Language of document : ECLI:EU:C:2012:718

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

15 novembre 2012 (*)

«Pourvoi – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives spécifiques prises à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Côte d’Ivoire – Gel de fonds – Article 296 TFUE – Obligation de motivation – Droits de la défense – Droit à un recours juridictionnel effectif – Droit au respect de la propriété»

Dans l’affaire C‑417/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 5 août 2011,

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et B. Driessen ainsi que par Mme E. Dumitriu-Segnana, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenu par:

République française, représentée par MM. G. de Bergues et É. Ranaivoson, en qualité d’agents,

partie intervenante au pourvoi,

les autres parties à la procédure étant:

Nadiany Bamba, demeurant à Abidjan (Côte d’Ivoire), représentée initialement par Me P. Haïk, puis par Me P. Maisonneuve, avocats,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par Mme E. Cujo et M. M. Konstantinidis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. K. Lenaerts (rapporteur), E. Juhász, G. Arestis et J. Malenovský, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 septembre 2012,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, le Conseil de l’Union européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 juin 2011, Bamba/Conseil (T‑86/11, Rec. p. II‑2749, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision 2011/18/PESC du Conseil, du 14 janvier 2011, modifiant la décision 2010/656/PESC du Conseil renouvelant les mesures restrictives instaurées à l’encontre de la Côte d’Ivoire (JO L 11, p. 36), ainsi que le règlement (UE) no 25/2011 du Conseil, du 14 janvier 2011, modifiant le règlement (CE) no 560/2005 infligeant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Côte d’Ivoire (JO L 11, p. 1) (ci-après, respectivement, la «décision litigieuse» et le «règlement litigieux», ainsi que, ensemble, les «actes litigieux»), pour autant que ces deux actes concernent Mme Bamba.

 Le cadre juridique et les antécédents du litige

2        Mme Bamba est ressortissante de la République de Côte d’Ivoire.

3        Le 15 novembre 2004, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1572 (2004) par laquelle il a, notamment, affirmé que la situation en Côte d’Ivoire continuait de mettre en péril la paix et la sécurité internationales dans la région et décidé d’imposer certaines mesures restrictives à l’encontre de ce pays.

4        L’article 14 de la résolution 1572 (2004) institue un comité (ci-après le «comité des sanctions») chargé, notamment, de désigner les personnes et les entités visées par les mesures restrictives en matière de déplacements et de gel de fonds, d’avoirs financiers et de ressources économiques qu’impose ladite résolution à ses points 9 et 11 et d’en tenir la liste à jour. Mme Bamba n’a jamais été identifiée par le comité des sanctions comme devant faire l’objet de telles mesures.

5        Le 13 décembre 2004, considérant qu’une action de la Communauté européenne était nécessaire afin de mettre en œuvre la résolution 1572 (2004), le Conseil a arrêté la position commune 2004/852/PESC, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la Côte d’Ivoire (JO L 368, p. 50).

6        Le 12 avril 2005, estimant qu’un règlement était nécessaire afin de mettre en œuvre, au niveau communautaire, les mesures décrites dans la position commune 2004/852, le Conseil a adopté le règlement (CE) no 560/2005, infligeant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Côte d’Ivoire (JO L 95, p. 1).

7        La position commune 2004/852 a été prorogée et modifiée à plusieurs reprises, avant d’être abrogée et remplacée par la décision 2010/656/PESC du Conseil, du 29 octobre 2010, renouvelant les mesures restrictives instaurées à l’encontre de la Côte d’Ivoire (JO L 285, p. 28).

8        Une élection en vue de la désignation du président de la République de Côte d’Ivoire a eu lieu les 31 octobre et 28 novembre 2010.

9        Le 3 décembre 2010, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Côte d’Ivoire a certifié le résultat définitif du second tour de l’élection présidentielle tel que proclamé par le président de la Commission électorale indépendante le 2 décembre 2010, confirmant M. Alassane Ouattara comme vainqueur de l’élection présidentielle.

10      Le 13 décembre 2010, le Conseil a souligné l’importance de l’élection présidentielle des 31 octobre et 28 novembre 2010 pour le retour de la paix et de la stabilité en Côte d’Ivoire et a affirmé que la volonté exprimée souverainement par le peuple ivoirien devait impérativement être respectée. Il a également pris acte des conclusions du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Côte d’Ivoire dans le cadre de son mandat de certification et a félicité M. Ouattara pour son élection à la présidence de la République de Côte d’Ivoire.

11      Le 17 décembre 2010, le Conseil européen a appelé tous les responsables civils et militaires ivoiriens qui ne l’avaient pas encore fait à se placer sous l’autorité du président démocratiquement élu, M. Ouattara. Il a affirmé la détermination de l’Union européenne à prendre des sanctions ciblées à l’encontre de ceux qui continueraient à faire obstacle au respect de la volonté exprimée souverainement par le peuple ivoirien.

