Language of document : ECLI:EU:C:2010:591

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

7 octobre 2010 (*)

«Manquement d’État – Directive 2002/22/CE – Communications électroniques – Réseaux et services – Articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2 – Désignation des entreprises en charge des obligations de service universel – Transposition incorrecte»

Dans l’affaire C‑154/09,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 4 mai 2009,

Commission européenne, représentée par MM. P. Guerra e Andrade et A. Nijenhuis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République portugaise, représentée par M. L. Inez Fernandes, en qualité d’agent, assisté de Me L. Morais, advogado,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. G. Arestis (rapporteur), J. Malenovský et T. von Danwitz, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. T. Millet, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 juillet 2010,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas correctement transposé dans le droit national les dispositions du droit de l’Union réglementant la désignation du fournisseur ou des fournisseurs du service universel et, en tout état de cause, en n’ayant pas assuré l’application pratique de ces dispositions, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel») (JO L 108, p. 51).

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

2        Sous le titre «Disponibilité du service universel», l’article 3, paragraphe 2, de la directive «service universel» prévoit:

«Les États membres déterminent l’approche la plus efficace et la plus adaptée pour assurer la mise [en] œuvre du service universel, dans le respect des principes d’objectivité, de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité. Ils s’efforcent de réduire au minimum les distorsions sur le marché, en particulier lorsqu’elles prennent la forme de fournitures de services à des tarifs ou des conditions qui diffèrent des conditions normales d’exploitation commerciale, tout en sauvegardant l’intérêt public.»

3        L’article 8, paragraphe 2, de ladite directive dispose:

«Lorsque les États membres désignent des entreprises pour remplir des obligations de service universel sur tout ou partie du territoire national, ils ont recours à un mécanisme de désignation efficace, objectif, transparent et non discriminatoire qui n’exclut a priori aucune entreprise. Les méthodes de désignation garantissent que la fourniture du service universel répond au critère de la rentabilité et peuvent être utilisées de manière à pouvoir déterminer le coût net de l’obligation de service universel, conformément à l’article 12.»

4        L’article 38, paragraphe 1, de la directive «service universel» énonce:

«Les États membres adoptent et publient les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 24 juillet 2003. Ils en informent immédiatement la Commission.

Ils appliquent ces dispositions à partir du 25 juillet 2003.»

 La réglementation nationale

5        Le gouvernement portugais a concédé, au moyen d’un contrat administratif de concession (ci-après le «contrat de concession»), le service public des télécommunications à Portugal Telecom SA (ci-après «PT»), en fixant, à cette fin, dans l’annexe du décret-loi n° 40/95, du 15 février 1995 (Diário da República I, série A, n° 39, du 15 février 1995, p. 969), les principes de base de cette concession.

6        Aux termes de l’article 4 de ladite annexe, l’exploitation économique dudit service est concédée à PT en régime d’exclusivité tant que l’activité n’aura pas été libéralisée par le concédant conformément au droit de l’Union. Dès lors que la perte de l’exclusivité aura été constatée, le concessionnaire continuera d’être tenu de fournir le service, au titre du service universel, en assurant la totalité des prestations qui lui incombent, conformément au contrat de concession.

7        L’article 5 de la même annexe confère au concessionnaire la possession des infrastructures, qui incluent le réseau de base des télécommunications et constituent des biens du domaine public. Selon l’article 6 de cette annexe, le contrat de concession est en vigueur pour une période de trente années, à savoir jusqu’en 2025, avec possibilité de renouvellement pour des périodes minimales de quinze années.

8        Le décret-loi nº 458/99, du 5 novembre 1999, définissant le cadre du service universel de télécommunications et établissant les régimes respectifs de fixation des prix et de financement (Diário da República I, série A, n° 258, du 5 novembre 1999, p. 7703), prévoyait, à son article 23, paragraphe 1, que PT était désignée comme fournisseur du service universel des télécommunications pour la durée du contrat de concession. Le paragraphe 2 du même article disposait que, lorsque le contrat de concession arriverait à son terme, le fournisseur du service universel serait désigné au moyen d’un appel d’offres.

