Language of document : ECLI:EU:T:2009:193

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

11 juin 2009 (*)

« Aides d’État – Régime d’aides accordées par les autorités italiennes à certaines entreprises de services publics sous la forme d’exonérations fiscales et de prêts à taux préférentiel – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché commun – Recours en annulation – Affectation individuelle – Recevabilité – Article 87, paragraphe 3, sous c), CE – Article 86, paragraphe 2, CE »

Dans l’affaire T‑189/03,

ASM Brescia SpA, établie à Brescia (Italie), représentée par Mes F. Capelli, F. Vitale et M. Valcada, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Di Bucci, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation des articles 2 et 3 de la décision 2003/193/CE de la Commission, du 5 juin 2002, relative à une aide d’État aux exonérations fiscales et prêts à des conditions préférentielles consentis par l’Italie à des entreprises de services publics dont l’actionnariat est majoritairement public (JO 2003, L 77, p. 21),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (huitième chambre élargie),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. D. Šváby, S. Papasavvas, N. Wahl (rapporteur) et A. Dittrich, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 avril 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, ASM Brescia SpA, est une société à responsabilité limitée à actionnariat majoritairement public créée en 1998 à la suite de la transformation de l’entreprise spéciale du même nom fondée en 1908. Détenue à 99 % par la commune de Brescia (Italie), la requérante est active dans les secteurs de la production, de la distribution et de la vente d’électricité, de gaz naturel et de chauffage. Elle opère également dans les secteurs de la captation, du traitement et de la distribution de l’eau potable ainsi que dans celui du traitement des eaux usées. De plus, elle est active dans le secteur du traitement des déchets, en assurant en particulier le ramassage et l’évacuation des déchets. Enfin, elle fournit des services de transport public urbain et gère les infrastructures et les moyens y afférents. Elle exerce ces activités dans la commune de Brescia et, le cas échéant, dans des communes limitrophes.

 Sur le cadre juridique national

2        La legge n° 142 ordinamento delle autonomie locali (loi n° 142 portant organisation des autonomies locales, du 8 juin 1990, GURI n° 135, du 12 juin 1990, ci-après la « loi nº 142/90 ») a introduit en Italie une réforme des instruments d’organisation légaux mis à la disposition des communes pour la gestion des services publics, notamment dans les secteurs de la distribution de l’eau, du gaz, de l’électricité et des transports. L’article 22 de ladite loi, tel que modifié, a prévu la possibilité pour les communes de créer des sociétés sous différentes formes juridiques afin de fournir des services publics. Parmi celles‑ci figure la constitution de sociétés commerciales ou de sociétés à responsabilité limitée à actionnariat majoritairement public (ci-après les « sociétés loi nº 142/90 »).

3        Dans ce contexte, en vertu de l’article 9 bis de la legge n° 488 di conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge 1° luglio 1986, n° 318, recante provvedimenti urgenti per la finanza locale (loi n° 488 portant conversion en loi, avec modifications, du décret-loi n° 318, du 1er juillet 1986, introduisant des mesures urgentes en faveur des finances locales, du 9 août 1986, GURI n° 190, du 18 août 1986), des prêts à un taux d’intérêt particulier auprès de la Cassa Depositi e Prestiti (ci-après la « CDDPP ») ont été accordés entre 1994 et 1998 à des sociétés loi nº 142/90 qui étaient prestataires de services publics (ci-après les « prêts de la CDDPP »).

4        En outre, en vertu des dispositions combinées de l’article 3, paragraphes 69 et 70, de la legge nº 549 (su) misure di razionalizzazione della finanza pubblica (loi nº 549 relative à des mesures de rationalisation des finances publiques, du 28 décembre 1995, supplément ordinaire à la GURI nº 302, du 29 décembre 1995, ci-après la « loi nº 549/95 ») et du decreto-legge n° 331 (su) armonizzazione delle disposizioni in materia di imposte sugli oli minerali, sull’alcole, sulle bevande alcoliche, sui tabacchi lavorati e in materia di IVA con quelle recate da direttive CEE e modificazioni conseguenti a detta armonizzazione, nonché disposizioni concernenti la disciplina dei centri autorizzati di assistenza fiscale, le procedure dei rimborsi di imposta, l’esclusione dall’ILOR dei redditi di impresa fino all’ammontare corrispondente al contributo diretto lavorativo, l’istituzione per il 1993 di un’imposta erariale straordinaria su taluni beni ed altre disposizioni tributarie (décret-loi nº 331 sur l’harmonisation des dispositions en matière d’impôts dans divers domaines, du 30 août 1993, GURI nº 203, du 30 août 1993, ci-après le « décret-loi n° 331/93 »), les mesures suivantes ont été introduites en faveur des sociétés loi nº 142/90 :

–        l’exonération de tous les droits grevant les transferts d’actifs effectués lors de la transformation d’entreprises spéciales et d’entreprises municipalisées en sociétés loi nº 142/90 (ci-après l’« exonération des droits sur les transferts ») ;

–        l’exonération totale de l’impôt des sociétés, à savoir l’impôt sur le bénéfice des personnes morales et l’impôt local sur le revenu, pendant trois ans, et au plus tard jusqu’à l’exercice 1999 (ci-après l’« exonération triennale de l’impôt des sociétés »).

 Procédure administrative

5        À la suite d’une plainte concernant lesdites mesures, la Commission a demandé, par lettres des 12 mai, 16 juin et 21 novembre 1997, des renseignements à cet égard aux autorités italiennes.

6        Par lettre du 17 décembre 1997, les autorités italiennes ont fourni une partie des renseignements souhaités. Une réunion a par ailleurs eu lieu, à la demande des autorités italiennes, le 19 janvier 1998.

7        Par lettre du 17 mai 1999, la Commission a notifié aux autorités italiennes sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. Cette décision a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 220, p. 14).

8        Après avoir reçu des observations de tiers intéressés et des autorités italiennes, la Commission a demandé à plusieurs reprises à ces dernières des renseignements complémentaires. Des rencontres ont également eu lieu entre, d’une part, la Commission et, d’autre part, les autorités italiennes ainsi que les tiers intéressés intervenus.

9        Certaines sociétés loi nº 142/90, telles que ACEA SpA, AEM SpA et Azienda Mediterranea Gas e Acqua SpA (AMGA), qui ont par ailleurs introduit un recours en annulation contre la décision faisant l’objet de la présente affaire (respectivement affaires T‑297/02, T‑301/02 et T‑300/02), ont, notamment, fait valoir que les trois types de mesures en question ne constituaient pas des aides d’État.

10      Les autorités italiennes et la Confederazione Nazionale dei Servizi (Confservizi), confédération regroupant notamment des sociétés loi nº 142/90 et des entreprises spéciales communales en Italie, se sont ralliées, en substance, à cette position.

11      En revanche, le Bundesverband der deutschen Industrie eV (BDI), association allemande de l’industrie et des prestataires de services y afférents, a considéré que les mesures en question pourraient provoquer des distorsions de concurrence non seulement en Italie, mais également en Allemagne.

12      De même, Gas-it, association italienne d’opérateurs privés du secteur de la distribution de gaz, a déclaré que les mesures en question, en particulier l’exonération triennale de l’impôt des sociétés, constituaient des aides d’État.

