Language of document : ECLI:EU:T:2014:233

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

10 avril 2014(*)

« Procédure – Taxation des dépens – Concentration – Partie intervenante – Précision des informations fournies »

Dans l’affaire T‑279/04 DEP,

Éditions Odile Jacob SAS, établie à Paris (France), représentée par Mes O. Fréget, L. Eskenazi et D. Béranger, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne,

partie défenderesse,

soutenue par

Lagardère SCA, établie à Paris, représentée par Mes A. Winckler, F. de Bure et J.-B. Pinçon, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande de taxation des dépens à la suite de l’arrêt du Tribunal du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission (T‑279/04, non publié au Recueil),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Gervasoni (rapporteur) et L. Madise, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits, procédure et conclusions des parties

1        Le 25 septembre 2002, Vivendi Universal SA (ci-après « VU ») a décidé de céder les actifs d’édition détenus en Europe par sa filiale Vivendi Universal Publishing (ci-après « VUP »). L’intervenante, Lagardère SCA, s’est portée candidate à l’acquisition de ces actifs, constitués de participations et d’actifs de direction de VUP (ci-après les « actifs cibles »).

2        Le calendrier de cession établi par VU n’étant pas compatible avec l’échéancier des formalités nécessaires à l’autorisation préalable de ce projet de rachat par les autorités de concurrence compétentes, Lagardère a demandé à Natexis Banques Populaires SA de se substituer à elle, par l’intermédiaire d’une de ses filiales, créée en vue de l’acquisition des actifs cibles auprès de VUP, de leur détention à titre provisoire, puis, une fois obtenue l’autorisation du projet de rachat des actifs cibles par Lagardère, de leur revente à celle-ci.

3        Le 3 décembre 2002, Natexis Banques Populaires a conclu avec Lagardère un accord de vente ferme, permettant à Lagardère, après autorisation de l’opération par la Commission des Communautés européennes, de devenir propriétaire de la totalité du capital de la société détenant les actifs cibles.

4        Le 14 avril 2003, Lagardère a procédé à la notification auprès de la Commission de son projet de rachat des actifs cibles, en application de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 du Conseil du, 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1). Par décision du 5 juin 2003, constatant que le projet de concentration notifié soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun, la Commission a engagé le contrôle approfondi de cette opération, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064/89.

5        Le 27 octobre 2003, la Commission a adressé à Lagardère une communication des griefs lui exposant les problèmes de concurrence soulevés par l’opération de concentration notifiée. En conséquence, Lagardère a présenté à la Commission, le 2 décembre 2003, une proposition comportant une série de mesures correctives prenant la forme d’engagements de rétrocession d’actifs cibles.

6        Par sa décision 2004/422/CE, du 7 janvier 2004, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen (affaire COMP/M.2978 – Lagardère/Natexis/VUP) (JO L 125, p. 54, ci-après la « décision d’autorisation conditionnelle de concentration »), la Commission a autorisé le projet de rachat par Lagardère auprès de VU de sa division « Éditions » pour l’Europe, VUP.

7        Cette autorisation était assortie de conditions destinées à assurer que Lagardère respecte les engagements, définis par la décision d’autorisation conditionnelle de concentration, qu’elle avait pris à l’égard de la Commission en vue de rendre la concentration compatible avec le marché commun. Au nombre de ces engagements figurait la cession d’une part significative des actifs de VUP (devenue ultérieurement Editis) à un ou plusieurs repreneurs indépendants de Lagardère.

8        Le 28 mai 2004, Lagardère est parvenue avec Wendel Investissement SA à un projet d’accord de rachat des actifs d’Editis. Par sa décision (2004) D/203365, du 30 juillet 2004, relative à l’agrément de Wendel Investissement comme acquéreur des actifs cédés conformément à la décision 2004/422 (ci-après la « décision d’agrément »), la Commission a agréé Wendel Investissement comme acquéreur des actifs d’Editis objet de la cession.

9        Le 8 juillet 2004, la requérante, les Éditions Odile Jacob SAS, a introduit un recours en annulation devant le Tribunal contre la décision d’autorisation conditionnelle de concentration (affaire T‑279/04).

