Language of document : ECLI:EU:C:2017:394

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 18 mai 2017 (1)

Affaire C‑56/16 P

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)

contre

Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto IP

« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Marque verbale “Port Charlotte” – Demande en nullité présentée par l’Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto – Indications d’origine géographique – Règlement (CE) n° 1234/2007 – Protection exhaustive par le droit de l’Union – Possibilité de reconnaissance d’un niveau supplémentaire de protection par le droit national »






1.        La Cour dispose déjà d’une jurisprudence abondante sur les appellations d’origine protégées (AOP) et les indications géographiques protégées (IGP). Le présent pourvoi lui permettra de l’appliquer au litige opposant une AOP pour les vins et une marque de l’Union européenne qui, selon le titulaire de la première, a indûment utilisé le nom géographique qui est caractéristique de l’AOP Porto/Port (2).

2.        Concrètement, le litige au principaloppose l’Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto IP (ci-après l’« IVDP ») à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins, et modèles) (OHMI) devenu l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Celui-ci, après avoir enregistré le signe distinctif « Port Charlotte » en tant que marque de l’Union européenne pour identifier du whisky, a rejeté l’action en nullité engagée contre cette marque par l’IVDP.

3.        Le Tribunal (3) a partiellement accueilli le recours présenté par l’IVDP contre la décision de l’EUIPO, ce qui a donné lieu à un double pourvoi : a) pour l’EUIPO, l’arrêt attaqué est erroné en ce qu’il admet que la protection des AOP est également régie par le droit national (en l’espèce, le droit portugais) et b) pour l’IVDP, le Tribunal commet une erreur de droit en souscrivant à la thèse de l’EUIPO favorable à la compatibilité de la marque « Port Charlotte » avec l’AOP Porto/Port.

I.      Droit de l’Union

A.      Règlement (CE) n° 207/2009 (4)

4.        L’article 8, paragraphe 4, dispose que :

« Sur opposition du titulaire d’une marque non enregistrée ou d’un autre signe utilisé dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale, la marque demandée est refusée à l’enregistrement, lorsque et dans la mesure où, selon la législation communautaire ou le droit de l’État membre qui est applicable à ce signe :

a)      des droits à ce signe ont été acquis avant la date de dépôt de la demande de marque communautaire ou, le cas échéant, avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande de marque communautaire ;

b)      ce signe donne à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente. »

5.        L’article 53 dispose :

« 1.      La marque communautaire est déclarée nulle sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon :

[…]

c)      lorsqu’il existe un droit antérieur visé à l’article 8, paragraphe 4, et que les conditions énoncées audit paragraphe sont remplies. »

B.      Règlement (CE) n° 1234/2007 (5)

6.        Aux termes de l’article 118 ter, intitulé « Définitions », paragraphe 1 :

« 1.      Aux fins de la présente sous-section, on entend par :

a)      “appellation d’origine”, le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit visé à l’article 118 bis, paragraphe 1 :

i)      dont la qualité et les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents ;

ii)      élaboré exclusivement à partir de raisins provenant de la zone géographique considérée ;

iii)      dont la production est limitée à la zone géographique désignée ; et

iv)      obtenu exclusivement à partir de variétés de vigne de l’espèce Vitis vinifera ;

b)      “indication géographique”, une indication renvoyant à une région, à un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, à un pays, qui sert à désigner un produit visé à l’article 118 bis, paragraphe 1 :

i)      possédant une qualité, une réputation ou d’autres caractéristiques particulières attribuables à cette origine géographique ;

ii)      produit à partir de raisins dont au moins 85 % proviennent exclusivement de la zone géographique considérée ;

iii)      dont la production est limitée à la zone géographique désignée ; et

iv)      obtenu à partir de variétés de vigne de l’espèce Vitis vinifera ou issues d’un croisement entre ladite espèce et d’autres espèces du genre Vitis. »

7.        L’article 118 septies, intitulé « Procédure préliminaire au niveau national », paragraphes 6 et 7, énonce :

« 6.      Les États membres adoptent, au plus tard le 1er août 2009, les dispositions législatives, réglementaires ou administratives nécessaires pour se conformer aux dispositions du présent article.

7.      Lorsqu’un État membre ne possède pas de législation nationale en matière de protection des appellations d’origine et des indications géographiques, il peut, à titre provisoire uniquement, octroyer une protection à une dénomination conformément aux dispositions de la présente sous-section au niveau national, avec effet à la date du dépôt de la demande d’enregistrement auprès de la Commission. Cette protection nationale provisoire prend fin à la date à laquelle il est décidé d’accepter ou de refuser l’enregistrement au titre de la présente sous‑section. »

8.        L’article 118 terdecies, intitulé « Liens avec les marques commerciales »), dispose en son paragraphe 1 :

« Lorsqu’une appellation d’origine ou une indication géographique est protégée au titre du présent règlement, l’enregistrement d’une marque commerciale correspondant à l’une des situations visées à l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, et concernant un produit relevant d’une des catégories répertoriées à l’annexe XI ter est refusé si la demande d’enregistrement de la marque commerciale est présentée après la date de dépôt auprès de la Commission de la demande de protection de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique et que cette demande aboutit à la protection de l’appellation d’origine ou l’indication géographique.

Toute marque commerciale enregistrée en violation du premier alinéa est annulée. »

9.        Aux termes de l’article 118 quaterdecies, intitulé « Protection », paragraphes 1, 2 et 3 :

« 1.      Les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un vin produit conformément au cahier des charges correspondant.

2.      Les appellations d’origine protégées, les indications géographiques protégées et les vins qui font usage de ces dénominations protégées en respectant les cahiers des charges correspondants sont protégés contre :

a)      toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination protégée :

i)      pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée ; ou

ii)      dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique ;

b)      toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, “goût”, “manière” ou d’une expression similaire ;

c)      toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit vitivinicole concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un contenant de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit ;

d)      toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.

3.      Les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées ne deviennent pas génériques dans la Communauté au sens de l’article 118 duodecies, paragraphe 1. »

10.      Aux termes de l’article 118 quindecies, intitulé « Registre » :

« La Commission établit et tient à jour un registre électronique, accessible au public, des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées relatives aux vins. »

11.      L’article 118 vicies, intitulé « Dénominations de vins bénéficiant actuellement d’une protection », dispose :

« 1.      Les dénominations de vins protégées conformément aux articles 51 et 54 du règlement (CE) n° 1493/1999 et à l’article 28 du règlement (CE) n° 753/2002 de la Commission du 29 avril 2002 fixant certaines modalités d’application du règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil en ce qui concerne la désignation, la dénomination, la présentation et la protection de certains produits vitivinicoles sont automatiquement protégées au titre du présent règlement. La Commission les inscrit au registre prévu à l’article 118 quindecies du présent règlement.

2.      En ce qui concerne les dénominations de vins protégées visées au paragraphe 1, les États membres transmettent à la Commission :

a)      les dossiers techniques prévus à l’article 118 quater, paragraphe 1 ;

b)      les décisions nationales d’approbation.

3.      Les dénominations de vins visées au paragraphe 1 pour lesquelles les éléments visés au paragraphe 2 n’ont pas été présentés au 31 décembre 2011 perdent toute protection au titre du présent règlement. La Commission prend alors les mesures administratives nécessaires pour les supprimer du registre prévu à l’article 118 quindecies.

4.      L’article 118 novodecies ne s’applique pas à l’égard des dénominations de vins protégées visées au paragraphe 1.

La Commission peut décider, jusqu’au 31 décembre 2014, de sa propre initiative et conformément à la procédure prévue à l’article 195, paragraphe 4, de retirer la protection accordée aux dénominations de vins protégées visées au paragraphe 1 si elles ne remplissent pas les conditions énoncées à l’article 118 ter […] »

12.      Sous le titre « Règles plus restrictives imposées par les États membres », l’article 120 quinquies énonce :

« Les États membres peuvent limiter ou exclure l’utilisation de certaines pratiques œnologiques autorisées par la législation communautaire, et prévoir des restrictions plus sévères, pour des vins produits sur leur territoire, et ce en vue de renforcer la préservation des caractéristiques essentielles des vins bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée, des vins mousseux et des vins de liqueur.

