Language of document : ECLI:EU:T:2011:687

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

23 novembre 2011 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Position commune 2001/931/PESC et règlement (CE) n° 2580/2001 – Annulation d’une mesure de gel des fonds par un arrêt du Tribunal – Responsabilité non contractuelle – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers »

Dans l’affaire T‑341/07,

Jose Maria Sison, demeurant à Utrecht (Pays-Bas), représenté par Mes J. Fermon, A. Comte, H. Schultz, D. Gürses et W. Kaleck, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop, Mme E. Finnegan et M. R. Szostak, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes C. Wissels, M. de Mol, M. Y. de Vries, Mme M. Noort, M. J. Langer et Mme M. Bulterman, en qualité d’agents,

par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes S. Behzadi Spencer et I. Rao, en qualité d’agents,

et par

Commission européenne, représentée initialement par M. P. Aalto et Mme S. Boelaert, puis par Mme Boelaert et M. P. Van Nuffel, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant actuellement pour objet, à la suite de l’arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Sison/Conseil (T‑341/07, Rec. p. II‑3625), une demande en indemnité, visant, en substance, à la réparation du préjudice prétendument subi par le requérant du fait de mesures restrictives adoptées à son égard dans le cadre de la lutte contre le terrorisme,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

composé de MM. N. J. Forwood (rapporteur), président, F. Dehousse, M. Prek, J. Schwarcz et A. Popescu, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 mars 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Pour un exposé des antécédents du présent litige, il est renvoyé, d’une part, à l’arrêt du Tribunal du 11 juillet 2007, Sison/Conseil (T‑47/03, non publié au Recueil, ci-après l’« arrêt Sison I »), et, d’autre part, à l’arrêt interlocutoire du Tribunal du 30 septembre 2009, Sison/Conseil (T‑341/07, Rec. p. II‑3625, ci‑après l’« arrêt Sison II »).

 Procédure

2        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 septembre 2007, le requérant, M. Jose Maria Sison, a introduit le présent recours. Celui-ci avait pour objet initial, d’une part, une demande en annulation partielle de la décision 2007/445/CE du Conseil, du 28 juin 2007, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et abrogeant les décisions 2006/379/CE et 2006/1008/CE (JO L 169, p. 58), au titre de l’article 230 CE, et, d’autre part, une demande en indemnité au titre des articles 235 CE et 288 CE.

3        Le 13 novembre 2007, le Tribunal (septième chambre) a décidé de statuer selon une procédure accélérée sur le recours en annulation au titre de l’article 230 CE. À la demande des parties, le président de la septième chambre du Tribunal a, par ordonnance du même jour, suspendu la procédure, pour ce qui concernait le recours en indemnité au titre des articles 235 CE et 288 CE, jusqu’au prononcé de l’arrêt à intervenir sur le recours en annulation au titre de l’article 230 CE.

4        Par l’arrêt Sison II, point 1 supra, le Tribunal a annulé l’ensemble des mesures restrictives spécifiques (gel des fonds) adoptées à l’encontre du requérant depuis l’introduction du recours, à savoir la décision 2007/445, la décision 2007/868/CE du Conseil, du 20 décembre 2007, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et abrogeant la décision 2007/445 (JO L 340, p. 100), la décision 2008/343/CE du Conseil, du 29 avril 2008, modifiant la décision 2007/868 (JO L 116, p. 25), la décision 2008/583/CE du Conseil, du 15 juillet 2008, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et abrogeant la décision 2007/868 (JO L 188, p. 21), la décision 2009/62/CE du Conseil, du 26 janvier 2009, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et abrogeant la décision 2008/583 (JO L 23, p. 25), et le règlement (CE) n° 501/2009 du Conseil, du 15 juin 2009, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et abrogeant la décision 2009/62 (JO L 151, p. 14), pour autant que ces actes concernaient le requérant. Cet arrêt ne mettant pas fin à l’instance, les dépens ont été réservés.

5        À la suite du prononcé de l’arrêt Sison II, point 1 supra, la procédure a repris son cours, pour ce qui concerne le recours en indemnité au titre des articles 235 CE et 288 CE.

6        Le Conseil de l’Union européenne n’ayant pas déposé son mémoire en défense dans le délai prescrit, le Tribunal (septième chambre) a invité le requérant à se prononcer sur la suite de la procédure au regard de l’article 122, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

7        Par lettre parvenue au greffe le 8 février 2010, le requérant a prié le Tribunal d’accepter le mémoire en défense du Conseil, malgré son dépôt tardif, de façon à ce que la procédure retrouve un cours contradictoire normal. Il a été fait droit à cette demande par décision du Tribunal (septième chambre) du même jour et la procédure s’est dès lors régulièrement poursuivie.

8        La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

9        En application de l’article 14, paragraphe 1, et de l’article 51, paragraphe 1, du règlement de procédure et sur proposition de la deuxième chambre, la formation plénière du Tribunal a décidé de renvoyer l’affaire devant la deuxième chambre élargie.

10      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé une question aux parties, en les invitant à y répondre par écrit. À l’exception du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, les parties ont déféré à cette invitation dans les délais impartis.

11      À l’exception du Royaume-Uni, non représenté, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l’audience du 30 mars 2011.

 Conclusions des parties

12      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Communauté européenne, au titre des articles 235 CE et 288 CE, à lui verser des dommages et intérêts d’un montant de 291 427,97 EUR, augmentés de 200,87 EUR par mois jusqu’au prononcé de l’arrêt à intervenir, et des intérêts depuis le mois d’octobre 2002 jusqu’au paiement complet ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

13      Le Conseil, soutenu par les intervenants, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en indemnité comme étant non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

14      Le requérant a soutenu, dans ses écritures, qu’il était en droit de demander réparation du préjudice prétendument causé par l’ensemble des mesures de gel de ses avoirs adoptées par le Conseil depuis octobre 2002, sans faire de distinction selon que ce préjudice se rattachait aux actes en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sison I, point 1 supra, ou aux actes en cause dans la présente affaire.