10      Le 8 novembre 2004, les Éditions Odile Jacob ont formé un recours en annulation devant le Tribunal contre la décision d’agrément (affaire T‑452/04).

11      Par lettre du 27 janvier 2005, les Éditions Odile Jacob ont demandé à la Commission, en application du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), à avoir accès à plusieurs documents ayant conduit à l’adoption de la décision d’autorisation conditionnelle de concentration ainsi qu’à la décision d’agrément.

12      Le 15 février 2005, la Commission a transmis certains documents aux Éditions Odile Jacob et les a informées que les autres documents demandés ne pouvaient leur être communiqués, parce qu’ils étaient couverts par les exceptions définies à l’article 4, paragraphe 2, premier à troisième tirets, et à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement n° 1049/2001 et qu’aucun intérêt public supérieur ne justifiait leur divulgation.

13      Par sa décision D (2005) 3286, du 7 avril 2005, rejetant partiellement une demande de la requérante visant à obtenir l’accès à certains documents concernant une procédure relative à une opération de concentration d’entreprises (Affaire COMP/M.2978 – Lagardère/Natexis/VUP) (ci-après la « décision de refus de divulgation »), la Commission a confirmé son refus de divulgation du 15 février 2005. Le 17 juin 2005, les Éditions Odile Jacob ont introduit un recours tendant à l’annulation de cette décision (affaire T‑237/05).

14      Par arrêt du 9 juin 2010, le Tribunal (sixième chambre) a annulé partiellement la décision de refus de divulgation (affaire T‑237/05). Par un pourvoi introduit le 10 août 2010, la Commission, soutenue par Lagardère, a demandé l’annulation de cet arrêt du Tribunal en tant qu’il annulait partiellement la décision de refus de divulgation (affaire C‑404/10 P). Par un pourvoi incident, les Éditions Odile Jacob ont demandé l’annulation de cet arrêt, en tant qu’il rejetait partiellement leur demande tendant à l’annulation de la décision de refus de divulgation.

15      Par arrêt du 13 septembre 2010 rendu dans l’affaire T‑279/04, le Tribunal (sixième chambre) a rejeté le recours en annulation des Éditions Odile Jacob dirigé contre la décision d’autorisation conditionnelle de concentration et condamné les Éditions Odile Jacob à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission et par Lagardère.

16      Par arrêt du 13 septembre 2010 rendu dans l’affaire T‑452/04, le Tribunal (sixième chambre) a annulé la décision d’agrément.

17      Le 24 novembre 2010, Éditions Odile Jacob a formé un pourvoi devant la Cour de justice contre l’arrêt rejetant son recours en annulation de la décision d’autorisation conditionnelle de concentration (affaire C‑551/10 P). Le même jour, la Commission et Lagardère ont introduit un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal annulant la décision d’agrément (affaires C‑553/10 P et C‑554/10 P).

18      Par arrêt du 28 juin 2012, la Cour a accueilli partiellement le pourvoi de la Commission et a rejeté le pourvoi incident des Éditions Odile Jacob dans l’affaire relative au refus de divulgation (affaire C‑404/10 P).

19      Par arrêts du 6 novembre 2012, la Cour a rejeté les pourvois introduits par la Commission et Lagardère dans les affaires C‑553/10 P et C‑554/10 P, relatives à la décision d’agrément, et a rejeté le pourvoi introduit par les Éditions Odile Jacob dans l’affaire C‑551/10 P, relative à la décision d’autorisation conditionnelle de concentration.

20      Le 17 janvier 2013, Lagardère a adressé aux Éditions Odile Jacob un courrier sollicitant le paiement des dépens relatifs aux affaires T‑279/04, C‑551/10 P, T‑237/05 et C‑404/10 P, pour un montant global de 504 272 euros.

21      Par courrier du 15 février 2013, les Éditions Odile Jacob ont refusé de régler la somme demandée par Lagardère.

22      Par requête déposée au greffe le 27 mai 2013, Lagardère a formé une demande de taxation des dépens relatifs à l’affaire T‑279/04, en application de l’article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

23      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 26 août 2013, les Éditions Odile Jacob ont présenté leurs observations sur cette demande.

