Language of document : ECLI:EU:C:2006:78

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 2 février 2006 (1)

Affaire C-11/05

Friesland Coberco Dairy Foods BV, agissant sous la dénomination «Friesland Supply Point Ede»

contre

Inspecteur van de Belastingdienst/Douane Noord/kantoor Groningen

[demande de décision préjudicielle formée par le Gerechtshof te Amsterdam (Pays-Bas)]

«Code des douanes communautaire – Régime de la transformation sous douane – Portée des conclusions du comité du code des douanes»





1.        Le Gerechtshof te Amsterdam (Pays-Bas) interroge la Cour sur le fonctionnement du régime de la transformation sous douane, prévu aux articles 130 à 136 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (2), tel que modifié notamment par le règlement (CE) nº 2700/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2000 (3) (ci‑après le «code des douanes»). La société Friesland Coberco Dairy Foods BV (ci-après «Coberco Dairy Foods») conteste la décision de refus d’autorisation de transformation sous douane, que lui a adressée l’inspecteur van de Belastingdienst/Douane Noord/Kantoor Groningen (inspecteur de l’administration et de l’imposition/douane nord/bureau de Groningen). Le juge de renvoi interroge notamment la Cour sur l’autorité et sur la validité des conclusions du comité du code des douanes (ci‑après le «comité»), puisque, dans le cas d’espèce, les autorités douanières ont fondé leur refus d’autorisation sur ces conclusions.

I –    Les faits, le cadre juridique et les questions préjudicielles

2.        Coberco Dairy Foods produit des jus de fruits. Pour la préparation de ces boissons, Coberco Dairy Foods utilise comme matières premières des concentrés de jus de fruits, des sucres, des parfums, des minéraux et des vitamines, qu’elle achète auprès de sociétés établies pour certaines dans des États membres et pour d’autres dans des États tiers. La fabrication inclut le mélange des jus de fruit avec de l’eau et du sucre, la pasteurisation puis l’emballage du produit.

3.        En application de l’article 132 du code des douanes (4), Coberco Dairy Foods a introduit, le 23 juillet 2002, une demande d’autorisation de transformation sous douane pour trois produits, du jus de pomme avec sucre ajouté (650 000 kg p.a. pour une valeur de 650 000 euros p.a.), du jus d’orange avec sucre ajouté (350 000 kg p.a. pour une valeur de 350 000 euros p.a.) et du sucre blanc autre que le sucre de canne (10 000 000 kg p.a. pour une valeur de 3 000 000 euros p.a.). La demande désignait deux produits transformés: du jus de pomme avec sucre ajouté et du jus d’orange avec sucre ajouté.

4.        L’objectif du régime de la transformation sous douane, sollicité par Coberco Dairy Foods, est décrit à l’article 130 du code des douanes:

«Le régime de la transformation sous douane permet de mettre en œuvre sur le territoire douanier de la Communauté des marchandises non communautaires pour leur faire subir des opérations qui en modifient l’espèce ou l’état et sans qu’elles soient soumises aux droits à l’importation ni aux mesures de politique commerciale, et de mettre en libre pratique aux droits à l’importation qui leur sont propres les produits résultant de ces opérations. Ces produits sont dénommés produits transformés.»

5.        Afin de bénéficier de l’exemption de droits à l’importation pour le sucre acheté en provenance de pays tiers, que lui offrirait le bénéfice de l’autorisation sollicitée, Coberco Dairy Foods soutient qu’elle serait ainsi en mesure de maintenir ses activités de transformation au sein de la Communauté.

6.        Les conditions cumulatives nécessaires à l’obtention d’une telle autorisation figurent à l’article 133 du code des douanes. Au titre des conditions économiques, l’article 133, sous e), prévoit qu’une autorisation ne peut être délivrée que «dans le cas où sont remplies les conditions nécessaires pour que le régime puisse contribuer à favoriser la création ou le maintien d’une activité de transformation de marchandises dans la Communauté sans qu’il soit porté atteinte aux intérêts essentiels des producteurs communautaires de marchandises similaires (conditions économiques). Les cas dans lesquels les conditions économiques sont considérées comme remplies peuvent être déterminés selon la procédure du comité».