15      S’agissant plus particulièrement des actes attaqués dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sison I, point 1 supra, le requérant a ainsi fait valoir, dans ses écritures, que, cet arrêt ayant eu un effet rétroactif, il aurait dû être replacé dans la situation juridique dans laquelle il se trouvait antérieurement à leur adoption. Par ailleurs, il serait clairement établi que l’illégalité de fond ayant entaché les actes annulés par l’arrêt Sison II, point 1 supra, entachait déjà et de la même manière les actes attaqués dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sison I, point 1 supra, même si, dans ladite affaire, le Tribunal n’a pu faire porter son contrôle juridictionnel que sur le respect des garanties procédurales et n’a dès lors pas été mis en mesure de pouvoir sanctionner cette illégalité de fond (voir arrêt Sison I, point 1 supra, point 225).

16      Le Conseil, dans ses écritures, n’a pas contesté cette interprétation de la portée du présent recours en indemnité.

17      Toutefois, s’agissant de la demande en réparation du préjudice prétendument causé par les actes attaqués dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sison I, point 1 supra, le Tribunal a relevé d’office la question de sa recevabilité. Par mesure d’organisation de la procédure du 21 février 2011, le Tribunal a ainsi invité les parties à se prononcer par écrit sur le point de savoir si l’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’arrêt Sison I, point 1 supra, ne s’opposait pas à ce que le requérant puisse demander à nouveau, au titre des articles 235 CE et 288 CE, la réparation d’un préjudice correspondant à celui dont la demande de réparation au même titre avait déjà été rejetée par ledit arrêt (point 243).

18      Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 8 mars 2011, le requérant a soutenu que l’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’arrêt Sison I, point 1 supra, ne l’empêchait pas d’introduire un recours en indemnité tel que libellé dans ses actes de procédure. Il a fait valoir, en substance, que les points de fait et de droit sur lesquels portait ce recours n’avaient pas été « effectivement ou nécessairement tranchés » par l’arrêt Sison I, point 1 supra. Plus particulièrement, le Tribunal n’aurait pas examiné, dans cet arrêt, les préjudices résultant du comportement du Conseil postérieur au 29 mai 2006, ni les préjudices résultant de l’« illégalité substantielle » de l’action du Conseil. Par ailleurs, un rejet du présent recours en indemnité, fondé sur l’exception de la chose jugée, porterait, selon lui, atteinte à son droit à un recours effectif devant un tribunal impartial, conformément à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1).

19      Dans leurs observations écrites, respectivement déposées au greffe du Tribunal le 8 et le 7 mars 2011, le Conseil et le Royaume des Pays-Bas, d’une part, et la Commission européenne, d’autre part, ont répondu par l’affirmative à la question posée par le Tribunal.

20      À cet égard, il convient de rappeler que la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, selon laquelle est irrecevable un recours qui oppose les mêmes parties, porte sur le même objet et est fondé sur la même cause qu’un recours déjà tranché, est d’ordre public (voir arrêt du Tribunal du 26 février 2003, Lucaccioni/Commission, T‑164/01, RecFP p. I‑A‑67 et II‑367, point 28, et la jurisprudence citée) et peut donc, voire doit, être examinée d’office par le juge. Selon une jurisprudence bien établie, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause (voir arrêts de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 44, et du 12 juin 2008, Commission/Portugal, C‑462/05, Rec. p. I‑4183, point 23, et la jurisprudence citée).

21      En l’espèce, il ressort d’une comparaison entre les divers préjudices dont la réparation était demandée, au titre de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sison I, point 1 supra (voir point 228 de cet arrêt), et certains des préjudices dont la réparation est demandée, au titre de cette même responsabilité, dans le cadre de la présente affaire (voir rapport d’audience, points 38, 41 et 49), que ceux-ci se recoupent partiellement, ratione temporis, dans la mesure où ils se rattachent à la période comprise entre octobre 2002 et la date du prononcé de l’arrêt Sison I, point 1 supra. Par ailleurs, le requérant a lui-même soutenu, dans ses écritures, que tous ces préjudices avaient été causés par la même illégalité de fond ayant entaché le comportement du Conseil (voir point 15 ci-dessus).

22      Or, il convient de rappeler que, dans l’arrêt Sison I, point 1 supra, le Tribunal, tout en ne s’estimant pas en mesure d’apprécier si la condition relative à l’illégalité du comportement reproché au Conseil était satisfaite, et notamment si le Conseil avait commis une erreur manifeste d’appréciation en décidant de geler les fonds du requérant sur la base des éléments dont il disposait ou s’il avait méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation (arrêt Sison I, point 1 supra, point 242), a considéré que la demande en indemnité devait être rejetée, en tout état de cause, dès lors que ni la réalité et l’étendue des préjudices allégués, tels qu’énumérés au point 228 dudit arrêt, ni l’existence d’un lien de causalité entre ces préjudices et les illégalités de fond invoquées au soutien de cette demande, n’étaient établies à suffisance de droit (arrêt Sison I, point 1 supra, points 243 et 251).

23      Contrairement à ce que soutient le requérant, ces considérations relatives à l’absence de preuve de la réalité et de l’étendue des préjudices allégués ainsi que de l’existence d’un lien de causalité entre ces préjudices et les illégalités de fond invoquées ne sauraient être qualifiées d’« incidentes » ou de « non nécessaires » dans l’appréciation du Tribunal. Par ailleurs, le requérant est mal fondé à soutenir qu’il n’aurait pas été en droit de former un pourvoi contre le rejet de son recours en indemnité motivé par ces mêmes considérations. Enfin, le principe de l’autorité de la chose jugée constitue un principe général commun aux droits des États membres, dont l’application en l’espèce ne saurait en aucun cas être qualifiée de contraire aux dispositions de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

24      Il s’ensuit que, pour la période courant d’octobre 2002 jusqu’au jour du prononcé de l’arrêt Sison I, point 1 supra, le 11 juillet 2007, l’autorité de la chose jugée qui s’attache à cet arrêt s’oppose à ce que le requérant puisse demander à nouveau, au titre des articles 235 CE et 288 CE, la réparation d’un préjudice correspondant à celui dont la demande de réparation au même titre a déjà été rejetée par ledit arrêt (voir, en ce sens, ordonnances de la Cour du 28 novembre 1996, Lenz/Commission, C‑277/95 P, Rec. p. I‑6109, points 52 à 54, et du 9 juin 2010, Commission/Schneider Electric, C‑440/07 P, non publiée au Recueil, points 52 et 53 ; arrêts du Tribunal du 8 décembre 2005, Reynolds/Parlement, T‑237/00, RecFP p. I‑A‑385 et II‑1731, point 193, et du 15 octobre 2008, Camar/Commission, T‑457/04 et T‑223/05, non publié au Recueil, point 79).

