Language of document : ECLI:EU:C:2011:63

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 10 février 2011 (1)

Affaire C‑272/09 P

KME Germany AG, anciennement KM Europa Metal AG

KME France SAS, anciennement Tréfimétaux SA

KME Italy SpA, anciennement Europa Metalli SpA

«Pourvoi – Concurrence – Accord de fixation des prix et de répartition des marchés – Éléments à prendre en considération pour le calcul des amendes – Étendue de la compétence du Tribunal – Contrôle juridictionnel efficace»





1.        Trois entreprises liées ont participé, avec d’autres entreprises, à des accords de fixation des prix et de répartition des marchés et à des pratiques concertées sur le marché des tubes industriels en cuivre, en violation de l’article 81 CE (devenu article 101 TFUE) et ont été condamnées à des amendes par la Commission européenne.

2.        Pour le calcul des amendes, la Commission a pris en considération les critères définis dans ses propres lignes directrices, ainsi que plusieurs circonstances aggravantes et atténuantes.

3.        Les trois entreprises concernées ont alors fait appel au Tribunal (2), afin d’obtenir une importante réduction des amendes qui leur avaient été infligées, invoquant cinq erreurs spécifiques commises lors de la détermination des montants.

4.        Leur requête a été rejetée dans sa totalité (3), et elles forment à présent un pourvoi devant la Cour fondé sur cinq moyens, dont les quatre premiers correspondent aux quatre premiers moyens invoqués en première instance. Cependant, le cinquième moyen soulève la question plus vaste de l’étendue et de la nature du contrôle qui devrait être exercé par le Tribunal dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions pécuniaires.

 Cadre juridique

 Droits de l’homme et droits fondamentaux

5.        L’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») dispose notamment que:

«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. […]»

6.        L’article 6, paragraphes 2 et 3, prévoit des garanties supplémentaires particulières pour toute personne «accusée d’une infraction», comprenant la présomption d’innocence et l’accès à différents moyens en vue d’assurer sa défense.

7.        L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (4) (ci-après la «charte»), intitulé «Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial», dispose notamment que:

«Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. […]»

8.        La note explicative relative à cet article indique, entre autres, que le deuxième alinéa correspond à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, précisant que:

«Dans le droit de l’Union, le droit à un tribunal ne s’applique pas seulement à des contestations relatives à des droits et obligations de caractère civil. C’est l’une des conséquences du fait que l’Union est une communauté de droit, comme la Cour l’a constaté dans l’affaire 294/83, Les Verts/Parlement (arrêt du 23 avril 1986, Rec. […] p. 1339). Cependant, à l’exception de leur champ d’application, les garanties offertes par la CEDH s’appliquent de manière similaire dans l’Union.»

9.        L’article 49 de la charte s’intitule «Principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines». À propos des peines, l’article 49, paragraphe 3, dispose que: «L’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction». Selon la note explicative, ce paragraphe «reprend le principe général de proportionnalité des délits et des peines, consacré par les traditions constitutionnelles communes aux États membres et la jurisprudence de la Cour de justice […]».

10.      L’article 51 de la charte définit son champ d’application. Le paragraphe 1 de cet article est libellé comme suit:

«Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives» (5).

 Dispositions du traité

11.      L’article 81, paragraphe 1, CE (devenu, après un léger amendement, article 101, paragraphe 1, TFUE) dispose que:

«Sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à:

a)      fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction;

[…]

c)      répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement;

[…]»

12.      L’article 229 CE (devenu, après un léger amendement, article 261 TFUE) dispose que:

«Les règlements arrêtés conjointement par le Parlement européen et le Conseil, et par le Conseil, en vertu des dispositions du présent traité peuvent attribuer à la Cour de justice une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions prévues dans ces règlements.»

13.      De façon plus générale, l’article 230 CE (devenu, après amendement, article 263 TFUE) donne compétence à la Cour pour contrôler la légalité des actes des institutions, y compris ceux de la Commission, «pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du présent traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir».

14.      En vertu de l’article 225, paragraphe 1, CE (devenu, après amendement, article 256, paragraphe 1, TFUE), le Tribunal a, en principe, compétence pour connaître en première instance de ces recours, sous réserve du droit de former un pourvoi devant la Cour, limité aux points de droit.

 Application du droit de la concurrence

15.      L’article 15 du règlement n° 17 du Conseil (6), qui était applicable au moment des faits, disposait notamment que:

«2.      La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d’un million d’unités de compte au plus [(7)], ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81, paragraphe 1, CE/101, paragraphe 1, TFUE], ou

[…]

Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.

[…]

4.      Les décisions prises en application du paragraphe […] 2 n’ont pas un caractère pénal» (8).

16.      Selon l’article 17 du règlement nº 17:

«La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction au sens de l’article [229 CE/261 TFUE] sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte; elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée» (9).

17.      Les lignes directrices de la Commission de 1998 pour le calcul des amendes (10) (ci-après les «lignes directrices») étaient également applicables au moment des faits. Le préambule de ces lignes directrices prévoyait notamment que:

«Les principes posés par les présentes lignes directrices devraient permettre d’assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l’égard des entreprises qu’à l’égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires global des entreprises. Cette marge devra toutefois s’exprimer dans une ligne politique cohérente et non discriminatoire adaptée aux objectifs poursuivis dans la répression des infractions aux règles de concurrence.

La nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l’amende obéira dorénavant au schéma suivant, qui repose sur la fixation d’un montant de base auquel s’appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes [(11)]

18.      Aux termes du point 1 des lignes directrices, ce montant de base serait déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, les seuls critères retenus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17.

19.      En ce qui concerne la gravité, il convenait, en vertu du point 1, sous A, de prendre en considération la nature de l’infraction, «son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable» et l’étendue du marché géographique concerné. Trois catégories étaient prévues: les infractions peu graves, les infractions graves et les infractions très graves, ces dernières comprenant des restrictions horizontales de type «cartels de prix» et des quotas de répartition des marchés, appelant des «montants envisageables» supérieurs à 20 millions d’euros. Il serait également possible de «différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises» et nécessaire de «prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif».

20.      En ce qui concerne la durée, le point 1, sous B, établissait une distinction entre: les infractions de courte durée (en général inférieures à un an), n’entraînant aucun montant additionnel en sus du montant retenu pour la gravité de l’infraction; les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), entraînant une augmentation pouvant aller jusqu’à 50 % de ce dernier montant; et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), entraînant une augmentation «pouvant être fixée pour chaque année à 10 %» (12). Le montant retenu pour la gravité de l’infraction et le montant retenu pour sa durée constituaient ensemble le montant de base de l’amende infligée.

21.      En vertu du point 2 des lignes directrices, le montant de base était augmenté pour les circonstances aggravantes telles que la récidive de la même entreprise ou des mêmes entreprises pour une infraction de même type.

22.      En vertu du point 3, le montant de base était diminué pour les circonstances atténuantes particulières telles que: la non-application effective des accords ou des pratiques infractionnelles (deuxième tiret); la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission (notamment vérifications) (troisième tiret); et la collaboration effective de l’entreprise à la procédure, en dehors du champ d’application de la communication sur la clémence de la Commission, de 1996 (sixième tiret) (13).

23.      Cette communication précise les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec la Commission au cours de son enquête sur une entente pourraient être exemptées d’amende ou bénéficier d’une réduction de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter.

24.      Selon le paragraphe 4 du titre A de la communication sur la clémence: «La Commission estime qu’il est de l’intérêt de la Communauté de faire bénéficier d’un traitement favorable les entreprises qui coopèrent avec elle dans les conditions précisées ci-dessous. Le bénéfice que tirent les consommateurs et les citoyens de l’assurance de voir ces pratiques révélées et interdites est plus important que l’intérêt qu’il peut y avoir à sanctionner pécuniairement des entreprises qui, en coopérant avec la Commission, lui permettent de découvrir et sanctionner une entente ou qui l’aident dans cette tâche». Les titres B, C et D précisent le type de comportement susceptible de permettre à une entreprise qui a participé à des actes anticoncurrentiels de bénéficier néanmoins de clémence. Ils sont libellés comme suit:

«B. NON-IMPOSITION D’AMENDE OU RÉDUCTION TRÈS IMPORTANTE DE SON MONTANT

L’entreprise qui:

a)      dénonce l’entente secrète à la Commission avant que celle-ci ait procédé à une vérification sur décision auprès des entreprises parties à l’entente, et sans qu’elle dispose déjà d’informations suffisantes pour prouver l’existence de l’entente dénoncée;

b)      est la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente;

c)      a mis fin à sa participation à l’activité illicite au plus tard au moment où elle dénonce l’entente;

d)      fournit à la Commission toutes les informations utiles, ainsi que tous les documents et éléments de preuve dont elle dispose au sujet de l’entente et maintient une coopération permanente et totale tout au long de l’enquête;

e)      n’a pas contraint une autre entreprise à participer à l’entente ni eu un rôle d’initiation ou un rôle déterminant dans l’activité illicite,

bénéficie d’une réduction d’au moins 75 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération, réduction pouvant aller jusqu’à la non-imposition totale d’amende.

C. RÉDUCTION IMPORTANTE DU MONTANT DE L’AMENDE

L’entreprise qui, remplissant les conditions exposées au titre B, points b) à e), dénonce l’entente secrète après que la Commission a procédé à une vérification sur décision auprès des entreprises parties à l’entente, sans que cette vérification ait pu donner une base suffisante pour justifier l’engagement de la procédure en vue de l’adoption d’une décision, bénéficie d’une réduction de 50 à 75 % du montant de l’amende.

D. RÉDUCTION SIGNIFICATIVE DU MONTANT DE L’AMENDE

1.      Lorsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux titres B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération.

2.      Tel peut notamment être le cas si:

–        avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,

–        après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations.»

 Imposition des amendes et détermination de leur montant dans la présente affaire

25.      Le 16 décembre 2003, la Commission a adopté une décision (14), à la suite de diverses enquêtes, estimant que six entreprises – Wieland Werke AG (ci-après «Wieland»), Outokumpu Oyj et Outokumpu Copper Products Oy (ci-après, collectivement, «Outokumpu»), KM Europa Metal AG (ci-après «KME Germany»), Europa Metalli SpA (ci-après «KME Italy») et Tréfimétaux SA (ci-après «KME France») – avaient violé les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE et – à partir du 1er janvier 1994 – l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE en participant, entre le 3 mai 1988 et le 22 mars 2001, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées consistant en la fixation des prix et la répartition des marchés dans le secteur des tubes industriels. KME Germany, KME France et KME Italy (qui, depuis 1995, font partie intégrante du groupe KME, ci-après collectivement «KME») étaient requérantes en première instance et sont parties requérantes au présent pourvoi.

26.      Des amendes ont été infligées à KME pour un montant total de 39,81 millions d’euros (15). La procédure suivie par la Commission pour fixer les montants en cause est résumée comme suit aux points 11 à 22 de l’arrêt attaqué:

«11      S’agissant, en premier lieu, de la fixation du montant de départ de l’amende, la Commission a considéré que l’infraction, qui consistait essentiellement à fixer les prix et à répartir les marchés, était, par sa nature même, une infraction très grave (considérant 294 de la décision attaquée).

12      En vue de déterminer la gravité de l’infraction, la Commission a également pris en compte le fait que le cartel avait affecté la totalité du territoire de l’Espace économique européen (EEE) (considérant 316 de la décision attaquée). La Commission a en outre examiné les effets réels de l’infraction et a constaté que l’entente avait, ‘globalement, produit des effets sur le marché’ (considérant 314 de la décision attaquée).

13      Aux fins de cette dernière constatation, elle s’est fondée notamment sur les indices suivants. En premier lieu, elle a eu égard à la mise en œuvre de l’entente en se référant au fait que les participants s’étaient communiqué les volumes de vente et les niveaux de prix (considérant 300 de la décision attaquée). En deuxième lieu, des éléments du dossier auraient montré que les prix avaient baissé en période de faible respect de l’accord collusif et augmenté fortement pendant d’autres périodes (considérant 310 de la décision attaquée). En troisième lieu, la Commission s’est référée à la part de marché collective de 75 à 85 % détenue par les membres de l’entente (considérant 310 de la décision attaquée). En quatrième lieu, la Commission a constaté que les parts de marché respectives des participants à l’entente étaient restées relativement stables pendant toute la durée de l’infraction, même si les clients des participants avaient parfois changé (considérant 312 de la décision attaquée).

14      Enfin, toujours dans le cadre de la détermination de la gravité de l’infraction, la Commission a pris en compte le fait que le marché des tubes industriels en cuivre constituait un secteur important, dont la valeur a été estimée à 288 millions d’euros dans l’EEE (considérant 318 de la décision attaquée).

15      Eu égard à toutes ces circonstances, la Commission a conclu que l’infraction en cause devait être considérée comme très grave (considérant 320 de la décision attaquée).

16      En deuxième lieu, la Commission a procédé à un traitement différencié des entreprises concernées, en vue de tenir compte de la capacité économique effective de chacune à causer un préjudice important à la concurrence. À cet égard, la Commission a relevé l’existence d’une différence entre les parts de marché détenues sur le marché des tubes industriels dans l’EEE, d’une part, par le groupe KME, leader sur le marché dans l’EEE avec [confidentiel] % de parts de marché, et, d’autre part, Outokumpu et Wieland détenant respectivement [confidentiel] % et 13,4 % de parts de marché. Eu égard à cette différence, le montant de départ de l’amende infligée à Outokumpu et à Wieland a été fixé à 33 % de celui infligé au groupe KME, soit 11,55 millions d’euros pour Outokumpu et pour Wieland et 35 millions d’euros pour le groupe KME (considérants 327 et 328 de la décision attaquée).

17      Étant donné que la création du groupe KME était intervenue en 1995, la Commission a divisé le montant de départ de l’amende infligée au groupe, soit 35 millions d’euros, en deux parties. La première pour la période allant de 1988 à 1995 (en distinguant KME Germany de KME France et KME Italy) et la seconde pour la période allant de 1995 à 2001 (en considérant les trois entités comme formant un groupe). Ledit montant de départ a, dès lors, été réparti comme suit: 8,75 millions d’euros pour KME Germany (1988 à 1995); 8,75 millions solidairement pour KME Italy et KME France (1988 à 1995) et 17,50 millions d’euros pour le groupe KME, c’est-à-dire solidairement pour KME Germany, KME France et KME Italy (1995 à 2001) (considérant 329 de la décision attaquée).

18      En troisième lieu, afin de tenir compte de la nécessité de fixer l’amende à un niveau lui assurant un effet dissuasif, la Commission a majoré le montant de départ de l’amende infligée à Outokumpu de 50 %, le portant ainsi à 17,33 millions d’euros, en considérant que le chiffre d’affaires mondial de celle-ci, supérieur à 5 milliards d’euros, indiquait qu’elle disposait d’une taille et d’une puissance économique autorisant ladite majoration (considérant 334 de la décision attaquée).

19      En quatrième lieu, la Commission a qualifié la durée de l’infraction, qui s’est déroulée du 3 mai 1988 au 22 mars 2001, de ‘longue’. La Commission a dès lors jugé approprié de majorer de 10 % par année de participation au cartel le montant de départ des amendes infligées aux entreprises concernées. Partant, la Commission a majoré de 55 % le montant de départ de l’amende infligée au groupe KME pour la période allant de 1995 à 2001, et de 70 % le montant de départ des amendes infligées à KME Germany, d’une part ainsi qu’à KME Italy et à KME France, d’autre part, pour la période allant de 1988 à 1995. Le montant de base des amendes a par conséquent été fixé à 56,88 millions d’euros pour l’ensemble du groupe KME (considérants 338, 342 et 347 de la décision attaquée) [(16)].

20      En cinquième lieu, au titre des circonstances aggravantes, le montant de base de l’amende infligée à Outokumpu a été majoré de 50 % au motif qu’elle s’était rendue coupable de récidive, puisqu’elle avait été destinataire de la décision 90/417/CECA de la Commission, du 18 juillet 1990, relative à une procédure au titre de l’article 65 [CA] concernant l’accord et les pratiques concertées des producteurs européens de produits plats en acier inoxydable laminés à froid (JO L 220, p. 28) (considérant 354 de la décision attaquée).

21      En sixième lieu, au titre des circonstances atténuantes, la Commission a relevé que, sans la coopération d’Outokumpu, elle n’aurait pu établir l’existence du comportement infractionnel que pour une période de quatre ans, et a par conséquent réduit le montant de base de son amende de 22,22 millions d’euros, de façon que ledit montant corresponde à l’amende qui lui aurait été infligée pour une telle période (considérant 386 de la décision attaquée).

22      En septième et dernier lieu, la Commission a procédé, en vertu du titre D de la communication de 1996 sur la coopération, à une réduction du montant des amendes de 50 % pour Outokumpu, de 20 % pour Wieland et de 30 % pour le groupe KME (considérants 402, 408 et 423 de la décision attaquée).»

 Résumé de l’arrêt attaqué

27.      La requête de KME en première instance était intitulée: «Requête au titre des articles 225 et 230 CE». KME y demandait au Tribunal de:

–        réduire substantiellement l’amende de KME;

–        condamner la Commission aux dépens, ainsi qu’aux coûts exposés par les parties requérantes pour fournir une garantie bancaire au lieu du paiement de l’amende de KME, dans l’attente de l’arrêt du Tribunal; et

–        prendre toutes autres mesures que le Tribunal pourrait considérer comme appropriées.

28.      À l’appui de ces demandes, KME a invoqué cinq moyens qui portaient tous sur la détermination du montant de l’amende: a) prise en compte inadéquate de l’impact concret du cartel lors du calcul du montant de départ de l’amende, b) évaluation inadéquate de la taille du marché pertinent, c) augmentation erronée de l’amende en raison de la durée de l’infraction, d) absence de prise en compte de circonstances atténuantes et e) application erronée de la communication sur la coopération. Le Tribunal a rejeté les cinq moyens et, partant, le recours dans son intégralité.

29.      En ce qui concerne le premier moyen (prise en compte inadéquate de l’impact concret du cartel lors du calcul du montant de départ de l’amende), le Tribunal a estimé que la Commission était en droit de procéder à un traitement différencié des participants, en fonction de leurs parts sur le marché concerné; que les ententes, en particulier en matière de fixation des prix et de répartition des marchés, étaient si graves en raison de leur nature propre qu’elles méritaient les amendes les plus sévères, indépendamment de l’impact sur le marché; et que, «à titre surabondant», la Commission avait démontré à suffisance de droit un impact concret de l’entente sur le marché concerné.

30.      Dans le cadre du deuxième moyen, KME a plaidé que la Commission avait erronément évalué la taille du marché de la fabrication de tubes en cuivre à partir du chiffre d’affaires incluant le coût de la matière première (à savoir le cuivre), alors que ce coût était déterminé, et parfois supporté directement, par l’acheteur; une évaluation correcte aurait été fondée sur la valeur ajoutée par les fabricants. Le Tribunal a estimé qu’aucune raison valable n’imposait que le chiffre d’affaires d’un marché pertinent soit calculé en excluant certains coûts de production et que, malgré sa nature approximative, le chiffre d’affaires était considéré, tant par le législateur que par la Commission et par la Cour, comme un critère adéquat pour apprécier la taille et le pouvoir économique des entreprises.

