Language of document : ECLI:EU:C:2009:720

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 19 novembre 2009 (1)

Affaires jointes C‑317/08 à C‑320/08

Rosalba Alassini e.a.

[demande de décision préjudicielle formée par le Giudice di pace di Ischia (Italie)]

«Litiges entre consommateurs finals et opérateurs en matière de communications électroniques – Directive 2002/22/CE – Obligation de règlement extrajudiciaire des litiges érigée en condition de recevabilité d’un recours – Principe de protection juridictionnelle effective»





I –    Introduction

1.        Le droit communautaire s’oppose-t-il à une réglementation nationale qui exige comme condition de recevabilité de certains recours liés aux services de télécommunications qu’un règlement extrajudiciaire ait été préalablement tenté ?

2.        Dans la présente affaire, la Cour est saisie de cette question par le Giudice di pace di Ischia (Italie). Elle donne à la Cour l’occasion de se prononcer non seulement sur la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel») (2), mais aussi en particulier sur le principe de protection juridictionnelle effective.

II – Cadre juridique

A –    Droit communautaire

3.        La directive 2002/22 a trait à la fourniture de réseaux et de services de communications électroniques aux utilisateurs finals. Selon son article 1er, elle a pour finalité d’assurer la disponibilité dans toute la Communauté de services de bonne qualité accessibles au public. À cet égard, elle établit les droits des utilisateurs finals et les obligations correspondantes des fournisseurs. Pour ce qui est de la fourniture d’un service universel, la directive définit l’ensemble minimal des services d’une qualité spécifiée accessible à tous les utilisateurs finals, à un prix abordable compte tenu des conditions nationales spécifiques, sans distorsion de concurrence.

4.        Le quarante-septième considérant de la directive 2002/22 a trait au règlement des différends:

«[…] Il conviendrait de mettre à disposition des procédures efficaces pour le règlement des différends opposant, d’un côté, les consommateurs et, de l’autre, les entreprises fournissant des services de communications accessibles au public. Les États membres devraient tenir dûment compte de la recommandation 98/257/CE de la Commission du 30 mars 1998 concernant les principes applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation […]».

5.        En ce sens, l’article 34 de la directive 2002/22, intitulé «Règlement extrajudiciaire des litiges», dispose comme suit:

«1. Les États membres veillent à ce que des procédures extrajudiciaires transparentes, simples et peu onéreuses soient mises à disposition pour résoudre les litiges non résolus auxquels sont parties des consommateurs et qui concernent des questions relevant de la présente directive. Les États membres prennent des mesures pour garantir que ces procédures permettent un règlement équitable et rapide des litiges et peuvent, lorsque cela se justifie, adopter un système de remboursement et/ou de compensation. Les États membres peuvent étendre ces obligations aux litiges impliquant d’autres utilisateurs finals.

2. Les États membres veillent à ce que leur législation ne fasse pas obstacle à la création, à l’échelon territorial approprié, de guichets et de services en ligne de réception de plaintes chargés de faciliter l’accès des consommateurs et des utilisateurs finals aux structures de règlement de litiges.

[…]

4. Le présent article est sans préjudice des procédures judiciaires nationales.»

B –    Droit national

6.        Selon la loi nº 249 du 31 juillet 1997, la Autorità per le garanzie nelle comunicazioni (Autorité de surveillance des communications, ci‑après l’«AGC») est compétente pour connaître des litiges entre utilisateurs finals et fournisseurs de services de télécommunications qui ont trait au non-respect des dispositions relatives au service universel et aux droits des utilisateurs finals.

7.        Par la délibération nº 173/07/CONS (3), l’AGC a spécifié la procédure relative au règlement des litiges entre prestataires de télécommunications et utilisateurs finals.

8.        Aux termes des articles 3 et 13 de l’annexe A de ladite délibération:

«Article 3

Dans les litiges visés à l’article 2, paragraphe 1, le recours juridictionnel ne peut pas être introduit tant que la tentative obligatoire de conciliation n’a pas été engagée devant [le Comité régional des communications] qui est territorialement compétent et a reçu délégation pour assurer la fonction de conciliation, ou devant les organes de résolution extrajudiciaire des litiges visés à l’article 13.

Si [le Comité régional des communications] territorialement compétent n’a pas reçu la délégation visée au première alinéa, la tentative obligatoire de conciliation doit être engagée devant les organes visés à l’article 13.