25      Le présent recours en indemnité doit dès lors être rejeté comme irrecevable pour autant qu’il vise à la réparation du préjudice prétendument causé par les actes attaqués dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sison I, point 1 supra.

 Sur le fond

 Observations liminaires sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté et sur la portée de l’arrêt Sison II

26      Le requérant estime que les trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté énoncées aux articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE sont réunies en l’espèce. Selon lui, en effet, l’illégalité ayant entaché les actes attaqués en l’espèce consiste en une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers et elle lui a causé de manière suffisamment directe un préjudice grave, qu’il détaille en quatre catégories de dommages, outre les intérêts.

27      Le Conseil fait valoir qu’aucune des trois conditions d’engagement de la responsabilité de la Communauté n’est remplie en l’espèce.

28      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, pour comportement illicite de ses organes, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt de la Cour du 9 septembre 2008, FIAMM et FIAMM Technologies/Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, Rec. p. I‑6513, point 106, et la jurisprudence citée ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission, T‑351/03, Rec. p. II‑2237, point 113, et Sison I, point 1 supra, point 232).

29      Le caractère cumulatif de ces trois conditions d’engagement de la responsabilité implique que, lorsque l’une d’entre elles n’est pas remplie, le recours en indemnité doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 8 mai 2003, T. Port/Commission, C‑122/01 P, Rec. p. I‑4261, point 30 ; arrêts Schneider Electric/Commission, point 28 supra, point 120, et Sison I, point 1 supra, point 233).

30      En l’espèce, le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord si la condition relative à l’illégalité du comportement du Conseil est remplie.

31      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, la constatation de l’illégalité d’un acte juridique – telle que l’illégalité des actes attaqués en l’espèce au regard de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 du Conseil, du 27 décembre 2001 [JO L 344, p. 70, rectificatif JO 2007, L 164, p. 36], et de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO L 344, p. 93) – ne suffit pas, pour regrettable que soit cette illégalité, pour considérer que la condition d’engagement de la responsabilité de la Communauté tenant à l’illégalité du comportement reproché aux institutions est remplie [voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, Rec. p. I‑2941, point 47, et arrêts du Tribunal du 6 mars 2003, Dole Fresh Fruit International/Conseil et Commission, T‑56/00, Rec. p. II‑577, points 72 à 75, et du 9 septembre 2008, MyTravel/Commission, T‑212/03, Rec. p. II‑1967, points 43 et 85].

32      En effet, selon la jurisprudence, le recours en indemnité a été institué comme une voie autonome, ayant sa fonction particulière dans le système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique (arrêt de la Cour du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmühle Erling e.a./Conseil et Commission, 197/80 à 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec. p. 3211, point 4 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 février 1986, Krohn Import-Export/Commission, 175/84, Rec. p. 753, point 32 ). Alors que les recours en annulation et en carence visent à sanctionner l’illégalité d’un acte juridiquement contraignant ou l’absence d’un tel acte, le recours en indemnité a pour objet la demande en réparation d’un préjudice découlant d’un acte ou d’un comportement illicite imputable à une institution (arrêt du Tribunal du 27 novembre 2007, Pitsiorlas/Conseil et BCE, T‑3/00 et T‑337/04, Rec. p. II‑4779, point 283). Ainsi, le recours en indemnité ne vise pas à assurer la réparation du préjudice causé par toute illégalité (arrêt du Tribunal du 3 mars 2010, Artegodan/Commission, T‑429/05, non encore publié au Recueil, point 51).

33      Pour admettre qu’il est satisfait à la condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté relative à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit « ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers » [arrêts de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42, et Holcim (Deutschland)/Commission, point 31 supra, point 47 ; arrêt Sison I, point 1 supra, point 234] ou, selon une formulation plus ancienne, d’une règle de droit « protégeant les particuliers » (arrêts de la Cour du 13 mars 1992, Vreugdenhil/Commission, C‑282/90, Rec. p. I‑1937, point 19, et du 11 février 1999, Antillean Rice Mills e.a./Commission, C‑390/95 P, Rec. p. I‑769, points 58 et 59), voire d’une règle de droit « ayant pour objet de protéger les particuliers » (arrêts du Tribunal du 14 novembre 2002, Rica Foods/Commission, T‑332/00 et T‑350/00, Rec. p. II‑4755, point 222, et du 25 février 2003, Renco/Conseil, T‑4/01, Rec. p. II‑171, point 60). Le Tribunal considère ces trois expressions comme étant de simples variantes d’un même concept juridique, qui sera exprimé dans la suite du présent arrêt par la formule « ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ».

34      Cette exigence d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, au sens de l’arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, point 33 supra, vise, quelle que soit la nature de l’acte illicite en cause, à éviter que le risque d’avoir à supporter les dommages allégués par les personnes concernées n’entrave la capacité de l’institution concernée à exercer pleinement ses compétences dans l’intérêt général, tant dans le cadre de son activité à portée normative ou impliquant des choix de politique économique que dans la sphère de sa compétence administrative, sans pour autant laisser peser sur des particuliers la charge des conséquences de manquements flagrants et inexcusables (voir, en ce sens, arrêts Schneider Electric/Commission, point 28 supra, point 125 ; MyTravel/Commission, point 31 supra, point 42, et Artegodan/Commission, point 32 supra, point 55).

35      Le critère décisif permettant de considérer que cette exigence est respectée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation [arrêts Bergaderm et Goupil/Commission, point 33 supra, point 43, et Holcim (Deutschland)/Commission, point 31 supra, point 47 ; arrêt Sison I, point 1 supra, point 235]. Ce qui est donc déterminant pour établir si l’on se trouve en présence d’une telle violation, c’est la marge d’appréciation dont disposait l’institution en cause (voir arrêt de la Cour du 12 juillet 2005, Commission/CEVA et Pfizer, C‑198/03 P, Rec. p. I‑6357, point 66, et la jurisprudence citée). Il découle ainsi des critères jurisprudentiels que, lorsque l’institution concernée ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts de la Cour Bergaderm et Goupil/Commission, point 33 supra, point 44 ; du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 54, et du 16 juillet 2009, Commission/Schneider Electric, C‑440/07 P, Rec. p. I‑6413, point 160 ; arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134).