7.        Dans la Communauté, la production et le prix du sucre sont encadrés par le règlement (CE) n° 1260/2001 du Conseil, du 19 juin 2001, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (5). Or, en application de l’article 552, paragraphe 1 et de l’annexe 76 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement n° 2913/92 (6), tel que modifié notamment par le règlement (CE) nº 444/2002 de la Commission, du 11 mars 2002 (7), pour toutes les marchandises soumises à des mesures de politique agricole, «un examen des conditions économiques est effectué». D’après le paragraphe 2 du même article, pour ces marchandises, «le comité procède à l’examen des conditions économiques». Un renvoi est notamment effectué à l’article 504, paragraphe 4, du règlement d’application du code des douanes, selon lequel «[l]es conclusions du comité sont prises en considération par les autorités douanières concernées». L’examen des conditions économiques doit établir, en application de l’article 502, paragraphe 3, du même règlement «si le recours à des sources d’approvisionnement non communautaires est susceptible de favoriser la création ou le maintien d’une activité de transformation dans la Communauté».

8.        En application de cette procédure, la Commission des Communautés européennes a, le 22 août 2003, déposé un document de travail devant le comité, dont il ressort que «l’entreprise en cause a demandé cette autorisation en raison de la concurrence sévère des producteurs d’Europe centrale et orientale». Ce document, dont un extrait est repris dans les observations écrites de la Commission, indique aussi que, «[é]tant donné le niveau de prix des marchandises similaires produites par ces producteurs et le taux préférentiel de 0 % pour le concentré de jus de pomme originaire de Pologne, des produits très concurrentiels par rapport à ceux de l’entreprise concernée sont mis sur le marché communautaire». D’après le même document, «si ce régime ne peut pas être appliqué, il sera probablement décidé de transformer les produits en Europe centrale ou orientale plutôt qu’aux Pays-Bas». Coberco Dairy Foods prévoit de réaliser un investissement initial de 750 000 euros dans une usine qui entraînera la création de deux postes de travail environ.

9.        Lorsqu’il s’est réuni le 18 septembre 2003, le comité a entendu le représentant de la direction générale «Agriculture» de la Commission, qui, d’après le compte rendu de la réunion, a souligné que «les producteurs communautaires de sucre sont […] sous pression. Des importations ‘en franchise de droits’ dans le cadre du régime de la transformation sous douane augmenteraient cette pression». À l’issue de sa réunion, le comité a conclu que les conditions économiques mentionnées à l’article 133, sous e), du code des douanes n’étaient pas remplies.

10.      Le 27 octobre 2003, l’administration fiscale néerlandaise s’est fondée sur ces conclusions du comité pour rejeter la demande d’autorisation de Coberco Dairy Foods. La réclamation introduite par l’entreprise requérante contre cette décision le 27 octobre 2003 a été rejetée par l’administration le 2 avril 2004, si bien que Coberco Dairy Foods a formé, le 10 mai 2004, un recours devant le Gerechtshof te Amsterdam visant à faire annuler celle‑ci.

11.      Dans ses arguments devant cette juridiction, Coberco Dairy Foods argue de ce que l’inspecteur aurait dû faire usage de sa marge d’appréciation pour écarter les conclusions du comité, qui invoquent les intérêts des producteurs communautaires de sucre, alors même que les conditions économiques visées aux articles 133, sous e), du code des douanes et 502, paragraphe 3, du règlement d’application du code des douanes seraient remplies. En effet, au lieu de prendre en considération l’intérêt économique des producteurs de matières premières de sucre situés dans la Communauté, l’inspecteur aurait dû se fonder sur l’existence d’une industrie de transformation dans la Communauté.

12.      Prenant la position opposée, l’inspecteur des douanes soutient que le comité a conclu à bon droit que le préjudice subi par l’industrie communautaire du sucre ne pouvait être contrebalancé par la création d’emplois liée à l’activité de transformation. L’inspecteur interprète l’article 504, paragraphe 4, du règlement d’application du code des douanes de telle sorte que les autorités douanières nationales n’étaient pas libres de s’écarter des conclusions du comité, adoptées à la quasi‑unanimité.

13.      Dans ce contexte, le Gerechtshof te Amsterdam, devant qui le litige a été porté, interroge la Cour sur les points suivants:

«1)      Comment faut-il interpréter les termes ‘sans qu’il soit porté atteinte aux intérêts essentiels des producteurs communautaires de marchandises similaires’ de l’article 133, sous e), du [code des douanes]? Ne faut-il tenir compte que du marché du produit fini ou faut-il également examiner la situation économique des matières premières dans le cadre d’une transformation sous douane?

2)      Pour évaluer l’expression ‘la création ou le maintien d’une activité de transformation’ visée à l’article 502, paragraphe 3 [du règlement d’application du code des douanes], faut-il tenir compte d’un certain nombre de postes de travail créés, au minimum, par les activités envisagées? Quels autres critères faut‑il appliquer pour interpréter le texte précité du règlement?