31.      À propos du troisième moyen (augmentation erronée – de 10 % par an – de l’amende en raison de la durée de l’infraction), le Tribunal a estimé que, sans confondre la gravité et la durée de l’infraction, la Commission avait exercé le pouvoir d’appréciation dont elle disposait dans les limites des règles qu’elle s’était imposées à elle-même dans les lignes directrices et que l’augmentation de 125 % pour une durée de douze ans et dix mois n’était pas disproportionnée.

32.      Dans son quatrième moyen, KME a plaidé que, sans respecter ses propres lignes directrices, la Commission s’était abstenue de prendre en compte certaines circonstances atténuantes: i) le fait que, bien qu’elle ne se soit pas systématiquement abstenue d’appliquer les accords, KME l’avait fait de façon limitée; ii) le fait que KME avait mis immédiatement et volontairement fin à l’accord après les contrôles effectués par la Commission; iii) la situation économique difficile dans le secteur des tubes industriels; et iv) le fait que KME avait produit des éléments de preuve décisifs ou avait complété les éléments détenus par la Commission. Le Tribunal a estimé respectivement, à propos de ces arguments, que: i) KME n’avait pas adopté un comportement réellement concurrentiel et qu’une mise en œuvre limitée de l’entente n’était pas un facteur suffisamment atténuant; ii) une réduction de l’amende en raison de la cessation d’une infraction – en particulier d’une infraction intentionnelle – dès les premières interventions de la Commission relevait du pouvoir d’appréciation de la Commission qui dépend de son évaluation des circonstances; iii) la Commission n’était pas tenue de considérer comme circonstance atténuante la mauvaise santé financière d’un secteur; et iv) la Commission disposait d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne l’application de circonstances atténuantes et ne l’avait pas exercé erronément en considérant que c’était Outokumpu, et non KME, qui avait produit l’information importante.

33.      Dans le cadre du cinquième moyen (réduction insuffisante de l’amende au titre de la communication sur la coopération), KME a soutenu que: i) dans des affaires précédentes, des tiers avaient bénéficié d’un traitement plus favorable; ii) les informations fournies par KME auraient dû conduire à une réduction supérieure à 30 %; et iii) la Commission avait violé le principe d’égalité de traitement en accordant une réduction de 50 % à Outokumpu. À propos de ces arguments, le Tribunal a estimé que: i) le fait que la Commission ait précédemment accordé un certain taux de réduction pour un comportement déterminé ne l’obligeait pas à accorder le même taux pour un comportement similaire dans le cadre d’une procédure ultérieure; ii) seule une erreur manifeste d’appréciation pourrait être censurée, dès lors que la Commission bénéficiait d’une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité de la coopération fournie par une entreprise, notamment par rapport aux contributions d’autres entreprises, et qu’en l’espèce une telle erreur n’avait pas été commise; et iii) qu’il n’y avait pas de traitement discriminatoire, parce que KME et Outokumpu ne se trouvaient pas dans une situation comparable.

 Moyens du pourvoi

34.      KME avance cinq moyens qui peuvent être résumés comme indiqué ci-après.

35.      En premier lieu, en soutenant que la Commission avait démontré à suffisance de droit que l’entente avait eu un impact sur le marché concerné, un facteur à prendre en considération lors de la détermination du montant de base de l’amende de KME, le Tribunal aurait violé le droit de l’Union européenne (ci-après l’«UE») et aurait motivé de façon illogique et inadéquate sa décision de rejeter le premier moyen. En outre, en soutenant que la conclusion de la Commission selon laquelle les éléments de preuve économétriques présentés par KME ne démontraient pas que, dans son ensemble, l’infraction n’avait eu aucun impact sur le marché, le Tribunal aurait manifestement dénaturé les faits et les éléments de preuve dont il disposait.

36.      En deuxième lieu, en acceptant la taille du marché affecté par l’entente (tubes industriels) telle que déterminée par la Commission qui y a inclus le chiffre d’affaires sur un marché en amont distinct (celui du cuivre), malgré le fait que les participants à l’entente n’étaient pas verticalement intégrés dans ce marché en amont, le Tribunal aurait violé le droit de l’UE et motivé de façon inadéquate le rejet du deuxième moyen invoqué par KME.

37.      En troisième lieu, le Tribunal aurait enfreint le droit de l’UE et motivé son arrêt de façon confuse, illogique et inadéquate en confirmant cette partie de la décision en cause et en rejetant le troisième moyen invoqué par KME, selon lequel la Commission aurait appliqué erronément les lignes directrices et enfreint les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement en imposant le pourcentage maximal d’augmentation du montant de départ de l’amende de KME, en raison de la durée.

38.      En quatrième lieu, le Tribunal aurait enfreint le droit de l’UE en rejetant la quatrième branche du quatrième moyen de recours et en confirmant cette partie de la décision en cause, dans laquelle la Commission a refusé à KME le bénéfice d’une réduction de l’amende en raison de sa coopération en dehors du champ d’application de la communication sur la clémence, et cela en violation tant des lignes directrices que des principes d’équité et d’égalité de traitement.

39.      En cinquième lieu, le Tribunal aurait enfreint le droit de l’UE et les droits fondamentaux des parties requérantes à un recours juridictionnel effectif et sans entraves, en n’examinant pas attentivement et soigneusement les arguments de KME et en s’en remettant de façon biaisée au pouvoir d’appréciation de la Commission.

40.      Parmi ces moyens, il me semble que le cinquième et dernier moyen doit être examiné en premier lieu, étant donné que l’approche que suivra la Cour en ce qui concerne la question générale portant sur l’étendue, le degré et la nature du contrôle qui doit être exercé par le Tribunal dans des cas de ce genre influera sur l’approche à adopter pour les quatre premiers moyens du pourvoi, alors que chacun d’entre eux critique une application spécifique différente de ce contrôle.

 Cinquième moyen: contrôle juridictionnel effectif

 Passages pertinents de l’arrêt attaqué

41.      À l’appui de son argumentation selon laquelle «le Tribunal s’en est remis, dans une mesure excessive et déraisonnable, au pouvoir d’appréciation de la Commission», KME cite les passages suivants de l’arrêt attaqué:

«92      [...] la gravité de l’infraction est déterminée par référence à de nombreux facteurs, pour lesquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation [...]»

«103      [...] Il appartient en effet à la Commission de choisir, dans le cadre de sa large marge d’appréciation […], le taux de majoration qu’elle entend appliquer au titre de la durée de l’infraction.»

«115      [...] l’adoption des lignes directrices n’a pas privé de pertinence la jurisprudence antérieure selon laquelle la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de prendre ou de ne pas prendre en considération certains éléments lorsqu’elle fixe le montant des amendes qu’elle entend infliger, en fonction notamment des circonstances de l’espèce. Ainsi, en l’absence d’indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge pour apprécier de manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes.»

«129      […] la Commission dispose d’une marge d’appréciation en ce qui concerne l’application de circonstances atténuantes […]»

42.      Ces passages peuvent être lus à la lumière du rappel «[à] titre liminaire» du Tribunal effectué aux points 32 à 37 de l’arrêt attaqué, bien que KME ne les évoque pas explicitement:

«32      […] il importe de rappeler, d’une part, qu’il ressort des considérants 290 à 387 de la décision attaquée que les amendes infligées par la Commission du fait de l’infraction l’ont été en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et, d’autre part, que, quand bien même la Commission ne se réfère pas explicitement, dans la décision attaquée, aux [lignes directrices], il est constant qu’elle a déterminé le montant des amendes en application de la méthodologie définie dans celles-ci.

33      Les lignes directrices, bien qu’elles ne puissent être qualifiées de règle de droit, énoncent une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont la Commission ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (voir arrêt du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C-397/03 P, Rec. p. I-4429, point 91, et la jurisprudence citée).

34      Il appartient donc au Tribunal de vérifier, dans le cadre du contrôle de la légalité des amendes infligées par la décision attaquée, si la Commission a exercé son pouvoir d’appréciation selon la méthode exposée dans les lignes directrices et, dans la mesure où il devrait constater qu’elle s’en est départie, de vérifier si cet écart est justifié et motivé à suffisance de droit. À cet égard, il importe de relever que la Cour a confirmé la validité, d’une part, du principe même des lignes directrices et, d’autre part, de la méthode qui y est indiquée (arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C‑205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, points 252 à 255, 266, 267, 312 et 313).

35      L’autolimitation du pouvoir d’appréciation de la Commission résultant de l’adoption des lignes directrices n’est en effet pas incompatible avec le maintien d’une marge d’appréciation substantielle pour la Commission. Les lignes directrices contiennent différents éléments de flexibilité qui permettent à la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec les dispositions du règlement n° 17, telles qu’interprétées par la Cour (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 267).

36      Partant, dans les domaines où la Commission a conservé une marge d’appréciation, par exemple en ce qui concerne le taux de majoration au titre de la durée, le contrôle de légalité opéré sur ces appréciations se limite à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T-241/01, Rec. p. II‑2917, points 64 et 79).

37      La marge d’appréciation de la Commission et les limites qu’elle y a apportées ne préjugent par ailleurs pas, en principe, de l’exercice, par le juge communautaire, de sa compétence de pleine juridiction (arrêt du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T-67/00, T-68/00, T-71/00 et T‑78/00, Rec. p. II-2501, point 538), qui l’habilite à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende infligée par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C-3/06 P, Rec. p. I-1331, points 60 à 62; arrêt du 21 octobre 2003, General Motors Nederland et Opel Nederland/Commission, T-368/00, Rec. p. II-4491, point 181).»

 Résumé des arguments des parties

 Pourvoi de KME

43.      KME se plaint de ce que le Tribunal n’a pas examiné attentivement et soigneusement les arguments qu’elle a avancés en première instance et de ce qu’il «s’en est remis de façon excessive au pouvoir d’appréciation de la Commission», confirmant une amende disproportionnée. Selon KME, cette omission viole son droit fondamental à un contrôle effectif et sans entraves de la décision en cause par une juridiction impartiale et indépendante.

44.      Le droit de la concurrence de l’UE est formé par l’interaction entre la Commission, dans son rôle d’investigation, de poursuite et de prise de décision, et les juridictions de l’UE qui assurent un contrôle externe. Toutefois, la jurisprudence n’a jamais précisé le sens, l’étendue ou la logique exacts qui sous-tendent le pouvoir d’appréciation accordé à la Commission, compte tenu de l’équilibre institutionnel entre les deux organes.

45.      Cette interaction a été influencée par l’évolution du rôle assumé par la Commission dans l’application de la politique de la concurrence depuis l’adoption du règlement n° 17. En 1962, la CEE comptait six États membres et le droit de la concurrence était peu connu et mal accepté. Les notifications étaient une source d’information utile permettant à la Commission d’exercer un contrôle a priori et de donner forme à sa politique de mise en œuvre; son rôle principal était de former et d’assurer la sécurité juridique en adoptant des décisions formelles d’exemption, des lettres administratives de classement ou des décisions d’autorisation. Bien que, à l’époque déjà, la Commission ait combiné des compétences en matière d’enquête, de poursuite et de prise de décision, les enquêtes et les poursuites étaient relativement rares et les amendes habituellement faibles. Dans ce contexte, il était parfaitement raisonnable, logique et équitable pour la Cour de juger, comme elle l’a fait dans l’arrêt Consten et Grundig/Commission (17), que, puisque l’exercice des pouvoirs de la Commission comportait nécessairement des appréciations complexes en matière économique, le contrôle juridictionnel de ces appréciations devait respecter ce caractère en se limitant à l’examen de la matérialité des faits et des qualifications juridiques que la Commission en infère. En outre, l’autolimitation de la Commission rendait moins cruciale la question d’une délimitation claire de l’exercice de son pouvoir d’infliger des amendes.

46.      Il serait toutefois arbitraire, dangereux et inéquitable d’appliquer la même «retenue judiciaire» au pouvoir d’appréciation de la Commission dans le cadre du système actuel d’application du droit de la concurrence de l’UE, qui se caractérise par des amendes de plus en plus importantes qui ont un impact économique et financier inévitable sur les entreprises, les actionnaires et les travailleurs et qui conduisent à une «criminalisation» de fait du droit de la concurrence. Les règles en matière de droit de la concurrence de l’UE sont des dispositions directement applicables qui ne laissent aucun espace à une appréciation discrétionnaire, de nature politique, lors de leur interprétation et de leur application, si bien que les juridictions qui contrôlent leur application par la Commission dans des cas particuliers sont tenues à un degré de «retenue» très réduit.

47.      Conformément au régime actuel introduit par le règlement n° 1/2003, l’article 101 TFUE dans son ensemble est maintenant appliqué non seulement par la Commission, mais également par les autorités nationales de la concurrence et les juridictions nationales. Il n’a jamais été suggéré qu’un juge national appliquant l’article 101 TFUE dans des cas particuliers dispose d’une large marge d’appréciation, que la juridiction d’appel doit respecter.

48.      L’expertise de la Commission pour évaluer des faits complexes et/ou des questions économiques ne peut pas justifier qu’on lui accorde une large marge d’appréciation dans le cadre de l’application du droit de la concurrence de l’UE. Il conviendrait plutôt de dire qu’un contrôle accru dans les cas complexes fait partie des obligations du Tribunal, qui a été créé en réaction aux critiques selon lesquelles l’intensité du contrôle juridictionnel exercé alors ne correspondait plus aux exigences auxquelles devait répondre un régime légal qui avait commencé à entamer sérieusement les droits individuels en appliquant rigoureusement les règles de la concurrence. De plus, le Tribunal et la Cour ont souvent entrepris, tous deux avec succès, des contrôles juridictionnels particulièrement intenses de cas complexes. L’intensité du contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal ne diminue pas avec la complexité des faits en cause, mais dépend de son appréciation du type d’examen requis et approprié, eu égard aux circonstances de chaque affaire.

49.      De plus, le Tribunal dispose d’une compétence de pleine juridiction à l’égard des recours formés contre les sanctions infligées dans les affaires de concurrence. Dans l’exercice de cette compétence, le Tribunal ne doit reconnaître à la Commission aucune marge d’appréciation en ce qui concerne le caractère approprié et proportionné d’une amende ou la méthode de travail adoptée pour opérer ses calculs. Cela est d’autant plus vrai si l’on considère la nature pénale «de facto» de ces amendes et la nécessité, imposée par la CEDH, d’un contrôle juridictionnel effectif de toute décision administrative imposant une sanction pénale. Le Tribunal est donc tenu d’examiner, dans chaque cas, comment la Commission a apprécié la gravité et la durée d’un comportement illégal et peut y substituer sa propre évaluation en annulant, en diminuant ou en augmentant l’amende. L’exercice effectif de cette compétence de pleine juridiction implique non seulement le contrôle de la légalité formelle de l’amende, mais aussi de son caractère adéquat, par le biais d’une appréciation indépendante de la gravité du comportement à sanctionner et du caractère équitable de la sanction dans son ensemble, à la lumière de toutes les circonstances particulières à chaque affaire.

50.      L’étendue de la marge d’appréciation de la Commission (si elle existe) dans des affaires comme celle-ci doit être étroitement définie et le degré de retenue judiciaire (pour autant qu’il y en ait) à l’égard de cette appréciation discrétionnaire doit être limité en conséquence. Le caractère technique d’une affaire ne doit pas inciter la Cour à négliger son obligation de veiller au respect du droit.

51.      La question de savoir si le contrôle prévu par le système judiciaire de l’UE est assez étendu et assez intense pour assurer le niveau de protection requis par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH est un autre enjeu. Ce débat est devenu plus intense à la lumière non seulement de la combinaison des pouvoirs d’enquête, de poursuite et de décision confiés à la Commission, mais également de la «criminalisation» actuelle du droit de la concurrence de l’UE. Pendant longtemps, la Cour européenne des droits de l’homme a admis que l’application du droit administratif, y compris l’imposition d’amendes, n’était pas incompatible avec l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Néanmoins, bien qu’une telle application ne doive pas être totalement «judiciarisée» pour répondre aux exigences de cet article, des garanties procédurales suffisamment fortes et un contrôle juridictionnel effectif de pleine juridiction doivent exister pour contrôler la décision administrative. Les exigences auxquelles doit répondre un système de contrôle juridictionnel pour être conforme à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH n’ont pas encore été entièrement éclaircies, mais il n’est pas sûr que le système existant en matière d’application du droit de la concurrence de l’UE (y compris le contrôle juridictionnel) réponde à ces exigences.

52.      Le droit à un recours effectif devant un tribunal a également été inséré à l’article 47 de la charte. La jurisprudence confirme que les destinataires de décisions de la Commission qui imposent des amendes dans des affaires relevant du domaine de la concurrence ont droit à un procès équitable et que le droit à un tribunal impartial est violé lorsque aucune voie de recours devant une instance juridictionnelle dotée d’une compétence de pleine juridiction au sens de la CEDH n’est prévue.

 Réponse de la Commission

53.      La Commission soutient, tout d’abord, que le moyen est trop général et imprécis pour être examiné par la Cour [il ne satisferait donc pas aux exigences de l’article 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure] et qu’il est par conséquent irrecevable; elle affirme ensuite que l’arrêt du Tribunal était fondé sur ses propres constatations positives et que le moyen n’est donc pas fondé.

54.      À propos du manque de précision, KME avance une série d’arguments en faveur d’un contrôle approfondi des décisions de la Commission par le Tribunal, mais reconnaît qu’un système d’application du droit par une autorité administrative combiné à un contrôle par un organe judiciaire ayant une compétence de pleine juridiction est compatible avec l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. KME admet en outre que le Tribunal et la Cour sont en principe à même de procéder à un contrôle adéquat et qu’ils l’ont fait en pratique. Elle ne conteste donc pas la structure fondamentale du contrôle juridictionnel des décisions de la Commission.

55.      Par conséquent, KME aurait dû a) préciser quels sont les éléments de l’arrêt où le Tribunal n’aurait pas traité de façon adéquate ses observations, b) préciser le critère selon lequel la qualité de ce contrôle du Tribunal devrait être évaluée, et c) démontrer en quoi, à la lumière de ce critère, le Tribunal n’a pas traité de façon adéquate les observations de KME. Au lieu de cela, KME a cité quatre passages de l’arrêt faisant référence au pouvoir d’appréciation de la Commission, sans expliquer comment ils démontrent le défaut de contrôle de la décision de la Commission par le Tribunal, à la lumière des observations de KME.

56.      En effet, le critère qui devrait être appliqué pour apprécier le contrôle juridictionnel effectué par le Tribunal conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH est loin d’être évident, même si l’on admet l’affirmation de KME selon laquelle les amendes infligées dans le domaine du droit de la concurrence de l’UE relèvent de la «matière pénale» à cet effet. KME évite toute discussion relative à ce que cela pourrait impliquer en ce qui concerne le critère approprié en matière de contrôle juridictionnel.

57.      La Cour européenne des droits de l’homme a clairement établi que les exigences de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH varient même au sein de la catégorie générale des «accusations en matière pénale». Étant donné que le droit communautaire précise explicitement que les sanctions pécuniaires du droit de la concurrence n’ont pas un caractère pénal, elles ne relèveraient pas du «noyau dur» du droit pénal mentionné par la Cour européenne des droits de l’homme et les garanties applicables en cas de procédure pénale ne devraient donc pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur.