13      Le 5 juin 2002, la Commission a adopté la décision 2003/193/CE relative à une aide d’État aux exonérations fiscales et prêts à des conditions préférentielles consentis par l’Italie à des sociétés loi n° 142/90 (JO 2003, L 77, p. 21, ci-après la « décision attaquée »).

 Décision attaquée

14      La Commission souligne tout d’abord que son examen ne porte que sur les régimes d’aides de portée générale institués par les mesures litigieuses et non sur les aides individuelles octroyées à différentes entreprises, si bien que son examen dans la décision attaquée est général et abstrait. À cet égard, elle déclare que la République italienne « n’a pas accordé d’avantages fiscaux à titre individuel et [ne lui] a notifié […] aucun cas individuel d’aide en lui communiquant tous les renseignements nécessaires à son appréciation ». La Commission indique qu’elle s’estime, en conséquence, tenue de procéder à un examen général et abstrait des régimes en cause tant sur le plan de leur qualification que sur le plan de leur compatibilité avec le marché commun (considérants 42 à 45 de la décision attaquée).

15      Selon la Commission, les prêts de la CDDPP et l’exonération triennale de l’impôt des sociétés (ci‑après, pris ensemble, les « mesures en cause ») sont des aides d’État. En effet, l’octroi, au moyen de ressources d’État, de tels avantages aux sociétés loi nº 142/90 a pour effet de renforcer leur position concurrentielle par rapport à toutes les autres entreprises désireuses de fournir les mêmes services (considérants 48 à 75 de la décision attaquée). Les mesures en cause sont incompatibles avec le marché commun dès lors qu’elles ne satisfont ni aux conditions de l’article 87, paragraphes 2 et 3, CE, ni aux conditions de l’article 86, paragraphe 2, CE et qu’elles violent, en plus, l’article 43 CE (considérants 94 à 122 de la décision attaquée).

16      En revanche, selon la Commission, l’exonération des droits sur les transferts ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, étant donné que ces droits sont dus lors de la constitution d’une nouvelle entité économique ou lors du transfert d’actifs entre différentes entités économiques. Or, d’un point de vue substantiel, les entreprises municipalisées, d’une part, et les sociétés loi nº 142/90, d’autre part, incarnent la même entité économique. Dès lors, l’exonération desdits droits en leur faveur est justifiée par la nature ou l’économie du système (considérants 76 à 81 de la décision attaquée).

17      Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :

« Article premier

L’exonération des droits sur les transferts […] ne constitue pas une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE]. 

Article 2

L’exonération triennale de l’impôt des sociétés […] et les avantages découlant des prêts [de la CDDPP …] constituent des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE].

Ces aides ne sont pas compatibles avec le marché commun.

Article 3

L’Italie prend toutes les mesures qui s’imposent pour exiger du bénéficiaire qu’il restitue l’aide décrite à l’article 2 qui lui a été accordée illégalement.

Le recouvrement de l’aide intervient immédiatement, conformément aux procédures nationales, dans la mesure où elles permettent l’exécution effective et immédiate de la décision [attaquée].

L’aide à recouvrer comprend les intérêts à compter de la date à laquelle le bénéficiaire a perçu l’aide illégale jusqu’à la date de son remboursement effectif. Ces intérêts sont calculés sur la base du taux de référence applicable au calcul de l’équivalent subvention des aides à finalité régionale.

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 juin 2003, la requérante a introduit le présent recours.

19      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 5 août 2003, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

20      Le 9 octobre 2003, la requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité.

21      Le 8 août 2002, la République italienne a également formé un recours en annulation devant la Cour contre la décision attaquée (affaire C‑290/02). La Cour a constaté que ce recours et ceux dans les affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02 et T‑309/02 avaient le même objet, à savoir l’annulation de la décision attaquée, et qu’ils étaient connexes, puisque les moyens présentés dans chacune de ces affaires se recoupaient très largement. Par ordonnance du 10 juin 2003, la Cour a suspendu la procédure dans l’affaire C‑290/02 conformément à l’article 54, troisième alinéa, de son statut, jusqu’au prononcé de la décision du Tribunal mettant fin à l’instance dans les affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02 et T‑309/02.

22      Par ordonnance du 8 juin 2004, la Cour a décidé de renvoyer l’affaire C‑290/02 devant le Tribunal, qui est devenu compétent pour statuer sur les recours formés par les États membres contre la Commission, conformément aux dispositions de l’article 2 de la décision 2004/407/CE, Euratom du Conseil, du 26 avril 2004, portant modification des articles 51 et 54 du protocole sur le statut de la Cour de justice (JO L 132, p. 5). Cette affaire a été enregistrée au greffe du Tribunal sous la référence T‑222/04.

23      Par ordonnance du 5 août 2004, le Tribunal a décidé de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

24      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé, par écrit, des questions aux parties, auxquelles celles-ci ont répondu dans le délai imparti.

25      Par ordonnance du président de la huitième chambre élargie du Tribunal du 13 mars 2008, les affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02, T‑309/02, T‑189/03 et T‑222/04 ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

26      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 16 avril 2008.

27      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler l’article 2 de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, annuler l’article 3 de la décision attaquée s’agissant de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés ;

–        condamner la Commission aux dépens.

28      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

29      La Commission conteste la qualité pour agir de la requérante. En effet, cette dernière ne serait pas individuellement concernée par la décision attaquée, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

30      La Commission fait valoir, en substance, que la décision attaquée doit être qualifiée d’acte de portée générale dans la mesure où elle concerne un régime d’aides et donc un nombre indéterminé et indéterminable d’entreprises définies en fonction d’un critère général, tel que leur appartenance à une catégorie d’entreprises. Selon elle, la portée générale, et donc la nature normative, d’un acte n’est pas mise en cause par la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels il s’applique à un moment donné, tant il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte, en relation avec la finalité de ce dernier.

31      Selon la Commission, pour qu’un particulier soit individuellement concerné par un acte de portée générale, cet acte doit porter atteinte à ses droits spécifiques ou l’institution qui en est l’auteur doit être obligée de tenir compte des conséquences de cet acte sur la situation dudit particulier. La Commission considère cependant que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la décision attaquée aurait eu des répercussions sur la situation de toutes les entreprises qui ont bénéficié de la mesure en cause. Par conséquent, il n’y aurait pas de violation des droits spécifiques de certaines entreprises qui pourraient se différencier par rapport à toute autre entreprise bénéficiaire de la mesure en cause. Par ailleurs, lors de l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’aurait ni dû ni pu tenir compte des conséquences de sa décision sur la situation d’une entreprise précise. Ni la déclaration d’incompatibilité ni l’ordre de récupération contenus dans la décision attaquée ne se référeraient à la situation de bénéficiaires individuels.

32      Selon la Commission, son analyse est confirmée par la jurisprudence existante dans le domaine des aides d’État, selon laquelle le fait d’être le bénéficiaire d’un régime d’aides déclaré incompatible avec le marché commun ne saurait suffire à démontrer l’affectation individuelle au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

33      Des affaires plus récentes ne remettraient pas en cause la jurisprudence établie. Selon la Commission, la solution retenue dans l’arrêt de la Cour du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission (C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I‑8855, ci-après l’« arrêt Sardegna Lines »), ne peut être appliquée à tous les recours formés par les bénéficiaires d’un régime d’aides déclaré illégal et incompatible et dont la récupération a été ordonnée. Cette conclusion s’imposerait en particulier lorsque, comme en l’espèce, le régime d’aides en cause a été examiné de manière abstraite. En outre, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sardegna Lines, précité, la requérante aurait en réalité bénéficié d’une aide individuelle, car il s’agissait d’un avantage accordé en vertu d’un acte adopté sur la base d’une loi régionale caractérisée par un large pouvoir discrétionnaire. De plus, cette situation aurait fait l’objet d’un examen attentif au cours de la procédure formelle d’examen.