3)      À la lumière des réponses fournies aux première et deuxième questions, la Cour de justice peut-elle examiner la validité des conclusions du comité dans le cadre d’une procédure préjudicielle?

4)      Dans l’affirmative, les conclusions adoptées en l’espèce sont-elle valables, tant en ce qui concerne leur motivation que les arguments économiques invoqués?

5)      Au cas où la Cour de justice n’est pas habilitée à évaluer la validité des conclusions, quelle interprétation faut-il donner au passage ‘les conclusions du comité sont prises en considération (par les autorités douanières)’ de l’article 504, paragraphe 4, du [règlement d’application du code des douanes] si les autorités douanières, en première instance, et/ou le juge national, en degré d’appel, estiment que les conclusions du comité ne permettent pas de fonder une décision de rejet d’une demande d’autorisation du régime de la transformation sous douane?»

14.      Par une lettre du 19 janvier 2005, la juridiction de renvoi a demandé à la Cour de faire bénéficier le renvoi préjudiciel d’une procédure accélérée, en application de l’article 104 bis, premier alinéa du règlement de procédure. Celle-ci a été rejetée par une ordonnance du président de la Cour du 18 mars 2005.

15.      Une audience a eu lieu le 8 décembre 2005, au cours de laquelle Coberco Dairy Foods, les gouvernements hellénique et néerlandais ainsi que la Commission ont fait valoir leur point de vue. À l’écrit, le gouvernement italien est également intervenu à la procédure.

II – Analyse

16.      Après avoir examiné les questions du Gerechtshof relatives au rôle du comité et à la nature de ses conclusions ainsi qu’à leurs conséquences pour les autorités douanières nationales (troisième à cinquième questions), je procéderai à l’interprétation des articles 133, sous e), du code des douanes et 502, paragraphe 3, du règlement d’application du code des douanes, sur laquelle le juge national a exprimé des doutes (première et deuxième questions).

A –    La portée de la prise en considération des conclusions du comité par les autorités douanières prévue à l’article 504, paragraphe 4, du règlement d’application du code des douanes (cinquième question)

17.      La cinquième question de la juridiction de renvoi porte sur l’interprétation à donner aux termes contenus à l’article 504, paragraphe 4, du règlement d’application du code des douanes, qui prévoit que «les conclusions du comité sont prises en considération par les autorités douanières concernées et par toute autre autorité douanière traitant des autorisations ou demandes d’autorisation similaires». Selon les gouvernements hellénique et néerlandais, les autorités nationales seraient liées par les conclusions du comité.

18.      Le libellé de l’article en cause n’indique pourtant pas que ces conclusions auraient un caractère contraignant. Au contraire, si tel était le cas, le règlement aurait prévu que les autorités douanières nationales sont liées par les conclusions du comité. Le libellé de l’article 504, paragraphe 4, du règlement d’application du code des douanes n’empêche donc pas l’autorité douanière nationale de statuer dans un sens différent de celui préconisé par le comité dans ses conclusions.

19.      La portée des conclusions du comité n’est pas plus précisément définie. L’objectif poursuivi par l’instauration du comité, tel qu’énoncé au septième considérant du code des douanes, est de «garantir une collaboration étroite et efficace entre les États membres et la Commission». Une telle coopération ne se confond pas avec un dispositif de prise de décision communautaire dans lequel les conclusions du comité lieraient les États membres (8).

20.      Afin que l’exigence de prise en considération soit remplie, il convient néanmoins que l’autorité nationale compétente, si elle souhaite s’écarter des conclusions adoptées par le comité, motive sa décision. Bien qu’elle doive prendre en considération les conclusions du comité, l’autorité nationale ne peut pour autant se dispenser d’apprécier les conditions économiques au sens de l’article 133, sous e), du code des douanes. L’article 504, paragraphe 4 du règlement d’application du code des douanes n’impose donc nullement aux autorités nationales de suivre automatiquement les conclusions du comité. Au contraire, dans l’exercice de leur marge d’appréciation, celles-ci possèdent le pouvoir de décision final en matière d’octroi ou de refus de décision de transformation sous douane. La pratique des autorités néerlandaises, consistant à suivre automatiquement les conclusions du comité lorsque celles-ci sont négatives, ne saurait donc être rattachée à l’interprétation de l’article 504, paragraphe 4, du règlement d’application du code des douanes.

21.      Au vu des considérations ci-dessus, il est donc suggéré à la Cour de répondre à la cinquième question de la juridiction nationale que le passage «les conclusions du comité sont prises en considération par les autorités douanières» de l’article 504, paragraphe 4, du règlement d’application du code des douanes n’implique pas que lesdites conclusions lieraient l’autorité nationale lorsqu’elle statue sur une demande d’autorisation du régime de la transformation sous douane.