Les États membres communiquent ces limitations, exclusions et restrictions à la Commission, qui les porte à la connaissance des autres États membres. »

II.    Antécédents du litige

13.      Il ressort des points 1 à 15 de l’arrêt attaqué que le 27 octobre 2006, la société Bruichladdich Distillery Co. Ltd (ci-après « Bruichladdich ») a demandé l’enregistrement de la marque communautaire « Port Charlotte » pour des produits relevant de la classe 33 de l’arrangement de Nice (6), « Boissons alcooliques ».

14.      La marque contestée a été enregistrée, le 18 octobre 2007, sous le numéro 5421474 et publiée au Bulletin des marques communautaires, n° 60/2007, du 29 octobre 2007.

15.      Le 7 avril 2011, l’IVDP a présenté une demande en nullité de la marque contestée auprès de l’EUIPO, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 1, sous c), lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 4, de l’article 53, paragraphe 2, sous d), et sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, sous a), lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous c), et g), du règlement n° 207/2009.

16.      En réponse à cette demande, Bruichladdich a limité au « whisky » la liste des produits pour lesquels la marque litigieuse était enregistrée.

17.      Au soutien de sa demande en nullité, l’IVDP a invoqué les AOP « porto » et « port » qui selon lui, d’une part, seraient protégées dans tous les États membres par diverses dispositions du droit portugais et par l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, du règlement n° 491/2009, et, d’autre part, seraient enregistrées et protégées en France, en Italie, à Chypre, en Hongrie, au Portugal et en Slovaquie par l’arrangement de Lisbonne relatif à la protection des appellations d’origine et leur enregistrement international du 31 octobre 1958 (selon son texte révisé et modifié).

18.      La division d’annulation de l’EUIPO a rejeté la demande en nullité le 30 avril 2013.

19.      Le 2 février 2014, l’IVDP a contesté devant l’EUIPO la décision de la division d’annulation.

20.      Par décision du 8 juillet 2014, la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté les trois moyens sur lesquels le recours se fondait.

21.      En premier lieu, la chambre de recours a rejeté le moyen tiré d’une violation de l’article 53, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 207/2009, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 4, du même règlement, essentiellement au motif que la protection des appellations d’origine pour les vins était régie exclusivement par le règlement n° 491/2009 et, partant, relevait de la compétence exclusive de l’Union européenne. En outre, elle a estimé qu’en l’espèce, l’AOP était uniquement protégée pour le vin, produit qui n’est pas comparable au whisky, et que la marque « Port Charlotte » n’évoquait pas le vin d’Oporto. Elle a ajouté qu’il n’était pas nécessaire de vérifier si les appellations géographiques « porto » ou « port » jouissaient d’une renommée, car la marque litigieuse ne les évoquait pas, pas plus qu’elle ne les utilisait.

22.      En deuxième lieu, la chambre de recours a rejeté le moyen tiré d’une violation de l’article 53, paragraphe 2, sous d), du règlement n° 207/2009, qui était fondé sur le fait que les AOP « porto » et « port » étaient enregistrées auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) depuis le 18 mars 1983, sous le numéro 682, conformément à l’arrangement de Lisbonne. Elle a affirmé que cet enregistrement ne protégeait que le terme « porto » – et pas uniquement au Portugal –, lequel ne ferait pas partie de la marque contestée.

23.      En troisième lieu, la chambre de recours a rejeté les moyens tirés d’une violation de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous c) et g), du même règlement. Elle estime que la marque contestée ne ferait pas parallèlement référence à un lieu – existant ou inexistant – nommé « Port Charlotte » ni à la « ville d’Oporto (Porto) ». Elle a ajouté que l’IVDP n’avait invoqué le motif de refus absolu au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 207/2009 « qu’au moment du recours », partant, l’IVDP n’avait pas qualité pour l’invoquer. En tout état de cause, la marque contestée n’était pas susceptible de tromper le public quant à la provenance géographique du produit qu’elle couvre, ainsi que le prévoit l’article 7, paragraphe 1, sous g), dudit règlement.

III. Procédure devant le Tribunal et arrêt attaqué

24.      Le 15 septembre 2014, l’IVDP a introduit devant le Tribunal un recours tendant à l’annulation de la décision de la chambre de recours. L’IVDP a structuré son recours en six moyens, dont le troisième présente le plus d’intérêt pour le pourvoi et concerne la violation de l’article 53, paragraphe 1, sous c), lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009.

25.      L’IVDP reprochait à la chambre de recours d’avoir considéré à tort que la protection des vins couverts par l’AOP Porto/Port relevait uniquement du règlement n° 491/2009, à l’exclusion de la protection offerte par le droit portugais.

26.      Dans ce même moyen, indépendamment des allusions au droit portugais, l’IVDP a critiqué les appréciations de la chambre de recours relatives à la compatibilité de la marque « Port Charlotte » et de l’AOP Porto/Port, en invoquant l’article 118 quaterdecies du règlement n° 491/2009.

27.      Concernant cet article, l’IVDP a soutenu successivement : i) qu’il interdit l’utilisation commerciale directe ou indirecte d’une AOP pour des produits comparables, ce qui est le cas du vin d’Oporto et du whisky ; ii) que même s’il ne s’agissait pas de produits comparables, l’utilisation commerciale par la marque litigieuse du terme « Port », qui est propre à l’AOP, impliquait d’exploiter la réputation ou le prestige de celle-ci, comportement qui est rejeté par l’article ; et iii) qu’en tout état de cause, la marque « Port Charlotte » imitait ou évoquait l’AOP Porto/Port.

28.      Le Tribunal a accueilli les arguments de l’IVDP sur l’application du droit national. Son analyse l’a amené à conclure que les causes de nullité d’une marque enregistrée peuvent être fondées de manière alternative ou cumulative sur des droits antérieurs « selon la législation [de l’Union] ou le droit national qui en régit la protection ». Le Tribunal estime que la protection conférée aux AOP peut être complétée par le droit national pertinent, lorsque celui-ci leur attribue une protection supplémentaire.

29.      Sur la base de cette prémisse, et compte tenu de ce que l’IVDP avait invoqué les règles pertinentes du droit portugais pour l’AOP Porto/Port, la chambre de recours ne pouvait pas refuser d’appliquer le droit portugais au motif que la protection de cette appellation d’origine était uniquement régie par le règlement n° 491/2009 et relevait de la compétence exclusive de l’Union.

30.      En ce qui concerne les autres motifs de nullité invoqués par l’IVDP, le Tribunal a corroboré la compatibilité de la marque contestée avec l’AOP Porto/Port, dans une appréciation analogue (avec de légères variations) à celle de la chambre de recours.

IV.    Le pourvoi formé par l’EUIPO

31.      Dans son unique moyen de pourvoi, l’EUIPO reproche en substance au Tribunal d’avoir soutenu que les AOP peuvent bénéficier, conformément au droit national, d’une protection supplémentaire et parallèle à celle offerte par le droit de l’Union. Cette thèse implique, pour l’EUIPO, une application erronée de l’article 53, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 207/2009, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 4, et avec l’article 53, paragraphe 2, sous d), dudit règlement.

32.      L’EUIPO reconnaît que les vocables « porto » et « port » étaient, à la date de la demande d’inscription de la marque « Port Charlotte » (27 octobre 2006), des termes couverts par la législation communautaire régissant la protection des AOP. La réglementation applicable au moment de la contestation de la marque enregistrée (7 avril 2011) était le règlement n° 1234/2007, modifié par le règlement n° 491/2009. Cette modification, qui a ajouté au règlement n° 1234/2007 les articles 118 bis à 118 unvicies, s’est limitée à reproduire les articles 33 à 51 et 53 du règlement (CE) n° 479/2008 (7). Afin d’apprécier l’intention du législateur de l’Union au sujet de la protection des AOP pour les vins, il convient donc de prêter une attention particulière aux dispositions et aux considérants non seulement du règlement n° 1234/2007 mais aussi du règlement n° 479/2008.