34      Les faits de l’espèce différeraient également de ceux ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, ci-après l’« arrêt Alzetta »), dans la mesure où, en l’espèce, la Commission ne connaissait ni le nombre exact ni l’identité des bénéficiaires des aides en cause, ne disposait pas de tous les renseignements pertinents et ne connaissait pas le montant de l’aide octroyée dans chacun des cas. En outre, dans le cas présent, l’exonération triennale de l’impôt des sociétés s’appliquerait de façon automatique, alors que les aides en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Alzetta, précité, avaient été octroyées par le biais d’un acte ultérieur.

35      Contrairement aux affirmations de la requérante, ce ne serait pas la connaissance de l’identité d’une entreprise qui importerait aux fins de l’examen de la recevabilité, mais le fait que l’attention de la Commission ait été attirée sur des caractéristiques du cas d’espèce propres à justifier un examen individuel. Or, dans la décision attaquée, la Commission avait indiqué qu’aucune information ne lui avait été fournie démontrant que, à l’égard de la requérante, la mesure en cause ne constituait pas une aide ou constituait une aide existante ou compatible avec le marché commun.

36      En tout état de cause, ni le fait d’avoir participé à la procédure formelle prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, ni l’ordre de récupération contenu dans la décision attaquée ne suffisent, selon la Commission, à individualiser la requérante. En effet, étant donné que les recours introduits par les bénéficiaires potentiels d’un régime d’aides notifié ne sont pas recevables au sens de l’article 230 CE, il devrait en être de même pour ceux formés par les bénéficiaires d’un régime d’aides non notifié.

37      Enfin, le fait de déclarer irrecevable le recours introduit par la requérante en l’espèce ne violerait pas le principe d’une protection juridictionnelle effective, car les voies de recours prévues par les articles 241 CE et 234 CE seraient suffisantes (arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677).

38      La requérante considère être individuellement et directement concernée par la décision attaquée en ce qu’elle est une société loi nº 142/90, donc une entreprise visée par le régime d’aides en cause dans la décision attaquée, qui a bénéficié de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés et dont la récupération a été ordonnée.

 Appréciation du Tribunal

39      Conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.

40      Il est de jurisprudence constante qu’une personne physique ou morale autre que le destinataire d’une décision ne saurait prétendre être concernée individuellement par celle-ci que si la décision l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, et du 2 avril 1998, Greenpeace Council e.a./Commission, C‑321/95 P, Rec. p. I‑1651, points 7 et 28).

41      La Cour a ainsi jugé qu’une entreprise ne saurait, en principe, être recevable à introduire un recours en annulation d’une décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime. En effet, une telle décision se présente, à l’égard de l’entreprise requérante, comme une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (voir arrêt de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, point 15, et arrêt Alzetta, point 34 supra, point 37, et la jurisprudence citée).

42      Toutefois, la Cour a également jugé, aux points 34 et 35 de l’arrêt Sardegna Lines, point 33 supra, que, dès lors que l’entreprise Sardegna Lines n’était pas seulement concernée par la décision en cause dans cette affaire en tant qu’entreprise du secteur de la navigation en Sardaigne, potentiellement bénéficiaire du régime d’aides aux armateurs sardes, mais également en sa qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre de ce régime et dont la Commission avait ordonné la récupération, elle était individuellement concernée par ladite décision et son recours dirigé contre celle-ci était recevable (voir également, en ce sens, arrêt Alzetta, point 34 supra, point 39).

43      Il y a dès lors lieu de vérifier si la requérante a la qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre d’un régime d’aides sectoriel et dont la Commission a ordonné la récupération (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 septembre 2007, Salvat père & fils e.a./Commission, T‑136/05, Rec. p. II‑4063, point 70).

44      À cet égard, il convient de relever que, en premier lieu, il ressort de la réponse de la requérante aux questions écrites posées par le Tribunal à ce sujet que celle-ci est bien un bénéficiaire effectif d’une aide octroyée dans le cadre du régime d’aides en cause. En effet, la requérante affirme avoir bénéficié, au cours de la période concernée, de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés. Cette affirmation n’a pas été contredite par la République italienne.

45      En second lieu, il ressort de l’article 3 de la décision attaquée que la Commission a ordonné la récupération de l’aide en cause.

46      Il s’ensuit que la requérante est individuellement concernée par la décision attaquée.

47      S’agissant de l’affectation directe de la requérante, dans la mesure où l’article 3 de la décision attaquée oblige la République italienne à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour exiger du bénéficiaire qu’il restitue l’aide décrite à l’article 2 de ladite décision qui lui a été accordée illégalement et où la requérante en a bénéficié et devra la rembourser, celle-ci doit être considérée comme directement concernée par cette décision (voir, en ce sens, arrêt Salvat père & fils e.a./Commission, point 43 supra, point 75).

48      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le présent recours est recevable dans la mesure où il vise la partie de la décision attaquée portant sur l’exonération triennale de l’impôt des sociétés.

 Sur le fond

49      À l’appui de son recours, la requérante soulève cinq moyens, tirés respectivement :

–        de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE ainsi que de l’obligation de motivation, des principes de bonne administration, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et des droits fondamentaux ;

–        d’une violation de l’article 88, paragraphe 1, CE, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), et d’un défaut de motivation ;

–        d’une violation de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE ;

–        d’une violation de l’article 86, paragraphe 2, CE, des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité ainsi que d’un défaut de motivation ;

–        d’une violation de l’article 43 CE et d’un défaut de motivation.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 87, paragraphe 1, CE ainsi que de l’obligation de motivation, des principes de bonne administration, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et des droits fondamentaux

 Arguments des parties

50      La requérante soutient, en substance, que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE et que la Commission a violé l’obligation de motivation à cet égard, les principes de bonne administration, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime ainsi que les droits fondamentaux pour ne pas avoir procédé à un examen plus approfondi.

51      La requérante avance que, en l’espèce, la concurrence et le commerce intracommunautaire n’ont pas été affectés. En effet, selon elle, lorsque l’exonération triennale de l’impôt des sociétés a été appliquée, et même par la suite, les secteurs dans lesquels elle était active n’étaient pas ouverts à la concurrence.

52      La requérante estime que la Commission a omis d’analyser le régime juridique des services publics en Italie ainsi que la question de savoir si les marchés concernés étaient ouverts à la concurrence. D’ailleurs, selon la requérante, l’absence de concurrence sur lesdits marchés constitue exactement la raison d’être de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés.

