Language of document : ECLI:EU:C:2011:634

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

6 octobre 2011 (*)

«Manquement d’État – Aides d’État – Aides accordées aux entreprises implantées sur les territoires de Venise et de Chioggia – Réductions de charges sociales – Récupération»

Dans l’affaire C‑302/09,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, introduit le 30 juillet 2009,

Commission européenne, représentée par M. V. Di Bucci ainsi que par Mme E. Righini, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Aiello, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J.-J. Kasel, président de chambre, M. M. Safjan (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 février 2011,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin, d’une part, de supprimer le régime d’aides déclaré illégal et incompatible avec le marché commun par la décision 2000/394/CE de la Commission, du 25 novembre 1999, concernant les mesures d’aides en faveur des entreprises implantées sur le territoire de Venise et de Chioggia, prévues par les lois n° 30/1997 et n° 206/1995 instituant des réductions de charges sociales (JO 2000, L 150, p. 50), et, d’autre part, de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu dudit régime, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE et des articles 2, 5 et 6 de cette décision.

 Le cadre juridique

2        Le treizième considérant du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), est libellé comme suit:

«considérant que, en cas d’aide illégale incompatible avec le marché commun, une concurrence effective doit être rétablie; que, à cette fin, il importe que l’aide, intérêts compris, soit récupérée sans délai; qu’il convient que cette récupération se déroule conformément aux procédures du droit national; que l’application de ces procédures ne doit pas faire obstacle au rétablissement d’une concurrence effective en empêchant l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission; que, afin d’atteindre cet objectif, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’effet utile de la décision de la Commission».

3        L’article 14 de ce règlement, intitulé «Récupération de l’aide», énonce:

«1.      En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée ‘décision de récupération’). La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général de droit communautaire.

2.      L’aide à récupérer en vertu d’une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d’un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu’à celle de sa récupération.

3.      Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour de justice des Communautés européennes prise en application de l’article [242 CE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire.»

4        Aux termes de l’article 23, paragraphe 1, dudit règlement:

«Si l’État membre concerné ne se conforme pas à une décision conditionnelle ou négative, en particulier dans le cas visé à l’article 14, la Commission peut saisir directement la Cour de justice des Communautés européennes conformément à l’article [88, paragraphe 2, CE].»

 Les antécédents du litige

5        Par sa décision 2000/394, la Commission a déclaré que certaines aides accordées par la République italienne aux entreprises implantées sur les territoires de Venise et de Chioggia, sous forme de réductions de charges sociales (ci-après le «régime d’aides en cause»), étaient incompatibles avec le marché commun.

6        Après avoir procédé à l’appréciation détaillée du régime d’aides en cause, la Commission a conclu que les aides octroyées sous la forme d’une exonération de charges pour la création nette d’emplois en faveur des petites et moyennes entreprises étaient compatibles avec le marché commun. Lorsqu’elles favorisaient des entreprises qui n’entraient pas dans la catégorie des petites et moyennes entreprises, ces aides étaient compatibles avec ce marché si ces entreprises opéraient dans une zone qui pouvait bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Lesdites aides étaient également compatibles avec ledit marché si elles bénéficiaient à des entreprises employant des catégories de travailleurs qui rencontraient des difficultés particulières d’insertion ou de réinsertion sur le marché de l’emploi. En revanche, la Commission a considéré que les aides accordées à de grandes entreprises qui n’étaient pas implantées dans une zone pouvant bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE étaient incompatibles avec le marché commun.

7        Dans ces conditions, la Commission a estimé que, lorsque des aides incompatibles avec le marché commun avaient été, comme en l’espèce, octroyées illégalement, l’État membre concerné était censé en réclamer la restitution aux bénéficiaires, afin de rétablir la situation qui prévalait avant l’octroi desdites aides.