B –    Appréciation éventuelle des conclusions du comité dans le cadre d’un renvoi préjudiciel (troisième et quatrième questions)

22.      Le juge de renvoi s’interroge aussi sur la nature juridique des conclusions du comité. Sa troisième question porte sur la possibilité pour la Cour de statuer sur leur validité dans le cadre d’un renvoi préjudiciel. Si celles-ci ont un caractère juridique contraignant, la Cour pourrait être compétente pour statuer sur leur validité en application de l’article 234 CE. Dans l’hypothèse inverse, le rôle de la Cour se limiterait à les interpréter.

23.      Il est prévu à l’article 234, sous b), CE que la Cour est compétente pour statuer «sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté et de la BCE». Dans l’arrêt Grimaldi (9), la Cour a affirmé que «l’article 177 [du traité CE (devenu article 234 CE)] attribue à la Cour la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté, sans exception aucune». Sans se prononcer sur la question de savoir si un acte du comité peut ou non être imputé à une institution communautaire, on peut mettre en évidence son caractère non contraignant empêchant qu’il fasse l’objet d’une interprétation en validité dans le cadre de l’article 234 CE.

24.      Seule une disposition produisant un effet juridique contraignant peut être soumise à un contrôle de légalité (10). Il convient donc, pour répondre à la question du juge national, d’établir la nature juridique de conclusions du comité. Les observations présentées devant la Cour sont divergentes sur ce point. Tandis que la Commission et le gouvernement italien déduisent du caractère facultatif de la consultation du comité l’absence de caractère contraignant de ses conclusions, le gouvernement néerlandais adopte une position opposée.

25.      La Commission estime que le caractère non contraignant des conclusions du comité dans ce cadre découle du fait que le comité n’est saisi que de manière facultative, en application de l’article 503 du règlement d’application du code des douanes. Cet article prévoit en effet:

«Un examen des conditions économiques en liaison avec la Commission peut être effectué:

a)      si les autorités douanières concernées souhaitent procéder à une consultation avant ou après avoir délivré une autorisation;

b)       si une autre administration douanière formule des objections à l’encontre d’une autorisation délivrée;

c)       à l’initiative de la Commission.»

26.      Pourtant, l’article 552, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’annexe 76 du règlement d’application du code des douanes (11), qui est applicable en l’espèce, indique que la consultation du comité, pour les marchandises soumises à des mesures de politique agricole, est obligatoire. Cet article constitue une lex specialis dérogeant à la disposition générale contenue à l’article 503 dudit règlement, invoqué par la Commission. Ainsi, contrairement à ce qu’exposent la Commission et le gouvernement italien dans leurs observations écrites, il ne peut être déduit du seul article 503 que la consultation du comité des douanes aurait toujours un caractère facultatif. Au contraire, l’article 552, paragraphe 2, lu en liaison avec l’annexe 76, définit une exception à cette règle générale. Le caractère non contraignant des conclusions du comité ne peut être déduit du caractère généralement facultatif de sa saisine. Par conséquent, cet argument ne saurait à lui seul établir l’incompétence de la Cour pour apprécier la validité de ses conclusions.

27.      La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la nature juridique des avis de différents comités. Dans son arrêt Dittmeyer (12), elle a jugé que les avis du comité de nomenclature, bien qu’ils «constituent des moyens importants pour assurer une application uniforme du tarif douanier commun par les autorités douanières des États membres et en tant que tels peuvent être considérés comme des moyens valables pour l’interprétation du tarif», «n’ont pas de force obligatoire en droit, de sorte que, le cas échéant, il y a lieu d’examiner si leur teneur est conforme aux dispositions mêmes du tarif douanier commun et n’en modifie pas la portée». Cette jurisprudence a été confirmée pour les notes explicatives du conseil de coopération douanière dans les arrêts Chem-Tec (13) et Develop Dr. Eisbein (14) et pour les notes complémentaires de la nomenclature combinée notamment dans l’arrêt Algemene Scheeps Agentuur Dordrecht (15).

28.      Dans son arrêt Wagner (16), la Cour a suivi un raisonnement analogue lorsque le tribunal administratif de Paris l’a interrogée sur la validité de la note 2 de l’annexe I de la notice de la Commission du 11 mars 1981, relative aux certificats d’importation, d’exportation et de préfixation pour les produits agricoles (JO C 52, p. 2). Se refusant à statuer sur la validité de la note qui n’a pas de valeur juridique contraignante, en raison de sa nature explicative, la Cour a vérifié si la note développait une interprétation correcte du droit communautaire en vigueur (17).