58.      En tout état de cause, le Tribunal a clairement «pleine compétence» aux fins de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH (qu’il ne faut pas confondre avec le concept de compétence de pleine juridiction en matière de contrôle des sanctions financières). La Cour européenne des droits de l’homme a jugé inadéquats les recours juridictionnels à l’encontre d’actes administratifs qui se limitaient au contrôle d’erreurs de droit et qui ne permettaient donc pas à l’organe juridictionnel de remédier à des erreurs de fait. Cependant, si l’organe juridictionnel peut également devoir contrôler la proportionnalité, un contrôle limité à certains aspects n’est pas en soi incompatible avec le concept de «pleine juridiction» dans le contexte de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

59.      Quant à son deuxième argument, selon lequel l’arrêt du Tribunal était fondé sur ses propres constatations positives, la Commission soutient que, nonobstant les références faites au pouvoir d’appréciation de la Commission, le Tribunal a procédé à un contrôle efficace et approfondi du calcul de l’amende et a abouti à ses propres conclusions positives selon lesquelles les deuxième, troisième et quatrième moyens de KME n’étaient pas fondés (18). Sur ces points, le Tribunal a pris en considération les arguments de KME et les a rejetés quant au fond, se déclarant d’accord avec la Commission sans «s’en remettre au pouvoir d’appréciation» de cette dernière. Quel que soit le critère de contrôle entendu par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, le Tribunal y a satisfait.

 Appréciation

60.      L’argumentation de KME est fondamentalement la suivante: en admettant que plusieurs appréciations effectuées par la Commission lors de la détermination des amendes relevaient du pouvoir d’appréciation de celle-ci et, par conséquent, en ne cherchant pas à se faire une opinion propre à ce sujet, le Tribunal n’a pas soumis la décision attaquée à l’examen requis par la CEDH et la charte.

61.      Il est, dès lors, important d’établir quel type de contrôle ces instruments juridiques requièrent, la source la plus pertinente à cet égard étant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

62.      KME soutient que les procédures d’application du droit de la concurrence, comme celle en cause, qui impliquent un constat de comportement interdit dans le chef d’une entreprise et l’imposition d’une amende en raison de ce comportement, sont clairement d’ordre pénal aux fins de la CEDH. La Commission observe que les décisions du genre de celle qui est en cause sont expressément considérées comme n’ayant pas un «caractère pénal», mais admet que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il ne s’agit pas là d’un critère décisif; si l’on devait les considérer comme ayant un caractère pénal aux fins de cette jurisprudence, ils tomberaient en toute hypothèse en dehors du «noyau dur» du droit pénal identifié par cette juridiction. La question est importante, parce que la Cour européenne des droits de l’homme a exigé des garanties procédurales plus strictes et des critères de contrôle plus élevés pour les procédures pénales que pour les procédures civiles et, dans la sphère pénale, pour les procédures du «noyau dur» que pour les autres.

63.      En décidant s’il faut ou non classer les procédures relatives à des fautes en tant que «pénales» ou non, la Cour européenne des droits de l’homme prend en considération les trois «critères Engel» appelés ainsi par référence à l’arrêt dans lequel ils ont été formulés pour la première fois (19). Il y a, tout d’abord, la qualification formelle dans le système juridique concerné, mais celle-ci est explicitement considérée comme un «simple point de départ». Dans l’affaire Engel et autres c. Pays-Bas, comme dans des arrêts ultérieurs, la Cour européenne des droits de l’homme a accordé une importance nettement plus grande – au point de négliger la qualification nationale – à ses deuxième et troisième critères, à savoir la nature de l’infraction et le degré de sévérité de la sanction que la personne concernée risque d’encourir. À cet égard, elle a considéré qu’il était pertinent de savoir si l’amende était infligée dans le cadre d’une règle générale qui s’adresse à tous les citoyens plutôt qu’à un groupe doté d’un statut particulier et si son objectif était essentiellement de punir pour empêcher la réitération des agissements incriminés plutôt que pour assurer la réparation pécuniaire d’un préjudice (20).

64.      À la lumière de ces critères, je conclus sans peine que la procédure par laquelle une amende est infligée pour violation de l’interdiction d’accords de fixation des prix et de répartition des marchés énoncée à l’article 81, paragraphe 1, CE relève du «volet pénal» de l’article 6 de la CEDH, telle qu’elle a été dégagée progressivement par la Cour européenne des droits de l’homme (21). L’interdiction et la possibilité d’infliger une amende sont inscrites dans la législation primaire et secondaire d’application générale; l’infraction implique un comportement qui est généralement considéré comme déloyal, au détriment du public en général, une caractéristique qu’elle partage avec les infractions pénales en général et qui entraîne un réel opprobre (22); une amende pouvant aller jusqu’à (23) 10 % du chiffre d’affaires annuel est indéniablement sévère, et pourrait même rendre une entreprise non viable; et l’intention explicite est de sanctionner et de dissuader (24), sans élément à titre de compensation pour le dommage.

65.      Il est vrai que, comme la Commission l’a souligné, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré, dans l’affaire Neste St Pétersbourg et autres c. Russie (25), que certains aspects de l’application de la législation russe en matière de concurrence tombent en dehors de la sphère pénale. Toutefois, les facteurs qu’elle a pris en considération dans cette affaire me semblent fort différents de ceux de l’affaire qui nous occupe. Elle a souligné que les règles antitrust ne s’appliquaient qu’aux relations qui ont influencé la concurrence sur le marché des produits de base et étaient donc d’application restrictive; qu’ils avaient pour objectif de protéger et de rétablir la concurrence; et que les mesures qui pouvaient être imposées n’étaient pas des sanctions comme telles, mais des injonctions, assorties de la confiscation des bénéfices illégaux destinée à assurer une compensation pécuniaire du dommage, plutôt qu’une sanction destinée à dissuader de toute récidive.

66.      Certes, dans cette décision, la Cour européenne des droits de l’homme a également souligné le fait que certains types de comportement monopolistique peuvent être autorisés s’il est établi qu’ils servent l’intérêt général (une éventualité prévue à l’article 81, paragraphe 3, CE, du moins en théorie, même à l’égard d’accords interdits de fixation des prix et de répartition des marchés), alors qu’un comportement intrinsèquement criminel ne fait généralement pas l’objet d’une telle justification fonctionnelle; et que la libre concurrence sur le marché est une valeur relative et situationnelle, sur laquelle les empiétements ne sont pas en soi répréhensibles. En ce qui concerne la première de ces considérations cependant, je tiens à relever – sauf le total respect dû à la Cour européenne des droits de l’homme – qu’il n’est pas très difficile de trouver un comportement indéniablement criminel qui puisse néanmoins être autorisé dans certaines circonstances. La possession d’armes à feu peut constituer une infraction pénale en général, mais être autorisée dans certaines situations en vue de la protection du public; la vente de certaines drogues peut constituer une infraction pénale en général, mais peut être autorisée à des fins médicales déterminées; et ainsi de suite. Et, en ce qui concerne la deuxième considération, la fixation des prix et la répartition des marchés ont des répercussions sur le consommateur et donc sur le grand public qui vont bien au-delà d’un empiétement sur la libre concurrence affectant le monde des affaires.

67.      Si la procédure tendant à infliger une amende tombe donc en l’espèce dans la sphère pénale aux fins de la CEDH (et de la charte), je serais néanmoins d’accord sur le fait que, selon les termes de l’arrêt Jussila c. Finlande (26), puisqu’elle «ne fai[t] pas partie du noyau dur du droit pénal, les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6 ne doivent pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur». Cela implique notamment qu’il peut être compatible avec l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH qu’un organe administratif ou non judiciaire qui ne répond pas lui-même aux exigences de cette disposition (et non un «tribunal indépendant et impartial, établi par la loi»), puisse imposer des sanctions en première instance, pourvu que la décision de cet organe puisse être soumise au contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties requises (27). Autrement dit, il doit être clair que les recours disponibles permettent de combler toute lacune dans la procédure en première instance (28).

68.      Le triple rôle de la Commission qui, lors de procédures d’application du droit de la concurrence, remplit une fonction d’investigation, de poursuite et de prise de décision a fait l’objet de nombreuses critiques (29). Toutefois, bien qu’il puisse y avoir de bonnes raisons de penser que la Commission n’est pas, à cet égard, un «tribunal indépendant et impartial, établi par la loi», il me semble que ces considérations sont en réalité étrangères au présent pourvoi. En fait, l’argumentation de KME ne repose pas sur le caractère inadéquat de la procédure devant la Commission, mais sur ce qu’elle considère comme étant le caractère insuffisant du contrôle exercé par le Tribunal sur le résultat de cette procédure. Le fait que la Commission soit un organe administratif et puisse ne pas être en mesure de séparer totalement ses trois fonctions au cours de la procédure (30) n’est pas en cause dans le contexte de ce pourvoi. La question est de savoir si le Tribunal a exercé une «pleine juridiction» au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (31).

69.      Cette juridiction a décrit la «pleine juridiction» en ce sens qu’elle inclut le pouvoir d’annuler à tous égards, sur des questions de fait et de droit, la décision de l’organe inférieur. Un organe juridictionnel chargé d’un contrôle doit en particulier avoir compétence pour examiner toutes les questions de fait et de droit portant sur le litige dont il est saisi (32). La même Cour a également soutenu que, aux fins de déterminer si un tribunal de deuxième instance exerce une pleine juridiction ou dispose d’un pouvoir de contrôle suffisant pour corriger un manque d’indépendance au premier degré, il faut prendre en considération des facteurs tels l’objet de la décision attaquée, la façon dont cette décision a été prise et le fond du conflit, y compris les moyens du recours et les objectifs visés (33).

70.      Il ne me semble guère possible de douter que la «compétence de pleine juridiction» conférée au Tribunal par l’article 229 CE et l’article 17 du règlement n° 17 remplit ces exigences en ce qui concerne les recours contre le montant de l’amende infligée, même s’il s’agit, comme le soutient la Commission, d’un concept différent du critère de la «pleine juridiction» de la Cour européenne des droits de l’homme, critère qui doit être considéré comme concernant également les recours formés, par exemple, contre le constat concret d’une infraction (que le Tribunal peut et doit aussi aborder – bien que de façon restreinte – si c’est le fondement de l’affaire qui lui est soumise). Ici, par contre, nous sommes confrontés à un pourvoi formé seulement contre le montant d’une amende et je propose de limiter mon analyse à ce cas de figure. Dans ce cadre, la compétence de pleine juridiction pour annuler, réduire ou augmenter le montant, sans restriction quant au type de moyens (de fait ou de droit) sur lesquels elle peut s’exercer doit, à mes yeux, fournir nécessairement la garantie requise par l’article 6 de la CEDH – du moins en théorie.

71.      La question peut néanmoins se poser de savoir si, dans une affaire spécifique, le Tribunal a exercé cette compétence de manière appropriée, et c’est précisément cette question que KME soulève en l’espèce.

72.      C’est une question légitime, mais en l’examinant il convient, selon moi, d’observer certaines limites, tant générales que particulières, et la façon dont elle a été soulevée doit être analysée à la lumière de certaines critiques de la Commission.

73.      Tout d’abord, je considère que c’est la façon dont le Tribunal a exercé son contrôle qui importe le plus, la façon dont il a décrit ce contrôle étant moins importante. On ne peut donc pas nécessairement conclure, à partir de ses références à la marge d’appréciation, au choix ou à la liberté laissée à la Commission, que le Tribunal n’a pas respecté son obligation d’apprécier, en réponse aux arguments de KME, la façon dont l’amende a été fixée. À l’inverse, on ne peut pas non plus conclure de l’utilisation des termes «dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction» que cette juridiction a effectivement exercé son pouvoir d’appréciation comme il se doit. Chaque appréciation doit être examinée sur la base de son contenu réel.

74.      Cette considération mène à la suivante: quelle que soit l’étendue de la compétence du Tribunal, la procédure dans les affaires qui lui sont soumises est par nature contradictoire. Rien, dans l’article 6 de la CEDH ou dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, n’impose au «tribunal indépendant et impartial» l’obligation d’analyser d’office des questions qui n’ont pas été soulevées devant lui. Certes, la jurisprudence de notre juridiction elle-même requiert que certaines questions d’ordre public (visant principalement des garanties procédurales) soient soulevées d’office, mais à d’autres égards l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction doit être mesuré par rapport au contenu des arguments sur lesquels il a été appelé à se prononcer.

75.      J’observe néanmoins que le Tribunal a effectivement demandé à la Commission de produire plusieurs documents dans son dossier administratif et que la Commission a fourni bien au-delà de 500 pages en réponse à cette demande. Cela suggère, à tout le moins, un contrôle suffisamment complet pour satisfaire aux exigences de la CEDH et de la charte. Il reste toutefois à vérifier, à partir de l’arrêt lui-même, si ce contrôle était de nature adéquate. En d’autres termes, le Tribunal a-t-il uniquement vérifié que la Commission n’avait pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation, ou l’évaluation effectuée dans ce cadre a-t-elle également été examinée (lorsque KME le demandait)?

76.      J’aborde à présent deux critiques spécifiques formulées par la Commission à propos des arguments avancés par KME.

77.      Une question de forme que la Commission n’a soulevée qu’à l’audience concerne la requête de KME en première instance, qui a été explicitement formulée sur la base de l’article 230 CE et non de l’article 229 CE. Par conséquent, semblait-on suggérer, KME n’avait même pas demandé au Tribunal d’exercer sa compétence de pleine juridiction et n’était donc pas fondée à critiquer une prétendue carence à cet égard.

78.      Comme telle, cela ne me semble pas une proposition sérieuse. La référence à l’article 230 CE ne figure que dans l’intitulé de la demande. Le simple fait que KME ait demandé une réduction de l’amende suffit à rendre évident le fait que c’était à la compétence de pleine juridiction du Tribunal qu’elle faisait appel, plutôt qu’à un simple examen de la légalité. S’il avait été favorable à la requérante, un tel contrôle n’aurait pu conduire qu’à l’annulation de l’amende, laissant à la Commission le soin d’infliger une nouvelle amende conformément aux motifs de l’arrêt. La requête insiste toutefois à répétition sur une réduction de l’amende, à propos de laquelle le Tribunal ne pouvait statuer que sur la base de l’article 229 CE et de l’article 17 du règlement n° 17.

79.      D’autre part, il faut garder à l’esprit que KME n’a pas demandé spécifiquement à cette juridiction de réévaluer l’amende à partir de zéro, mais plutôt d’en ajuster le montant à la lumière des erreurs alléguées de la décision attaquée.

80.      Le deuxième grief de la Commission semble plus sérieux. En substance, celle-ci fait valoir que, quelle que soit la force des arguments de KME plaidant en faveur d’un exercice approfondi, par le Tribunal, de la compétence de pleine juridiction dont il dispose pour de telles affaires, KME n’a pas pour autant identifié un degré précis de contrôle juridictionnel qui aurait dû être respecté ni les passages de l’arrêt attaqué dans lesquels ce degré n’aurait pas été respecté.

81.      Je partage en l’occurrence le point de vue de la Commission. Le cinquième moyen du pourvoi de KME se présente davantage comme une critique du système d’application du droit de la concurrence de l’UE dans son ensemble et du rôle du Tribunal dans ce système que comme une identification des erreurs spécifiques commises par le Tribunal dans l’arrêt attaqué. Il est cependant de jurisprudence constante qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt attaqué ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (34).

82.      Normalement, un moyen entaché d’un tel vice serait tout simplement rejeté comme irrecevable. Il me semble cependant que cette approche pourrait ne pas être tout à fait appropriée en l’espèce. En tant qu’argument autonome, il est vrai que le cinquième moyen de KME ne fournit pas à la Cour des indications suffisamment précises pour pouvoir décider si, dans quelle mesure et précisément à quels égards le Tribunal a pu ne pas avoir effectué un contrôle approprié. Cet argument peut néanmoins servir de critère supplémentaire dans l’appréciation des autres moyens du pourvoi – ce qui correspond en fait à la manière dont la Commission l’a abordé dans son mémoire en réponse, en l’examinant dans le cadre des deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi.

83.      Je me propose donc de ne pas considérer le cinquième moyen en tant qu’argument autonome, mais d’avoir à l’esprit les allégations formulées, lors de l’examen des quatre premiers moyens. Ce faisant, je me limiterai toutefois, comme je l’ai indiqué ci-dessus, à la façon dont le Tribunal a examiné les moyens soulevés devant lui, le langage utilisé pour décrire cet examen n’étant qu’une indication à cet égard.

 Premier moyen: impact concret sur le marché

 Passages pertinents de l’arrêt attaqué

84.      Dans son appréciation du premier moyen avancé par KME (prise en considération inadéquate de l’impact concret de l’entente sur le marché), le Tribunal a d’abord déclaré recevables trois études économétriques présentées par KME, avant de procéder aux constations suivantes:

«60      […] les requérantes contestent […] tant l’évaluation, par la Commission, de la gravité de l’infraction (voir points 12 et 13 ci‑dessus) que le traitement différencié effectué par celle-ci sur la base des parts de marchés des entreprises concernées (voir point 16 ci-dessus).

61      S’agissant, tout d’abord, du traitement différencié des entreprises en cause, la motivation fournie par la Commission dans la décision attaquée à ce sujet fait notamment état d’un souci de tenir compte du poids spécifique de chaque entreprise, et donc de l’effet réel de son comportement illicite sur la concurrence (considérant 322 de la décision attaquée). Cependant, il y a lieu de souligner que, même en l’absence de preuve d’une incidence concrète de l’infraction sur le marché, la Commission est en droit de procéder à un traitement différencié, en fonction des parts détenues sur le marché concerné, tel que celui exposé aux considérants 326 à 329 de la décision attaquée.

62      Il ressort en effet de la jurisprudence que la part de marché de chacune des entreprises concernées sur le marché ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la responsabilité de chacune en ce qui concerne la nocivité potentielle de ladite pratique pour le jeu normal de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T-236/01, T‑239/01, T-244/01 à T-246/01, T-251/01 et T-252/01, Rec. p. II-1181, point 197).

63      De même, quant à l’appréciation de la gravité de l’infraction, il convient également de relever que, même si la Commission n’avait pas prouvé que l’entente avait eu un impact concret sur le marché, cela aurait été sans incidence sur la qualification de l’infraction de ‘très grave’ et donc sur le montant de l’amende.

64      À cet égard, il importe de constater qu’il ressort du système communautaire de sanctions pour violation des règles de concurrence, tel que mis en place par le règlement n° 17 et interprété par la jurisprudence, que les ententes méritent, en raison de leur nature propre, les amendes les plus sévères. Leur éventuel impact concret sur le marché, notamment la question de savoir dans quelle mesure la restriction de concurrence a abouti à un prix de marché supérieur à celui qui aurait prévalu dans l’hypothèse de l’absence du cartel, n’est pas un critère déterminant pour la détermination du niveau des amendes (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, points 120 et 129; du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I-4411, point 33; du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286/98 P, Rec. p. I-9925, points 68 à 77, et du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C-407/04 P, Rec. p. I-829, points 129 et 30; arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, cité au point 62 supra, point 225; voir, également, conclusions de l’avocat général M. Mischo sous l’arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C-283/98 P, Rec. p. I-9855, I-9858, points 95 à 101).