8        Plus spécifiquement, les articles 1er à 7 de la décision 2000/394 sont libellés comme suit:

«Article premier

Sans préjudice des dispositions des articles 3 et 4 de la présente décision, les aides octroyées par l’Italie aux entreprises implantées sur les territoires de Venise et de Chioggia, sous forme des réductions de charges sociales prévues par les lois n° 30/1997 et n° 206/1995, qui renvoient à l’article 2 du décret ministériel du 5 août 1994, sont compatibles avec le marché commun lorsqu’elles ont été accordées aux entreprises suivantes:

a)      des [petites et moyennes entreprises] au sens de l’encadrement communautaire des aides d’État aux petites et moyennes entreprises;

b)      des entreprises ne répondant pas à cette définition, mais qui sont implantées dans une zone habilitée à bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, [sous] c), [CE];

c)      toute autre entreprise employant des catégories de travailleurs qui éprouvent des difficultés particulières d’insertion ou de réinsertion sur le marché du travail, conformément aux lignes directrices concernant les aides à l’emploi.

Ces aides constituent des aides incompatibles avec le marché commun si elles ont été accordées à des entreprises qui ne sont pas de [petites et moyennes entreprises] et qui ne sont pas implantées dans des zones habilitées à bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, [sous] c), [CE].

Article 2

Sans préjudice des dispositions des articles 3 et 4 de la présente décision, les aides accordées par l’Italie aux entreprises implantées sur les territoires de Venise et de Chioggia, sous forme de réductions de charges sociales telles qu’elles sont prévues à l’article 1er du décret ministériel du 5 août 1994, sont incompatibles avec le marché commun.

Article 3

Les aides accordées par l’Italie aux entreprises ASPIV et Consorzio Venezia Nuova sont compatibles avec le marché commun en vertu, respectivement, de la dérogation prévue à l’article 86, paragraphe 2, et de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, [sous] d), [CE].

Article 4

Les mesures mises en œuvre par l’Italie en faveur des entreprises ACTV, Panfido SpA et AMAV ne constituent pas des aides au sens de l’article 87 [CE].

Article 5

L’Italie prend toutes les mesures nécessaires pour garantir la restitution, par les bénéficiaires, des aides incompatibles avec le marché commun mentionnées à l’article 1er, paragraphe 2, et à l’article 2, qui leur ont déjà été illégalement octroyées.

La récupération est effectuée conformément aux procédures prévues par le droit national. Les montants à récupérer sont porteurs d’intérêts courant à compter de la date à laquelle ces montants ont été mis à la disposition des bénéficiaires, jusqu’à leur restitution effective. Les intérêts sont calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de l’équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale.

Article 6

L’Italie informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de [notification] de la présente décision, des mesures qu’elle a adoptées pour s’y conformer.

Article 7

La République italienne est destinataire de la présente décision.»

 Les recours introduits contre la décision 2000/394

9        Plusieurs entités, en particulier des sociétés, concernées par le régime d’aides en cause, ont introduit devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes des recours tendant à l’annulation de la décision 2000/394.

10      Par une ordonnance du 8 juillet 2008, Fondazione Opera S. Maria della Carità e.a./Commission (T‑234/00 R, T‑235/00 R et T‑283/00 R), le président du Tribunal a rejeté les demandes de sursis à l’exécution de la décision 2000/394.

11      Par un arrêt du 28 novembre 2008, Hotel Cipriani e.a./Commission (T‑254/00, T‑270/00 et T‑277/00, Rec. p. II‑3269), le Tribunal a rejeté les recours en annulation dirigés contre la décision 2000/394, introduits, respectivement, par Hotel Cipriani SpA, Società italiana per il gas SpA, ainsi que Coopservice – Servizi di fiducia Soc. coop. rl et Comitato «Venezia vuole vivere».

12      Par un arrêt du 9 juin 2011, Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, non encore publié au Recueil, la Cour a rejeté les pourvois formés contre l’arrêt visé au point précédent du présent arrêt.

