres dans des cas d'espèce différents de ceux prévus à l'article 24. Du fait qu'elles étendent le champ d'application de cette dernière disposition, les orientations internes constituent donc un acte destiné à produire des effets juridiques propres, ce qui suffit pour conclure qu'elles peuvent faire l'objet d'un recours en annulation.

25.
    Il reste à éclaircir la question de la prétendue incompétence de la Commission pour adopter l'acte en question. Excepté les articles 23 et 24 du règlement de coordination, la défenderesse n'a indiqué aucune disposition spécifique l'habilitant à agir (25). Au reste, comme l'a justement observé le gouvernement espagnol, l'article 7, paragraphe 2,du règlement cadre attribue au Conseil - et non à la Commission - le pouvoir d'adopter les «règles harmonisées visant à renforcer le contrôle des interventions structurelles». La disposition précitée renvoie notamment à l'article 3, paragraphe 5, de ce règlement, c'est-à-dire à la base juridique du règlement de coordination, en vertu duquel «le Conseil (...) arrête les dispositions nécessaires pour assurer la coordination entre les interventions des différents Fonds structurels (...)». Ce n'est donc pas un hasard que ce soit précisément le Conseil - au moyen du règlement n° 1260/99 - qui ait enrichi le cadre des hypothèses dans lesquelles la Commission a le pouvoir d'appliquer des rectifications financières en cas d'irrégularités commises par les États membres. L'intervention du Conseil confirme qu'il lui appartient - et à lui seul - d'étendre l'application de rectifications financières à des hypothèses différentes de celles déjà prévues à l'article 24 du règlement de coordination. Ajoutons enfin qu'à la différence du règlement cadre et du règlement de coordination, le règlement n° 1260/99 prévoit finalement le pouvoir de la Commission d'adopter les modalités d'application de l'article 39 (voir article 53), au nombre desquelles figurent également les rectifications financières pour irrégularités commises dans les régimes de gestion et de contrôle des États membres. Eu égard à la répartition claire des compétences dont nous avons parlé, la Commission n'avait pas le pouvoir d'adopter l'acte litigieux. Il y a lieu, partant, d'annuler les orientations internes.

26.
    Considération prise de la recevabilité du recours et du fait qu'il y a lieu, à notre sens, d'accueillir le premier moyen d'annulation, de nature englobante, avancé par le gouvernement espagnol, il n'est pas nécessaire d'examiner le deuxième moyen, relatif à un prétendu défaut de motivation.

VII - Conclusions

27.
    A la lumière des considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour de déclarer le recours recevable, d'annuler les orientations internes et de condamner la Commission aux dépens.


1: Langue originale: l'italien.


2: -     C(97) 3151 déf. - II.


3: -     JO L 374, p. 1; le règlement de coordination a été modifié par le règlement (CEE) n° 2082 du Conseil, du 20 juillet 1993 (JO L 193, p. 20) et par le règlement (CE) n° 3193/94 du Conseil, du 10 décembre 1994 (JO L 337, p. 11).


4: -     JO L 185, p. 9; le règlement cadre a été modifié par le règlement (CEE) n° 2081/93 du Conseil, du 20 juillet 1993 (JO L 193, p. 5) et par le règlement (CE) n° 3193/94 du Conseil, du 19 décembre 1994, précité.


5: -     «Partnership» ou «partenariat» désigne la concertation entre la Commission, l'État membre concerné, les autorités et les organismes compétents désignés par l'État membre. Grâce à ce partenariat, qui porte sur la préparation, le financement, ainsi que sur l'appréciation ex ante, le suivi et l'évaluation ex post des actions, l'action communautaire constitue un complément des actions nationales correspondantes ou une contribution à celles-ci (voir article 4, paragraphe 1, du règlement cadre).


6: -     JO L 290, p. 1; le règlement n° 2064/97 a été modifié par le règlement (CE) n° 2406/98 de la Commission, du 6 novembre 1998 (JO L 298, p. 15).


