Language of document : ECLI:EU:C:2017:26

Édition provisoire

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 janvier 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des marchandises – Articles 34 à 36 TFUE – Situation purement interne ‐ Sécurité des denrées alimentaires – Règlement (CE) n° 178/2002 – Article 6 – Principe de l’analyse des risques – Article 7 – Principe de précaution – Règlement (CE) n° 1925/2006 – Législation d’un État membre interdisant la fabrication et la mise sur le marché de compléments alimentaires contenant des acides aminés – Situation dans laquelle une dérogation temporaire à cette interdiction relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité nationale »

Dans l’affaire C‑282/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Braunschweig (tribunal administratif de Braunschweig, Allemagne), par décision du 27 mai 2015, parvenue à la Cour le 11 juin 2015, dans la procédure

Queisser Pharma GmbH & Co. KG

contre

Bundesrepublik Deutschland,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász, C. Vajda, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 mai 2016,

considérant les observations présentées :

–        pour Queisser Pharma GmbH & Co. KG, par Me A. Meisterernst, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et B. Beutler, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme S. Grünheid et M. E. Manhaeve, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 juillet 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO 2002, L 31, p. 1), du règlement (CE) n° 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, concernant l’adjonction de vitamines, de minéraux et de certaines autres substances aux denrées alimentaires (JO 2006, L 404, p. 26), tel que modifié par le règlement (CE) n° 108/2008 du Parlement et du Conseil, du 15 janvier 2008 (JO 2008, L 39, p. 11) (ci-après le « règlement n° 1925/2006 »), ainsi que des articles 34 à 36 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Queisser Pharma GmbH & Co. KG (ci-après « Queisser Pharma ») à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne) au sujet d’une demande de dérogation à l’interdiction de fabriquer et de commercialiser un complément alimentaire contenant l’acide aminé L-histidine.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement n° 178/2002

3        L’article 1er du règlement nº 178/2002 définit l’objet et le champ d’application de celui-ci de la manière suivante :

« 1.      Le présent règlement contient les dispositions de base permettant d’assurer, en ce qui concerne les denrées alimentaires, un niveau élevé de protection de la santé des personnes et des intérêts des consommateurs, compte tenu notamment de la diversité de l’offre alimentaire, y compris les productions traditionnelles, tout en veillant au fonctionnement effectif du marché intérieur. Il établit des principes et des responsabilités communs, le moyen de fournir une base scientifique solide, des dispositions et des procédures organisationnelles efficaces pour étayer la prise de décision dans le domaine de la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux.

2.      Aux fins du paragraphe 1, le présent règlement établit les principes généraux régissant les denrées alimentaires et l’alimentation animale en général, et la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux en particulier, au niveau communautaire et au niveau national.

[...] »

4        L’article 3 de ce règlement prévoit :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

11)      “évaluation des risques”, un processus reposant sur des bases scientifiques et comprenant quatre étapes : l’identification des dangers, leur caractérisation, l’évaluation de l’exposition et la caractérisation des risques ;

[...] »

5        Le chapitre II dudit règlement, intitulé « Législation alimentaire générale », comprend les articles 4 à 21 de celui-ci. Ledit article 4, lui-même intitulé « Champ d’application », dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Les principes généraux définis dans les articles 5 à 10 forment un cadre général de nature horizontale à respecter lorsque des mesures sont prises.

3.      Les principes et procédures en vigueur en matière de législation alimentaire sont adaptés dans les meilleurs délais et au plus tard le 1er janvier 2007, en vue de se conformer aux dispositions des articles 5 à 10. »

6        L’article 6 du règlement nº 178/2002, intitulé « Analyse des risques », prévoit :

« 1.      Afin d’atteindre l’objectif général d’un niveau élevé de protection de la santé et de la vie des personnes, la législation alimentaire se fonde sur l’analyse des risques, sauf dans les cas où cette approche n’est pas adaptée aux circonstances ou à la nature de la mesure.

2.      L’évaluation des risques est fondée sur les preuves scientifiques disponibles et elle est menée de manière indépendante, objective et transparente.

3.      La gestion des risques tient compte des résultats de l’évaluation des risques, et notamment des avis de l’Autorité visée à l’article 22, d’autres facteurs légitimes pour la question en cause et du principe de précaution lorsque les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, sont applicables, afin d’atteindre les objectifs généraux de la législation alimentaire énoncés à l’article 5. »

7        L’article 7 dudit règlement, intitulé « Principe de précaution », énonce :

« 1.      Dans des cas particuliers où une évaluation des informations disponibles révèle la possibilité d’effets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque.

2.      Les mesures adoptées en application du paragraphe 1 sont proportionnées et n’imposent pas plus de restrictions au commerce qu’il n’est nécessaire pour obtenir le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, en tenant compte des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes en fonction des circonstances en question. Ces mesures sont réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque identifié pour la vie ou la santé et du type d’informations scientifiques nécessaires pour lever l’incertitude scientifique et réaliser une évaluation plus complète du risque. »

8        L’article 14 du règlement n° 178/2002, intitulé « Prescriptions relatives à la sécurité des denrées alimentaires », dispose :

« 1.      Aucune denrée alimentaire n’est mise sur le marché si elle est dangereuse.