 La procédure précontentieuse

13      Le 10 janvier 2000, la décision 2000/394 a été notifiée à la République italienne.

14      Afin d’exécuter cette décision, les autorités italiennes ont adopté un certain nombre de mesures et en ont informé la Commission. Ainsi, notamment, la procédure d’exécution s’est déroulée de la manière suivante:

–        par une lettre du 17 avril 2001, ces autorités ont informé la Commission que, à la suite de vérifications effectuées à Venise, il était apparu que la décision 2000/394 ne s’appliquait qu’aux aides concédées pour le maintien de l’emploi, les aides accordées pour les nouveaux postes de travail étant en conformité avec le marché commun. Lesdites autorités précisaient que parmi environ 2 100 entreprises bénéficiaires des premières aides, il convenait d’identifier celles qui avaient bénéficié d’aides pour les petites et moyennes entreprises, et qui, partant, étaient exclues de la procédure de récupération;

–        il a été institué, au cours de l’année 2001, un groupe de travail interministériel spécial chargé de déterminer les cas dans lesquels les conditions requises pour l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE n’étaient pas remplies (gondoliers, restaurants, auberges, transport de marchandises pour le compte de tiers par voie fluviale, secteurs non libéralisés, etc.);

–        par une lettre du 5 juillet 2002, la République italienne a informé la Commission que l’Institut national de prévoyance sociale italien (ci-après l’«INPS») avait été chargé par le ministère du Travail d’engager la procédure de récupération et que les organes territoriaux de l’INPS avaient envoyé, au cours du mois d’avril 2002, des demandes de récupération aux entreprises concernées, leur fixant un délai de 30 jours pour y donner suite;

–        par une lettre du 7 février 2003, les autorités italiennes ont informé la Commission que 736 entreprises étaient tenues de rembourser les aides qui leur avaient été accordées, parmi lesquelles 150 avaient présenté des recours administratifs contre les ordres nationaux visant à récupérer les aides, lesquels recours avaient été rejetés par l’INPS. Ces autorités indiquaient qu’aucune entreprise n’avait encore reversé les sommes dues et que l’INPS procédait au recouvrement forcé de celles-ci;

–        par une lettre du 9 novembre 2004, les autorités italiennes ont confirmé qu’aucune entreprise ne pouvant prétendre au statut de petite ou moyenne entreprise n’avait bénéficié d’une réduction de charges sociales. 246 entreprises avaient présenté, devant l’autorité judiciaire, des recours dirigés contre les ordres nationaux visant à récupérer les aides les concernant. Ces autorités ajoutaient que dans toutes ces affaires, une juridiction nationale avait ordonné, à titre conservatoire, le sursis à l’exécution de ces ordres. Dans les affaires dans lesquelles le sursis à exécution n’avait pas été ordonné, l’INPS aurait procédé à l’exécution forcée;

–        par une lettre du 1er avril 2005, la République italienne a informé la Commission que 251 oppositions aux ordres visant à récupérer les aides avaient été formées devant le tribunal de Venise, ladite juridiction ayant suspendu l’exécution de tous ces ordres. En outre, dans 147 de ces cas, la procédure avait été suspendue, en application de l’article 295 du code de procédure civile italien, dans l’attente du prononcé de l’arrêt du Tribunal Hotel Cipriani e.a./Commission, précité. Les autorités italiennes auraient formé un pourvoi en cassation contre les décisions accordant le sursis à l’exécution desdits ordres;

–        le législateur italien a tenté de résoudre le problème procédural résultant du sursis à l’exécution des ordres visant à récupérer les aides illégalement versées, prononcé par la juridiction nationale, par l’adoption du décret-loi n° 59, du 8 avril 2008 (GURI n° 84, du 9 avril 2008, p. 3, ci-après le «décret-loi n° 59/2008»), entré en vigueur le 9 avril 2008 et converti en loi par la loi n° 101, du 6 juin 2008 (GURI n° 132, du 7 juin 2008, p. 4);

–        par une lettre du 6 octobre 2008, les autorités italiennes ont informé la Commission que, à la suite de l’entrée en vigueur du décret-loi n° 59/2008, l’INPS avait introduit une demande de réexamen des mesures de sursis à l’exécution des ordres visant à récupérer les aides afin d’en obtenir la révocation. Ladite demande avait toutefois été rejetée en raison du fait que, en droit italien, l’ordonnance suspendant la procédure serait irrévocable et que, en outre, le sursis en cause avait été confirmé par la Cour de cassation.

15      Tout au long de la procédure précontentieuse, la Commission a insisté sur la nécessité, pour les autorités nationales concernées, de procéder à l’exécution immédiate et effective de la décision 2000/394.