29.      Le caractère non contraignant des actes d’un comité est lié à la fonction qu’il exerce. Afin d’établir si la jurisprudence précitée peut être appliquée par analogie aux conclusions du comité, comme le soutient la Commission dans ses observations, il convient de présenter le rôle que lui confère le code des douanes. Le septième considérant de ce code énonce «qu’il y a lieu d’instituer un comité du code des douanes afin de garantir une collaboration étroite et efficace entre les États membres et la Commission». L’article 4, point 24, du code des douanes définit la procédure du comité comme celle visée aux articles 247 et 247 bis ainsi que 248 et 248 bis du code. La compétence du comité, telle que définie à l’article 249, comprend toute question concernant la réglementation douanière. Plus généralement, une revue rapide du code des douanes permet de constater que le comité intervient pour préciser le fonctionnement de certains régimes douaniers (18), prévoir des cas spécifiques et des conditions particulières d’application de certaines dispositions (19), définir le champ de certaines exceptions et dérogations (20). Par la procédure du comité en douane peuvent aussi être prévus des cas ne figurant pas dans le code (21), des délais (22), des taux ou des valeurs seuils (23). Enfin, les conditions économiques à remplir pour bénéficier de certains régimes douaniers peuvent être appréciées par le comité, ainsi que prévu par les articles 117, sous c), pour le perfectionnement actif et 133, sous e), pour la transformation sous douane. Le comité peut intervenir dans des situations variées, dans le cadre des procédures de gestion, de réglementation ou selon la procédure consultative (24). En l’occurrence, la question du juge de renvoi porte sur l’intervention du comité prévue pour la prise d’une décision individuelle d’octroi ou de refus du régime douanier spécifique de la transformation sous douane.

30.      La question à se poser, au regard de la jurisprudence précitée de la Cour relative à la valeur juridique des conclusions de comités, est celle de savoir si l’interprétation du droit communautaire proposée par le comité peut lier l’autorité douanière compétente. À cet égard, il suffit de relever que les termes de l’article 504, paragraphe 4, du règlement d’application du code des douanes mentionnent une simple «prise en considération» par les autorités douanières, des conclusions du comité et n’impliquent donc pas que les autorités nationales seraient liées par ces conclusions.

31.      Il n’est pas possible à cet égard de suivre le raisonnement suggéré par le gouvernement néerlandais à l’audience, selon lequel il découlerait de l’obligation de consultation du comité des douanes posée par l’article 552 du règlement d’application du code des douanes que les conclusions rendues par le comité dans ce cadre auraient un caractère contraignant. En effet, une obligation de consultation du comité ne peut être assimilée à une obligation de suivre les conclusions qu’il rend.

32.      En l’absence d’obligation pour les autorités douanières compétentes de suivre les conclusions du comité, il n’y a pas lieu de mettre en cause leur validité indépendamment de la décision finale adoptée par les autorités douanières, qui a seule le caractère d’une décision définitive créant des effets juridiques contraignants. Comme l’a relevé à juste titre la Commission à l’audience, les conclusions du comité n’ont pas le caractère d’une décision finale. Ainsi, la validité des conclusions du comité, qui interviennent antérieurement à l’adoption d’une décision finale par l’autorité compétente, ne peut être examinée qu’indirectement lors d’un examen de la décision finale par le juge national (25).

33.      La nature non contraignante des conclusions du comité empêche d’invoquer, comme le faisait le gouvernement néerlandais dans ses observations écrites, une absence de contrôle de légalité de ces conclusions. Il en résulte que les conclusions du comité ne peuvent faire l’objet d’un renvoi préjudiciel en validité. Il importe toutefois que l’autorité compétente statuant sur une demande d’autorisation de transformation sous douane puisse déroger aux conclusions du comité et, le cas échéant, adopter une solution distincte de celle préconisée si, à l’issue de sa propre appréciation des circonstances en cause, elle aboutit à une conclusion différente.