65      Il convient d’ajouter qu’il résulte des lignes directrices que les accords ou les pratiques concertées visant notamment, comme en l’espèce, à la fixation des prix et à la répartition de la clientèle peuvent, sur le seul fondement de leur nature propre, être qualifiées de «très graves», sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions ‘graves’ mentionne expressément l’impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions ‘très graves’, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché ni de production d’effets sur une zone géographique particulière (arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T-38/02, Rec. p. II-4407, point 150).

66      À titre surabondant, le Tribunal estime que la Commission a démontré à suffisance de droit un impact concret de l’entente sur le marché concerné.

67      Dans ce contexte, il convient de souligner que la prémisse des requérantes, selon laquelle la Commission, dans l’hypothèse où elle se prévaudrait d’un impact concret de l’entente pour fixer le montant de l’amende, serait tenue de démontrer de façon scientifique l’existence d’un effet économique tangible sur le marché et un lien de cause à effet entre l’impact et l’infraction, a été rejetée par la jurisprudence.

68      En effet, le Tribunal a jugé à plusieurs reprises que l’impact concret d’une entente sur le marché doit être considéré comme suffisamment démontré si la Commission est en mesure de fournir des indices concrets et crédibles indiquant, avec une probabilité raisonnable, que l’entente a eu un impact sur le marché (voir, notamment, arrêts Scandinavian Airlines System/Commission, cité au point 36 supra, point 122; du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑59/02, Rec. p. II-3627, points 159 à 161; du 27 septembre 2006 Jungbunzlauer/Commission, T-43/02, Rec. p. II-3435, points 153 à 155; du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T-329/01, Rec. p. II-3255, points 176 à 178; du 27 septembre 2006, Roquette Frères/Commission, T‑322/01, Rec. p. II-3137, points 73 à 75).

69      Il convient à cet égard d’observer que les requérantes n’ont pas contesté la matérialité des faits, exposés au point 13 ci-dessus, sur lesquels la Commission s’est appuyée pour conclure à l’existence d’un impact concret de l’entente sur le marché, à savoir le fait que les prix ont baissé en période de faible respect de l’accord collusif et ont augmenté fortement pendant d’autres périodes, la mise en œuvre d’un système d’échange de données portant sur les volumes de vente et les niveaux de prix, l’importante part de marché détenue par l’ensemble des membres de l’entente et le fait que les parts de marché respectives des participants à l’entente sont restées relativement stables pendant toute la durée de l’infraction. Les requérantes ont uniquement fait valoir que lesdits faits n’étaient pas susceptibles de démontrer que l’infraction en cause avait eu un impact concret sur le marché.

70      Or, il ressort de la jurisprudence qu’il est légitime pour la Commission de déduire, sur la base des indices cités au point précédent, que l’infraction a eu un impact concret sur le marché (voir, en ce sens, arrêts Jungbunzlauer/Commission, cité au point 68 supra, point 159; Roquette Frères/Commission, cité au point 68 supra, point 78; Archer Daniels Midland/Commission, cité au point 68 supra, point 165; Archer Daniels Midland/Commission, cité au point 68 supra, point 181, et arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T-259/02 à T-264/02 et T-271/02, Rec. p. II‑5169, points 285 à 287).

71      S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel le dossier contient des exemples de non-respect des accords collusifs, il y a lieu de relever que le fait que les accords n’aient pas toujours été respectés par les membres de l’entente ne suffit pas pour exclure un impact sur le marché (voir, en ce sens, arrêt Groupe Danone/Commission, cité au point 65 supra, point 148).

72      Les arguments tirés par les requérantes de leur propre comportement ne sauraient non plus être retenus. En effet, le comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise est sans pertinence aux fins de l’évaluation de l’impact d’une entente sur le marché, seuls doivent être pris en compte les effets résultant de l’infraction dans son ensemble (arrêt du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T-224/00, Rec. p. II-2597, point 167). De même, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir constaté, au considérant 303 de la décision attaquée, que le rapport initial ne permettait pas de réfuter ses conclusions concernant les effets réels de l’infraction sur le marché. En effet, l’analyse économétrique y figurant ne traite que de données chiffrées relatives aux requérantes.

73      Dès lors, au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le présent moyen comme non fondé.

74      En outre, le Tribunal estime, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction et à la lumière des considérations qui précèdent, qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause l’appréciation du montant de départ de l’amende fixé en fonction de la gravité, telle qu’effectuée par la Commission.»

 Résumé des arguments des parties

 Pourvoi de KME

85.      KME conteste la conclusion du Tribunal selon laquelle la Commission avait démontré à suffisance de droit que l’entente avait eu un impact sur le marché et pouvait donc tenir compte de cet impact pour déterminer le montant de départ de l’amende. Les lignes directrices imposaient à la Commission la prise en compte de trois éléments, y compris l’impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable. Elle ne pouvait, par conséquent, prendre cet impact concret en considération que si et pour autant qu’elle était en mesure de l’établir et de le quantifier. Elle n’aurait pas dû être autorisée à recourir – en s’abritant derrière le critère de «probabilité raisonnable» établi dans l’arrêt Roquette Frères/Commission (35) – à des présomptions lui permettant de prendre en compte l’impact concret sur le marché, alors même qu’elle ne pouvait pas établir l’existence ou l’étendue d’un tel impact, conformément aux lignes directrices. Permettre le recours à de telles présomptions élimine toute possibilité de distinguer entre les infractions en fonction de leur impact sur le marché. La jurisprudence à laquelle il est fait référence aux points 68 et 70 de l’arrêt attaqué est manifestement erronée.

86.      En outre, si un participant au cartel fournit des éléments de preuve économétriques montrant que le cartel dans son ensemble n’a pas eu d’impact sur les prix du marché, et que les autres participants prétendent la même chose, la Commission ne devrait pas pouvoir rejeter ces éléments de preuve pour estimer que l’infraction a eu un impact – et prendre cet élément en compte pour fixer le montant de départ d’une amende, aux termes des lignes directrices – uniquement sur la base d’éléments de preuve indirects, tels ceux qui sont examinés au point 69 de l’arrêt attaqué. Dans un tel scénario, la Commission devrait produire des éléments de preuve directs montrant que le cartel a bien eu un impact sur le marché.

87.      Les éléments de preuve économétriques produits par KME étaient fondés sur des données complètes tirées de tous les renseignements disponibles concernant les factures et les clients de KME sur une période de plus d’une décennie, montrant i) que l’entente n’avait eu aucun impact statistiquement significatif sur les prix facturés par KME et ii) que l’analyse valait pour l’entente dans son ensemble. L’absence d’impact a été confirmée par des éléments de preuve du dossier montrant le non-respect des accords par les divers participants. Enfin, l’absence d’impact négatif pour les utilisateurs finals a été confirmée par le fait que les tubes en cause ne représentaient que quelque 2 % du prix de vente au détail des produits finis dans lesquels ils étaient incorporés.

88.      En droit, la Commission aurait dû produire des éléments de preuve en sens contraire basés sur des facteurs économiques objectifs relatifs au marché et au contexte économique pertinents, pour établir l’existence et l’ampleur de l’impact prétendu sur le marché; la Commission ne pouvait pas constater que l’entente avait un impact sur le marché sur la seule base des éléments de preuve indirects sur lesquels elle a fondé sa décision.

89.      L’arrêt attaqué est également entaché d’une motivation illogique et inadéquate. Dans son appréciation au fond de l’argument de KME selon lequel les éléments de preuve de nature économétrique qu’elle avait produits démontraient l’absence de tout impact sur le marché, le Tribunal i) a seulement fait référence au rapport initial, selon lequel l’entente n’avait eu aucun impact sur les prix de KME, ii) n’a donc pas tenu compte des deux rapports suivants, qui concluaient que le cartel dans son ensemble n’avait pas eu d’impact sur le marché; et iii) a finalement rejeté l’argument de KME au motif que les éléments de preuve de nature économétrique fournis ne montraient pas que l’entente dans son ensemble n’avait pas eu d’impact sur le marché. En d’autres termes, le Tribunal, tout en considérant comme recevables les éléments de preuve montrant l’absence d’impact sur le marché, a rejeté l’argument de KME au motif qu’il n’avait pas produit cette preuve – dénaturant donc manifestement les faits et les éléments de preuve qui lui ont été soumis.

90.      Ainsi, en ne constatant pas les erreurs de droit commises par la Commission, le Tribunal a enfreint le droit communautaire. KME estime donc que la Cour devrait procéder à une nouvelle fixation du montant de départ de l’amende, en excluant du calcul l’élément d’impact sur le marché.

 Réponse de la Commission

91.      En premier lieu, la Commission soutient que le moyen est inopérant, parce qu’il est dirigé contre une argumentation secondaire et accessoire.

92.      La constatation d’après laquelle la Commission avait démontré à suffisance de droit un impact concret de l’entente sur le marché a explicitement été faite uniquement à titre surabondant. Selon une jurisprudence constante, un arrêt ne saurait être annulé uniquement sur la base de la contestation de ce type de constatation. Le Tribunal a déclaré que chacun des deux éléments de la décision en cause, pour lesquels KME a affirmé que l’impact concret sur le marché devait être pris en considération, était justifié, que cet impact ait pu être établi ou non. À propos du traitement différencié des entreprises parties à l’entente, il a affirmé que, même en l’absence de preuve d’une incidence concrète sur le marché, la Commission était en droit de procéder à un traitement différencié, en fonction des parts de marché respectivement détenues; et que, quant à la gravité de l’infraction, même si la Commission n’avait pas apporté la preuve d’un impact concret sur le marché, cela aurait été sans incidence sur la qualification de l’infraction en tant que «très grave» et donc sur le montant de l’amende. KME ne mentionne même aucune de ces deux constatations de principe, lesquelles tombent ainsi en dehors du champ du pourvoi. Ses critiques dirigées contre la constatation supplémentaire du Tribunal, faite à titre surabondant, ne sauraient entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.

93.      En deuxième lieu, la Commission soutient que le moyen est irrecevable, en ce qu’il conteste des appréciations de fait.

94.      KME affirme simplement que le Tribunal i) a estimé à tort que la Commission pouvait légitimement déduire l’existence d’un impact concret sur le marché à partir des éléments de preuve énumérés au point 69 de son arrêt; ii) aurait dû accorder plus de poids, au point 71 de l’arrêt, aux preuves qui, selon KME, indiquent l’absence d’impact et l’absence de respect des accords par les membres de l’entente; iii) aurait dû accorder plus d’importance, au point 72, aux études économétriques qui, selon KME, indiquent l’absence d’impact significatif d’un point de vue statistique; et iv) aurait dû demander des «preuves directes» de l’existence et de l’ampleur d’un impact.

95.      La Cour n’est cependant pas compétente pour établir les faits ni, en principe, pour examiner les éléments de preuve que le Tribunal a retenus. Il revient uniquement à ce dernier d’apprécier la valeur des éléments de preuve, dès lors qu’elles ont été obtenues régulièrement et que les règles et principes applicables en la matière ont été respectés. Sauf s’il y a eu dénaturation de ces éléments de preuve, cette appréciation n’est pas susceptible d’un contrôle de la Cour.

96.      Les preuves d’un impact concret invoquées dans la décision en cause et les conclusions qui en ont été tirées ont fait l’objet d’un examen détaillé devant le Tribunal, qui a résumé les preuves au point 69 de son arrêt, a conclu, au point 70, que la Commission pouvait légitimement déduire que l’entente avait eu un impact concret et a poursuivi en rejetant, aux points 71 et 72, les arguments de KME selon lesquels d’autres éléments mettaient en cause cette constatation.

97.      De plus, en dehors du fait que les arguments de KME se fondaient uniquement sur son propre comportement, les analyses économétriques présentées par KME ont été fondamentalement infirmées par différentes questions qui ont été pleinement débattues devant le Tribunal. Ce dernier n’a pas eu besoin de statuer sur ces points, puisqu’il a de toute manière rejeté les arguments de KME, mais la Commission les résume comme indiqué ci-après.

98.      Les analyses économétriques tentaient de tirer des conclusions relatives à l’impact de l’entente en comparant les prix dont il était constant qu’ils avaient été convenus, avec des prix «en période de concurrence normale» et/ou dans des pays «où la situation de concurrence est normale». Cependant, cela comportait un nombre élevé de zones pour lesquelles il y avait des preuves directes d’un comportement collusoire. Un accord de prix comportait des augmentations spécifiques pour des pays nommément cités et une augmentation de 8 % pour «tout autre pays non mentionné», suggérant que toutes les ventes de KME faisaient l’objet d’une entente et qu’il n’y avait donc pas de «pays où la situation de concurrence est normale» avec lesquels une comparaison pouvait être établie.

99.      En tout état de cause, un examen des calculs statistiques montrait que les résultats allégués allaient également dans le sens d’une augmentation des prix due à l’entente. Le modèle présenté par KME ne pouvait exclure une hausse moyenne de 10,5 % par an et montrait que les prix de KME Germany avaient augmenté de 29,9 % par an en moyenne pendant la durée de l’entente. À d’autres égards, les études ont produit des résultats inhabituels que KME n’a pas été en mesure d’expliquer.

100. Le Tribunal a donc correctement examiné les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée pour établir un impact concret, ainsi que tous les arguments avancés par KME pour contester cette conclusion. S’appuyant sur des éléments de preuve spécifiques, crédibles et adéquats, allant bien au-delà du seul fait que des accords de prix avaient été mis en œuvre, le Tribunal a conclu qu’un impact concret avait été suffisamment établi.

101. En troisième lieu, la Commission soutient que les constatations du Tribunal sont dûment motivées.

102. L’affirmation de KME – selon laquelle le raisonnement du Tribunal était illogique et inadéquat lorsqu’il estimait que les preuves économétriques produites par KME ne démontraient pas que l’infraction dans son ensemble n’avait pas eu d’impact sur le marché, en se référant au rapport initial qui ne portait que sur les prix pratiqués par KME, sans mentionner les deux rapports complémentaires qui concernaient l’entente dans son ensemble – est basée sur une interprétation erronée du point 72 de l’arrêt.

103. Devant le Tribunal, KME a prétendu que les études réalisées sur les prix qu’elle pratiquait prouvaient que l’entente n’avait pas eu d’impact concret sur le marché. Toutefois, l’étude initiale qui a été prise en considération par la Commission dans la décision attaquée tout autant que les deux rapports complémentaires qui ont été présentés devant le Tribunal portaient uniquement sur les ventes de KME. Au point 72 de son arrêt, le Tribunal a rejeté l’argument de KME, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation souverain des faits et des éléments de preuve, en insistant sur le fait que le comportement d’une entreprise isolée est sans pertinence lors de l’évaluation de l’impact d’une entente dans son ensemble. Ce raisonnement ne comporte aucune incohérence.

104. L’importance de l’examen de l’impact global de l’entente est manifeste en l’espèce. En première instance, la Commission a souligné que l’entente comportait un système de partage de la clientèle et un mécanisme dans le cadre duquel, avant de voir les clients, les membres de l’entente devaient se mettre en rapport avec le chef de file de chaque pays et s’enquérir des quantités qui pouvaient être vendues et des prix pratiqués. Les données relatives aux prix demandés par KME ne sauraient donc justifier des conclusions relatives à ceux d’autres membres de l’entente – par exemple lorsque KME n’a, en réalité, pas tenté de vendre ses produits en raison de l’accord de partage de la clientèle. KME a suggéré qu’elle n’avait pas respecté les accords collusoires, mais, pour que ses rapports économétriques soient porteurs d’informations à cet égard, elle aurait dû prouver qu’elle avait violé l’accord pour chaque client attribué à un autre membre de l’entente. KME n’a même pas tenté de le faire, que ce soit devant la Commission ou devant le Tribunal.

105. La dernière phrase du point 72 de l’arrêt attaqué ne mentionne que le rapport initial, puisque KME a soutenu que la décision en cause avait réfuté à tort l’importance de ce rapport. Les rapports complémentaires n’existaient pas au moment de l’adoption de la décision en cause et n’auraient pas pu être pris en considération. Il est évident que le Tribunal a examiné les trois études économétriques avant d’aboutir à sa conclusion à propos des arguments de KME fondés sur une analyse de ses prix. Ces arguments ont été rejetés pour un motif commun aux trois rapports, à savoir le fait qu’ils se rapportaient uniquement aux prix pratiqués par KME.

 Appréciation

106. La première question est de savoir si l’acceptation, par le Tribunal, de l’appréciation de l’infraction par la Commission en tant que «très grave» et la fixation consécutive du montant de base de l’amende peuvent se justifier uniquement par la nature de l’infraction (un accord de fixation des prix et de répartition des marchés), indépendamment de la preuve d’un impact concret sur le marché.

107. Dans la décision en cause, la Commission a fixé le montant de départ en se fondant sur ses constatations selon lesquelles a) l’infraction était «très grave» en raison i) de sa nature, ii) de son impact sur le marché et iii) de la dimension géographique de ce marché, et b) la part de KME sur le marché était environ trois fois supérieure à celle d’Outokumpu ou de Wieland. Elle a fixé un montant de base global de 58,1 millions d’euros – 35 millions d’euros pour KME et 11,55 millions d’euros pour chacune des deux autres entreprises.

108. KME a plaidé en première instance que, aussi bien lors de l’évaluation de la gravité de l’infraction que lors de la répartition du montant de départ de l’amende entre les membres du cartel, la Commission n’avait pas pris en considération l’impact concret sur le marché; elle avait simplement estimé que l’impact sur le marché était établi, mais ne pouvait pas être chiffré et que le montant de départ pouvait valablement être réparti sur la base des parts de marché. En substance, KME a plaidé que la Commission était légalement tenue de prendre en considération l’impact concret sur le marché, lorsqu’il pouvait être mesuré; qu’en l’occurrence il pouvait l’être et que l’analyse économétrique produite par KME montrait qu’il était statistiquement insignifiant; que le montant de départ global aurait donc dû être établi dans la limite inférieure de l’échelle applicable (qui commence à 20 millions d’euros pour les infractions «très graves»).

109. Au point 63 de son arrêt, le Tribunal a estimé que, «même si la Commission n’avait pas prouvé que l’entente avait eu un impact concret sur le marché, cela aurait été sans incidence sur la qualification de l’infraction de ‘très grave’ et donc sur le montant de l’amende» en ajoutant un raisonnement allant dans le même sens aux points 64 et 65.

110. Devant la Cour, les arguments de KME visent principalement les constatations ultérieures figurant aux points 66 à 72 de l’arrêt attaqué, dans lesquelles le Tribunal a jugé «[à] titre surabondant» que la Commission avait suffisamment démontré l’impact concret du cartel sur le marché.

111. Par conséquent, la Commission affirme que le moyen est inopérant, puisque KME n’a pas contesté la constatation essentielle du point 63; même s’il était fait droit à son argumentation relative à l’impact concret sur le marché, la constatation portant sur la nature «très grave» du cartel serait maintenue et l’arrêt ne pourrait pas être annulé, dans la mesure où il a rejeté le premier moyen.

112. Je ne trouve rien à critiquer dans ce raisonnement, mais je ne pense pas que la prémisse, selon laquelle KME n’a pas contesté la constatation essentielle figurant au point 63, puisse nécessairement être acceptée.

