Language of document : ECLI:EU:C:2012:79

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 16 février 2012 (1)

Affaire C‑542/09

Commission européenne

contre

Royaume des Pays-Bas

«Accès à l’enseignement — Financement d’études d’enseignement supérieur à l’étranger — Condition de résidence — Règle dite ‘des 3 ans sur 6’»





1.        Érasme de Rotterdam fut un bénéficiaire de la première heure d’un financement d’études à l’étranger. Henri de Bergues, alors évêque de Cambrai (et dont Érasme fut le secrétaire), lui accorda en 1495 un congé et une bourse afin d’étudier à l’université de Paris. Érasme ne cessa alors de voyager et, fort d’une carrière qui le mena à Paris, à Louvain, à Cambridge et à Bâle, devint sans doute l’un des plus remarquables érudits de son temps: le «prince des humanistes». On peut dire qu’il mit excellemment à profit l’aide financière qui lui avait été donnée pour ses études universitaires à l’étranger (2). De fait, les actuels programmes d’échange entre universités de l’Union européenne portent son nom.

2.        Aujourd’hui, les compatriotes d’Érasme se voient donner la même chance. En vertu de la loi néerlandaise sur le financement des études (Wet Studiefinanciering, ci-après la «WSF»), ils peuvent souvent bénéficier d’une aide financière pour des études d’enseignement supérieur suivies ailleurs qu’aux Pays‑Bas. Cependant, la question se pose de savoir si les règles détaillées gouvernant l’octroi de cette aide — et particulièrement celle qui impose à un demandeur, outre de réunir les conditions nécessaires pour un financement d’études aux Pays‑Bas, d’avoir séjourné légalement sur le territoire néerlandais pendant au moins trois années au cours des six dernières (la règle dite «des 3 ans sur 6») — sont incompatibles avec l’article 45 TFUE (ex-article 39 CE) (3) et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 1612/68 (4), dans la mesure où elles créeraient une discrimination indirecte injustifiée contre les travailleurs migrants et les membres de leur famille à l’entretien desquels ils continuent de pourvoir.

 Contexte juridique

 Dispositions du droit de l’Union primaire

3.        L’article 45 TFUE est rédigé comme suit:

«1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union.

2. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

[…]»

4.        Selon les termes de l’article 165, paragraphe 1, TFUE (ex-article 149, paragraphe 1, CE), les États membres conservent la responsabilité du «contenu de l’enseignement et [de] l’organisation du système éducatif». L’article 165, paragraphe 1, TFUE dispose que «[l]’Union contribue au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action». L’action de l’Union doit également avoir pour but de «favoriser la mobilité des étudiants» (5).

 Règlement no 1612/68

5.        Le règlement no 1612/68 visait à assurer la liberté pour les ressortissants d’un État membre de travailler dans un autre État membre et, par là, à mettre en œuvre les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs. Le premier considérant du règlement en décrivait l’objectif général comme étant l’«abolition, entre les travailleurs des États membres, de toute discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail, ainsi que le droit pour ces travailleurs de se déplacer librement à l’intérieur de [l’Union] pour exercer une activité salariée, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique».

6.        Les troisième et quatrième considérants indiquaient, respectivement, que «la libre circulation constitue pour les travailleurs et leur famille un droit fondamental» et que ce droit doit être reconnu aux «travailleurs ‘permanents’, saisonniers, frontaliers ou qui exercent leur activité à l’occasion d’une prestation de services».

7.        D’après le cinquième considérant, ce droit fondamental, «pour qu’il puisse s’exercer dans des conditions objectives de liberté et de dignité, [exigeait] que soit assurée, en fait et en droit, l’égalité de traitement pour tout ce qui se rapporte à l’exercice même d’une activité salariée et à l’accès au logement, et aussi que soient éliminés les obstacles qui s’opposent à la mobilité des travailleurs notamment en ce qui concerne le droit pour le travailleur de se faire rejoindre par sa famille, et les conditions d’intégration de cette famille dans le milieu du pays d’accueil».

8.        L’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 prévoyait qu’un travailleur ressortissant d’un État membre devait «bénéfici[er] des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux» sur le territoire des autres États membres.

9.        L’article 12 du règlement no 1612/68 disposait:

«Les enfants d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre État membre sont admis aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État, si ces enfants résident sur son territoire.

[…]»

 Directive 2004/38/CE

10.      L’article 7 de la directive 2004/38/CE (6) régit les conditions auxquelles les citoyens de l’Union peuvent séjourner plus de trois mois dans un autre État membre. Il dispose:

«1. Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois:

a)      s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil, ou

b)      s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil, ou,

[…]»

11.      L’article 24 de la directive 2004/38 est rédigé comme suit:

«1. Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.

2. Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé […], avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille.»

 Dispositions de droit national

12.      La WSF définit les personnes qui peuvent recevoir une aide financière pour des études aux Pays‑Bas et à l’étranger. Un financement destiné à des études à l’étranger est appelé «financement des études portable» («meeneembare studiefinanciering», ci-après le «financement portable»).

13.      En ce qui concerne les études d’enseignement supérieur aux Pays‑Bas, un financement peut être accordé à tout étudiant entre 18 et 29 ans qui étudie dans un établissement d’enseignement désigné ou agréé, et qui remplit une condition de nationalité (7). L’article 2.2 de la WSF définit la condition de nationalité. Y satisfont: i) les ressortissants néerlandais, ii) les non-Néerlandais assimilés, du point de vue du financement des études, à des ressortissants néerlandais en vertu d’un traité ou d’une décision d’une organisation internationale, et iii) les non‑Néerlandais résidant aux Pays-Bas et appartenant à un groupe, désigné par une mesure générale d’administration, de personnes assimilées aux ressortissants néerlandais du point de vue du financement des études.

14.      La deuxième catégorie précitée comprend les citoyens de l’Union européenne qui exercent une activité économique aux Pays‑Bas, ainsi que les membres de leur famille. Ils ne doivent pas avoir résidé aux Pays‑Bas pour pouvoir bénéficier d’un financement de ce type. En conséquence, les travailleurs frontaliers et les membres de leur famille sont visés aussi. La troisième catégorie comprend les ressortissants de l’Union qui n’exercent pas d’activité économique aux Pays‑Bas. Ils peuvent bénéficier d’un financement s’ils ont séjourné légalement sur le territoire néerlandais pendant une période d’au moins cinq ans.

15.      Pour suivre des études d’enseignement supérieur à l’étranger, un étudiant doit pouvoir prétendre à un financement pour des études d’enseignement supérieur aux Pays‑Bas et doit également, en vertu de l’article 2.14, paragraphe 2, sous c), de la WSF, avoir légalement séjourné aux Pays-Bas pendant au moins trois années au cours des six années précédant son inscription dans un établissement d’enseignement à l’étranger. Cette condition s’applique quelle que soit la nationalité de l’étudiant.

16.      À la condition qu’ils satisfassent aux exigences respectives, les étudiants peuvent demander successivement un financement pour faire des études aux Pays‑Bas et un financement portable pour des études à l’étranger.

17.      Jusqu’au 1er janvier 2014, la règle «des 3 ans sur 6» n’est pas applicable aux étudiants qui, quelle que soit leur nationalité, suivent des études d’enseignement supérieur dans des régions limitrophes des Pays-Bas (la Flandre et la région de Bruxelles-Capitale en Belgique, et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, la Basse-Saxe et Brême en Allemagne).

18.      Le financement portable comprend quatre éléments: i) la bourse de base, qui est un montant fixe mensuel variant selon que l’étudiant habite ou non au domicile familial et à laquelle il faut ajouter des prestations pour frais de voyage et, le cas échéant, une allocation de parent isolé ou de partenaire; ii) la bourse complémentaire, dont le montant, qui ne peut pas dépasser un certain plafond, dépend du revenu et de la contribution des parents de l’étudiant; iii) le prêt de base, qui doit être demandé et ne peut pas dépasser un certain plafond, et iv) le crédit pour droits d’inscription, qui doit être demandé et ne peut pas, en principe, dépasser un certain plafond, lequel correspond au montant maximal que les établissements d’enseignement néerlandais peuvent légalement exiger pour des inscriptions équivalentes.

19.      La bourse de base, la bourse complémentaire (à l’exception de celle de la première année d’études) et les prestations pour frais de voyage sont octroyées sous la forme de prêts. Ces prêts sont convertis en dons si les études sont achevées en dix ans.

20.      Le montant maximal du financement portable, à l’exclusion des facilités de transport et des allocations, varie de 739,15 à 929,69 euros par mois, selon que l’étudiant habite ou non au domicile familial. La même limite s’applique en ce qui concerne le financement d’études aux Pays‑Bas.

 Procédure

21.      À l’issue d’une procédure précontentieuse qui s’est déroulée régulièrement, la Commission européenne prie la Cour de constater que, en imposant une condition de résidence (à savoir la règle des 3 ans sur 6) aux travailleurs migrants, y compris les travailleurs frontaliers, et aux membres de leur famille à l’entretien desquels ils continuent de pourvoir afin que ceux-ci puissent obtenir le financement d’études à l’étranger dans le cadre de la WSF, le Royaume des Pays‑Bas a commis une discrimination indirecte à l’encontre des travailleurs migrants et a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 45 TFUE et de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68. La Commission demande également la condamnation du Royaume des Pays-Bas aux dépens.

22.      Le gouvernement néerlandais prie la Cour de rejeter le recours et de condamner la Commission aux dépens.

23.      Les gouvernements belge, danois, allemand et suédois sont intervenus au soutien du Royaume des Pays‑Bas.

24.      Les parties principales et toutes les parties intervenantes se sont exprimées à l’audience du 10 novembre 2011.

 Appréciation

 Remarques liminaires

25.      La Commission a, tout au long de cette procédure, limité sa demande aux articles 45 TFUE et 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68. Elle fait valoir qu’il existe, du point de vue du financement portable, une discrimination indirecte contre les travailleurs migrants exerçant leur activité aux Pays‑Bas et les membres de leur famille à l’entretien desquels ils continuent de pourvoir. Elle ne formule aucune demande fondée sur l’article 24 de la directive 2004/38, l’article 21 TFUE ou une quelconque autre disposition du droit de l’Union régissant les droits attachés à la citoyenneté.