Le délai pour la clôture de la procédure de conciliation est de 30 jours à compter de la date du dépôt de la demande; une fois ce délai expiré, les parties peuvent introduire un recours juridictionnel, même si la procédure n’a pas été clôturée.

[…]

Article 13

1.       À titre d’alternative par rapport à la procédure de conciliation devant [le Comité régional des communications], les intéressés ont la faculté d’engager la tentative obligatoire de conciliation, notamment par voie télématique, devant les organes de résolution extrajudiciaire des litiges en matière de consommation qui sont visés à l’article 1er, sous o), du présent règlement.

2. Dans le même but, l’utilisateur a aussi la faculté de s’adresser aux organismes institués par accords entre les opérateurs et les associations de consommateurs représentatives au niveau national, pour autant que ces organismes interviennent à titre gratuit et respectent les principes de transparence, d’équité et d’efficacité visés dans la recommandation 2001/310/CE.»

9.        Sous l’intitulé «Dispositions transitoires et finales», l’article 5 de la même délibération dispose:

«1.       Jusqu’au moment où les dispositions visées à l’article 141, paragraphe 2, du décret législatif nº 206, du 6 septembre 2005, auront été complètement mises en œuvre, les parties peuvent s’adresser, en ce qui concerne la tentative de conciliation, outre aux chambres de conciliation instituées auprès des chambres de commerce, d’industrie, d’agriculture et d’artisanat, aux organismes inscrits au registre visé à l’article 38 du décret législatif nº 5 du 17 janvier 2003.

2. S’agissant des litiges qui ont été engagés, même s’ils sont en phase de conciliation, jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la présente délibération, la réglementation précédente visée à l’article 4, paragraphe 1, continue à s’appliquer […]»

III – Faits, question préjudicielle et procédure

10.      Les demanderesses des procédures au principal sont destinataires de services de télécommunications. Par leurs recours, elles concluent à la condamnation respectivement de Telecom Italia SpA (4) et de Wind SpA (5) à les indemniser des préjudices qu’elles ont subis en raison d’une prétendue inexécution de leurs contrats ayant pour objet les services téléphoniques fournis par ces entreprises. La demanderesse dans l’affaire C-319/08 conclut en outre à ce que le juge de céans déclare que certaines sommes réclamées par Telecom Italia SpA ne sont pas dues.

11.      Les entreprises de téléphonie, parties défenderesses, invoquent à chaque fois l’irrecevabilité des recours parce que les demanderesses n’ont pas engagé de façon préliminaire une tentative de conciliation extrajudiciaire selon les articles 3 et 13 de l’annexe A de la délibération nº 173/07/CONS.

12.      La juridiction de renvoi relève que, dans la région concernée de Campanie, le Comité régional des communications, prévu par les dispositions nationales, n’a pas encore été créé. En conséquence, la procédure obligatoire de règlement des litiges doit avoir lieu devant les organes visés à l’article 13 de l’annexe A de la délibération nº 173/07/CONS. Cependant, il n’a pas été préalablement vérifié si ces bureaux de conciliation alternatifs, tels que prévus audit article 13, étaient conformes aux critères énoncés dans la recommandation 2003/310/CE, s’agissant en particulier des coûts de la procédure.

13.      Cela étant, même au cas où le Comité régional des communications aurait été institué dans la région de Campanie, le juge de renvoi voit dans le caractère obligatoire de la conciliation un obstacle inadmissible à l’accès au juge.

14.      Le Giudice di pace di Ischia s’interroge sur la compatibilité des dispositions italiennes avec le droit communautaire. Par ordonnances, du 4 avril 2008, il a donc sursis à statuer dans les quatre affaires et a, chaque fois, déféré à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les dispositions communautaires précitées (article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, directive 2002/22/CE, directive 1999/44/CE, recommandation 2001/310/CE de la Commission, [recommandation 98/257/CE de la Commission]) ont-elles un effet directement contraignant et doivent‑elles être interprétées en ce sens que les litiges ‘en matière de communications électroniques entre utilisateurs finals et opérateurs, qui découlent du non-respect des dispositions relatives au service universel et aux droits des utilisateurs finals qui sont établis par les dispositions législatives, par les délibérations de l’autorité, par les conditions contractuelles et par la charte des services’ (litiges prévus par l’article 2 [de l’annexe A] de la délibération nº 173/07/CONS du garant), ne doivent pas faire l’objet de la tentative de conciliation obligatoire prévue sous peine d’entraîner l’impossibilité d’intenter un recours juridictionnel, ces dispositions prévalant sur la norme découlant de l’article 3, paragraphe 1, [de l’annexe A] de la délibération précitée de l’autorité garante des communications.»