9        Au cours de l’année 2000, à la suite d’une restructuration entrepreneuriale du groupe PT approuvée par le décret-loi nº 219/2000, du 9 septembre 2000 (Diário da República I, série A, n° 209, du 9 septembre 2000, p. 4781), le gouvernement portugais a autorisé l’opération de transfert de la concession, telle que définie par le contrat de concession, au profit d’une nouvelle société du groupe, à savoir PT Comunicações SA (ci-après «PTC»). Ce décret-loi dispose notamment que ce transfert n’est pas considéré comme une modification des circonstances établies par le contrat de concession.

10      Conformément à l’article 2 de la loi n° 29/2002, du 6 décembre 2002 (Diário da República I, série A, n° 282, du 6 décembre 2002, p. 7556), le réseau de base des télécommunications, par lequel est garantie la possibilité de fournir le service universel, relève désormais du domaine privé de l’État. Ce réseau peut être aliéné, par accord direct, en faveur du fournisseur du service universel, à savoir PTC, à condition que soit préservé l’intérêt public. L’article 3 de cette loi prévoyait qu’un accord modifiant le contrat de concession constituait un instrument suffisant pour fixer les conditions générales de la concession du service public des télécommunications.

11      En conséquence, le décret-loi n° 31/2003, du 17 février 2003 (Diário da República I, série A, n° 40, du 17 février 2003, p. 1044), a modifié les principes de base de la concession du service public des télécommunications (ci-après les «nouveaux principes de base»). En vertu de ceux-ci, le concessionnaire est autorisé à aliéner le réseau de base, mais il continue d’être tenu de posséder celui-ci tant que dure la concession. La concession a notamment pour objet de fournir le service universel de télécommunications. L’article 4 des nouveaux principes de base maintient en vigueur le contrat de concession jusqu’en 2025.

12      La loi n° 5/2004, sur les communications électroniques (Lei das Comunicações Electrónicas), du 10 février 2004 (Diário da República I, série A, n° 34, du 10 février 2004, p. 788, ci‑après la «loi sur les communications électroniques»), fixe notamment, selon son article 1er, le régime juridique applicable aux réseaux et services de communications électroniques ainsi qu’aux ressources et services associés, notamment en transposant dans le droit national la directive «service universel». Cette loi, qui est entrée en vigueur le 11 février 2004, abroge un certain nombre de lois et de décrets-lois, mais non le décret-loi n° 31/2003.

13      L’article 99, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les communications électroniques prévoit que le service universel peut être fourni par plus d’une seule entreprise, que le processus de désignation des fournisseurs doit être efficace, objectif, transparent ainsi que non discriminatoire, en garantissant que toute entreprise peut a priori être désignée. Ce même article précise, à son paragraphe 3, qu’il incombe au gouvernement de désigner l’entreprise ou les entreprises responsables de la fourniture du service universel à l’issue d’un appel d’offres.

14      Conformément à l’article 124 de la loi sur les communications électroniques, le régime prévu par celle-ci s’applique au concessionnaire du service public des communications électroniques selon les termes de l’article 121, paragraphe 3, de cette loi. Cette dernière disposition prévoit que toutes les obligations résultant des principes de base de la concession du service public des télécommunications approuvés dans le décret-loi n° 31/2003 sont maintenues en vigueur, sauf quand un régime plus exigeant résulte de l’application de ladite loi, auquel cas c’est ce régime qui trouve à s’appliquer.

 La procédure précontentieuse

15      Considérant que la République portugaise n’avait pas correctement transposé dans le droit national la directive «service universel», la Commission a, le 21 mars 2005, adressé à cet État membre une première lettre de mise en demeure.

16      Par lettre du 25 mai 2005, la République portugaise a répondu à cette mise en demeure en indiquant que la loi sur les communications électroniques ayant expressément abrogé le décret-loi n° 458/99, cette loi annulait également la désignation de PT comme fournisseur du service universel ainsi que la durée de la concession jusqu’en 2025. Dans une lettre complémentaire du 10 octobre 2005, cet État membre soutenait que ladite loi soumettait tous les intéressés à la fourniture du service universel à un régime d’accès transparent et non discriminatoire.