2.      Une denrée alimentaire est dite dangereuse si elle est considérée comme :

a)      préjudiciable à la santé ;

b)      impropre à la consommation humaine.

[...]

7.      Sont considérées comme sûres les denrées alimentaires conformes à des dispositions communautaires spécifiques régissant la sécurité des denrées alimentaires, en ce qui concerne les aspects couverts par ces dispositions.

[...]

9.      En l’absence de dispositions communautaires spécifiques, les denrées alimentaires sont considérées comme sûres si elles sont conformes aux dispositions spécifiques de la législation alimentaire nationale de l’État membre sur le territoire duquel elles sont commercialisées, ces dispositions étant établies et appliquées sans préjudice du traité [FUE], et notamment de ses articles [34 et 36]. »

9        L’article 53 de ce règlement vise les mesures d’urgence applicables aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux d’origine communautaire ou importés d’un pays tiers. L’article 55 du règlement n° 178/2002 concerne le plan général de gestion des crises.

 Le règlement n° 1925/2006

10      Les considérants 1 et 2 du règlement n° 1925/2006 énoncent :

« (1) Une vaste gamme de substances nutritives et d’autres ingrédients peut être utilisée dans la fabrication des denrées alimentaires, y compris – mais pas seulement – des vitamines, des minéraux dont les oligo-éléments, des acides aminés, des acides gras essentiels, des fibres, diverses plantes et des extraits végétaux. Leur adjonction aux aliments est réglementée dans les États membres par des dispositions nationales divergentes qui portent préjudice à la libre circulation de ces produits, créent des conditions inégales de concurrence et ont par conséquent une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur. Il y a donc lieu d’adopter des règles communautaires harmonisant les dispositions nationales relatives à l’adjonction de vitamines, de minéraux et de certaines autres substances aux denrées alimentaires. 

(2)      Le présent règlement a pour objet de réglementer l’adjonction de vitamines et de minéraux aux denrées alimentaires ainsi que l’utilisation d’un certain nombre d’autres substances ou ingrédients contenant des substances autres que les vitamines ou les minéraux qui sont ajoutés à des denrées alimentaires ou utilisés dans la fabrication de denrées alimentaires de sorte qu’il en résulte une ingestion de quantités dépassant considérablement celles qui sont raisonnablement susceptibles d’être ingérées dans des conditions normales de consommation dans le cadre d’un régime alimentaire équilibré et varié ou pouvant représenter pour d’autres raisons un risque potentiel pour le consommateur. En l’absence de règles communautaires spécifiques concernant l’interdiction ou la restriction de l’utilisation de substances ou d’ingrédients contenant des substances autres que les vitamines ou des minéraux prévus par le présent règlement ou par d’autres dispositions communautaires spécifiques, les règles nationales appropriées peuvent s’appliquer sans préjudice des dispositions du traité. »

11      L’article 2 de ce règlement, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

2)      “autre substance”, toute substance, autre qu’une vitamine ou un minéral, qui possède un effet nutritionnel ou physiologique. »

12      L’article 8 dudit règlement, intitulé « Substances faisant l’objet d’interdictions, de restrictions ou sous contrôle communautaire », prévoit :

« 1.      La procédure prévue au présent article est appliquée, si une substance autre que des vitamines ou des minéraux, ou un ingrédient contenant une substance autre que des vitamines ou des minéraux, est ajouté à des aliments ou utilisé dans la fabrication d’aliments, de sorte qu’il en résulterait une ingestion de quantités de cette substance dépassant considérablement celles qui sont raisonnablement susceptibles d’être ingérées dans des conditions normales de consommation liées à un régime alimentaire équilibré et varié et/ou pouvant représenter pour d’autres raisons un risque potentiel pour le consommateur.

2.      De sa propre initiative ou sur la base des informations communiquées par les États membres, la Commission peut prendre la décision, destinée à modifier des éléments non essentiels de ce règlement, après une évaluation dans chaque cas par l’Autorité des informations disponibles, en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 14, paragraphe 3, d’inscrire, si nécessaire, la substance ou l’ingrédient à l’annexe III. En particulier :

a)      si un effet nocif pour la santé a été identifié, la substance et/ou l’ingrédient la contenant est inscrit :

i)      soit à l’annexe III, partie A, et son adjonction à des aliments ou son utilisation dans la fabrication d’aliments est interdite ;

ii)      soit à l’annexe III, partie B, et son adjonction à des aliments ou son utilisation dans la fabrication d’aliments n’est autorisée que dans les conditions qui y sont spécifiées ;

b)      si la possibilité d’effets nocifs pour la santé est identifiée, mais qu’il subsiste une incertitude scientifique, la substance est inscrite à l’annexe III, partie C.