12      Afin d’imposer des mesures restrictives, en matière de déplacements, à l’encontre de certaines personnes qui, bien que n’étant pas désignées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou le comité des sanctions, font obstruction aux processus de paix et de réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, en particulier celles qui menacent le bon aboutissement du processus électoral, le Conseil a adopté la décision 2010/801/PESC du 22 décembre 2010, amendant la décision du Conseil 2010/656 (JO L 341, p. 45). La liste de ces personnes figure à l’annexe II de la décision 2010/656.

13      Le 14 janvier 2011, le Conseil a adopté la décision litigieuse.

14      Les considérants 2 à 7 de ladite décision énoncent:

«(2)      Le 13 décembre 2010, le Conseil a souligné l’importance de l’élection présidentielle des 31 octobre et 28 novembre 2010 pour le retour de la paix et de la stabilité en Côte d’Ivoire et a affirmé que la volonté exprimée souverainement par le peuple ivoirien doit impérativement être respectée.

(3)      Le 17 décembre 2010, le Conseil européen a appelé tous les responsables civils et militaires ivoiriens qui ne l’ont pas encore fait à se placer sous l’autorité du président démocratiquement élu, M. Alassane Ouattara.

(4)      Le 22 décembre 2010, le Conseil a adopté la décision [2010/801] afin d’imposer des restrictions en matière de déplacements à ceux qui font obstruction au processus de paix et de réconciliation nationale et en particulier à ceux qui mettent en péril le respect du résultat du processus électoral.

(5)      Le 11 janvier 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/17/PESC modifiant la décision [2010/656] afin d’inscrire d’autres personnes sur la liste des personnes faisant l’objet de restrictions en matière de déplacements.

(6)      Compte tenu de la gravité de la situation en Côte d’Ivoire, il convient d’imposer des mesures restrictives supplémentaires à l’égard desdites personnes.

(7)      En outre, il y a lieu de modifier la liste des personnes faisant l’objet des mesures restrictives, qui figure à l’annexe II de la décision [2010/656], et de mettre à jour les informations relatives à certaines personnes figurant sur ladite liste».

15      Aux termes de l’article 1er de la décision litigieuse:

«La décision [2010/656] est modifiée comme suit:

1)      L’article 5 est remplacé par le texte suivant:

Article 5

1.      Tous les fonds et ressources économiques qui sont en la possession ou sous le contrôle direct ou indirect:

[...]

b)      des personnes ou des entités visées à l’annexe II, non incluses sur la liste figurant à l’annexe I, qui font obstruction au processus de paix et de réconciliation nationale et en particulier mettent en péril le respect du résultat du processus électoral, ou qui sont détenus par des entités qui sont en la possession ou sous le contrôle direct ou indirect des premières ou de toute personne agissant pour le compte ou sur les ordres de celles-ci,

sont gelés.

2.      Aucun fonds, avoir financier ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes ou entités visées au paragraphe 1 ou utilisé à leur profit.

[...]’.

2)      L’article 10 est remplacé par le texte suivant:

Article 10

[...]

3.      Les mesures visées [...] à l’article 5, paragraphe 1, [sous] b), sont réexaminées à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois. Elles cessent de s’appliquer à l’égard des personnes et entités concernées si le Conseil établit, conformément à la procédure visée à l’article 6, paragraphe 2, que les conditions nécessaires à leur application ne sont plus remplies.’»

16      L’article 2 de la décision litigieuse dispose:

«L’annexe II de la décision [2010/656] [...] est remplacée par l’annexe de la présente décision.»

17      Le 14 janvier 2011, le Conseil a également adopté le règlement litigieux.

18      Les considérants 1 et 4 de ce règlement énoncent:

«(1)      La décision [2010/656], telle que modifiée [par la décision litigieuse], prévoit l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes qui, bien que n’étant pas désignées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou le comité des sanctions, font obstruction aux processus de paix et de réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, en particulier celles qui menacent le bon aboutissement du processus électoral, ainsi qu’à l’encontre des personnes morales, des entités ou des organismes qui sont la propriété ou qui se trouvent sous le contrôle de ces personnes et des personnes, des entités ou des organismes agissant en leur nom ou selon leurs instructions.

[...]

(4)      Compte tenu de la menace concrète que la situation en Côte d’Ivoire fait peser sur la paix et la sécurité internationales et afin d’assurer la conformité avec le processus de modification et de révision des annexes I et II de la décision [2010/656], il convient que le Conseil fasse usage de la faculté de modifier les listes figurant aux annexes I et IA du règlement [no 560/2005].»

19      Aux termes de l’article 1er du règlement litigieux:

«Le règlement [no 560/2005] est modifié comme suit:

1)      L’article 2 est remplacé par le texte suivant:

Article 2

1.      Tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de, détenus ou contrôlés par les personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés à l’annexe I ou à l’annexe IA sont gelés.

2.      Aucun fonds ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés à l’annexe I ou à l’annexe IA ou utilisé à leur profit.

[...]

5.      L’annexe IA est composée des personnes physiques ou morales, des entités et des organismes visés à l’article 5, paragraphe 1, [sous] b), de la décision [2010/656] telle que modifiée.

[...]’.

[...]