26.      L’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 est l’expression particulière, dans le domaine spécifique de l’octroi d’avantages sociaux et fiscaux, de la règle de l’égalité de traitement consacrée à l’article 45 TFUE et doit être interprété de la même façon que cette disposition (8). Dès lors, si une mesure gouvernant l’accès à un avantage social est contraire à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68, parce qu’elle traite les travailleurs migrants moins favorablement que les travailleurs nationaux, elle est également contraire à l’article 45 TFUE. Cependant, une mesure peut enfreindre l’article 45 TFUE même si elle est compatible avec l’article 7, paragraphe 2 (9). C’est pourquoi je considérerai d’abord la condition de résidence à la lumière de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68. Si cette condition enfreint l’article 7, paragraphe 2, elle est également prohibée par l’article 45 TFUE.

27.      Le Royaume des Pays‑Bas, soutenu en cela par les parties intervenantes, fait valoir que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 n’est pas applicable. Subsidiairement, il soutient que la condition de résidence n’est pas indirectement discriminatoire à l’égard des travailleurs migrants.

28.      En tout état de cause, le Royaume des Pays‑Bas et les parties intervenantes affirment que la condition de résidence est justifiée pour deux raisons. Premièrement, elle sert à identifier la catégorie d’étudiants que l’on a voulu cibler, à savoir ceux qui, à défaut de financement portable, étudieraient aux Pays‑Bas et qui, s’ils font des études à l’étranger, reviendront dans ce pays par après. Deuxièmement, la condition de résidence permet d’éviter que le système crée une charge financière déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide octroyée. La Cour a jugé cet objectif légitime dans son arrêt Bidar, confirmé sur ce point par l’arrêt Förster (10).

 La condition de résidence enfreint-elle, en principe, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68?

 Les bénéficiaires de l’égalité de traitement selon l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68

29.      Le gouvernement néerlandais soutient que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 n’est, en principe, pas applicable aux membres des familles de travailleurs migrants qui sont à la charge de ceux-ci, quel que soit le pays où ils résident. Le gouvernement néerlandais reconnaît une exception à ce principe dans le cas d’une discrimination directe contre les enfants de travailleurs migrants. En général, cependant, de telles personnes relèvent de l’article 12 et non de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68. En effet, l’article 12 est l’expression particulière de la règle de l’égalité de traitement telle qu’elle s’applique aux enfants et à l’accès aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle. Interpréter l’article 7, paragraphe 2, comme applicable aux enfants de travailleurs migrants risquerait de vider la condition de résidence figurant à l’article 12 de son sens.

30.      Selon la Commission, la jurisprudence de la Cour confirme que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 s’applique à tous les membres des familles de travailleurs migrants qui sont à la charge de ceux-ci.

31.      Je me rallie au point de vue de la Commission.

32.      Les bénéficiaires directs de l’égalité de traitement garantie par l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement sont les ressortissants d’un État membre qui travaillent dans un autre État membre. Les travailleurs frontaliers, qui — par définition — résident hors de l’État membre d’accueil, appartiennent à cette catégorie (11). Les travailleurs ne doivent donc pas résider dans le pays où ils travaillent pour pouvoir bénéficier de la protection reconnue par l’article 7, paragraphe 2, et cette disposition ne fait pas davantage dépendre la jouissance de l’égalité de traitement du lieu où le travailleur jouit effectivement de l’avantage social.

33.      Les membres de la famille d’un travailleur migrant qui sont à la charge de celui-ci sont les bénéficiaires indirects de l’obligation d’égalité de traitement faite par l’article 7, paragraphe 2, car, s’ils sont victimes d’une discrimination en ce qui concerne un certain avantage social, celle-ci rejaillira sur le travailleur migrant en ce qu’il devra alors aider financièrement les membres de la famille concernés. La Cour a déjà clairement indiqué que cette catégorie de bénéficiaires indirects comprend, parmi les membres de la famille d’un travailleur qui sont à la charge de celui-ci, ses descendants, ses ascendants et son conjoint (12). Ils ne doivent pas, pour jouir de la protection prévue à l’article 7, paragraphe 2, résider dans l’État membre où le travailleur migrant exerce son activité (13).

34.      L’expression «avantages sociaux», à l’article 7, paragraphe 2, s’étend au financement d’études d’enseignement supérieur suivies par un travailleur migrant ou par des membres de sa famille à sa charge (14). Dans le cas qui nous occupe, les enfants à charge de travailleurs migrants exerçant leur activité aux Pays‑Bas peuvent, en particulier, souhaiter demander un financement portable pour étudier ailleurs qu’aux Pays‑Bas.

35.      Le Royaume des Pays‑Bas s’appuie largement sur l’argument que les affaires dans lesquelles la Cour a jugé que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 est applicable aux enfants de travailleurs migrants ont toutes été des cas de discrimination directe. Contrairement au Royaume des Pays‑Bas, je ne vois aucune logique dans une interprétation qui fait dépendre du type de discrimination concerné l’étendue du champ d’application personnel de l’obligation d’égalité de traitement. Je pense, par conséquent, que le caractère direct ou indirect de la discrimination alléguée n’a aucune incidence.

36.      L’article 12 du règlement no 1612/68 reconnaît à titre personnel aux enfants de travailleurs migrants un droit propre, distinct.

37.      En vertu de cet article, l’État membre d’accueil doit admettre les enfants de travailleurs migrants aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle organisés dans le pays. L’article 12 bénéficie aussi aux enfants qui suivent leurs études ailleurs que dans l’État membre d’accueil (15).

38.      L’article 12 s’applique précisément aux «enfants d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre État membre» et qui «résident sur son territoire». La Cour a dit que l’article 12 accorde aux enfants qui se sont installés dans un État membre, alors que leur parent exerçait des droits de séjour en tant que travailleur migrant dans cet État membre, un droit de séjour autonome afin d’y poursuivre des cours d’enseignement général (16). Un enfant jouit de ce droit indépendamment du fait que le parent ait ou non conservé le statut de travailleur migrant dans l’État membre d’accueil (17).

39.      En outre, un enfant n’est pas tenu, pour se prévaloir de l’article 12 du règlement no 1612/68, de prouver qu’il se trouve à la charge du travailleur migrant. Si le parent n’est plus un travailleur migrant jouissant de l’égalité de traitement en vertu de l’article 7, paragraphe 2, ou pourvoyant à l’entretien de l’enfant, ce dernier peut néanmoins prétendre accéder à titre personnel aux types d’avantages sociaux visés à l’article 12, et ce aux mêmes conditions que les ressortissants de l’État membre d’accueil, à condition qu’il réside dans cet État membre (18).

40.      Contrairement au Royaume des Pays‑Bas, je ne pense pas que le simple fait que l’article 12 s’applique expressément à une catégorie précise et restreinte de membres de la famille, lesquels en sont les bénéficiaires directs, suffise pour conclure que le champ d’application personnel de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 doit être interprété comme excluant cette catégorie en tant que bénéficiaires indirects. L’argumentation du Royaume des Pays‑Bas repose sur plusieurs affaires. Aucune d’entre elles, cependant, ne permet de résoudre la question de savoir si l’article 7, paragraphe 2, protège les membres de la famille d’un travailleur migrant qui sont à la charge de celui-ci et qui cherchent à obtenir un financement pour des études d’enseignement supérieur.

41.      Dans l’affaire Brown, la partie demanderesse au principal s’était vu refuser une protection au titre de l’article 7, paragraphe 2, car elle avait obtenu le statut de travailleur migrant par le seul fait d’avoir été admise à suivre des études dans l’État membre d’accueil (19). Elle ne pouvait pas prétendre à une protection au titre de l’article 12 (ni, selon mon raisonnement, en tant que bénéficiaire indirect, en vertu de l’article 7, paragraphe 2), puisque aucun de ses parents n’avait eu le statut de travailleur migrant après sa naissance (20). Les affaires Lair et Matteucci, en revanche, concernaient l’application de l’article 7, paragraphe 2, à des parties demanderesses qui étaient elles-mêmes des travailleurs migrants (21).

42.      Dans son arrêt Casagrande, la Cour a interprété l’article 12 du règlement no 1612/68 dans le cadre d’un litige concernant l’enfant d’un travailleur migrant qui résidait au lieu où travaillait son parent. La Cour a dit que cette disposition visait également des mesures générales tendant à faciliter la fréquentation de l’enseignement (22). De même, l’affaire di Leo (23) concernait l’application de l’article 12 à l’enfant d’un travailleur migrant, qui avait quitté l’État membre d’accueil pour étudier à l’étranger.

43.      Je conclus de ce qui précède que les membres de la famille à la charge d’un travailleur migrant, y compris ses enfants, bénéficient du droit à l’égalité de traitement que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 reconnaît audit travailleur. Cette conclusion s’impose quel que soit le pays où eux-mêmes ou le travailleur migrant résident, et que la discrimination alléguée soit directe ou indirecte.

 Existe-t-il une différence objective entre les travailleurs résidant aux Pays‑Bas et ceux résidant à l’étranger?

44.      La Commission prétend que les travailleurs migrants (y compris les travailleurs frontaliers) exerçant leur activité aux Pays‑Bas et les membres de leur famille dont ils pourvoient à l’entretien sont traités moins favorablement que les travailleurs néerlandais et les membres de leur famille qui sont à leur charge.

45.      Le Royaume des Pays‑Bas soutient qu’il existe une différence objective entre les travailleurs résidant aux Pays‑Bas et ceux résidant ailleurs, puisque ces derniers n’ont pas besoin d’incitation pour étudier à l’étranger. Cet argument implique que les travailleurs migrants exerçant leur activité aux Pays‑Bas et résidant dans un autre État membre ne sont pas dans une situation comparable à celle des travailleurs néerlandais (et migrants, d’ailleurs) travaillant et résidant aux Pays‑Bas.

46.      Je ne suis pas d’accord avec le point de vue du Royaume des Pays‑Bas.

47.      Il y a discrimination en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 lorsque des travailleurs migrants sont traités de manière moins favorable que des travailleurs nationaux dans une situation comparable. Pour déterminer si tel est le cas, il faut découvrir qui bénéficie de l’égalité de traitement, et pour quel avantage particulier. À cet égard, un élément dont il convient de tenir compte pour apprécier s’il existe une différence objective entre les catégories pertinentes de personnes est l’objet de la réglementation établissant la différence de traitement (24). J’ajouterais que, selon moi, la prétendue différence objective doit, en général, refléter une distinction d’ordre juridique ou factuelle autre que celle effectuée par la règle en cause elle-même.