17      La Commission a, par lettre du 23 mars 2007, adressé audit État membre une mise en demeure complémentaire. Dans celle-ci, elle indiquait que, plus de trois ans après la date d’entrée en vigueur de la loi sur les communications électroniques, les autorités portugaises n’avaient toujours pas arrêté les dispositions ni pris l’initiative de quelque action spécifique que ce soit visant à lancer une procédure de désignation du fournisseur du service universel conformément aux articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel». La Commission précisait qu’elle ne percevait pas, notamment, de quelle manière étaient articulés le contenu de ladite loi et celui du décret-loi nº 31/2003, qui n’a pas été abrogé et prévoit que le contrat de concession doit prendre fin en 2025.

18      Par lettres des 21 mars et 18 juin 2007, la République portugaise a annoncé la fixation d’un calendrier de lancement de la procédure de désignation du fournisseur du service universel ainsi qu’un plan détaillé visant à concrétiser cette procédure.

19      Le 1er février 2008, la Commission, considérant que la République portugaise n’avait pas correctement transposé dans son droit national les articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel» et que, en tout état de cause, elle n’avait pas correctement appliqué ces dispositions, a adressé un avis motivé à cet État membre, en l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

20      Par lettre du 25 février 2008, la République portugaise a répondu audit avis motivé en indiquant qu’elle avait lancé la procédure de désignation d’un fournisseur du service universel par l’ouverture de la phase de la consultation publique. Cet État membre a informé la Commission, par lettre du 6 août 2008, qu’il disposait déjà du rapport relatif aux manifestations d’intérêt qui avaient été reçues lors de la consultation publique ainsi que du document contenant les recommandations qui avait été envoyé par l’autorité nationale des communications (Anacom). En outre, ledit État membre a fait valoir, par lettre du 29 janvier 2009, qu’il avait engagé une renégociation du contrat de concession et qu’il était sur le point de prendre les décisions nécessaires concernant la procédure de désignation du fournisseur du service universel.

21      La Commission n’étant pas convaincue par les explications fournies par la République portugaise a, dans ces conditions, décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

22      La Commission fait valoir que, dès lors que les services de télécommunications sont devenus des services d’intérêt économique général fournis dans le cadre d’un marché réglementé, les droits exclusifs de quelque opérateur que ce soit et, notamment, ceux des entreprises concessionnaires du service universel doivent être abolis. À cet effet, l’article 99 de la loi sur les communications électroniques, qui transpose dans le droit interne portugais l’article 8, paragraphe 2, de la directive «service universel», prévoirait que le service universel peut être fourni par plusieurs entreprises, que la procédure de désignation des fournisseurs doit, en particulier, être objective, transparente ainsi que non discriminatoire et garantir que toute entreprise peut a priori être désignée, cette désignation ayant lieu au moyen d’un appel d’offres.

23      Toutefois, l’article 121 de la loi sur les communications électroniques, qui n’abroge pas le décret-loi nº 31/2003, maintient jusqu’en 2025 le service public et la concession du service universel au profit de PTC ainsi que les droits et obligations correspondants. Un tel article, qui relève des dispositions transitoires, ne préciserait pas le terme de son application. Ainsi, il serait impossible de déterminer à partir de quelle date l’application de l’article 99 de la loi sur les communications électroniques, prévoyant une procédure de désignation efficace, objective, transparente et non discriminatoire du fournisseur du service universel, sera effective.

24      La Commission considère qu’une telle situation législative ne constitue pas l’approche la plus efficace et la plus adaptée pour assurer la mise en œuvre du service universel, dans le respect des principes d’objectivité, de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive «service universel». Il s’ensuivrait que celle-ci n’a pas été correctement transposée dans l’ordre juridique interne de la République portugaise.

25      La Commission soutient que, en tout état de cause, la République portugaise n’a pas désigné la ou les entreprises responsables de la fourniture du service universel dans le cadre de la procédure visée aux articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel».

26      La République portugaise conteste le manquement qui lui est reproché. Elle fait valoir, tout d’abord, que les deux prétendus griefs soulevés par la Commission à son encontre, à savoir, d’une part, la transposition erronée de la directive «service universel» et, d’autre part, l’application incorrecte des dispositions de celle-ci, se contredisent et sont incohérents.