15.      Par ordonnance du 16 septembre 2008, le président de la Cour a joint les quatre affaires C-317/08, C-318/08, C-319/08 et C-320/08 aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

16.      La défenderesse au principal dans l’affaire C-318/08, Wind SpA, le gouvernement allemand ainsi que la Commission des Communautés européennes se sont exprimés par écrit et oralement devant la Cour. De surcroît, le gouvernement polonais a présenté des observations écrites; le gouvernement italien, des observations orales.

IV – Appréciation juridique

A –    Recevabilité des demandes de décision préjudicielle

17.      Lors de la procédure orale, le gouvernement italien a défendu la thèse selon laquelle les demandes de décision préjudicielle devaient être rejetées pour cause d’irrecevabilité. La présente procédure porte, selon lui, sur la question de savoir si l’obligation de règlement extrajudiciaire des litiges est une entrave interdite dans l’exercice des droits conférés par le droit communautaire. Or, les droits litigieux dans les procédures au principal ne ressortent pas de la demande de décision préjudicielle. Les questions déférées revêtent par conséquent un caractère hypothétique, selon le gouvernement italien.

18.      Il y a lieu de se rallier à l’argument de l’Italie selon lequel l’introduction de procédures obligatoires de règlement extrajudiciaire des litiges ne peut être examinée à l’aune du droit communautaire que si l’objet du litige des procédures au principal relève du champ d’application du droit communautaire (6).

19.      Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi n’a pas fourni d’éléments circonstanciés sur l’objet des affaires pendantes devant elle. On peut seulement déduire des demandes de décision préjudicielle que, dans les procédures au principal, des utilisateurs finals assignent leurs sociétés de téléphonie en réparation du préjudice qu’elles ont subi en raison d’une inexécution du contrat ayant pour objet les services téléphoniques fournis par ces sociétés. La juridiction de renvoi ne précise pas les droits et obligations sur lesquels s’opposent les parties dans chaque cas.

20.      Cependant, on ne pourra pas conclure à l’irrecevabilité des questions déférées.

21.      Dans ce contexte, il convient à titre liminaire de rappeler qu’il appartient, en principe, au juge national qui est saisi du litige d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant lui, la nécessité d’une décision préjudicielle. Enfin, la juridiction de renvoi assume la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir. La Cour est donc en principe tenue de statuer sur les questions posées en interprétation du droit communautaire (7).

22.      Ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’il incombe à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par un juge national (8). Selon une jurisprudence constante, le rejet d’une demande n’est donc possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (9).

23.      Dans les présentes procédures au principal, des consommateurs finals ont formé des recours contre des sociétés de téléphonie. Selon son article 1er, paragraphe 2, la directive 2002/22 régit les droits des utilisateurs finals et les obligations correspondantes d’entreprises fournissant des réseaux et des services de communications électroniques. Dans la question préjudicielle même, le juge de renvoi précise que les procédures au principal constituent des litiges en matière de communications électroniques entre utilisateurs finals et opérateurs pour cause de violations de dispositions relatives au service universel et des droits des utilisateurs finals. Dans le cadre de l’examen de la recevabilité, on ne peut donc pas estimer que les présentes affaires ne relèvent pas du champ d’application du droit communautaire et que l’interprétation du droit communautaire n’a manifestement aucun rapport avec l’objet du litige au principal.

24.      Les demandes de décision préjudicielle sont par conséquent recevables.

B –    Appréciation de la teneur des questions préjudicielles

25.      Dans la présente affaire, il s’agit en substance de savoir si le droit communautaire s’oppose à une réglementation d’un État membre qui érige la mise en œuvre d’une procédure extrajudiciaire de conciliation en condition de recevabilité d’actions en justice qui concernent des droits afférents à la directive 2002/22.