[...] »

13      L’article 11 de ce même règlement, intitulé « Dispositions nationales », énonce, à son paragraphe 2 :

« Si un État membre estime nécessaire, en l’absence de dispositions communautaires, d’adopter une nouvelle législation prévoyant :

a)      l’adjonction obligatoire de vitamines et de minéraux à des aliments ou à des catégories d’aliments déterminés, ou

b)      des restrictions ou des interdictions concernant l’utilisation de certaines autres substances dans la fabrication d’aliments spécifiés,

il le notifie à la Commission conformément à la procédure prévue à l’article 12. »

 Le droit allemand

14      Le Lebensmittel- und Futtermittelgesetzbuch (code des denrées alimentaires et aliments pour animaux, BGBl. 2005 I., p. 2618) a pour objet de protéger la santé humaine par des mesures de prévention dans le domaine domestique privé ou de prévenir un risque que présentent ou peuvent présenter ces produits. La juridiction de renvoi se réfère à la version dudit code publiée le 3 juin 2013 (BGBl. 2013 I, p. 1426), telle que modifiée par l’article 2 de la loi du 5 décembre 2014 (BGBl. 2014 I, p. 1975) (ci-après le « LFGB »).

15      Conformément à l’article 1er, paragraphe 3, du LFGB, ce dernier vise à transposer et à mettre en œuvre des actes juridiques de l’Union européenne portant sur des domaines couverts par celui-ci, tels que le règlement n° 178/2002.

16      L’article 2 du LFGB, intitulé « Définitions », énonce :

« [...]

2.      On entend par “denrées alimentaires” des denrées alimentaires au sens de l’article 2 du règlement [n° 178/2002].

3.      On entend par “additifs alimentaires” des additifs alimentaires au sens des dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 2, sous a), et de l’article 2, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, sur les additifs alimentaires [(JO 2008, L 354, p. 16)], modifié en dernier lieu par le règlement (UE) n° 298/2014 de la Commission, du 21 mars 2014 [(JO 2014, L 89, p. 36)]. Sont assimilés à des additifs alimentaires :

1)      les substances habituellement non consommées comme aliment en soi et non utilisées comme ingrédient caractéristique dans l’alimentation, possédant ou non une valeur nutritive, et dont l’adjonction intentionnelle aux denrées alimentaires, dans un but autre que technologique, au stade de leur fabrication ou traitement a pour effet, ou peut raisonnablement être estimée avoir pour effet, qu’elles deviennent elles-mêmes ou que leurs dérivés deviennent, directement ou indirectement, un composant de ces denrées alimentaires ; à l’exception des substances d’origine naturelle ou chimiquement identiques aux substances naturelles et qui, d’après les usages, sont principalement utilisées en raison de leur valeur nutritive, olfactive, gustative ou d’agrément,

[...]

3)      les acides aminés et leurs dérivés,

[...] »

17      L’article 4 du LFGB, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les dispositions de la présente loi

[...]

2)      régissant les additifs alimentaires s’appliquent également aux substances qui y sont assimilées en vertu de l’article 2, paragraphe 3, deuxième phrase, ou paragraphe 3, point 2,

[...] »

18      L’article 5 du LFGB, intitulé « Interdictions visant à protéger la santé », dispose, à son paragraphe 1 :

« Il est interdit de fabriquer ou traiter des denrées alimentaires pour autrui de telle manière que leur consommation serait préjudiciable à la santé au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement [n° 178/2002], sans préjudice

1)      de l’interdiction de mettre sur le marché des denrées alimentaires préjudiciables à la santé résultant des dispositions combinées de l’article 14, paragraphes 1 et 2, sous a), du règlement [n° 178/2002], [...]

[...] »

19      L’article 6 du LFGB, relatif aux interdictions concernant les additifs alimentaires, précise à son paragraphe 1 :

« Il est interdit,

1)      lors de la fabrication ou du traitement de denrées alimentaires destinées à être commercialisées,

a)      d’employer des additifs alimentaires non autorisés, à l’état pur ou mélangés à d’autres substances,

[...]

2)      de mettre sur le marché des denrées alimentaires fabriquées ou traitées en violation de l’interdiction établie au point 1 ou qui ne sont pas conformes à une ordonnance prise sur la base de l’article 7, paragraphe 1, ou paragraphe 2, point 1 ou 5,

[...] »

20      En vertu de l’article 7 du LFGB, le Bundesministerium (Ministère fédéral, Allemagne) est autorisé à octroyer par ordonnance des dérogations aux interdictions prévues à l’article 6, paragraphe 1, du LFGB.

21      L’article 54, paragraphes 2 et 3, du LFGB est libellé comme suit :

« 2.      Des décisions de portée générale sont adoptées par le Bundesamt für Verbraucherschutz und Lebensmittelsicherheit [(Office fédéral de la protection des consommateurs et de la sécurité des denrées alimentaires, Allemagne)] [...], pour autant que des motifs impératifs de protection de la santé ne s’y opposent pas. Elles sont à demander par la personne qui la première a l’intention d’introduire les produits dans le pays. Dans l’appréciation des risques qu’un produit présente pour la santé, les connaissances de la recherche internationale ainsi que, pour les denrées alimentaires, les habitudes alimentaires en République fédérale d’Allemagne sont prises en considération. Les décisions de portée générale visées à la première phrase ont des effets en faveur de tous les importateurs des produits concernés en provenance des États membres de l’Union européenne ou d’autres États parties à l’accord sur l’Espace économique européen.