24      Lagardère conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        fixer à 134 388,50 euros le montant des dépens à rembourser par les Éditions Odile Jacob ;

–        mettre les dépens afférents à la présente demande de taxation, à hauteur de 20 000 euros, à la charge des Éditions Odile Jacob.

25      Les Éditions Odile Jacob concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        fixer le montant des dépens récupérables réclamés par Lagardère dans l’affaire T‑279/04, y compris les débours et les dépens liés à la présente procédure, à une somme maximale de 19 000 euros ;

–        condamner Lagardère au paiement de 2 500 euros au titre des dépens de la présente procédure ou déduire cette somme du montant total des dépens qu’elle doit rembourser à Lagardère.

26      Lagardère a également saisi la Cour de deux demandes de taxation des dépens dans l’affaire C‑551/10 P et dans les affaires T‑237/05 et C‑404/10 P. Par ordonnances du 28 novembre 2013, la Cour a fixé le montant des dépens que les Éditions Odile Jacob doivent rembourser à Lagardère à 95 000 euros pour l’affaire C‑551/10 P et à 267 000 euros pour les affaires T‑237/05 et C‑404/10 P.

27      Les Éditions Odile Jacob ont par ailleurs saisi la Cour d’une demande de taxation des dépens dans les affaires C‑553/10 P et C‑554/10 P. Par ordonnance du 30 janvier 2014, la Cour a fixé le montant des dépens que la Commission et Lagardère doivent rembourser à parts égales aux Éditions Odile Jacob à 127 500 euros (affaires C‑553/10 P‑DEP et C‑554/10 P‑DEP).

28      Les Éditions Odile Jacob ont également saisi le Tribunal d’une demande de taxation des dépens dans l’affaire T‑452/04, par laquelle elles sollicitent le versement par la Commission et Lagardère d’un montant de 96 877,50 euros (affaire T‑452/04 DEP).

 En droit

 Arguments des parties

29      Lagardère  fait valoir que ses dépens récupérables s’élèvent à un montant total de 134 388,50 euros, qui correspond aux honoraires d’avocats, d’un montant de 129 846,50 euros, ainsi qu’aux débours indispensables à la procédure, d’un montant de 4 542 euros. Les dépens relatifs à la présente procédure de taxation devraient en outre être mis à la charge des Éditions Odile Jacob à hauteur de 20 000 euros.

30      S’agissant des honoraires d’avocats, Lagardère considère que les 348,63 heures de travail supportées au titre des dépens sont pleinement justifiées au regard des critères fixés par la jurisprudence. Elle souligne que l’objet et la nature de la procédure étaient extrêmement importants pour elle, puisque le recours portait sur la légalité d’une décision portant sur une opération de concentration d’un montant de 1,25 milliard d’euros impliquant les principaux acteurs de l’édition francophone et que son intervention dans le litige était indispensable à la défense de ses intérêts. En outre, la décision d’autorisation conditionnelle de concentration, qui reposait sur une convention de portage inédite, aurait posé des questions complexes. Les honoraires relativement élevés de ses avocats s’expliqueraient ainsi par la difficulté et la nouveauté des questions juridiques et économiques soulevées par l’affaire ainsi que par le caractère volumineux du dossier administratif et de la décision d’autorisation conditionnelle de concentration. Lagardère estime par ailleurs que la requête des Éditions Odile Jacob était particulièrement longue et reposait sur neuf moyens volontairement présentés de manière complexe. Enfin, Lagardère estime avoir développé des arguments nouveaux au soutien de la défense de la Commission et avoir contribué à clarifier les problèmes posés par le litige.

31      S’agissant des débours, Lagardère soutient que les frais de déplacement et de séjour occasionnés par l’audience du Tribunal du 28 janvier 2010 pour un montant de 1 495 euros et les frais généraux (reprographie et envois postaux) d’un montant de 3 047 euros constituent des frais indispensables aux fins de la procédure.

