Language of document : ECLI:EU:C:2013:450

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Yves Bot

présentées le 4 juillet 2013 (1)

Affaire C‑59/12

BKK Mobil Oil Körperschaft des öffentlichen Rechts

contre

Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Protection des consommateurs – Pratiques commerciales déloyales – Directive 2005/29/CE – Champ d’application ratione personae – Informations trompeuses diffusées par une caisse d’assurance maladie constituée sous la forme d’un organisme de droit public – Notion de ‘professionnel’»





1.        Par la présente question préjudicielle, le Bundesgerichtshof (Allemagne) demande à la Cour d’interpréter la notion de «professionnel», au sens de la directive 2005/29/CE (2) relative aux pratiques commerciales déloyales et ainsi de préciser le champ d’application des règles énoncées par cette dernière. En particulier, la question est de savoir si la publicité trompeuse que diffuse une entité de droit public en charge d’une mission d’intérêt général, telle qu’une caisse d’assurance maladie, est susceptible de constituer une pratique commerciale déloyale commise par un professionnel à l’égard des consommateurs et être ainsi condamnée par les États membres.

2.        Cette question s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant BKK Mobil Oil Körperschaft des öffentlichen Rechts (ci-après «BKK»), une caisse allemande d’assurance maladie, à Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV (association de lutte contre la concurrence déloyale, ci-après «Wettbewerbszentrale»), au sujet d’une publicité diffusée par BKK à ses affiliés et jugée trompeuse.

3.        L’enjeu de la réponse à la question posée par la juridiction de renvoi est clair. Il s’agit de préciser le champ d’application de la directive et, en particulier, de déterminer la portée concrète que le législateur de l’Union a entendu donner à la notion de professionnel ou d’entreprise, celui-ci employant indistinctement l’une ou l’autre des notions. L’objectif est simple puisqu’il s’agit de garantir un niveau élevé de protection des consommateurs conformément à l’objectif visé à l’article 169 TFUE en assurant une mise en œuvre efficace et cohérente de la lutte contre les pratiques commerciales déloyales visée par la directive et, notamment, en empêchant que, sous couvert du régime juridique de l’entité en cause, le consommateur ne soit dépourvu de protection.

4.        Dans les présentes conclusions, nous proposerons à la Cour d’accueillir l’interprétation que suggèrent la juridiction de renvoi ainsi que le gouvernement italien et la Commission européenne dans leurs observations écrites.

5.        En effet, nous soutiendrons que la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection du consommateur justifient que les dispositions en cause permettent d’appréhender le comportement d’un organisme qui, quels que soient le statut dont il relève ou la mission d’intérêt général qui lui incombe, manquerait à son devoir de diligence professionnelle et adopterait à l’égard des consommateurs des pratiques commerciales déloyales dans son segment d’activité. Nous proposerons donc à la Cour de dire pour droit qu’un organisme, tel que celui en cause au principal, est susceptible d’être qualifié de «professionnel», au sens des dispositions en question, lorsqu’il diffuse auprès des consommateurs une publicité commerciale, et ce comme tout autre opérateur du marché engagé dans une telle activité.

6.        Nous fonderons notre appréciation tant sur la jurisprudence de la Cour relative à la notion d’entreprise en droit de la concurrence que sur la lettre de l’article 2, sous b), de la directive ainsi que sur la finalité de cette dernière.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

7.        Conformément à son article 1er, lu en combinaison avec son considérant 14, la directive a pour objectif d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en procédant à une harmonisation complète des législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales.

8.        Les termes qu’emploie le législateur de l’Union sont définis à l’article 2 de la directive. Conformément à cet article 2, sous b), il faut entendre par «professionnel» «toute personne physique ou morale qui, pour les pratiques commerciales relevant de la […] directive, agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, et toute personne agissant au nom ou pour le compte d’un professionnel».

9.        En outre, au sens de l’article 2, sous d), de la directive, il faut entendre par «pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs» «toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs».

10.      Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive, celle-ci «s’applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs […] avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit».

11.      Enfin, l’article 5, paragraphe 1, de la directive établit une interdiction de principe des pratiques commerciales déloyales. Le paragraphe 2 de ladite disposition fixe les éléments constitutifs d’une telle pratique comme suit:

«Une pratique commerciale est déloyale si:

a)      elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle,

et

b)      elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse […]»

B –    Le droit allemand

12.      La directive a été transposée dans l’ordre juridique allemand par la loi sur la répression de la concurrence déloyale (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb) (3).