27      Ensuite, la République portugaise considère que la loi sur les communications électroniques effectue une transposition correcte des articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel». En effet, il ressortirait clairement du libellé de l’article 121, paragraphe 3, de cette loi que le maintien de la concession de la fourniture du service universel au profit de PTC ne s’applique que si ladite loi ne prévoit pas un régime plus exigeant. Or, l’article 99 de celle-ci, qui prévoit une procédure objective, transparente et non discriminatoire de désignation du fournisseur du service universel, instaurerait ce régime plus exigeant et prévaudrait incontestablement sur les dispositions transitoires des articles 121 et 124 de la même loi.

28      Une telle interprétation de la loi sur les communications électroniques serait corroborée par la position de tous les opérateurs qui ont répondu à la consultation publique de 2008 sans soulever de doute ni une éventuelle insécurité juridique découlant du cadre réglementaire mis en place par cette loi. La République portugaise assurerait ainsi aux opérateurs potentiellement intéressés une situation juridique suffisamment précise et claire grâce à laquelle ces derniers seraient en mesure de connaître la plénitude de leurs droits.

29      Enfin, s’agissant de la prétendue application incorrecte des articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel», ledit État membre relève que la Commission effectue une lecture formaliste et littérale de ces dispositions. En effet, eu égard à la marge d’appréciation des États membres pour déterminer in concreto la procédure la plus adaptée pour la fourniture du service universel, la Cour aurait jugé, dans son arrêt du 19 juin 2008, Commission/France (C‑220/07), qu’il n’appartient pas à la Commission d’imposer aux autorités nationales de procéder d’une manière déterminée.

30      En effet, la mise en œuvre des principes de portée générale visés dans la directive «service universel» nécessiterait d’analyser le marché afin de sauvegarder, au regard des circonstances concrètes de celui-ci, tant les objectifs de cette directive que les droits contractuels et les attentes des investisseurs, qui sont également protégés par le droit de l’Union. Une telle procédure, qui vise à identifier l’approche la plus adaptée, ne coïnciderait pas avec l’idée d’automatisme formel ou d’instantanéité du choix du prestataire ou des prestataires du service universel telle qu’énoncée par la Commission.

31      Par ailleurs, la République portugaise considère que, en formant de manière précipitée le présent recours, la Commission n’a pas respecté l’obligation de coopération loyale découlant de l’article 10 CE.

 Appréciation de la Cour

32      Il convient de rappeler d’emblée que la Commission reproche à la République portugaise de ne pas avoir transposé correctement les articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel» et, en tout état de cause, de ne pas avoir désigné l’entreprise chargée de fournir le service universel conformément à la procédure prévue à ces dispositions.

33      Le premier des deux griefs mentionnés au point précédent du présent arrêt consiste à reprocher à la République portugaise d’avoir effectué une transposition incorrecte de la directive «service universel» et le second grief concerne la non-application de cette directive. Par conséquent, la République portugaise ne saurait utilement invoquer l’incohérence de ces deux griefs ni le caractère contradictoire de ceux-ci.

34      S’agissant de ce second grief, relatif à l’absence de désignation de l’entreprise chargée de fournir le service universel conformément à la procédure prévue par la directive «service universel», la République portugaise ne conteste pas que, depuis 2003, PTC a continué de fournir le service universel, sous un régime d’exclusivité, sur le fondement du contrat de concession.

35      Il est constant qu’une telle désignation n’a pas été effectuée en conformité avec la procédure prévue aux articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel».

36      À cet égard, la République portugaise ne saurait se fonder sur l’arrêt Commission/France, précité. En effet, même si, comme elle le relève, les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer in concreto la procédure ou les mesures les mieux adaptées aux conditions existant sur leurs marchés nationaux respectifs, il n’en reste pas moins que la désignation des entreprises chargées de fournir le service universel doit être effectuée au moyen d’une procédure conforme aux articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel».