7)      L’article suivant est inséré:

Article 11 bis

[...]

2.      Lorsque le Conseil décide d’appliquer à une personne physique ou morale, à une entité ou à un organisme les mesures visées à l’article 2, paragraphe 1, il modifie l’annexe IA en conséquence.

3.      Le Conseil communique sa décision à la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme visé aux paragraphes 1 et 2, y compris les motifs de l’inscription sur la liste, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations.

4.      Si des observations sont formulées ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné en conséquence.

[...]

6.      La liste de l’annexe IA est examinée à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.’

[...]

10)      Le texte figurant à l’annexe I est inséré dans le règlement [no 560/2005] en tant qu’annexe IA.»

20      Par les actes litigieux, le Conseil a, pour la première fois, inscrit le nom de Mme Bamba parmi ceux des personnes faisant l’objet de mesures restrictives de gel des fonds. Au point 6 du tableau A de l’annexe II de la décision 2010/656, telle que modifiée par la décision litigieuse, et au point 6 de l’annexe IA du règlement no 560/2005, tel que modifié par le règlement litigieux, cette inscription a été assortie de la mention des motifs suivants: «Directrice du groupe Cyclone éditeur du journal ‘Le temps’: Obstruction aux processus de paix et de réconciliation par l’incitation publique à la haine et à la violence et par la participation à des campagnes de désinformation en rapport avec l’élection présidentielle de 2010».

21      Le 18 janvier 2011, le Conseil a publié un avis à l’attention des personnes et entités auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues par la décision 2010/656 et par le règlement no 560/2005 (JO 2011, C 14, p. 8, ci-après l’«avis publié le 18 janvier 2011»). Dans cet avis, le Conseil rappelle qu’il a décidé que les personnes et entités figurant à l’annexe II de la décision 2010/656, telle que modifiée par la décision litigieuse, et à l’annexe IA du règlement no 560/2005, tel que modifié par le règlement litigieux, devraient être incluses dans les listes des personnes et des entités soumises aux mesures restrictives prévues par ces actes. Il attire, en outre, l’attention de ces personnes et de ces entités sur le fait qu’il est possible de présenter aux autorités compétentes de l’État membre concerné une demande visant à obtenir l’autorisation d’utiliser les fonds gelés pour couvrir des besoins essentiels ou procéder à certains paiements. Il précise, par ailleurs, que les personnes et les entités concernées peuvent lui envoyer une demande de réexamen de la décision par laquelle elles ont été inscrites sur les listes en cause, en y joignant des pièces justificatives. Il rappelle, enfin, la possibilité de contester sa décision «devant le Tribunal de l’Union européenne, dans les conditions prévues à l’article 275, deuxième alinéa, [TFUE] et à l’article 263, quatrième et sixième alinéas, [TFUE]».

 La procédure de première instance et l’arrêt attaqué

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 février 2011, Mme Bamba a introduit un recours en annulation dirigé contre les actes litigieux, pour autant qu’ils la concernent.

23      La Commission européenne a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

24      À l’appui de son recours, Mme Bamba a invoqué deux moyens.

25      Le premier de ces moyens, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif, comportait trois branches. La deuxième de celles-ci était tirée du fait que les actes litigieux ne prévoient pas la communication d’une motivation circonstanciée de l’inscription de Mme Bamba sur les listes en cause.

26      Aux points 38 à 57 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné cette deuxième branche. Après avoir constaté, aux points 41 et 42 dudit arrêt, que tant la décision 2010/656 que le règlement no 560/2005 prévoient que les personnes, les entités et les organismes faisant l’objet de mesures restrictives doivent se voir communiquer les motifs justifiant leur inclusion dans les listes figurant à l’annexe II de ladite décision et à l’annexe IA dudit règlement, le Tribunal a vérifié si, en l’espèce, lesdits motifs avaient été communiqués à Mme Bamba, de manière à ce que celle-ci puisse exercer ses droits de la défense et son droit à un recours juridictionnel effectif.

27      Le Tribunal a rappelé, aux points 47 et 48 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence pertinente relative au contenu de l’obligation de motivation d’un acte du Conseil imposant des mesures restrictives telles que celles en cause en l’espèce. Puis, il a jugé, aux points 49 à 51 dudit arrêt, que tant les motifs exposés aux considérants 6 et 7 de la décision litigieuse et au considérant 4 du règlement litigieux, faisant état de la gravité de la situation en Côte d’Ivoire et de la menace concrète que celle-ci faisait peser sur la paix et la sécurité internationales, que ceux exposés au point 6 du tableau A de l’annexe II de la décision 2010/656 ainsi qu’au point 6 du tableau A de l’annexe IA du règlement no 560/2005 en relation avec Mme Bamba, et mentionnés au point 20 du présent arrêt, correspondaient à des «considérations vagues et générales», et non à des «raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles [le Conseil considérait], dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que [Mme Bamba devait] faire l’objet des mesures restrictives en cause».