13.      Les notions de pratique commerciale et de professionnel ont été définies à l’article 2 de l’UWG alors que l’interdiction des pratiques commerciales déloyales et trompeuses est visée respectivement aux articles 3 et 5 de l’UWG.

II – Le litige au principal et la question préjudicielle

14.      Le litige au principal concerne la publicité que BKK a diffusée auprès de ses affiliés au mois de décembre 2008 et dont les termes sont les suivants:

«Si vous choisissez de quitter maintenant […] BKK […], vous resterez affilié à la nouvelle [caisse d’assurance maladie obligatoire] pendant 18 mois à compter de ce changement. Vous ne pourrez alors plus bénéficier des offres intéressantes que fera […] BKK […] l’année prochaine et vous devrez peut-être finalement verser un supplément si la somme attribuée à votre nouvelle caisse ne lui suffit pas et qu’elle prélève en conséquence une cotisation supplémentaire.»

15.      Devant le juge national, Wettbewerbszentrale soutient que BKK diffuse une publicité trompeuse. Elle exige, notamment, le retrait de celle-ci ainsi que le remboursement des frais extrajudiciaires. BKK estime, quant à elle, que son agissement ne peut être appréhendé sous l’angle des dispositions de la directive au motif que, en sa qualité d’organisme de droit public en charge d’une mission d’intérêt général, elle ne poursuit aucun but lucratif et ne saurait, dès lors, être qualifiée de «professionnel», au sens de l’article 2, sous b), de la directive.

16.      La juridiction de renvoi devant laquelle le contentieux a été porté s’interroge sur le champ d’application de la directive. Elle se demande si, en agissant ainsi à l’égard de ses affiliés, BKK s’est comportée comme un «professionnel», au sens de l’article 2, sous b), de la directive, auquel cas son agissement serait susceptible de constituer une pratique commerciale déloyale prohibée au titre des articles 5, paragraphe 1, de la directive et 3 de l’UWG.

17.      En raison de ses doutes sur l’interprétation des dispositions en cause, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante:

«Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 1, [de la directive], en combinaison avec l’article 2, sous d), de la directive […], en ce sens que le fait pour une caisse d’assurance maladie légale de donner à ses affiliés des informations (trompeuses) sur les inconvénients que ces derniers auraient à subir en cas de changement de caisse d’assurance maladie légale constitue également une action de professionnel (laquelle se présente comme une pratique commerciale d’une entreprise vis-à-vis des consommateurs)?»

18.      Wettbewerbszentrale, le gouvernement italien ainsi que la Commission ont transmis leurs observations écrites à la Cour.

III – Notre analyse

19.      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 3, paragraphe 1, de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous d), de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’un organisme de droit public en charge de la gestion d’un régime légal d’assurance maladie peut être qualifié de «professionnel» ou d’«entreprise» lorsqu’il diffuse à l’intention de ses affiliés une publicité trompeuse, laquelle serait, dès lors, susceptible de constituer une pratique commerciale déloyale.

20.      La question est donc de savoir si, dans le contexte du droit de la consommation, nous pouvons qualifier de «professionnel» ou d’«entreprise» un organisme de droit public en charge d’une mission d’intérêt général, tel qu’une caisse d’assurance maladie, ou si cet organisme, compte tenu du régime sous lequel il opère et de la mission qui lui incombe, est exclu du champ d’application de la directive.

21.      Avant d’entamer notre examen de la question que nous soumet le Bundesgerichtshof, nous souhaitons faire trois observations.

22.      Premièrement, la réponse à la question posée par la juridiction de renvoi devrait permettre de dégager une interprétation autonome et uniforme de la notion de professionnel dans toute l’Union européenne. En effet, ainsi que cela ressort clairement du considérant 14 de la directive, le législateur de l’Union vise une harmonisation complète des règles relatives à la lutte contre les pratiques commerciales déloyales et ne renvoie aux droits des États membres qu’en ce qui concerne la détermination du régime des sanctions applicables en cas de violation des mesures prescrites par la directive (4). À cet égard, la Cour devra donc établir le sens et la portée de ladite notion en tenant compte, notamment, du contexte dans lequel elle est utilisée et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (5).