37      En outre, le fait que la République portugaise a réalisé une consultation publique en 2008 ne saurait justifier cette absence de désignation du fournisseur du service universel conformément aux articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel». En effet, cette consultation publique, qui a au demeurant été achevée cinq ans après l’expiration du délai de transposition de la directive «service universel», implique que la procédure de désignation du fournisseur du service universel, au moyen d’une procédure efficace, objective, transparente et non discriminatoire qui n’entraîne l’exclusion a priori d’aucune entreprise, se trouve seulement à son début.

38      Enfin, la République portugaise ne saurait justifier le retard dans l’application des dispositions de la directive «service universel» par la nécessité de réaliser une analyse du marché afin de mettre en œuvre les principes visés par cette directive. À cet égard, il suffit de constater que, si la mise en œuvre de la directive «service universel» au Portugal nécessitait une analyse du marché, la réalisation de cette analyse devait être considérée comme faisant partie de l’application nécessaire des dispositions de la directive «service universel», de sorte qu’une telle analyse ne saurait justifier ledit retard. De plus, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les difficultés d’application apparues au stade de l’exécution d’un acte de droit de l’Union ne sauraient permettre à un État membre de se dispenser unilatéralement de l’observation de ses obligations (voir, notamment, arrêts du 9 mars 2004, Commission/Luxembourg, C‑314/03, Rec. p. I‑2257, point 5, et du 17 décembre 2009, Commission/Belgique, C‑120/09, point 37).

39      Ainsi, il y a lieu de constater que, à l’expiration du délai imparti par l’avis motivé, la République portugaise ne s’était pas conformée à l’obligation de désignation des entreprises chargées de fournir le service universel au moyen d’une procédure conforme aux articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel».

40      Il s’ensuit que le second grief invoqué par la Commission au soutien de son recours est fondé.

41      Quant au premier grief soulevé par la Commission à l’appui de son recours, il consiste à faire valoir que la loi sur les communications électroniques, en introduisant des dispositions qui permettent de maintenir en vigueur la concession du service universel au profit de PTC, a transposé de manière incorrecte les articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel».

42      S’agissant de ces dispositions, la Cour a jugé que, bien que les États membres soient compétents pour déterminer l’approche la plus adaptée pour assurer la mise en œuvre du service universel, ils sont tenus de garantir la fourniture d’un tel service de façon rentable et efficace, tout en respectant, notamment, les principes d’objectivité, de non‑discrimination et de distorsion minimale de la concurrence. À cet égard, le mécanisme de désignation des entreprises chargées de fournir le service universel ne peut exclure a priori aucune d’entre elles (voir arrêt Commission/France, précité, point 31).

43      En l’espèce, les articles 121 et 124 de la loi sur les communications électroniques prévoient le maintien de toutes les obligations résultant des nouveaux principes de base de la concession du service public des télécommunications approuvés dans le décret-loi n° 31/2003, selon lesquels la fourniture du service universel est attribuée à PTC par le contrat de concession qui demeure en vigueur jusqu’en 2025.

44      De telles dispositions impliquent nécessairement l’exclusion de toutes les autres entreprises potentiellement intéressées à fournir le service universel et, à cet égard, le mécanisme de désignation aboutissant à une telle situation ne respecte pas les articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel», et notamment le principe de non-discrimination (voir, par analogie, arrêt Commission/France, précité, point 32).

45      L’article 121, paragraphe 3, de la loi sur les communications électroniques dispose que les obligations résultant du décret-loi n° 31/2003 ne sont maintenues en vigueur que si l’application de cette loi n’impose pas un régime plus exigeant. La République portugaise relève, à cet égard, que ce régime plus exigeant est celui qui est prévu à l’article 99 de ladite loi, dont il est constant qu’il transpose correctement l’article 8, paragraphe 2, de la directive «service universel».

46      Certes, il convient de constater que l’article 99 de la loi sur les communications électroniques, lu isolément, pourrait être considéré comme transposant correctement l’article 8, paragraphe 2, de la directive «service universel» et comme instituant, lors de la procédure de désignation de l’entreprise chargée de fournir le service universel, un régime plus exigeant que celui qui résulte des dispositions des articles 121 et 124 de cette loi, qui maintiennent les obligations découlant du régime de concession du service public des télécommunications antérieur à ladite loi.