48.      Dans le cas d’espèce, le bénéfice litigieux est l’octroi d’un financement pour suivre des études dans tout pays autre que les Pays‑Bas. Dans le cadre de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68, les travailleurs migrants aux Pays‑Bas jouissent d’une égalité de traitement.

49.      On peut admettre sans trop de difficulté que les deux catégories qui suivent comprennent chacune des travailleurs se trouvant dans des situations que l’on peut considérer comme comparables. Dans la première, les travailleurs migrants résidant et travaillant aux Pays‑Bas sont évidemment comparables aux ressortissants néerlandais résidant et travaillant dans ce même pays, et ils doivent y recevoir le même traitement que ces derniers. Dans la seconde catégorie, les travailleurs migrants exerçant leur activité aux Pays‑Bas, mais résidant à l’étranger sont clairement comparables aux ressortissants néerlandais travaillant aux Pays‑Bas, mais résidant ailleurs, et il convient de les traiter de manière égale.

50.      Or, le Royaume des Pays‑Bas se sert du fait que ces deux catégories existent pour arguer qu’aucune comparaison n’est possible entre elles — c’est‑à‑dire que le gouvernement néerlandais prétend que les personnes résidant aux Pays‑Bas sont objectivement différentes de celles qui résident ailleurs. Sous un certain angle, cela est, certes, une évidence: vivre à Amsterdam n’est pas la même chose que vivre à Paris. Mais s’agit-il là d’une différence assez pertinente que pour justifier objectivement un traitement différent (25)?

51.      Ce n’est pas mon avis.

52.      Le Royaume des Pays‑Bas reconnaît (avec raison) que les enfants de travailleurs migrants qui souhaitent étudier aux Pays‑Bas devraient pouvoir bénéficier d’un financement pour de telles études aux mêmes conditions exactement que pour les ressortissants néerlandais, que ces travailleurs migrants (et les enfants qui sont à leur charge) résident aux Pays‑Bas ou ailleurs.

53.      Ce faisant, le Royaume des Pays‑Bas a implicitement admis que certains enfants de travailleurs migrants au moins peuvent, à l’instar des enfants des travailleurs néerlandais, être enclins à étudier aux Pays‑Bas (qu’ils y résident ou non) et qu’ils doivent pouvoir obtenir un financement à cette fin. Mais cela a nécessairement pour corollaire, selon moi, que le Royaume des Pays‑Bas ne peut plus légitimement affirmer que le pays de résidence déterminera, de façon quasi automatique, celui où le travailleur migrant ou ses enfants à charge étudieront. Et, si cette conclusion est correcte, il n’est pas légitime de se servir du lieu de résidence comme un critère soi-disant «objectif» pour justifier un traitement différent. Que du contraire: on peut légitimement comparer un travailleur migrant exerçant son activité aux Pays‑Bas, mais résidant dans un autre État membre, avec un travailleur néerlandais qui, à la fois, réside et travaille aux Pays‑Bas.

 La condition de résidence crée-t-elle une discrimination indirecte?

54.      Dans le cadre d’une procédure en manquement, il incombe à la Commission, selon une jurisprudence constante, d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les éléments de fait nécessaires à la vérification, par celle-ci, de l’existence de ce manquement. La Commission ne peut pas, ce faisant, se fonder sur une quelconque présomption (26).

55.      Dans la présente affaire, la Commission doit démontrer que les travailleurs migrants et les travailleurs néerlandais sont traités différemment, avec des effets semblables à ceux qui résulteraient de l’application d’une condition de nationalité.

56.      La Commission fait valoir que la condition de résidence viole l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68, car, selon toute vraisemblance, les travailleurs nationaux la respecteraient toujours plus facilement que les travailleurs migrants. Selon elle, il ressort des arrêts Meeusen (27) et Meints (28) qu’une telle condition crée, par définition, une discrimination indirecte. En l’espèce, la condition de résidence serait, en tout état de cause, indirectement discriminatoire dans la mesure où elle exclut nécessairement les travailleurs frontaliers et les membres de leur famille qui sont à leur charge. Le Royaume des Pays‑Bas, quant à lui, invoque la jurisprudence des arrêts Sotgiu et Kaba II pour affirmer qu’une condition de résidence n’est pas discriminatoire dans tous les cas (29).

57.      Je ne rejoins aucune de ces interprétations de la jurisprudence de la Cour.

58.      Dans son arrêt Meeusen, la Cour a conclu «qu’un État membre ne saurait subordonner l’octroi d’un avantage social au sens dudit article 7 à la condition que les bénéficiaires de l’avantage aient leur résidence sur le territoire national de cet État» (30). En cause dans cette affaire se trouvait une condition de résidence directement discriminatoire et, partant, prohibée. La conclusion de la Cour dans l’arrêt Meeusen reposait, à son tour, sur la jurisprudence de l’arrêt Meints (31). Dans cette dernière affaire, la Cour n’est arrivée à la conclusion que la condition de résidence créait une discrimination indirecte qu’après avoir examiné la question de savoir si cette condition était plus aisément remplie par les travailleurs nationaux (et si elle pouvait se justifier) (32). En conséquence, aucun de ces deux arrêts n’a conclu qu’une condition de résidence crée toujours une discrimination indirecte.

59.      Cela étant dit, les arrêts que la Cour a rendus dans les affaires Sotgiu et Kaba II ne permettent pas davantage de soutenir l’affirmation contraire, à savoir qu’il serait possible d’imposer une condition de résidence à des ressortissants nationaux et étrangers se trouvant dans des situations comparables sans créer pour autant une discrimination indirecte. Dans l’affaire Sotgiu, les travailleurs concernés appartenaient à des catégories différentes selon qu’ils assumaient ou non une obligation de transférer leur domicile. La Cour a donc estimé que la résidence constituait un critère objectif permettant de justifier un traitement différent de personnes qui, objectivement, se trouvent dans des situations différentes. Dans l’affaire Kaba II, on a soutenu que les situations respectives du conjoint d’un travailleur migrant ressortissant d’un État membre autre que le Royaume-Uni, d’une part, et de celui d’une personne «présente et établie» au Royaume-Uni, d’autre part, n’étaient pas comparables compte tenu du fait que c’est une disposition de droit national autre que celle en cause qui établissait la distinction (33).

60.      Je me rallie néanmoins au point de vue de la Commission selon lequel la condition de résidence crée une discrimination indirecte contre les travailleurs migrants.

61.      Une condition de résidence passée, actuelle ou future (surtout si la résidence doit être d’une certaine durée) est susceptible en soi d’affecter les travailleurs nationaux d’un État membre dans une mesure moindre que les travailleurs migrants se trouvant dans une situation comparable. La raison en est qu’une telle condition implique toujours une distinction entre les travailleurs qui ne sont pas contraints de changer de domicile pour y satisfaire et ceux qui le sont. Vraisemblablement, les premiers seront le plus souvent, même si ce n’est pas forcément toujours le cas, des ressortissants de l’État membre d’accueil.

62.      La règle «des 3 ans sur 6» se rapporte à une résidence passée d’une certaine durée. J’estime que les travailleurs néerlandais sont plus à même de s’y conformer que les travailleurs migrants résidant aux Pays‑Bas.

63.      On pourrait arguer qu’une telle condition de résidence n’est pas nécessairement discriminatoire à l’encontre de tous les travailleurs frontaliers (34). Néanmoins, il est vraisemblable qu’un nombre considérable de travailleurs frontaliers et de membres de leur famille à leur charge sont exclus du bénéfice du financement portable en raison du fait que la famille au complet habite dans une région limitrophe, c’est-à-dire hors des Pays‑Bas.

64.      Je conclus, par conséquent, que la condition de résidence crée une discrimination indirecte interdite, en principe, par l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68.

 La condition de résidence est-elle néanmoins justifiée?

65.      Si la condition de résidence en cause crée une discrimination indirecte interdite par l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68, la Cour doit déterminer si elle est néanmoins justifiée. À cet effet, le Royaume des Pays‑Bas doit établir que ladite condition i) poursuit un objectif légitime et se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général, ii) est propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime en cause (critère du caractère approprié) et iii) ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (critère de la proportionnalité) (35).

66.      Le Royaume des Pays‑Bas fait valoir que la condition de résidence est justifiée, car elle est appropriée et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour i) éviter la charge financière déraisonnable qu’impliquerait le fait d’accorder l’accès au financement portable à tous les étudiants (objectif économique) et, parallèlement, ii) garantir que le financement portable ne pourra être octroyé qu’aux étudiants qui, sans cela, suivraient des études d’enseignement supérieur aux Pays‑Bas et qui rentreraient vraisemblablement dans ce pays s’ils étudiaient à l’étranger (objectif social).

67.      Avant d’aborder la question de la justification de la condition de résidence sous l’angle de chacun de ces deux objectifs, je souhaiterais m’attarder sur les principes qui gouvernent la charge de la preuve et le niveau de preuve requis. Cela me paraît s’imposer, car aucune des parties dans cette affaire n’a appliqué ces principes correctement.

68.      La Cour a jugé qu’il appartenait à l’État membre défendeur d’indiquer les «raisons justificatives susceptibles d’être invoquées par un État membre», accompagnées d’«une analyse de l’aptitude et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État, ainsi que des éléments précis permettant d’étayer son argumentation» (36). Cet État membre supporte donc la charge d’établir que la mesure est appropriée à première vue et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre son ou ses objectifs.

69.      Toutefois, l’obligation, pour l’État membre défendeur, de prouver la proportionnalité «ne saurait aller jusqu’à exiger que cet État membre démontre, de manière positive, qu’aucune autre mesure imaginable ne permet de réaliser ledit objectif dans les mêmes conditions» (37). Autrement dit, l’État membre ne peut pas être requis d’apporter une preuve négative.

70.      Si l’État membre défendeur parvient à établir que la mesure contestée est proportionnée à première vue, il revient à la Commission de réfuter son analyse en suggérant d’autres mesures, moins restrictives. Mais la Commission ne peut pas se contenter de suggérer une telle mesure de remplacement. Elle doit également expliquer pourquoi et en quoi celle-ci est propre à la réalisation des objectifs visés et, surtout, est moins restrictive que la mesure contestée. À défaut d’une telle explication, l’État membre défendeur ne peut pas savoir contre quoi sa défense doit être dirigée.

 La condition de résidence est-elle justifiée sous l’angle de son objectif économique?

–       L’objectif économique est-il un objectif légitime dont le choix repose sur des raisons impérieuses d’intérêt général?