23.      Deuxièmement, l’interprétation que la Cour est invitée à dégager doit permettre d’assurer une application plus cohérente et plus uniforme de la notion de professionnel dans le contexte plus large du droit de la consommation. En effet, si la protection du consommateur est un objectif recherché avec constance par le législateur de l’Union et la Cour, le professionnel, lui, n’est pas clairement appréhendé, ce qui constitue un paradoxe. En effet, cette notion ne renvoie pas à une définition unique alors même qu’il s’agit d’une notion fondamentale pour la mise en œuvre des droits des consommateurs, commune à l’ensemble des textes relatifs aux droits des consommateurs (6). Ainsi que l’a relevé la Commission le 8 février 2007 dans son livre vert sur la révision de l’acquis communautaire en matière de protection des consommateurs (7), ces divergences ne trouvent pas de justification sérieuse dans l’objet spécifique des directives concernées et l’incertitude qu’elles créent est aggravée par le fait que les États membres se servent des clauses minimales pour étendre les définitions vagues de la notion de professionnel de diverses manières (8).

24.      Troisièmement, la juridiction de renvoi pose la question dans la mesure où, s’agissant du droit de la concurrence, la Cour a exclu de la notion d’entreprise les entités qui exercent des activités poursuivant un but exclusivement social, telles que celles qu’exercent les caisses allemandes d’assurance maladie ou les organismes qui concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale (9). Si cette interprétation concerne un contentieux différent de celui qui nous intéresse en l’espèce, elle nous donne, néanmoins, une clé de lecture qui nous semble pertinente aux fins de notre analyse. C’est la raison pour laquelle nous entamerons notre examen par un rappel de cette jurisprudence.

25.      En droit de la concurrence, la Cour définit l’entreprise comme visant «toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement» (10). La notion d’entreprise est donc une notion fonctionnelle. Elle est définie avant tout par son activité économique, laquelle doit, selon la Cour, consister à offrir des biens ou des services sur un marché donné (11). La notion d’entreprise n’est pas définie par son statut juridique ni même par son mode de financement. Cette interprétation est indispensable à une mise en œuvre efficace des règles fixées aux articles 101 TFUE et 102 TFUE puisqu’elle permet d’éviter que les opérateurs économiques ne se soustraient aux règles de la concurrence en adoptant un statut juridique qui les exclurait du champ d’application de celles-ci.

26.      Dans son arrêt Commission/Italie (12), la Cour a ainsi qualifié d’«entreprise» un organisme d’État, l’Amministrazione autonoma dei monopoli di Stato, lequel dépend du ministère des Finances italien. La Cour a tenu compte du fait que cet organisme exerçait des activités économiques de caractère industriel ou commercial consistant à offrir des biens ou des services sur le marché, l’existence ou non d’une personnalité juridique distincte de celle de l’État, attribuée par le droit national, étant, à son sens, sans pertinence pour décider si ledit organisme devait être considéré comme une entreprise. Par cette jurisprudence, la Cour vise ainsi les entreprises publiques, les entreprises auxquelles sont accordés des droits spéciaux ou exclusifs ainsi que les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt général.

27.      Au sens du droit de la concurrence, une entité publique doit donc être considérée comme une entreprise lorsqu’il est établi que, à travers cette entité, l’État exerce des activités économiques de caractère industriel ou commercial consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné.

28.      En revanche, la Cour a exclu de la notion d’entreprise deux catégories d’activité, à savoir celles impliquant l’exercice de prérogatives de puissance publique (13) et celles poursuivant un but exclusivement social (14). Ainsi, lorsque l’activité en cause se rattache soit à l’exercice de la puissance publique, soit à la réalisation d’une mission exclusivement sociale, cette activité est dépourvue de caractère économique, excluant ainsi l’organisme en cause de la qualification d’«entreprise».