47      Toutefois, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, s’agissant de la transposition d’une directive dans l’ordre juridique d’un État membre, il est indispensable que le droit national en cause garantisse effectivement la pleine application de la directive, que la situation juridique découlant de ce droit soit suffisamment précise et claire afin de satisfaire pleinement à l’exigence de sécurité juridique et que les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et, le cas échéant, de s’en prévaloir devant les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2001, Commission/Pays‑Bas, C-144/99, Rec. p. I‑3541, point 17; du 24 juin 2008, Commission/Luxembourg, C‑272/07, points 10 et 11, ainsi que du 23 avril 2009, Commission/Belgique, C‑292/07, points 69 et 70).

48      Or, la loi sur les communications électroniques ne garantit pas l’application pleine et effective de la directive «service universel». En effet, malgré la réserve introduite par le législateur national à l’article 121, paragraphe 3, de cette loi, le régime prévu aux articles 121 et 124 de celle-ci maintient les nouveaux principes de base du contrat de concession conclu avec PT, au nombre desquels figure la désignation du fournisseur du service universel, jusqu’à ce qu’une nouvelle désignation soit effectuée sur la base d’une procédure objective, transparente et non discriminatoire, conformément à l’article 99 de ladite loi. Une telle situation revient à éluder la pleine mise en œuvre de la directive «service universel», dont les dispositions devaient être transposées depuis le 25 juillet 2003. 

49      En outre, la loi sur les communications électroniques n’instaure pas une situation juridique suffisamment précise et claire, de sorte que les opérateurs concernés ne sont pas en mesure de connaître avec clarté la plénitude de leurs droits découlant des dispositions de la directive «service universel», et, par conséquent, une telle loi ne constitue pas une transposition correcte des articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de cette directive. D’ailleurs, le maintien de la concession au profit de PTC pour la fourniture du service universel, en méconnaissance de la procédure prévue à l’article 99 de ladite loi, accroît l’ambiguïté juridique, car il en résulte que cette dernière disposition n’est pas appliquée en pratique. Ainsi, cette situation de fait ambiguë contribue à placer les opérateurs concernés dans un état d’incertitude, en violation des exigences de sécurité juridique.

50      Dans ce contexte, la République portugaise ne saurait valablement alléguer, afin d’écarter les ambiguïtés découlant des dispositions de la loi sur les communications électroniques, que les opérateurs ayant participé à la consultation publique réalisée en 2008 n’ont pas exprimé de doutes ni soulevé de questions concernant l’interprétation de cette loi, une telle absence d’objections ne signifiant nullement que ladite loi satisfait aux exigences de la directive «service universel».

51      Enfin, s’agissant du prétendu caractère prématuré ou précipité du recours, il suffit de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante qu’il incombe à la Commission, lorsqu’elle considère qu’un État membre a manqué à ses obligations, d’apprécier l’opportunité d’agir contre cet État, de déterminer les dispositions qu’il a violées et de choisir le moment où elle initiera la procédure en manquement à son encontre (voir arrêts du 10 mars 2005, Commission/Allemagne, C‑531/03, point 23; du 8 décembre 2005, Commission/Luxembourg, C‑33/04, Rec. p. I-10629, point 66, et du 6 mai 2010, Commission/Pologne, C-311/09, point 19).

52      Dans ces conditions, il convient de conclure que la République portugaise n’a pas correctement transposé dans son droit national les articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel» et que, partant, le premier grief invoqué par la Commission au soutien de son recours est également fondé.

53      Par conséquent, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas correctement transposé dans le droit national les dispositions du droit de l’Union réglementant la désignation du fournisseur ou des fournisseurs du service universel et, en tout état de cause, en n’ayant pas assuré l’application pratique de ces dispositions, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive «service universel».

 Sur les dépens

54      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas correctement transposé dans le droit national les dispositions du droit de l’Union réglementant la désignation du fournisseur ou des fournisseurs du service universel et, en tout état de cause, en n’ayant pas assuré l’application pratique de ces dispositions, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3, paragraphe 2, et 8, paragraphe 2, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel»).

2)      La République portugaise est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le portugais.