34.      En effet, la pratique des autorités néerlandaises de suivre automatiquement les conclusions du comité quand elles sont négatives n’est pas imposée par le droit communautaire. Au contraire, l’article 133, sous e), du code des douanes doit s’interpréter comme attribuant aux autorités douanières nationales le pouvoir d’appréciation pour statuer sur une demande de transformation sous douane. Leur marge d’appréciation n’est limitée que dans la mesure où, en application de l’article 504, paragraphe 4, du règlement d’application du code des douanes, elles doivent prendre en considération ces conclusions. Si le droit communautaire avait conçu un système où les autorités douanières nationales étaient liées par les conclusions du comité préconisant le refus d’octroi de l’autorisation de la transformation sous douane, alors, il serait indispensable de prévoir la possibilité, pour le justiciable, de contester les conclusions du comité, qui auraient alors le caractère d’une décision définitive à son égard. S’il suffisait aux autorités nationales de suivre les conclusions du comité pour fonder leurs décisions et si ces conclusions n’étaient soumises à aucun contrôle juridictionnel, alors, les justiciables seraient privés de protection juridictionnelle, ce qui serait inacceptable. Dans le système prévu par le code des douanes, il ne peut toutefois en être ainsi.

35.      Par conséquent, je propose à la Cour de répondre à la troisième question que les conclusions du comité rendues en vertu de l’article 133, sous e), du code des douanes ne peuvent pas faire l’objet d’un examen de validité dans le cadre d’un renvoi préjudiciel. Il n’y a donc pas lieu de répondre à la quatrième question.

C –    Interprétation des termes «sans qu’il soit porté atteinte aux intérêts essentiels des producteurs communautaires de marchandises similaires» de l’article 133, sous e), du code des douanes (première question)

36.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si, dans le cadre d’une appréciation menée pour l’octroi éventuel d’une autorisation de transformation sous douane en application de l’article 133, sous e), du code des douanes, il ne faut tenir compte que du marché du produit fini ou bien s’il faut également examiner la situation économique du marché des matières premières utilisées pour fabriquer les produits finis. 

37.      La Commission et les gouvernements hellénique et néerlandais proposent de conclure que l’article 133, sous e), du code des douanes implique l’examen des intérêts tant des producteurs de produits transformés que ceux des producteurs de marchandises similaires à celles utilisées dans le processus de transformation. Coberco Dairy Foods au contraire estime que seuls les intérêts des producteurs communautaires de produits finis sont pertinents.

38.      Afin de trancher entre ces deux interprétations, notons tout d’abord que le régime de la transformation sous douane est un régime dérogatoire du droit commun. Les conditions auxquelles son octroi est subordonné sont donc à interpréter de manière restrictive.

39.      Le libellé du texte de l’article 133, sous e), du code des douanes, qui se réfère aux «intérêts essentiels des producteurs communautaires de marchandises similaires», ne précise pas s’il désigne uniquement les producteurs de produits finis ou bien s’il inclut les producteurs de matières premières utilisées pour fabriquer les produits finis. La Commission, se fondant sur les versions linguistiques française, italienne, espagnole et grecque, suggère que l’utilisation du terme «marchandise» renverrait aux marchandises similaires à celles devant faire l’objet de la transformation. Pourtant, cet argument ne convainc pas, car rien dans le libellé de l’article ne s’opposerait à ce que les termes «marchandises similaires» renvoient au contraire aux produits transformés. C’est précisément cette ambiguïté du texte qui a incité la juridiction de renvoi à solliciter l’interprétation de la Cour.

40.      L’interprétation de l’article 133, sous e), du code des douanes ne pouvant donc se fonder uniquement sur son libellé, elle doit s’effectuer en tenant compte de son contexte et de son objectif (26).

41.      Coberco Dairy Foods évoque le contexte de l’article 133, sous e), du code des douanes, pour soutenir l’interprétation qu’elle propose. À cet égard, elle compare les conditions économiques requises pour l’octroi du régime de perfectionnement actif mentionnées à l’article 117, sous c), du même code, qui fait référence aux «intérêts essentiels des producteurs de la Communauté» à celles de l’article 148 dudit code, relatives au régime de perfectionnement passif, qui prévoient la prise en compte des «intérêts essentiels des transformateurs communautaires». Selon Coberco Dairy Foods, l’utilisation d’un terme différent à l’article 133, sous e), du code des douanes impliquerait que seuls les producteurs de produits finis sont visés par celui-ci. Toutefois, il ne me semble pas qu’une telle conséquence résulte de la diversité des termes utilisés par ces articles du code des douanes. Au contraire, il découle de cette comparaison que chaque article doit être interprété en tenant compte du régime douanier spécifique auquel il est applicable puisque ni l’article 133, sous e), ni l’article 117 ne précisent quels producteurs communautaires ils visent.