36      Toutefois, cette jurisprudence n’établit aucun lien automatique entre, d’une part, l’absence de pouvoir d’appréciation de l’institution concernée et, d’autre part, la qualification de l’infraction de violation suffisamment caractérisée du droit communautaire (arrêt Artegodan/Commission, point 32 supra, point 59).

37      En effet, bien qu’elle présente un caractère déterminant, l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’institution concernée ne constitue pas un critère exclusif. À cet égard, la Cour a rappelé de manière constante que le régime qu’elle a dégagé au titre de l’article 288, deuxième alinéa, CE prend, en outre, notamment en compte la complexité des situations à régler et les difficultés d’application ou d’interprétation des textes [arrêts de la Cour Bergaderm et Goupil/Commission, point 33 supra, point 40 ; Commission/Camar et Tico, point 35 supra, point 52 ; Commission/CEVA et Pfizer, point 35 supra, point 62 ; Holcim (Deutschland)/Commission, point 31 supra, point 50, et Commission/Schneider Electric, point 35 supra, point 161 ; arrêt du Tribunal MyTravel/Commission, point 31 supra, point 38].

38      En particulier, en présence d’une marge d’appréciation de la Commission réduite [arrêt du Tribunal du 21 avril 2005, Holcim (Deutschland)/Commission, T‑28/03, Rec. p. II‑1357, point 100] ou considérablement réduite, voire inexistante (arrêt Commission/Schneider Electric, point 35 supra, point 166), la Cour a confirmé le bien-fondé de l’examen par le Tribunal de la complexité des situations à régler aux fins d’apprécier si la violation du droit communautaire alléguée était suffisamment caractérisée [arrêt du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, point 31 supra, point 51, et arrêt Commission/Schneider Electric, point 35 supra, point 160].

39      Il s’ensuit que seule la constatation d’une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permet d’engager la responsabilité de la Communauté (arrêt Artegodan/Commission, point 32 supra, point 62).

40      Il appartient dès lors au juge de l’Union, après avoir déterminé, d’abord, si l’institution concernée disposait d’une marge d’appréciation, de prendre en considération, ensuite, la complexité de la situation à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes, le degré de clarté et de précision de la règle violée et le caractère intentionnel ou inexcusable de l’erreur commise (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, point 35 supra, points 138 et 149, et du 26 janvier 2006, Medici Grimm/Conseil, T‑364/03, Rec. p. II‑79, points 79 et 87 ; voir également, par analogie, en ce qui concerne la responsabilité non contractuelle d’un État membre pour violation du droit communautaire, arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Haim, C‑424/97, Rec. p. I‑5123, points 41 à 43). En tout état de cause, une violation du droit communautaire est manifestement caractérisée lorsqu’elle a perduré malgré le prononcé d’un arrêt constatant le manquement reproché, d’un arrêt préjudiciel ou d’une jurisprudence bien établie en la matière, desquels résulte le caractère infractionnel du comportement en cause (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, C‑524/04, Rec. p. I‑2107, point 120, et la jurisprudence citée).

41      En l’espèce, le requérant invoque, d’une part, une violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, et, d’autre part, une violation de ses droits fondamentaux, notamment le droit au respect de sa vie privée et le droit au respect de ses biens.

42      Le Conseil soutient, d’une part, que l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 ne sont pas des règles de droit conférant des droits aux particuliers et que, en tout état de cause, leur violation n’est pas suffisamment caractérisée dans les circonstances de l’espèce. Il soutient, d’autre part, que la violation des droits fondamentaux du requérant n’est pas établie à suffisance de droit.

43      Il importe de relever, à cet égard, que le moyen tiré d’une violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 a été accueilli par le Tribunal dans l’arrêt Sison II, point 1 supra (points 122 et 138). Cette violation doit dès lors être considérée comme acquise, ainsi que l’admettent les parties. En revanche, le Tribunal a rejeté les moyens tirés d’une violation de l’obligation de motivation (arrêt Sison II, point 1 supra, point 71) et d’une erreur manifeste d’appréciation des faits (arrêt Sison II, point 1 supra, points 89 et 122). Par ailleurs, le Tribunal ne s’est pas prononcé, dans l’arrêt Sison II, point 1 supra, sur les moyens tirés d’une violation du principe de proportionnalité et d’une violation des principes généraux du droit communautaire et des droits fondamentaux (arrêt Sison II, point 1 supra, points 123 et 138).

44      Il y a dès lors lieu de vérifier d’abord, à la lumière des critères jurisprudentiels exposés ci-dessus, si le Conseil, en méconnaissant l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, a violé de manière suffisamment caractérisée des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Il y a ensuite lieu de vérifier si la violation alléguée des droits fondamentaux du requérant est établie et, dans l’affirmative, si cette violation est suffisamment caractérisée.

 Sur l’engagement de la responsabilité de la Communauté en raison d’une violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931

45      Vu l’argumentation du Conseil, il convient d’examiner, en premier lieu, si ces dispositions ont bien pour objet de conférer des droits aux particuliers, au sens de la jurisprudence constante citée au point 33 ci-dessus, comme le soutient le requérant.

46      À cet égard, contrairement à ce que soutient le requérant, l’arrêt de la Cour du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil (C‑229/05 P, Rec. p. I‑439, points 110 et 111), ne fournit aucune indication pertinente pour le cas d’espèce. Cet arrêt concernait un recours en annulation et la Cour ne s’y est nullement exprimée sur la question de savoir si les dispositions en cause en l’espèce avaient pour objet de conférer des droits aux particuliers.

47      Cela étant, il découle de la jurisprudence que cette condition est remplie lorsque la règle de droit violée, tout en visant par essence des intérêts de caractère général, assure également la protection des intérêts individuels des personnes concernées (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission, 5/66, 7/66 et 13/66 à 24/66, Rec. p. 317, 340 ; arrêts du Tribunal du 10 avril 2002, Lamberts/Médiateur, T‑209/00, Rec. p. II-2203, point 87, et Artegodan/Commission, point 32 supra, point 72).