33.      L’EUIPO s’appuie sur l’arrêt du 8 septembre 2009, Budějovický Budvar (8), et fait le parallèle entre le régime de protection des AOP vinicoles et celui des AOP des produits agricoles et des denrées alimentaires, régi par le règlement (CE) n° 510/2006 (9). Cet arrêt lui donne matière à affirmer que le Tribunal commet une erreur de droit en admettant un régime national de protection supplémentaire, étant donné que, comme il existe une législation uniforme en droit de l’Union, toute autre protection par le biais du droit national est exclue. Le règlement n° 491/2009 prévoit des règles uniformes et exhaustives pour tout le territoire de l’Union.

34.      À cet égard, l’EUIPO expose trois arguments : i) pour que la législation nationale puisse coexister avec le régime du droit de l’Union ou puisse y déroger, des règles expresses doivent le prévoir, or l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 ne saurait être considéré comme tel. Il fait uniquement un renvoi général qui ne confère pas aux droits nationaux la capacité de déroger au régime de protection de l’Union ; ii) le principe de subsidiarité dans l’exercice des compétences partagées ne permet pas, conformément à l’article 2, paragraphe 2, TFUE, que les États membres puissent faire usage de leurs compétences après que les institutions de l’Union ont décidé d’exercer les leurs ; iii) selon la jurisprudence de la Cour en matière de protection des appellations d’origine pour les produits agricoles et les denrées alimentaires (10), la protection accordée par le droit national cesse lorsque la protection dispensée par le droit de l’Union entre en vigueur.

35.      L’IVDP s’oppose à cette vision en écartant le parallélisme entre le règlement n° 491/2009, applicable aux AOP viticoles (articles 118 bis à 118 septvicies) et le règlement n° 510/2006, applicable aux appellations d’origine d’autres produits agricoles et denrées alimentaires. Il y aurait lieu selon lui de rejeter la transposition de la jurisprudence de la Cour concernant le règlement n° 510/2006 (11) au secteur vitivinicole. L’IVDP estime que sa position est confortée par le point 28 de l’arrêt Assica et Krafts Foods Italia (12).

36.      Pour l’IVDP, l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 justifie l’application de la protection prévue par le droit national. Il critique l’affirmation de l’EUIPO relative à la possibilité d’une distorsion du fonctionnement du marché intérieur si l’on acceptait que les droits nationaux puissent accorder une protection supplémentaire et indique que la protection conférée par le droit portugais aux AOP de grande renommée est identique à celle conférée par le droit des marques de l’Union européenne.

37.      Bruichladdich soutient en synthèse le raisonnement de l’EUIPO sur le caractère exhaustif de la protection des AOP et des IGP conférée par le droit de l’Union.

38.      Le gouvernement portugais est au contraire d’avis qu’il convient de rejeter la thèse que la protection conférée aux AOP par le droit de l’Union est exhaustive et s’impose à tout autre niveau de protection nationale.

V.      Le pourvoi incident de l’IVDP

39.      Outre son opposition au pourvoi formé par l’EUIPO, l’IVDP formule son propre pourvoi, fondé sur trois moyens. Le premier (13) correspond dans les grandes lignes à celui qu’il a exposé lorsqu’il a répondu au motif corrélatif de l’EUIPO sur l’application exclusive de la protection accordée aux AOP par le droit de l’Union.

40.      Dans son deuxième moyen, l’IVDP reproche au Tribunal (14) d’avoir violé l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 491/2009, en ce qu’il a jugé que la marque contestée n’utilisait pas, pas plus qu’elle n’évoquait, l’AOP Porto/Port, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de vérifier sa renommée.

41.      Selon l’IVDP, l’insertion du terme « port » dans la marque litigieuse imite ou évoque l’AOP Porto/Port, qui a droit à la protection de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement n° 491/2009. La Cour a déjà précisé que la notion d’« évocation » recouvre une hypothèse dans laquelle le terme utilisé pour désigner un produit incorpore une partie d’une dénomination protégée, en sorte que le consommateur, en présence du nom du produit, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’appellation (15).

42.      Dans son troisième moyen, l’IVDP reproche au Tribunal d’avoir considéré (16) que l’emploi de la marque litigieuse n’implique pas l’usurpation, l’imitation ou l’évocation de l’AOP Porto/Port, ce qui, selon lui, viole l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 491/2009. En ce sens, il rejette les réflexions du Tribunal portant sur les caractéristiques du vin d’Oporto et du whisky, qui lui ont permis de conclure que ces deux boissons alcooliques sont bien connues du consommateur moyen. Pour l’IVDP, il s’agit en réalité de produits comparables.

43.      Selon l’EUIPO, les deuxième et troisième moyens de ce pourvoi sont irrecevables, car ils ne concernent pas des appréciations du Tribunal portant sur le droit, mais sur l’estimation de la preuve et des éléments de faits. En ce sens, l’EUIPO invoque l’arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (17), dans lequel la Cour a déclaré que l’appréciation de l’évocation d’une dénomination protégée ne constitue pas une question de droit.

44.      De manière subsidiaire, en ce qui concerne le caractère comparable de la marque contestée et de l’AOP, l’IVDP n’aurait fait que reproduire, selon l’EUIPO, les arguments qu’il a déjà présentés en première instance, sans démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit ou dénaturé les éléments de fait. En outre, l’EUIPO estime que le Tribunal a correctement appliqué la jurisprudence consacrée dans l’arrêt Viiniverla (18) concernant la notion d’« évocation ».

45.      En ce qui concerne le premier moyen du pourvoi soulevé par l’IVDP, l’EUIPO renvoie aux déclarations relatives à la protection uniforme et exhaustive par le droit de l’Union qui figurent dans son propre recours.

46.      Bruichladdich s’oppose également au premier moyen du pourvoi d’IVDP et demande son rejet, en application de la jurisprudence de la Cour relative au règlement n° 510/2006 que le Tribunal aurait correctement appliquée. L’exclusivité du système n’exclurait pas toute protection nationale des AOP et IGP, celle-ci restant possible mais uniquement lorsque ces indications géographiques ne relèvent pas du champ d’application des règlements de l’UE.

47.      Bruichladdich souligne que, dans les domaines couverts par les règlements de l’Union européenne, il y a lieu de considérer l’objectif commun de création d’un système de protection unique à l’échelle de l’Union, ce qui rend impossible une double défense, fondée à la fois sur le droit national et sur le droit de l’Union. La seule exception admise est la prévision de l’application d’un régime transitoire (article 5, paragraphe 6, du règlement n° 510/2006 et article 118 septies, paragraphes 6 et 7, du règlement n° 491/2009).

48.      Enfin, selon Bruichladdich, les deuxième et troisième moyens du pourvoi de l’IVDP sont dépourvus de fondement. Le public pertinent de l’Union ne risque pas de confondre la marque controversée et l’AOP Porto/Port s’il y est confronté. Cette dernière renvoie à une zone du territoire portugais, alors que la première ne renvoie à aucune région, mais à un environnement maritime lié à un port, ou à un prénom féminin (Charlotte) qui serait l’élément principal de la marque. L’absence de similitude entre les signes éliminerait l’option de l’application de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, du règlement n° 491/2009, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les conditions prévues par cet article, et, notamment, celle relative à l’exploitation de la renommée de l’AOP « porto » ou « port ». En tout état de cause, les produits opposés ne seraient pas comparables en ce qui concerne leurs ingrédients, leur goût et leur degré d’alcool.

VI.    Analyse

A.      Observation préalable

49.      Le litige qui doit être tranché dans ce (double) pourvoi porte principalement sur la question de savoir si le régime juridique applicable à la protection d’une AOP viticole est, de manière exclusive ou exhaustive, celui prévu par le règlement n° 1234/2007 (19).

50.      L’IVDP défend, tout comme l’arrêt attaqué, qu’il convient de d’appliquer le droit portugais en ce qu’il offre un niveau de protection plus élevé que celui du droit de l’Union. Cette prémisse ne saurait néanmoins être admise. De fait, dans les écrits présentés devant la Cour, l’IVDP n’a rien dit sur le contenu spécifique de ce prétendu degré supérieur de protection (20). Cela n’a pas été le cas devant le Tribunal, car, dans le recours en annulation (21), l’IVDP affirmait que le droit portugais interdisait d’utiliser l’AOP Porto/Port non seulement en cas de risque de confusion, mais aussi lorsque son utilisation illicite (par une marque) pouvait nuire à la renommée de l’AOP, en tirant indûment profit de son caractère distinctif ou de son prestige.