42.      L’objectif du régime de transformation sous douane est indiqué dans les considérants du règlement (CEE) nº 2763/83 du Conseil, du 26 septembre 1983, relatif au régime permettant la transformation sous douane de marchandises avant leur mise en libre pratique (27), qui l’a créé. Ce régime a été conçu pour pallier les incidences de certaines anomalies tarifaires: «dans certains cas particuliers, la taxation de marchandises selon leur espèce tarifaire ou leur état au moment de leur importation aboutit à une imposition supérieure à celle qui serait économiquement justifiée, propre à inciter au déplacement de certaines activités économiques en dehors de la Communauté» (28). Le régime de transformation sous douane a donc été instauré pour lutter contre la délocalisation d’activités de transformation en dehors de la Communauté, provoquée par le fait que les coûts d’importation des matières premières étaient supérieurs aux coûts d’exportation des produits finis pour lesquels ces matières premières avaient été utilisées.

43.      La protection des producteurs communautaires de produits finis est donc l’objectif principal poursuivi par ce régime. Pourtant, ainsi que le relève la Commission dans ses observations, l’octroi de ce régime dérogatoire, s’il était pratiqué de façon trop libérale, risquerait de créer des conflits d’intérêt entre producteurs communautaires de produits finis et producteurs communautaires de produits de base, les premiers étant avantagés au détriment des seconds. Or, le régime de la transformation sous douane ne vise pas la création d’une telle hiérarchie entre producteurs. Au contraire, prenant en compte la nécessaire conciliation du droit de douane avec la politique agricole de la Communauté (29), le code des douanes prévoit des conditions plus restrictives pour l’octroi d’une autorisation de transformation sous douane pour les produits faisant l’objet d’une organisation commune de marché. En effet, pour ce type de produits, la consultation du comité est obligatoire, en application de l’article 552 du règlement d’application du code des douanes. Comme l’a souligné à juste titre le gouvernement hellénique, seule une interprétation de l’article 133, sous e), du code des douanes, exigeant la prise en compte des intérêts des producteurs de matières premières et de produits finis, permet cette conciliation.

44.      En outre, comme le note le gouvernement italien dans ses observations, le régime de la transformation sous douane procure un bénéfice aux producteurs non communautaires de matières premières car il exonère leurs produits de droits d’importation. Par conséquent, il paraît logique d’examiner la situation des producteurs communautaires de ces marchandises pour décider de l’octroi du régime. Contrairement à ce qu’a affirmé Coberco Dairy Foods lors de l’audience, il est donc pertinent de prendre en compte la situation des producteurs communautaires de sucre, quand bien même Coberco Dairy Foods n’aurait pas l’intention d’utiliser du sucre produit dans la Communauté pour sa production de boissons.

45.      Ajoutons que si les intérêts de producteurs communautaires de produits finis étaient seuls pris en compte, alors le régime de transformation sous douane risquerait d’être détourné de ses objectifs. C’est pourquoi, comme le régime du perfectionnement actif, qu’il complète, le régime de la transformation sous douane ne peut être accordé que s’il est établi que les intérêts essentiels des producteurs communautaires, dans leur ensemble, c’est-à-dire aussi bien les producteurs de biens finis que les producteurs de produits de base, ne sont pas affectés.

46.      Par conséquent, je suggère de répondre à la juridiction de renvoi que l’article 133, sous e), du code des douanes doit être interprété comme exigeant une appréciation globale des intérêts des producteurs de matières premières et des producteurs de produits finis pour l’octroi d’une autorisation de transformation sous douane.

D –    Interprétation de l’expression «la création ou le maintien d’une activité de transformation» mentionnée à l’article 502, paragraphe 3 du règlement d’application du code des douanes (deuxième question)

47.      La juridiction de renvoi interroge aussi la Cour sur l’interprétation à donner à l’article 502, paragraphe 3 du règlement d’application du code des douanes, qui fait référence à «la création ou [au] maintien d’une activité de transformation». Plus précisément, la question porte sur le point de savoir si le nombre d’emplois créés est un critère pertinent à cet égard.

48.      Coberco Dairy Foods soutient que le nombre de postes de travail créés ou maintenus ne serait pas pertinent dans le cadre de l’article 502, paragraphe 3, du règlement d’application du code des douanes. Selon les gouvernements néerlandais et hellénique et la Commission, il convient de procéder à une appréciation globale comportant le risque pour le secteur concerné, son degré de réglementation aussi bien que l’ampleur de l’investissement et le nombre d’emplois créés ou maintenus par l’activité de transformation.

49.      L’appréciation de la création ou du maintien d’une activité de transformation doit être concrète et prendre en compte les circonstances présentes. En l’absence d’un critère spécifique inscrit dans ce règlement concernant le nombre d’emplois créés, il n’est pas possible de déduire qu’un tel critère existerait. Néanmoins, contrairement à ce que soutient Coberco Dairy Foods, la création ou le maintien d’emplois est certainement un élément important à prendre en compte par les autorités douanières nationales. Leur appréciation globale de toutes les circonstances de la demande qui leur est soumise implique d’évaluer également la valeur de l’investissement réalisé, la pérennité de l’activité ainsi que tout autre élément pertinent se rapportant à la création ou au maintien d’une activité de transformation.