71.      Le Royaume des Pays‑Bas soutient que la condition de résidence est justifiée, car elle vise à garantir que le financement portable n’impose pas une charge excessive à la société. Dans les arrêts Bidar et Förster, la Cour a admis que les États membres puissent être légitimement soucieux des conséquences financières de leurs politiques et subordonner, par conséquent, l’octroi d’une aide financière pour des études à un certain niveau d’intégration (38). Le Royaume des Pays‑Bas estime que l’abrogation de la condition de résidence occasionnerait des dépenses supplémentaires pouvant s’élever à plus de 175 millions d’euros par an et qui, sous la forme de financements portables, profiteraient notamment à des enfants de travailleurs migrants et de ressortissants néerlandais qui soit vivent hors des Pays‑Bas, soit n’ont vécu dans ce pays que moins de trois ans sur les six précédents.

72.      La Commission rétorque que le raisonnement qui sous-tend la jurisprudence des arrêts Bidar et Förster ne s’applique pas au cas des travailleurs migrants, car le droit de l’Union traite les citoyens de l’Union qui sont économiquement actifs différemment de ceux qui ne le sont pas. L’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 confirme cette distinction. Même si le Royaume des Pays‑Bas était admis à exiger un certain degré de rattachement, le statut de travailleur migrant lui-même implique un lien suffisamment étroit avec ce pays, et la Cour a, dans l’arrêt Bidar, reconnu qu’aucune condition de résidence ne pouvait être imposée dans ces circonstances (39). De plus, de simples préoccupations budgétaires ne peuvent pas être considérées comme des raisons impérieuses d’intérêt général.

73.      Je suis d’accord avec la Commission.

74.      La Cour est invitée à appliquer à des travailleurs migrants le raisonnement qu’elle a suivi à propos de citoyens de l’Union économiquement non actifs dans ses arrêts Bidar et Förster. Une première question se pose, cependant: qu’a précisément décidé la Cour dans les arrêts Bidar et Förster?

75.      Dans l’affaire Bidar, le Royaume-Uni a tenté de justifier une condition de résidence de trois ans en invoquant la nécessité de faire en sorte que i) les contributions d’origine fiscale soient suffisantes pour permettre l’octroi de l’aide financière et ii) un lien réel existe entre l’étudiant demandant l’aide et le marché du travail de l’État membre d’accueil (40). En substance, le Royaume-Uni était préoccupé par le fait que des étudiants originaires de tous les États membres de l’Union puissent arriver sur son territoire et introduire sur-le-champ une demande d’aide pour y étudier.

76.      En réponse à la première partie de l’argumentation du Royaume-Uni, la Cour a admis qu’«il est loisible à tout État membre de veiller à ce que l’octroi d’aides visant à couvrir les frais d’entretien d’étudiants provenant d’autres États membres ne devienne pas une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État» (41). En conséquence, il était légitime pour le Royaume-Uni de n’octroyer une telle aide «qu’aux étudiants ayant démontré un certain degré d’intégration dans la société de cet État» (42).

77.      La Cour a, en revanche, rejeté la seconde partie de l’argumentation du Royaume-Uni. Un État membre ne pouvait pas subordonner l’octroi d’un financement pour des études à l’existence d’un lien entre l’étudiant et le marché du travail. En substance, la Cour a dit que l’on ne pouvait pas asseoir une condition de résidence indirectement discriminatoire sur la nécessité de n’octroyer un financement qu’à des étudiants ayant déjà travaillé dans l’État membre d’accueil ou qui y travailleraient après leurs études. En fait, selon la Cour, les études suivies par un étudiant ne destinent pas nécessairement celui-ci à un marché géographique du travail donné (43). Contrairement à la Commission, je n’entends pas cette partie de l’arrêt Bidar en ce sens que la Cour aurait exclu toute obligation faite à un travailleur migrant d’établir un certain degré de rattachement à l’État membre d’accueil. La Cour n’a, tout simplement, pas abordé ce point. Elle a, par contre, rejeté l’argument selon lequel établir un lien entre le lieu des études et celui du travail serait un objectif susceptible de justifier une discrimination indirecte.

78.      La Cour a poursuivi en reconnaissant qu’un séjour d’une certaine durée effectué par le passé dans l’État membre d’accueil pouvait créer le niveau nécessaire d’intégration (44). Restreindre la catégorie des destinataires de la mesure par un critère reflétant un certain degré de proximité avec l’État membre accordant l’aide, tel qu’un séjour passé, était donc une mesure apte à garantir que l’octroi d’un financement aux étudiants originaires d’autres États membres ne deviendrait pas une charge déraisonnable susceptible d’affecter le niveau global de l’aide pouvant être accordée par cet État.

79.      Le Royaume des Pays‑Bas semble lire l’arrêt Förster comme confirmant la jurisprudence de l’arrêt Bidar.

80.      Mais une telle interprétation de l’arrêt Förster ne me convainc pas.

81.      Dans cet arrêt, la Cour a, d’abord, dit que, d’après l’arrêt Bidar, il est légitime pour un État membre de veiller à ce que l’octroi de l’avantage social ne devienne pas une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide (45). Il s’agissait là, effectivement, de l’objectif légitime relevé dans l’arrêt Bidar (46).

82.      Puis la Cour a indiqué que — toujours selon l’arrêt Bidar — il était légitime pour un État membre de n’octroyer une aide couvrant les frais d’entretien des étudiants qu’à ceux qui avaient démontré un certain degré d’intégration dans la société de cet État (47). La Cour s’est référée au passage de l’arrêt Bidar où elle avait conclu que l’existence d’un certain degré d’intégration pouvait être considérée comme établie par la constatation que l’étudiant en cause avait séjourné pendant une certaine période dans l’État membre d’accueil (48).

83.      La Cour a alors appliqué ce raisonnement aux circonstances de l’affaire Förster. Elle devait résoudre la question de savoir si la condition de résidence indirectement discriminatoire, d’une durée de cinq ans, pouvait «être justifiée par le but, pour l’État membre d’accueil, de s’assurer de l’existence d’un certain degré d’intégration sur son territoire des étudiants ressortissants des autres États membres» (49). Dans son arrêt Förster, la Cour a donc examiné la proportionnalité de la condition de résidence à la lumière de l’objectif d’assurer l’intégration de l’étudiant et non de celui de prévenir l’effondrement, par des dépenses excessives, du régime existant (50).

84.      Cependant, la Cour n’a pas relevé un tel objectif dans l’affaire Bidar. Dans la décision qu’elle a rendue dans cette affaire, la Cour a traité le degré d’intégration en tant que moyen d’éviter une charge financière déraisonnable.

85.      Il serait malheureux qu’une lecture superficielle de l’arrêt Förster aboutisse à une confusion entre moyen et fin. Il existe un risque que cette décision soit lue comme indiquant que les États membres peuvent imposer une condition de résidence indépendamment du fait que celle-ci vise à garantir que l’octroi d’un avantage social ne déstabilisera pas leurs finances publiques, ou à réaliser tout autre objectif légitime dont le choix repose sur des raisons impérieuses d’intérêt général. Des États membres pourraient, sur cette base, tenter de justifier, en matière de politique sociale (intégration), un traitement moins favorable de citoyens de l’Union (aussi bien économiquement actifs qu’inactifs) en leur appliquant des critères d’accès tels que la durée du séjour, l’état civil et la situation familiale, la langue, les diplômes, l’emploi, etc., sans jamais expliquer pourquoi l’accès à un avantage social devrait être restreint de cette façon.

86.      Dans le contexte d’une telle interprétation des arrêts Bidar et Förster, je me tourne maintenant vers la question de savoir si l’objectif d’éviter une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide aux études est un motif qui peut être transposé à partir du cas de figure des citoyens de l’Union économiquement inactifs et être invoqué pour justifier une discrimination indirecte contre des travailleurs migrants.

87.      Selon moi, il ne le peut pas.

88.      J’accepte l’argument que la charge financière qu’implique le fait d’accorder l’accès à un avantage social au plus grand nombre peut mettre en péril l’existence et le niveau global dudit avantage (51). Dans de telles circonstances, les préoccupations relatives aux conséquences budgétaires sont intrinsèquement liées à l’existence et à l’objectif de l’avantage social lui-même et ne peuvent donc pas être totalement ignorées. Sinon, les États membres pourraient renoncer tout à fait à fournir certains types d’avantages sociaux, au détriment de l’intérêt général.

89.      Je n’en suis pas moins d’avis que le Royaume des Pays‑Bas ne peut pas invoquer des préoccupations budgétaires pour justifier le traitement discriminatoire de travailleurs migrants et des membres de leur famille qui sont à leur charge. Toute condition mise à l’octroi d’un financement portable afin de contenir les dépenses dans des limites acceptables doit être supportée de façon égale par les travailleurs migrants et néerlandais.

90.      Les travailleurs migrants et leurs familles jouissent du droit de se rendre dans un autre État membre, considérant que «la mobilité de la main-d’œuvre dans [l’Union] doit être pour le travailleur un des moyens qui lui garantissent la possibilité d’améliorer ses conditions de vie et de travail et de faciliter sa promotion sociale, tout en contribuant à la satisfaction des besoins de l’économie des États membres» (52). C’est pourquoi les États membres doivent éliminer tout obstacle qui s’oppose à la mobilité des travailleurs migrants et à l’exercice des droits qui s’y rapportent, notamment en ce qui concerne «le droit pour le travailleur de se faire rejoindre par sa famille, et les conditions d’intégration de cette famille dans le milieu du pays d’accueil» (53).

91.      Selon moi, si un État membre procure un avantage social à ses propres travailleurs, que le bénéfice de cet avantage soit lié aux contributions fiscales d’une personne ou non, il doit le mettre à disposition des travailleurs migrants aux mêmes conditions. Toute limitation imposée pour des motifs d’intégrité financière doit s’appliquer uniformément aux travailleurs nationaux et migrants (54).

92.      Il est vrai que la Cour a admis que l’objectif de prévenir une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide sociale octroyée puisse justifier une discrimination contre les citoyens de l’Union économiquement non actifs. À mon avis, la Cour en a décidé ainsi parce que, dans l’état actuel du droit, tous les citoyens de l’Union ne se voient pas encore garantir une totale égalité de traitement en ce qui concerne les avantages sociaux.