16      La Commission a attiré l’attention de la République italienne sur le caractère insuffisant de la procédure mise en œuvre pour le recouvrement des aides illégalement perçues. Plus précisément, la décision de la Commission de saisir la Cour dans la présente affaire a été prise, en particulier, eu égard au fait que, plusieurs années après l’adoption de la décision 2000/394, une partie seulement de ces aides avait été récupérée.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

17      Dans sa requête, la Commission soutient que l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l’article 249, quatrième alinéa, CE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de cette décision.

18      Selon la Commission, l’obligation de récupération constitue une véritable obligation de résultat. En outre, la récupération devrait être non seulement effective, mais aussi immédiate.

19      La Commission fait valoir également que le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par la République italienne dans la présente affaire est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision 2000/394. Or, les autorités italiennes n’auraient jamais invoqué une quelconque impossibilité absolue à cet égard au cours de la procédure précontentieuse.

20      En tout état de cause, la condition relative à l’existence d’une impossibilité absolue d’exécution ne serait pas remplie lorsque l’État membre défendeur se borne, comme il le fait dans la présente affaire, à se prévaloir des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présenterait la mise en œuvre de la décision 2000/394.

21      S’agissant des décisions d’une juridiction nationale ordonnant un sursis à l’exécution des mesures de récupération, la Commission souligne que le principe d’effectivité s’applique également à l’égard de cette juridiction. En présence d’une éventuelle demande de sursis à l’exécution de la mesure de récupération présentée par le bénéficiaire, le juge national saisi serait tenu d’appliquer les conditions dégagées par la Cour dans sa jurisprudence, afin d’éviter que la décision de récupération ne soit privée de son effet utile.

22      Or, dans la présente affaire, l’existence des conditions énoncées par ladite jurisprudence n’aurait pas été vérifiée par la juridiction nationale ordonnant le sursis à l’exécution des mesures de récupération. La Commission ajoute que, à la suite du prononcé de l’arrêt du Tribunal Hotel Cipriani e.a./Commission, précité, les autorités nationales concernées auraient dû demander une nouvelle évaluation des conditions énoncées par la jurisprudence de la Cour et que le juge national aurait dû effectuer cette évaluation sur la base de critères encore plus stricts.

23      Bien que, à la suite de l’entrée en vigueur du décret-loi n° 59/2008, les autorités italiennes aient présenté une demande de réexamen des mesures de sursis à exécution, cette demande aurait été rejetée par la juridiction nationale. Par conséquent, les autorités italiennes auraient déclaré qu’il n’existait plus aucune voie de recours au niveau national permettant de s’opposer auxdites mesures.

24      En ce qui concerne la suspension des procédures nationales visant à récupérer les aides illégales, la Commission souligne que celle-ci n’a pas été révoquée à la suite du prononcé de l’arrêt du Tribunal Hotel Cipriani e.a./Commission, précité, et qu’elle est demeurée applicable à la suite de l’introduction, devant la Cour, de pourvois dirigés contre cet arrêt.

25      À cet égard, la Commission ajoute que les recours formés devant les juridictions de l’Union n’ont pas d’effet suspensif et que l’exécution de la décision 2000/394 n’a été suspendue par le Tribunal dans aucune des affaires tendant à l’annulation de cette décision.

26      Par ailleurs, la procédure relative aux ordres visant à récupérer les aides qui n’ont pas fait l’objet d’un recours devant les juridictions nationales, et pour lesquels il a été procédé à un recouvrement forcé, n’aurait pas produit d’effets satisfaisants. En effet, moins d’un quart de ces ordres auraient été entièrement exécutés.

27      En outre, la Commission constate que, plus de neuf ans après l’adoption de la décision 2000/394, les autorités italiennes ont récupéré moins de 2 % des sommes litigieuses.

28      La République italienne fait valoir que le droit de l’Union n’impose pas de suivre une procédure spécifique aux fins de la récupération des aides d’État illégalement versées, mais qu’il exige uniquement que l’application des procédures nationales permette l’exécution immédiate et effective de la décision 2000/394.

29      C’est précisément afin d’assurer l’exécution de ladite décision que les autorités italiennes auraient mis en œuvre toutes les initiatives utiles pour obtenir les remboursements, non seulement par des mesures concrètes, mais surtout par l’adoption du décret-loi n° 59/2008 aux fins de surmonter les difficultés rencontrées sur le plan judiciaire.