3.      Une description exacte du produit ainsi que les documents disponibles, nécessaires pour la décision, sont à joindre à la demande. La demande doit être tranchée dans un délai raisonnable. Si une décision définitive sur la demande ne peut pas encore être rendue après quatre-vingt-dix jours, le demandeur doit être informé des raisons qui en sont la cause. »

22      L’article 68 du LFGB énonce :

« 1.      Sur demande individuelle, des dérogations aux dispositions de la présente loi [...] peuvent être accordées dans les conditions prévues aux paragraphes 2 et 3.

2.      Des dérogations ne peuvent être accordées que

1)      pour la fabrication, le traitement et la mise sur le marché de certaines denrées alimentaires, [...], pour autant qu’il y ait lieu de s’attendre à des résultats susceptibles de revêtir une importance en vue d’une modification ou complétion des règles régissant les denrées alimentaires [...], sous la surveillance de l’autorité compétente, ou que la réglementation n’ait pas encore été mise en conformité avec des actes [...] de l’Union européenne ; dans ce cadre, il est tenu dûment compte de tous les intérêts individuels dignes de protection ainsi que de tous les facteurs susceptibles d’influencer la situation concurrentielle générale du secteur industriel concerné,

[...]

4)      dans d’autres cas, dans lesquels des circonstances particulières, notamment la menace d’une détérioration de denrées alimentaires, [...], le font apparaître nécessaire pour éviter des iniquités graves ; [...]

3.      Des dérogations peuvent uniquement être accordées s’il existe des éléments de fait permettant de penser qu’aucun risque pour la santé humaine ou animale n’est à prévoir ; [...]

4.      L’octroi des dérogations visées au paragraphe 2, points 1 et 3, relève de la compétence de l’Office fédéral pour la protection des consommateurs et la sécurité des denrées alimentaires [...]. L’autorisation peut être assortie de conditions.

5.      La dérogation au titre du paragraphe 2 est accordée pour une durée limitée, de trois ans au maximum. Dans les cas visés au paragraphe 2, point 1, elle peut, sur demande, être prorogée à trois reprises [...], à chaque fois pour une période maximale de trois ans, pour autant que les conditions relatives à l’octroi soient toujours réunies.

6.      L’autorisation d’une dérogation peut être révoquée à tout moment pour un motif important. Il en sera fait mention dans l’autorisation.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

23      Queisser Pharma, entreprise établie en Allemagne, produit un complément alimentaire appelé « Doppelherz aktiv + Eisen + Vitamin C + Histidin + Folsäure » dont la dose recommandée apporte quotidiennement, notamment, 100 mg d’acide aminé L-histidine et 10 mg de fer.

24      Le 27 mars 2006, Queisser Pharma a introduit auprès de l’Office fédéral de la protection des consommateurs et de la sécurité des denrées alimentaires (ci-après l’« Office ») une demande de dérogation au titre de l’article 68 du LFGB en vue de fabriquer et de commercialiser ce produit en tant que complément alimentaire sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne.

25      Par décision du 2 novembre 2012, l’Office a refusé de faire droit à cette demande, au motif que les conditions d’octroi d’une dérogation au titre de l’article 68 du LFGB n’étaient pas réunies. Selon l’Office, conformément à l’article 68, paragraphe 3, du LFGB, la dérogation ne pouvait être accordée que s’il existait des éléments de fait permettant de penser qu’aucun risque pour la santé humaine ou animale n’était à prévoir. Or, si l’Office a considéré que la L-histidine contenue dans le produit en cause au principal ne présentait pas de risque pour la santé, il n’en a pas moins émis des doutes concernant l’innocuité de ce produit en raison du fait que celui-ci apportait quotidiennement 10 mg de fer au métabolisme.

26      À la suite du rejet de la réclamation qu’elle avait introduite contre cette décision, Queisser Pharma a saisi le Verwaltungsgericht Braunschweig (tribunal administratif de Braunschweig, Allemagne) d’un recours afin de faire constater qu’aucune dérogation au titre de l’article 68, paragraphe 1, première phrase, du LFGB n’est nécessaire pour pouvoir fabriquer et commercialiser le produit litigieux.

27      Par décision du 17 février 2015, adoptée au cours de la procédure devant la juridiction de renvoi, l’Office a retiré sa décision du 2 novembre 2012 et accordé à Queisser Pharma une dérogation au titre de l’article 68 du LFGB pour une période de trois ans. L’Office a indiqué à cet égard que, contrairement à ce qu’il avait estimé dans cette dernière décision, il n’y avait pas lieu de prendre en considération le fer contenu dans le produit en cause au principal lors de l’examen des conditions exigées à l’article 68 du LFGB. Queisser Pharma a, cependant, maintenu son recours devant la juridiction de renvoi.