32      Les Éditions Odile Jacob soutiennent que la demande de Lagardère n’est accompagnée d’aucun descriptif sérieux et est excessive dans son montant. Elles considèrent que les honoraires d’avocat de Lagardère ne sauraient dépasser 18 000 euros, que ses débours devraient être fixés à 500 euros et que les dépens de la présente procédure de taxation des dépens ne sauraient dépasser 500 euros.

33      En premier lieu, elles estiment que certains dépens auxquels prétend Lagardère ne coïncident pas chronologiquement avec les principaux actes de la procédure contentieuse, que d’autres dépens ne sont pas directement liés aux actes de procédure, que la rubrique « Autres » figurant sur les factures du cabinet d’avocats de Lagardère n’est pas suffisamment précise et que les honoraires des conseils au Luxembourg ne figurent sur aucune facture.

34      En deuxième lieu, les Éditions Odile Jacob font valoir que le montant des honoraires demandé par Lagardère, qui a varié entre la première réclamation et la requête, n’est pas justifié, en raison de sa qualité, non de partie principale, mais de partie intervenante au litige. Les Éditions Odile Jacob soulignent notamment que les questions juridiques soulevées par l’affaire n’étaient pas inédites, que Lagardère était à l’origine des aspects complexes de l’affaire, notamment du mécanisme de portage, et que ces complexités relevaient surtout de la procédure administrative antérieure au litige, au cours de laquelle Lagardère avait les mêmes avocats que devant le Tribunal, lesquels avaient donc déjà connaissance des aspects factuels et juridiques de l’affaire. Les Éditions Odile Jacob rappellent, en outre, que le nombre de pages des mémoires produits par Lagardère dans cette affaire s’élevait à un total de 18. Elles estiment que, dans un souci d’équité, il convient également de comparer ce travail à celui effectué par leurs propres conseils dans l’affaire T‑452/04 pour un montant nettement inférieur et de mettre en balance les chiffres d’affaires respectifs des Éditions Odile Jacob et de Lagardère. Le montant total de l’opération de concentration ne serait pas, en revanche, un élément pertinent pour le calcul des dépens. Enfin, Lagardère n’aurait pas apporté suffisamment de détails quant au montant des honoraires de ses conseils, dont le taux horaire, qui s’élève à 371,39 heures, apparaîtrait comme très élevé. En outre, Lagardère ne préciserait pas si ce montant est net de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

35      En troisième lieu, s’agissant des débours, les Éditions Odile Jacob estiment que Lagardère n’a fourni aucun justificatif à leur appui et que ceux-ci ne sauraient, dès lors, dépasser un montant forfaitaire de 500 euros.

36      En quatrième lieu, en ce qui concerne les dépens de la présente procédure, les Éditions Odile Jacob considèrent que les dépens de Lagardère ne devraient pas dépasser 500 euros et que leurs propres dépens devraient, en revanche, être fixés à 2500 euros en raison du caractère confus et imprécis de la demande de Lagardère.

 Appréciation du Tribunal

37      Aux termes de l’article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure :

« S’il y a contestation sur les dépens récupérables, le Tribunal statue par voie d’ordonnance non susceptible de recours à la demande de la partie intéressée, l’autre partie entendue en ses observations. »

38      Aux termes de l’article 91, sous b), du règlement de procédure, sont considérés comme dépens récupérables « les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, conseil ou avocat ». Il découle de cette disposition que les dépens récupérables sont limités, d’une part, à ceux exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal et, d’autre part, à ceux qui ont été indispensables à ces fins (voir ordonnance du Tribunal du 28 juin 2004, Airtours/Commission, T‑342/99 DEP, Rec. p. I ‑1785, point 13, et la jurisprudence citée).