93.      Avant l’instauration de la citoyenneté européenne, plusieurs directives prévoyaient que les ressortissants des États membres qui n’exerçaient pas le droit à la libre circulation pour des raisons économiques avaient le droit de se rendre et de séjourner dans un autre État membre à condition de disposer, pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille, d’une assurance maladie et de «ressources suffisantes pour éviter qu’ils ne deviennent, pendant leur séjour, une charge pour l’assistance sociale de l’État membre d’accueil» (55). Cette condition a été imposée parce que lesdits ressortissants des États membres ne devaient pas «devenir une charge déraisonnable pour les finances publiques de l’État membre d’accueil» (56). La directive 93/96 a notamment restreint le droit de séjour des étudiants dans un autre État membre et n’a pas créé un quelconque droit au paiement de bourses d’entretien par l’État membre d’accueil (57).

94.      Ces ressortissants des États membres, quelles que fussent leurs activités, sont devenus des citoyens de l’Union (58) après l’entrée en vigueur du traité de Maastricht. Forts de ce statut, ils ont le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limites prévues par le droit de l’Union. La Cour a dit que l’État membre d’accueil doit faire montre d’une certaine solidarité financière vis-à-vis des étudiants ressortissants d’autres États membres qui ont exercé leur droit de se rendre et de séjourner dans ledit État membre (59).

95.      La directive 2004/38 a consolidé une grande partie de la réglementation et de la jurisprudence antérieures. Elle conserve la distinction entre les citoyens de l’Union ayant exercé le droit à la libre circulation pour des raisons économiques et les autres, et elle maintient expressément le pouvoir des États membres de prévoir, pendant une certaine période, un traitement discriminatoire à l’égard de ces derniers. C’est ainsi que l’article 24, paragraphe 2, de ladite directive prévoit que, tant qu’un étudiant n’a pas acquis un droit de séjour permanent dans l’État membre où il étudie, ledit État membre, «[p]ar dérogation» à la règle de l’égalité de traitement des ressortissants nationaux et autres citoyens de l’Union, n’est pas tenu de lui octroyer des aides d’entretien aux études, sous la forme de bourses ou de prêts. Bien que les faits de l’affaire Bidar soient antérieurs à l’adoption de la directive 2004/38, le raisonnement suivi dans l’arrêt Bidar reflète la liberté des États membres de prévoir une différence de traitement dans de telles circonstances. Ladite dérogation épargne, cependant, «les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille». Ces personnes sont, quant à elles, protégées par la règle générale de l’égalité de traitement.

96.      Je conclus de ce qui précède que l’objectif économique ne peut pas être considéré comme un objectif légitime dont le choix repose sur des raisons impérieuses d’intérêt général. Il s’ensuit que, à moins que la mesure soit acceptable sous l’angle de son objectif social, le Royaume des Pays‑Bas ne peut pas obtenir gain de cause.

97.      Toutefois, pour le cas où la Cour ne se rangerait pas à mes conclusions en ce qui concerne l’objectif économique, je vais examiner brièvement le critère du caractère approprié de la condition de résidence du point de vue de cet objectif, et celui de sa proportionnalité.

–       La condition de résidence est-elle propre à réaliser l’objectif économique?

98.      Le Royaume des Pays‑Bas fait valoir que la condition de résidence est un moyen approprié de garantir que le financement portable ne crée pas une charge financière disproportionnée et déraisonnable. Le gouvernement néerlandais a produit une étude qui, selon lui, montre que l’élimination de la condition aurait pour effet des dépenses supplémentaires de quelque 175 millions d’euros par an.

99.      La Commission indique, de façon laconique, qu’elle «doute» du bien-fondé de la position du Royaume des Pays‑Bas quant au caractère approprié de la mesure.

100. Même si la Commission ne fait pas d’effort convaincant pour réfuter l’argument et les éléments de preuve du Royaume des Pays‑Bas, c’est au gouvernement néerlandais qu’il appartient de démontrer de façon persuasive que ne pas accorder le financement aux étudiants qui ont vécu aux Pays‑Bas moins de trois ans sur six est susceptible d’avoir l’effet allégué d’éviter ladite charge financière déraisonnable. Toutefois, cela n’implique pas qu’il faille prouver que la condition de résidence est la mesure la plus opportune pour garantir la réalisation de l’objectif poursuivi (60).

101. J’accepte l’argument du Royaume des Pays‑Bas.

102. La condition de résidence exclut nécessairement une catégorie de demandeurs potentiels et, partant, elle limite les dépenses qu’implique le financement portable. Le Royaume des Pays‑Bas semble considérer que la charge supplémentaire de 175 millions d’euros par an nuirait au régime de financement portable tel qu’il existe actuellement.

103. Je ne vois aucune raison de mettre en doute ce point de vue. Après tout, les États membres sont libres de décider à partir de quel seuil un financement pour des études devient une charge déraisonnable susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide octroyée dans le cadre du régime en question. C’est aux États membres et non à la Cour qu’il appartient de déterminer où ce seuil se situe.

104. La Commission ne s’étant pas appliquée à réfuter la position du Royaume des Pays‑Bas, je conclus que celui-ci a prouvé le caractère approprié de la condition de résidence.

–       La condition de résidence est-elle proportionnée à l’objectif économique?

105. Les arguments des parties quant à la proportionnalité ont été plus clairement exposés à l’audience fixée par la Cour.

106. En substance, les parties sont en désaccord sur le point de savoir s’il est proportionné d’exiger des travailleurs migrants, qui ont déjà un lien avec les Pays‑Bas du fait de l’activité qu’ils exercent dans ce pays, qu’ils se conforment en plus à la règle «des 3 ans sur 6».

107. La Commission soutient que le statut de travailleur migrant est suffisant en soi pour que soit établi le degré nécessaire de rattachement et que le Royaume des Pays‑Bas ne peut pas imposer une condition supplémentaire de résidence. Elle évoque, comme autre solution, une coordination avec les autres États membres. Le Royaume des Pays‑Bas fait valoir que le statut de travailleur migrant ne suffit pas et qu’il n’existe pas de solution de rechange. Lorsqu’il a décidé d’imposer la condition de résidence litigieuse, il a également tenu compte du fait que d’autres sources et types de financement pouvaient exister, que d’autres États membres accordent des aides semblables au financement portable en les subordonnant à une condition de résidence et qu’une telle condition permet d’écarter certains risques de fraude.

108. Je ne suis pas convaincue que la condition de résidence soit proportionnée.

109. Contrairement au Royaume des Pays‑Bas, je pense que le fait que la Cour ait admis une condition de résidence d’une durée de cinq ans comme étant proportionnée dans l’affaire Förster ne signifie pas que la règle «des 3 ans sur 6» en cause ici le serait également. Dans son arrêt Förster, la Cour s’est appuyée sur les dispositions des articles 16, paragraphe 1, et 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 pour juger qu’un État membre n’était pas tenu d’octroyer des aides d’entretien aux études à des citoyens de l’Union économiquement inactifs qui n’avaient pas séjourné légalement dans ledit État membre pendant une période ininterrompue de cinq ans (61). À l’inverse de son avocat général (62), la Cour n’est pas apparue encline à remettre en question la thèse que le degré requis de rattachement ne pourrait pas être établi par d’autres moyens.

110. Cela étant dit, l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 indique clairement que la condition de cinq ans de résidence prévue par celle-ci ne peut pas être imposée aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille qui sont à leur charge.

111. Un État membre peut-il néanmoins exiger de telles personnes qu’elles remplissent la condition d’une résidence de trois ans sur six?

112. Selon moi, cette question appelle une réponse négative.

113. Contrairement au Royaume des Pays‑Bas, je ne comprends pas l’arrêt rendu dans l’affaire Bidar en ce sens qu’il approuverait une telle condition de résidence. Dans cette affaire, il n’était pas nécessaire que la Cour examine la question de la proportionnalité, car la condition de résidence en cause et les règles à respecter pour obtenir le statut de «personne établie» au Royaume-Uni avaient pour effet cumulé que M. Bidar, quel que fût son réel degré d’intégration, n’aurait jamais pu réunir les conditions nécessaires pour obtenir l’aide financière pour ses frais d’entretien.

114. La difficulté d’apprécier la proportionnalité de la condition de résidence dans le cas d’espèce réside en ceci que les arguments des parties reposent sur la prémisse que le Royaume des Pays‑Bas peut exiger un certain degré de rattachement, mais ne tient pas compte du fait qu’il s’agit là d’un moyen d’atteindre un but particulier.

115. Selon mon analyse de l’arrêt Bidar, apprécier la proportionnalité de la condition de résidence suppose que l’on détermine si le Royaume des Pays‑Bas a montré que la règle «des 3 ans sur 6» ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter une charge financière déraisonnable.

116. Or, le Royaume des Pays‑Bas a bel et bien apporté des éléments de preuve à cet effet.

117. Le chiffre de 175 millions d’euros par an ressort d’une analyse de risques où ont été estimés les coûts supplémentaires qu’entraînerait le financement, en particulier, d’enfants de travailleurs migrants (premier groupe) et d’enfants de ressortissants néerlandais (second groupe), lesquels sont actuellement exclus du bénéfice du financement portable (63). L’étude indique que l’élimination de la condition de résidence pour les enfants du second groupe occasionnerait des dépenses additionnelles de 132,1 millions d’euros, c’est-à-dire près de trois fois le montant de 44,5 millions d’euros qui résulterait de l’abolition de la condition pour les enfants du premier groupe.

118. Ces estimations s’appuient sur un ensemble de suppositions qui apparaissent, au mieux, comme d’une validité douteuse. Par exemple, en évaluant le nombre d’enfants du premier groupe résidant hors des Pays‑Bas, les auteurs de l’étude ont conclu qu’entre 15 et 30 % des travailleurs migrants d’Europe de l’Est travaillant aux Pays‑Bas continuaient à habiter dans leurs États membres d’origine avec leurs familles. Ces travailleurs sont donc présumés faire la navette, que ce soit quotidiennement ou de façon moins régulière, entre les Pays‑Bas et, par exemple, Varsovie. D’autre part, le fait que ces navetteurs puissent passer plus de journées de la semaine aux Pays‑Bas que dans l’État membre d’origine n’est pas pris en compte pour déterminer s’ils sont résidents néerlandais. Un autre exemple est que les auteurs de l’étude partent de la prémisse que les enfants de travailleurs frontaliers étudieront dans la zone frontalière où ils résident. Ils n’appliquent donc pas, apparemment, une correction aux chiffres pour tenir compte des enfants de travailleurs migrants et de ressortissants néerlandais résidant à l’étranger, que ce soit dans une zone limitrophe ou non, qui sont en droit d’obtenir un financement portable pour étudier dans une zone limitrophe.