113. Il est certainement vrai que KME n’a pas contesté la constatation selon laquelle la Commission était fondée à considérer l’infraction comme «très grave» sur la base de sa seule nature. Elle indique même (bien que dans une note de bas de page) qu’elle n’avait pas contredit ce point en première instance; elle avait plutôt affirmé que, compte tenu de l’impact concret limité du cartel, le montant de départ de l’amende aurait dû être fixé, globalement, dans la limite inférieure de l’échelle des infractions «très graves» (c’est-à-dire 20 millions d’euros selon les lignes directrices), plutôt qu’à 58,1 millions d’euros. Vu sous cet angle, il me semble que le premier moyen de KME doit être perçu comme contestant nécessairement (bien que pas aussi expressément que l’on aurait pu le souhaiter, j’en conviens) la constatation du Tribunal selon laquelle, puisque l’impact concret sur le marché était sans importance pour la qualification de l’infraction de «très grave», il était également sans importance pour la détermination du montant de départ de l’amende.

114. J’admets toutefois que, si les constatations figurant aux points 63 à 65 de l’arrêt attaqué sont confirmées, une contestation des autres constatations figurant aux points 66 à 72 serait vaine, même s’il y était fait droit. Il ressort clairement de la partie introductive du point 66 (36) que ce qui suivait allait au-delà de ce que le Tribunal considérait comme un raisonnement suffisant. En outre, en toute logique, si «les ententes méritent, en raison de leur nature propre, [l]es amendes les plus sévères», indépendamment de leur incidence concrète sur les prix pratiqués sur le marché, et si la Commission s’est basée sur l’existence d’un impact plutôt que sur son ampleur exacte lorsqu’elle a fixé le montant de départ de l’amende, ce montant ne peut alors pas être contesté en essayant de prouver que l’impact était limité.

115. La Commission soutient également que ce moyen est irrecevable, puisqu’il ne met en cause que des appréciations de fait opérées par le Tribunal.

116. Encore une fois, je ne suis pas tout à fait convaincue. Plusieurs points de l’argumentation de KME semblent bien concerner des appréciations de fait (notamment ceux qui sont formulés aux points 18 à 20, et 22 du pourvoi et repris aux points 87 et 89 ci-dessus), mais d’autres sont des arguments juridiques dirigés contre de prétendues insuffisances de l’arrêt attaqué (bien que, une fois encore, ils auraient pu être formulés de façon plus adéquate). En substance, KME plaide que, confronté à un désaccord sur les conclusions à tirer des éléments de preuve disponibles, le Tribunal n’aurait pas simplement dû permettre à la Commission de se reposer sur des suppositions tirées d’«indices indiquant, avec une probabilité raisonnable, que l’entente a eu un impact sur le marché», mais qu’il aurait au moins dû lui demander de réfuter de façon convaincante les preuves contraires de KME. Comme je l’ai expliqué ci-dessus au point 113, cet argument doit être lu dans le cadre d’une contestation de la constatation du Tribunal, non du fait que l’incidence concrète sur le marché était sans importance pour la qualification de l’infraction de «très grave», mais du fait qu’elle était également sans importance pour la détermination du montant de départ de l’amende.

117. Par conséquent, je ne rejetterais pas le premier moyen comme étant inopérant, ou comme irrecevable en ce qu’il ne met en cause que des constatations de fait.

118. D’autre part, dans la mesure où il soulève effectivement des questions de droit, je ne propose pas d’accueillir ce moyen. L’affirmation du Tribunal, au point 64 de son arrêt, selon laquelle l’éventuel impact concret d’une entente sur le marché n’est pas un critère déterminant pour la fixation du niveau des amendes, est largement soutenue par la jurisprudence qu’il cite (37). Cet impact n’est qu’un des nombreux éléments (non limités aux trois éléments énumérés dans les lignes directrices) qui doivent être pris en considération. Dans la mesure où la Commission a bien établi, dans la décision en cause, qu’il y avait un certain impact (ce que KME ne conteste pas), elle pouvait avoir recours à cette constatation comme étant un des éléments sur lesquels fonder le calcul du montant de départ de l’amende. Et, dans la mesure où, ce faisant, la Commission n’a pas présumé que l’impact se situait à un niveau particulier (au contraire, elle a agi en se fondant explicitement sur le fait que les effets ne pouvaient pas être quantifiés de façon précise (38)), on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir identifié ce niveau de façon précise, et le Tribunal ne peut pas davantage être critiqué pour avoir admis l’approche de la Commission.

119. Je tiens à ajouter que, si des entreprises choisissent de produire des études économétriques à l’appui de leur argumentation, la Commission est évidemment tenue de prendre dûment en considération cet élément de preuve dans son appréciation globale. Toutefois, si elle n’accepte pas la preuve dans sa totalité, elle n’est pas tenue de produire une contre-analyse économétrique pour prouver le contraire.

120. Comme je l’ai indiqué ci-dessus au point 83, il reste à analyser si l’examen approfondi du moyen par le Tribunal pourrait ne pas avoir satisfait aux critères requis par la CEDH et la charte.

121. À cet égard, j’observe que KME ne semble pas invoquer une telle carence. Aucun des passages cités dans le cadre de son cinquième moyen n’est extrait de la partie concernée de l’arrêt du Tribunal. Et cette partie de l’arrêt n’utilise pas non plus le genre de formulation auquel KME s’oppose en particulier, c’est-à-dire une référence au pouvoir d’appréciation de la Commission.

122. Il m’apparaît en outre que le Tribunal a traité le premier moyen conformément à la façon dont KME l’a invoqué.

123. L’argumentation de KME reposait essentiellement sur l’affirmation selon laquelle la Commission était tenue, aux termes de ses propres lignes directrices, soit de mesurer l’impact concret du cartel sur le marché et de se fier à cette mesure, soit de s’abstenir tout simplement d’invoquer l’impact sur le marché. Le Tribunal a traité cet argument et, tout en considérant qu’il était superflu de le faire, il a également examiné les éléments de preuve dont la Commission disposait, tout autant que les rapports économétriques ultérieurs fournis par KME, concluant que la référence de la Commission à un impact sur le marché et son recours à cet élément lors de la fixation du montant de départ de l’amende ne pouvaient pas faire l’objet de reproches. Donc, même si d’autres questions auraient pu être soulevées (par exemple, à propos de la nécessité éventuelle d’expliquer pourquoi le montant de départ global était de 58,1 millions d’euros plutôt que de 20 millions d’euros ou de 100 millions d’euros), elles ne l’ont pas été, et le Tribunal a traité les questions effectivement soulevées d’une façon qui n’indique en aucune manière qu’il n’a pas exercé sa compétence de pleine juridiction, comme le requiert la CEDH.

 Deuxième moyen: taille du marché

 Passages pertinents de l’arrêt attaqué

124. Dans la décision en cause, la Commission avait calculé la taille du marché concerné en incluant le coût du cuivre utilisé pour la fabrication des tubes. En première instance, KME a plaidé que ce calcul ne tenait pas compte de la réalité du marché. En fait, les acheteurs de tubes détermineraient eux-mêmes le prix du cuivre mis en œuvre et ce prix, qui représenterait environ deux tiers du prix final des tubes, serait simplement répercuté auprès desdits acheteurs. Le poids économique réel du marché aurait été limité à la marge de transformation, qui représenterait environ un tiers de la valeur de 288 millions d’euros utilisée dans la décision en cause.

125. Aux points 86 à 89 de son arrêt, le Tribunal a observé que la Commission avait le droit, mais non l’obligation, de se référer à la taille du marché lors de la détermination de la gravité de l’infraction aux fins de fixer le montant de départ de l’amende; qu’en l’espèce elle l’avait fait, tout en ne la considérant que comme un des facteurs pris en considération; et qu’il était donc nécessaire d’examiner si la Commission avait eu tort de tenir compte du prix du cuivre à cet égard. La conclusion du Tribunal figure aux points 91 à 94:

«91      […] aucune raison valable n’impose que le chiffre d’affaires d’un marché pertinent soit calculé en excluant certains coûts de production. Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, il existe dans tous les secteurs industriels des coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peut maîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essentiel de l’ensemble de ses activités et qui, partant, ne sauraient été exclus de son chiffre d’affaires lors de la fixation du montant de départ de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T‑68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, points 5030 et 5031). Le fait que le prix du cuivre constitue une partie importante du prix final des tubes industriels ou que le risque de fluctuations des prix du cuivre soit bien plus élevé que pour d’autres matières premières n’infirme pas cette conclusion.

92      […] s’agissant des divers griefs des requérantes tendant à affirmer que, au lieu d’avoir recours au critère du chiffre d’affaires du marché pertinent, il serait plus opportun, au vu de la finalité dissuasive des amendes et du principe d’égalité de traitement, de fixer leur montant en fonction de la rentabilité du secteur affecté ou de la valeur ajoutée s’y rapportant, il y a lieu de constater qu’ils sont dénués de pertinence. À cet égard, force est de constater, tout d’abord, que la gravité de l’infraction est déterminée par référence à de nombreux facteurs, pour lesquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation (arrêt du 12 décembre 2007, BASF/Commission, T-101/05 et T-111/05, Rec. p. II-4949, point 65), aucune liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte n’ayant à cet égard été établie (arrêt Dalmine/Commission, cité au point 64 supra, point 129), il n’appartient pas au juge communautaire, mais à la Commission de choisir, dans le cadre de sa marge d’appréciation et conformément aux limites découlant du principe d’égalité de traitement et du règlement n° 17, les facteurs et les données chiffrées qu’elle prendra en compte afin de mettre en œuvre une politique qui assure le respect des interdictions visées à l’article 81 CE.

93      Il est, ensuite, incontestable que le chiffre d’affaires d’une entreprise ou d’un marché est, en tant que facteur d’évaluation de la gravité de l’infraction, nécessairement vague et imparfait. Il ne fait de distinction ni entre les secteurs à forte valeur ajoutée et les secteurs à faible valeur ajoutée, ni entre les entreprises rentables et celles qui le sont moins. Toutefois, malgré sa nature approximative, le chiffre d’affaires est considéré, à l’heure actuelle, tant par le législateur communautaire que par la Commission et par la Cour comme un critère adéquat, dans le cadre du droit de la concurrence, pour apprécier la taille et le pouvoir économique des entreprises concernées [voir, notamment, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, cité au point 64 supra, point 121; article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17; considérant 10 et articles 14 et 15 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1)].

94      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que la Commission a pris en compte le prix du cuivre aux fins de déterminer la taille du marché concerné.»

 Résumé des arguments des parties

 Pourvoi de KME

126. KME considère que, puisque son exposé sur les caractéristiques du marché en cause n’a pas été contredit dans l’arrêt attaqué, ces données doivent être considérées comme des faits établis dans le cadre du présent pourvoi. Elle affirme toutefois que le Tribunal a commis une erreur de droit et a motivé de façon inadéquate son arrêt en n’admettant pas que la Commission était fondée à interpréter la notion de «chiffre d’affaires» comme étant le chiffre d’affaires «net», lors du calcul de la valeur du marché.

127. En premier lieu, la jurisprudence et la pratique de la Commission montrent que, pour le calcul du montant de départ d’une amende, la Commission doit tenir compte des caractéristiques particulières du marché ou de l’entreprise en cause. La Cour et le Tribunal ont jugé qu’elle pouvait s’écarter de sa pratique habituelle consistant à fonder son calcul sur le chiffre d’affaires durant la dernière année complète de l’infraction si cette année n’était pas représentative de la véritable taille et de la puissance économique de l’entreprise, ainsi que de l’ampleur de l’infraction. En ce qui concerne le calcul du montant maximal de l’amende, la Cour a jugé que, dans chaque cas d’espèce, et en tenant compte du contexte ainsi que des objectifs poursuivis par le régime de sanctions, la Commission devait évaluer l’impact recherché sur l’entreprise concernée, notamment en tenant compte d’un chiffre d’affaires qui reflète la situation économique réelle de celle-ci pendant la durée de l’infraction. Dans sa pratique décisionnelle récente, la Commission s’est souvent appuyée sur la faculté que lui accordent les lignes directrices de s’écarter de la règle de l’utilisation des ventes durant la dernière année complète de la participation à l’infraction, lorsque cela se justifie en raison des circonstances particulières de l’affaire ou d’autres éléments extérieurs. Et le Tribunal a jugé qu’il est loisible à la Commission de fonder son évaluation de la capacité économique effective à créer un dommage important sur les données relatives au chiffre d’affaires et aux parts de marché, à moins que des circonstances particulières, telles que les caractéristiques du marché, n’amoindrissent sensiblement le caractère significatif de ces données et n’imposent la prise en compte d’autres facteurs.

128. En deuxième lieu, le fait que le prix du cuivre dépend uniquement de la décision du client d’acheter un jour donné rend unique l’industrie des tubes en cuivre et rend impossible la comparaison avec d’autres industries, de même que le cuivre ne peut pas être comparé à d’autres intrants – tels que l’énergie, l’eau et les équipements – dont le prix est déterminé contractuellement entre le fabricant et le fournisseur. Cependant, le Tribunal a conclu erronément qu’il n’y avait pas de raison valable d’exclure le prix du cuivre de la taille du marché affecté par le cartel aux fins du calcul de l’amende. Ce faisant, il a également enfreint le principe de non-discrimination (en vertu duquel il convient de traiter différemment des situations différentes) et le principe de proportionnalité. En ce qui concerne ce dernier, l’amende de KME représente approximativement 2 % de son chiffre d’affaires mondial total en 2002, 40 % de son chiffre d’affaires sur le marché du tube industriel dans l’EEE en 2002 sur la base du prix global des tubes, comprenant le cuivre, 80 % de son chiffre d’affaires de la transformation sur ce marché, 42 % de son bénéfice brut d’exploitation en 2003 et 16 % de son patrimoine en juin 2003.

129. En troisième lieu, si la Commission avait condamné KME pour avoir participé à un cartel dans le cadre du même marché, ayant pris fin en 2007, et avait calculé la valeur du marché sur la base du chiffre d’affaires total pour cette année, le montant de départ de l’amende aurait été beaucoup plus élevé, simplement en raison de l’énorme augmentation du prix du cuivre entre 2003 et 2007.

130. En quatrième lieu, ce serait à tort que le Tribunal s’est référé à son arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission (39): dans cette affaire, les coûts d’intrants pertinents, tels que les frais de transport et la fourniture de sacs, étaient sous le contrôle des membres du cartel, tandis qu’en l’espèce le prix du cuivre n’était pas sous le contrôle des fabricants de tubes. Le Tribunal se serait en outre référé à tort à la jurisprudence qui accorde à la Commission une marge d’appréciation pour choisir les facteurs qu’elle utilise pour déterminer la gravité d’une infraction, lesquels incluent, de manière générale, le chiffre d’affaires, étant donné que le chiffre d’affaires global n’est pas un indicateur significatif de la gravité d’une infraction au sein du marché du tube industriel. La marge d’appréciation dont dispose la Commission pour choisir ces facteurs ne peut pas s’étendre à des éléments qui, à la lumière des caractéristiques spécifiques du contexte économique, n’ont aucun effet sur la gravité de l’infraction. Dans son arrêt, le Tribunal n’aurait pas examiné si les critères utilisés par la Commission étaient pertinents et adéquats.

 Réponse de la Commission

131. La Commission soutient que les affirmations de KME relatives à la manière dont les prix du cuivre sont déterminés et les tubes industriels vendus ne constituent pas des faits établis aux fins du pourvoi. Le Tribunal n’était pas tenu de se prononcer sur ces détails. Ses constatations ne corroborent pas la caractérisation par KME des membres de l’entente comme agents d’achat du métal et la Commission a expressément fait valoir en première instance que, pour les raisons finalement adoptées dans l’arrêt attaqué, les affirmations de KME selon lesquelles elle agissait fréquemment comme agent de ses clients n’étaient pas pertinentes. Comme la Commission l’a expliqué, lorsque le client achetait en fait lui-même le cuivre et chargeait KME de le transformer, le prix du métal n’était pas inclus dans le chiffre d’affaires de KME. En tout état de cause, les constatations du Tribunal relatives à la taille du marché des tubes industriels sont incompatibles avec la suggestion selon laquelle les fabricants de tubes industriels réalisaient simultanément des ventes sur un «marché du cuivre» concurrentiel et un «marché de services de transformation» faisant l’objet d’une entente. Il n’existe qu’un seul marché: celui des tubes industriels.

132. Le Tribunal a rejeté l’affirmation de KME selon laquelle le secteur des tubes industriels serait unique en raison de l’absence de contrôle des prix des moyens de production, sans avoir eu besoin d’effectuer des constatations sur les allégations détaillées de KME. Au point 91 de son arrêt, il a déclaré qu’aucune raison valable n’imposait que le chiffre d’affaires d’un marché exclue certains coûts de production, et a estimé que tous les secteurs sont confrontés à des coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peut pas maîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essentiel de l’ensemble de ses activités. Ces coûts ne sauraient être exclus du chiffre d’affaires lors de la fixation du montant de départ d’une amende. Le fait que le prix du cuivre constitue une partie importante du prix final des tubes industriels ou que le risque de fluctuation des prix du cuivre soit plus élevé que pour d’autres matières premières n’infirme pas cette conclusion.

133. Ce moyen invite simplement la Cour à émettre une appréciation différente sur le caractère unique ou non du secteur des tubes industriels. KME réitère les allégations qu’elle avait soutenues en première instance à propos des droits contractuels des clients quant au prix du cuivre, de la part du prix du cuivre dans le prix global des tubes, et de la fluctuation des prix du cuivre. Non seulement un tel argument est irrecevable, mais rien ne distingue en réalité les fabricants de tubes industriels d’autres fabricants achetant des matières premières, des services essentiels ou des équipements. Aucune entreprise n’occupant pas une position dominante n’est en mesure de maîtriser le prix des matières premières. Les contrats résultent du propre choix des fabricants – avec, en l’occurrence, l’avantage de répercuter le risque de fluctuation du prix du cuivre sur le client.

134. Au point 93 de son arrêt, le Tribunal a reconnu que, en tant que facteur d’évaluation de la gravité de l’infraction, le chiffre d’affaires d’une entreprise sur un marché est nécessairement vague et imparfait. Il a admis que le chiffre d’affaires ne fait de distinction ni entre les secteurs à forte valeur ajoutée ou à faible valeur ajoutée, ni entre les entreprises rentables et celles qui le sont moins. Le Tribunal a néanmoins estimé que le chiffre d’affaires constitue un critère adéquat, dans le cadre du droit de la concurrence, pour apprécier la taille et le pouvoir économique des entreprises concernées. À l’inverse, les arguments de KME invitent simplement la Cour à infirmer l’appréciation du Tribunal à cet égard. Cette appréciation, exprimée après en avoir longuement débattu dans le cadre des mémoires et à l’audience, était équilibrée et a préféré l’objectivité du chiffre d’affaires au risque de controverses sans fin, de subjectivité et du caractère imprévisible qu’aurait impliqué la proposition de KME de déduire les coûts ne pouvant pas être maîtrisés par les participants à l’entente.