39      Même si un travail juridique substantiel est généralement accompli avant la phase juridictionnelle, par « procédure », l’article 91, sous b), du règlement de procédure ne vise que la procédure devant le Tribunal, à l’exclusion de la phase précédant celle-ci. Cela résulte notamment de l’article 90 du même règlement, qui évoque la « procédure devant le Tribunal » (ordonnance du Tribunal du 24 janvier 2002, Groupe Origny/Commission, T‑38/95 DEP, Rec. p. II‑217, point 29). Doit également être écartée la récupération des dépens se rapportant aux périodes pendant lesquelles aucun acte de procédure n’a été adopté par le Tribunal, de tels dépens ne pouvant apparaître directement liés aux interventions de l’avocat devant le Tribunal (ordonnance du Tribunal du 21 décembre 2010, Le Levant 015 e.a./Commission, T‑34/02 DEP, Rec. p. II‑6375, points 33 et 34). Doit de même être refusée la récupération des dépens se rapportant à la période postérieure à la procédure orale lorsqu’aucun acte de procédure n’a été adopté après l’audience (ordonnance Groupe Origny/Commission, précité, point 31). Il convient notamment de rappeler, à cet égard, que les heures consacrées à l’examen de l’arrêt du Tribunal ainsi qu’à la discussion avec le client au sujet de celui-ci ne sont pas considérées comme des frais indispensables exposés aux fins de la procédure (voir, par analogie, ordonnance de la Cour du 4 juillet 2013, Kronofrance/Allemagne e.a., C‑75/05 P‑DEP, non encore publiée au Recueil, point 44).

40      S’agissant des dépens relatifs à la procédure devant le Tribunal, d’une part, il ressort d’une jurisprudence constante que, à défaut de dispositions de l’Union européenne de nature tarifaire, le Tribunal doit apprécier librement les données de la cause, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit de l’Union ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu causer aux agents ou conseils intervenus et des intérêts économiques que le litige a représenté pour les parties. À cet égard, la possibilité pour le juge de l’Union d’apprécier la valeur du travail effectué dépend de la précision des informations fournies. D’autre part, le juge de l’Union n’est pas habilité à taxer les honoraires dus par les parties à leurs propres avocats, mais à déterminer le montant à concurrence duquel ces rémunérations peuvent être récupérées auprès de la partie condamnée aux dépens. En statuant sur la demande de taxation des dépens, le Tribunal n’a pas à prendre en considération un tarif national fixant les honoraires des avocats, ni un éventuel accord conclu à cet égard entre la partie intéressée et ses agents ou conseils (voir ordonnances du Tribunal du 10 janvier 2002, Starway/Conseil, T‑80/97 DEP, Rec. p. II‑1, points 26 et 27, et du 18 mars 2005, Sony Computer Entertainment Europe/Commission, T‑243/01 DEP, Rec. p. II‑1107, points 22 et 23, et la jurisprudence citée).

41      En outre, il y a lieu de rappeler qu’il appartient au juge de l’Union de tenir compte principalement du nombre total d’heures de travail pouvant apparaître comme objectivement indispensables aux fins de la procédure devant le Tribunal, indépendamment du nombre d’avocats entre lesquels les prestations effectuées ont pu être réparties (ordonnance Airtours/Commission, point 38 supra, point 30 ; voir également, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 30 octobre 1998, Kaysersberg/Commission, T‑290/94 DEP, Rec. p. II‑4105, point 20, et du 15 mars 2000, Enso-Gutzeit/Commission, T‑337/94 DEP, Rec. p. II‑479, point 20).

42      C’est en fonction de ces critères qu’il convient d’évaluer le montant des dépens récupérables en l’espèce.

 Sur l’objet, la nature et l’importance du litige pour le droit de l’Union et sur les difficultés de la cause

43      Il y a lieu de relever que l’affaire principale présentait, quant à son objet et à sa nature, un degré important de complexité factuelle et juridique, notamment en ce qu’elle posait, à travers les quatre premiers moyens soulevés par les Éditions Odile Jacob, les questions inédites et délicates de savoir si un montage contractuel permettant l’acquisition préalable des actifs cibles par un acheteur temporaire constituait une opération de concentration au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 4064/89 et quelles devaient être les conséquences de cette qualification sur l’appréciation de la légalité de l’opération de concentration. De plus, deux autres moyens posaient des questions inédites relatives à la violation du délai de notification des opérations de concentration ainsi qu’au caractère excessif de la procédure de contrôle.

