Language of document : ECLI:EU:C:2006:492

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

18 juillet 2006 (*)

«Pourvoi – Règles adoptées par le Comité international olympique concernant le contrôle du dopage – Incompatibilité avec les règles communautaires de la concurrence et de la libre prestation de services – Plainte – Rejet»

Dans l’affaire C-519/04 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 22 décembre 2004,

David Meca-Medina, demeurant à Barcelone (Espagne),

Igor Majcen, demeurant à Ljubljana (Slovénie),

représentés par Mes J.-L. Dupont et M.-A. Lucas, avocats,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme O. Beynet et M. A. Bouquet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

République de Finlande, représentée par Mme T. Pynnä, en qualité d’agent,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), J.-P. Puissochet, A. Borg Barthet et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 mars 2006,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 mars 2006,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, MM. Meca-Medina et Majcen (ci-après, pris ensemble, les «requérants») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 septembre 2004, Meca-Medina et Majcen/Commission (T-313/02, Rec. p. II‑3291, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission des Communautés européennes, du 1er août 2002, rejetant la plainte déposée par les requérants à l’encontre du Comité international olympique (ci‑après le «CIO»), visant à faire constater l’incompatibilité de certaines dispositions réglementaires adoptées par celui-ci et mises en œuvre par la Fédération internationale de natation (ci-après la «FINA»), ainsi que certaines pratiques relatives au contrôle du dopage, avec les règles communautaires de concurrence et de libre prestation des services (COMP/38158 – Meca-Medina et Majcen/CIO, ci-après la «décision litigieuse»).

 Les antécédents du litige

2        Le Tribunal a résumé la réglementation antidopage en cause (ci-après la «réglementation antidopage litigieuse») aux points 1 à 6 de l’arrêt attaqué:

«1      Le [...] CIO est l’autorité suprême du Mouvement olympique, lequel regroupe les différentes fédérations sportives internationales, parmi lesquelles la [...] FINA.

2      La FINA met en œuvre pour la natation, par ses doping control rules (règles de contrôle du dopage, telles qu’en vigueur au moment des faits, ci-après ‘DC’), le code antidopage du Mouvement olympique. La règle DC 1.2a définit le dopage comme une ‘infraction lorsqu’une substance interdite est trouvée dans les tissus ou liquides du corps d’un sportif’. Cette définition correspond à celle de l’article 2, paragraphe 2, du code antidopage susvisé, selon lequel est qualifiée de dopage ‘la présence dans l’organisme de l’athlète d’une substance interdite, la constatation de l’usage d’une telle substance ou la constatation de l’application d’une méthode interdite’.

3      La nandrolone et ses métabolites, la norandrostérone (NA) et la norétiocholanolone (NE) (ci-après dénommées, collectivement, la ‘nandrolone’), sont des substances anabolisantes interdites. Toutefois, selon la pratique des 27 laboratoires accrédités par le CIO et la FINA, et pour tenir compte de la possibilité d’une production endogène, donc non fautive, de nandrolone, la présence de cette substance dans le corps d’athlètes masculins n’est qualifiée de dopage qu’au-delà d’un seuil de tolérance de 2 nanogrammes (ng) par millilitre (ml) d’urine.

4      En cas de premier dopage avec un anabolisant, la règle DC 9.2a exige que l’athlète soit suspendu au minimum pour quatre ans, cette sanction pouvant toutefois être réduite, en application de la règle DC 9.2, dernière phrase, et des règles DC 9.3 et DC 9.10, si l’athlète prouve qu’il n’a pas sciemment pris la substance interdite ou comment ladite substance a pu être présente dans son corps sans négligence de sa part.

5      Les sanctions sont infligées par le doping panel (comité du dopage) de la FINA, dont les décisions peuvent faire l’objet d’un appel devant le Tribunal arbitral du sport (ci-après le ‘TAS’), en vertu de la règle DC 8.9. Le TAS, établi à Lausanne, est financé et administré par un organisme indépendant du CIO, le conseil international de l’arbitrage dans le sport (ci-après le ‘CIAS’).

6      Les sentences du TAS peuvent faire l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral suisse, juridiction compétente pour la révision des sentences d’arbitrage international rendues en Suisse.»