26.      La question préjudicielle fait référence à différentes dispositions de droit communautaire. Elle cite d’abord la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (10). L’article 1er, paragraphe 2, sous b), de cette directive définit les biens de consommation comme des objets mobiliers corporels. Or, puisqu’il s’agit dans les présentes procédures au principal non pas d’objets corporels, mais de services téléphoniques, la directive 1999/44 n’est pas applicable.

27.      Dans la mesure où la juridiction de renvoi fait référence aux recommandations 98/257 (11) et 2001/310 (12), il faut préciser que, selon l’article 249, cinquième alinéa, CE, celles‑ci ne lient pas juridiquement. Elles ne peuvent donc pas créer d’obligations autonomes à la charge des États membres. On peut cependant y recourir dans le cadre de l’interprétation d’autres dispositions de droit communautaire et de réglementations nationales.

28.      Sont donc pertinents, dans la présente affaire, en particulier l’article 34 de la directive 2002/22 et le droit à une protection juridictionnelle effective.

1.      Article 34 de la directive 2002/22

29.      L’article 34 de la directive 2002/22 oblige les États membres à mettre à disposition des procédures extrajudiciaires pour résoudre les litiges. Celles-ci doivent être transparentes, simples et peu onéreuses. Les États membres doivent garantir que ces procédures permettent un règlement équitable et rapide des litiges.

30.      L’article 34 fixe donc les critères de qualité auxquels le règlement extrajudiciaire des litiges doit satisfaire. Cependant, il ne comporte pas d’indication expresse sur le point de savoir s’il est également permis d’organiser le règlement extrajudiciaire des litiges en obligation et d’ériger sa mise en œuvre en condition d’une action en justice. Au contraire, l’article 34, paragraphe 4, de la directive 2002/22 précise lui-même clairement que cet article est sans préjudice des procédures judiciaires nationales. Puisque l’exigence d’une tentative de règlement des litiges comme condition de recevabilité d’un recours relève du domaine couvert par les procédures judiciaires des États membres, la directive 2002/22 ne règle donc pas cette question de façon exhaustive.

31.      Dès lors que le règlement extrajudiciaire des litiges satisfait aux critères de l’article 34 de la directive 2002/22, à savoir qu’il revêt un caractère transparent, simple et peu onéreux, la directive elle-même ne s’oppose pas à ce que le règlement des litiges soit aménagé en procédure obligatoire.

32.      Il convient d’aborder brièvement ci-après deux des caractéristiques prescrites par la directive pour la procédure de règlement des litiges: sa transparence et son caractère peu onéreux.

33.      On peut déduire de l’article 13, paragraphe 2, de l’annexe A, de la délibération nº 173/07/CONS que la conciliation menée par les instances compétentes pour connaître des litiges en matière de consommation est, en règle générale, gratuite. La défenderesse au principal dans l’affaire C‑318/08 a indiqué que les procédures devant le Comité régional des communications étaient gratuites elles aussi et que les autres organes compétents travaillaient à des coûts très bas.

34.      De surcroît, la procédure doit être transparente. Cela implique que les organes compétents en matière de conciliation soient visibles pour les intéressés. Selon les dispositions italiennes, il s’agit, en premier lieu, du Comité régional des communications territorialement compétent. Pour les régions dans lesquelles celui-ci n’a pas encore été institué, des instances alternatives sont compétentes pour régler les litiges. Mais les dispositions législatives font, semble-t-il, apparaître les commissions compétentes à titre alternatif, au prix d’un effort raisonnable pour les requérants.

35.      Les dispositions italiennes semblent donc répondre aux exigences matérielles de la directive 2002/22. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’examiner ce point de manière exhaustive.

36.      En résumé, il convient de retenir qu’on ne peut déduire de la directive 2002/22 aucun élément sur la licéité d’une procédure extrajudiciaire obligatoire de règlement des litiges. Cette question doit donc être appréciée uniquement au regard du principe de protection juridictionnelle effective.

2.      Principe de protection juridictionnelle effective

37.      Selon une jurisprudence constante, le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (13). Du reste, il a été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (14).

38.      À titre liminaire, il y a lieu de préciser que les réglementations nationales ne peuvent être appréhendées au regard des principes généraux du droit communautaire que lorsqu’elles entrent dans le champ d’application du droit communautaire (15).

39.      La directive 2002/22 établit des droits matériels dans la personne des utilisateurs finals de services téléphoniques. Puisque la procédure obligatoire de conciliation a trait aux mesures juridictionnelles visant à faire respecter ces droits matériels octroyés dans la directive, la présente affaire relève du champ d’application du droit communautaire.