53      La requérante fait également valoir que l’enquête de la Commission s’est limitée aux services publics locaux et que, partant, la Commission n’a pu évaluer l’incidence de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés sur d’autres marchés. La qualification de cette dernière d’aide d’État ne peut, selon la requérante, dépendre de la considération selon laquelle, dans l’absolu, les sociétés loi n° 142/90 auraient pu agir sur d’autres marchés que celui des services publics locaux. Par conséquent, la Commission n’aurait été en mesure ni d’établir l’incidence de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés sur d’autres marchés, ni d’utiliser cet élément comme argument pour déclarer l’incompatibilité de ladite exonération avec le marché commun.

54      La requérante fait observer que la Commission, en concluant à l’existence d’une affectation de la concurrence et des échanges intracommunautaires en raison des préjudices subis par des entreprises étrangères, présuppose que ces dernières aient été en concurrence avec les sociétés loi n° 142/90. Or, cela ne serait qu’une hypothèse non étayée.

55      En outre, la nature objectivement locale des activités exercées exclut, selon la requérante, l’affectation des échanges intracommunautaires. Or, la Commission n’aurait pas vérifié si les activités concernées avaient une nature locale.

56      Selon la requérante, les communes n’ont pas mis en concurrence les différentes entreprises lors de l’attribution de concessions de services publics. D’ailleurs, elles n’y auraient pas été obligées [voir arrêt de la Cour du 18 novembre 1999, Teckal, C‑107/98, Rec. p. I‑8121, et la communication interprétative de la Commission sur les concessions en droit communautaire (JO 2000, C 121, p. 2)].

57      La requérante ajoute que, même dans le cas où cela serait contraire aux règles communautaires en matière de marchés publics, le fait que des concessions de services publics soient attribuées directement à des entreprises exclut l’existence d’une affectation de la concurrence intracommunautaire et, donc, une violation de l’article 87 CE.

58      En outre, la Commission aurait omis d’opérer une distinction entre, d’une part, les gestions directes de services confiées par les communes aux sociétés loi n° 142/90 et, d’autre part, les marchés publics auxquels des sociétés loi n° 142/90 ont participé. La Commission n’aurait pas vérifié si des sociétés loi n° 142/90, et en particulier la requérante, ont participé à des marchés publics sur d’autres territoires que leur territoire de référence. À cet égard, la requérante précise que les activités extraterritoriales des sociétés loi n° 142/90 étaient en principe interdites, de sorte qu’elle ne pouvait pas participer à des appels d’offres en dehors de son territoire communal d’origine. La requérante invoque également l’article 16 CE, tel qu’il sera modifié par l’article III‑122 du traité établissant une Constitution pour l’Europe (JO 2004, C 310, p. 1).

59      Dans sa réplique, la requérante avance que la Commission aurait dû, à tout le moins, différencier son analyse selon les différents types juridiques que présentait le régime visé dans la décision attaquée.

60      La requérante y rejette également la thèse de la Commission selon laquelle il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de vérifier son champ d’activité. En effet, cette thèse conduirait au résultat déraisonnable suivant : le Tribunal, étant donné le caractère général et abstrait de l’analyse exposée dans la décision attaquée, devrait se limiter à une déclaration générale concernant l’exonération triennale de l’impôt des sociétés, même dans le cas où la requérante prouverait la non-applicabilité de ladite exonération à sa situation particulière. Or, un tel résultat serait injuste et priverait la requérante d’une protection juridictionnelle effective.

61      La requérante invoque enfin l’illégalité de l’ordre de récupération adressé à la République italienne à l’article 3 de la décision attaquée. En effet, selon la requérante, les bénéficiaires de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés sont obligés, en vertu dudit ordre de récupération, de rembourser l’avantage même s’ils ont seulement opéré dans des secteurs fermés à la concurrence. D’une part, la Commission ne préciserait pas, dans la décision attaquée, les éléments et critères permettant aux autorités italiennes de distinguer les aides existantes ou compatibles des aides visées par l’ordre de récupération. D’autre part, selon le traité CE, les États membres ne pourraient pas apprécier eux-mêmes la compatibilité des aides avec le marché commun. Il s’ensuit, selon la requérante, que la Commission a imposé la récupération de tous les avantages perçus au titre de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés. La requérante soutient que cela donnera lieu à un nombre considérable de recours devant les juges nationaux, lesquels renverront à la Cour, en vertu de l’article 234 CE, la question de la validité de la décision attaquée. Elle fait valoir qu’il appartiendra donc à la Cour d’effectuer de multiples analyses de la situation des bénéficiaires. Une telle situation ne se serait pas présentée si la Commission avait procédé à l’examen complet des données juridiques et de la réglementation applicable dans les secteurs concernés.

62      Selon la requérante, il résulte également des considérations précédentes que la Commission a violé l’obligation de motivation.

63      La Commission conteste les arguments de la requérante et estime que la décision attaquée est suffisamment motivée.

 Appréciation du Tribunal

64      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la qualification d’aide, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, requiert que toutes les conditions visées par cette disposition soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, il doit s’agir d’un avantage sélectif. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêts de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, Rec. p. I‑7747, ci-après l’« arrêt Altmark », points 74 et 75, et du 3 mars 2005, Heiser, C‑172/03, Rec. p. I‑1627, point 27).

65      En l’occurrence, force est de constater que la requérante soutient que deux des quatre conditions devant être remplies pour qualifier une mesure d’aide d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, à savoir celles relatives à l’affectation des échanges intracommunautaires et à l’incidence sur la concurrence, ne sont pas réunies en l’espèce.

66      À cet égard, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre de son appréciation de ces deux conditions, la Commission est tenue non pas d’établir une incidence réelle des aides sur les échanges entre États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si ces aides sont susceptibles d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (voir arrêt de la Cour du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C‑148/04, Rec. p. I‑11137, point 54, et la jurisprudence citée).

67      Il y a également lieu de rappeler que, dans le cas d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du programme en cause pour apprécier, dans les motifs de sa décision si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres (arrêt de la Cour du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, Rec. p. I‑2289).

68      Il convient par ailleurs de rappeler que toute aide octroyée à une entreprise qui exerce ses activités sur le marché communautaire est susceptible de causer des distorsions de concurrence et d’affecter les échanges entre États membres (voir arrêt du Tribunal du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava/Commission, T‑92/00 et T‑103/92, Rec. p. II‑1385, point 72, et la jurisprudence citée).

69      En outre, il n’existe pas de seuil ou de pourcentage en dessous duquel il est possible de considérer que les échanges entre États membres ne sont pas affectés. En effet, l’importance relativement faible d’une aide ou la taille relativement modeste de l’entreprise bénéficiaire n’excluent pas, a priori, l’éventualité que les échanges entre États membres soient affectés (arrêts de la Cour du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit « Tubemeuse », C‑142/87, Rec. p. I‑959, point 43 ; du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C‑278/92 à C‑280/92, Rec. p. I‑4103, point 42, et arrêt Altmark, point 64 supra, point 81).

70      De plus, la Cour a indiqué qu’il n’était nullement exclu qu’une subvention publique accordée à une entreprise qui ne fournit que des services de transport local ou régional et ne fournit pas de services de transport en dehors de son État d’origine puisse néanmoins avoir une incidence sur les échanges entre États membres au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. En effet, lorsqu’un État membre accorde une subvention publique à une entreprise, la fourniture de services de transport par ladite entreprise peut s’en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de fournir leurs services de transport sur le marché de cet État en sont diminuées (arrêt Altmark, point 64 supra, points 77 et 78).