28      À cet égard, cette juridiction fait observer que, en vertu du droit allemand relatif au contentieux administratif, le recours introduit le 22 mars 2013 par Queisser Pharma demeure recevable, dès lors que cette société justifie d’un intérêt légitime à faire constater qu’il n’était pas nécessaire de solliciter une telle dérogation.

29      La juridiction de renvoi, se fondant notamment sur la jurisprudence nationale, en particulier celle dégagée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), pose la question de savoir si le système de dérogation prévu par le LFGB est conforme au droit de l’Union. En effet, selon cette jurisprudence, les dispositions nationales en matière de sécurité des denrées alimentaires doivent être conformes au droit primaire de l’Union, notamment aux articles 34 et 36 TFUE, ces articles n’étant pas uniquement réservés aux situations transfrontalières, ce qui ressortirait du renvoi spécifique à ces articles contenu à l’article 14, paragraphe 9, du règlement n° 178/2002. Or, la juridiction de renvoi doute de la compatibilité de la législation nationale en cause au principal avec les articles 34 à 36 TFUE en raison du non-respect du principe de proportionnalité.

30      En outre, la juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité d’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, avec le règlement n° 178/2002 ainsi qu’avec le règlement n° 1925/2006. En effet, selon cette juridiction, les articles 6, 7 et 14 du règlement n° 178/2002 pourraient être regardés comme ayant réglementé le domaine de la sécurité des denrées alimentaires de façon exhaustive, de sorte qu’une interdiction nationale de denrées ou ingrédients alimentaires pourrait uniquement être prononcée si les conditions énoncées auxdits articles sont réunies. De même, il pourrait être considéré que la procédure prévue à l’article 8 du règlement n° 1925/2006 réglemente de façon exhaustive la possibilité d’ajouter des acides aminés à des compléments alimentaires, ce qui aurait pour effet de faire obstacle à l’adoption d’une réglementation nationale divergente.

31      Ainsi, la juridiction de renvoi se demande si la législation nationale en cause au principal est contraire au droit de l’Union, dans la mesure où, d’une part, elle interdit l’utilisation d’acides aminés dans des denrées alimentaires de façon générale, indépendamment du point de savoir s’il y a des raisons suffisantes de soupçonner un risque pour la santé, et, d’autre part, elle soumet la possibilité d’obtenir une dérogation à des restrictions.

32      Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Braunschweig (tribunal administratif de Braunschweig) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Convient-il d’interpréter les dispositions combinées des articles 34, 35 et 36 TFUE ainsi que de l’article 14 du règlement n° 178/2002, en ce sens qu’elles font obstacle à une réglementation nationale qui interdit de fabriquer, de traiter ou de mettre sur le marché un complément alimentaire avec des acides aminés (en l’occurrence, la L-histidine), à moins d’avoir obtenu une dérogation de l’autorité nationale compétente, qui dispose à cet égard d’un pouvoir d’appréciation, cette dérogation n’étant accordée que pour une durée déterminée et uniquement si un certain nombre d’autres conditions sont réunies ?

2)      Résulte-t-il de l’économie des articles 14, 6, 7, 53 et 55 du règlement n° 178/2002 qu’une denrée ou un ingrédient alimentaire ne peut être interdit au niveau national que si les conditions énoncées auxdits articles sont réunies et cela fait-il obstacle à une réglementation nationale telle que celle décrite dans la première question ?

3)      Convient-il d’interpréter l’article 8 du règlement n° 1925/2006, en ce sens qu’il fait obstacle à une réglementation nationale telle que celle décrite dans la première question ? »

 Sur les questions préjudicielles

33      Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 14, 6, 7, 53 et 55 du règlement n° 178/2002, l’article 8 du règlement n° 1925/2006 ainsi que les articles 34 à 36 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de fabriquer, de traiter ou de mettre sur le marché tout complément alimentaire contenant des acides aminés, sauf dérogation accordée, uniquement pour une durée déterminée, par une autorité nationale disposant à cet égard d’un pouvoir d’appréciation.

34      Il convient, à titre liminaire, de relever que certaines des dispositions du droit de l’Union visées par les questions préjudicielles ne trouvent pas à s’appliquer dans le cadre du litige au principal.

35      Tout d’abord, s’agissant du règlement n° 1925/2006, il ressort d’une lecture combinée du considérant 1 ainsi que de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement que les acides aminés, dans la mesure où ils possèdent un effet nutritionnel ou physiologique et sont ajoutés à des aliments ou utilisés dans la fabrication d’aliments, entrent dans le champ d’application dudit règlement en tant qu’« autres substances », telles que définies à l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement.

36      Toutefois, ainsi qu’il résulte du considérant 2 du règlement n° 1925/2006, en l’absence de règles du droit de l’Union spécifiques concernant l’interdiction ou la restriction de l’utilisation d’autres substances ou d’ingrédients contenant ces « autres substances », les règles nationales appropriées peuvent s’appliquer sans préjudice des dispositions du traité. Or, en l’état actuel du droit de l’Union, les acides aminés n’ont fait l’objet d’aucune interdiction ou restriction spécifique, conformément à l’article 8 de ce règlement, qui établit la procédure relative à l’interdiction des « autres substances » au niveau de l’Union.