40.      Il appartient, en principe, au droit national de chacun des États membres de réglementer la procédure de respect du droit communautaire et les modalités procédurales d’exercice des recours. Néanmoins, les États membres ne sont pas entièrement libres lorsqu’ils édictent des dispositions d’ordre procédural eu égard à l’application du droit communautaire.

41.      La Cour a toujours souligné que les procédures destinées à assurer l’exercice des droits que les justiciables tirent du droit communautaire ne devaient pas être moins favorables que celles qui réglementent des situations similaires de nature interne (principe de l’équivalence). En outre, elles ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (16).

42.      Dans le cadre de recours juridictionnels exercés pour faire respecter le droit communautaire, le principe d’effectivité est l’expression du principe général de protection juridictionnelle effective. J’apprécierai donc la présente affaire directement au regard du principe de protection juridictionnelle effective. Nous traiterons ensuite la question de l’équivalence.

43.      Les dispositions italiennes érigent la mise en œuvre préalable d’un règlement extrajudiciaire des litiges en condition d’une action en justice. Si aucune tentative de règlement du litige n’est préalablement mise en œuvre, un recours juridictionnel est irrecevable. De ce fait, on dresse un obstacle supplémentaire à l’accès au juge. À l’instar, en définitive, de toute condition de recevabilité prévue par la loi, l’obligation d’engager une tentative de conciliation constitue donc une limitation de l’accès au juge. En conséquence, il existe une atteinte au principe de protection juridictionnelle effective.

44.      Le droit à une protection juridictionnelle effective n’apparaît pas comme une prérogative absolue. L’accès à la protection juridictionnelle peut, au contraire, être soumis à des restrictions. Enfin, toute procédure juridictionnelle exige que la loi en définisse les modalités et les conditions de recevabilité. À cet égard, les États membres jouissent d’un pouvoir d’appréciation particulier. Ainsi que la Cour l’a constaté dans le cadre du respect des droits de la défense, les restrictions doivent toutefois répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général, et ne pas constituer, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée qui porterait atteinte à la substance même des droits (17).

45.      À l’audience, le gouvernement italien a relevé que la tentative obligatoire de règlement des litiges était censée aboutir à un règlement plus rapide et moins onéreux de ceux-ci. Il est d’abord dans l’intérêt de chacune des parties que les litiges bénéficient d’un règlement plus rapide et moins onéreux. Cela entraîne dans le même temps un désencombrement des tribunaux dans leur ensemble et contribue ainsi également à l’effectivité de l’administration étatique de la justice (18). Enfin, le fait pour les parties de parvenir à un accord dans un cadre extrajudiciaire convient souvent davantage pour obtenir une paix juridique durable qu’une décision judiciaire litigieuse (19). Les dispositions italiennes poursuivent donc des objectifs légitimes d’intérêt général.

46.      L’introduction d’une tentative obligatoire de règlement extrajudiciaire des litiges est également propre à garantir la réalisation de ces objectifs.

47.      Cependant, l’introduction d’une procédure obligatoire de règlement des litiges n’est indispensable que si une conciliation purement facultative n’est pas un moyen tout aussi approprié, mais moins contraignant pour atteindre les objectifs précités. Il convient toutefois de concéder au gouvernement italien qu’une procédure de règlement extrajudiciaire purement facultative n’est pas aussi efficace qu’une procédure obligatoire devant précéder tout litige. C’est à juste titre que le gouvernement allemand relève, lui aussi, que, même lorsque l’une ou même les deux parties refusent la procédure de conciliation, d’expérience, la chance existe néanmoins que, au cours de cette procédure, des possibilités de solution du litige apparaissent que les parties ne pouvaient pas prévoir avant le début de la procédure.

48.      Enfin, il n’existe pas non plus de disproportion grossière entre l’objectif poursuivi d’une résolution d’un litige rapide, peu onéreuse et conforme aux intérêts des parties, d’une part, et les possibles inconvénients que présente l’obligation de mettre en œuvre une procédure obligatoire de conciliation, d’autre part. Il faut en effet qualifier de minime l’atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective constituée par l’obligation d’une conciliation extrajudiciaire, de sorte que les avantages liés à la procédure l’emportent largement.