44      Les trois autres moyens soulevés par les Éditions Odile Jacob avaient trait à la décision d’autorisation conditionnelle de concentration en elle-même et concernaient des questions juridiques plus usuelles en droit des concentrations, nécessitant de faire application, au cas d’espèce, de règles de droit de l’Union déjà interprétées par la jurisprudence. Ces moyens portaient sur le caractère insuffisant de la motivation de la décision d’autorisation conditionnelle de concentration, sur des erreurs manifestes d’appréciation commises par la Commission dans son évaluation de la puissance économique des parties à la concentration et, enfin, sur des erreurs manifestes commises par la Commission dans son appréciation des engagements pris par Lagardère.

45      Il y a donc lieu de considérer que le litige présentait, dans son ensemble, des difficultés importantes du point de vue du droit de l’Union.

 Sur l’intérêt économique du litige pour les parties

46      Ainsi que l’a relevé Lagardère, le recours formé par les Éditions Odile Jacob portait sur la légalité d’une décision portant sur une opération de concentration d’un montant de 1,25 milliard d’euros. L’intervention de Lagardère dans le litige était indispensable à la défense de ses intérêts économiques. L’importance économique considérable de l’affaire pour les parties ne saurait donc être contestée.

 Sur l’ampleur de la charge de travail nécessitée par le litige

47      En premier lieu, il convient de tenir compte de ce que, en règle générale, la tâche procédurale d’une partie intervenante est sensiblement facilitée par le travail de la partie principale au soutien de laquelle elle est intervenue. Une intervention étant, par nature, subordonnée à l’action principale, elle ne saurait, dès lors, présenter autant de difficultés que celle-ci, sauf dans des cas exceptionnels (voir ordonnance du Tribunal du 8 novembre 2001, Kish Glass/Commission, T‑65/96 DEP, Rec. p. II‑3261, point 20, et la jurisprudence citée).

48      En l’espèce, il ne ressort pas du dossier que l’affaire en cause constituait un cas exceptionnel à cet égard. En effet, dans son mémoire en intervention, qui comportait 17 pages, Lagardère a elle-même indiqué qu’elle se limitait à compléter les arguments de la Commission. La seule circonstance selon laquelle Lagardère aurait développé des arguments nouveaux de nature à éclairer le juge sur les réelles motivations des Éditions Odile Jacob ne saurait constituer un cas exceptionnel au sens de la jurisprudence citée au point 47 ci-dessus. En effet, lesdits arguments nouveaux présentés par Lagardère dans son mémoire en intervention concernaient essentiellement la question de savoir si le recours des Éditions Odile Jacob devait être rejeté dans son ensemble comme irrecevable, en ce qu’il serait contraire à l’adage non venire contra factum proprium, ces dernières ayant supposément développé des arguments contradictoires avec la position adoptée lors de la procédure administrative. Or, il importe de rappeler qu’une partie intervenante au litige n’a pas qualité pour soulever une fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité du recours (arrêt de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, Rec. p. I‑1125, points 20 à 22, et arrêts du Tribunal du 27 novembre 1997, Kaysersberg/Commission, T‑290/94, Rec. p. II‑2137, point 76, et du 13 avril 2011, Allemagne/Commission, T‑576/08, Rec. p. II‑1578, points 38 et 39).

49      Dès lors, il y a lieu de considérer que la charge principale pour défendre la cause n’a pas été supportée par Lagardère, mais par la Commission.

50      En deuxième lieu, il ressort des considérations exposées aux points 43 à 45 ci-dessus que la présente affaire soulevait des difficultés importantes du point de vue factuel et juridique. Il convient cependant de constater que, du fait de leur participation à l’ensemble de la procédure administrative, les avocats de Lagardère étaient déjà parfaitement familiarisés avec les aspects factuels et juridiques complexes du litige, ce qui a facilité leur travail de recherche, d’analyse et de rédaction et a réduit considérablement l’ampleur du travail qui leur a été objectivement nécessaire à cet égard (voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 13 janvier 2006, IPK-München/Commission, T‑331/94 DEP, Rec. p. II‑51, point 59, et du 12 décembre 2008, Endesa/Commission, T‑417/05 DEP, non publiée au Recueil, point 43). Ainsi que le relèvent les Éditions Odile Jacob, Lagardère était d’ailleurs elle-même à l’origine du mécanisme contractuel permettant l’acquisition préalable des actifs cibles par un acheteur temporaire, mécanisme qui constituait l’un des aspects juridiques délicats de l’affaire.