48      Contrairement à ce que soutient le Conseil, qui se réfère notamment à l’arrêt du Tribunal du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, dit « PMOI I » (T‑256/07, Rec. p. II‑3019), les dispositions en cause en l’espèce ne visent pas à délimiter les domaines de compétence respectifs de la Communauté et des États membres, dans le cadre du mécanisme de coopération à deux niveaux que prévoit la procédure de gel des fonds instaurée par la position commune 2001/931, en déterminant quelles décisions nationales peuvent donner lieu à l’adoption d’une mesure communautaire (voir, à cet égard, arrêt PMOI I, précité, point 133).

49      En effet, dans le système instauré par le règlement n° 2580/2001, qui vise à mettre en œuvre, au niveau communautaire, les mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme décrites dans la position commune 2001/931, l’article 2, paragraphe 3, dudit règlement, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de ladite position commune, énonce plutôt les conditions légales dans lesquelles de telles mesures peuvent être prises par la Communauté, dont la compétence à cet égard est tenue pour acquise (arrêt Sison II, point 1 supra, points 91 et suivants). Il ne s’agit donc pas de simples règles attributives de compétence ou relatives à la base juridique, comme celles en cause dans les affaires invoquées par le Conseil ou dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Artegodan/Commission, point 32 supra. La jurisprudence issue de ces affaires n’est, dès lors, pas pertinente en l’espèce.

50      Il convient de relever, par ailleurs, à l’instar du requérant, que ces mesures restrictives, consistant dans le gel de l’ensemble des avoirs des intéressés, constituent de toute évidence une ingérence des autorités publiques dans l’exercice des droits fondamentaux des personnes qui en font l’objet. Bien que la question de savoir si cette ingérence était légitime en l’espèce soit une question distincte, qui devra, le cas échéant, être examinée dans le cadre de l’examen de la violation alléguée de ces droits, le fait même qu’une telle ingérence n’est admissible qu’à certaines conditions, déterminées par les instruments relatifs à la protection des droits fondamentaux [voir, par exemple, l’article 8, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), pour ce qui concerne le droit au respect de la vie privée], entraîne certaines conséquences pour le statut des règles qui mettent en œuvre ces conditions.

51      Ainsi, bien que le règlement n° 2580/2001, considéré ensemble avec la position commune 2001/931, ait essentiellement pour objet de permettre l’imposition par le Conseil de certaines restrictions aux droits des particuliers, dans le cadre et au nom de la lutte contre le terrorisme international, les dispositions de ce règlement et de cette position commune qui énoncent, de façon limitative, les conditions dans lesquelles de telles restrictions sont permises, telles que celles de l’article 2, paragraphe 3, dudit règlement, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de ladite position commune, ont essentiellement pour objet, a contrario, de protéger les intérêts individuels des particuliers concernés, en limitant les cas d’application, l’étendue ou l’intensité des mesures restrictives auxquelles ceux-ci peuvent légalement être astreints.

52      De telles dispositions assurent ainsi la protection des intérêts individuels des personnes susceptibles d’être concernées et elles sont, dès lors, à considérer comme des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, au sens de la jurisprudence constante citée au point 33 ci-dessus. Si les conditions de fond énoncées à l’article 2, paragraphe 3, de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de cette position commune, ne sont pas réunies, le particulier concerné a en effet le droit de ne pas se voir imposer les mesures en question. Un tel droit implique nécessairement que le particulier auquel des mesures restrictives sont imposées dans des conditions non prévues par les dispositions en question puisse demander à être indemnisé des conséquences dommageables de ces mesures, s’il s’avère que leur imposition repose sur une violation suffisamment caractérisée des règles de fond appliquées par le Conseil (voir, par analogie, arrêt MyTravel/Commission, point 31 supra, point 48).

53      En second lieu, s’agissant de la condition relative à une violation suffisamment caractérisée de ces règles, il convient tout d’abord de déterminer l’étendue du pouvoir d’appréciation dont disposait le Conseil en l’espèce.

54      À cet égard, il convient de relever que, si le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de l’adoption de sanctions économiques et financières sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE conformément à une position commune adoptée au titre de la politique étrangère et de sécurité commune, notamment pour ce qui concerne les considérations d’opportunité sur lesquelles de telles décisions sont fondées (voir arrêt Sison II, point 1 supra, point 97, et la jurisprudence citée), il est, en revanche, lié par les conditions légales d’application d’une mesure de gel des fonds à une personne, à un groupe ou à une entité, telles qu’elles sont déterminées par l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 (voir arrêt Sison II, point 1 supra, point 92, et la jurisprudence citée).

55      Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001, le Conseil, statuant à l’unanimité, établit, révise et modifie la liste de personnes, de groupes et d’entités auxquels ledit règlement s’applique, conformément aux dispositions de l’article 1er, paragraphes 4 à 6, de la position commune 2001/931. La liste en question doit donc être établie, conformément aux dispositions de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, sur la base d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une décision a été prise par une autorité compétente à l’égard des personnes, des groupes et des entités visés, qu’il s’agisse de l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte, fondée sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse de la condamnation pour de tels faits. On entend par « autorité compétente » une autorité judiciaire ou, si les autorités judiciaires n’ont aucune compétence en la matière, une autorité compétente équivalente dans ce domaine. Par ailleurs, les noms des personnes et des entités reprises sur la liste doivent faire l’objet d’un réexamen à intervalles réguliers, au moins une fois par semestre, afin de s’assurer que leur maintien sur la liste demeure justifié, conformément aux dispositions de l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931.

56      Au point 93 de l’arrêt Sison II, point 1 supra, le Tribunal a rappelé qu’il avait, dans de précédents arrêts, déduit de ces dispositions que la vérification de l’existence d’une décision d’une autorité nationale répondant à la définition de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 apparaît comme une condition préalable essentielle à l’adoption, par le Conseil, d’une décision initiale de gel des fonds, tandis que la vérification des suites réservées à cette décision au niveau national apparaît indispensable dans le contexte de l’adoption d’une décision subséquente de gel des fonds.