49.      D’une part, la procédure préalable de règlement des litiges n’entraîne pas de retard substantiel dans l’introduction d’un recours juridictionnel. L’article 3 de l’annexe A de la délibération nº 173/07/CONS dispose en effet que la procédure extrajudiciaire doit être clôturée dans les 30 jours de la demande de conciliation. Même si tel n’est pas le cas, les parties peuvent introduire un recours à l’expiration de ce délai.

50.      De surcroît, la mise en œuvre du règlement extrajudiciaire des litiges est peu onéreuse – ainsi que nous l’avons déjà exposé (20).

51.      En outre, la prescription des droits est suspendue pendant la tentative de conciliation. La mise en œuvre de celle-ci ne menace donc pas non plus l’exercice des droits.

52.      Dans son ordonnance, le juge de renvoi critique cependant un détail de l’organisation formelle de la procédure de règlement des litiges qui pourrait être de nature à qualifier la procédure dans son ensemble d’atteinte disproportionnée. Le juge de renvoi expose que la tentative de conciliation doit nécessairement être faite sur des formulaires que l’on peut trouver sur le site Internet de l’Autorité de surveillance. Cela constitue, selon lui, un obstacle pour ceux qui n’ont pas accès à un ordinateur. Si on ne devait effectivement faire la demande de conciliation qu’avec des formulaires déterminés et qu’on ne pouvait accéder à ces derniers que par Internet, il y a lieu de souscrire au point de vue du juge de renvoi, selon lequel l’accès à la conciliation et, donc, en définitive, au recours juridictionnel serait rendu très difficile pour les personnes qui ne disposent pas d’un accès Internet. Dans cette mesure, il existerait, selon moi, une atteinte disproportionnée au droit à une protection juridictionnelle effective.

53.      Cependant, il ressort de l’article 13, paragraphe 1, de l’annexe A de la délibération nº 173/07/CONS seulement que la demande peut aussi être faite par voie télématique. Il ne ressort donc pas des dispositions légales disponibles que l’on ne peut accéder aux formulaires requis que par Internet. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de tirer définitivement au clair si le justiciable peut aussi, par d’autres moyens, raisonnablement obtenir les formulaires requis pour la procédure de règlement des litiges.

54.      Pour terminer, il reste encore à aborder les deux recommandations sur lesquelles le juge de renvoi interroge la Cour. Celles-ci ne permettent pas, contrairement à l’avis du juge de renvoi et du gouvernement polonais, d’aboutir à un autre résultat. Il est vrai que tant la recommandation 98/257 que la recommandation 2001/310 indiquent, respectivement à leurs vingt et unième et quatorzième considérants, que les procédures extrajudiciaires ne peuvent pas avoir pour objectif de remplacer le système judiciaire, raison pour laquelle le recours à ces procédures ne peut priver les justiciables de leur droit d’accès aux tribunaux. Or, les dispositions italiennes ne sont pas en contradiction avec ces affirmations. En effet, le règlement extrajudiciaire des litiges ne remplace pas la procédure judiciaire et les justiciables ne sont donc précisément pas privés de l’accès aux tribunaux; celui-ci est éventuellement différé de 30 jours tout au plus.

55.      Du reste, la conclusion à laquelle j’aboutis est confirmée par la directive 2008/52 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (21). Il est vrai que celle-ci n’est pas applicable dans la présente affaire, mais elle comporte une appréciation que l’on peut transposer au présent cas de figure. L’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/52 dispose que cette dernière s’applique sans préjudice de toute législation nationale rendant le recours à la médiation obligatoire ou le soumettant à des incitations ou des sanctions, que ce soit avant ou après le début de la procédure judiciaire, pour autant qu’une telle législation n’empêche pas les parties d’exercer leur droit d’accès au système judiciaire. La réglementation italienne remplit, elle aussi, ces conditions – ainsi que nous l’avons mis en évidence; en particulier, l’accès aux tribunaux est seulement différé.