51.      La prémisse n’est pas, je le répète, exacte, car la protection qu’apporte le droit de l’Union aux AOP viticoles est au moins aussi élevée que celle offerte par le droit portugais exposé par l’IVDP. Concrètement, l’une des causes qui font obstacle à l’enregistrement des marques de l’Union européenne est précisément la tentative de tirer indûment profit du prestige d’une AOP pour des vins.

52.      En réalité, l’IVDP lui-même reconnaît implicitement et explicitement cette réalité, et ce d’un double point de vue. D’une part, dans l’exposé de son pourvoi incident, il s’appuie sur le règlement n° 1234/2007 pour soutenir que son article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), ii), lui permet « d’obtenir une protection contre l’usage et la marque contestée “dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ” “Port” » (22). D’autre part, il indique que « le type de protection accordée par la législation portugaise aux indications géographiques qui bénéficient d’une grande renommée est identique à la protection accordée par le droit de l’UE aux marques réputées » (23).

53.      Si le droit portugais et celui de l’Union offrent une protection équivalente dans ces hypothèses, je pense que le débat suscité sur l’application prioritaire de l’un ou de l’autre sur le fondement du niveau prétendument plus élevé de protection des AOP qui relève des législations nationales est en grande partie artificiel. Le Tribunal aurait donc pu se limiter à examiner le reste des moyens du recours, sans qu’il soit nécessaire de s’aventurer sur le champ d’une problématique plus large qui, tout en étant sans conteste intéressante, ne se posait pas en l’espèce.

54.      Cependant, à partir du moment où l’arrêt attaqué comprend des observations (et le dispositif qui en découle) contraires à l’application exhaustive du droit de l’Union pour délimiter la protection des AOP pour les vins, il doit faire face à la critique formulée dans le pourvoi. La solution viendra, je l’anticipe déjà, de l’interprétation des règlements applicables, et notamment du règlement n° 1234/2007 dans sa rédaction modifiée par le règlement n° 491/2009 (24).

B.      Sur le moyen unique du pourvoi de l’EUIPO et le premier moyen du pourvoi incident de l’IVDP

55.      Il me semble pertinent d’analyser conjointement le moyen unique du pourvoi de l’EUIPO et le premier moyen du pourvoi incident de l’IVDP. Ces deux moyens, bien qu’avec des perspectives différentes, portent sur la question du caractère exhaustif de l’application du règlement n° 1234/2007 par opposition à la thèse selon laquelle les AOP viticoles peuvent jouir d’une protection supplémentaire tirée du droit national.

56.      L’EUIPO s’appuie sur l’arrêt Budějovický Budvar (25) pour exclure l’idée que le droit national puisse offrir aux AOP un niveau de protection qui soit supérieur à celui fixé par le droit de l’Union. Dans l’affaire précitée, la Cour a dû trancher une question identique (26), même si cette dernière portait sur la protection conférée par le règlement n° 510/2006 à une indication géographique de bière. L’arrêt a affirmé le caractère exhaustif de cette protection, car la finalité du règlement n’était pas « d’établir, à côté de règles nationales pouvant continuer à exister, un régime complémentaire de protection des indications géographiques qualifiées, à l’instar par exemple de celui instauré par le règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), mais de prévoir un régime de protection uniforme et exhaustif pour de telles indications » (27).

57.      Les thèses qui s’opposent dans le présent pourvoi soutiennent ou combattent, respectivement, l’idée que la jurisprudence de la Cour sur le règlement n° 510/2006 puisse être étendue au champ d’application du règlement n° 1234/2007. Selon l’IVDP, les AOP pour les vins présentent des caractéristiques tellement spéciales que leur protection doit être différente de celle que le droit de l’Union confère à d’autres produits similaires.

58.      Le Tribunal reconnaît (28) dans un premier temps que l’article 118 quaterdecies, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1234/2007 fixe de manière uniforme et exclusive tant l’autorisation que les limites et, le cas échéant, l’interdiction de l’utilisation commerciale des indications géographiques. Néanmoins, il affirme juste après (29) que l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 (sur les marques de l’Union européenne) permet d’empêcher l’enregistrement d’une marque ou d’obtenir son annulation après son enregistrement, si elle est opposée à un signe antérieur protégé par le droit de l’Union ou par le droit national. Le Tribunal en déduit que l’AOP Porto/Port pourrait bénéficier de la protection supplémentaire éventuellement conférée par le droit portugais.

59.      Une lecture isolée de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 permettrait, en théorie, de corroborer la conclusion à laquelle parvient le Tribunal. Néanmoins, son interprétation ne peut faire abstraction des implications qui résultent d’autres éléments normatifs du droit de l’Union. Concrètement, il convient d’examiner la réglementation propre aux AOP et aux IGP, après que l’Union a exercé à leur égard ses propres compétences. Le législateur de l’Union s’est en outre livré à cet exercice par l’introduction dans le règlement n° 1234/2007 d’une disposition particulière (l’article 118 terdecies) visant à déterminer précisément la relation de ces modalités de droits de propriété intellectuelle (de nature collective) avec des marques enregistrées de l’Union (de nature individuelle).

60.      En effet, le législateur de l’Union a décidé d’exercer ses compétences sur les AOP et les IGP tant dans le domaine des produits agricoles et des denrées alimentaires (règlement n° 510/2006) que dans celui relatif aux boissons spiritueuses [règlement (CE) n° 110/2008 (30)] et au secteur vitivinicole (règlement n° 1234/2007). En dehors des domaines couverts par ces règlements, les appellations d’origine et les indications géographiques continuent de relever de la compétence des États membres.

61.      Dans les secteurs communautarisés, la protection conférée par les règlements de l’Union ne touche pas toutes les appellations d’origine ou indications géographiques, mais uniquement celles qui relèvent de leur définition. En ce qui concerne les premières, la protection couvre les AOP qui désignent des produits dont la qualité et les caractéristiques sont essentiellement et exclusivement dues à un environnement géographique particulier, avec les facteurs naturels et humains inhérents à celui-ci. En ce qui concerne les secondes, seules les appellations qualifiées sont protégées, ce sont celles qui portent sur les produits lorsqu’ils possèdent une qualité, une renommée ou d’autres caractéristiques spéciales attribuables à leur origine géographique. Les IGP partagent avec les AOP la composante territoriale, mais ces dernières sont réservées à des produits dont les particularités sont dues aux facteurs naturels ou humains de leur lieu d’origine.

62.      Cela étant précisé, dans le cas des AOP viticoles, l’action législative de l’Union a épuisé, en elle-même, le domaine de protection, afin d’uniformiser son régime pour tous les États membres (31). La marge de manœuvre des États leur permet de déployer leur action dans le secteur de la réglementation des indications géographiques simples (non qualifiées), c’est-à-dire celles qui n’exigent pas que les produits aient un attribut particulier ou une certaine renommée, tirés de leur lieu d’origine, mais dont les qualités doivent néanmoins être suffisantes pour identifier ce lieu. La réglementation de l’Union couvre uniquement les AOP et les IGP, mais elle le fait de manière exhaustive, alors que les indications géographiques simples tirent leur protection du droit national.

63.      En substance, le parallélisme du règlement n° 510/2006, d’une part, et du règlement n° 1234/2007 dans la partie relative aux AOP pour les vins, d’autre part, me semble indéniable. Leur finalité est la même, celle d’assurer au consommateur – ainsi que, d’un autre point de vue, aux titulaires des dénominations respectives – que les produits qui sont visés par l’un ou l’autre de ces règlements répondent à un haut niveau de qualité, sur le fondement de leur origine géographique. Les règlements coïncident également en ce que ces produits (vinicoles dans un cas, alimentaires et agricoles en général dans l’autre cas) doivent être assujettis à un même système d’enregistrement et de protection consécutive uniforme sur tout le territoire de l’Union, quelle que soit leur origine nationale.

64.      De fait, le règlement n° 479/2008 (dont le texte entreprendrait ensuite la réforme du règlement n° 1234/2007) souligne que ce dernier n’est autre que la transposition, dans le domaine des AOP vinicoles, des principes du règlement n° 510/2006. Son considérant 27 indique explicitement que « les demandes d’appellation d’origine ou d’indication géographique so[n]t examinées conformément à la politique horizontale communautaire en matière de qualité des produits alimentaires autres que les vins et les spiritueux, qui est définie par le règlement (CE) n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires ».