37      Dès lors, si, en vertu de l’article 11, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1925/2006, les règles nationales pertinentes adoptées après l’entrée en vigueur de ce règlement doivent être notifiées à la Commission, les États membres sont, en principe, en droit de continuer à appliquer, notamment, les règles nationales relatives à l’interdiction de l’utilisation d’acides aminés dans les compléments alimentaires qui existaient au moment de l’entrée en vigueur dudit règlement. Par conséquent, le règlement n° 1925/2006 n’a pas vocation à s’appliquer dans le cadre de l’affaire au principal, sans que ce règlement exclue cependant une application d’autres dispositions spécifiques arrêtées par le législateur de l’Union concernant ces « autres substances » ou des dispositions du traité.

38      Ensuite, s’agissant des articles 34 à 36 TFUE, il ressort de la décision de renvoi que tous les éléments de cette affaire se cantonnent à l’intérieur de la République fédérale d’Allemagne.

39      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 98 à 100 de ses conclusions, du fait, d’une part, que tous lesdits éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, arrêts du 30 novembre 1995, Esso Española, C‑134/94, EU:C:1995:414, point 13, et du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 47) et, d’autre part, que les dispositions du LFGB, en cause au principal, n’ont pas pour objet ou pour effet de désavantager les exportations par rapport au commerce à l’intérieur de cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Gysbrechts et Santurel Inter, C‑205/07, EU:C:2008:730, point 40), les articles 34 à 36 TFUE ne sauraient s’appliquer à l’affaire en cause au principal.

40      La juridiction de renvoi considère cependant que, en dépit du constat que cette affaire est dépourvue de tout élément transfrontalier, les articles 34 à 36 TFUE pourraient trouver à s’appliquer, au motif que, selon l’article 14, paragraphe 9, du règlement n° 178/2002, en l’absence de dispositions du droit de l’Union spécifiques, les denrées alimentaires sont considérées comme sûres si elles sont conformes aux dispositions spécifiques de la législation alimentaire nationale de l’État membre sur le territoire duquel elles sont commercialisées, ces dispositions étant établies et appliquées sans préjudice du traité FUE, et notamment des articles 34 et 36 de celui-ci.

41      Il y a lieu toutefois de relever, ainsi que l’indique en substance le gouvernement allemand dans ses observations écrites, qu’un renvoi exprès aux articles 34 à 36 TFUE, tel que celui qui figure à l’article 14, paragraphe 9, du règlement n° 178/2002, ne saurait étendre le champ d’application des articles 34 à 36 TFUE à une situation, comme celle en cause au principal, qui ne comporte aucun autre élément permettant de conclure que ces derniers articles pourraient trouver à s’appliquer.

42      Enfin, en ce qui concerne le règlement n° 178/2002, les éléments du dossier soumis à la Cour permettent de constater que les articles 53 et 55 de ce règlement, qui visent, respectivement, des situations où des mesures d’urgence doivent être prises ainsi que des situations de gestion de crises, ne sauraient s’appliquer dans le cadre de la présente affaire.

43      Il s’ensuit que l’article 8 du règlement n° 1925/2006, les articles 34 à 36 TFUE ainsi que les articles 53 et 55 du règlement n° 178/2002 ne trouvent pas à s’appliquer dans le cadre du litige au principal et ne s’opposent pas à une législation nationale telle que celle en cause au principal.

44      En ce qui concerne les articles 6, 7 et 14 du règlement n° 178/2002, il convient de rappeler que, selon l’article 14, paragraphes 1 et 2, de ce règlement, aucune denrée alimentaire n’est mise sur le marché si elle est dangereuse, à savoir si elle est préjudiciable à la santé ou impropre à la consommation humaine. Par conséquent, la mise sur le marché de toute denrée alimentaire préjudiciable à la santé ou impropre à la consommation humaine doit être interdite.

45      À cet égard, il ressort de l’article 14, paragraphes 7 et 9, dudit règlement que, en l’absence de dispositions du droit de l’Union spécifiques régissant la sécurité des denrées alimentaires, celles-ci sont considérées comme sûres si elles sont conformes aux dispositions spécifiques de la législation alimentaire nationale de l’État membre sur le territoire duquel elles sont commercialisées. Dans une telle situation, cette disposition permet donc à cet État membre d’établir des règles régissant la sécurité des denrées alimentaires.

46      Il y a lieu de rappeler, dans ce contexte, que, à défaut d’harmonisation et dans la mesure où des incertitudes subsistent en l’état actuel de la recherche scientifique, il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 1983, Sandoz, 174/82, EU:C:1983:213, point 16 ; du 23 septembre 2003, Commission/Danemark, C‑192/01, EU:C:2003:492, point 42, et du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 85).

47      Toutefois, la conformité d’une réglementation nationale régissant la sécurité des denrées alimentaires, telle que celle en cause au principal, avec le système prévu par le règlement n° 178/2002 est subordonnée au respect par celle-ci des principes généraux de la législation alimentaire, notamment du principe d’analyse des risques et du principe de précaution, prévus respectivement aux articles 6 et 7 de ce règlement.