7: -     L'intervention financière des Fonds structurels peut revêtir des formes diverses, parmi lesquelles le co-financement de programmes opérationnels ou d'un régime d'aides national et l'octroi de subventions globales ou de projets appropriés (voir article 5, paragraphe 1, du règlement cadre).


8: -     JO L 152, p. 39.


9: -     Arrêts du 9 octobre 1990, France/Commission (C-366/88, Rec. p. I-3571, points 11 et 12), du 13 novembre 1991, France/Commission (C-303/90, Rec. p. I-5315, points 10 et 11), du 16 juin 1993, France/Commission (C-325/91, Rec. p. I-3283, point 11), et du 20 mars 1997, France/Commission (C-57/95, Rec. p. I-1627, points 9 et 10).


10: -     En vertu de cette disposition, «les actions faisant l'objet d'un financement par les Fonds structurels ou d'un financement de la BEI ou d'un autre organisme financier existant doivent être conformes aux dispositions des traités et des actes arrêtés en vertu de ceux-ci, ainsi que des politiques communautaires, y compris celles concernant les règles de concurrence, la passation des marchés publics et la protection de l'environnement, de même qu'à l'application du principe de l'égalité des chances entre hommes et femmes».


11: -     Voir ordonnance du 11 juillet 1996, An Taisce et WWF UK/Commission (C-325/94P, Rec. p. I-3727), rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 23 septembre 1994, An Taisce et WWF UK/Commission (T-461/93, Rec. p. II-733).


12: -     Par lequel la Communauté finance les restitutions à l'exportation vers les pays tiers et les interventions destinées à régulariser les marchés agricoles.


13: -     Voir arrêts du 8 janvier 1992, Italie/Commission (C-197/90, Rec. p. I-1, point 39); du 25 mai 1993, Frutticultori associati cuneesi «FAC» (C-197/91, Rec. p. I-2639, points 16 à 18), et du 4 juillet 1996, Grèce/Commission (C-50/94, Rec. p. I-3331, points 22 à 28).


14: -     Point 22, passage souligné par nous.


15: -     Observons toutefois qu'alors que ladite disposition se réfère à «une irrégularité ou (...) une modification (...) concernant la nature ou les conditions de mise en oeuvre de l'action ou de la mesure» en question, la Cour, dans son ordonnance WWF UK, tend à inclure une telle modification parmi les irrégularités justifiant une réduction nette «(...) en cas d'irrégularité (...), notamment lorsque cet État apporte une modification (...) à la nature ou aux conditions de mise en oeuvre de l'action ou de la mesure (...)» (passage souligné par nous).


16: -     Le Tribunal de première instance a récemment statué dans le même sens: dans son arrêt du 12 octobre 1999, Conserve Italia anciennement Massolombarda Colombani Spa/Commission (T-216/96, non encore publié au Recueil), le Tribunal a estimé que l'article 24 du règlement de coordination permet à la Commission de supprimer une contribution du FEOGA, section orientation (soit un Fonds structurel), en cas d'irrégularité, «notamment en cas de modification importante de l'action affectant sa nature ou les conditions de sa mise en oeuvre» (point 92). En l'espèce, certaines acquisitions et certains travaux avaient été effectués avant la date de réception de la demande de concours, contrairement aux dispositions de l'article 15, paragraphe 1, du règlement de coordination, en vertu duquel «une dépense ne peut pas être considérée comme éligible au concours des fonds si elle est encourue avant la date de réception par la Commission de la demande yafférente». Cette circonstance, ajoutée au fait qu'un contrat portant sur l'achat d'une machine avait été falsifié en vue de dissimuler le fait que la machine avait déjà été installée dans l'établissement avant la date de réception, par la Commission, de la demande de concours (point 33), a amené la Commission à supprimer le concours communautaire au motif que «les irrégularités constatées affectent les conditions de mise en oeuvre du projet en question» (point 33; passage souligné par nous).