65.      Le parallélisme ainsi proclamé ressort de l’analyse des caractéristiques de la procédure pour l’enregistrement des AOP et des IGP. L’arrêt Budějovický Budvar a relevé que « contrairement à d’autres régimes communautaires de protection de droits de propriété industrielle et commerciale […], la procédure d’enregistrement des règlements nos 2081/92 et 510/2006 est fondée sur un partage des compétences entre l’État membre concerné et la Commission, puisque la décision d’enregistrer une dénomination ne peut être prise par la Commission que si l’État membre concerné lui a soumis une demande à cette fin et qu’une telle demande ne peut être faite que si l’État membre a vérifié qu’elle est justifiée (arrêt du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, Rec. p. I-9517, point 53). Les procédures nationales d’enregistrement sont donc intégrées dans la procédure décisionnelle communautaire et en constituent une partie essentielle. Elles ne peuvent exister en dehors du régime de protection communautaire » (32).

66.      Ce modèle a été intégré dans le règlement n° 479/2008 pour le secteur vitivinicole (33), et dans le règlement n° 110/2008 (article 17) pour les boissons spiritueuses. Les raisonnements suivis par la Cour dans l’arrêt Budějovický Budvar, et que j’ai reproduits au point précédent pour cette facette (procédurale) des règlements nos 2081/92 et 510/2006, peuvent donc être extrapolés au règlement n° 1234/2007.

67.      En outre, les règlements eux-mêmes confirment que l’adoption des règlements applicables aux AOP et aux IGP déplace les régimes nationaux de protection, en ce qu’ils imposent des règles transitoires, compte tenu de ce que des systèmes nationaux qui avaient déjà une législation régulant les appellations d’origine et d’autres à qui cette législation faisait (ou fait) défaut coexistaient dans l’Union européenne (34).

68.      En ce qui concerne les vins, il faut remonter au règlement n° 1493/1999, dont l’article 54, paragraphe 2, définissait les « vins de qualité produits dans des régions déterminées » (v.q.p.r.d.), et leurs catégories. Le paragraphe 4 de cet article énonçait que « [l]es États membres communiquent à la Commission la liste des v.q.p.r.d. qu’ils ont reconnus, en indiquant, pour chacun de ces v.q.p.r.d., la référence aux dispositions nationales qui régissent leur production et leur élaboration ». Étant donné que l’AOP Porto/Port bénéficiait d’une protection conformément au droit portugais, ses vins ont été inscrits sur la liste v.q.p.r.d. et étaient automatiquement protégés, en vertu du règlement n° 1234/2007 (article 118 vicies, paragraphe 1), la Commission les inscrivant ensuite dans le registre prévu à l’article 118 quindicies du même règlement (liste E-Bacchus) (35).

69.      Néanmoins, ce caractère automatique est nuancé par l’article 118 vicies du règlement n° 1234/2007, qui a adopté certaines précautions pour garantir que les vins de la liste E-Bacchus répondaient aux conditions exigibles, en établissant des délais pour que les États membres remettent les informations indispensables et pour que la Commission contrôle si l’inscription sur le registre était ou non adéquate (36).

70.      Dans l’hypothèse où un État membre ne disposerait pas d’une législation nationale sur les AOP, l’article 118 septies, paragraphe 7, du règlement n° 1234/2007, lui donne qualité afin que, à titre provisoire uniquement, il octroie une protection à l’appellation au niveau national. Cette protection transitoire cesse à la date à laquelle la Commission adopte une décision d’enregistrement ou de refus d’enregistrement, conformément audit règlement.

71.      Toutes ces dispositions transitoires corroborent, si besoin est, que les États membres ont perdu la compétence pour conférer une protection supplémentaire et renforcée aux AOP sur les vins, une fois que celles-ci jouissent du statut qui leur est reconnu par le règlement n° 1234/2007. Dans le cas contraire, prévoir le passage d’une situation ancienne à une situation nouvelle, dont la finalité est, précisément, de structurer le transfert de la compétence pour fixer le cadre de la protection, n’aurait aucun sens. Une fois encore, les réflexions qui figurent dans l’arrêt Budějovický Budvar (37) peuvent être transposées sur ce point au règlement n° 1234/2007.

72.      Face à ces éléments de réflexion (et à ceux qui sont sous-jacents dans l’arrêt Budějovický Budvar (38), sur lesquels il ne me semble pas opportun de m’étendre), l’IVDP insiste sur les différences entre les règlements nos 510/2006 et 479/2008. Sans pour autant nier que certaines de ces différences existent, je pense qu’elles n’invalident pas l’analogie profonde des deux règlements, en ce qui concerne leurs objectifs et leurs caractéristiques essentielles.

73.      L’IVDP invoque le considérant 28 du règlement n° 479/2008 pour soutenir que l’Union européenne souhaitait respecter les particularités nationales en matière de protection des vins, ainsi que le prouverait son libellé : « [p]our préserver les caractéristiques particulières des vins bénéficiant d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique, il convient d’autoriser les États membres à appliquer des règles plus strictes à cet égard ».

74.      Néanmoins, ce raisonnement ne me paraît pas convaincant. Il convient au contraire de relier le sens du considérant 28 du règlement n° 479/2008 à l’article 120 quinquies du règlement n° 1234/2007, qui habilite les États membres à réclamer l’utilisation de certaines pratiques œnologiques ou à établir des restrictions plus sévères pour les vins élaborés sur leur territoire et couverts par des AOP. Cet article n’invalide pas l’uniformité ni le caractère exclusif du régime de protection conféré aux AOP dont les vins ont atteint des seuils de qualité minimale. Si un État membre prévoit que ses vins ne pourront accéder au statut d’AOP qu’après avoir respecté des pratiques de production plus rigoureuses, il peut légitimement le faire. Cependant, je répète que cette exigence ne signifie pas que le régime de protection de l’AOP, une fois enregistrée pour tout le territoire de l’Union, puisse être abandonné au gré du droit national (39).

75.      Le raisonnement exposé jusqu’à présent m’amène à proposer l’accueil du moyen unique du pourvoi de l’EUIPO. Si le Tribunal a souligné à bon droit dans son arrêt le caractère « exclusif » de la protection accordée par l’article 118 quaterdecies, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1234/2007 (40), il a commis une erreur de droit en invalidant, dans les points suivants de son arrêt (points 44 à 49), cette affirmation – correcte – en admettant une protection complémentaire des droits nationaux, qu’il avait auparavant implicitement rejetée.

C.      Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi incident de l’IVDP

1.      Quant à la recevabilité des moyens

76.      Une première lecture de ces deux moyens de pourvoi avancés par l’IVDP pourrait conduire à leur rejet, ainsi que le défendent les autres parties au litige, en ce qu’ils semblent viser de simples appréciations du Tribunal qui échappent au contrôle de la Cour, conformément à la jurisprudence constante de cette dernière (41).

77.      En effet, si le contenu de ces deux moyens se limitait à diverger des appréciations du Tribunal en ce qui concerne la similitude de la marque et de l’AOP, ou les éléments prédominants que le public pourrait percevoir pour l’une ou l’autre, ou encore le risque de confusion entre elles, je me joindrais à l’exception d’irrecevabilité soulevée.

78.      Néanmoins, je crois que cela n’est pas le sens véritable des deux moyens du pourvoi et qu’un réel problème de droit y est soulevé, la contestation ne concernant pas la simple appréciation des faits ni ce que la Cour désigne par le terme « considérations de caractère factuel ». Il s’agit de déterminer si l’interprétation par le Tribunal de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 1234/2007 a respecté le contenu normatif de cet article. Pour confirmer ou rejeter cette interprétation il y a manifestement lieu de recourir à des notions juridiques (l’utilisation, l’usurpation, l’imitation, l’évocation, le profit indu de la réputation) qui, appliquées à certains signes distinctifs et aux AOP, exigent nécessairement un jugement concret et non pas simplement abstrait. Si la Cour ne pouvait pas, lorsqu’elle exerce sa fonction de juridiction de pourvoi, vérifier la conformité au droit de l’interprétation réalisée par le Tribunal sur ce terrain, je crains que ses pouvoirs de contrôle ne soient largement amoindris.