III – Conclusion

50.      Au vu des développements ci-dessus, je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions soulevées par la juridiction de renvoi:

«1)      Le passage ‘les conclusions du comité sont prises en considération par les autorités douanières’ de l’article 504, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire, tel que modifié notamment par le règlement (CE) nº 444/2002 de la Commission, du 11 mars 2002, n’implique pas que lesdites conclusions lieraient l’autorité nationale lorsqu’elle statue sur une demande d’autorisation du régime de la transformation sous douane.

2)      Les conclusions du comité du code des douanes, qui n’ont qu’une valeur consultative, ne peuvent pas faire l’objet d’un recours préjudiciel en validité dans le cadre de l’article 234 CE. Il découle de leur nature consultative que les autorités nationales doivent pouvoir s’en écarter.

3)      L’article 133, sous e), du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, tel que modifié notamment par le règlement (CE) nº 2700/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2000, implique de prendre en compte la situation économique des producteurs de matières premières ainsi que ceux des produits finis.

4)      L’appréciation menée dans le cadre de l’article 502, paragraphe 3, du règlement nº 2454/93, sur la création ou le maintien d’une activité de transformation inclut non seulement le nombre d’emploi créé mais aussi tout autre élément pertinent tel que notamment la valeur de l’investissement et sa pérennité.»


1 – Langue originale: le portugais.


2 – L 302, p. 1.


3 – JO L 311, p. 17.


4 – Cet article prévoit que «[l]’autorisation de transformation sous douane est délivrée sur demande de la personne qui effectue ou fait effectuer la transformation».


5 – JO L 178, p. 1.


6 – JO L 253, p. 1, ci-après le «règlement d’application du code des douanes».


7 – JO L 68, p. 11.


8 – Voir, par analogie, arrêt du 21 janvier 1999, Upjohn (C-120/97, Rec. p. I-223, point 47), et les conclusions de l’avocat général Léger dans cette affaire (point 64). Voir également arrêt du 12 juillet 2005, Commission/CEVA et Pfizer (C-198/03 P, non encore publié au Recueil, point 89), ainsi que les conclusions de l’avocat général Jacobs dans cette affaire (points 75 et 76).


9 – Arrêt du 13 décembre 1989 (C-322/88, Rec. p. 4407, point 8).


10 – Dans le cadre de l’article 230 CE, cela a été établi par l’arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit «AETR» (22/70, Rec. p. 263, point 42).


11 – Cité au point 7 des conclusions.


12 – Arrêt du 15 février 1977 (69/76 et 70/76, Rec. p. 231, point 4).


13 – Arrêt du 11 juillet 1980 (798/79, Rec. p. 2639, point 11).


14 – Arrêt du 16 juin 1994 (C-35/93, Rec. p. 2655, point 21).


15 – Arrêt du 12 janvier 2006 (C-311/04, non encore publié au recueil, points 27 et 28).


16 – Arrêt du 8 avril 1992 (C-94/91, Rec. p. I‑2765).


17 – Voir arrêt Wagner, précité, point 17.


18 – Article 147, paragraphe 2, pour le perfectionnement actif.


19 – Articles 131 pour la transformation sous douane, 141 pour l’admission temporaire de marchandises sur le territoire douanier, 164 pour le transit interne.


20 – Articles 124, paragraphe 3, 142, paragraphe 2, 148, sous b), 182, paragraphe 2, 178, paragraphe 2, et 200.


21 – Pour le remboursement de droits de douane, article 239, paragraphe 1, et pour les formes de garanties, article 197.


22 – Articles 118, paragraphe 4, 128, paragraphe 3, et 172, paragraphe 2.


23 – Articles 214, paragraphe 3, 217, paragraphe 1, sous c), et 240.


24 – Voir le document TAXUD/741/2001 fixant les règles de procédure du comité du code des douanes, adoptées le 5 décembre 2001.


25 – Arrêt du 10 février 1998, Allemagne/Commission (C-263/95, Rec. p. I-441).


26 – Voir, par exemple, arrêts du 6 octobre 1982, CILFIT (283/81, Rec. p. 3415, point 20), et du 17 novembre 1983, Merck (292/82, Rec. p. 3781, point 12).


27 – JO L 272, p. 1.


28 – Premier considérant du règlement nº 2763/83.


29 – Quatrième considérant du code des douanes.