51      Par conséquent, il y a lieu de reconnaître que les difficultés de la cause n’exigeaient pas un travail dont l’ampleur excédait celle qui est normalement attribuée à une partie intervenante dans une affaire relevant du droit des concentrations.

 Sur le caractère objectivement indispensable du nombre total d’heures de travail effectuées et la rétribution horaire appropriée

–       Sur le degré de précision des informations fournies

52      Dans la présente procédure, Lagardère sollicite le remboursement d’honoraires d’avocats d’un montant fixé à 129 846,50 euros, correspondant à 348,63 heures de travail.

53      Parmi les documents fournis par Lagardère à l’appui de cette demande figurent, d’une part, des factures adressées par ses conseils pour l’ensemble des affaires T‑279/04, C‑551/10 P, T‑237/05 et C‑404/10 P et, d’autre part, un tableau relatif aux dépens propres à l’affaire T‑279/04. Lesdites factures ne font cependant aucune distinction entre les différentes procédures juridictionnelles concernées et ne comportent aucun détail quant aux différentes tâches effectuées, au nombre d’heures travaillées ou à l’identification des avocats. De même, ledit tableau, qui concerne uniquement l’affaire T‑279/04, ne précise ni la qualification ni le tarif horaire des 18 personnes ayant travaillé sur cette affaire, qui sont uniquement désignées par leurs initiales. Il énumère par ailleurs le type d’intervention facturé, leur date, leur durée et le nombre d’heures correspondant aux dépens récupérables. Certaines de ces interventions ne semblent cependant pas cohérentes au regard du déroulement de la procédure dans l’affaire T‑279/04. Ainsi, Lagardère ne saurait, par exemple, solliciter le remboursement de la rédaction d’une demande d’intervention en date du 29 mars 2005 alors même que ladite demande a été déposée au greffe du Tribunal le 28 juillet 2004. Par ailleurs, certaines interventions comportent la mention « Autres » sans aucune indication complémentaire. En outre, Lagardère n’a fourni aucun justificatif des honoraires de ses conseils au Luxembourg.

54      Enfin, ainsi que le soulignent les Éditions Odile Jacob, Lagardère n’a pas indiqué si les montants dont elle sollicite le remboursement incluent la TVA. Or, il est de jurisprudence constante qu’une société, en tant qu’entreprise commerciale, est assujettie à la TVA et que, en conséquence, elle est en droit de récupérer les montants acquittés au titre de cette taxe à l’occasion du paiement desdits honoraires, de sorte que ces montants ne doivent pas être pris en compte aux fins du calcul des dépens récupérables (ordonnances de la Cour du 12 septembre 2012, Klosterbrauerei Weissenohe/Torresan, C‑5/10 P‑DEP, non encore publiée au Recueil, point 30, et du 1er octobre 2013, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P‑DEP, non encore publiée au Recueil, point 24).

55      Il convient de rappeler que la possibilité pour le juge de l’Union d’apprécier la valeur du travail effectué dépend de la précision des informations fournies (voir ordonnance Airtours/Commission, point 38 supra, point 30, et la jurisprudence citée). En l’espèce, force est de constater que l’absence d’informations concernant les taux horaires, le défaut de précision de la nature et de la nécessité de certaines interventions, ainsi que le défaut de production de certains justificatifs, rendent particulièrement difficile la vérification précise des dépens exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal et de ceux qui ont été indispensables à ces fins et contraint le Tribunal à apprécier de manière nécessairement stricte les honoraires récupérables en l’espèce (voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 30 novembre 2004, Messina/Commission, T‑76/02 DEP, non publiée au Recueil, point 25, et du 13 février 2008, Verizon Business Global/Commisison, T‑310/00 DEP, non publiée au Recueil, point 53).