79.      L’EUIPO invoque au soutien de son exception d’irrecevabilité le point 31 de l’arrêt Viiniverla (42), dans lequel la Cour a rappelé qu’il incombait à la juridiction ayant émis une question préjudicielle « d’apprécier si la dénomination “Verlados” […] constitue une “évocation”, au sens de l’article 16, sous b), du règlement n° 110/2008, de l’indication géographique protégée “Calvados” ». Néanmoins, on ne saurait déduire de cette affirmation, logique dans le contexte d’un renvoi préjudiciel, que la Cour n’a pas le droit de se prononcer, dans le cadre d’un pourvoi, sur la manière dont le Tribunal a interprété et appliqué la notion juridique de l’évocation (ou toute autre notion analogue) dans son arrêt.

80.      En outre, compte tenu des termes de l’arrêt d’instance, c’est la capacité même de l’AOP Porto/Port (bien que cela pourrait être n’importe quelle autre AOP) à remplir les fonctions qui lui sont inhérentes et à jouir de la protection du droit de l’Union qui est maintenant en jeu. Si l’on admettait – ainsi qu’il résulte de l’interprétation réalisée par le Tribunal lorsqu’il a corroboré l’interprétation de la chambre de recours – que cette appellation géographique a un très faible caractère distinctif (43), de sorte qu’il suffirait d’ajouter au terme « Port » un autre terme (en l’espèce « Charlotte ») pour pouvoir enregistrer des marques de l’Union européenne qui identifient d’autres boissons alcooliques, j’estime que l’AOP Porto/Port subirait un sérieux préjudice. En effet, elle ne pourrait pas se défendre contre des marques successives déposées pour des boissons alcooliques qui utiliseraient son élément caractéristique (Porto/Port) en y ajoutant l’un quelconque des mille termes géographiques ou toponymiques possibles.

81.      En d’autres termes, l’erreur de droit sous-jacente dans cette partie de l’arrêt du Tribunal consiste selon moi à ne pas respecter la règle de l’Union qui consacre le droit de l’AOP Porto/Port, tiré du règlement n° 1234/2007, à interdire l’enregistrement de toute marque pour des boissons alcooliques utilisant cette appellation. Le droit d’exclusion (jus excludendi alios) est la clé de la protection accordée aux AOP viticoles par le règlement n° 1234/2007, dont l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, protège les AOP contre l’utilisation commerciale, directe ou indirecte, de leurs noms, dans la mesure où cet usage profite de la réputation d’une AOP [sous a)] et contre l’usurpation, l’imitation ou l’évocation de l’AOP concernée [sous b)]. C’est sur ces deux modalités de défense que portent les moyens du pourvoi incident de l’IVDP, et ces moyens me semblent recevables.

2.      Sur le deuxième moyen du pourvoi incident de l’IVDP

82.      L’IVDP a soutenu devant le Tribunal dans son recours en nullité que la chambre de recours enfreignait l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement n° 1234/2007, en rejetant l’argument selon lequel l’intégration de l’AOP Porto/Port à la marque « Port Charlotte » impliquait un profit indu de sa réputation. Le Tribunal lui a répondu en confirmant la décision de la chambre de recours, à savoir en estimant que « la marque contestée n’utilisait, ni évoquait, ladite appellation d’origine, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de vérifier sa renommée » (44).

83.      Cette réponse du Tribunal s’écarte des arguments de la requérante. Lorsque celle-ci introduit une discussion sur le profit indu tiré de la renommée de l’AOP, le Tribunal fait appel à la notion d’« évocation », qui ne figure pas dans l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement n° 1234/2007, mais qui figure dans le même paragraphe sous b), lequel fait l’objet d’un autre moyen du recours.

84.      Le Tribunal n’est pas cohérent lorsqu’il affirme que « la marque contestée n’utilisait […] [pas] ladite appellation d’origine » (point 72 de l’arrêt attaqué) et qu’il affirme juste après que « le terme “port” fait partie intégrante de la marque contestée » (point 76 de l’arrêt attaqué, qui est consacré à l’analyse de la notion d’« évocation »).

85.      En écartant momentanément les problèmes relatifs à l’évocation, sur lesquels je reviendrai dans le moyen suivant, il est indéniable que la marque « Port Charlotte » reproduit le terme propre de l’AOP, à savoir « Port ». Il apparaît à première vue que son composant initial est identique à l’AOP. Partant, la première condition clé pour obtenir la protection prévue par l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement n° 1234/2007 est remplie et le Tribunal commet une erreur en ne l’acceptant pas au point 72 de l’arrêt attaqué.

86.      La condition de la réputation des vins de l’AOP est également remplie, et il n’y a pas de débat à cet égard, car elle peut être considérée comme notoire (45). La discussion se limite donc à déterminer si l’usage du terme « Port » protégé par l’AOP dans la marque contestée implique un profit indu de cette dernière, aux fins de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement n° 1234/2007.

87.      Les raisons pour lesquelles le Tribunal a rejeté l’existence de ce profit indu reposent sur une base juridiquement erronée, que j’ai déjà mentionnée. Pour le Tribunal, l’AOP Porto/Port souffre en réalité d’un manque de caractère distinctif propre, car son seul terme (Porto/Port), une fois intégré dans une marque pour boissons alcooliques qui le reproduit avec un autre vocable, sera perçu par le public comme la désignation d’un simple lieu géographique (un port) caractérisé par le deuxième élément. Porto/Port serait donc selon cette thèse une appellation soit générique, soit simplement commune, susceptible d’appropriation par tout opérateur économique souhaitant identifier ses propres boissons alcooliques avec elle, en ajoutant un autre vocable (de personne, de ville ou de tout toponyme ou accident géographique).

88.      Cette prémisse me semble inacceptable dans la mesure où elle affaiblit tellement le caractère distinctif de l’AOP Porto/Port qu’elle la transforme, de facto, en une appellation générique, contrairement à l’interdiction expresse figurant à l’article 118 quaterdecies, paragraphe 3, du règlement n° 1234/2007 (46).

89.      Admettre, ainsi que le fait le Tribunal (47), que le terme « port » correspond également dans le contexte des boissons alcooliques, à un port fluvial ou maritime, plutôt qu’à l’AOP, implique de vider celle-ci de son contenu jusqu’à lui attribuer des caractéristiques génériques qui la privent de protection. Bien que « port » signifie « port » en anglais ou en français, cette circonstance ne saurait justifier que l’AOP soit privée de protection : la décision de lui attribuer la même protection qu’aux autres AOP viticoles, et non une protection affaiblie en fonction de certaines considérations sémantiques, a été adoptée lorsque les autorités de l’Union européenne ont validé son enregistrement sur la liste des AOP.

90.      En l’espèce, la conséquence de cette protection, conférée par le droit de l’Union est que le terme « port » ne pouvait pas être utilisé, seul ou avec d’autres, dans des marques identifiant des boissons alcooliques susceptibles de tirer indûment profit de sa réputation (notamment celles identifiant des boissons pour lesquelles il existe une certaine proximité concurrentielle, étant donné qu’elles sont destinées au même type de public et qu’elles partagent les mêmes canaux de distribution et de vente).

91.      Partant, le Tribunal a commis une erreur de droit en réalisant une appréciation incorrecte de la portée de la protection dont bénéficient les AOP viticoles (y compris l’AOP Porto/Port), alors que cette appréciation constitue le préalable pour se prononcer sur l’éventuel profit indu de la réputation des AOP que retireraient les marques qui s’approprient le terme caractéristique des AOP.

3.      Sur le troisième moyen du pourvoi incident de l’IVDP

92.      Ce moyen s’appuie sur la violation de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1234/2007. L’IVDP reproche au Tribunal de ne pas admettre qu’il y a évocation de l’AOP Porto/Port par la marque contestée (48).

93.      En réalité l’accueil du moyen antérieur permettrait de renoncer à l’analyse de celui-ci, car après avoir relevé la violation de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement n° 1234/2007, l’annulation de l’arrêt du Tribunal s’impose. J’entreprendrai néanmoins l’examen de ce troisième moyen du pourvoi.