28      Le Tribunal a, en particulier, considéré, au point 52 de l’arrêt attaqué, ce qui suit:

«[...] l’indication que [Mme Bamba] est directrice du groupe Cyclone, éditeur du journal ‘Le temps’, ne constitue pas une circonstance de nature à motiver de manière suffisante et spécifique les actes attaqués à son égard. Cette indication ne permet en effet pas de comprendre en quoi [Mme Bamba] se serait livrée à des obstructions aux processus de paix et de réconciliation par l’incitation publique à la haine et à la violence et par la participation à des campagnes de désinformation en rapport avec l’élection présidentielle de 2010. Aucun élément concret, qui serait reproché à [Mme Bamba] et qui pourrait justifier les mesures en cause, n’est ainsi évoqué».

29      Le Tribunal a ajouté, au point 53 de l’arrêt attaqué, qu’aucun élément ne permettait de considérer que, dans les circonstances de l’espèce, la publication détaillée des griefs retenus à la charge de Mme Bamba se serait heurtée à des considérations impérieuses d’intérêt général touchant à la sûreté de l’Union et de ses États membres, ou à la conduite de leurs relations internationales, ou aurait porté atteinte aux intérêts légitimes de Mme Bamba en étant susceptible de nuire gravement à sa réputation. Le Conseil n’en aurait d’ailleurs évoqué aucun.

30      Au point 54 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé qu’aucune motivation supplémentaire n’avait été communiquée à Mme Bamba à la suite de l’adoption des actes litigieux ou lors de la procédure devant le Tribunal. Au cours de la procédure écrite, le Conseil se serait borné à rappeler que Mme Bamba avait été inscrite sur les listes des personnes faisant l’objet de mesures restrictives en raison de «sa responsabilité pour la campagne de désinformation et d’incitation à la haine et à la violence intercommunautaire en Côte d’Ivoire», en ajoutant qu’elle était «l’un des collaborateurs les plus importants» de M. Laurent Gbagbo et qu’il s’agissait de sa «deuxième épouse». Néanmoins, lors de l’audience, le Conseil aurait indiqué au Tribunal que ce n’était pas cette dernière qualité qui avait justifié l’inscription de Mme Bamba sur lesdites listes.

31      Le Tribunal a également souligné, au point 55 de l’arrêt attaqué, que le fait que Mme Bamba n’ait pas, à la suite de la publication des actes litigieux ou de l’avis publié le 18 janvier 2011, demandé au Conseil de lui communiquer les motifs spécifiques et concrets de son inclusion sur la liste en cause était sans pertinence en l’espèce, dès lors que l’obligation de motivation incombait au Conseil et que ce dernier devait s’en acquitter soit au moment où cette inclusion avait été décidée, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après qu’elle l’avait été.

32      Le Tribunal a conclu, au point 56 de l’arrêt attaqué, que la motivation des actes litigieux n’avait pas permis à Mme Bamba d’en contester la validité devant lui et l’avait empêché d’exercer son contrôle sur la légalité de ces actes.

33      Sans éprouver le besoin d’examiner les autres branches du premier moyen non plus que le second moyen, le Tribunal a, dès lors, annulé lesdits actes pour autant que ceux-ci concernaient Mme Bamba.

 Les conclusions des parties au pourvoi

34      Le Conseil demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de se prononcer à titre définitif sur les questions faisant l’objet du présent pourvoi ainsi que de rejeter la requête comme non fondée, et

–        de condamner Mme Bamba aux dépens qu’il a exposés en première instance et dans le cadre du présent pourvoi.

35      Mme Bamba demande à la Cour:

–        de déclarer le pourvoi irrecevable;

–        de rejeter celui-ci, et

–        de condamner le Conseil à supporter les dépens en application des articles 69 et suivants du règlement de procédure de la Cour.

36      La République française, admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil par une ordonnance du président de la Cour du 9 janvier 2012, demande à la Cour d’accueillir le pourvoi du Conseil.

 Sur le pourvoi

37      Le pourvoi est articulé autour de deux moyens. Le Conseil invoque, à titre principal, un moyen fondé sur l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal en jugeant que la motivation contenue dans les actes litigieux ne répond pas aux exigences fixées à l’article 296 TFUE. À titre subsidiaire, il soulève un moyen pris de l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal en ignorant, dans le cadre de son appréciation du respect, en l’espèce, de l’obligation de motivation, le contexte, bien connu de Mme Bamba, de l’adoption des actes litigieux.

 Sur la recevabilité

38      Mme Bamba soutient que les deux moyens du pourvoi sont irrecevables au motif qu’ils sont fondés sur des arguments factuels nouveaux. Elle fait valoir que, sous le couvert de ces deux moyens, tirés d’erreurs de droit, le présent pourvoi a, en réalité, été «instrumentalisé» par le Conseil pour livrer à la Cour des éléments de fait, fondés sur des articles de presse, qui n’ont été préalablement soumis ni à elle ni au Tribunal, et qui, partant, n’ont jamais fait l’objet d’un débat contradictoire devant ce dernier.

39      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un pourvoi devant celle-ci est limité aux questions de droit.