30      La République italienne aurait tout d’abord veillé à déterminer avec précision les entreprises réellement tenues de restituer les aides accordées. En effet, sur un total d’environ 2 000 entreprises bénéficiaires, seules les aides perçues par 517 entreprises seraient illégales et, partant, soumises à récupération. Par conséquent, les retards constatés dans la récupération des aides seraient liés à la nécessité de déterminer les cas dans lesquels les aides accordées étaient légales.

31      En ce qui concerne les décisions de la juridiction nationale ordonnant le sursis à exécution, la République italienne soutient qu’elles étaient justifiées par l’existence d’un recours introduit devant le Tribunal contre la décision 2000/394. Lorsque la juridiction de l’Union est déjà saisie d’une question de validité d’une décision de la Commission portant sur la récupération d’aides, une juridiction nationale ne serait pas tenue de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel portant sur la même question et elle pourrait suspendre la procédure dans l’attente d’une décision statuant sur la légalité de l’acte de l’Union en cause.

32      À cet égard, la République italienne ajoute que les dispositifs desdites décisions de la juridiction nationale se réfèrent précisément au fait que la légalité de la décision 2000/394 est contestée devant les juridictions de l’Union.

33      En outre, les décisions ordonnant le sursis à exécution n’auraient aucune incidence sur la décision 2000/394, pas plus que sur la validité et l’efficacité abstraite des ordres visant à récupérer les aides illégales. En effet, les deux actes demeureraient efficaces, nonobstant le sursis temporaire et provisoire à l’exécution desdits ordres.

34      La République italienne invoque également un moyen subsidiaire de défense selon lequel il avait été absolument impossible d’exécuter immédiatement la décision 2000/394, cette impossibilité justifiant les retards intervenus dans la procédure de récupération. Les autorités nationales ayant agi avec diligence en vue d’exécuter ladite décision, une récupération effective des aides illégales serait, toutefois, retardée et empêchée par des obstacles de nature juridique et procédurale. Or, les difficultés encourues dans le processus de récupération seraient liées à l’application des principes généraux reconnus dans l’ordre juridique de l’Union, à savoir les principes de garantie d’une protection juridictionnelle appropriée, de non‑discrimination, ainsi que de légalité de l’action administrative.

 Appréciation de la Cour

35      Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l’article 249 CE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de cette décision (arrêt du 5 octobre 2006, Commission/France, C‑232/05, Rec. p. I‑10071, point 42 et jurisprudence citée).

36      Ledit État membre doit parvenir à une récupération effective des sommes dues (voir arrêts Commission/France, précité, point 42, et du 22 décembre 2010, Commission/Italie, C‑304/09, non encore publié au Recueil, point 32). Une récupération tardive, postérieure aux délais impartis, ne saurait satisfaire aux exigences du traité (arrêts du 14 février 2008, Commission/Grèce, C‑419/06, points 38 et 61, ainsi que Commission/Italie, précité, point 32).

37      Conformément à l’article 5, premier alinéa, de la décision 2000/394, la République italienne était tenue de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la restitution, par les bénéficiaires, des aides déclarées par cette décision incompatibles avec le marché commun, qui leur avaient déjà été illégalement octroyées. En outre, cet État membre était tenu, en vertu de l’article 6 de ladite décision, d’informer la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la même décision, des mesures adoptées pour s’y conformer.

38      Par ailleurs, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission (voir arrêt Commission/Grèce, précité, point 58).

39      Or, dans la présente affaire, il n’est pas contesté que, plusieurs années après la notification à la République italienne de la décision 2000/394 et après l’expiration des délais impartis, une part considérable des aides illégales n’a pas encore été récupérée par cet État membre. Une telle situation est manifestement inconciliable avec l’obligation de ce dernier de parvenir à une récupération effective des sommes dues et constitue une violation du devoir d’exécution immédiate et effective de cette décision.