71      En l’espèce, il convient de constater, tout d’abord, que le régime d’aides en cause vise une catégorie spécifique d’entreprises, à savoir les sociétés loi nº 142/90. Le fait d’être une telle société est la seule condition requise afin de pouvoir bénéficier dudit régime.

72      Ensuite, il convient de constater que l’application du régime d’exonération triennale de l’impôt des sociétés n’est pas limitée à des services particuliers et que les activités des entreprises visées par ledit régime ne sont pas limitées au secteur des services publics.

73      Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’espèce, la Commission n’était pas tenue de prendre en considération chaque type d’activité ou de marché afin d’apprécier les effets de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés.

74      Par ailleurs, il y a lieu de constater que, si la requérante a certes fait valoir que les sociétés loi nº 142/90 n’opéraient pas sur les marchés concurrentiels et cela en se référant, en particulier, à ses propres secteurs d’activité, elle n’a fourni aucune preuve valable pour étayer l’affirmation selon laquelle les secteurs économiques des services publics visés n’étaient pas ouverts à la concurrence à l’époque. À cet égard, il convient de rappeler qu’il s’agit, en l’espèce, d’un régime d’aides englobant une multitude de secteurs et non de divers régimes d’aides portant chacun sur un secteur spécifique.

75      En outre, il convient de signaler que, comme l’a indiqué la Commission aux considérants 73 et 84 de la décision attaquée, certains des secteurs concernés, tels que ceux des produits pharmaceutiques, des déchets, du gaz, de l’électricité et de l’eau, étaient caractérisés par un certain degré de concurrence au moment de l’entrée en vigueur de la mesure en cause.

76      De surcroît, il doit être constaté que, dans les secteurs d’activité des sociétés loi n° 142/90, les entreprises concourent pour s’adjuger les concessions de services publics locaux dans les différentes communes et que le marché desdites concessions est un marché ouvert à la concurrence (considérants 67 et 68 de la décision attaquée). Il importe peu que la requérante ait participé ou non à des appels d’offres pour l’attribution de services publics locaux dans d’autres zones géographiques pendant la période d’application de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés.

77      L’argument pris de l’absence de concurrence et donc d’incidence sur les échanges interétatiques du fait qu’en réalité les services concernés auraient directement été attribués aux sociétés loi n° 142/90 doit être rejeté. D’une part, l’attribution directe n’infirme pas la constatation faite aux points précédents selon laquelle le marché en cause était caractérisé, à tout le moins, par un certain degré de concurrence. D’autre part, l’argument tendrait plutôt à démontrer les effets restrictifs de la mesure en cause sur la concurrence et non l’absence de concurrence sur le marché concerné. En effet, comme le souligne la Commission au considérant 71 de la décision attaquée, il ne peut être exclu que l’existence même de l’aide en faveur des sociétés loi n° 142/90 ait créé une incitation pour les communes à leur confier directement les services plutôt que d’accorder des concessions dans le cadre de procédures ouvertes.

78      S’agissant précisément de la question de savoir si la mesure concernée a faussé ou a menacé de fausser le degré de concurrence existant sur le marché, il doit être constaté que la mesure en cause a renforcé la position concurrentielle des sociétés loi n° 142/90 par rapport à toute autre entreprise italienne ou étrangère active sur le marché concerné. Comme le relève à juste titre la Commission au considérant 62 de la décision attaquée, les entreprises dont la forme juridique n’est pas celle de la société de capitaux et dont le capital n’est pas majoritairement détenu par les collectivités locales sont désavantagées lorsqu’elles veulent participer à un appel d’offres pour l’adjudication de la prestation d’un certain service sur un certain territoire.

79      De plus, les activités des sociétés loi nº 142/90 ne sont pas limitées au secteur des services publics locaux. Dès lors, la mesure en cause peut faciliter l’expansion desdites sociétés sur d’autres marchés ouverts à la concurrence, produisant ainsi des effets de distorsion même dans des secteurs autres que ceux des services publics locaux. À cet égard, il ressort de la loi nº 142/90, telle qu’interprétée par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), arrêt nº 4989 du 6 mai 1995, et par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), arrêt nº 4586 du 3 septembre 2001, que les sociétés loi nº 142/90 ont la possibilité d’agir sur d’autres territoires tant en Italie qu’à l’étranger et dans des domaines différents de ceux des services publics prévus dans leurs statuts, sauf si cela leur soustrait des ressources et des moyens dans une mesure appréciable et que cela est de nature à porter préjudice à la collectivité de référence. D’ailleurs, il résulte des articles de presse annexés au mémoire en défense qu’au moins certaines sociétés loi nº 142/90 ont exercé d’autres activités que celles de services publics prévues dans leurs statuts, et ce sur des territoires autres que leur commune de référence.

80      S’agissant de la condition relative à l’affectation des échanges interétatiques, il convient de rappeler, tout d’abord, que le fait que les sociétés loi nº 142/90 opèrent seules sur leur marché national ou sur leur territoire d’origine n’est pas déterminant. En effet, les échanges interétatiques sont affectés par la mesure concernée lorsque les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de fournir leurs services sur le marché italien sont diminuées (voir point 70 ci-dessus).

81      Ainsi, c’est à bon droit que la Commission a constaté au considérant 70 de la décision attaquée que la mesure concernée pouvait créer un obstacle pour les entreprises étrangères désireuses de s’implanter en Italie ou d’y proposer leurs services et affectait donc les échanges intracommunautaires au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

82      En effet, d’une part, la mesure en cause porte préjudice aux entreprises étrangères qui soumissionnent pour des concessions locales de services publics en Italie dès lors que les entreprises publiques bénéficiaires du régime en cause peuvent proposer des prix plus compétitifs que leurs concurrents nationaux ou communautaires, qui n’en bénéficient pas. D’autre part, la mesure concernée rend moins attractive pour les entreprises d’autres États membres l’investissement dans le secteur des services publics locaux en Italie (par exemple, par la prise d’une participation majoritaire), puisque les entreprises rachetées ne seraient pas admises au bénéfice (ou pourraient perdre le bénéfice) de la mesure concernée du fait de la nature de leurs nouveaux actionnaires (voir considérant 69 de la décision attaquée).

83      Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur en estimant que les conditions tenant à l’affectation des échanges entre États membres et à la distorsion de concurrence étaient remplies en l’espèce.

84      En ce qui concerne le prétendu défaut de motivation de la décision attaquée au regard de ces deux conditions, il convient de rappeler que la Commission a explicité de manière suffisante, respectivement aux considérants 62 à 64, 69, 73 et 74 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle avait considéré que l’aide en cause était de nature à fausser la concurrence et à affecter les échanges interétatiques entre les États membres. En outre, comme cela a déjà été relevé, la Commission n’est pas tenue de démontrer les effets réels des aides déjà octroyées (arrêt de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, C‑301/87, Rec. p. I‑307, point 33).

85      S’agissant de l’ordre de récupération, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la suppression d’une aide illégale par voie de récupération, ainsi que le paiement, le cas échéant, des intérêts y afférents, est la conséquence logique de la constatation de son incompatibilité avec le marché commun (arrêts de la Cour Tubemeuse, point 69 supra, point 66 ; du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C‑169/95, Rec. p. I‑135, point 47, et du 29 juin 2004, Commission/Conseil, C‑110/02, Rec. p. I‑6333, point 41).