57      Il découle de cette jurisprudence bien établie du Tribunal que le Conseil ne dispose d’aucune marge discrétionnaire lorsqu’il apprécie si les éléments de fait et de droit susceptibles de conditionner l’application d’une mesure de gel des fonds à une personne, à un groupe ou à une entité, tels qu’ils sont définis par l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, sont réunis dans un cas d’espèce. Il en va ainsi, tout particulièrement, de la vérification de l’existence d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une décision d’une autorité nationale répondant à la définition de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 a été prise à l’égard de l’intéressé et, ultérieurement, de la vérification des suites réservées à cette décision au niveau national (voir, à cet égard, arrêt Sison II, point 1 supra, point 96, et la jurisprudence citée relative aux affaires ayant concerné le gel des fonds de l’Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/People’s Mojahedin Organization of Iran).

58      Toutefois, contrairement aux allégations du requérant, cette seule circonstance ne suffit pas pour considérer que la violation de ces dispositions est suffisamment caractérisée en l’espèce pour engager la responsabilité de la Communauté. En effet, ainsi qu’il a déjà été rappelé (voir points 37 à 39 ci-dessus), il incombe au juge de prendre également en considération notamment la complexité en droit et en fait de la situation à régler ainsi que les difficultés d’application ou d’interprétation des textes.

59      En l’occurrence, il convient en outre de relever que les mesures restrictives prévues par le règlement n° 2580/2001 et par la position commune 2001/931 visent à la mise en œuvre, au niveau de la Communauté, de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 28 septembre 2001, arrêtant des stratégies pour lutter par tous les moyens contre le terrorisme et, en particulier, contre son financement (arrêt Sison I, point 1 supra, points 4 à 12).

60      Ainsi que la Cour l’a déjà jugé dans le cadre d’un autre régime communautaire de mesures restrictives de nature économique mettant également en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, la lutte par tous les moyens, conformément à ladite charte, contre les menaces à l’égard de la paix et de la sécurité internationales que font peser les actes de terrorisme constitue un objectif d’intérêt général fondamental pour la communauté internationale, qui justifie en principe l’adoption de mesures restrictives, telles que celles en cause en l’espèce, à l’égard de certaines personnes (arrêt de la Cour du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, ci-après l’« arrêt Kadi de la Cour », points 361 à 363). L’importance fondamentale de cet objectif d’intérêt général et les contraintes particulières que sa poursuite « par tous les moyens » impose aux institutions de l’Union concernées, à la demande pressante du Conseil de sécurité des Nations unies, sont également des facteurs qu’il importe de prendre en considération, conformément à la jurisprudence citée au point 34 ci-dessus.

61      En l’espèce, il incombe dès lors au Tribunal d’examiner la complexité en droit et en fait de la situation à régler, dans le cas particulier du requérant, ainsi que les difficultés d’application ou d’interprétation des dispositions pertinentes du règlement n° 2580/2001 et de la position commune 2001/931, en tenant compte, en particulier, de l’importance des objectifs d’intérêt général poursuivis, afin d’établir si l’erreur de droit qu’a commise le Conseil constitue une irrégularité que n’aurait pas commise une administration normalement prudente et diligente placée dans des circonstances analogues (voir point 39 ci-dessus).

62      Dans ce contexte, bien que la violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, soit clairement établie (arrêt Sison II, point 1 supra, point 113), il importe de prendre en considération les difficultés particulières liées à l’interprétation et à l’application, en l’espèce, de ces dispositions. À cet égard, le Tribunal estime que les difficultés liées à l’interprétation littérale et systématique des conditions d’adoption d’une mesure de gel des fonds, énoncées par lesdites dispositions, à la lumière de l’ensemble du système communautaire de gel des fonds et au regard des objectifs d’intérêt général poursuivis, pouvaient raisonnablement expliquer, en l’absence de précédent jurisprudentiel bien établi en la matière, l’erreur de droit qu’a commise le Conseil dans l’application de ces dispositions, en ce qu’il s’est fondé à tort sur l’arrêt du Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) du 21 février 1995 (ci-après l’« arrêt du Raad van State ») et sur la décision de l’arrondissementsrechtbank te ‘s-Gravenhage (tribunal de district de La Haye, ci-après la « rechtbank »), Sector Bestuurrecht, Rechtseenheidskamer Vreemdelingenzaken (section du droit administratif, chambre pour l’application uniforme du droit, affaires relatives aux étrangers) du 11 septembre 1997 (ci-après la « décision de la rechtbank »).

63      Force est en effet de constater d’emblée que le libellé même de ces dispositions est particulièrement confus. Ainsi, selon les termes de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, on entend par « autorité compétente » une « autorité judiciaire ou, si les autorités judiciaires n’ont aucune compétence dans le domaine couvert par le présent paragraphe, une autorité compétente équivalente en ce domaine ». Aucune définition n’est donnée de ce que peut être une « autorité compétente équivalente » à une autorité judiciaire compétente dans le « domaine couvert par [ce] paragraphe », à savoir celui des décisions notamment d’ouverture d’enquêtes ou de poursuites, en relation avec une activité terroriste. Il est malaisé, par ailleurs, de concevoir que les autorités judiciaires d’un quelconque État membre de l’Union, constitué en État de droit et membre d’une Union de droit, n’aient « aucune compétence » dans ce domaine. De même, par corollaire, ni la notion de décision d’« ouverture d’enquêtes ou de poursuites » pour faits de terrorisme ni même celle de décision de « condamnation pour de tels faits » ne se laissent aisément appréhender. Par ailleurs, il n’est pas spécifié si l’interprétation de ces dispositions doit se faire par référence et renvoi au droit national ou si elles ont un contenu autonome en droit de l’Union, qu’il revient alors au seul juge de l’Union de dégager. Dans l’un et l’autre cas, il n’est pas évident que les différentes versions linguistiques de ces dispositions recouvrent la même réalité nationale sous-jacente. Ainsi, dans certaines versions linguistiques, les termes utilisés peuvent être ceux du droit pénal au sens strict, tandis que, dans d’autres versions linguistiques, leur interprétation peut déborder de ce cadre strictement pénal.

64      Il convient de relever, par ailleurs, que, en l’espèce, la responsabilité du Conseil n’est pas mise en cause en tant qu’autorité législative, auteure des dispositions en question, mais en tant qu’autorité administrative, responsable de leur mise en œuvre.