40      La compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Partant, la Cour est uniquement compétente, dans le cadre d’une telle procédure, pour examiner si l’argumentation contenue dans le pourvoi identifie une erreur de droit dont serait entaché l’arrêt attaqué (voir, en ce sens, arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 35; du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil, C‑76/01 P, Rec. p. I‑10091, point 47, ainsi que du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, Rec. p. I‑833, point 49).

41      La question de la portée de l’obligation de motivation d’un acte adopté par une institution de l’Union constitue une question de droit qui est passible d’un contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêts du 20 novembre 1997, Commission/V, C‑188/96 P, Rec. p. I‑6561, point 24, ainsi que du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 453).

42      En l’espèce, il ressort sans équivoque du pourvoi que, à travers ses deux moyens, le Conseil dénonce, en substance, l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal au regard de l’article 296 TFUE en jugeant insuffisante la motivation contenue dans les actes litigieux en ce qui concerne l’inscription de Mme Bamba sur les listes figurant à l’annexe II de la décision 2010/656 et à l’annexe IA du règlement no 560/2005.

43      Il s’ensuit que les moyens de pourvoi sont recevables.

 Sur le fond

 Argumentation des parties

44      Dans le cadre du premier moyen, qu’il invoque à titre principal, le Conseil, soutenu par la République française, fait valoir que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 54 de l’arrêt attaqué, la motivation contenue dans les actes litigieux est suffisante.

45      D’une part, il affirme que les considérants 2, 4, 6 et 7 de la décision litigieuse ainsi que le considérant 4 du règlement litigieux comportent une description circonstanciée de la situation, particulièrement grave, en Côte d’Ivoire, qui a justifié les mesures prises à l’encontre des personnes mentionnées dans les listes annexées à ces actes.

46      D’autre part, le Conseil soutient que, contrairement à ce qui est affirmé au point 51 de l’arrêt attaqué, les indications figurant, en ce qui concerne Mme Bamba, dans les annexes des actes litigieux ne constituent pas des considérations vagues et générales, mais fournissent les raisons spécifiques et concrètes de son inscription sur les listes des personnes faisant l’objet de mesures restrictives. Il souligne que c’est, en effet, en raison de sa qualité de directrice du groupe de presse Cyclone, qui édite le journal Le temps, impliqué dans l’incitation publique à la haine et à la violence ainsi que dans la campagne de désinformation relative à l’élection présidentielle de la fin de l’année 2010, que Mme Bamba a fait l’objet de telles mesures. Il ajoute que le rôle joué par le journal Le temps dans les événements postérieurs aux élections en Côte d’Ivoire est de notoriété publique dans ce pays, de même qu’à l’étranger.

47      Soulignant que le Conseil ne lui a jamais communiqué d’autres éléments de motivation de l’adoption des actes litigieux que ceux énoncés dans lesdits actes et ceux contenus dans un article de presse produit à l’appui du mémoire en défense déposé devant le Tribunal, Mme Bamba soutient que l’évocation de sa fonction de directrice du groupe de presse Cyclone et du contexte politique de la Côte d’Ivoire au moment de l’adoption de ces actes procède de considérations vagues, imprécises et péremptoires, qui ne constituent pas une motivation suffisante pour lui permettre de comprendre les raisons de son inscription parmi les personnes visées par des mesures restrictives et d’en contester le bien-fondé, et pour permettre au Tribunal d’exercer son contrôle de légalité. Ce dernier aurait, par conséquent, conclu, à juste titre, à une insuffisance de motivation.

48      Mme Bamba ajoute que l’appréciation du caractère suffisant des motifs d’une inscription sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives ne peut être opérée qu’au regard des éléments retenus par l’institution concernée au moment de l’adoption de ces mesures. La solution contraire, qui autoriserait une motivation ex post consistant soit à mettre en avant des motifs inexistants à la date de l’adoption de l’acte litigieux, soit à invoquer des éléments préexistants qui ne seraient produits que postérieurement à cette adoption, devrait être écartée, au nom du respect des exigences fondamentales du droit à un procès équitable.

 Appréciation de la Cour

49      Selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêts du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C‑199/99 P, Rec. p. I‑11177, point 145; Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 462, ainsi que du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec. p. I‑8947, point 148).

50      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications des mesures prises et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt du 15 novembre 2012, Al‑Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al‑Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, point 138 et jurisprudence citée).

51      Ainsi que l’a souligné le Tribunal au point 40 de l’arrêt attaqué, dans la mesure où la personne concernée ne dispose pas d’un droit d’audition préalable à l’adoption d’une décision initiale de gel des fonds, le respect de l’obligation de motivation est d’autant plus important, puisqu’il constitue l’unique garantie permettant à l’intéressé, à tout le moins après l’adoption de cette décision, de se prévaloir utilement des voies de recours à sa disposition pour contester la légalité de ladite décision.

52      Partant, la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure de gel des fonds doit, ainsi que l’a indiqué, à juste titre, le Tribunal au point 47 de l’arrêt attaqué, identifier les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure.