29.      À cet égard, l’arrêt AOK Bundesverband e.a., précité, est particulièrement intéressant. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Cour était invitée à qualifier l’activité des caisses allemandes d’assurance maladie, telles que celle en cause dans le litige au principal, au regard des règles fixées aux articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE. Dans un premier temps, la Cour a admis que les caisses de maladie ou les organismes qui concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale remplissent une fonction de nature exclusivement sociale interdisant de les assimiler à des entreprises. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s’est fondée sur le caractère obligatoire de l’affiliation au régime de sécurité sociale ainsi que sur le principe de solidarité sur lequel repose ce régime. Pour autant, dans un second temps de son raisonnement, la Cour a admis qu’il était parfaitement possible que, «hormis leurs fonctions de nature exclusivement sociale dans le cadre de la gestion du système de sécurité sociale allemand, les caisses de maladie […] se livrent à des opérations ayant une finalité autre que sociale et qui serait de nature économique» (15). Dans ce cas, la Cour a expressément reconnu que les décisions adoptées dans ce cadre par les caisses d’assurance maladie seraient susceptibles de s’analyser comme des décisions d’entreprises (16). Ainsi, en application de ces principes, le juge de l’Union a fait une distinction, dans l’arrêt Aéroports de Paris/Commission (17), entre, d’une part, les activités purement administratives, notamment les missions de police dont est en charge l’entité, et, d’autre part, les activités de gestion et d’exploitation des aéroports parisiens qui sont rémunérées par des redevances commerciales et qui relèvent, par conséquent, de la notion d’activité économique.

30.      Ces affaires illustrent particulièrement bien la dualité des fonctions qu’exercent certaines entreprises en charge de missions d’intérêt général, qu’elles concernent la fourniture d’eau et d’énergie, les transports, la gestion des déchets, les services sociaux et de santé ou bien encore l’enseignement et les services postaux.

31.      Comme nous l’avons indiqué, la démarche que le juge de l’Union a adoptée dans le cadre desdites affaires nous semble pertinente aux fins de notre analyse.

32.      Certes, les droits de la concurrence et de la consommation présentent des différences substantielles en ce qui concerne leur nature et leur champ d’application. Ils poursuivent également des finalités distinctes, le législateur de l’Union ayant d’ailleurs pris soin de distinguer les règles applicables aux entreprises dans le cadre du droit de la concurrence énoncées aux articles 101 TFUE à 106 TFUE de celles visant la protection du consommateur figurant à l’article 169 TFUE. Pour autant, les droits de la concurrence et de la consommation relèvent tous deux du droit économique et participent à la régulation du marché en prévenant et en luttant contre les excès inhérents au libre fonctionnement de celui-ci dont sont victimes les consommateurs et les entreprises concurrentes. Si, dans le cadre du droit de la concurrence, la notion d’entreprise est une notion fonctionnelle définie par le seul exercice d’une activité économique, dans le cadre du droit de la consommation, la notion de professionnel présente, à notre sens, les mêmes caractères. Nous fondons notre appréciation sur les termes de l’article 2 de la directive – lequel nous renseigne sur la portée concrète de l’article 3, paragraphe 1, de la directive – ainsi que sur la finalité de la directive.

33.      Nous rappelons que, aux termes de l’article 2, sous b), de la directive, le professionnel est défini comme visant «toute personne physique ou morale qui, pour les pratiques commerciales relevant de la […] directive, agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale».

34.      Il est évident que le législateur de l’Union retient une définition extrêmement large du cocontractant du consommateur. D’une part, en employant l’expression «toute personne physique ou morale», il inclut dans le champ des entités concernées les personnes morales tant de droit privé que de droit public. Or, il est inutile d’indiquer que les personnes morales de droit public sont généralement constituées afin de poursuivre un but d’intérêt général.

35.      D’autre part, la notion de professionnel est définie par son activité commerciale. Rappelons que la directive concerne les seules «pratiques commerciales» des entreprises, lesquelles sont définies à l’article 2, sous d), de la directive comme visant «toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, […] en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs».

36.      À cet égard, il est intéressant de noter que la définition de la notion de professionnel que le législateur de l’Union nous propose à l’article 2, sous b), de la directive est identique à celle qu’il emploie pour désigner le commerçant dans le cadre de la directive 85/577/CEE (18) sur la vente de porte à porte.

37.      La notion de professionnel doit donc être entendue, au vu des dispositions susmentionnées, comme visant une personne physique ou une personne morale, qui, dans le contexte en cause et indépendamment de sa nature publique ou privée, agit dans le cadre d’une activité de commerce.

38.      Il est également utile d’indiquer que, dans la version en langue anglaise de la directive, la notion de professionnel est traduite par le terme de «trader» et celle d’entreprise par celui de «business». La notion de «business» n’a aucun équivalent en langue française. Néanmoins, lorsqu’elle vise l’activité d’une personne, elle est traduite indifféremment par l’expression «activité professionnelle ou commerciale» ou bien encore par le terme «commerce». Lorsqu’elle vise celui qui exerce cette activité, elle est traduite par les notions de professionnel ou de commerçant (19).