65      Or, les difficultés susmentionnées d’interprétation des dispositions en question ont nécessairement entraîné des difficultés considérables dans leur mise en œuvre, ce qu’atteste l’abondante jurisprudence du Tribunal relative à ce contentieux particulier [voir, outre les arrêts Sison I et Sison II, point 1 supra, arrêts du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, dit « OMPI » (T‑228/02, Rec. p. II‑4665) ; du 11 juillet 2007, Al‑Aqsa/Conseil, dit « Al-Aqsa I » (T‑327/03, non publié au Recueil) ; PMOI I, point 48 supra ; du 4 décembre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, dit « PMOI II » (T‑284/08, Rec. p. II‑3487, actuellement sous pourvoi dans l’affaire C‑27/09 P) ; du 2 septembre 2009, El Morabit/Conseil (T‑37/07 et T‑323/07, non publié au Recueil) ; du 9 septembre 2010, Al-Aqsa/Conseil, dit « Al-Aqsa II » (T‑348/07, non encore publié au Recueil), et du 7 décembre 2010, Fahas/Conseil (T‑49/07, non encore publié au Recueil)]. Ce n’est, ainsi, qu’au travers de l’examen d’une dizaine d’affaires, échelonné sur plusieurs années, que le Tribunal a progressivement élaboré un cadre rationnel et cohérent d’interprétation des dispositions en cause. Ce processus d’élaboration graduelle de la jurisprudence est particulièrement perceptible aux points 91 et suivants de l’arrêt Sison II, point 1 supra, qui opèrent la synthèse des arrêts précédents en la matière.

66      Plus spécifiquement, il convient de relever, tout d’abord, que le Tribunal n’a donné aucune indication, dans l’arrêt Sison I, point 1 supra, quant au point de savoir si l’arrêt du Raad van State et la décision de la rechtbank pouvaient être considérés comme des décisions prises par une autorité nationale compétente, au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 (voir, à cet égard, arrêt Sison I, point 1 supra, point 242). Cet arrêt n’a donc pas pu servir de précédent au Conseil, au sens de la jurisprudence citée au point 40 ci-dessus, dans le processus d’adoption des actes attaqués en l’espèce.

67      Dans la présente espèce, en revanche, le Tribunal a longuement procédé à l’examen du contenu, de la portée et du contexte des décisions des autorités nationales sur lesquelles se fondaient les actes attaqués, à savoir l’arrêt du Raad van State et la décision de la rechtbank, aux points 46 à 70 de l’arrêt Sison I, point 1 supra, et aux points 88, 90 et 100 à 106 de l’arrêt Sison II, point 1 supra, auxquels il est ici renvoyé.

68      S’agissant de la qualification de ces décisions nationales au regard de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, à laquelle il a été procédé aux points 107 et suivants de l’arrêt Sison II, point 1 supra, il convient de relever que, au point 111 dudit arrêt Sison II, le Tribunal a énoncé, pour la première fois, certains critères généraux d’interprétation et d’application de ces dispositions. Le Tribunal a ainsi « estim[é] » que, eu égard tant aux termes, au contexte et aux finalités des dispositions en cause en l’espèce qu’au rôle majeur joué par les autorités nationales dans le processus de gel des fonds prévu à l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001, une décision d’« ouverture d’enquêtes ou de poursuites » doit, pour pouvoir être valablement invoquée par le Conseil, s’inscrire dans le cadre d’une procédure nationale visant directement et à titre principal à l’imposition d’une mesure de type préventif ou répressif à l’encontre de l’intéressé, au titre de la lutte contre le terrorisme et du fait de son implication dans celui-ci. Le Tribunal a précisé que ne satisfait pas à cette exigence la décision d’une autorité judiciaire nationale qui ne se prononce qu’à titre accessoire et incident sur l’implication possible de l’intéressé dans une telle activité, dans le cadre d’une contestation portant, par exemple, sur des droits et des obligations de caractère civil.

69      En l’espèce, au point 113 de l’arrêt Sison II, point 1 supra, le Tribunal a déduit du critère d’interprétation restrictive qu’il venait ainsi de dégager que les procédures en cause du requérant devant le Raad van State et la rechtbank n’avaient nullement eu pour objet la répression de sa participation éventuelle à des actes de terrorisme, mais concernaient uniquement le contrôle de la légalité de la décision du secrétaire d’État à la Justice néerlandais refusant de lui reconnaître le statut de réfugié et de lui octroyer un permis de séjour aux Pays-Bas.

70      Le Tribunal a néanmoins également reconnu, au point 114 de l’arrêt Sison II, point 1 supra, que le Raad van State et la rechtbank avaient pris connaissance, à l’occasion de ces procédures, du dossier du service de la sûreté intérieure des Pays-Bas (BVD) relatif à la prétendue implication du requérant dans certaines activités terroristes aux Philippines, bien qu’ils n’aient pas pour autant décidé d’ouvrir une enquête sur ces faits et encore moins d’entamer des poursuites à l’égard du requérant.

71      Il convient, par ailleurs, de souligner que, contrairement à ce que soutient le requérant, le refus du secrétaire d’État à la Justice néerlandais de lui reconnaître le statut de réfugié et de lui octroyer un permis de séjour aux Pays-Bas, essentiellement motivé par le fait qu’il avait dirigé ou tenté de diriger depuis les Pays-Bas la New People’s Army (NPA), branche militaire du Parti communiste des Philippines (CPP) responsable d’un grand nombre d’actes de terrorisme aux Philippines, a été approuvé, en substance, par la rechtbank, à la suite de l’arrêt du Raad van State et après que cette juridiction a pris connaissance du dossier du BVD (voir arrêt Sison I, point 1 supra, points 63, 66 et 68 à 70). Le Conseil n’a donc commis aucune erreur d’appréciation en se référant à ces circonstances factuelles, ni méconnu les limites imposées à son pouvoir discrétionnaire.