40      S’agissant des moyens invoqués par la République italienne dans le cadre de sa défense, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d’une impossibilité absolue d’exécuter correctement la décision en cause (voir, notamment, arrêts du 20 septembre 2007, Commission/Espagne, C‑177/06, Rec. p. I‑7689, point 46; du 13 novembre 2008, Commission/France, C‑214/07, Rec. p. I‑8357, point 44; Commission/Italie, précité, point 35; du 5 mai 2011, Commission/Italie, C‑305/09, non encore publié au Recueil, point 32, et du 14 juillet 2011, Commission/Italie, C‑303/09, point 33).

41      À cet égard, la Cour a déjà jugé que la condition relative à l’existence d’une impossibilité absolue d’exécution n’est pas remplie lorsque l’État membre défendeur se borne à faire part à la Commission des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présentait la mise en œuvre de la décision, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause afin de récupérer l’aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en œuvre de la décision qui auraient permis de surmonter ces difficultés (voir arrêt du 5 mai 2011, Commission/Italie, précité, point 33 et jurisprudence citée).

42      Il convient d’ajouter que la Cour a également jugé qu’un État membre qui, lors de l’exécution d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission doit soumettre ces problèmes à l’appréciation de cette dernière en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, l’État membre et la Commission doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions de l’Union des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l’article 10 CE, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité et, notamment, de celles relatives aux aides (arrêt du 22 décembre 2010, Commission/Italie, précité, point 37 et jurisprudence citée).

43      En l’espèce, il est constant que la République italienne n’a jamais demandé à la Commission de modifier la décision 2000/394 en vue de lui permettre de surmonter les difficultés liées à la mise en œuvre effective et immédiate de celle-ci.

44      En ce qui concerne le moyen de défense tiré par la République italienne de l’impossibilité absolue d’exécution de la décision 2000/394, il importe de faire observer que les mesures nationales de sursis à exécution visées au point 14 du présent arrêt ne constituent pas un cas d’impossibilité absolue d’exécution de cette décision de la Commission. Le respect des principes de garantie d’une protection juridictionnelle appropriée, de non-discrimination, ainsi que de légalité de l’action administrative, invoqués par cet État membre en liaison avec la contestation de la légalité de la décision 2000/394 devant les juridictions de l’Union et dans le cadre d’une procédure nationale, ne saurait non plus rendre absolument impossible l’exécution de cette décision.

45      En l’occurrence, il ressort du dossier que la juridiction nationale a prononcé le sursis à l’exécution des nombreux ordres visant à récupérer les aides illégales puis a ordonné la suspension de la procédure dans plusieurs affaires ayant pour objet des recours formés contre lesdits ordres. Or, en vertu du droit italien, cette suspension avait pour effet, ainsi qu’il ressort des observations des parties et de l’audience de plaidoirie, d’empêcher toute révision du sursis à l’exécution des ordres en cause.

46      À cet égard, il y a lieu de rappeler que de telles mesures peuvent être accordées sous réserve que soient réunies les conditions énoncées par la jurisprudence (voir, notamment, arrêts du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest, C‑143/88 et C‑92/89, Rec. p. I‑415, ainsi que du 9 novembre 1995, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a. (I), C‑465/93, Rec. p. I‑3761).

47      En particulier, une mesure d’une juridiction nationale qui vise à surseoir, soit à l’acte national pris en exécution d’une décision de la Commission obligeant l’État membre à récupérer l’aide illégale, soit à la procédure nécessaire pour assurer la mise en œuvre effective de ladite décision doit être justifiée, conformément à la jurisprudence visée au point 46 du présent arrêt, par des arguments visant à établir l’invalidité de la décision en cause. Cette exigence s’applique également lorsque la légalité de cette décision est contestée devant le Tribunal (voir arrêt du 22 décembre 2010, Commission/Italie, précité, points 46 et 51).

48      Or, un recours en annulation introduit devant le Tribunal contre une décision ordonnant la récupération d’une aide n’a pas d’effet suspensif sur l’obligation d’exécuter cette décision (voir arrêt du 6 décembre 2007, Commission/Italie, C‑280/05, point 21). Il en va de même lorsque l’arrêt du Tribunal, prononcé dans le cadre de ce recours, fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour.