48      En effet, conformément à son article 1er, paragraphe 2, ledit règlement établit les principes généraux régissant les denrées alimentaires et l’alimentation animale en général, et la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux en particulier, au niveau de l’Union et au niveau national.

49      En outre, l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 178/2002 dispose que les principes généraux définis dans les articles 5 à 10 de ce règlement forment un cadre général de nature horizontale à respecter lorsque des mesures sont prises. Selon l’article 4, paragraphe 3, dudit règlement, les principes et les procédures en vigueur en matière de législation alimentaire sont adaptés dans les meilleurs délais et au plus tard le 1er janvier 2007, en vue de se conformer aux dispositions desdits articles 5 à 10.

50      Il s’ensuit que la législation alimentaire nationale en cause au principal qui interdit, sauf dérogation préalable, de fabriquer, de traiter et de mettre sur le marché des compléments alimentaires contenant des acides aminés doit se conformer au cadre général visé par lesdites dispositions du règlement n° 178/2002.

51      La Cour a jugé que les articles 6 et 7 de ce règlement visent à atteindre l’objectif général d’un niveau élevé de protection de la santé (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 103).

52      À cet égard, il ressort de l’article 6, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 178/2002 que l’évaluation des risques sur laquelle doit se baser la législation alimentaire est fondée sur les preuves scientifiques disponibles et qu’elle est menée de manière indépendante, objective et transparente.

53      Il convient de rappeler que l’article 3, point 11, dudit règlement définit l’évaluation des risques comme un processus reposant sur des bases scientifiques et comprenant quatre étapes, à savoir l’identification des dangers, leur caractérisation, l’évaluation de l’exposition et la caractérisation des risques.

54      Quant à l’article 7 du règlement n° 178/2002, relatif au principe de précaution, il ressort du paragraphe 1 de cet article que, dans des cas particuliers où une évaluation des informations disponibles révèle la possibilité d’effets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par l’Union, peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque.

55      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 50 de ses conclusions, des mesures provisoires de gestion du risque, appliquées en vertu de l’article 7 du règlement n° 178/2002, ne sauraient intervenir qu’une fois que l’évaluation des informations disponibles, au sens de l’article 6 de ce règlement, a été effectuée et a révélé des incertitudes scientifiques quant aux possibles effets nocifs sur la santé d’une denrée alimentaire ou d’une substance incorporée à une denrée alimentaire.

56      À cet égard, une application correcte du principe de précaution présuppose, en premier lieu, l’identification des conséquences potentiellement négatives pour la santé des substances ou des denrées alimentaires concernées et, en second lieu, une évaluation compréhensive du risque pour la santé fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2003, Monsanto Agricoltura Italia e.a., C‑236/01, EU:C:2003:431, point 113, ainsi que du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 92).

57      Ainsi, lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives, sous réserve qu’elles soient non discriminatoires et objectives (arrêt du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 93 et jurisprudence citée).

58      Il s’ensuit que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 178/2002, un État membre est, en principe, fondé à adopter un régime, tel que celui en cause au principal, qui interdit de manière générale et sauf dérogation, l’utilisation d’acides aminés dans les denrées alimentaires, si ce régime, qui constitue en substance un régime d’autorisation préalable, est fondé, en particulier, sur les principes d’analyse des risques et de précaution, visés aux articles 6 et 7 de ce règlement, tels que ces principes sont explicités aux points 51 à 57 du présent arrêt.

59      En outre, conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 178/2002, les mesures adoptées en application de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement doivent être proportionnées et ne pas imposer plus de restrictions au commerce qu’il n’est nécessaire pour obtenir le niveau élevé de protection de la santé choisi par l’Union, en tenant compte des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes en fonction des circonstances en question. De plus, ces mesures doivent être réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque identifié pour la vie ou la santé et du type d’informations scientifiques nécessaires pour lever l’incertitude scientifique et réaliser une évaluation plus complète du risque.

60      Une telle incertitude, inséparable de la notion de précaution, influe sur l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’État membre et se répercute ainsi sur les modalités d’application du principe de proportionnalité. Dans de telles circonstances, il doit être admis qu’un État membre peut, en vertu du principe de précaution, prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Toutefois, l’évaluation du risque ne peut pas se fonder sur des considérations purement hypothétiques (arrêt du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 91 et jurisprudence citée).

61      En l’occurrence, la juridiction de renvoi ne fournit pas suffisamment d’éléments d’information permettant de constater que l’interdiction des denrées alimentaires contenant des acides aminés, prévue par le LFGB, a été fondée sur les principes généraux de la législation alimentaire découlant des articles 6 et 7 du règlement n° 178/2002. Toutefois, dans les observations écrites qu’il a présentées devant la Cour, le gouvernement allemand soutient que les règles nationales relatives aux acides aminés figurant à l’article 6, paragraphe 1, du LFGB, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 3, deuxième phrase, point 3, du LFGB, visent effectivement à remédier à la menace résultant pour la santé de l’adjonction d’acides aminés aux denrées alimentaires. Selon ce gouvernement, l’enrichissement de denrées alimentaires en acides aminés présente des risques pour la santé, mais les connaissances scientifiques actuelles sont incomplètes et ne permettent pas encore une évaluation définitive de tels risques.