53      Cependant, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, notamment, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63; Elf Aquitaine/Commission, précité, point 150, ainsi que Al‑Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al‑Aqsa, précité, points 139 et 140).

54      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêts du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C‑301/96, Rec. p. I‑9919, point 89, ainsi que du 22 juin 2004, Portugal/Commission, C‑42/01, Rec. p. I‑6079, points 69 et 70).

55      En l’espèce, il convient de relever, d’une part, que, aux considérants 2 à 6 de la décision litigieuse ainsi qu’aux considérants 1 et 4 du règlement litigieux, le Conseil expose le contexte général l’ayant conduit à étendre le champ d’application personnel des mesures restrictives instaurées à l’encontre de la République de Côte d’Ivoire. Il en ressort que ce contexte général, qui était nécessairement connu de Mme Bamba eu égard, en particulier, à sa position professionnelle et personnelle, tenait à la gravité de la situation dans ledit pays et à la menace concrète que faisaient peser sur la paix et la sécurité internationales les obstructions aux processus de paix et de réconciliation nationale, en particulier celles qui mettaient en péril le respect de la volonté exprimée souverainement par le peuple ivoirien, lors de l’élection des 31 octobre et 28 novembre 2010, de désigner M. Ouattara comme président.

56      D’autre part, s’agissant des motifs pour lesquels le Conseil a considéré que Mme Bamba devait faire l’objet de telles mesures restrictives, la motivation, reproduite au point 20 du présent arrêt, qui figure au point 6 du tableau A de l’annexe II de la décision 2010/656, telle que modifiée par la décision litigieuse, et au point 6 de l’annexe IA du règlement no 560/2005, tel que modifié par le règlement litigieux, identifie les éléments spécifiques et concrets, en termes de fonction exercée à titre professionnel, de groupe d’édition, de journal et de types d’actes et de campagnes de presse visés, qui traduisent, pour le Conseil, une implication de l’intéressée dans l’obstruction au processus de paix et de réconciliation en Côte d’Ivoire.

57      Contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, la lecture de cette motivation permet de comprendre que le Conseil tire la raison spécifique et concrète l’ayant conduit à adopter des mesures restrictives à l’encontre de Mme Bamba de la prétendue responsabilité de cette dernière, au titre de sa fonction alléguée de directrice du groupe d’édition du journal Le temps, pour des actes d’incitation publique à la haine et à la violence ainsi que des campagnes de désinformation en rapport avec l’élection présidentielle de 2010 qui auraient été véhiculés par ce journal.

58      Ainsi que l’a fait valoir le Conseil, Mme Bamba ne pouvait raisonnablement ignorer que, en faisant allusion, dans les actes litigieux, à la fonction de directrice du groupe d’édition du journal Le temps exercée par l’intéressée, cette institution entendait mettre en exergue le pouvoir d’influence et la responsabilité qui sont supposés résulter d’une telle fonction en ce qui concerne la ligne éditoriale de ce journal et le contenu des campagnes de presse prétendument menées par celui-ci durant la crise postélectorale ivoirienne.

59      Par ces indications, Mme Bamba a ainsi été mise en mesure de contester utilement le bien-fondé des actes litigieux. Au vu de celles-ci, il lui eût été loisible, le cas échéant, de contester la réalité des faits mentionnés dans les actes litigieux, notamment, en niant sa qualité de directrice du groupe d’édition du journal Le temps ou l’existence de telles campagnes ou en réfutant sa responsabilité en rapport avec celles-ci, ou de contester la pertinence de tout ou partie de ces faits ou leur qualification d’obstructions au processus de paix et de réconciliation en Côte d’Ivoire susceptibles de justifier l’application de mesures restrictives à son encontre.

60      Il importe, en outre, de souligner que la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte ainsi que la qualification de ces faits comme constituant des éléments justifiant l’application de mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C‑66/02, Rec. p. I‑10901, point 26, et du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, Rec. p. I‑11381, point 88).

61      Ainsi, en l’espèce, le contrôle du respect de l’obligation de motivation, qui vise à vérifier si les indications fournies par le Conseil dans les actes litigieux étaient suffisantes pour permettre de connaître les éléments ayant conduit ce dernier à imposer des mesures restrictives à l’égard de Mme Bamba, doit être distingué de l’examen du bien-fondé de la motivation, qui consisterait, le cas échéant, à vérifier si les éléments invoqués par le Conseil sont établis et s’ils sont de nature à justifier l’adoption de ces mesures.

62      Quant à l’argument de Mme Bamba selon lequel les mesures restrictives prises à son encontre ne sauraient faire l’objet d’une motivation a posteriori, il suffit de relever que la documentation présentée par le Conseil, en annexe de son pourvoi, a pour but non pas de motiver ex post les actes litigieux, mais de montrer que, eu égard au contexte dans lequel l’adoption de ces actes s’est inscrite, la motivation de ceux-ci était suffisante.

63      Il ressort des considérations qui précèdent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 54 et 56 de l’arrêt attaqué, que la motivation des actes litigieux n’était pas suffisante pour permettre à Mme Bamba d’en contester la validité et à lui-même d’exercer son contrôle de leur légalité.