49      À cet égard, il convient d’ajouter que, par l’ordonnance Fondazione Opera S. Maria della Carità e.a./Commission, précitée, le Tribunal a rejeté les demandes de sursis à l’exécution de la décision 2000/394.

50      En l’espèce, l’analyse des décisions nationales versées au dossier par les parties, concernant la récupération des aides illégales ordonnée par la décision 2000/394, ne permet pas d’établir que les conditions visées par la jurisprudence citée au point 46 du présent arrêt étaient remplies. En tout état de cause, la République italienne n’a pas démontré, dans le cadre de la procédure devant la Cour, que les exigences énoncées par ladite jurisprudence étaient satisfaites. Dans ces circonstances, ledit État membre ne peut se prévaloir des décisions nationales ordonnant des mesures provisoires pour justifier la non-exécution de la décision 2000/394 dans les délais prescrits.

51      Par ailleurs, la République italienne justifie les retards dans la récupération effective des aides illégales en invoquant les difficultés liées à la nécessité de déterminer les entreprises tenues, en vertu de la décision 2000/394, de restituer ces aides. Cependant, le fait que l’État membre en cause éprouve la nécessité de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée, en vue d’effectuer un examen préalable afin d’identifier les bénéficiaires des avantages visés par la décision 2000/394, n’est pas de nature à justifier la non-exécution de cette décision (voir arrêt du 5 mai 2011, Commission/Italie, précité, point 37 et jurisprudence citée).

52      Il appartenait en effet à la République italienne de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée par une opération de récupération. En particulier, les autorités nationales étaient tenues d’examiner dans chaque cas individuel si les avantages octroyés étaient susceptibles de fausser la concurrence et d’affecter les échanges intracommunautaires (voir arrêt Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission, précité, points 63, 64 et 121).

53      Il est vrai que, au cours de la procédure de récupération des aides illégales, le législateur italien a entrepris une démarche sérieuse en vue de garantir l’efficacité de cette récupération en adoptant le décret-loi n° 59/2008. En particulier, il ressort du dossier que, en vue d’accélérer le règlement des litiges déjà en cours, ce décret-loi était destiné à résoudre le problème procédural causé par le sursis à l’exécution des ordres visant à récupérer lesdites aides, prononcé par la juridiction nationale (arrêt du 14 juillet 2011, Commission/Italie, précité, point 39).

54      Toutefois, l’adoption de la mesure mentionnée au point précédent du présent arrêt n’a pas permis de remédier au retard constaté dans la récupération des aides visées par la décision 2000/394. En effet, cette mesure, entrée en vigueur postérieurement à l’expiration des délais impartis pour procéder à la récupération des aides illégales, s’est avérée inefficace, dès lors que, plusieurs années après la notification de la décision 2000/394, une part considérable desdites aides n’avait pas été récupérée par la République italienne.

55      À cet égard, il y a lieu de relever que les démarches législatives destinées à garantir l’exécution, par les juridictions nationales, d’une décision de la Commission obligeant un État membre à récupérer une aide illégale, qui sont, comme en l’espèce, prises tardivement et qui s’avèrent inefficaces, ne satisfont pas aux exigences découlant de la jurisprudence visée aux points 35 et 36 du présent arrêt (arrêts précités du 22 décembre 2010, Commission/Italie, point 42; du 5 mai 2011, Commission/Italie, point 40, et du 14 juillet 2011, Commission/Italie, point 41).

56      Il résulte de ce qui précède que le présent recours est fondé en tant que, par celui-ci, la Commission reproche à la République italienne de ne pas avoir pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu du régime d’aides en cause, lequel a été déclaré illégal et incompatible avec le marché commun par la décision 2000/394.

57      Par conséquent, il convient de constater que, en n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu du régime d’aides déclaré illégal et incompatible avec le marché commun par la décision 2000/394, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5 de cette décision.

 Sur les dépens

58      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu du régime d’aides déclaré illégal et incompatible avec le marché commun par la décision 2000/394/CE de la Commission, du 25 novembre 1999, concernant les mesures d’aides en faveur des entreprises implantées sur le territoire de Venise et de Chioggia, prévues par les lois n° 30/1997 et n° 206/1995 instituant des réductions de charges sociales, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5 de cette décision.

2)      La République italienne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.