86      À cet égard, il convient également de relever que cette jurisprudence s’applique tant pour une aide individuelle que pour des aides versées dans le cadre d’un régime d’aides.

87      Toutefois l’analyse générale et abstraite d’un régime d’aides n’exclut pas que, dans un cas individuel, le montant octroyé sur la base de ce régime échappe à l’interdiction prévue à l’article 87, paragraphe 1, CE, par exemple, du fait que l’octroi individuel d’une aide relève des règles de minimis. Cette considération explique les réserves émises aux considérants 72, 85 et 126 de la décision attaquée.

88      Certes, le rôle des autorités nationales se limite, lorsque la Commission prend une décision déclarant une aide incompatible avec le marché commun, à exécuter cette décision et celles-ci ne disposent, à cet égard, d’aucune marge d’appréciation (arrêt de la Cour du 22 mars 1977, Steinicke & Weinlig, 78/76, Rec. p. 595, point 10). Cela n’empêche pas les autorités nationales, en exécutant ladite décision, de tenir compte desdites réserves. Partant, contrairement à ce qu’a fait valoir la requérante, la Commission ordonne seulement la récupération des aides au sens de l’article 87 CE et non des montants qui, bien que versés au titre du régime en cause, ne constituent pas des aides ou constituent des aides existantes ou compatibles avec le marché commun en vertu d’un règlement d’exemption ou des règles de minimis ou encore d’une autre décision de la Commission. À cet égard, il y a lieu de rappeler que le juge national est compétent pour interpréter les notions d’aide et d’aide existante et pourra se prononcer sur les éventuelles particularités de tel ou tel cas d’application, le cas échéant en posant une question préjudicielle à la Cour.

89      De surcroît, admettre la thèse de la requérante selon laquelle l’appréciation abstraite d’un régime d’aides, sans examen détaillé des cas individuels d’application, ne peut donner lieu à un ordre de récupération reviendrait à exclure systématiquement la possibilité de récupérer les aides indûment versées et donc à vider de leur sens les articles 87 CE et 88 CE. Dans un tel cas, la Commission, seule autorité compétente pour apprécier la compatibilité des aides avec le marché commun, serait dans l’impossibilité d’examiner les nombreux cas d’application des régimes d’aides.

90      Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 88, paragraphe 1, CE, du règlement nº 659/1999 et d’un défaut de motivation

 Arguments des parties

91      Dans le cadre de ce moyen, la requérante soutient que, quand bien même l’exonération triennale de l’impôt des sociétés devrait être considérée comme une aide d’État, il s’agit d’une aide existante et que, partant, la Commission, par la décision attaquée, a violé l’article 88 CE et l’article 1er, sous b), i) et v), du règlement nº 659/1999. Elle fait également valoir un défaut de motivation à cet égard.

92      Premièrement, la requérante estime que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés, dans le cas où elle serait qualifiée d’aide d’État, constitue une aide existante au sens de l’article 1er, sous b), v), du règlement n° 659/1999, car les marchés concernés étaient fermés à la concurrence pendant la période de référence. La Commission aurait omis de vérifier si les secteurs concernés étaient fermés à la concurrence et de motiver la décision attaquée sur ce point.

93      Deuxièmement, la requérante indique que l’exploitation en régime de monopole de services d’intérêt public par les communes et les entreprises municipalisées a été exonérée d’impôts depuis le début du siècle dernier. La requérante se réfère, notamment, au decreto presidenziale n° 917 (sulla) approvazione del testo unico delle imposte sui redditi (décret du président de la République nº 917 sur l’approbation du texte unique concernant l’impôt sur les revenus, du 22 décembre 1986, supplément ordinaire à la GURI nº 302, du 31 décembre 1986). Elle met en exergue le fait que cette exonération n’a jamais été contestée par la Commission auparavant. Selon la requérante, il y a eu continuité entre, d’une part, le régime fiscal dont bénéficiaient les communes et les entreprises municipalisées au titre des activités d’exploitation de services publics locaux et, d’autre part, l’exonération triennale de l’impôt des sociétés pour les sociétés loi nº 142/90. En effet, les entreprises municipalisées et les sociétés loi nº 142/90 incarneraient en substance la même entité, sous une forme juridique différente. Les sociétés loi n° 142/90 auraient repris les droits et obligations des entreprises municipalisées. La raison d’être de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés résiderait dans l’absence de concurrence, qui était une caractéristique des marchés concernés tant avant l’entrée en vigueur du traité CE que pendant la période allant de 1997 à 1999. Dès lors, peu importe la forme juridique des entreprises chargées de l’exécution des services publics. Par ailleurs, les réformes du législateur italien des années 90 n’auraient rien modifié en dehors de la forme juridique et du traitement des opérateurs en cause. Il s’agirait d’un instrument juridique normal de nature à faciliter le passage à un régime concurrentiel dans les secteurs concernés. Or, la Commission n’expliquerait pas, dans la décision attaquée, la raison pour laquelle le principe de continuité appliqué au considérant 78 de ladite décision ne s’applique pas aux fins de la qualification de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés d’aide existante.

94      Les conditions posées par l’arrêt de la Cour du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, Rec. p. I‑3829, ci-après l’« arrêt Namur », point 33), pour qu’une aide soit considérée comme existante seraient remplies en l’espèce. En effet, le champ d’activité et l’avantage en question seraient restés les mêmes. De plus, les sociétés loi n° 142/90 ne seraient pas libres d’opérer sur le marché à la recherche de meilleures opportunités commerciales, elles auraient pour objectif la fourniture de services publics et présenteraient un lien étroit avec la commune de référence dans le sens où il leur était interdit d’opérer au-delà du territoire communal (arrêts du Consiglio di Stato n° 243, du 10 mars 1997 et de la Corte suprema di cassazione n° 4989 du 6 mai 1995).

95      Même en considérant que les conditions posées par l’arrêt Namur, point 94 supra, ne sont pas remplies, la décision attaquée serait entachée d’une erreur s’agissant de la qualification de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés d’aide nouvelle. En effet, les critères posés par l’arrêt Namur, point 94 supra, devraient être appliqués en l’espèce à la lumière du cadre juridique différent applicable et de la nature non concurrentielle des secteurs précisément concernés.

96      La Commission estime, en se référant aux considérants 86 à 91 de la décision attaquée, que ce moyen doit être rejeté.

 Appréciation du Tribunal

97      Dans son arrêt Namur, point 94 supra (point 13), la Cour a jugé qu’il ressort tant du contenu que des finalités des dispositions de l’article 88 CE que doivent être regardées comme des aides existantes au sens du paragraphe 1 de cet article les aides qui existaient avant la date d’entrée en vigueur du traité CE et celles qui ont pu être mises régulièrement à exécution dans les conditions prévues à l’article 88, paragraphe 3, CE, y compris celles résultant de l’interprétation de cet article donnée par la Cour dans l’arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471, points 4 à 6), tandis que doivent être considérées comme des aides nouvelles soumises à l’obligation de notification prévue par cette dernière disposition les mesures qui tendent à instituer ou à modifier des aides, étant précisé que les modifications peuvent porter soit sur des aides existantes, soit sur des projets initiaux notifiés à la Commission.

98      S’agissant des aides existantes, l’article 1er, sous b), du règlement nº 659/1999 a repris et consacré les règles dégagées par la jurisprudence.