56.      Enfin, les dispositions litigieuses ne violent pas non plus le principe d’équivalence. D’après ce principe, les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne  (22). En réponse à une question de la Cour, le gouvernement italien a certes indiqué à l’audience qu’un règlement obligatoire des litiges en Italie était jusqu’à présent prévu dans le seul domaine des télécommunications. On avait commencé par l’introduire dans ce domaine et on était en train de transposer la conciliation obligatoire à d’autres domaines comme le secteur de l’énergie, par exemple. Mais il n’en résulte, selon moi, aucune violation du principe d’équivalence. En effet, il n’y a pas de traitement défavorable par rapport à des situations de nature purement interne. Tout d’abord, il n’est pas évident que les recours formés dans d’autres secteurs comme, par exemple, celui de la fourniture d’énergie constituent des «situations similaires». D’autre part, il convient de partir du principe que les dispositions litigieuses s’appliquent non seulement aux droits établis à l’échelle communautaire issus du domaine des services universels, mais aussi aux droits résultant du droit national.

57.      En résumé, il convient de retenir qu’une procédure obligatoire de règlement des litiges, préalable à une procédure juridictionnelle, ne constitue en principe pas une atteinte disproportionnée au droit à une protection juridictionnelle effective. Des dispositions comme les dispositions litigieuses constituent une atteinte minime au droit de poursuites judiciaires, laquelle est compensée par la possibilité de parvenir à une clôture du litige par des moyens peu onéreux et rapides.

V –    Conclusion

58.      Au regard des développements qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux quatre questions préjudicielles du Giudice di pace di Ischia comme suit:

L’article 34 de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel») exige que les procédures de règlement extrajudiciaire des litiges soient transparentes, simples et peu onéreuses. Le principe de protection juridictionnelle effective ne s’oppose pas à ce que ces procédures de règlement extrajudiciaire des litiges soient organisées en obligation si une telle organisation poursuit des objectifs légitimes d’intérêt général et qu’elle ne constitue pas, au regard du but poursuivi, une atteinte disproportionnée.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – JO L 108, p. 51 (ci-après la «directive 2002/22»).


3 – Publiée dans la Gazzetta ufficiale della Repubblica italiana nº 120, du 25 mai 2007.


4 – Dans les affaires C-317/08, C-319/08 et C-320/08.


5 – Dans l’affaire C-318/08.


6 – Voir, en ce sens, notamment arrêts du 29 mai 1997, Kremzow (C‑299/95, Rec. p. I‑2629, point 15), et du 12 juin 2003, Schmidberger (C‑112/00, Rec. p. I‑5659, point 75).


7 – Voir, ex multis, arrêts du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C‑238/05, Rec. p. I‑11125, point 15); du 22 décembre 2008, Les Vergers du Vieux Tauves (C‑48/07, non encore publié au Recueil, point 16), ainsi que la jurisprudence qui y est respectivement citée.


8 – Arrêts du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, Rec. p. 3045, point 27), et du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, Rec. p. I‑6619, point 27).


9 – Voir arrêt du 5 décembre 2006, Cipolla e.a. (C‑94/04 et C-202/04, Rec. p. 11421, point 25 ainsi que la jurisprudence y citée).


10 – JO L 171, p. 12.


11 – Recommandation de la Commission, du 30 mars 1998, concernant les principes applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation (JO L 115, p. 31).


12 – Recommandation de la Commission, du 4 avril 2001, relative aux principes applicables aux organes extrajudiciaires chargés de la résolution consensuelle des litiges de consommation (JO L 109, p. 56).


13 – Voir arrêts du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, points 18 et 19); du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, Rec. p. I‑2271, point 37), et du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, point 335).


14 – JO C 364, p. 1.


15 – Voir arrêts Kremzow, précité à la note 6, point 15, et Schmidberger, précité à la note 6, point 75.


16 – Arrêts du 11 septembre 2003, Safalero (C‑13/01, Rec. p. I‑8679, point 49); du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a. (C‑147/01, Rec. p. I‑11365, point 103); du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, Rec. p. I‑723, point 67), et Unibet, précité à la note 13, point 43.


17 – Voir arrêt du 15 juin 2006, Dokter e.a. (C‑28/05, Rec. p. I‑5431, point 75), et du 2 avril 2009, Gambazzi (C‑394/07, non encore publié au Recueil, point 32).


18 – Sur le déroulement efficace de la procédure en vue d’une bonne administration de la justice, voir arrêt Gambazzi, précité à la note 17, point 32.


19 – Cette fonction est également indiquée dans la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (JO L 136, p. 3).


20 – Voir point 31 des présentes conclusions.


21 – Précitée à la note 19.


22 – Voir, notamment, arrêt Weber’s Wine World e.a., précité à la note 16, point 103.