3        Les faits à l’origine du litige ont été résumés par le Tribunal aux points 7 à 20 de l’arrêt attaqué:

«7      Les requérants sont deux athlètes professionnels pratiquant la natation de longue distance, qui est l’équivalent aquatique du marathon.

8      Lors d’un contrôle antidopage effectué le 31 janvier 1999, pendant la coupe du monde de cette discipline à Salvador de Bahia (Brésil), où ils avaient terminé, respectivement, premier et deuxième, les requérants ont été testés positifs à la nandrolone. Le taux relevé pour M. D. Meca-Medina était de 9,7 ng/ml et pour M. I. Majcen de 3,9 ng/ml.

9      Le 8 août 1999, le doping panel de la FINA a pris une décision de suspension des requérants pour une période de quatre ans.

10      Sur appel des requérants, le TAS a confirmé, par sentence arbitrale du 29 février 2000, la décision de suspension.

11      En janvier 2000, des expériences scientifiques ont montré que les métabolites de nandrolone peuvent être produites de manière endogène par l’organisme humain en cas de consommation de certains aliments, tels que la viande de porc mâle non castré, à un taux pouvant dépasser le seuil de tolérance admis.

12      Au vu de cette évolution, la FINA et les requérants sont convenus, par un accord d’arbitrage du 20 avril 2000, de déférer à nouveau l’affaire, aux fins d’un réexamen, au TAS.

13      Par sentence arbitrale du 23 mai 2001, le TAS a réduit la sanction de suspension des requérants à deux ans.

14      Les requérants n’ont pas introduit de recours contre cette sentence arbitrale devant le Tribunal fédéral suisse.

15      Par lettre du 30 mai 2001, les requérants ont déposé une plainte auprès de la Commission, au titre de l’article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), dénonçant une infraction aux articles 81 CE et/ou 82 CE.

16      Dans leur plainte, les requérants mettaient en cause la compatibilité de certaines dispositions réglementaires adoptées par le CIO et mises en œuvre par la FINA, ainsi que certaines pratiques relatives au contrôle du dopage, avec les règles communautaires de concurrence et de libre prestation de services. Tout d’abord, la fixation du seuil de tolérance à 2 ng/ml constituerait une pratique concertée entre le CIO et les 27 laboratoires accrédités par celui-ci. Ce seuil serait mal fondé sur le plan scientifique et pourrait aboutir à l’exclusion d’athlètes innocents ou simplement négligents. Dans le cas des requérants, les dépassements constatés du seuil de tolérance auraient pu résulter de la consommation d’un plat contenant de la viande de porc non castré. Ensuite, l’adoption par le CIO d’un mécanisme de responsabilité objective ainsi que l’instauration d’instances chargées de la résolution arbitrale des litiges en matière de sport (le TAS et le CIAS) insuffisamment indépendantes par rapport au CIO renforceraient le caractère anticoncurrentiel de ce seuil.

17      Selon cette plainte, l’application de ces règles (ci-après dénommées indistinctement les ‘règles antidopage litigieuses’ ou la ‘réglementation antidopage litigieuse’) conduirait à la violation des libertés économiques des athlètes, notamment garanties par l’article 49 CE, et, sous l’angle du droit de la concurrence, à la violation des droits que les athlètes peuvent revendiquer au titre des articles 81 CE et 82 CE.

18      Par lettre du 8 mars 2002, la Commission, en application de l’article 6 du règlement (CE) nº 2842/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81] et [82] du traité CE (JO L 354, p. 18), a indiqué aux requérants les motifs pour lesquels elle considérait ne pas devoir donner une suite favorable à la plainte.

19      Par lettre du 11 avril 2002, les requérants ont adressé à la Commission leurs observations sur la lettre du 8 mars 2002.

20      Par décision du 1er août 2002 [...], la Commission a rejeté la plainte des requérants, après avoir analysé la réglementation antidopage litigieuse selon les critères d’appréciation du droit de la concurrence et conclu que cette réglementation ne tombait pas sous le coup de l’interdiction des articles 81 CE et 82 CE [...]».