99      Aux termes de cette disposition, constitue une aide existante :

i)      toute aide existante avant l’entrée en vigueur du traité CE dans l’État membre concerné ;

ii)      toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil ;

iii)      toute aide qui est réputée avoir été autorisée à défaut pour la Commission d’avoir adopté une décision dans un délai de deux mois, en principe à compter du jour suivant celui de la réception de sa notification complète et dont elle dispose pour effectuer un examen préliminaire ;

iv)      toute aide à l’égard de laquelle le délai de prescription de dix ans en matière de récupération a expiré ;

v)      toute aide qui est réputée existante parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre. Les mesures qui deviennent une aide à la suite de la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation.

100    Ensuite, en vertu de l’article 1er, sous c), dudit règlement, toute modification d’une aide existante doit être considérée comme aide nouvelle.

101    En substance, les mesures tendant à instituer des aides ou à modifier des aides existantes constituent des aides nouvelles. En particulier, lorsque la modification affecte le régime initial dans sa substance même, ce régime se trouve transformé en un régime d’aides nouveau. Toutefois, il ne saurait être question d’une telle modification substantielle lorsque l’élément nouveau est clairement détachable du régime initial (arrêt du Tribunal du 30 avril 2002, Government of Gibraltar, T‑195/01 et T‑207/01, Rec. p. II‑2309, points 109 à 111).

102    En l’espèce, il est constant que l’exonération ne relève pas des deuxième, troisième et quatrième situations visées par l’article 1er, sous b), du règlement n° 659/1999 permettant de considérer une mesure d’aide comme étant une aide existante. De plus, celles-ci n’ont pas été invoquées par la requérante.

103    En ce qui concerne la première des situations visées par l’article 1er, sous b), du règlement nº 659/1999, il convient de constater tout d’abord que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés a été instituée par le décret-loi nº 331/93 et la loi nº 549/95. En 1990, alors que la loi nº 142/90 a introduit une réforme des instruments d’organisation légaux mis à la disposition des communes pour gérer les services publics locaux, dont la possibilité d’instituer des sociétés à responsabilité limitée à participation publique majoritaire, aucune exonération de l’impôt sur les revenus n’a été prévue pour ces sociétés.

104    En effet, toute société loi nº 142/90 créée entre 1990 et l’entrée en vigueur le 30 août 1993 de l’article 66 du décret-loi nº 331/93 était assujettie à l’impôt sur les revenus.

105    Par conséquent, comme l’a fait valoir à juste titre la Commission au considérant 91 de la décision attaquée, pour étendre aux sociétés loi n° 142/90 le régime fiscal applicable aux collectivités locales, le législateur italien a dû adopter une nouvelle législation plusieurs décennies après l’entrée en vigueur du traité CE.

106    En outre, même en admettant que l’exonération des impôts pour les entreprises municipalisées ait été introduite avant l’entrée en vigueur du traité CE et qu’elle soit restée en vigueur jusqu’en 1995, il n’en reste pas moins que les sociétés loi nº 142/90 se distinguent substantiellement des entreprises municipalisées. Or, l’extension des avantages fiscaux existant pour les entreprises municipalisées et spéciales à une nouvelle catégorie de bénéficiaires, telle que celle des sociétés loi nº 142/90, constitue une modification séparable du régime initial. En effet, ainsi que cela est indiqué dans l’arrêt du Consiglio di Stato nº 4586, du 3 septembre 2001, il existe des différences légales entre les sociétés loi nº 142/90 et les entreprises municipalisées du fait, notamment, que les premières ne sont pas soumises à la stricte limite territoriale imposée aux secondes et que les champs d’activité des premières sont beaucoup plus étendus. Ainsi, comme cela a déjà été souligné au point 79 ci-dessus, les sociétés loi nº 142/90 ont la possibilité d’agir en dehors du territoire de référence tant en Italie qu’à l’étranger et dans des domaines autres que celui du service public prévu dans leurs statuts, sauf si cela leur soustrait des ressources et des moyens dans une mesure appréciable et est de nature à porter préjudice à la collectivité de référence.

107    Par conséquent, ainsi que l’explique la Commission au considérant 92 de la décision attaquée, même si les sociétés loi nº 142/90 ont succédé aux entreprises municipalisées dans leurs droits et devoirs, la législation qui détermine leurs champs d’activité matériel et géographique a substantiellement changé.

108    Dès lors, force est de conclure que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés, introduite par les dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 70, de la loi nº 549/95 et de l’article 66, paragraphe 14, du décret-loi nº 331/93 ne relève pas de l’article 1er, sous b), i), du règlement nº 659/1999.

109    En ce qui concerne l’autre thèse de la requérante, fondée sur l’article 1er, sous b), v), du règlement nº 659/1999 qui prévoit qu’une mesure qui ne constitue pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue par la suite une aide en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre constitue une aide existante, il suffit de constater, ainsi que l’explique la Commission aux considérants 83 à 85 de la décision attaquée, que l’aide a été instituée à un moment où les marchés étaient, en tout état de cause, encore que très probablement à différents degrés, ouverts à la concurrence. Dès lors, il y a lieu de considérer que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés ne relève pas de l’article 1er, sous b), v), du règlement nº 659/1999.

110    Pour cette raison, il ne saurait être conclu à l’existence d’un défaut de motivation. Le fait qu’il existait une certaine concurrence dans les secteurs dans lesquels des sociétés loi nº 142/90 sont actives était la raison pour laquelle la Commission a écarté l’argument selon lequel la mesure en cause devrait être considérée comme une aide existante (considérants 82 à 85 de la décision attaquée).

111    Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE

 Arguments des parties

112    La requérante soutient que la Commission a commis une erreur en ce qu’elle a exclu que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés était une aide d’État compatible avec le marché commun en vertu de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

113    Selon la requérante, la compatibilité de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés avec le marché commun sur la base de cette disposition découle de ce qu’elle a permis la transformation des entreprises municipalisées et le passage à un marché concurrentiel et qu’elle leur a permis de prendre progressivement connaissance des mécanismes régissant le droit privé. La Commission n’aurait pas tenu compte de ces circonstances.

114    La Commission, se référant aux considérants 97 et suivants de la décision attaquée, conteste le bien-fondé des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

115    Il convient tout d’abord de rappeler que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le domaine de l’article 87, paragraphe 3, CE (arrêt de la Cour du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310/85, Rec. p. 901, point 18). Le contrôle exercé par le juge communautaire doit donc se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de l’obligation de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir.

116    Ensuite, il est de jurisprudence constante que, pour être déclarées compatibles avec le marché commun au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, les aides à des entreprises en difficulté doivent être liées à un plan de restructuration cohérent qui doit être présenté à la Commission avec toutes les précisions nécessaires (arrêt de la Cour du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, Rec. p. I‑2481, point 45).

117    En l’espèce, il ressort du dossier que les conditions requises pour que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés bénéficie de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE n’étaient pas remplies. L’exonération triennale de l’impôt des sociétés ne visait pas à rétablir la rentabilité des bénéficiaires et n’était pas réservée à des entreprises en difficulté. De plus, aucun plan de restructuration ni aucune mesure visant à compenser les distorsions de concurrence inhérentes à l’octroi des aides en cause n’ont été présentés (considérants 97 et suivants de la décision attaquée).