39.      À notre sens, les termes de l’article 2, sous b) et d), de la directive permettent de définir la notion de professionnel comme étant une notion fonctionnelle, caractérisée par l’exercice d’une activité commerciale et indépendante du statut juridique et des missions incombant à l’entité. Une telle définition permet donc d’inclure les entités de droit public en charge d’une mission d’intérêt général qui, comme nous l’avons vu précédemment, peuvent être engagées dans des activités de nature économique et lucrative et dans lesquelles pourraient éventuellement s’inscrire certains comportements déloyaux.

40.      Évidemment, cet exercice de qualification requiert d’adopter une démarche au cas par cas. S’agissant d’un organisme tel que celui en question, nous devons rechercher la nature de l’activité dans laquelle s’inscrit l’agissement en cause et distinguer entre, d’une part, les agissements poursuivant un but exclusivement social – qui, dépourvus de nature commerciale, seraient donc soustraits du champ d’application de la directive – et, d’autre part, les actes s’inscrivant dans le cadre d’une activité économique ou commerciale, telle que la publicité en question, et qui, bien qu’accessoires, seraient susceptibles de relever de ce champ d’application.

41.      Cette interprétation de la notion de professionnel est en ligne avec celle que le législateur de l’Union nous propose dans le cadre plus large des directives relatives aux droits des consommateurs. Par exemple, la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (20), définit le professionnel comme visant «toute personne physique ou morale qui agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée» (21) et la directive 98/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, relative à la protection des consommateurs en matière d’indication des prix des produits offerts aux consommateurs (22), comme visant «toute personne physique ou morale qui vend ou offre à la vente des produits relevant de son activité commerciale ou professionnelle» (23). Dans le cadre de la nouvelle directive 2011/83/UE (24), le législateur de l’Union définit enfin le professionnel comme visant «toute personne physique ou morale, qu’elle soit publique ou privée, qui agit, y compris par l’intermédiaire d’une autre personne agissant en son nom ou pour son compte, aux fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale» (25).

42.      L’ensemble de ces directives ont en commun le fait que le professionnel puisse être à la fois une personne physique ou une personne morale, de droit public ou de droit privé, qui, dans la relation qu’il noue avec le consommateur, agit dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle, ce qui présuppose qu’il agisse dans le cadre d’une activité régulière et lucrative.

43.      Au vu du libellé de l’article 2, sous b), de la directive, nous ne voyons donc aucun élément susceptible de justifier l’exclusion du champ d’application de la directive des personnes morales de droit public en charge d’une mission d’intérêt général, telles qu’une caisse d’assurance maladie, lorsque celles-ci recourent à une pratique commerciale.

44.      Nous estimons d’ailleurs que la finalité de la directive commande que la notion de professionnel recouvre un tel organisme.

45.      En effet, la directive vise à garantir un niveau élevé de protection des consommateurs et à assurer la loyauté des transactions commerciales en prévenant et en luttant contre les pratiques commerciales déloyales (26).

46.      Pour atteindre ces objectifs, le législateur de l’Union a fait le choix de procéder à une harmonisation complète des législations nationales et a opté pour un champ d’application extrêmement large de la directive. En effet, conformément à son article 3, paragraphe 1, celle-ci est destinée à couvrir toutes les transactions entre professionnels et consommateurs, dans tous les secteurs, et s’applique non seulement aux stades de la publicité ou de la commercialisation, mais également pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit.

47.      La ratio legis de la directive est exprimée à son article 5, lequel édicte une interdiction de principe des pratiques commerciales déloyales. Cette disposition doit ainsi permettre d’empêcher, voire de punir les actes s’inscrivant dans le cadre d’une activité commerciale qui, d’une part, sont contraires aux exigences de la diligence professionnelle et, d’autre part, sont susceptibles d’altérer de manière substantielle le comportement commercial du consommateur. La directive vise donc à garantir que les consommateurs ne soient pas trompés ou exposés à un marketing agressif et que toute allégation faite par un professionnel dans le cadre de son activité commerciale soit claire, exacte et justifiée de sorte que les consommateurs puissent faire des choix éclairés et pertinents.