135. L’appréciation du Tribunal était correcte. La Cour devrait notamment rejeter la suggestion de KME de procéder à une nouvelle évaluation de l’amende sur la base de chiffres portant sur 2002 ou 2003. Des arguments de ce type n’ont de raison d’être que devant le Tribunal.

136. En ce qui concerne l’efficacité du contrôle effectué par le Tribunal, la Commission observe que (dans le cadre de son cinquième moyen, mais par référence au traitement de son deuxième moyen en première instance) KME cite le point 92 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal s’est référé au pouvoir d’appréciation de la Commission. Cependant, le Tribunal a jugé au point 91 «qu’aucune raison valable n’impose que le chiffre d’affaires d’un marché pertinent soit calculé en excluant certains coûts de production», qu’«il existe dans tous les secteurs industriels des coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peut maîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essentiel de l’ensemble de ses activités et qui, partant, ne sauraient été exclus de son chiffre d’affaires lors de la fixation du montant de départ de l’amende» et que «[l]e fait que le prix du cuivre constitue une partie importante du prix final des tubes industriels ou que le risque de fluctuation des prix du cuivre soit bien plus élevé que pour d’autres matières premières n’infirme pas cette conclusion». Au point 93, il a conclu que «[t]outefois, malgré sa nature approximative, le chiffre d’affaires est considéré, à l’heure actuelle, tant par le législateur communautaire que par la Commission et par la Cour comme un critère adéquat, dans le cadre du droit de la concurrence, pour apprécier la taille et le pouvoir économique des entreprises concernées». Enfin, au point 94, le Tribunal a indiqué que, «[e]u égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que la Commission […]».

 Appréciation

137. La question sous-jacente, en l’occurrence, est celle de savoir si, lorsqu’elle utilise la taille du marché (c’est-à-dire le volume des ventes plutôt que l’étendue géographique) comme l’un des critères grâce auxquels elle apprécie la gravité d’une infraction, la Commission devrait se référer dans chaque cas aux prix bruts ou si elle peut se référer uniquement à la partie du prix sur laquelle les contrevenants pouvaient exercer une influence.

138. KME ne prétend pas que la taille du marché ne devrait jamais être prise en considération, ni qu’il est toujours erroné de se référer aux prix bruts, mais que le marché des tubes en cuivre présente des caractéristiques particulières en raison desquelles il est erroné de procéder de la sorte en l’espèce. Elle estime, par conséquent, que le Tribunal a commis une erreur de droit et a fourni une motivation insuffisante en estimant que le chiffre d’affaires brut était un étalon de mesure valable de l’étendue du marché.

139. Selon moi, la Commission affirme, à juste titre, que KME demande pour une large part à la Cour de procéder à des constations de fait portant sur les caractéristiques du marché, ce qui n’entre pas dans ses compétences dans le cadre d’un pourvoi. Les constatations de fait du Tribunal ne sont que les suivantes: «le prix du cuivre constitue une partie importante du prix final des tubes industriels» et «le risque de fluctuation des prix du cuivre est bien plus élevé que pour d’autres matières premières». KME n’a pas prétendu que, en opérant ces constatations, le Tribunal avait dénaturé les éléments de preuve. C’est donc sur cette base factuelle qu’il convient d’apprécier si le Tribunal a commis une erreur de droit ou a fourni une motivation insuffisante.

140. Essentiellement, le Tribunal s’est basé sur quatre constatations pour étayer ses conclusions en droit: la taille de tout marché, mesurée en termes de volume de ventes, inclura certains coûts que les fabricants ne peuvent pas contrôler; les caractéristiques du marché des tubes industriels en cuivre ne sont pas exceptionnelles à cet égard; la Commission dispose d’une certaine marge d’appréciation pour choisir les facteurs qu’elle prend en considération; et le chiffre d’affaires brut est un critère admis (bien qu’il soit imparfait), de la taille et de la puissance économique des entreprises.

141. Je ne trouve aucune lacune dans ce raisonnement. Certes, l’affaire Cimenteries CBR e.a./Commission, à laquelle le Tribunal s’est référé, concernait des coûts accessoires, qui avaient certainement moins d’importance que le prix du cuivre en l’espèce, mais la différence de niveau n’exclut pas un développement de la jurisprudence existante pour couvrir des coûts plus importants. Il semble en outre inévitable que la proportion du chiffre d’affaires représentée par les matières premières varie significativement d’un secteur à l’autre. S’il était permis de prendre le chiffre d’affaires brut en considération dans certains cas, mais interdit de le faire dans d’autres cas, il faudrait définir un seuil, probablement sous forme d’un rapport entre le chiffre d’affaires net et le chiffre d’affaires brut, qui déclencherait la différence de traitement. Ce seuil serait toutefois très difficile à appliquer et ouvrirait la porte à des litiges sans fin et insolubles, y compris des allégations de discrimination. Il convient également de se souvenir que l’on ne trouve dans la décision en cause aucun lien mathématique direct entre la taille du marché et le montant de départ global des amendes, et que le Tribunal lui-même a jugé que la taille du marché n’était que l’un des facteurs utilisés par la Commission. Dans ces circonstances, il ne paraît pas déraisonnable d’accepter que la Commission puisse recourir à un étalon de mesure «approximatif», bien que facilement utilisable, pour évaluer la taille du marché, comme l’un des critères utilisés pour déterminer la gravité d’une infraction. En tout état de cause, KME n’a produit aucun motif valable permettant de conclure que le Tribunal avait commis une erreur de droit en concluant que la Commission pouvait procéder de la sorte.

142. J’aborde à présent la question de savoir si le contrôle du deuxième moyen par le Tribunal, en première instance, était suffisant à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

143. Tout d’abord, il est vrai que le Tribunal a déclaré, au cours de son raisonnement, que «la gravité de l’infraction est déterminée par référence à de nombreux facteurs, pour lesquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation» et qu’«il n’appartient pas au juge communautaire, mais à la Commission de choisir, dans le cadre de sa marge d’appréciation […] les facteurs et les données chiffrées qu’elle prendra en compte». KME a fait référence au premier de ces passages au moins pour affirmer, dans le cadre de son cinquième moyen, que le Tribunal avait fait preuve d’une «déférence excessive» au pouvoir d’appréciation de la Commission.

144. Il ressort toutefois clairement du deuxième moyen, dans lequel KME affirme que «la marge d’appréciation dont dispose la Commission pour choisir les facteurs qu’elle utilise pour déterminer la gravité d’un cartel ne peut pas s’étendre au point de se fonder sur des éléments qui, à la lumière des caractéristiques spécifiques du contexte économique, n’ont aucun effet sur la gravité de l’infraction», que KME admet en réalité l’existence de ce pouvoir d’appréciation, mais qu’elle est simplement en désaccord avec le Tribunal quant à son étendue. Je considère que cela ne constitue pas une base appropriée pour soutenir que le Tribunal n’a pas exercé sa compétence de pleine juridiction lors du contrôle de la décision en cause.

145. Il est vrai également que les constatations pertinentes du Tribunal faites aux points 91 à 93 de son arrêt sont brèves. Toutefois, cela n’implique pas nécessairement qu’elles révèlent un défaut d’examen approfondi des arguments. Au contraire, la longue présentation de l’argumentation de KME (aux points 75 à 82) et le rejet (au point 88) de l’argument de la Commission selon lequel la taille du marché était sans incidence sur le montant de l’amende indiquent clairement que le deuxième moyen a été soigneusement analysé. Les constatations du Tribunal sont tout à fait compatibles avec la conclusion selon laquelle il a abouti à sa propre conviction sur la justesse de l’inclusion des prix du cuivre lors de l’appréciation de la taille du marché aux fins de déterminer la gravité de l’infraction et, à mes yeux, KME n’a pas fourni d’argument convaincant permettant de mettre en question cette conclusion.

 Troisième moyen: pourcentage d’augmentation fondé sur la durée

 Passages pertinents de l’arrêt attaqué

146. En première instance, KME a plaidé dans le cadre de son troisième moyen que, si les lignes directrices autorisent une augmentation pouvant être fixée à 10 % par an (donc, allant de 0 à 10 %) sur la base de la durée de l’infraction, la Commission aurait dû ajuster cette augmentation pour tenir compte de l’intensité variable de l’entente au cours de sa durée et de son absence d’impact sur les prix, au lieu d’appliquer une augmentation forfaitaire du maximum de «10 % pour chaque année de participation, c’est-à-dire un total de 125 %». Le Tribunal a rejeté cet argument comme non fondé, jugeant aux points 100 à 104 de l’arrêt attaqué:

«100      […] qu’une augmentation de l’amende en fonction de la durée n’est pas limitée à l’hypothèse où il existerait une relation directe entre la durée et un préjudice accru [(40)] causé aux objectifs communautaires visés par les règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑03/01, Rec. p. II-071, point 278 et la jurisprudence citée).

101      Il ressort en outre des lignes directrices que la Commission n’a établi aucun chevauchement ni aucune interdépendance entre l’appréciation de la gravité et celle de la durée de l’infraction.

102      Au contraire, en premier lieu, il ressort de l’économie des lignes directrices qu’elles prévoient l’appréciation de la gravité de l’infraction en tant que telle aux fins de déterminer un montant de départ général de l’amende. En deuxième lieu, la gravité de l’infraction est analysée par rapport aux caractéristiques de l’entreprise concernée, notamment sa taille et sa position sur le marché pertinent, ce qui peut donner lieu à une pondération du montant de départ, à la répartition des entreprises en catégories et à la fixation d’un montant de départ spécifique. En troisième lieu, la durée de l’infraction est prise en compte pour la fixation du montant de base et, en quatrième lieu, les lignes directrices prévoient la prise en considération de circonstances aggravantes et atténuantes permettant de moduler le montant de l’amende, notamment en fonction du rôle actif ou passif des entreprises concernées dans la mise en œuvre de l’infraction.

103      Il s’ensuit que le simple fait que la Commission se soit réservé une possibilité de majoration par année d’infraction allant, s’agissant des infractions de longue durée, jusqu’à 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction ne l’oblige nullement à fixer ce taux en fonction de l’intensité des activités de l’entente ou des effets de celle-ci, voire de la gravité de l’infraction. Il appartient en effet à la Commission de choisir, dans le cadre de sa marge d’appréciation (voir point 36 ci‑dessus), le taux de majoration qu’elle entend appliquer au titre de la durée de l’infraction.

104      En l’espèce, la Commission a constaté, notamment aux considérants 335 et 340 de la décision attaquée, que le groupe KME avait participé à l’infraction pendant une durée de douze ans et dix mois, soit une longue durée au sens des lignes directrices, et a par conséquent majoré l’amende de 125 %. Ce faisant, la Commission ne s’est pas écartée des règles qu’elle s’est imposées dans les lignes directrices. Au demeurant, le Tribunal estime que cette majoration de 125 % n’est, en l’espèce, pas manifestement disproportionnée.»

 Résumé des arguments des parties

 Pourvoi de KME

147. KME soutient que le raisonnement du Tribunal est confus, illogique et inadéquat, car il ne formule aucune règle claire.

148. L’interprétation et l’application du point 1, sous B, des lignes directrices ont souvent été discutées dans la jurisprudence – laquelle n’articule toutefois pas les critères sur la base desquels, pour une infraction de plus de cinq ans, la Commission est tenue d’adapter le montant de départ de l’amende dans une marge allant de 0 à 10 % par année d’infraction. Cette jurisprudence semble simplement dire qu’une augmentation fondée sur la durée n’est pas limitée aux affaires où il existerait une relation directe entre la durée et un préjudice accru causé aux objectifs communautaires visés par les règles de concurrence – en d’autres termes, le montant de départ pourrait être augmenté en raison de la durée, même lorsque le préjudice causé aux objectifs communautaires visés par les règles de concurrence n’est pas aggravé directement par cet élément, ou même est absent. Cette approche doit être erronée.

149. En premier lieu, elle contredit les termes clairs du point l, sous B, qui parle de sanctionner réellement les restrictions «qui ont produit durablement leurs effets nocifs à l’égard des consommateurs». La Commission elle-même a donc établi la condition d’un lien direct entre la durée de l’infraction et son effet nocif, dont l’existence est reconnue depuis longtemps par la jurisprudence. Le Tribunal a soutenu que, lorsque la Commission détermine le montant de départ en fonction de la gravité, en tenant compte de l’impact réel sur le marché, cet impact doit être «pleinement démontré pendant toute la durée de l’entente», à défaut de quoi le montant de départ doit être réduit (41).

150. En deuxième lieu, en affirmant que la Commission n’a établi aucun chevauchement ni aucune interdépendance entre l’appréciation de la gravité et celle de la durée de l’infraction dans les lignes directrices, le Tribunal a admis l’argument de la Commission selon lequel le montant de la majoration en raison de la durée ne reflète que la durée de l’infraction et non sa gravité, si bien que les éléments pertinents concernant l’intensité de l’infraction sont déjà pris en compte lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction. Cependant, le Tribunal n’aurait pas vérifié si la Commission, en appréciant la gravité de l’infraction, a réellement accordé l’importance qui lui revenait au fait que l’intensité et l’efficacité du cartel ont varié dans le temps et qu’il y a eu d’importantes périodes de tension et d’écarts. Au lieu d’admettre l’affirmation de la Commission selon laquelle elle souhaitait éviter de compter deux fois les mêmes éléments au bénéfice des membres du cartel, le Tribunal aurait dû examiner soigneusement si tel était bien le cas dans la décision en cause. À deux reprises en réalité, la Commission n’aurait pas pris en considération les variations d’intensité, y compris deux périodes d’inactivité: une fois lors de la définition du montant de base en raison de la gravité et à nouveau lors de la détermination de l’augmentation en raison de la durée.

151. En troisième lieu, le Tribunal aurait commis une erreur de logique en affirmant que l’augmentation de 10 % par an était conforme aux principes énoncés dans les lignes directrices, du simple fait que celles-ci prévoient une augmentation allant jusqu’à 10 % par an. C’eût été correct si les lignes directrices avaient envisagé une majoration devant (et non pouvant) être fixée à 10 % par an. Toutefois, le pouvoir discrétionnaire de la Commission d’établir des sanctions dans des limites maximale et minimale n’est pas absolu, si bien qu’elle doit expliquer son choix par rapport aux caractéristiques de chaque affaire, sous le contrôle du juge. L’application de l’augmentation maximale n’aurait pas dû être approuvée par le Tribunal sans vérifier d’abord comment la Commission avait exercé son pouvoir discrétionnaire.

152. Enfin, ce serait à tort également que le Tribunal a considéré que la majoration de 125 % du montant de départ de l’amende n’était pas manifestement disproportionnée. Dans la décision en cause, la Commission a reconnu que l’intensité et l’efficacité du cartel ont varié dans le temps et qu’il y a eu d’importantes périodes de tension et d’écarts, mais elle a néanmoins appliqué l’augmentation maximale sur la base de la durée. KME aurait donc été traitée de la même façon si le cartel avait conservé la même intensité et la même efficacité pendant toute sa durée. En ne reconnaissant pas cette réalité et en ne lui accordant pas de poids, de même qu’en ne corrigeant pas l’erreur commise par la Commission lors de la fixation de la majoration, le Tribunal a enfreint les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

153. KME estime, par conséquent, que l’arrêt attaqué devrait être annulé à cet égard et que la Cour devrait exercer sa compétence de pleine juridiction pour fixer un pourcentage inférieur approprié d’augmentation en raison de la durée, en réévaluant le montant de départ et, partant, le montant total de l’amende.

 Réponse de la Commission

154. La Commission soutient que le Tribunal a jugé qu’elle n’était pas tenue de fixer l’augmentation en raison de la durée en fonction de l’intensité ou des effets de l’entente, voire de la gravité de l’infraction. Dans son moyen, KME est tout simplement en désaccord avec cette appréciation et invite la Cour à y substituer sa propre appréciation. Ce moyen est donc irrecevable.

155. Le Tribunal a fourni une explication claire et logique de son appréciation, qui répondait à tous les moyens de droit invoqués par KME. Il a jugé qu’une augmentation fondée sur la durée n’était pas limitée aux affaires dans lesquelles il existerait une relation directe entre la durée et un préjudice accru causé aux objectifs communautaires visés par les règles de la concurrence. Le Tribunal a ensuite expliqué que les lignes directrices ne prévoyaient aucun chevauchement ni aucune interdépendance entre l’appréciation de la gravité et de la durée de l’infraction. Elles prévoient plutôt quatre étapes distinctes. La Commission doit:

a)      apprécier la gravité de l’infraction en tant que telle aux fins de déterminer le montant de départ;

b)      analyser la gravité de l’infraction par rapport aux caractéristiques de chaque entreprise, ce qui peut donner lieu à une pondération du montant de départ;

c)      prendre en compte la durée de l’infraction pour la fixation du montant de base et

d)      prendre en considération les circonstances aggravantes et atténuantes permettant de moduler le montant de l’amende.

156. La gravité de l’infraction ou l’intensité ou les effets de l’entente ne font donc pas nécessairement partie de la majoration au titre de la durée prévue dans le cadre de la troisième étape. Les arguments de KME selon lesquels la majoration aurait dû être inférieure à 10 % par an s’appuyant totalement sur ces éléments, ils étaient dénués de fondement. Cependant, le Tribunal a jugé que la majoration de 125 % qui avait été fixée n’était manifestement pas disproportionnée.

157. KME fait à présent valoir que cette appréciation était inéquitable et que la Cour devrait y substituer sa propre appréciation. Toutefois, «[…] dans le cadre d’un pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, d’une part, d’examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d’une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement déterminé […] et, d’autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par la requérante tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende. […] S’agissant du prétendu caractère disproportionné de l’amende, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit [de l’UE]» (42).

158. Le troisième moyen de KME est donc irrecevable. En outre, pour les motifs avancés par le Tribunal, ce moyen est dénué de fondement.

159. En ce qui concerne la justesse de l’examen effectué par le Tribunal, la Commission observe que (dans le cadre de son cinquième moyen, mais en se référant au traitement de son troisième moyen en première instance), KME cite le point 103 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal fait référence, dans le cadre des lignes directrices, au pouvoir d’appréciation de la Commission en ce qui concerne la majoration à appliquer en fonction de la durée d’une infraction. Toutefois, au point 100, le Tribunal avait déjà fait la constatation positive de principe selon laquelle «une augmentation de l’amende en fonction de la durée n’est pas limitée à l’hypothèse où il existerait une relation directe entre la durée et un préjudice accru [(43)] causé aux objectifs communautaires visés par les règles de concurrence». En ce qui concerne l’argument de KME selon lequel la Commission s’est imposé des limites à cet égard en adoptant les lignes directrices, au point 102, le Tribunal a expliqué le système de ces lignes directrices et, au point 103, il a fait la constatation positive suivante: «[i]l s’ensuit que le simple fait que la Commission se soit réservé une possibilité de majoration par année d’infraction allant, s’agissant des infractions de longue durée, jusqu’à 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction ne l’oblige nullement à fixer ce taux en fonction de l’intensité des activités de l’entente ou des effets de celle-ci, voire de la gravité de l’infraction. Il appartient en effet à la Commission de choisir, dans le cadre de sa marge d’appréciation […], le taux de majoration qu’elle entend appliquer au titre de la durée de l’infraction». Le Tribunal a donc pris en considération l’argument de KME selon lequel la Commission s’était imposé une obligation spécifique en adoptant les lignes directrices, et a formulé la constatation positive selon laquelle ce n’était pas le cas.