94.      La jurisprudence de la Cour (49) a déclaré que la notion d’« évocation » « recouvre une hypothèse dans laquelle le terme utilisé pour désigner un produit incorpore une partie d’une dénomination protégée, de sorte que le consommateur, en présence du nom du produit, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’appellation » (50).

95.      L’interdiction de l’évocation n’est pas nécessairement liée à l’existence d’une confusion réelle auprès du public. Il n’est pas indispensable que le consommateur pense que la marque évocatrice couvre ce que l’AOP évoquée protège. La Cour a souligné de manière constante qu’il peut y avoir évocation d’une AOP même lorsqu’il n’y a pas de risque de confusion entre les produits (51).

96.      Il est vrai que le Tribunal a renvoyé, au point 76 de l’arrêt attaqué, à la jurisprudence de la Cour selon laquelle il n’est pas nécessaire qu’il existe un risque de confusion pour qu’il y ait évocation. Néanmoins, en développant sa position sur ce point, il a confirmé la décision de la chambre de recours selon laquelle il y avait « absence d’une “évocation” d’un vin de Porto […], le whisky étant un produit différent et aucun élément de la marque contestée ne contenant une indication potentiellement fallacieuse ou trompeuse » (52). Après avoir posé cette prémisse, le Tribunal a rejeté le moyen corrélatif d’annulation, en faisant appel aux « considérations exposées aux point 71 ci-dessus » concernant l’usage de la marque litigieuse (53).

97.      J’estime que cet argumentation du Tribunal est entachée d’une double erreur de droit : a) d’une part, elle est erronée sur la notion même d’« évocation », ainsi qu’elle a été interprétée par la jurisprudence de la Cour, en ce que le Tribunal estime qu’il n’y a pas évocation en l’espèce, car il n’y a pas de risque de confusion entre le whisky et le vin d’Oporto ; et d’autre part, b) le Tribunal réitère, en renvoyant à un passage antérieur de l’arrêt, la même erreur que celle déjà examinée lors de l’analyse du deuxième moyen du pourvoi de l’IVDP.

98.      La marque « Port Charlotte », même « en l’absence de tout risque de confusion » (54) avec l’AOP Porto/Port peut évoquer, dans la perception qu’en a le consommateur européen normalement informé et raisonnablement attentif, les vins protégés par cette AOP. Le Tribunal aurait dû faire abstraction du risque de confusion (55) pour se concentrer sur la question de savoir si la nouvelle marque créait « une association d’idées quant à l’origine du produit » (56), notamment compte tenu du fait qu’il s’agissait de produits d’apparence analogue, tous les deux mis en bouteille en tant que boissons alcooliques, et compte tenu de la similitude phonétique (partielle) entre l’AOP réputée et la marque dont la nullité était demandée (57).

99.      En somme, j’estime que les deux moyens du pourvoi présentés tant par l’EUIPO que l’IVDP devraient être accueillis, ce qui amène à une annulation de l’arrêt attaqué.

100. Selon l’article 61, paragraphe 1, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en cas d’annulation de l’arrêt du Tribunal, la Cour peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé. J’estime que c’est le cas dans la présente espèce.

VII. Conclusion

101. Au regard de ces considérations, je conclus qu’il plaise à la Cour :

1)      annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 18 novembre 2015, Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto, IP/OHMI – Bruichladdich Distillery (T‑659/14, non publié, EU:T:2015:863) ;

2)      annuler la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 8 juillet 2014 (affaire R 946/2013-4), relative à une demande de nullité de la marque « Port Charlotte » n° 542474 ;

3)      condamner chaque partie au paiement de ses propres dépens.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      L’AOP recouvre les termes « Oporto », « Porto », « Port », « Portvin », « Port wine », « Portwein », « Portwijn », « vin de Porto » et « vinho do Porto ».


3      Arrêt du 18 novembre 2015, Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto/OHMI – Bruichladdich Distillery (Port Charlotte) (T‑659/14, EU:T:2015:863, ci‑après l’« arrêt attaqué »).


4      Règlement du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire (JO 2009, L 78, p. 1).


5      Règlement du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement « OCM unique ») (JO 2007, L 299, p. 1), dans sa version modifiée par le règlement (CE) n° 491/2009, du Conseil du 25 mai 2009 (JO 2009, L 154, p. 1, ci-après le « règlement n° 1234/2007 »).


6      Arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, modifié à Genève le 28 septembre 1979 (Recueil des Traités des Nations Unies, vol. 1154, n° I-18200, p. 89).


7      Règlement du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole, modifiant les règlements (CE) n° 1493/1999, (CE) n° 1782/2003, (CE) n° 1290/2005 et (CE) n° 3/2008, et abrogeant les règlements (CEE) n° 2392/86 et (CE) n° 1493/1999 (JO 2008, L 148, p. 1). En vigueur depuis le 1er août 2009 pour les dispositions d’application.


8      Arrêt du 8 septembre 2009 (C‑478/07, EU:C:2009:521).


9      Règlement du Conseil du 20 mars 2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires.


10      Arrêt du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola (C‑87/97, EU:C:1999:115).


11      Arrêt du 8 septembre 2009, Budějovický Budvar (C‑478/07, EU:C:2009:521).


12      Arrêt du 8 mai 2014 (C‑35/13, EU:C:2014:306).


13      Celui dans lequel l’IVDP critique particulièrement les points 38 et 41 de l’arrêt attaqué.


14      Concrètement, il critique les points 68 à 73 de l’arrêt attaqué.


15      L’IVDP cite les arrêts du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola (C‑87/97, EU:C:1999:115, point 25) ; du 26 février 2008, Commission/Allemagne (C‑132/05, EU:C:2008:117, point 44), et du 14 juillet 2011, Bureau national interprofessionnel du Cognac (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 56).


16      Il fait référence sur ce sujet aux points 74 à 77 de l’arrêt attaqué.


17      Arrêt du 21 janvier 2016 (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 31).


18      Arrêt du 21 janvier 2016 (C‑75/15, EU:C:2016:35).


19      Dans l’arrêt attaqué et dans les observations écrites des parties, le règlement n° 491/2009 a été cité comme étant la règle applicable. En réalité, il s’agit de la version du règlement n° 1234/2007 modifié par le règlement n° 491/2009. Initialement, le règlement n° 1234/2007 ne comprenait que les dispositions du secteur vitivinicole, lesquelles ne devaient pas être réformées. Les dispositions qui étaient en cours de modification devaient être intégrées après leur adoption, ce qui s’est produit avec le règlement n° 479/2008, portant organisation commune du marché vitivinicole. Le règlement n° 491/2009 intègre totalement le secteur vitivinicole dans le règlement n° 1234/2007, en introduisant dans celui-ci les décisions normatives adoptées dans le règlement n° 479/2008.


20      Lors de l’audience, l’avocat de l’IVDP a expliqué pour répondre aux questions de la Cour que la protection supérieure du droit national consistait en l’interdiction pour une marque de profiter indûment du prestige de l’AOP Porto/Port.


21      Point 60 de la requête déposée devant le Tribunal le 15 septembre 2014.


22      Point 22 du pourvoi incident.


23      Point 90 du mémoire en défense d’IVDP dans le pourvoi introduit par l’EUIPO.


24      Il y a lieu d’ajouter que les raisons qui ont conduit le législateur de l’Union à établir l’organisation du marché vitivinicole figurent dans les considérants du règlement n° 479/2008, antérieur au règlement n° 491/2009, ces considérants devenant ainsi un instrument d’interprétation de la portée de la réglementation.


25      Arrêt du 8 septembre 2009 (C‑478/07, EU:C:2009:521).


26      Les termes de cette controverse étaient tellement similaires à ceux du présent litige que, huit ans plus tard, les paroles de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer tirés du point 89 de ses conclusions dans l’affaire Budějovický Budvar (C‑478/07, EU:C:2009:52) sont toujours valables : « En somme, la juridiction de renvoi demande à la Cour de se prononcer sur l’exclusivité du régime de protection communautaire des indications géographiques et des appellations d’origine, un des points les plus discutés dans ce domaine, et que la jurisprudence n’a tranché que partiellement à ce jour ».


27      Arrêt du 8 septembre 2009, Budějovický Budvar (C‑478/07, EU:C:2009:521, point 114).


28      Arrêt attaqué, point 41.


29      Arrêt attaqué, points 44 à 49.


30      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 janvier 2008 concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) no 1576/89 du Conseil (JO 2008, L 39, p. 16).