48.      Pour assurer l’effectivité d’une telle disposition et, à terme, une mise en œuvre efficace et cohérente de la lutte contre les pratiques commerciales déloyales, il nous semble non seulement légitime, mais également indispensable qu’un organisme tel que celui en cause au principal puisse être qualifié de «professionnel» lorsqu’il adopte, à l’égard du consommateur, en l’occurrence des affiliés, un comportement commercial. En effet, il n’existe, à notre sens, aucune raison justifiant que le régime juridique de cet organisme ou encore les missions qui lui incombent privent le consommateur de toute protection à l’égard d’un acte qui l’a trompé ou induit en erreur.

49.      Premièrement, le fait qu’un organisme de droit public soit chargé d’une mission d’intérêt général n’implique pas a fortiori que celui-ci n’exerce aucune activité commerciale ou économique dans son segment de marché. Comme nous l’avons vu précédemment, l’analyse à laquelle la Cour a procédé dans l’arrêt AOK Bundesverband e.a., précité, est, à cet égard, particulièrement illustrative, puisque l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concerne les missions et les activités incombant aux caisses allemandes d’assurance maladie. Nous rappelons que, dans ledit arrêt, la Cour a expressément reconnu que les caisses de maladie sont susceptibles de se livrer à des opérations ayant une finalité autre que sociale et qui serait de nature économique (27). Or, il est indispensable que ces opérations de nature économique soient soumises au respect des règles prescrites par la directive, comme toutes les opérations de même nature qu’un opérateur privé est susceptible d’adopter.

50.      Deuxièmement, il n’existe aucune raison justifiant qu’un organisme de droit public en charge d’une mission d’intérêt général soit dispensé de respecter des règles aussi essentielles que celles de la diligence professionnelle ni même excusé, en raison des missions qui lui incombent, de mentir aux consommateurs ou d’adopter un comportement déloyal à l’égard des autres opérateurs économiques. Il est évident que les contraintes qu’un tel organisme connaît en raison de la mission d’intérêt général qu’il poursuit ne le dispensent pas de faire preuve de bonne foi dans son domaine d’activité et d’agir avec soin et compétence à l’égard du consommateur, la diligence professionnelle s’imposant dans tous les types d’activités, encore plus peut-être dans des domaines relevant de l’intérêt général tels que celui de la santé. Nous ne voyons donc aucun motif justifiant qu’un tel organisme soit, pour ce qui concerne son activité commerciale, soumis à des règles différentes de celles auxquelles est soumis un établissement de droit privé.

51.      Au vu de ces éléments, nous sommes donc convaincu que la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection du consommateur justifient que l’article 5 de la directive permette d’appréhender les actions des entreprises qui, quels que soient le statut dont elles relèvent et la mission d’intérêt général qui leur incombe, manqueraient à leur devoir de diligence professionnelle et adopteraient des pratiques commerciales déloyales dans leur segment d’activité.

52.      Ainsi, lorsque l’agissement en question répond aux conditions expressément fixées à l’article 5 de la directive – à savoir qu’il s’agit d’une pratique commerciale contraire aux exigences de la diligence professionnelle et susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur –, celui-ci constitue per se une pratique commerciale déloyale, indépendamment du régime de droit public ou de droit privé sous lequel opère l’organisme en cause et de la mission d’intérêt général incombant à ce dernier.

53.      Si nous excluons du champ d’application de la directive de tels organismes, nous risquons de compromettre l’effet utile de la directive en réduisant d’une manière assez significative le champ d’application de celle-ci.

54.      En outre, si nous distinguons l’applicabilité des règles de la directive selon la nature du régime sous lequel opère le professionnel et des missions qui lui incombent, nous introduisons une protection du consommateur à géométrie variable dans l’Union, ce qui risque de compromettre l’harmonisation à laquelle tend le législateur de l’Union. En effet, la manière dont sont gérés les services d’intérêt général diffère selon les États membres, ces derniers pouvant confier leur gestion à une entreprise publique ou déléguer leur gestion à une entreprise privée. En outre, la sphère des activités relevant de l’intérêt général est également susceptible de présenter des différences d’un État membre à l’autre, ces dernières étant d’ailleurs accentuées sous l’effet de l’ouverture à la concurrence des services d’intérêt général et du rythme auquel les États membres y procèdent. La frontière entre les activités relevant des services d’intérêt général stricto sensu et les activités connexes soumises au jeu concurrentiel est donc mouvante, fluctuante, ce qui ne peut évidemment pas constituer un critère d’appréciation.