119. Hormis ces problèmes quant à la méthodologie mise en œuvre, on peut constater que les enfants des premier et second groupes peuvent prétendre à un financement pour des études aux Pays‑Bas malgré qu’ils n’y résident pas. Le Royaume des Pays‑Bas a volontairement choisi de supporter la charge d’un appui financier à ces étudiants, dans certaines limites. Les mêmes limites s’appliquent au financement des études aux Pays‑Bas et à l’étranger. Le Royaume des Pays‑Bas n’a pas expliqué pourquoi la même charge est acceptable lorsqu’elle se rapporte à des études suivies aux Pays‑Bas, mais ne l’est plus quand elle concerne le financement portable (64).

120. Même si la Cour devait estimer que le Royaume des Pays‑Bas peut exiger un certain degré de rattachement, abstraction faite des préoccupations relatives au coût du financement portable, je pense encore qu’il serait disproportionné d’exiger d’un travailleur migrant et des membres de sa famille qui en dépendent qu’ils se conforment à la règle «des 3 ans sur 6».

121. La Cour a admis qu’une condition de résidence peut être disproportionnée si elle présente un caractère trop exclusif en ce qu’elle «privilégie indûment un élément qui n’est pas nécessairement représentatif du degré réel et effectif de rattachement […], à l’exclusion de tout autre élément représentatif» (65). Pour que les critères de rattachement soient proportionnés, il faut aussi qu’ils soient connus à l’avance et la possibilité d’une voie de recours de nature juridictionnelle doit être prévue (66).

122. D’après moi, le gouvernement néerlandais n’a pas expliqué de manière persuasive pourquoi l’objectif visé ne pourrait pas être atteint, de façon moins restrictive, soit par une condition de résidence plus flexible que la règle «des 3 ans sur 6», soit en tenant compte d’autres éléments, qui exprimeraient un degré similaire de rattachement, tels que l’emploi. En particulier, le gouvernement néerlandais n’a pas expliqué pourquoi il admet qu’un citoyen de l’Union ayant résidé aux Pays‑Bas pendant trois ans sur six soit toujours suffisamment rattaché à ce pays quelle que soit sa contribution à la société de celui-ci, mais rejette catégoriquement la possibilité que le statut de travailleur migrant d’une personne puisse adéquatement servir à établir le degré de rattachement requis avec les Pays‑Bas.

123. Les autres arguments présentés par le Royaume des Pays‑Bas ne m’amènent pas à revenir sur cette conclusion.

124. À l’inverse du Royaume des Pays‑Bas, j’estime qu’il est sans importance qu’il puisse exister d’autres sources de financement pour étudier hors de ce pays, ou hors de l’État membre d’accueil, pour des étudiants exclus du bénéfice du financement portable, et que d’autres États membres subordonnent l’octroi d’une aide pour des études à l’étranger à une condition similaire. Le fait que des étudiants puissent demander aux autorités néerlandaises une aide financière pour étudier aux Pays‑Bas, ou qu’ils puissent prétendre à un avantage fiscal généralisé et jouir d’autres avantages dans le cadre d’études à l’étranger ne peut pas réparer le traitement discriminatoire que le régime du financement portable leur réserve. En tout état de cause, il semblerait, comme le rétorque la Commission, que ces autres avantages ne soient pas aussi favorables que le financement portable, et leur existence ne prouve pas que la condition de résidence n’irait pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé. De même, des mesures prises par d’autres États membres ne peuvent pas remédier à un traitement discriminatoire infligé par le Royaume des Pays‑Bas. Il est de jurisprudence constante qu’un État membre ne peut pas justifier une mesure illégale en arguant qu’un autre État membre aurait adopté une mesure identique et pourrait ainsi commettre le même manquement au droit de l’Union (67).

125. Le Royaume des Pays‑Bas fait, ensuite, valoir que la condition de résidence fait obstacle à ce que i) des étudiants vivant à l’étranger prétendent qu’ils vivent de façon autonome, et auraient donc droit à des allocations plus élevées, alors que, en réalité, ils vivent au domicile familial, et ii) des personnes acquièrent le statut de travailleur migrant aux Pays‑Bas après une période de travail de pure forme, ce qui leur permettrait d’obtenir un financement portable et d’étudier à l’étranger (dans leur État membre d’origine, par exemple).

126. Selon moi, aucun de ces risques n’est propre au financement portable. Les deux se présentent également dans le cadre des demandes introduites par les étudiants pour financer des études aux Pays‑Bas. Or, il semblerait que, en ce qui concerne ce financement-là, le Royaume des Pays‑Bas soit parvenu à trouver des réponses adéquates à ces mêmes préoccupations par d’autres moyens, car il est accordé pareillement aux ressortissants néerlandais et aux travailleurs migrants, où qu’ils résident.

127. Quoiqu’il en soit, le Royaume des Pays‑Bas est à même de vérifier le statut de travailleur migrant d’une personne (68) et de prendre des mesures en vue d’éviter l’usage abusif de droits et la fraude, en prenant en considération les circonstances propres à chaque cas et en faisant la distinction entre le fait de profiter d’une possibilité offerte par la loi et celui de commettre un abus de droit (69).

128. Je conclus, par conséquent, que le Royaume des Pays‑Bas n’a pas démontré que la condition de résidence est proportionnée à première vue.

129. Par souci d’exhaustivité, je vais néanmoins examiner si la Commission a suggéré des mesures moins restrictives.

130. Elle n’a évoqué qu’une seule solution de rechange. Elle suggère une coordination entre le Royaume des Pays‑Bas et les autres États membres. Ce faisant, elle s’appuie sur une remarque que j’ai formulée dans l’affaire Bressol e.a., selon laquelle il incombe à l’État membre d’accueil et à l’État membre d’origine de négocier activement une solution aux problèmes découlant du volume particulièrement élevé de mobilité des étudiants (70).

131. Je rejoins l’opinion du Royaume des Pays‑Bas que le droit de l’Union n’impose pas d’obligation de coordination. La coordination est, au contraire, une forme de coopération exigeant le consentement d’au moins un autre État membre. Si le Royaume des Pays‑Bas a le droit d’invoquer un objectif légitime pour justifier une discrimination indirecte, on ne peut pas faire dépendre les moyens d’atteindre cet objectif du consentement des autres États membres et de leur volonté de négocier une solution. Les États membres demeurent responsables de l’organisation de leurs propres systèmes éducatifs. S’il est vrai qu’une coordination peut permettre de résoudre certaines des difficultés auxquelles se heurtent les États membres qui, à l’instar du Royaume des Pays‑Bas, souhaitent promouvoir la mobilité des étudiants par des aides financières, le fait de les contraindre à une telle coordination serait incompatible avec l’esprit de l’article 165, paragraphe 1, TFUE. Par conséquent, la coordination n’est pas une solution de rechange.

132. En tout état de cause, la Commission n’a pas expliqué comment et pourquoi la possibilité de recourir à une coordination démontre que la condition de résidence n’est pas proportionnée.

133. Dans son mémoire en duplique, le Royaume des Pays‑Bas semble reconnaître que la Commission cite trois mesures possibles: la limitation géographique de la portabilité du financement, la limitation de sa durée et l’obligation de coordination. Toutefois, la première et la deuxième s’inscrivent dans le cadre du passage du mémoire en réplique de la Commission où celle-ci résume les mesures que le Royaume des Pays‑Bas lui-même a évoquées et examinées dans son mémoire en défense. Par voie de conséquence, je ne considère pas que c’est la Commission qui a présenté ces suggestions. En tout état de cause, il ne s’agit pas là, à proprement parler, de solutions moins restrictives. Un État membre doit être libre d’offrir une aide financière généreuse pour des études n’importe où dans le monde pour peu qu’il respecte ses obligations en droit de l’Union (et assume, bien entendu, la responsabilité financière pour les coûts qu’entraînerait un régime aussi libéral).

–       Conclusion

134. Je conclus de ce qui précède que la discrimination indirecte contre les travailleurs migrants et les membres de leur famille à leur charge qui résulte de la condition de résidence ne peut pas être justifiée par l’objectif économique dégagé par la Cour dans son arrêt Bidar. Il me reste, cependant, à examiner si la condition peut se justifier au regard de l’objectif social invoqué par le Royaume des Pays‑Bas.

 La condition de résidence est-elle justifiée sous l’angle de son objectif social?

–       L’objectif social est-il un objectif légitime dont le choix repose sur des raisons impérieuses d’intérêt général?

135. Le financement portable a pour but d’accroître la mobilité des étudiants des Pays‑Bas en les incitant à étudier dans d’autres États membres. Il ne vise pas à promouvoir la mobilité entre deux États membres autres que les Pays‑Bas, ni à inciter des étudiants d’un autre État membre à étudier aux Pays‑Bas, ni à aider des étudiants résidant hors des Pays‑Bas et désireux d’étudier dans le pays où ils résident. Le financement portable est réservé aux étudiants qui, s’il n’existait pas, suivraient des études aux Pays‑Bas et qui — selon l’argument du gouvernement néerlandais — rentreraient vraisemblablement dans ce pays s’ils étudiaient à l’étranger. Il cible donc les étudiants susceptibles d’enrichir, par leur expérience acquise à l’étranger, la société néerlandaise et (éventuellement) le marché néerlandais du travail.

136. J’admets qu’il s’agit là d’un objectif légitime. D’ailleurs, la Commission ne semble pas le contester.

137. «[F]avoriser la mobilité des étudiants» est l’un des objectifs de l’Union et son importance a été soulignée par le Parlement européen et par le Conseil (71). Il s’agit également d’un objectif légitime à atteindre pour les États membres dans le cadre de l’organisation de leur système éducatif et de leur régime de financement des études (72).

138. J’admets aussi que le fait de favoriser la mobilité des étudiants serve l’intérêt général. La mobilité des étudiants promeut la diversité culturelle et linguistique, et favorise le développement professionnel. De cette manière, elle contribue à une société pluraliste dans les États membres et dans l’ensemble de l’Union.

139. Dans une Union européenne complètement intégrée, il pourrait être inacceptable de faire dépendre un financement d’études de l’apport que peut espérer d’un étudiant son État membre d’origine, car cela entraverait la libre circulation des citoyens de l’Union. Cependant, en l’absence d’harmonisation dans ce domaine, les États membres conservent, pour peu qu’ils respectent le droit de l’Union, une liberté considérable lorsqu’il s’agit de décider des conditions à remplir pour obtenir une aide aux études.