 Appréciation

160. Le présent moyen de ce pourvoi (et le moyen correspondant en première instance, et même la partie pertinente de la décision en cause) présente une particularité inattendue: toute la question se révèle comme reposant entièrement sur une erreur arithmétique élémentaire qui ressort de l’arrêt attaqué, même si elle semble avoir échappé à l’attention de tous les intéressés.

161.  Dès le départ, la plainte de KME a porté sur l’augmentation de l’amende de 125 %, une proportion qu’elle considère excessive, fondée sur la durée de l’infraction. La Commission n’a nullement mis en cause cette prémisse (ce qui explique certainement pourquoi le Tribunal l’a acceptée sans difficulté) et semble même avoir eu l’impression qu’elle avait effectivement augmenté l’amende de KME de 125 % dans la décision en cause. Ce n’est pourtant pas le cas.

162. Il apparaît, sans recours à un calcul compliqué, que l’augmentation était considérablement moindre. Si l’on augmente une somme de 100 %, elle est doublée; par conséquent, si elle est augmentée de 125 %, elle est plus que doublée. Cependant, si nous comparons les chiffres globaux pour l’ensemble du groupe KME figurant aux points 17 et 19 de l’arrêt attaqué (respectivement 35 millions d’euros et 56,88 millions d’euros) (44), nous pouvons constater que l’augmentation détaillée au point 19 a donné lieu à un résultat inférieur au double du montant de départ. En fait, l’augmentation réelle a été de 62,5 % (45), exactement la moitié de ce qui a été prétendu, présumé ou accepté tout au long de la procédure. En effet, la Commission a traité le comportement de KME comme une participation à deux infractions distinctes, l’une d’une durée de sept ans et l’autre d’une durée de cinq ans et demi, conduisant à une augmentation globale en raison de la durée inférieure à celle appliquée dans le cas d’Outokumpu et de Wieland, bien que le comportement incriminé ait duré douze ans et dix mois dans le chef de tous les participants (46).

163. Il est préoccupant que cette différence de près de 22 millions d’euros (47) soit passée inaperçue. Peut-être les comptables de KME n’ont-ils pas vérifié les calculs dans la décision en cause, ou bien ils n’ont pas jugé opportun d’attirer l’attention sur cette question, et il se peut que les avocats de KME ne possédaient pas les compétences mathématiques nécessaires ou ont omis de vérifier les ordres de grandeur en cause de la façon que j’ai décrite au point précédent. Il est possible également que la Commission n’ait jamais vérifié les chiffres, que ce soit au stade du calcul de l’amende ou au cours de la procédure devant la Cour. Si (comme cela semble peu probable), l’intention avait effectivement été d’appliquer une augmentation globale de 62,5 %, il semblerait au moins qu’au sein de la Commission la communication n’ait pas fonctionné entre les responsables de la fixation de l’amende et les personnes chargées de la défense dans l’affaire introduite par KME.

164. En toute hypothèse, le résultat net semble être le suivant: tandis que les amendes infligées à Outokumpu et à Wieland ont en effet été augmentées de 125 % (un total cumulé légèrement inférieur à 10 % par année d’infraction) à ce stade du calcul, les amendes infligées à KME n’ont été accrues que de 62,5 % (un peu moins de 5 % par an), bien qu’elle ait participé à l’entente, soit en tant que groupe soit sous la forme de plusieurs sociétés, pendant la même durée (48). Cela révèle ce qui semble être une erreur dans la décision en cause qui, si elle avait été remarquée, aurait pu être contestée par Outokumpu ou Wieland ou qui aurait pu inciter le Tribunal à augmenter l’amende de KME.

165. Une question se pose néanmoins: en quoi cela affecte-t-il le présent moyen?

166. J’estime que cela rend le moyen inopérant. Il semble en effet que cela rende inopérant le moyen initial invoqué en première instance, et que les arguments de la Commission, ainsi que les constatations du Tribunal, soient dénués de pertinence. KME soutient que la Commission n’aurait pas dû appliquer l’augmentation maximale de 10 % par année d’infraction, en raison d’une durée présumée de douze ans et demi (voire un peu plus), entraînant une augmentation globale de 125 %. Ce n’est pas ce que la Commission a fait et l’affaire devrait en rester là.

167. Il est vrai qu’en théorie il serait possible de traiter séparément la question de savoir si la Commission aurait dû appliquer l’augmentation maximale de 10 % par an de la façon dont elle a procédé, conduisant à une augmentation globale de 62,5 %. Toutefois, aussi bien le raisonnement du Tribunal que l’argumentation de KME dans le cadre du pourvoi reposent sur l’hypothèse que l’augmentation globale était de 125 %. Traiter la question à la lumière de ce qu’auraient pu être ce raisonnement et cette argumentation si l’augmentation réelle avait été analysée serait pure spéculation.

168. On pourrait soutenir que le fait que le Tribunal n’a pas remarqué l’écart soutient l’affirmation de KME selon laquelle le niveau du contrôle juridique n’était pas adéquat. Cependant, le Tribunal n’a fait qu’appuyer son arrêt sur une prémisse qui était acceptée par les deux parties. Si le Tribunal avait en outre constaté que la prémisse était erronée, le résultat n’aurait pas pu être favorable à KME – qui ne peut donc pas prétendre que ses droits ont été atteints en quoi que ce soit.

 Quatrième moyen: réduction de l’amende fondée sur la coopération

 Passages pertinents de l’arrêt attaqué

169. Dans la décision en cause, la Commission a réduit l’amende d’Outokumpu, afin de tenir compte du fait qu’elle avait fourni des éléments de preuve permettant d’établir la durée de l’infraction à douze ans et dix mois, plutôt qu’à quatre ans seulement. La réduction a mis Outokumpu dans la même situation que si l’augmentation fondée sur la durée n’avait été que de 40 % au lieu de 125 %.

170. Dans la quatrième branche de son quatrième moyen invoqué en première instance, KME a plaidé que, en violation des lignes directrices ainsi que des principes d’équité et d’égalité de traitement, la Commission n’avait pas adéquatement tenu compte de sa contribution à l’établissement de la durée totale de l’infraction. Ayant été la première à fournir à la Commission des éléments de preuve décisifs (par opposition aux simples informations), pour deux périodes de l’infraction (de mai 1988 à novembre 1992, et de mai 1998 à la fin de 1999), KME aurait dû bénéficier d’une réduction de ses amendes pour ces périodes, de la même façon que l’amende d’Outokumpu a été réduite.

171. Le Tribunal a rejeté cet argument aux points 123 à 133 de son arrêt:

«123      […] il y a d’abord lieu de constater que, au titre de la communication de 1996 sur la coopération, ni Outokumpu ni les requérantes ne pouvaient bénéficier d’une réduction supérieure à 50 % du montant final des amendes qui leur ont été imposées, dès lors qu’elles n’avaient pas dénoncé l’infraction à la Commission avant que celle-ci n’ait procédé à des vérifications lui ayant fourni suffisamment de raisons pour engager la procédure d’infraction ayant mené à la décision attaquée.

124      Il est également constant que c’est par un mémorandum d’Outokumpu daté du 30 mai 2001 que la Commission a été informée, pour la première fois, de la durée totale du cartel. En effet, sur la base des informations fournies antérieurement par la société Mueller Industries, la Commission était seulement en mesure de prouver l’existence d’une infraction de mai 1994 à mai 1998. Cependant, les requérantes soutiennent que c’est grâce à l’information qu’elles ont communiquée à la Commission en octobre 2002 que cette dernière a pu définitivement prouver l’existence du cartel pour les périodes allant de mai 1988 à novembre 1992 et de mai 1998 jusqu’à la fin de 1999.

125      En établissant la durée additionnelle de l’infraction, la Commission était en mesure d’augmenter les montants de départ des amendes infligées aux contrevenantes de 125 % au lieu de 40 %, en vertu du point 1 B des lignes directrices. Partant, les entreprises qui avaient fourni à la Commission l’information sur la durée additionnelle de l’infraction couraient le risque de voir le montant de départ de leurs amendes majoré de 85 points de pourcentage additionnels.

126      Il s’agit là d’un paradoxe inhérent à la communication de 1996 sur la coopération, dans le sens où une entreprise qui relève du point D de ladite communication et qui fournit des informations nouvelles à la Commission court le risque d’être sanctionnée plus sévèrement que dans le cas où elle n’aurait pas transmis ces informations à la Commission. Le point 3, sixième tiret, des lignes directrices, selon lequel une ‘collaboration effective de l’entreprise à la procédure, en dehors du champ d’application [de la communication de 1996 sur la coopération]’ peut constituer une circonstance atténuante, permet de remédier à ce paradoxe.

127      En l’occurrence, en appliquant, sans le mentionner, le point 3, sixième tiret, des lignes directrices, la Commission a accordé, de fait, une immunité à Outokumpu en ce qui concerne la durée supplémentaire de l’entente, qu’elle ignorait avant la réception de son mémorandum du 30 mai 2001 (considérant 386 de la décision attaquée).

128      Il convient dès lors de vérifier si la Commission était tenue, soit en vertu du point 3, sixième tiret, des lignes directrices, soit conformément au principe d’égalité de traitement, d’accorder également une réduction aux requérantes pour les informations qu’elles ont fournies à la Commission, plus de seize mois après Outokumpu, concernant les périodes allant de 1988 à 1992 et de 1998 à 1999.

129      À cet égard, il y a lieu de rappeler, au préalable, que la Commission dispose d’une marge d’appréciation en ce qui concerne l’application de circonstances atténuantes (arrêt du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T-44/00, Rec. p. II-2223, point 307).

130      Il y a lieu ensuite de souligner qu’il est inhérent à la logique de l’immunité d’amendes que seul un des membres d’une entente peut en bénéficier, étant donné que l’effet recherché est de créer un climat d’incertitude au sein des ententes en encourageant leur dénonciation auprès de la Commission. Or, cette incertitude résulte précisément du fait que les participants à l’entente savent que seul l’un d’entre eux pourra bénéficier d’une immunité d’amende en dénonçant les autres participants à l’infraction, les exposant ainsi au risque qu’ils se voient infliger des amendes plus sévères.

131      Dans une situation telle que celle de l’espèce, où la Commission sait qu’une entente existe, mais ne dispose pas de certains éléments essentiels susceptibles d’établir la durée totale de cette infraction, il est particulièrement souhaitable d’avoir recours à un tel mécanisme, en particulier aux fins d’éviter que les contrevenants ne se mettent d’accord sur la dissimulation desdits éléments.

132      Une telle situation se distingue de celle où la Commission a déjà connaissance d’éléments de preuve, mais qu’elle cherche à les compléter. Dans cette dernière hypothèse, l’octroi d’une réduction d’amende aux contrevenants au lieu d’une immunité d’amende à une seule entreprise se justifie par le fait que l’objectif n’est plus de révéler une circonstance de nature à entraîner une augmentation de l’amende infligée, mais de rassembler autant de preuves que possible pour renforcer la capacité de la Commission à établir les faits en question.

133      En ce qui concerne la prétendue inégalité de traitement entre Outokumpu et les requérantes, il suffit de relever qu’elles ne se trouvaient pas dans une situation comparable étant donné que la première a fourni à la Commission plus d’un an avant les requérantes les informations ayant trait à la durée supplémentaire de huit ans et demi de l’entente.»

 Résumé des arguments des parties

 Pourvoi de KME

172. KME observe que la circonstance atténuante de «coopération en dehors du champ d’application de la communication de 1996» remédie à une lacune de cette communication – laquelle a été comblée en 2002 – en s’assurant qu’une société qui fournit à la Commission des éléments de preuve de circonstances précédemment ignorées et qui sont liées à la gravité et/ou à la durée de l’infraction ne soit pas punie plus sévèrement que si elle s’en était abstenue. Cette société obtient une immunité partielle portant sur ces aspects de l’infraction dont la Commission n’avait pas connaissance avant sa coopération et qu’elle a permis à la Commission d’établir. Par définition, une seule société peut bénéficier de cette circonstance atténuante. Puisque KME n’a pas contesté ce principe, c’est sur la base d’une erreur d’interprétation de sa plainte que le Tribunal a vérifié si la Commission était tenue «d’accorder également une réduction aux requérantes pour les informations qu’elles ont fournies à la Commission, plus de seize mois après Outokumpu, concernant les périodes allant de 1988 à 1992 et de 1998 à 1999».

173. KME estime qu’il existe deux critères possibles pour l’application de cette circonstance atténuante: elle s’appliquerait à la première société qui fournit à la Commission a) l’information ou b) les éléments de preuve qu’elle ignorait précédemment et qui ont une incidence sur la gravité ou la durée d’une infraction. Elle considère que le second critère est le bon et que le Tribunal a erronément fait application du premier critère en appréciant lequel des deux membres du cartel ayant coopéré – KME ou Outokumpu – pouvait bénéficier de cette circonstance atténuante. Elle fonde son point de vue sur les considérations suivantes:

i)      les dispositions correspondantes des communications sur la clémence de 2002 et de 2006 (49) indiquent toutes deux clairement que seule une entreprise qui fournit des éléments de preuve (et pas simplement une information) à la Commission peut bénéficier de l’immunité partielle;

ii)      la Commission n’a pas modifié sa politique en matière d’amendes à la suite de l’adoption des communications sur la clémence de 2002 et de 2006, et ne devrait donc pas interpréter la «coopération en dehors de la communication de 1996» d’une façon qui ne serait pas conforme à la communication sur la clémence de 2006;

iii)      conformément aux communications sur la clémence de 2002 et de 2006, le fait que la Commission ait une certaine connaissance de l’activité de cartel ne saurait empêcher un demandeur de clémence de bénéficier de l’immunité totale d’amendes, même si cette connaissance est suffisante pour effectuer une inspection ciblée (mais insuffisante pour établir une infraction). De même, la circonstance que la Commission a une certaine connaissance d’un comportement anticoncurrentiel durant une certaine période – y compris à la suite d’une information non établie provenant d’un participant au cartel – ne devrait pas priver un demandeur de clémence de la possibilité d’obtenir une immunité partielle, s’il fournit ensuite des éléments de preuve appropriés de ce comportement, permettant à la Commission de prouver l’existence du cartel durant cette période;

iv)      finalement, les entreprises seraient beaucoup moins disposées à coopérer avec la Commission si elles craignaient d’être sanctionnées pour des périodes pour lesquelles elles étaient les seules à fournir les éléments de preuve nécessaires; sans la coopération de KME, la Commission n’aurait pas pu établir l’infraction continue de 1988 à 2001; le raisonnement qui a permis l’application de la circonstance atténuante pertinente à Outokumpu pour les périodes de 1988 à 1993 et de 1999 à 2001 s’appliquait également à KME pour ces périodes; il était donc injuste pour KME, qui avait fourni à la Commission des éléments de preuve dont elle n’avait pas connaissance précédemment portant simultanément sur la durée et sur la gravité de l’infraction, de se voir sanctionner pour une infraction de plus longue durée que la Commission n’avait pu établir (au lieu de simplement la soupçonner) que grâce à la coopération de KME.

174. KME demande donc à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, dans la mesure où le Tribunal n’a pas considéré que KME devait bénéficier d’une réduction du coefficient multiplicateur en raison de la durée appliqué au montant de départ de l’amende pour les périodes allant de mai 1988 à novembre 1992 et de mai 1998 à la fin de l’année 1999; d’annuler la partie correspondante de la décision en cause et de redéfinir en conséquence l’amende de KME, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction.

 Réponse de la Commission

175. La Commission soutient que, lors de son appréciation des cas dans lesquels une immunité partielle – à la différence d’une réduction d’amende au titre de la coopération – peut être accordée, le Tribunal a fourni une explication claire et logique, qui répond à tous les arguments de droit avancés par KME. Aux points 123 à 127 de son arrêt, le Tribunal a expliqué que, en révélant la durée totale de l’entente à la Commission, Outokumpu avait permis à cette dernière de majorer le montant de départ de son amende de 85 %, alors que la réduction de l’amende au titre de la coopération ne pouvait être supérieure à 50 %. La Commission a traité ce paradoxe en accordant à Outokumpu une réduction d’amende équivalant à l’immunité partielle pour la durée supplémentaire qu’elle a révélée. Aux points 131 et 132, le Tribunal a expliqué comment cette situation se distinguait de celle des entreprises qui fournissaient simplement des preuves en ce qui concerne une période de l’entente dont la Commission avait déjà connaissance.

176. KME invite la Cour à remplacer le critère d’appréciation du Tribunal par le critère proposé par KME. Non seulement cette demande est irrecevable, mais l’appréciation du Tribunal est manifestement correcte et KME a manifestement tort. Lorsque Outokumpu a fourni des informations nouvelles à la Commission, elle a dévoilé la durée totale de l’entente et la Commission a été, pour la première fois, en mesure d’enquêter et de rechercher des preuves de cette durée totale. Sans cette divulgation, il n’aurait pas été possible d’établir une infraction pour les années non connues. KME a simplement fourni des preuves que, comme telles, la Commission ne possédait pas encore, mais qui concernaient des éléments de l’infraction qui étaient déjà connus de la Commission (pendant la durée déjà révélée par Outokumpu), et qui n’ont dès lors pas eu un impact aussi fondamental sur l’enquête. La Commission enquêtait déjà et recherchait des preuves de la durée de l’entente et aurait très bien pu les obtenir sans l’aide de KME. Cette dernière a donc facilité la tâche de la Commission, sans plus.

177. La distinction faite par KME entre informations et preuves n’est pas déterminante. En réalité, les «informations» fournies par Outokumpu constituaient également des preuves. Le mémorandum d’Outokumpu du 30 mai 2001, auquel il est fait référence au point 124 de l’arrêt attaqué, a été utilisé comme preuve dans la décision attaquée. À l’inverse, les «preuves» fournies par KME ont clairement fourni à la Commission des informations sur certains détails de l’entente. Le facteur déterminant réside dans le fait de savoir si tout élément d’«information» ou de «preuve» révèle pour la première fois un élément de l’entente affectant sa gravité ou sa durée qui n’aurait pas pu faire l’objet d’une enquête sans la contribution de l’entreprise concernée.

178. De plus, KME n’aurait pas bénéficié d’une immunité partielle en vertu de la communication de 2002 sur la clémence, qu’elle cite. Cette communication offre une immunité partielle à une entreprise qui «fournit des preuves de faits précédemment ignorés de la Commission qui ont une incidence directe sur la gravité ou la durée de l’entente présumée». Les preuves fournies par KME concernaient des faits préalablement connus de la Commission, à savoir la durée totale de l’entente.

179. Le critère alternatif de KME viendrait s’ajouter au critère d’une réduction de l’amende au titre de la coopération prévu à la section D de la communication de 1996 sur la clémence en vertu duquel une société livrant des «informations, documents ou autres éléments de preuve contribuant matériellement à confirmer l’existence de l’infraction» bénéficiera d’une réduction de 10 à 50 % et rendrait ce critère inutilisable. Le critère de KME permettrait de bénéficier de l’immunité, alors que la communication sur la clémence prévoit explicitement une réduction maximale de 50 % de l’amende et réduirait donc à néant le système créé par la communication sur la clémence. KME a été récompensée de manière adéquate pour sa coopération, par une réduction de 30 % de l’amende – qui a été confirmée par le Tribunal et n’a pas été contestée dans le cadre du pourvoi.