64      Par conséquent, le moyen invoqué à titre principal par le Conseil est fondé et, sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen présenté à titre subsidiaire par ce dernier, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur le recours devant le Tribunal

65      Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour, celle-ci peut, en cas d’annulation de l’arrêt attaqué, statuer définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

66      En l’espèce, la Cour estime que le recours tendant à l’annulation des actes litigieux, introduit par Mme Bamba en première instance, est en état d’être jugé et qu’il convient, dès lors, de statuer définitivement sur celui-ci.

67      Dans ce recours, Mme Bamba a invoqué deux moyens. Le premier est tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif. Il comporte trois branches, tirées, respectivement, de l’absence de procédure qui permette à Mme Bamba d’être entendue et de solliciter utilement son retrait des listes en cause, de l’absence de communication d’une motivation circonstanciée de son inscription sur ces listes et de l’absence de notification à l’intéressée des voies et des délais de recours à l’encontre de cette inscription. Le second moyen est pris d’une atteinte manifeste au droit de propriété.

 Sur le premier moyen

 Sur la première branche du premier moyen

68      Mme Bamba allègue que le règlement litigieux ne prévoit aucune procédure permettant de lui garantir un exercice effectif des droits de la défense. Ledit règlement ne prévoirait, en effet, ni le droit de l’intéressée à être entendue ni une procédure lui permettant de solliciter utilement son retrait de la liste, annexée à ce règlement, des personnes faisant l’objet des mesures restrictives en cause.

69      En premier lieu, Mme Bamba fait valoir que le règlement litigieux ne précise pas les modalités selon lesquelles le Conseil est amené à maintenir ou à modifier sa décision d’inscrire une personne sur la liste de celles qui font l’objet de mesures restrictives. Elle relève à cet égard, d’une part, que la révision prévue à l’article 11 bis, paragraphe 4, du règlement n 560/2005, inséré dans ce dernier par le règlement litigieux, ne s’accompagne d’aucune exigence de motivation et n’est encadrée par aucun délai, de sorte que le Conseil peut se borner à répondre de manière lapidaire à une demande de retrait, voire ne pas répondre à celle-ci. Elle souligne, d’autre part, que le réexamen périodique prévu à l’article 11 bis, paragraphe 6, du règlement no 560/2005 n’est pas assorti d’une obligation pour le Conseil de communiquer sa nouvelle décision aux intéressés et de les inviter, en conséquence, à présenter de nouvelles observations.

70      À cet égard, il convient de relever que l’article 11 bis, paragraphe 4, du règlement no 560/2005, inséré dans ce dernier par l’article 1er, point 7, du règlement litigieux, prévoit que le Conseil revoit sa décision d’appliquer à une personne les mesures restrictives en cause et en informe l’intéressée si des observations sont formulées ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés. L’avis publié le 18 janvier 2011 indique également la possibilité pour les personnes concernées, telles que Mme Bamba, d’adresser une demande de réexamen de la décision par laquelle elles ont été inscrites sur la liste en cause, en y joignant les pièces justificatives.

71      En outre, aux termes de l’article 11 bis, paragraphe 6, du règlement no 560/2005, également inséré dans ce dernier par l’article 1er, point 7, du règlement litigieux, «la liste de l’annexe IA est examinée à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.»

72      S’agissant des arguments de Mme Bamba tirés des prétendues lacunes de ces procédures de révision et de réexamen périodique, il y a lieu de souligner que le présent recours a été dirigé par Mme Bamba contre les actes litigieux en ce que ceux-ci l’ont, pour la première fois, inscrite sur les listes, figurant à l’annexe II de la décision 2010/656 et à l’annexe IA du règlement no 560/2005, des personnes visées par une mesure de gel des fonds. Ainsi que l’a fait observer le Conseil, le cas d’espèce n’a donc trait ni à un refus de ce dernier de revoir sa décision initiale d’appliquer des mesures restrictives à l’égard de Mme Bamba ni à une décision de cette institution de maintenir l’intéressée sur lesdites listes après réexamen. Ces arguments sont donc dénués de pertinence.

73      En second lieu, Mme Bamba soutient que le règlement litigieux ne prévoit à aucun moment, que ce soit lors de l’inscription initiale ou au stade du réexamen, que les intéressés puissent être entendus sur les mesures prises à leur encontre.

74      À cet égard, il convient de rappeler que, afin d’atteindre l’objectif poursuivi par les actes litigieux, les mesures restrictives en cause doivent, par leur nature même, bénéficier d’un effet de surprise. Pour cette raison, le Conseil n’était pas tenu de procéder à une audition de Mme Bamba préalablement à l’inclusion initiale de son nom dans les listes en cause (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, points 340 et 341, ainsi que du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, Rec. p. I‑13427, point 61).

75      Par ailleurs, en tant qu’il vise la procédure de réexamen, l’argument de Mme Bamba tiré de son droit à être entendue est dénué de pertinence pour des motifs identiques à ceux exposés au point 72 du présent arrêt.

76      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter la première branche du premier moyen.