118    En ce qui concerne l’argument selon lequel la mesure en cause aurait facilité le passage d’une économie de marché monopolistique à celle d’un marché concurrentiel, il suffit de relever, ainsi que la Commission l’a fait valoir à juste titre, que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés n’a pu favoriser l’introduction de la concurrence sur les marchés concernés, étant donné qu’un certain degré de concurrence y existait déjà dans la plupart des cas, au stade de la sélection du prestataire du service, mais aussi parce que ladite exonération a faussé la concurrence en renforçant la position de certains opérateurs.

119    Partant, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’article 86, paragraphe 2, CE, des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique ainsi que d’un défaut de motivation

 Arguments des parties

120    Dans le cadre de ce moyen, la requérante fait essentiellement valoir que la Commission a, dans la décision attaquée, commis une erreur en ce que, lorsqu’elle a vérifié si l’article 86, paragraphe 2, CE était applicable en l’espèce, elle n’a pas suffisamment tenu compte de l’article 16 CE, introduit par le traité d’Amsterdam. L’article 86, paragraphe 2, CE devrait également être interprété à la lumière de l’article III‑122 du traité établissant un Constitution pour l’Europe. Puisqu’il s’agissait d’un domaine particulier, la Commission n’aurait pu appliquer des règles et des critères généraux. En outre, lors de l’adoption de la décision attaquée, il n’était pas clair, selon la requérante, que les règles en matière de services d’intérêt économique général (JO 2001, C 17, p. 4) s’appliquaient au secteur des services publics. Or, la Commission aurait ignoré cette circonstance. De cette incertitude juridique résulterait, en outre, une violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. La requérante fait également valoir un défaut de motivation à cet égard.

121    La Commission fait observer que le versement d’une aide peut, en vertu de l’article 86, paragraphe 2, CE, échapper à l’interdiction prévue à l’article 87 CE à condition notamment que l’aide en question permette de poursuivre une mission de service public définie et attribuée par un acte de puissance publique et que l’avantage octroyé compense strictement les surcoûts engendrés par la mission d’intérêt économique général. La requérante n’aurait pas démontré que tel était le cas pour la mesure en cause.

 Appréciation du Tribunal

122    Il importe tout d’abord de souligner qu’est en cause, en l’espèce, un régime d’aides. De ce fait, il convient de démontrer que ce régime remplit toutes les conditions pour soit pouvoir échapper à la qualification d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, soit pouvoir bénéficier de la dérogation prévue à l’article 86, paragraphe 2, CE.

123    À cet égard, il convient de rappeler qu’une intervention étatique qui constitue une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’a donc pas pour effet de mettre ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur font concurrence, ne constitue pas, en principe, une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (voir, en ce sens, arrêt Altmark, point 64 supra, point 87).

124    Toutefois, pour qu’une telle compensation puisse échapper à la qualification d’aide d’État, un certain nombre de conditions doivent être cumulativement remplies. Parmi celles-ci figure la condition selon laquelle l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public, obligations qui doivent être clairement définies (arrêt Altmark, point 64 supra, point 89), et la condition que la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations (arrêt Altmark, point 64 supra, point 92).

125    Il y a lieu de relever que l’adoption de la décision attaquée est antérieure au prononcé de l’arrêt Altmark, point 64 supra. Cependant, les critères énoncés dans cet arrêt, résultant d’une interprétation de l’article 87, paragraphe 1, CE, sont pleinement applicables à la situation factuelle et juridique de la présente affaire telle qu’elle se présentait à la Commission lorsque celle-ci a adopté la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission, T‑289/03, non encore publié au Recueil, point 158).

126    La première condition énoncée dans l’arrêt Altmark, point 64 supra, selon laquelle l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public, s’applique également dans le cas où la dérogation prévue à l’article 86, paragraphe 2, CE aurait été invoquée.

127    Dans les deux cas, une mesure doit, en tout état de cause, d’une part, satisfaire aux principes de définition et d’attribution du service public, et, d’autre part, de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt BUPA e.a./Commission, point 125 supra, point 160).

128    À cet égard, il y a lieu de constater que la requérante n’a donné aucune précision en ce qui concerne les conditions d’application de l’article 86, paragraphe 2, CE. À cet égard, il y a lieu de remarquer que la décision attaquée explique de façon circonstanciée, en ses considérants 108 à 120, pourquoi l’aide en cause ne satisfait pas aux conditions d’application dudit article. En effet, la requérante n’a pas pris la peine d’essayer de réfuter cette constatation. En outre, le fait d’invoquer l’article 16 CE à ce propos et l’article III‑122 du traité établissant une Constitution pour l’Europe est sans pertinence, dès lors que ce dernier a été signé après l’adoption de la décision attaquée, qu’il n’est pas entré en vigueur et qu’il a, de surcroît, été remplacé par le traité sur l’Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2008, C 115, p. 1). Par ailleurs, l’article 16 CE n’implique en aucune façon une « carte blanche » pour l’octroi de n’importe quelle aide à une entreprise de service public. S’agissant de la communication de la Commission concernant les services d’intérêt général en Europe (JO 2001, C 17, p. 4), il y a lieu de considérer que celle-ci a un caractère interprétatif et non constitutif et que les critères appliqués par la Commission sont ceux qui peuvent être déduits du traité et de la jurisprudence de sorte que la prétendue violation des principes de confiance légitime et de sécurité juridique doit être rejetée.

129    En tout état de cause, au vu de la structure du régime d’aides en cause, la loi nº 142/90 ne peut pas être qualifiée d’acte de puissance publique portant création et définition d’une mesure particulière qui consiste en la prestation de services publics locaux dans le respect des obligations spécifiées. En outre, cette loi ne définit pas, de manière claire et précise, les obligations de service public qui seraient en cause.

130    Dès lors, il y a lieu de conclure que la condition concernant les principes de définition et d’attribution des missions de service public n’est pas remplie.

131    Par conséquent, le quatrième moyen ne peut pas être accueilli.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de l’article 43 CE et d’un défaut de motivation

 Arguments des parties

132    La requérante considère que la Commission a commis une erreur de droit en affirmant, aux considérants 121 et 122 de la décision attaquée, que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés violait l’article 43 CE. En effet, d’une part, ladite mesure n’influerait pas sur le droit d’établissement, garanti par cette disposition. D’autre part, elle n’introduirait aucune discrimination en raison de la nationalité. Elle invoque également un défaut de motivation à cet égard.

133    La Commission conteste le bien-fondé des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

134    Il y a lieu de rappeler tout d’abord que le premier et le troisième moyen ont été rejetés dans la mesure où l’exonération triennale de l’impôt des sociétés constitue une aide et où les conditions requises afin de pouvoir bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, CE ne sont pas remplies. De ce fait, la déclaration d’incompatibilité de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés avec le marché commun en raison de la violation d’autres dispositions du traité CE concerne une motivation subsidiaire dans la décision attaquée. Dès lors, le cinquième moyen est inopérant.

135    Il résulte de tout ce qui précède que le cinquième moyen doit être rejeté.

136    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

137    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      ASM Brescia SpA supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission.

Martins Ribeiro

Šváby

Papasavvas

Wahl

 

       Dittrich

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juin 2009.

Signatures


* Langue de procédure : l’italien.