180. À propos du caractère suffisant de l’examen effectué par le Tribunal, la Commission observe que (dans le cadre de son cinquième moyen, mais en se référant au traitement de son quatrième moyen invoqué en première instance) KME cite le point 115 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a fait valoir que, en l’absence d’indication de nature impérative dans les lignes directrices, la Commission avait conservé une certaine marge pour apprécier les circonstances atténuantes, et le point 129, où le Tribunal a observé une nouvelle fois que la Commission disposait d’une marge d’appréciation à cet égard. Toutefois, ces observations ont été faites dans le contexte des arguments de KME voulant que la Commission ait violé le point 3 des lignes directrices en refusant de prendre en compte certaines circonstances atténuantes. Le Tribunal devait déterminer si ces arguments portaient sur des questions pour lesquelles la Commission s’était imposé une obligation dans les lignes directrices ou pour lesquelles elle avait conservé son pouvoir d’appréciation. Cela n’indique aucunement une absence de contrôle juridictionnel adéquat, mais reflète simplement la nature des arguments que KME a présentés en première instance. En ce qui concerne le grief selon lequel KME aurait dû bénéficier d’une immunité partielle plutôt que d’une «simple» réduction de l’amende au titre de la coopération, le Tribunal a en tout état de cause constaté positivement que cela n’aurait pas été correct, signalant par exemple au point 132 que «l’octroi d’une réduction d’amende aux contrevenants au lieu d’une immunité d’amende à une seule entreprise se justifie par le fait que l’objectif n’est plus de révéler une circonstance de nature à entraîner une augmentation de l’amende infligée».

 Appréciation

181. J’observe que, si l’amende de KME avait été réduite dans la décision en cause, de façon à annuler de fait l’augmentation en raison de la durée pour les périodes totalisant six années et un mois à propos desquelles elle prétend avoir fourni à la Commission des «éléments de preuve décisifs», le résultat aurait dû revenir à n’appliquer une augmentation que pour les six années et neuf mois restants. Si le taux annuel avait été maintenu à 10 %, comme pour les autres participants, cette démarche aurait impliqué une augmentation de 67,5 %, c’est‑à‑dire 5 % de plus que l’augmentation globale appliquée réellement (et peut-être par inadvertance) (50). Une fois de plus, il semble donc plausible que, si le Tribunal avait pris pleinement connaissance de la situation, le résultat aurait pu ne pas être avantageux pour KME, même si cet argument spécifique avait été admis.

182. Cela étant, on pourrait estimer possible d’adopter la même approche que celle que j’ai suggérée pour le troisième moyen et estimer que ce moyen (ainsi que l’argument invoqué en première instance) est inopérant. Il me semble toutefois, en l’occurrence, que la question de savoir si KME aurait dû être traitée comme si elle n’avait pas participé à l’entente durant les périodes à propos desquelles elle avait fourni des éléments de preuve à la Commission n’est pas intrinsèquement liée à la question du pourcentage d’augmentation et peut donc être abordée séparément.

183. L’argumentation de KME repose essentiellement sur trois propositions, lesquelles doivent en principe être toutes établies pour que l’argumentation soit accueillie: a) des informations révélant une période d’infraction devraient être distinguées des éléments de preuve établissant que l’infraction a été commise durant cette période; b) lorsque des informations sont d’abord communiquées par une partie et que les éléments de preuve sont produits ultérieurement par une autre partie, c’est uniquement cette dernière qui devrait se voir accorder une immunité pour la période en cause; et c) en ce qui concerne les périodes allant de mai 1988 à novembre 1992 et de mai 1998 à fin 1999, KME a produits des éléments de preuve, alors qu’Outokumpu n’avait précédemment fourni que des informations.

184. En ce qui concerne le point a), je souscris au point de vue de la Commission selon lequel on ne peut établir de distinction valable entre les informations (par lesquelles KME semble entendre des déclarations fondées sur le souvenir) et des éléments de preuve (entendus au sens d’éléments documentaires ou autres éléments matériels dont on peut tirer des conclusions). En réalité, les informations fournissent des éléments de preuve (sinon, il serait vain d’entendre des témoins en justice) et les éléments de preuve fournissent des informations (sans lesquelles ils seraient dénués de valeur). Le Tribunal n’a par conséquent commis aucune erreur en traitant les apports d’Outokumpu et de KME de la même façon en ce qui concerne la nature de leur contribution à l’enquête de la Commission.

185. En ce qui concerne le point b), même si les informations et les éléments de preuve ne peuvent habituellement pas être distingués selon leur nature, quant à leur contribution à une enquête, il est fort possible que l’utilité de différentes contributions, que ce soient des «informations» ou des «éléments de preuve», diffère grandement dans le cadre d’une enquête donnée. Il est donc fort possible qu’un participant à une entente fournisse des informations ou des éléments de preuve à propos d’une période d’infraction qui soient si vagues et peu concluants qu’ils sont sans utilité pratique pour la Commission et qu’un autre participant fournisse ultérieurement des informations ou des éléments de preuve détaillés qui revêtent une importance décisive pour établir que l’infraction a eu lieu durant la période en question. Dans cette hypothèse, il ne semblerait pas déraisonnable que la Commission privilégie ce dernier, si elle devait accorder une réduction de l’amende à cet égard; et, si elle favorisait au contraire le premier, l’autre serait tout à fait fondé à demander au Tribunal de réexaminer l’approche adoptée, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, étant entendu que le résultat dépendra de l’appréciation des faits par cette juridiction. En toute hypothèse, il est constant que la «logique de l’immunité d’amendes» à laquelle le Tribunal fait référence au point 130 de son arrêt plaide pour que seul le premier participant qui fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents soit récompensé.

186. En ce qui concerne le point c), la question de savoir si les «éléments de preuve» fournis par KME revêtaient une importance décisive pour permettre à la Commission de conclure que l’entente avait fonctionné durant les périodes en question, tandis que les «informations» antérieures d’Outokumpu n’avaient pas été de nature à permettre de déboucher sur la moindre conclusion, est une question de fait qui ne peut pas faire l’objet d’un pourvoi. De plus, les points 128 et 131 à 133 de l’arrêt montrent clairement que le Tribunal a considéré à ce sujet qu’Outokumpu avait fourni des informations capitales de nature à permettre d’établir la durée totale de l’infraction; informations que KME a complétées plus de seize mois après, par des éléments de preuve permettant à la Commission d’établir plus facilement les faits. Sur la base d’une telle appréciation des faits, il ne fait aucun doute que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en rejetant la quatrième branche du quatrième moyen de KME.

187. Enfin, en ce qui concerne le caractère suffisant du contrôle exercé par le Tribunal, il est clair que les déclarations de celui-ci à propos du pouvoir d’appréciation de la Commission lorsqu’elle a décidé de tenir compte de circonstances atténuantes ne l’ont en aucune façon empêché d’examiner dûment les arguments de KME et d’y répondre comme il se devait, et que sa conclusion a été adoptée sur la base d’une réelle évaluation des faits et des arguments dont il disposait.

 Sur les dépens

188. En vertu de l’article 122 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Je conclus en l’occurrence au rejet du pourvoi. La Commission a conclu à la condamnation de KME aux dépens. Cette dernière devrait par conséquent être condamnée aux dépens de la Commission.

 Conclusion

189. Eu égard à toutes les considérations qui précèdent, j’estime que la Cour devrait statuer comme suit:

«–     Le pourvoi est rejeté.

–        KME Germany AG, KME France SAS et KME Italy SpA sont condamnées aux dépens de la Commission.»


1 – Langue originale: l’anglais.


2 –      À l’époque, avant l’entrée en vigueur de traité de Lisbonne, le Tribunal s’appelait «Tribunal de première instance». Pour simplifier les choses, et parce que cette modification est de nature purement formelle, j’utiliserai sa dénomination actuelle tout au long de mes conclusions.


3 –      Arrêt du 6 mai 2009, KME Germany e.a./Commission (T-127/04, Rec. p. II-1167, ci-après l’«arrêt attaqué»). Condamnés par la même décision, les autres participants à l’accord ont également contesté cette décision et leurs requêtes ont également été rejetées, le même jour: voir arrêts du 6 mai 2009, Wieland-Werke/Commission (T-116/04, Rec. p. II-1087) et Outokumpu et Luvata/Commission (T-122/04, Rec. p. II-1135).


4 –      Proclamée à Nice le 7 décembre 2000 (JO C 364, p. 1). Une version mise à jour a été adoptée par le Parlement européen le 29 novembre 2007, après suppression des références à la Constitution européenne (JO C 303, p. 1); la version consolidée la plus récente – datant d’après le traité de Lisbonne – a été publiée au JO 2010, C 83, p. 389.


5 –      Version originale (2000). La deuxième phrase est actuellement libellée comme suit: «En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités».


6 –      Premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité, du 6 février 1962 (JO 1962, 13, p. 204). Avec effet au 1er mai 2004, le règlement n° 17 a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1), qui a transféré une large part de la responsabilité quant à l’application du droit de la concurrence de l’UE vers les juridictions et les autorités des États membres.


7 –      L’unité de compte était l’ancêtre de l’euro.


8 –      Des dispositions en substance analogues figurent à présent à l’article 23, paragraphes 2, 3 et 5, du règlement n° 1/2003.


9 –      Une disposition en substance analogue figure à présent à l’article 31 du règlement n° 1/2003.


10 –      Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3). À partir du 1er septembre 2006, les lignes directrices de 1998 ont été remplacées par les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2). Les lignes directrices de 2006 adoptent une approche assez différente, en fixant essentiellement un montant de base habituellement calculé à 30 % de la valeur annuelle des ventes auxquelles l’infraction se réfère (ajusté, le cas échéant, en fonction de toutes les circonstances pertinentes), multiplié par le nombre d’années de participation à l’infraction et ajusté ensuite à la lumière des circonstances aggravantes, des circonstances atténuantes et d’un facteur de dissuasion, le tout à concurrence du montant maximal légal de 10 % du chiffre d’affaires annuel, et sous réserve de l’application des règles sur la clémence (voir ci-dessous, point 22 et note 13), avec la possibilité exceptionnelle de réduire une amende qui, sinon, serait fatale à l’entreprise.


11 –      Note dénuée de pertinence pour la traduction française.


12–      Comme il apparaîtra dans le cadre des troisième et quatrième moyens, il peut être utile de préciser que cela signifie (et, à ma connaissance, cette interprétation n’a jamais été remise en cause) une majoration du montant global de (≤10 x n) %, où n = le nombre d’années durant lesquelles l’infraction a perduré. Voir, également, point 19 de l’arrêt attaqué, évoqué ci-dessous au point 26 et note 16.


13 –      Communication concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4), applicable à l’époque des faits (ci-après la «communication sur la clémence» ou la «communication sur la coopération»). À partir du 14 février 2002, cette communication a été remplacée par la communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3), elle-même remplacée en 2006 par la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17).


14 – Décision 2004/421/CE, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre de Wieland Werke AG, Outokumpu Copper Products OY, Outokumpu Oyj, KM Europa Metal AG, Tréfimétaux SA et d’Europa Metalli SpA (Affaire C.38.240 – Tubes industriels) (ci-après la «décision attaquée» ou la «décision en cause»). Un résumé en a été publié au JO 2004, L 125, p. 50.


15 – Réparti comme suit: 10,41 millions pour KME Germany; 10,41 millions solidairement pour KME France et KME Italy (ces deux montants portant sur la période allant du 3 mai 1988 au 19 juin 1995), et 18,99 millions d’euros, solidairement pour les trois entreprises, pour la période allant du 20 juin 1995 au 22 mars 2001.


16 –      Bien que cela ne soit pas indiqué dans l’arrêt attaqué, la décision en cause a augmenté le montant de départ de 125 % pour Outokumpu et Wieland, le portant respectivement de 17,33 millions d’euros à 38,98 millions et de 11,55 millions d’euros à 25,99 millions (points 328, 334 et 347 des motifs de la décision en cause).


17–      Arrêt du 13 juillet 1966 (56/64 et 58/64, Rec. p. 429, point 12).


18 –      La Commission semble ici ne se référer qu’aux deuxième, troisième et quatrième moyens, parce que les passages de l’arrêt cités par KME (voir point 41 ci-dessus) ne concernent que ces moyens.


19 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22, § 82.


2020 – Voir, par exemple, Cour eur. D. H. arrêt Jussila c. Finlande GC du 23 novembre 2006, n° 73053/01, Recueil des arrêts et décisions 2006-XIV.


21 – Voir, également, points 48 à 52 des conclusions de l’avocat général Bot du 26 octobre 2010 dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission (arrêt du 29 mars 2011, C‑352/09 P, non encore publié au Recueil), auxquelles je souscris entièrement, ainsi que jurisprudence citée.


22 –      Il n’est pas nécessaire de trancher la question, soulevée à l’audience, de savoir si cet opprobre est plus grand que celui qui stigmatise la fraude fiscale, quoique le seul fait que la question ait été soulevée reflète une perception peu flatteuse de la moralité des entreprises.


23 –      Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de prendre en considération les observations de KME relatives à l’augmentation sensible du niveau des amendes infligées par la Commission ces dernières années; ce n’est pas la sévérité des sanctions réellement infligées qui définit la nature de l’infraction, mais le niveau des sanctions qui pourraient être infligées.


24 –      Les lignes directrices parlent des «objectifs poursuivis dans la répression des infractions» et se réfèrent à l’idée de «déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif».


25 –      Décision de la troisième section, du 3 juin 2004, portant sur la recevabilité des demandes nos 69042/01, 69050/01, 69054/01, 69055/01, 69056/01 et 69058/01.


26 – Précité ci-dessus, à la note 20, point 43 de l’arrêt, qui cite l’arrêt Société Stenuit c. France du 27 février 1992, série A n° 232, en ce qui concerne particulièrement le droit de la concurrence.


27 –      Voir, également, Cour eur. D. H., arrêt Albert et Le Compte c. Belgique du 10 février 1983, série A n° 58, § 29.


28 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Belilos c. Suisse du 29 avril 1988, série A n° 132, § 68.


29 –      KME cite, par exemple, D. Slater, D., e.a., Competition law proceedings before the European Commission and the right to a fair trial: no need for reform?, GCLC document de travail 04/08, et Wisking, S., Does the European Commission provide Parties with a pProper oOpportunity to be hHeard on the lLevel of ines?, GCP – The Online Magazine for Global Competition Policy [édition de juin 2009(2)].


30 –      Bien qu’il faille admettre que des démarches ont été entreprises à différents moments pour assurer une meilleure séparation des fonctions, l’exemple le plus parlant étant peut-être la décision de désigner un conseiller-auditeur indépendant pour présider les audiences, au lieu du directeur de la direction menant l’enquête, comme cela avait été le cas précédemment (voir Onzième rapport sur la politique de concurrence 1981 de la Commission, point 26).


31 – Il en serait également ainsi, même si la procédure concernait un litige purement «civil» (voir, par exemple Cour eur. D. H., arrêt Obermeier c. Autriche du 28 juin 1990, série A n° 179, § 67 et 70), ce qui inclurait des litiges de droit administratif.


32 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Valico Srl c. Italie (dec.), n° 70074/01, Recueil des arrêts et décisions 2006-III, p. 20 et jurisprudence citée.


33 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Crompton c. Royaume-Uni du 27 octobre 2009, n° 42509/05, § 71 et jurisprudence citée.


34 –      Voir, pour un exemple récent, arrêt du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission (C-280/08 P, non encore publié au Recueil, point 24).


35 – Arrêt précité au point 68 de l’arrêt attaqué, point 73.


36 – Qui, même si elle pourrait donner lieu à quelque hésitation en anglais, équivaut à l’expression sans équivoque «à titre surabondant» de la version française dans laquelle le Tribunal a rédigé son arrêt.


37 –      Je me réfère, en particulier, aux résumés figurant aux points 95 et suiv. des conclusions de l’avocat général Mischo rendues dans l’affaire Mo och Domsjö/Commission, et aux points 129 et 130 de l’arrêt Dalmine/Commission, tous deux cités au point 64 de l’arrêt attaqué, évoqué ci-dessus au point 84.


38 – Voir, en particulier, points 299 à 301 et 314 des motifs de la décision en cause.


39 – Précité au point 91 de l’arrêt attaqué.


40 –      Note dénuée de pertinence pour la traduction française.


41 – Arrêt du 5 avril 2006, Degussa/Commission (T-279/02, Rec. p. II-897, points 247 et 254).


42 – Arrêt du 29 avril 2004, British Sugar/Commission (C-359/01 P, Rec. p. I‑4933, points 47 et 48).


43 –      Note dénuée de pertinence pour la traduction française.


44 – Voir point 26 ci-dessus.


45 – Plus précisément, il était légèrement supérieur à 62,5 %, parce que, après avoir effectué ses calculs, la Commission a arrondi vers le haut le chiffre obtenu, le faisant passer de 56,875 millions d’euros à 56,88 millions d’euros. Toutefois, un ajustement vers le bas a été effectué plus tard, lorsqu’une réduction de 30 % a été appliquée. Les montants avec lesquels la Commission a travaillé dans la décision en cause semblent avoir tous été arrondis à la dizaine de milliers d’euros près.


46 – Du fait que le groupe KME n’a été constitué comme tel qu’en 1995 (bien que ses entités constitutives aient participé à l’entente tout au long de la période), la Commission a divisé l’amende globale en deux parts égales: l’une pour la période allant de 1988 à 1995, répartie ensuite entre les différentes entités; l’autre pour la période allant de 1995 à 2001, pour l’ensemble du groupe. La Commission a respectivement appliqué une augmentation de 70 % à la première partie et de 55 % à la deuxième – représentant, selon ce qu’elle semble avoir cru, un total de 125 % correspondant à l’augmentation qu’elle a effectivement appliquée aux montants de départ pour Outokumpu et Wieland (voir note 16 ci-dessus). En réalité, lorsque la moitié d’un montant est augmentée d’un certain pourcentage et l’autre moitié d’un pourcentage différent, le montant total est accru non de la somme, mais de la moyenne des deux pourcentages. Cela devient encore plus clair si nous imaginons que chaque moitié est augmentée du même pourcentage – disons 55 % dans chaque cas; l’accroissement global reste clairement de 55 % et n’est pas de 110 %.


47 –      Si le montant de départ de 35 millions d’euros avait été augmenté de 125 %, le résultat aurait été de 78,75 millions d’euros, soit 21,87 millions d’euros de plus que le montant effectif total de 56,88 millions d’euros.


48 –      D’après mes calculs, si l’amende de KME avait subi la même augmentation, son amende totale, après la déduction ultérieure de 30 %, se serait chiffrée à un montant de 55,125 millions d’euros (35 + 125 % = 78,75; 78,75 - 30 % = 55,125), plutôt que 39,81 millions d’euros. Ce total aurait alors pu être réparti, dans la mesure nécessaire, conformément au rapport 7 : 5,55, qui représente les deux périodes allant de 1988 à 1995 et de 1995 à 2001.


49 –      Voir note 13 ci-dessus.


50 – Voir points 161 et suiv. ci-dessus.