55.      Par conséquent, au vu des objectifs que le législateur de l’Union entend poursuivre, nous sommes d’avis que la notion de «professionnel», visée à l’article 2, sous b), de la directive, doit recouvrir les personnes morales de droit public en charge d’une mission d’intérêt général, telles qu’une caisse d’assurance maladie, lorsque celles-ci recourent à une pratique commerciale.

56.      Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous estimons, par conséquent, que l’article 3, paragraphe 1, de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous d), de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’un organisme de droit public en charge d’une mission d’intérêt général, tel qu’une caisse d’assurance maladie, est susceptible d’être qualifié de «professionnel» lorsqu’il diffuse, auprès des consommateurs, une publicité commerciale.

IV – Conclusion

57.      À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit au Bundesgerichtshof:

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) nº 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales»), lu en combinaison avec l’article 2, sous d), de la directive 2005/29, doit être interprété en ce sens qu’un organisme de droit public en charge d’une mission d’intérêt général, tel qu’une caisse d’assurance maladie, est susceptible d’être qualifié de «professionnel» lorsqu’il diffuse, auprès des consommateurs, une publicité commerciale.


1 – Langue originale: le français.


2 –      Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) nº 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales») (JO L 149, p. 22, ci-après la «directive»).


3 – BGBl. 2004 I, p. 1414, ci-après l’«UWG».


4 – Article 13 de la directive.


5 – Nous rappelons que, sur la base d’une jurisprudence aujourd’hui constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation au sein de laquelle elle s’insère (voir arrêt du 21 décembre 2011, Ziolkowski et Szeja, C‑424/10 et C‑425/10, Rec. p. I‑14035, points 32 et 34 ainsi que jurisprudence citée).


6 – De la même façon, il nous semble intéressant de relever que, dans le cadre plus large du droit de la consommation, le législateur de l’Union n’utilise pas une terminologie uniforme pour désigner le cocontractant du consommateur. Celui-ci est désigné de manière variable sous l’appellation de professionnel ou d’entreprise, comme c’est le cas dans la directive, ou bien encore de commerçant, de prestataire ou de vendeur, ce qui est traduit dans la version en langue anglaise des directives relatives au droit de la consommation par les termes de «trader», de «seller», de «supplier», de «vendor», voire de «business».


7 – COM(2006) 744 final.


8 – Points 4.1 et 4.2 de l’annexe I.


9 –      Arrêt du 16 mars 2004, AOK Bundesverband e.a. (C‑264/01, C‑306/01, C‑354/01 et C‑355/01, Rec. p. I‑2493).


10 –      Arrêt du 23 avril 1991, Höfner et Elser (C‑41/90, Rec. p. I‑1979, point 21).


11 –      Arrêt du 11 juillet 2006, FENIN/Commission (C‑205/03 P, Rec. p. I‑6295, point 25).


12 – Arrêt du 16 juin 1987 (C‑118/85, Rec. p. 2599).


13 –      Arrêt du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft (C‑364/92, Rec. p. I‑43).


14 –      Arrêts Höfner et Elser, précité, ainsi que du 17 février 1993, Poucet et Pistre (C‑159/91 et C‑160/91, Rec. p. I‑637).


15 – Arrêt AOK Bundesverband e.a., précité (point 58).


16 – Idem.


17 –      Arrêt du Tribunal du 12 décembre 2000 (T‑128/98, Rec. p. II‑3929).


18 – Directive du Conseil du 20 décembre 1985 concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31). L’article 2 de la directive 85/577 définit le commerçant comme étant «toute personne physique ou morale qui, en concluant la transaction en question, agit dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle, ainsi que toute personne qui agit au nom ou pour le compte d’un commerçant».


19 – IATE, base terminologique interactive européenne.


20 – JO L 95, p. 29.


21 – Article 2, sous c), de la directive 93/13. Italique ajouté par nos soins.


22 – JO L 80, p. 27.


23 – Article 2, sous d), de la directive 98/6. Italique ajouté par nos soins.


24 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil (JO L 304, p. 64).


25 – Voir article 2, point 2, de la directive 2011/83. Italique ajouté par nos soins.


26 –      Considérants 1, 8 et 11 de la directive.


27 –      Point 58.