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

4        Le 11 octobre 2002, les requérants ont introduit devant le Tribunal un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Ils ont soulevé trois moyens à l’appui de leur recours. Tout d’abord, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en fait et en droit, en considérant que le CIO n’est pas une entreprise au sens de la jurisprudence communautaire. Ensuite, elle aurait mal appliqué les critères établis par la Cour, dans l’arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C-309/99, Rec. p. I-1577), en considérant que la réglementation antidopage litigieuse ne serait pas une restriction de concurrence au sens de l’article 81 CE. Enfin, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en fait et en droit au point 71 des motifs de la décision litigieuse, en rejetant les griefs invoqués par les requérants au titre de l’article 49 CE à l’encontre de la réglementation antidopage.

5        Le 24 janvier 2003, la République de Finlande a demandé à intervenir au soutien de la Commission. Par ordonnance du 25 février 2003, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis cette intervention.

6        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours des requérants.

7        Aux points 40 et 41 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé, en se fondant sur la jurisprudence de la Cour, que si les interdictions qu’édictent les articles 39 CE et 49 CE s’appliquent aux règles prises dans le domaine du sport qui ont trait à l’aspect économique que peut revêtir l’activité sportive, en revanche, les interdictions qu’édictent ces dispositions du traité CE ne concernent pas les règles purement sportives, c’est-à-dire les règles qui sont relatives aux questions intéressant uniquement le sport et, en tant que telles, étrangères à l’activité économique.

8        Le Tribunal a relevé, au point 42 de l’arrêt attaqué, que le fait qu’une réglementation purement sportive soit étrangère à l’activité économique, avec pour conséquence que cette réglementation ne tombe pas dans le champ d’application des articles 39 CE et 49 CE, signifie, également, qu’elle est étrangère aux rapports économiques de concurrence, avec pour conséquence qu’elle ne tombe pas non plus dans le champ d’application des articles 81 CE et 82 CE.

9        Aux points 44 et 47 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la prohibition du dopage se fonde sur des considérations purement sportives et qu’elle est donc étrangère à toute considération économique. Il a conclu que les règles de la lutte antidopage ne sauraient en conséquence entrer dans le champ d’application des dispositions du traité sur les libertés économiques, et, en particulier, des articles 49 CE, 81 CE et 82 CE.

10      Le Tribunal a considéré, au point 49 de l’arrêt attaqué, que la réglementation antidopage litigieuse, qui ne poursuit aucun but discriminatoire, est intimement liée au sport en tant que tel. Il a encore constaté, au point 57 de l’arrêt attaqué, que le fait que le CIO ait pu éventuellement avoir à l’esprit le souci, légitime selon les requérants eux-mêmes, de préserver le potentiel économique des Jeux Olympiques lors de la fixation de la réglementation antidopage litigieuse n’avait pas, en soi, pour conséquence de priver cette réglementation de sa nature purement sportive.

11      Le Tribunal a encore précisé, au point 66 de l’arrêt attaqué, que la Commission ayant conclu dans la décision litigieuse que la réglementation antidopage litigieuse échappait, en raison de son caractère purement sportif, au champ d’application des articles 81 CE et 82 CE, la référence dans la même décision à la méthode d’analyse de l’arrêt Wouters e.a., précité, ne saurait, en tout état de cause, remettre en question cette conclusion. Le Tribunal a estimé encore au point 67 de l’arrêt attaqué que la contestation de ladite réglementation relevait de la compétence des organes de règlement des litiges sportifs.

12      Le Tribunal a également rejeté le troisième moyen invoqué par les requérants, en considérant, au point 68 de l’arrêt attaqué, que la réglementation antidopage litigieuse étant purement sportive, elle n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 49 CE.

 Les conclusions du pourvoi

13      Dans leur pourvoi, les requérants concluent à ce qu’il plaise à la Cour:

–        annuler l’arrêt attaqué;

–        faire droit aux conclusions présentées devant le Tribunal;

–        condamner la Commission aux dépens des deux instances.

14      La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        à titre principal, rejeter le pourvoi dans sa totalité;

–        à titre subsidiaire, faisant droit aux conclusions présentées en première instance, rejeter le recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse;

–        condamner les requérants aux dépens y compris ceux de la procédure de première instance.

15      La République de Finlande conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        rejeter le pourvoi dans son intégralité.