–       Sur la période pertinente

56      S’agissant de la période à laquelle se rapportent les dépens dont Lagardère a sollicité la récupération, il y a tout d’abord lieu de constater que, contrairement à ce que soutiennent les Éditions Odile Jacob, Lagardère n’a visé que des frais se rapportant à la période postérieure au 8 juillet 2004, date d’introduction du recours.

57      Il convient cependant de rejeter la demande de Lagardère pour autant qu’elle vise la récupération des dépens se rapportant à une période pendant laquelle aucun acte de procédure n’a été adopté. À cet égard, il convient de constater qu’aucun acte de procédure n’a été adopté, d’une part, entre le 30 septembre 2005, date de clôture de la procédure écrite, et le 19 juin 2007, date de la signification de l’ordonnance de confidentialité par laquelle le Tribunal a accordé à Lagardère l’accès à certains documents de la requête sans solliciter de sa part d’observations sur ces documents et, d’autre part, entre le 19 juin 2007 et le 30 novembre 2009, date à laquelle le Tribunal a envoyé des questions écrites aux parties.

58      Enfin, si Lagardère a également sollicité la récupération des dépens pour des frais relatifs à la période postérieure au 28 janvier 2010, date de l’audience, il importe de relever que les Éditions Odile Jacob ont formé une demande de suspension de la procédure le 21 juin 2010, sur laquelle Lagardère a présenté des observations le 2 août 2010. Aucun acte de procédure n’ayant ensuite été adopté par le Tribunal, il y a lieu d’écarter la demande de Lagardère pour autant qu’elle tend au remboursement par les Éditions Odile Jacob des dépens afférents à la procédure, d’une part, pendant la période comprise entre le 29 janvier 2010 et le 21 juin 2010 et, d’autre part, postérieurement au 2 août 2010.

–       Sur les honoraires d’avocats indispensables aux fins de la procédure

59      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède qu’il appartient au Tribunal d’apprécier le caractère objectivement indispensable des honoraires d’avocats dont Lagardère demande le remboursement au regard des caractéristiques particulières du litige, tel que décrites aux points 43 à 51 ci-dessus, et compte tenu des données fournies par Lagardère, telles que rappelées aux points 52 à 58 ci-dessus.

60      Dans ces circonstances, il sera fait une juste appréciation des honoraires d’avocats récupérables par Lagardère, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire jusqu’au prononcé de la présente ordonnance, en fixant leur montant à 38 000 euros.

 Sur les débours récupérables

61      S’agissant des débours, Lagardère soutient que les frais de déplacement et de séjour occasionnés par l’audience du Tribunal du 28 janvier 2010 pour un montant de 1 495 euros et les frais généraux (reprographie et envois postaux) d’un montant de 3 047 euros constituent des frais indispensables aux fins de la procédure.

62      Lagardère n’ayant cependant présenté aucun autre justificatif à l’appui de ces montants que les factures adressées par ses conseils pour l’ensemble des affaires T‑279/04, C‑551/10 P, T‑237/05 et C‑404/10 P, il sera fait une juste appréciation des débours récupérables en fixant leur montant à 1 000 euros.

 Sur les frais de la présente procédure

63      En ce qui concerne les dépens réclamés par Lagardère et les Éditions Odile Jacob pour la conduite de la présente procédure de taxation, il y a lieu de rappeler qu’à la différence de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, qui prévoit qu’il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance, une telle disposition ne figure pas à l’article 92 dudit règlement. La raison en est que le Tribunal, en fixant les dépens récupérables, tient compte de toutes les circonstances de l’affaire jusqu’au moment du prononcé de l’ordonnance de taxation des dépens. Il n’y a donc pas lieu de statuer séparément sur les frais exposés aux fins de la présente procédure (voir, en ce sens, ordonnance Verizon Business Global/Commission, point 55 supra, point 55).

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

ordonne :

Le montant total des dépens à rembourser par les Éditions Odile Jacob SAS à Lagardère SCA est fixé à la somme de 39 000 euros.

Fait à Luxembourg, le 10 avril 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. E. Martins Ribeiro


* Langue de procédure : le français.