140. Je reconnais, par conséquent, que l’objectif social est un objectif légitime dont le choix repose sur des raisons impérieuses d’intérêt général.

–       La condition de résidence est-elle propre à réaliser l’objectif social?

141. Le Royaume des Pays‑Bas soutient que la condition de résidence est propre à garantir que le financement portable ne profitera qu’à la catégorie d’étudiants ciblée.

142. La Commission ne présente aucun argument à ce propos. Elle se borne à écrire qu’elle «doute» du bien-fondé de la position du Royaume des Pays‑Bas.

143. Toutefois, même si — une nouvelle fois — la Commission ne fait aucun effort convaincant pour réfuter l’argument du Royaume des Pays‑Bas, c’est au gouvernement néerlandais qu’il appartient de convaincre la Cour que la condition de résidence est une mesure appropriée pour atteindre l’objectif visé (73).

144. Je ne pense pas que le gouvernement y soit parvenu.

145. Je peux admettre que le lieu où un étudiant réside avant d’entamer des études d’enseignement supérieur peut déterminer dans une certaine mesure celui où lesdites études seront suivies. Il est vrai que le Royaume des Pays‑Bas n’a produit aucun élément permettant d’établir ce rapport. Selon moi, cependant, cela n’est pas un obstacle. La contribution avérée ou potentielle d’une mesure à la réalisation d’un objectif peut être prouvée par des analyses quantitatives ou qualitatives. Dans le cas présent, j’estime qu’une analyse qualitative suffirait et que, en soi, l’argument paraît probant.

146. Je me rallie également au point de vue du Royaume des Pays‑Bas selon lequel la condition de résidence permet d’éviter que des étudiants se servent du financement portable pour étudier dans le pays où ils résident, étant entendu que les étudiants résidant hors des Pays‑Bas ne peuvent pas demander le bénéfice de ce financement.

147. Cela étant dit, je ne suis pas convaincue qu’il existe un rapport évident entre l’État membre où un étudiant réside avant d’entamer ses études d’enseignement supérieur et la probabilité qu’il revienne dans cet État après avoir achevé ses études à l’étranger. Il ne me semble pas forcément probable qu’une majorité des étudiants résidant aux Pays‑Bas et se rendant ensuite à l’étranger pour y étudier retourneront nécessairement aux Pays‑Bas pour y habiter. Il peut exister des moyens de les y inciter (74), mais il ne va pas de soi qu’un séjour effectué par le passé permet utilement de prédire où un étudiant va habiter et travailler à l’avenir.

148. J’en conclus que le Royaume des Pays‑Bas n’a pas prouvé que la condition de résidence est une mesure propre à réserver le financement portable à la catégorie d’étudiants qu’il a voulu viser.

149. Par souci d’exhaustivité, je vais brièvement me pencher sur la question du caractère proportionné de la condition de résidence au regard de son objectif social.

–       La condition de résidence est-elle proportionnée à l’objectif social?

150. Il incombe au Royaume des Pays‑Bas de montrer que la règle «des 3 ans sur 6» ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour réserver le bénéfice du financement portable à la catégorie des étudiants qui, sans ce financement, étudieraient aux Pays‑Bas et qui, s’ils étudiaient à l’étranger, reviendraient probablement dans ce pays (75).

151. Je considère que ses arguments à ce sujet sont insuffisants.

152. Je suis d’accord avec le Royaume des Pays‑Bas que l’exigence de connaître la langue néerlandaise ou d’être titulaire d’un diplôme délivré par une école néerlandaise ne serait pas une solution de rechange efficace.

153. Le fait de savoir parler le néerlandais couramment n’est pas nécessairement un indice utile lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne étudierait aux Pays‑Bas s’il n’existait pas de financement portable, ou s’il reviendrait dans ce pays après avoir, le cas échéant, étudié à l’étranger. Un étudiant de langue néerlandaise pourrait, en effet, décider de faire des études à Anvers, sachant que l’on y parle cette langue. D’ailleurs, il pourrait aussi décider d’étudier à Paris pour améliorer son français, ou à Varsovie pour apprendre le polonais.

154. Le même raisonnement est applicable en ce qui concerne l’exigence pour l’étudiant potentiel d’être titulaire d’un diplôme émis par une école néerlandaise. À supposer qu’un tel diplôme néerlandais soit reconnu dans d’autres États membres et que le Royaume des Pays‑Bas reconnaisse pareillement l’équivalence des diplômes reçus à l’étranger, il est difficile de voir s’il existe nécessairement un rapport direct entre le point de savoir où le diplôme scolaire a été obtenu et celui de savoir si un particulier étudierait aux Pays‑Bas s’il n’existait pas de financement portable et y retournerait après avoir, le cas échéant, étudié à l’étranger.

155. En tout état de cause, ces exigences apparaissent toutes deux comme indirectement discriminatoires et susceptibles d’affecter les travailleurs migrants de la même façon que la condition de résidence.

156. Suffit-il, pour démontrer que la condition de résidence satisfait au critère de proportionnalité, que le Royaume des Pays‑Bas évoque deux mesures qui, clairement, ne sont pas des moyens proportionnés d’atteindre l’objectif visé (et qui sont tout aussi discriminatoires, voire plus, que la condition de résidence)?

157. Selon moi, la réponse à cette question est négative.

158. Le Royaume des Pays‑Bas est la partie à qui incombe la charge de la preuve et, à ce titre, il doit au moins montrer pourquoi il préfère le critère de la résidence de trois ans sur six, à l’exclusion de tout autre élément représentatif tel qu’un séjour d’une durée moins longue, ou pourquoi la catégorie visée d’étudiants ne peut pas faire l’objet d’un autre type de mesure (peut-être moins restrictive) telle qu’une règle prévoyant que le financement portable ne peut pas être utilisé pour étudier dans le pays de résidence.

159. Si la Cour devait néanmoins estimer que le Royaume des Pays‑Bas a démontré la proportionnalité de principe de la condition de résidence, j’estime que la Commission n’a pas établi qu’il existe d’autres mesures, moins restrictives, qui permettent d’arriver au même résultat. Les observations tant écrites qu’orales de la Commission ne permettent pas du tout de déterminer si elle a suggéré la moindre solution de cet ordre. Si son argument fondé sur la coordination est censé s’appliquer également en ce qui concerne l’objectif social, j’estime qu’il doit être écarté pour les raisons que j’ai déjà expliquées (76).

–       Conclusion

160. Je conclus de ce qui précède que la discrimination indirecte contre les travailleurs migrants, ainsi que les membres de leur famille à l’entretien desquels ils continuent de pourvoir, qu’implique la condition de résidence pourrait se justifier, en principe, par l’objectif social invoqué par le Royaume des Pays‑Bas. Cependant, je ne suis pas convaincue que le gouvernement néerlandais ait démontré que la condition de résidence est un moyen approprié et proportionné de réaliser cet objectif. Selon moi, le Royaume des Pays‑Bas ne peut pas obtenir gain de cause en ce qui concerne cet aspect de sa défense.

 Conclusions

161. Compte tenu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de:

1)      déclarer que, en imposant une condition de résidence aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille à l’entretien desquels ils continuent de pourvoir, afin d’obtenir le financement d’études à l’étranger dans le cadre de la loi néerlandaise sur le financement des études, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 45 TFUE et de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté;

2)      condamner le Royaume des Pays‑Bas aux dépens.


1 —      Langue originale: l’anglais.


2 —      Il est certain qu’il se consacra à ses études avec passion, comme en témoigne l’une des plus émouvantes citations qui lui sont attribuées: «Quand j’ai un peu d’argent, je m’achète des livres et, s’il m’en reste, j’achète de la nourriture et des vêtements». Voir aussi conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Morgan et Bucher (arrêt du 23 octobre 2007, C‑11/06 et C‑12/06, Rec. p. I‑9161, point 43).


3 —      Le délai imparti pour se conformer à l’avis motivé de la Commission a expiré le 15 juin 2009, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Par souci de commodité et de cohérence, je ferai référence à l’article 45 TFUE. Quoi qu’il en soit, les textes de l’article 39 CE et de tous les autres articles du traité CE qui nous concernent ici sont restés inchangés dans le traité de Lisbonne.


4 —      Règlement du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2). Le règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO L 141, p. 1), a abrogé le règlement no 1612/68 avec effet au 16 juin 2011, c’est‑à-dire bien après l’expiration du délai indiqué dans l’avis motivé de la Commission. Les textes des articles 7, paragraphe 2, et 12 du règlement no 1612/68 sont demeurés inchangés dans le règlement no 492/2011.


5 —      Voir deuxième tiret de l’article 165, paragraphe 2, TFUE (ex-article 149, paragraphe 2, CE). Le programme Erasmus et les autres programmes d’action de l’Union dans le domaine de l’éducation sont fondés sur les articles 165 TFUE et 166 TFUE. Voir décision no 1720/2006/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 novembre 2006, établissant un programme d’action dans le domaine de l’éducation et de la formation tout au long de la vie (JO L 327, p. 45), telle que modifiée par la décision no 1357/2008/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008 (JO L 350, p. 56).


6 —      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77).


7 —      Article 2.1 de la WSF.


8 —      Arrêt du 11 septembre 2007, Hendrix (C‑287/05, Rec. p. I‑6909, point 53 et jurisprudence citée).


9 —      Voir arrêt du 16 juillet 2009, von Chamier-Glisczinski (C‑208/07, Rec. p. I‑6095, point 66 et jurisprudence citée).


10 —      Respectivement, arrêts du 15 mars 2005 (C‑209/03, Rec. p. I‑2119) et du 18 novembre 2008 (C‑158/07, Rec. p. I‑8507).


11 —      Quatrième considérant du règlement no 1612/68 et arrêt du 10 septembre 2009, Commission/Allemagne (C‑269/07, Rec. p. I‑7811, point 52 et jurisprudence citée).


12 —      Arrêts Commission/Allemagne, précité, point 65 et jurisprudence citée (concernant les conjoints); du 15 septembre 2005, Ioannidis (C‑258/04, Rec. p. I‑8275, point 35 et jurisprudence citée) (concernant les descendants), et du 12 juillet 1984, Castelli (261/83, Rec. p. 3199, point 12) (concernant les ascendants).