 Sur le pourvoi

16      Par leur argumentation, les requérants soulèvent quatre moyens à l’appui de leur pourvoi. Par le premier moyen, qui comporte plusieurs branches, ils font valoir que l’arrêt attaqué serait entaché d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a considéré que la réglementation antidopage litigieuse n’entrait pas dans le champ d’application des articles 49 CE, 81 CE et 82 CE. Par le deuxième moyen, ils soutiennent que l’arrêt attaqué serait entaché d’une dénaturation du contenu de la décision litigieuse. Par le troisième moyen, ils font valoir que ledit arrêt serait irrégulier en la forme en ce qu’il comporterait des contradictions de motifs et une insuffisance de motivation. Par le quatrième moyen, ils font valoir que l’arrêt attaqué aurait été rendu au terme d’une procédure irrégulière, le Tribunal ayant porté atteinte aux droits de la défense.

 Sur le premier moyen

17      Le premier moyen tiré d’une erreur de droit comporte trois branches. Les requérants font valoir, en premier lieu, que le Tribunal s’est mépris sur l’interprétation de la jurisprudence de la Cour relative au rapport entre les réglementations sportives et le champ d’application des dispositions du traité. Ils font valoir, en deuxième lieu, que le Tribunal a méconnu la portée, au regard de cette jurisprudence, des règles de prohibition du dopage en général et de la réglementation antidopage litigieuse en particulier. Ils soutiennent, en troisième lieu, que c’est à tort que le Tribunal a considéré que ladite réglementation ne pouvait être assimilée à un comportement de marché entrant dans le champ d’application des articles 81 CE et 82 CE et ne pouvait dès lors être soumise à la méthode d’analyse dégagée par la Cour dans son arrêt Wouters e.a., précité.

 Sur la première branche

–       Argumentation des parties

18      Selon les requérants, le Tribunal aurait mal interprété la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’exercice des sports ne relèverait du droit communautaire que dans la mesure où il constituerait une activité économique. En particulier, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, la Cour n’aurait jamais exclu de manière générale des réglementations purement sportives du champ d’application des dispositions du traité. Si la Cour a considéré que la formation des équipes nationales était une question intéressant uniquement le sport et, en tant que telle, étrangère à l’activité économique, le Tribunal ne pouvait en déduire que toute règle relative à une question intéressant uniquement le sport serait, en tant que telle, étrangère à l’activité économique et échapperait ainsi aux interdictions qu’édictent les articles 39 CE, 49 CE, 81 CE et 82 CE. Ainsi, le concept de règle purement sportive devrait être cantonné aux seules règles relatives à la composition et à la formation des équipes nationales.

19      Les requérants soutiennent encore que c’est à tort que le Tribunal aurait considéré qu’une réglementation intéressant uniquement le sport serait nécessairement inhérente à l’organisation et au bon déroulement de la compétition alors que, selon la jurisprudence de la Cour, elle devrait encore tenir au caractère et au cadre spécifique des rencontres sportives. Ils font valoir aussi que, en raison de la nature matériellement indivisible de l’activité sportive professionnelle, la distinction opérée par le Tribunal entre la dimension économique et la dimension non économique du même acte sportif serait parfaitement artificielle.

20      Pour la Commission, le Tribunal a fait une application exacte de la jurisprudence de la Cour selon laquelle les réglementations purement sportives échapperaient, en tant que telles, aux règles de la libre circulation. Il s’agirait donc bien d’une exception de portée générale pour les règles purement sportives, qui ne serait ainsi pas limitée à la composition et la formation d’équipes nationales. Par ailleurs, elle ne voit pas en quoi une règle intéressant uniquement le sport et tenant à la spécificité des rencontres pourrait ne pas être inhérente au bon déroulement des rencontres.

21      Pour le gouvernement finlandais, l’approche du Tribunal serait conforme au droit communautaire.

–       Appréciation de la Cour

22      Il convient de rappeler que, compte tenu des objectifs de la Communauté, l’exercice des sports relève du droit communautaire dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l’article 2 CE (voir arrêts du 12 décembre 1974, Walrave et Koch, 36/74, Rec. p. 1405, point 4; du 14 juillet 1976, Donà, 13‑76, Rec. p. 1333, point 12; du 15 décembre 1995, Bosman, C‑415/93, Rec. p. I‑4921, point 73; du 11 avril 2000, Deliège, C‑51/96 et C‑191/97, Rec. p. I‑2549, point 41, et du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine, C‑176/96, Rec. p. I‑2681, point 32).