 Sur la deuxième branche du premier moyen

77      Mme Bamba fait valoir que les actes litigieux ne prévoient pas la communication d’une motivation circonstanciée de son inscription sur les listes des personnes faisant l’objet des mesures restrictives en cause.

78      Toutefois, il ressort des considérations exposées aux points 55 à 59 du présent arrêt que les actes litigieux contiennent une motivation suffisante de l’inscription de Mme Bamba sur les listes, annexées auxdits actes, des personnes faisant l’objet des mesures restrictives en cause. La deuxième branche du premier moyen doit, en conséquence, être rejetée.

 Sur la troisième branche du premier moyen

79      Mme Bamba soutient que les actes litigieux ne prévoient pas la notification à la personne intéressée des voies et des délais de recours contre la décision d’inscription sur les listes en cause ni ne contiennent d’informations à cet égard. Lesdits actes mettraient à la charge de la personne concernée l’obligation de se renseigner sur ces points, ce qui serait contraire à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

80      À cet égard, il convient de relever que, dans l’avis publié le 18 janvier 2011, le Conseil a fait état de la possibilité pour les personnes et les entités intéressées de contester sa décision «devant le Tribunal de l’Union européenne, dans les conditions prévues à l’article 275, deuxième alinéa, [TFUE] et à l’article 263, quatrième et sixième alinéas, [TFUE]».

81      Cette indication, conjuguée aux précisions contenues à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, était de nature à permettre à Mme Bamba d’identifier la voie de recours dont elle disposait pour contester son inscription sur les listes en cause ainsi que la date d’expiration du délai de recours, ce que confirme, du reste, le fait qu’elle a introduit son recours dans le délai imparti par cette disposition.

82      La troisième branche du premier moyen doit, par conséquent, être rejetée.

83      Il convient, par suite, de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen

84      Tout en affirmant ne pas contester l’objectif poursuivi par les actes litigieux, Mme Bamba soutient que ceux-ci portent une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, étant donné qu’il lui est impossible d’exposer utilement sa cause aux autorités compétentes. Lesdits actes prévoiraient un gel total de ses fonds sans pour autant prévoir de véritables garanties procédurales qui lui permettent de contester cette mesure.

85      À cet égard, il ressort de la référence faite, dans ce second moyen, aux points 368 à 371 de l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, dans lesquels la Cour a conclu à une restriction injustifiée du droit de propriété de l’intéressé au motif que l’adoption de mesures restrictives à son encontre était intervenue sans que lui soient fournies de garanties procédurales lui permettant d’exposer sa cause aux autorités compétentes, que Mme Bamba prétend déduire l’existence d’une atteinte à son droit de propriété d’une prétendue absence de telles garanties en l’espèce.

86      Or, ainsi qu’il ressort de l’examen des différentes branches du premier moyen, le Conseil, qui n’avait pas à entendre Mme Bamba avant l’adoption des actes litigieux, lui a fourni, dans ceux-ci, une motivation suffisante pour lui permettre de contester utilement, devant le juge de l’Union, le bien-fondé des mesures restrictives dont elle avait fait l’objet. La présente affaire se distingue ainsi de celle ayant donné lieu à l’arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité.

87      S’agissant du droit éventuel d’accéder au dossier du Conseil relatif aux mesures restrictives prises à l’encontre de Mme Bamba, il suffit, en l’espèce, de relever que l’intéressée ne prétend pas avoir sollicité un tel accès de l’institution concernée (voir, en ce sens, arrêt Bank Melli Iran/Conseil, précité, point 92).

88      Il convient, en outre, de souligner que tant la décision 2010/656 que le règlement no 560/2005 prévoient le réexamen périodique des listes des personnes faisant l’objet des mesures restrictives en cause. Au terme d’un tel réexamen, le Conseil a estimé, dans la décision d’exécution 2012/144/PESC, du 8 mars 2012, mettant en œuvre la décision 2010/656 (JO L 71, p. 50), et dans le règlement d’exécution (UE) no 193/2012, du 8 mars 2012, mettant en œuvre le règlement no 560/2005 (JO L 71, p. 5), qu’il n’existait plus de motif pour maintenir Mme Bamba sur ces listes.

89      Il s’ensuit que le second moyen doit être rejeté.

90      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter, dans son ensemble, le recours formé par Mme Bamba.

 Sur les dépens

91      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 140, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

92      Le pourvoi du Conseil étant accueilli et le recours de Mme Bamba contre les actes litigieux étant rejeté, il y a lieu, conformément aux conclusions du Conseil, de condamner Mme Bamba à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par le Conseil à l’occasion du présent pourvoi ainsi qu’en première instance.

93      La République française et la Commission, parties intervenantes, respectivement, devant la Cour et devant le Tribunal, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 juin 2011, Bamba/Conseil (T‑86/11), est annulé.

2)      Le recours de Mme Bamba est rejeté.

3)      Mme Bamba est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par le Conseil de l’Union européenne à l’occasion du présent pourvoi ainsi qu’en première instance.

4)      La République française et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.