31      Le législateur souhaite de surcroît étendre à d’autres secteurs cette tendance à l’uniformisation. Par exemple, le Parlement européen a adopté une proposition de résolution, le 6 octobre 2015, sur l’éventuelle extension de la protection des indications géographiques de l’Union européenne aux produits non agricoles [2015/2053 (INI)]. Dans cette résolution, il apparaît que « les législations nationales existantes qui protègent les produits non agricoles donnent lieu à des niveaux de protection différents dans les États membres, que cette situation n’est pas conforme aux objectifs du marché intérieur et que cela entrave la protection efficace de ces produits sur le territoire européen et dans les États membres où ils sont dépourvus de couverture réglementaire, ce qui met en exergue la nécessité d’élaborer un système unique de protection des indications géographiques sur tout le territoire de l’Union » (souligné par nos soins). Voir la résolution dans laquelle il est demandé à la Commission d’élaborer au plus vite une proposition législative en ce sens, sur le site : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A8-2015-0259+0+DOC+XML+V0//ES


32      Arrêt du 8 septembre 2009 (C‑478/07, EU:C:2009:521, points 116 et 117). Ce même objectif de garantir dans l’Union la protection uniforme des indications géographiques qui correspondent au règlement [alors règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO 1992, L 208, p. 1)], sous réserve de leur enregistrement conformément au règlement, figure dans l’arrêt du 9 juin 1998, Chiciak et Fol (C‑129/97 et C‑130/97, EU:C:1998:274, point 25). Dans le même ordre d’idées, voir arrêt du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola (C‑87/97, EU:C:1999:115, point 18).


33      Le considérant 29 de ce règlement décrit la voie à suivre pour obtenir la protection par l’intermédiaire du registre communautaire, et il incombe à la Commission de veiller, d’une part, à ce que les demandes d’inscription respectent les conditions énumérées dans le règlement et, d’autre part, à ce que cette approche soit uniforme dans tous les États membres.


34      L’arrêt du 8 septembre 2009, Budějovický Budvar (C‑478/07, EU:C:2009:521, points 118 à 120) et celui du 9 juin 1998, Chiciak et Fol (C‑129/97 et C‑130/97, EU:C:1998:274, point 28), ont considéré cet élément comme un indicateur de la perte par les États membres de leurs régimes de protection.


35      Voir sur http://ec.europa.eu/agriculture/markets/wine/e-bacchus/index.cfm


36      En vertu de cet article, la Commission pouvait, si l’information pertinente n’était pas présentée dans les délais, supprimer les AOP de la liste E-Bacchus. Elle pouvait également décider, jusqu’au 31 décembre 2014, de l’annulation de la protection des AOP qui ne respectaient pas les conditions de l’article 118 ter du règlement n° 1234/2007.


37      Arrêt du 8 septembre 2009 (C‑478/07, EU:C:2009:521).


38      Arrêt du 8 septembre 2009 (C‑478/07, EU:C:2009:521).


39      L’admission de niveaux nationaux de qualité supérieure, au-delà des niveaux fixés dans les règlements, figure également pour les boissons spiritueuses à l’article 6 du règlement n° 110/2008.


40      Ainsi, au point 38 de l’arrêt attaqué on peut lire : « […] conformément à l’esprit et au système du cadre réglementaire unique de la politique agricole commune (considérant 1 du règlement n° 491/2009 ; voir également, en ce sens et par analogie avec le règlement n° 510/2006, arrêt du 8 septembre 2009, Budějovický Budvar, C‑478/07, EU:C:2009:521, points 107 et suiv.), pour ce qui est du champ d’application du règlement n° 491/2009, les conditions précises et la portée de cette protection sont établies exclusivement à l’article 118 quaterdecies, paragraphes 1 et 2, du même règlement ».


41      Voir, arrêt récent du 2 mars 2017, Panrico/EUIPO (C‑655/15 P, non publié, EU:C:2017:155, point 68), dans lequel la Cour cite l’ordonnance du 16 mai 2013, Arav/H.Eich et OHMI (C‑379/12 P, non publiée, EU:C:2013:317, points 42, 81 et 82) ; arrêt du 19 mars 2015, MEGA Brands International/OHMI (C‑182/14 P, EU:C:2015:187, points 48 à 51) ; et ordonnance du 7 avril 2016, Harper Hygienics/EUIPO (C‑475/15 P, non publiée, EU:C:2016:264, points 35 et 36).


42      Arrêt du 21 janvier 2016 (C‑75/15, EU:C:2016:35).


43      Ainsi que l’EUIPO et Bruichladdich l’ont soutenu lors de l’audience mais en d’autres termes. Concrètement, l’EUIPO a exposé que « Porto et Port sont des termes génériques » même lorsqu’elle a nuancé par la suite son affirmation en alléguant qu’« ils avaient une certaine connotation générique ».


44      Point 72 de l’arrêt attaqué.


45      Selon l’IVDP (point 83 du recours en annulation), l’EUIPO avait admis la renommée de l’AOP Porto/Port dans des décisions antérieures qu’il citait dans son mémoire. Il ne semble pas que ce point ait réellement fait l’objet de contestation, compte tenu de la notoriété et de la reconnaissance internationale des vins de l’AOP.


46      Le souci d’interdire l’usage indu des AOP pour des vins en invoquant leur hypothétique caractère générique est très ancien. L’article 4 de l’arrangement de Madrid concernant la répression des indications de provenance fausses ou fallacieuses sur les produits, du 14 avril 1891, avait déjà indiqué que « [l]es tribunaux de chaque pays auront à décider quelles sont les appellations qui, à raison de leur caractère générique, échappent aux dispositions du présent Arrangement, les appellations régionales de provenance des produits vinicoles n’étant cependant pas comprises dans la réserve spécifiée par cet article » (souligné par mes soins).


47      Point 71 de l’arrêt attaqué.


48      Points 74 à 77 de l’arrêt attaqué.


49      Arrêt du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola (C‑87/97, EU:C:1999:115, point 25), arrêt du 26 février 2008, Commission/Allemagne (C‑132/05, EU:C:2008:117, point 44) ; arrêt du 14 juillet 2011, Bureau national interprofessionnel du Cognac (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 46), et arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 21).


50      Cette jurisprudence a parfois été critiquée en ce qu’elle exige « l’incorporation d’une partie de l’appellation protégée », car il pourrait advenir que, même sans cette incorporation, une marque détienne des éléments qui évoquent l’AOP dans l’esprit du public.


51      Arrêt du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola (C‑87/97, EU:C:1999:115, point 26), arrêt du 26 février 2008, Commission/Allemagne (C‑132/05, EU:C:2008:117, point 45), et arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 45).


52      Point 74 de l’arrêt attaqué.


53      Point 75 de l’arrêt attaqué.


54      Arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 52).


55      L’EUIPO avait reconnu ce risque dans des précédents analogues, qui ont été mis en évidence par l’IVDP devant le Tribunal (point 71 de la requête). Concrètement, dans sa décision du 14 mai 2014, l’EUIPO a fait droit à l’opposition de l’IVDP à l’enregistrement de la marque de l’Union européenne n° 11229317 « Port Ruhige » pour du whisky, après avoir soutenu qu’il existait un risque de confusion entre cette marque et l’AOP Porto/Port, compte tenu de leur similitude visuelle, phonétique et conceptuelle, et du fait qu’il s’agissait de boissons alcooliques qui étaient commercialisées par les mêmes canaux de distribution. L’EUIPO a rejeté, pour se prononcer en ce sens, entre autres, l’allégation du titulaire de la marque qui soulignait le faible caractère distinctif de l’AOP. Il a en outre admis que certains consommateurs pouvaient « présumer que la marque [Port Ruhige] est une sous-appellation, pour l’exportation, de l’AOP [Port] ».


56      Arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 45).


57      Critère employé pour les arrêts du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola (C‑87/97, EU:C:1999:115, point 27) ; du 26 février 2008, Commission/Allemagne (C‑132/05, EU:C:2008:117, point 27) ; du 14 juillet 2011, Bureau national interprofessionnel du Cognac (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 57) et du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 33).