23      C’est ainsi que lorsqu’une activité sportive a le caractère d’une activité salariée ou d’une prestation de services rémunérée, ce qui est le cas de celle des sportifs semi‑professionnels ou professionnels (voir, en ce sens, arrêts précités Walrave et Koch, point 5, Donà, point 12, et Bosman, point 73), elle tombe, plus particulièrement, dans le champ d’application des articles 39 CE et suivants, ou des articles 49 CE et suivants.

24      Ces dispositions communautaires en matière de libre circulation des personnes et de libre prestation des services ne régissent pas seulement l’action des autorités publiques, mais s’étendent également aux réglementations d’une autre nature visant à régler, de façon collective, le travail salarié et les prestations de service (arrêts précités Deliège, point 47, ainsi que Lethonen et Castors Braine, point 35).

25      La Cour a cependant jugé que les interdictions qu’édictent ces dispositions du traité ne concernent pas les règles qui portent sur des questions intéressant uniquement le sport et, en tant que telles, étrangères à l’activité économique (voir, en ce sens, arrêt Walrave et Koch, précité, point 8).

26      S’agissant de la difficulté de scinder les aspects économiques et les aspects sportifs d’une activité sportive, la Cour a reconnu, dans l’arrêt Donà, précité, points 14 et 15, que les dispositions communautaires en matière de libre circulation des personnes et de libre prestation des services ne s’opposent pas à des réglementations ou pratiques justifiées par des motifs non économiques, tenant au caractère et au cadre spécifiques de certaines rencontres sportives. Elle a cependant souligné que cette restriction du champ d’application des dispositions en cause doit rester limitée à son objet propre. Dès lors, elle ne peut être invoquée pour exclure toute une activité sportive du champ d’application du traité (arrêts précités Bosman, point 76, et Deliège, point 43).

27      Au vu de l’ensemble de ces considérations, il ressort que la seule circonstance qu’une règle aurait un caractère purement sportif ne fait pas pour autant sortir la personne qui exerce l’activité régie par cette règle ou l’organisme qui a édicté celle-ci du champ d’application du traité.

28      Si l’activité sportive en cause entre dans le champ d’application du traité, les conditions de son exercice sont alors soumises à l’ensemble des obligations qui résultent des différentes dispositions du traité. Il s’ensuit que les règles qui régissent ladite activité doivent remplir les conditions d’application de ces dispositions qui, notamment, visent à assurer la libre circulation des travailleurs, la liberté d’établissement, la libre prestation des services ou la concurrence.

29      C’est ainsi que, pour le cas où l’exercice de cette activité sportive doit être apprécié au regard des dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs ou la libre prestation des services, il y aura lieu de vérifier si les règles qui régissent ladite activité remplissent les conditions d’application des articles 39 CE et 49 CE, c’est-à-dire ne constituent pas des restrictions interdites par lesdits articles (arrêt Deliège, précité, point 60).

30      De même, pour le cas où l’exercice de ladite activité doit être apprécié au regard des dispositions du traité relatives à la concurrence, il y aura lieu de vérifier si, compte tenu des conditions d’application propres aux articles 81 CE et 82 CE, les règles qui régissent ladite activité émanent d’une entreprise, si celle-ci restreint la concurrence ou abuse de sa position dominante, et si cette restriction ou cet abus affecte le commerce entre États membres.

31      Aussi, à supposer même que ces règles ne constituent pas des restrictions à la libre circulation parce qu’elles portent sur des questions intéressant uniquement le sport et sont en tant que telles, étrangères à l’activité économique (arrêts précités Walrave et Koch ainsi que Donà), cette circonstance n’implique ni que l’activité sportive concernée échappe nécessairement au champ d’application des articles 81 CE et 82 CE, ni que lesdites règles ne rempliraient pas les conditions d’application propres auxdits articles.