13 —      Arrêt du 8 juin 1999, Meeusen (C‑337/97, Rec. p. I‑3289, point 25). L’affaire Meeusen concernait une condition de résidence directement discriminatoire (en ce qu’elle ne s’imposait qu’aux non-Néerlandais).


14 —      Arrêt Meeusen, précité, point 19 et jurisprudence citée.


15 —      Arrêt du 13 novembre 1990, di Leo (C‑308/89, Rec. p. I‑4185, point 12).


16 —      Voir arrêts du 17 septembre 2002, Baumbast et R (C‑413/99, Rec. p. I‑7091, point 63), et du 23 février 2010, Teixeira (C‑480/08, Rec. p. I‑1107, point 46).


17 —      Arrêts Teixeira, précité, point 51, et du 23 février 2010, Ibrahim et Secretary of State for the Home Department (C‑310/08, Rec. p. I‑1065, point 39).


18 —      Arrêt du 4 mai 1995, Gaal (C‑7/94, Rec. p. I‑1031, point 30).


19 —      Arrêt du 21 juin 1988 (197/86, Rec. p. 3205, point 28).


20 —      Idem, points 29 et 31.


21 —      Respectivement, arrêts du 21 juin 1988 (39/86, Rec. p. 3161), et du 27 septembre 1988 (235/87, Rec. p. 5589). Dans l’affaire Lair, la partie demanderesse au principal avait travaillé dans l’État membre d’accueil, mais pas assez longtemps pour satisfaire la condition (exigée des étrangers, mais pas des ressortissants dudit État membre) d’y avoir exercé une activité professionnelle régulière pendant cinq ans avant de solliciter une aide à la formation. L’affaire Matteucci est, quant à elle, caractérisée par la circonstance que la partie demanderesse non seulement était l’enfant d’un travailleur migrant, mais exerçait elle-même une activité réelle et effective (voir points 9 et 10 de l’arrêt).


22 —      Arrêt du 3 juillet 1974 (9/74, Rec. p. 773, point 9).


23 —      Arrêt précité note 15.


24 —      Voir arrêt du 18 novembre 2010, Kleist (C‑356/09, Rec. p. I‑11939, point 34 et jurisprudence citée).


25 —      On trouvera également quelques réflexions sur les différences qui peuvent, ou ne peuvent pas, être considérées comme pertinentes en ce qui concerne le droit à l’égalité de traitement au point 44 de mes conclusions dans l’affaire Bartsch (arrêt du 23 septembre 2008, C‑427/06, Rec. p. I‑7245).


26 —      Arrêt du 24 mars 2011, Commission/Espagne (C‑400/08, Rec. p. I‑1915, point 58 et jurisprudence citée).


27 —      Précité note 13, point 21.


28 —      Arrêt du 27 novembre 1997 (C‑57/96, Rec. p. I‑6689).


29 —      Respectivement, arrêts du 12 février 1974 (152/73, Rec. p. 153), et du 6 mars 2003, Kaba, dit «Kaba II» (C‑466/00, Rec. p. I‑2219).


30 —      Précité note 13, point 21.


31 —      Précité note 28, point 51.


32 —      Idem, points 45 et 46.


33 —      Arrêts, précités note 29, Sotgiu, points 12 et 13, et Kaba II, point 55.


34 —      Par exemple, l’enfant d’un travailleur frontalier pourrait néanmoins, pour l’une ou l’autre raison, résider aux Pays‑Bas, ou y avoir résidé pendant le temps requis, de façon à satisfaire à la règle «des 3 ans sur 6» avant de rentrer dans le pays où habite son parent.


35 —      Arrêt du 16 mars 2010, Olympique Lyonnais (C‑325/08, Rec. p. I‑2177, point 38 et jurisprudence citée).


36 —      Arrêt du 7 juillet 2005, Commission/Autriche (C‑147/03, Rec. p. I‑5969, point 63 et jurisprudence citée).


37 —      Arrêt du 10 février 2009, Commission/Italie (C‑110/05, Rec. p. I‑519, point 66).


38 —      Arrêts précités note 10.


39 —      Arrêt précité note 10, point 58.


40 —      Idem, point 55.


41 —      Idem, point 56. Dans son arrêt Morgan et Bucher, précité note 2, la Cour a confirmé que le même raisonnement est applicable en ce qui concerne l’octroi par un État membre d’aides à la formation aux étudiants souhaitant effectuer des études dans d’autres États membres (point 44 dudit arrêt).


42 —      Arrêt Bidar, précité note 10, point 57.


43 —      Idem, point 58.


44 —      Idem, point 59.


45 —      Arrêt Förster, précité note 10, point 48.


46 —      Arrêt précité note 10, point 56.


47 —      Arrêt Förster, précité note 10, point 49.


48 —      Idem, point 50.


49 —      Idem, point 51.


50 —      Idem, point 54.


51 —      Arrêt Bidar, précité note 10, point 56. Voir aussi, dans le domaine des prestations de soins de santé et de sécurité sociale, arrêts du 16 mai 2006, Watts (C‑372/04, Rec. p. I‑4325, point 103), et du 10 mars 2009, Hartlauer (C‑169/07, Rec. p. I‑1721, point 50).


52 —      Troisième considérant du règlement no 1612/68.


53 —      Idem, cinquième considérant.


54 —      Cette conclusion ne signifie pas que les États membres n’auraient, selon moi, jamais la possibilité d’exiger un certain degré d’intégration de la part des travailleurs migrants. En effet, l’objectif social, invoqué par le gouvernement néerlandais comme justifiant la démonstration par tous les demandeurs d’un certain degré d’intégration, est un exemple d’objectif légitime dont le choix repose sur des raisons impérieuses d’intérêt général (voir points 135 à 140, ci‑dessous).


55 —      Article 1er, paragraphe 1, de la directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour (JO L 180, p. 26). Le droit de séjour était accordé aux mêmes conditions aux ex‑travailleurs migrants et aux non-salariés ayant cessé leur activité professionnelle: voir article 1er, paragraphe 1, de la directive 90/365/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour des travailleurs salariés et non salariés ayant cessé leur activité professionnelle (JO L 180, p. 28). Voir aussi directive 90/366/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour des étudiants (JO L 180, p. 30), et l’acte qui lui a succédé, c’est-à-dire la directive 93/96/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative au droit de séjour des étudiants (JO L 317, p. 59). Chacun de ces actes — à part la directive 90/366 que la Cour avait déjà annulée par son arrêt du 7 juillet 1992, Parlement/Conseil (C‑295/90, Rec. p. I‑4193, point 21) — a été abrogé par la directive 2004/38.


56 —      Quatrième considérant de la directive 90/364.


57 —      Articles 1er et 3 de la directive.


58 —      Arrêt du 8 mars 2011, Ruiz Zambrano (C‑34/09, Rec. p. I‑1177, point 40 et jurisprudence citée).


59 —      Arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk (C‑184/99, Rec. p. I‑6193, point 44). Cette affaire concernait le versement du minimum de moyens d’existence («minimex»), reconnu par la loi belge, à un étudiant en dernière année qui était parvenu, durant ses trois premières années d’études, à assumer lui-même ses dépenses.


60 —      Voir également point 89 de mes conclusions dans l’affaire Commission/Espagne, précitée note 26.


61 —      Arrêt précité note 10, point 55.


62 —      Voir points 129 à 135 des conclusions de l’avocat général Mazák dans l’affaire Förster.


63 —      Il s’agit là des catégories les plus importantes qui profiteraient du financement portable si la condition de résidence était abrogée. La somme a été obtenue en multipliant le nombre estimé de ces personnes par une valeur moyenne des coûts par tête, comprenant la bourse de base, la bourse complémentaire et les prestations pour frais de voyage.


64 —      On ne sait pas davantage combien d’étudiants reçoivent une aide pour étudier aux Pays‑Bas suivie d’un financement portable pour étudier à l’étranger. Voir aussi point 16, ci-dessus.


65 —      Voir arrêts du 21 juillet 2011, Stewart (C‑503/09, Rec. p. I‑6497, point 95 et jurisprudence citée), et Morgan et Bucher, précité note 2, point 46 et jurisprudence citée. Voir aussi point 133 des conclusions de l’avocat général Mazák dans l’affaire Förster, précitée note 10.


66 —      Voir arrêt du 23 mars 2004, Collins (C‑138/02, Rec. p. I‑2703, point 72).


67 —      Arrêt du 20 octobre 2005, Commission/Suède (C‑111/03, Rec. p. I‑8789, point 66 et jurisprudence citée).


68 —      Est un travailleur migrant «toute personne qui exerce des activités réelles et effectives» et «accomplit pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération». Cette catégorie exclut les personnes qui exercent des «activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires»: voir arrêt Meeusen, précité note 13, point 13 et jurisprudence citée.


69 —      Arrêt du 9 mars 1999, Centros (C‑212/97, Rec. p. I‑1459, points 24 et 25, et jurisprudence citée).


70 —      Voir point 154 de mes conclusions dans l’affaire Bressol e.a. (arrêt du 13 avril 2010, C‑73/08, Rec. p. I‑2735).


71 —      Voir article 149, paragraphe 2, CE (devenu article 165, paragraphe 2, TFUE) et recommandation 2001/613/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 juillet 2001, relative à la mobilité dans la Communauté des étudiants, des personnes en formation, des volontaires, des enseignants et des formateurs (JO L 215, p. 30).


72 —      L’objectif d’encourager les étudiants à retourner vers leur État membre d’origine après avoir étudié à l’étranger peut être une préoccupation pour les États membres où le flux d’étudiants vers l’étranger est plus important que le flux inverse. Voir, par exemple, rapport au groupe de suivi de Bologne (Report to the Bologna Follow Up Group) du groupe de travail sur la portabilité des bourses et des prêts (Working Group on the Portability of Grants and Loans) (http://www.ond.vlaanderen.be/hogeronderwijs/bologna/documents/WGR2007/Portability_of_grants_and_loans_final_report2007.pdf), p. 15, et annexe de la recommandation 2006/961/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, relative à la mobilité transnationale dans la Communauté à des fins d’éducation et de formation: Charte européenne de qualité pour la mobilité (JO L 394, p. 5).


73 —      Voir point 100, ci-dessus.


74 —      Par exemple, l’octroi d’un financement pourrait être subordonné à la condition que l’étudiant revienne aux Pays‑Bas pour y travailler pendant un certain temps.


75 —      Voir points 67 à 70, ci-dessus.


76 —      Voir points 130 à 132, ci-dessus.