62      Il convient, à cet égard, de relever que l’analyse de la compatibilité du régime prévu par le LFGB avec le règlement n° 178/2002 incombe à la juridiction de renvoi. Dans le cadre de cette analyse, cette juridiction doit, premièrement, s’assurer que l’évaluation des risques que comporte l’utilisation d’acides aminés dans les compléments alimentaires a été effectuée d’une manière qui satisfait aux conditions mentionnées aux points 53 et 56 du présent arrêt et ne se fonde pas sur des considérations purement hypothétiques.

63      Deuxièmement, lorsqu’il est démontré que des incertitudes subsistent en l’état actuel de la recherche scientifique quant aux effets nuisibles pour la santé de certaines substances, le pouvoir d’appréciation des États membres relatif au choix du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique est particulièrement important (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a., C‑446/08, EU:C:2010:233, points 35 et 36). Par conséquent, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 96 de ses conclusions, le fait que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’autorité nationale compétente puisse disposer d’une marge d’appréciation ne pose en soi aucun problème de compatibilité avec les dispositions du règlement n° 178/2002.

64      Troisièmement, le régime prévu par le LFGB vise, de manière indifférenciée, ainsi qu’il ressort de l’article 6, paragraphe 1, point 2, du LFGB, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 3, deuxième phrase, point 3, et de l’article 4, paragraphe 1, point 2, du LFGB, tous les acides aminés et leurs dérivés, sans distinction quant aux éventuelles catégories ou types de substances. Or, si un tel régime d’interdiction générale n’est pas, pour cette seule raison, contraire aux dispositions du règlement n° 178/2002, l’analyse des risques qu’il appartient aux autorités nationales compétentes d’effectuer conformément à l’article 6 de ce règlement ne doit pas moins faire clairement ressortir quels sont les éléments ou les caractéristiques communs des substances concernées dont le risque réel pour la santé humaine ne peut être exclu.

65      En l’occurrence, eu égard aux informations fournies par le gouvernement allemand dans ses observations écrites, et sous réserve des vérifications nécessaires que la juridiction de renvoi est tenue d’effectuer, l’analyse des risques ainsi que l’application du principe de précaution qui en résulte ne semblent concerner que certains acides aminés, ce qui serait insuffisant pour justifier un système d’autorisation préalable, tel que celui prévu par le LFGB, qui frappe indistinctement tous les acides aminés.

66      Dans le cadre de cette vérification, il importe de rappeler que les difficultés pratiques d’effectuer une évaluation complète du risque pour la santé des denrées alimentaires contenant des acides aminés, conformément à la jurisprudence citée au point 56 du présent arrêt, ne sauraient justifier l’absence d’une telle évaluation complète comme préalable à l’adoption d’un régime d’autorisation préalable systématique et non ciblé (voir, par analogie, arrêt du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 103).

67      Quatrièmement, l’article 68, paragraphe 5, du LFGB dispose que les dérogations à l’interdiction visée à l’article 6 du LFGB sont accordées pour une durée limitée de trois ans au maximum, qui ne peut être renouvelée qu’à trois reprises, à chaque fois pour une période maximale de trois ans. À cet égard, il convient de relever que la première de ces dispositions, en ce qu’elle prévoit de telles restrictions temporaires à l’octroi de ces dérogations, même dans le cas où l’innocuité d’une substance serait établie, constitue une mesure disproportionnée pour atteindre l’objectif de protection de la santé publique poursuivi par le LFGB.

68      Il résulte des considérations qui précèdent que les articles 6 et 7 du règlement n° 178/2002 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de fabriquer, de traiter ou de mettre sur le marché tout complément alimentaire contenant des acides aminés, sauf dérogation accordée par une autorité nationale disposant à cet égard d’un pouvoir d’appréciation, lorsque cette législation se fonde sur une analyse des risques qui ne concerne que certains acides aminés, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier. En tout état de cause, ces articles doivent être interprétés comme s’opposant à une telle législation nationale, lorsque celle-ci prévoit que les dérogations à l’interdiction visée par ladite législation ne peuvent être accordées que pour une durée déterminée même dans le cas où l’innocuité d’une substance est établie.

 Sur les dépens

69      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

Les articles 6 et 7 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de fabriquer, de traiter ou de mettre sur le marché tout complément alimentaire contenant des acides aminés, sauf dérogation accordée par une autorité nationale disposant à cet égard d’un pouvoir d’appréciation, lorsque cette législation se fonde sur une analyse des risques qui ne concerne que certains acides aminés, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier. En tout état de cause, ces articles doivent être interprétés comme s’opposant à une telle législation nationale, lorsque celle-ci prévoit que les dérogations à l’interdiction visée par ladite législation ne peuvent être accordées que pour une durée déterminée même dans le cas où l’innocuité d’une substance est établie.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.