32      Or, au point 42 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que le fait qu’une réglementation purement sportive soit étrangère à l’activité économique, avec pour conséquence que ladite réglementation n’entre pas dans le champ d’application des articles 39 CE et 49 CE, signifie, également, qu’elle est étrangère aux rapports économiques de concurrence, avec pour conséquence qu’elle n’entre pas non plus dans le champ d’application des articles 81 CE et 82 CE.

33      En estimant qu’une réglementation pouvait ainsi être écartée d’emblée du champ d’application desdits articles au seul motif qu’elle était considérée comme purement sportive au regard de l’application des articles 39 CE et 49 CE, sans qu’il soit nécessaire de vérifier au préalable si cette réglementation répondait aux conditions d’application propres aux articles 81 CE et 82 CE, telles que rappelées au point 30 du présent arrêt, le Tribunal a commis une erreur de droit.

34      Dès lors, les requérants sont fondés à soutenir que c’est à tort que le Tribunal a, au point 68 de l’arrêt attaqué, rejeté leur demande au motif que la réglementation antidopage litigieuse ne relevait ni de l’article 49 CE ni du droit de la concurrence. Il y a lieu, par suite, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres branches du premier moyen, ni davantage les autres moyens soulevés par les requérants, d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur le fond

35      Conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice, l’affaire étant en état d’être jugée, il convient de statuer au fond sur les conclusions des requérants tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

36      Il y a lieu de rappeler à cet égard que les requérants ont soulevé trois moyens à l’appui de leur recours. Ils ont reproché à la Commission d’avoir considéré, d’une part, que le CIO n’était pas une entreprise au sens de la jurisprudence communautaire, d’autre part, que la réglementation antidopage litigieuse ne serait pas une restriction de concurrence au sens de l’article 81 CE, enfin, que leur plainte ne contenait pas de faits permettant de parvenir à la conclusion qu’il pourrait y avoir une violation de l’article 49 CE.

 Sur le premier moyen

37      Les requérants soutiennent que la Commission aurait eu tort de ne pas qualifier le CIO d’entreprise pour l’application de l’article 81 CE.

38      Il est cependant constant que, pour statuer sur la plainte dont elle était saisie par les requérants au regard des dispositions des articles 81 CE et 82 CE, la Commission a entendu se placer, comme il ressort explicitement du point 37 de la décision litigieuse, dans la situation où le CIO devait être qualifié d’entreprise et, au sein du mouvement olympique, comme une association d’associations internationales et nationales d’entreprises.

39      Ce moyen étant fondé sur une lecture erronée de la décision litigieuse, il est inopérant et doit, par suite, pour ce motif, être rejeté.

 Sur le deuxième moyen

40      Les requérants soutiennent que c’est à tort que, pour rejeter leur plainte, la Commission a considéré que la réglementation antidopage litigieuse ne serait pas une restriction de concurrence au sens de l’article 81 CE. Ils font valoir que la Commission a fait une application erronée des critères établis par la Cour dans son arrêt Wouters e.a., précité, pour justifier les effets restrictifs de la réglementation antidopage litigieuse sur la liberté d’action des requérants. Selon ces derniers, d’une part, ladite réglementation ne serait en effet, contrairement à ce qu’a estimé la Commission, nullement inhérente aux seuls objectifs visant à préserver l’intégrité de la compétition et celle de la santé des athlètes, mais chercherait à garantir les intérêts économiques propres au CIO. D’autre part, cette réglementation, en fixant un taux maximal de 2 ng/ml d’urine ne répondant à aucun critère de sécurité scientifique, présenterait un caractère excessif et irait ainsi au-delà de ce qui est nécessaire pour lutter efficacement contre le dopage.

41      Il y a lieu de relever d’abord que si les requérants soutiennent que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en assimilant le contexte global dans lequel le CIO a adopté la réglementation en cause à celui dans lequel l’ordre néerlandais des avocats avait adopté le règlement sur lequel la Cour était appelée à se prononcer dans l’arrêt Wouters e.a., ils n’assortissent ce moyen d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé.