17: -     La Commission se réfère à l'article 7, paragraphe 1, précité, du règlement cadre (voir note 3) auquel correspondraient, dans la réglementation relative au FEOGA-garantie, - pour ce qui concerne l'exigence essentielle de l'exécution correcte des aides communautaires - les articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, du règlement n° 729/70 (sur ce dernier règlement, voir nos remarques ci-après dans le texte); en particulier, en vertu de l'article 2, paragraphe 1, dudit règlement, «sont financées [par le FEOGA-garantie], les restitutions à l'exportation vers les pays tiers accordées conformément aux règles communautaires (...)» (passage souligné par nous).


18: -     JO L 94, p. 13.


19: -     En vertu de cette dernière disposition, qui rappelle de près l'article 23, paragraphe 1, précité, «les États membres prennent, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, les mesures nécessaires pour - s'assurer de la réalité et de la régularité des opérations financées par le [FEOGA], - prévenir et poursuivre les irrégularités, - récupérer les sommes perdues à la suite d'irrégularités ou de négligences (...)».


20: -    Cette jurisprudence, qui participe d'une orientation amplement consolidée par la Cour (voir également arrêts du 1er octobre 1998, France/Commission, C-232/96, Rec. p. I-5699, points 43-45, 53-57; du 19 novembre 1998, France/Commission C-235/97, Rec. p. I-7555, en particulier les points 38 à 45, voir également les paragraphes 20 à 41 des conclusions de l'avocat général Alber; du 21 janvier 1999, Allemagne/Commission (C-54/95, Rec. p. I-35, points 4 à 18 et 94 à 100); du 5 octobre 1999, Espagne/Commission (C-240/97, non encore publié au Recueil, points 33 à 39) a tout d'abord établi qu'en application des articles 2 et 3, précités, du règlement n° 729/70, seules sont financées par le FEOGA-garantie les restitutions octroyées ainsi que les interventions effectuées conformément aux règles communautaires sur l'organisation commune des marchés agricoles. La Cour en a déduit que la Commission a le devoir de rejeter toute demande visant à mettre à charge du FEOGA-garantie, et donc du budget communautaire, toute dépense entachée d'irrégularité (voir, par exemple, les arrêts du 7 février 1979, Pays-Bas/Commission (11/76, Rec. p. 245, point 8), du 7 février 1979, France/Commission (15-16/76, Rec. p. 321, points 10 à 17), Italie/Commission (C-197/90, point 39) et Grèce/Commission (C-50/94, point 6). Parmi ces irrégularités, figurent celles relatives à différents types de contrôles que les États membres doivent effectuer pour se conformer, en particulier, à l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729/70 (voir, ex multis, arrêts FAC, point 16, Grèce/Commission (C-50/94, point 22 et suivants); France/Commission (C-232/96) et France/Commission (C-235/97).


21: -     JO L 161, p. 1.


22: -     Toutefois, en vertu des dispositions transitoires du règlement n° 1260/99 (voir, en particulier, son article 52, paragraphe 5), les règlements (et les orientations internes) actuellement en vigueur continueront de s'appliquer à toutes les sommes engagées pour les programmes décidés par la Commission entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 1999, et qui ont fait l'objet d'une demande de paiement définitif présentée à la Commission avant le 31 mars 2003.


23: -     Voir France/Commission (C-303/90, point 21), France/Commission (C-325/91, point 17), France/Commission (C-57/95, point 19).


24: -     Les obligations des États membres restent celles prévues à l'article 23, paragraphe 1, du règlement de coordination.


25: -     Une base juridique précise existe en revanche pour ce qui concerne l'application de l'article 23, paragraphe 1, du règlement de coordination: «dès l'entrée en vigueur du présent règlement, la Commission arrête les modalités détaillées de mise en oeuvre du présent paragraphe» (article 23, paragraphe 1, dernier alinéa). Ayant fait usage des pouvoirs ainsi conférés, la Commission a adopté le règlement n° 2064/97 (voir paragraphe 5), en date du 15 octobre 1997, à savoir le même jour que l'adoption des orientations internes.