72      Enfin, il y a lieu de rappeler que, dans l’arrêt Sison II, point 1 supra (points 88, 89 et 122), le Tribunal a rejeté le moyen du requérant tiré d’une erreur manifeste d’appréciation des faits. Il a, en particulier, constaté que les allégations factuelles contenues dans les exposés des motifs joints en annexe aux actes attaqués étaient dûment étayées par les éléments du dossier qui lui avait été soumis et, plus particulièrement, par les constatations de fait souverainement opérées par le Raad van State et par la rechtbank. Or, ces allégations factuelles concernent l’implication du requérant dans des actes de terrorisme commis aux Philippines, du fait de son rôle dirigeant dans le CPP et la NPA, ainsi que les contacts qu’il a eus avec des dirigeants d’autres associations terroristes (voir, à cet égard, points 46 à 70 de l’arrêt Sison I, point 1 supra, reproduits également au point 106 de l’arrêt Sison II, point 1 supra).

73      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, eu égard, premièrement, à la complexité des appréciations juridiques et factuelles requises en vue de régler le cas d’espèce, deuxièmement, aux difficultés d’interprétation et d’application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, dans les circonstances de l’espèce et en l’absence de précédent jurisprudentiel bien établi avant le prononcé de l’arrêt Sison II, point 1 supra, et, troisièmement, à l’importance fondamentale des objectifs d’intérêt général liés à la lutte contre le terrorisme international poursuivis par ledit règlement, la violation par le Conseil desdites dispositions, bien que clairement établie, s’explique par les contraintes et responsabilités particulières qui pesaient sur cette institution et constitue une irrégularité qu’aurait pu commettre une administration normalement prudente et diligente placée dans des circonstances analogues.

74      Le Tribunal estime, en conséquence, que la violation, en l’espèce, de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, quoique clairement établie, ne peut pas être considérée comme une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté envers le requérant.

 Sur l’engagement de la responsabilité de la Communauté en raison de la violation alléguée des droits fondamentaux du requérant

75      En l’occurrence, il est constant que les droits fondamentaux dont la violation est alléguée par le requérant constituent des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Leur violation, à la supposer établie, serait, dès lors, de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté si elle était suffisamment caractérisée.

76      À cet égard, le requérant n’excipe pas de l’illégalité en tant que telle, au regard des droits fondamentaux, du régime général de gel des fonds mis en œuvre par le règlement n° 2580/2001, mais uniquement de la mauvaise application de ce règlement dans les circonstances particulières de l’espèce, laquelle aurait entraîné ladite violation.

77      Au demeurant, la conformité de principe d’un tel régime, ou de régimes analogues résultant de la mise en œuvre d’autres résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, avec les droits fondamentaux des intéressés, est clairement établie par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal (voir, pour ce qui concerne le droit de propriété, arrêt Kadi de la Cour, point 60 supra, points 361 à 366, et arrêt du Tribunal du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, Rec. p. II‑2629, points 111 et 112 ; pour ce qui concerne le droit au respect de la vie privée et familiale, arrêt du Tribunal du 12 juillet 2006, Ayadi/Conseil, T‑253/02, Rec. p. II‑2139, point 126, non infirmé par la Cour sur pourvoi ; pour ce qui concerne le respect de la présomption d’innocence, arrêts El Morabit/Conseil, point 65 supra, point 40, et Fahas/Conseil, point 65 supra, points 64 à 68).

78      Ce n’est donc pas l’imposition des mesures restrictives prévues par le règlement n° 2580/2001, en tant que telle, qui constituerait une violation des droits fondamentaux du requérant, mais la seule circonstance que ces mesures lui ont été imposées, par les actes attaqués, dans des conditions non conformes à celles prévues, précisément en vue de limiter les possibilités d’ingérence des autorités publiques dans l’exercice de ces droits (voir points 50 et 51 ci-dessus), par l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931.

79      Or, il a déjà été jugé ci-dessus que cette non-conformité des actes attaqués aux conditions prévues par l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001, certes constitutive d’une illégalité, ne peut toutefois pas être considérée comme une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté envers le requérant.

80      La violation alléguée des droits fondamentaux du requérant étant indissociable de cette illégalité et ne tenant qu’à elle, il convient donc de conclure qu’elle n’est pas davantage suffisamment caractérisée pour être de nature, dans les circonstances particulières de l’espèce, à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté (voir, par analogie, arrêt Artegodan/Commission, point 32 supra, points 131, 132 et 136).

81      À cet égard, il convient d’ajouter que ni la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ni la CEDH, qui garantissent le droit à un recours juridictionnel effectif, ne s’opposent à ce que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté soit subordonné, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, à la reconnaissance d’une violation suffisamment caractérisée des droits fondamentaux invoqués par le requérant. S’agissant plus particulièrement des droits garantis par le protocole n° 1 à la CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs tenu compte des « diverses restrictions découlant des éléments à établir dans le cadre de l’action » en responsabilité non contractuelle de la Communauté, lesquelles comprennent, selon une jurisprudence constante, la condition relative à l’existence d’une telle violation, pour parvenir à la conclusion que le droit communautaire offre une protection équivalente des droits fondamentaux à celle assurée par le mécanisme de la CEDH (voir Cour eur. D.H., arrêt Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande du 30 juin 2005, Recueil des arrêts et décisions, 2005-VI, §§ 88, 163 et 165).

82      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté liée au caractère illicite du comportement reproché au Conseil n’est pas remplie en l’espèce.

83      Le recours doit dès lors être rejeté, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

 Sur les dépens

84      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. Conformément à cette disposition, les dépens ont été réservés par l’arrêt Sison II, point 1 supra.

85      L’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure dispose que le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels. L’article 87, paragraphe 4, dudit règlement dispose, par ailleurs, que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

86      En l’occurrence, le Conseil a succombé sur les chefs de conclusions en annulation, mais le requérant a succombé sur les chefs de conclusions en indemnité. Les demandes en annulation et en indemnité ayant été traitées de façon séparée tout au long de la procédure, il sera fait une juste application des dispositions précitées en décidant que le Conseil supportera l’ensemble des dépens des parties principales afférents au recours en annulation, tandis que le requérant supportera l’ensemble des dépens des parties principales afférents au recours en indemnité. Il convient, par ailleurs, de décider que le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Commission supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours en indemnité est rejeté.

2)      Le Conseil de l’Union européenne supportera, pour ce qui concerne les dépens afférents au recours en annulation, ses propres dépens ainsi que ceux de M. Jose Maria Sison.

3)      M. Sison supportera, pour ce qui concerne les dépens afférents au recours en indemnité, ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil.

4)      Le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.

Forwood

Dehousse

Prek

Schwarcz

 

      Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 novembre 2011.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.