42      Il importe de relever ensuite que la compatibilité d’une réglementation avec les règles communautaires de la concurrence ne peut être appréciée de façon abstraite (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1994, DLG, C‑250/92, Rec. p. I‑5641, point 31). Tout accord entre entreprises ou toute décision d’une association d’entreprises qui restreignent la liberté d’action des parties ou de l’une d’elles ne tombent pas nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE. En effet, aux fins de l’application de cette disposition à un cas d’espèce, il y a lieu tout d’abord de tenir compte du contexte global dans lequel la décision de l’association d’entreprises en cause a été prise ou déploie ses effets, et plus particulièrement de ses objectifs. Il convient ensuite d’examiner si les effets restrictifs de la concurrence qui en découlent sont inhérents à la poursuite desdits objectifs (arrêt Wouters e.a., précité, point 97) et sont proportionnés à ces objectifs.

43      S’agissant du contexte global dans lequel la réglementation litigieuse a été prise, la Commission a pu considérer à juste titre que l’objectif général de cette réglementation vise, ce qui n’est contesté par aucune des parties, à lutter contre le dopage en vue d’un déroulement loyal de la compétition sportive et inclut la nécessité d’assurer l’égalité des chances des athlètes, leur santé, l’intégrité et l’objectivité de la compétition ainsi que les valeurs éthiques dans le sport.

44      Par ailleurs, étant donné que des sanctions sont nécessaires pour garantir l’exécution de l’interdiction du dopage, l’effet de celles-ci sur la liberté d’action des athlètes doit être considéré comme étant, en principe, inhérent aux règles antidopage.

45      Aussi, à supposer même que la réglementation antidopage litigieuse doive être regardée comme une décision d’association d’entreprises limitant la liberté d’action des requérants, elle ne saurait, pour autant, constituer nécessairement une restriction de concurrence incompatible avec le marché commun, au sens de l’article 81 CE, dès lors qu’elle est justifiée par un objectif légitime. En effet, une telle limitation est inhérente à l’organisation et au bon déroulement de la compétition sportive et vise précisément à assurer une saine émulation entre les athlètes.

46      Si les requérants ne contestent pas la réalité de cet objectif, ils soutiennent néanmoins que la réglementation antidopage litigieuse a également pour finalité de garantir les intérêts économiques propres au CIO et que c’est en vue de préserver cette finalité que des règles excessives, comme celles contestées en l’espèce, sont adoptées. Ces dernières ne sauraient donc, selon eux, être considérées comme inhérentes au bon déroulement de la compétition et échapper aux interdictions de l’article 81 CE.

47      À cet égard, il y a lieu d’admettre que le caractère répressif de la réglementation antidopage litigieuse et l’importance des sanctions applicables en cas de violation de celle-ci sont susceptibles de produire des effets négatifs sur la concurrence car elles pourraient, pour le cas où ces sanctions s’avéreraient finalement infondées, conduire à l’exclusion injustifiée de l’athlète de compétitions, et donc à fausser les conditions d’exercice de l’activité en cause. Il s’ensuit que, pour échapper à l’interdiction de l’article 81, paragraphe 1, CE, les restrictions ainsi imposées par cette réglementation doivent être limitées à ce qui est nécessaire afin d’assurer le bon déroulement de la compétition sportive (voir, en ce sens, arrêt DLG, précité, point 35).

48      Une telle réglementation pourrait en effet s’avérer excessive, d’une part dans la détermination des conditions permettant de fixer la ligne de partage entre les situations relevant du dopage passible de sanctions et celles qui n’en relèvent pas, et d’autre part dans la sévérité desdites sanctions.

49      En l’occurrence, cette ligne de partage est déterminée dans la réglementation antidopage litigieuse par le seuil de 2 ng/ml d’urine au-delà duquel la présence de nandrolone dans le corps de l’athlète est constitutive de dopage. Les requérants contestent cette règle en soutenant que le seuil ainsi retenu serait fixé à un niveau excessivement bas qui ne reposerait sur aucun critère de sécurité scientifique.

50      Toutefois, les requérants n’établissent pas que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant cette règle comme justifiée.

51      Il est en effet constant que la nandrolone est une substance anabolisante dont la présence dans le corps des athlètes est susceptible d’améliorer leurs performances et de fausser le déroulement loyal des compétitions auxquelles les intéressés participent. Le principe de l’interdiction qui frappe cette substance est dès lors justifié au regard de l’objectif de la réglementation antidopage.

52      Il est également constant que cette substance peut être produite de façon endogène et que, pour tenir compte de ce phénomène, les instances sportives, et notamment le CIO par le biais de la réglementation antidopage litigieuse, ont admis que le dopage ne serait considéré comme constitué que lorsque la présence de ladite substance dépasse un certain seuil. Ce n’est donc que dans l’hypothèse où, compte tenu de l’état des connaissances scientifiques au moment de l’adoption de la réglementation antidopage litigieuse ou même au moment de l’application qui a été faite de celle-ci pour sanctionner les requérants, en 1999, le seuil de tolérance serait fixé à un niveau tellement bas qu’il devrait être considéré comme ne prenant pas suffisamment en compte ce phénomène, que ladite réglementation devrait être considérée comme n’étant pas justifiée au regard de l’objectif qu’elle visait.

53      Or, il ressort des éléments du dossier qu’au moment pertinent, la production endogène moyenne observée dans toutes les études alors publiées était vingt fois inférieure à 2 ng/ml d’urine et que la valeur maximale de la production endogène observée était inférieure de près d’un tiers. Si les requérants soutiennent que, dès 1993, le CIO ne pouvait ignorer le risque signalé par un expert que la simple consommation d’une quantité limitée de porc mâle non castré pouvait amener des athlètes parfaitement innocents à dépasser le seuil en cause, il n’est en tout état de cause pas établi qu’au moment pertinent ce risque ait été confirmé par la majorité de la communauté scientifique. En outre, les résultats des études et des expériences menées sur ce point postérieurement à la décision litigieuse sont, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de cette dernière.

54      Dans ces conditions, et dès lors que les requérants ne précisent pas à quel niveau le seuil de tolérance en cause aurait dû être fixé au moment pertinent, il n’apparaît pas que les restrictions qu’impose ce seuil aux sportifs professionnels iraient au‑delà de ce qui est nécessaire afin d’assurer le déroulement et le bon fonctionnement des compétitions sportives.

55      Les requérants n’ayant par ailleurs pas invoqué le caractère excessif des sanctions applicables et infligées en l’espèce, le caractère disproportionné de la réglementation antidopage en cause n’est dès lors pas établi.

56      Il y a lieu, par suite, de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen

57      Les requérants soutiennent que la décision litigieuse est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle rejette, en son point 71, leur argument selon lequel les règles du CIO violent les dispositions de l’article 49 CE.

58      Il doit être, toutefois, relevé que la demande formée par les requérants devant le Tribunal porte sur la légalité d’une décision prise par la Commission à l’issue d’une procédure diligentée sur la base d’une plainte déposée au titre du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204). Il en résulte que le contrôle juridictionnel de cette décision doit nécessairement être circonscrit aux règles de concurrence telles qu’elles résultent des articles 81 CE et 82 CE, et qu’il ne saurait par conséquent s’étendre au respect des autres dispositions du traité (voir, en ce sens, ordonnance du 23 février 2006, Piau, C‑171/05 P, non publiée au Recueil, point 58).

59      Dès lors, quel que soit le motif par lequel la Commission a rejeté l’argument invoqué par les requérants au regard de l’article 49 CE, le moyen qu’ils soulèvent est inopérant et doit, par suite, être également rejeté.

60      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient donc de rejeter le recours introduit par les requérants contre la décision litigieuse.

 Sur les dépens

61      L’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure prévoit que, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle‑même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le paragraphe 3, premier alinéa, de cette dernière disposition prévoit toutefois que la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels. Quant au paragraphe 4, premier alinéa, de la même disposition, il énonce que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

62      La Commission ayant conclu à la condamnation des requérants et ceux‑ci ayant succombé en l’essentiel de leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens afférents tant à la présente instance qu’à celle engagée devant le Tribunal. La République de Finlande supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 septembre 2004, Meca-Medina et Majcen/Commission (T-313/02) est annulé.

2)      Le recours introduit devant le Tribunal de première instance sous le nº T‑313/02, et tendant à l’annulation de la décision de la Commission, du 1er août 2002, portant rejet de la plainte de MM. Meca-Medina et Majcen est rejeté.

3)      MM. Meca-Medina et Majcen sont condamnés aux dépens afférents tant à la présente instance qu’à celle engagée devant le Tribunal.

4)      La République de Finlande supportera ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.