Language of document : ECLI:EU:C:2008:703

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

11 décembre 2008 (*)

«Droit d’auteur – Organisme de gestion des droits des auteurs jouissant d’une situation de monopole de fait – Perception d’une redevance relative à la télédiffusion d’œuvres musicales – Méthode de calcul de cette redevance – Position dominante – Abus»

Dans l’affaire C‑52/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Marknadsdomstolen (Suède), par décision du 2 février 2007, parvenue à la Cour le 6 février 2007, dans la procédure

Kanal 5 Ltd,

TV 4 AB

contre

Föreningen Svenska Tonsättares Internationella Musikbyrå (STIM) upa,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. E. Juhász, G. Arestis et J. Malenovský, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 juin 2008,

considérant les observations présentées:

–        pour Kanal 5 Ltd et TV 4 AB, par Mes C. Wetter et P. Karlsson, advokater, assistés de M. M. Johansson, jur. kand.,

–        pour Föreningen Svenska Tonsättares Internationella Musikbyrå (STIM) upa, par Mes A. Calissendorff, L. Johansson, E. Arbrandt, puis par Mes K. Cederlund et M. Jonson, advokater,

–        pour le gouvernement polonais, par Mme E. Ośniecka-Tamecka, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, par Mme T. Harris, en qualité d’agent, assistée de Mme M. Gray, barrister,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. F. Arbault, en qualité d’agent, assisté de Me U. Öberg, avocat,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 septembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 82 CE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Kanal 5 Ltd (ci-après «Kanal 5») et TV 4 AB (ci-après «TV 4») à Föreningen Svenska Tonsättares Internationella Musikbyrå (STIM) upa (organisme suédois de gestion collective du droit d’auteur pour la musique, ci-après «STIM») au sujet du barème des redevances relatives à la télédiffusion d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur appliqué par celui-ci.

 Le cadre juridique

3        En Suède, le droit d’auteur est régi par la loi 1960:729 relative à la propriété littéraire et artistique [lagen (1960:729) om upphovsrätt till litterära och konstnärliga verk].

4        En vertu des articles 42 bis et 42 sexies de cette loi, les sociétés de télédiffusion utilisant des œuvres protégées par le droit d’auteur peuvent conclure des accords de concession de licence avec un organisme de gestion collective du droit d’auteur et se voir ensuite accorder un droit général de télédiffusion de ces œuvres.

5        L’article 23 de la loi 1993:20 relative à la concurrence [konkurrenslagen (1993:20), ci-après la «KL»] prévoit:

«La Konkurrensverket [(Autorité suédoise de la concurrence)] peut ordonner à une entreprise de mettre fin à la violation d’une interdiction posée aux articles 6 et 19 de la présente loi ou aux articles 81 CE et 82 CE.

Si la Konkurrensverket décide de ne pas ordonner une telle mesure, le Marknadsdomstolen peut être saisi par toute entreprise victime de l’infraction. […]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

6        Kanal 5 et TV 4 sont des sociétés privées de télédiffusion.

7        STIM est une association jouissant, en Suède, d’une situation de monopole de fait sur le marché de la mise à disposition d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur en vue de leur télédiffusion.

8        Les membres de STIM sont des auteurs et des éditeurs d’œuvres musicales.

9        Ils concluent avec cette association un contrat d’adhésion par lequel ils lui concèdent le droit à rémunération pour la représentation et l’exécution publiques (droits de représentation) ainsi que pour l’enregistrement et la reproduction (droits mécaniques) de leurs œuvres.

10      S’agissant de la perception des droits de représentation, STIM soumet Kanal 5 et TV 4 au paiement de redevances correspondant à un pourcentage de leurs recettes résultant de la diffusion d’émissions destinées au grand public ou, subsidiairement, de la publicité et/ou des abonnements.

11      Ces pourcentages varient en fonction du volume de musique télédiffusé.

12      Quant à la chaîne de télévision de service public Sveriges Television (ci-après «SVT»), elle paye à STIM une redevance forfaitaire dont le montant est convenu à l’avance.

13      Au mois d’octobre 2004, Kanal 5 et TV 4 ont, en vertu de l’article 23, premier alinéa, de la KL, saisi la Konkurrensverket d’une demande d’injonction au motif que, selon elles, STIM abusait de sa position dominante.

14      Par une décision du 28 avril 2005, la Konkurrensverket a rejeté cette demande au motif qu’il n’existait pas d’éléments suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête.

15      Kanal 5 et TV 4 ont introduit, devant la juridiction de renvoi, un recours contre STIM au titre de l’article 23, second alinéa, de la KL.

16      C’est dans ce contexte que le Marknadsdomstolen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 82 CE doit-il être interprété en ce sens que des agissements doivent être considérés comme constitutifs d’un abus de position dominante si un organisme de gestion collective du droit d’auteur pour la musique, qui jouit d’un monopole de fait dans un État membre, applique ou impose à des chaînes de télévision privées un barème de redevances pour avoir le droit de diffuser des œuvres musicales dans des émissions de télévision destinées au grand public, selon lequel ces redevances sont déterminées comme une part des recettes tirées desdites émissions par lesdites chaînes?

2)      L’article 82 CE doit-il être interprété en ce sens que des agissements doivent être considérés comme constitutifs d’un abus de position dominante si un organisme de gestion collective du droit d’auteur pour la musique, qui jouit d’un monopole de fait dans un État membre, applique ou impose à des chaînes de télévision privées un barème de redevances pour avoir le droit de diffuser des œuvres musicales dans des émissions de télévision destinées au grand public, selon lequel ces redevances sont déterminées comme une part des recettes tirées desdites émissions par lesdites chaînes en l’absence de rapport évident entre les recettes et les prestations de cet organisme, à savoir accorder le droit de diffuser une œuvre musicale protégée par le droit d’auteur; tel est souvent le cas par exemple des émissions d’information et sportives ainsi que lorsque les recettes augmentent en raison de changements dans la grille de programmation, d’investissements technologiques et de développements de produits adaptés à la clientèle?

3)      La réponse aux première et deuxième questions est-elle susceptible d’être influencée par le fait qu’il est possible d’identifier et de quantifier tant la musique diffusée que l’audience?

4)      La réponse aux première et deuxième questions est-elle susceptible d’être influencée par le fait que le barème de redevances (fondé sur les recettes) n’est pas appliqué de la même manière aux sociétés de service public?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première à troisième questions

17      Par ses trois premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance, d’une part, si le fait, pour un organisme de gestion collective du droit d’auteur jouissant, dans un État membre, d’une situation de monopole de fait sur le marché de la mise à disposition d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur en vue de leur télédiffusion, d’appliquer, au titre de la rémunération due pour cette prestation, un barème de redevances suivant lequel les montants de ces redevances sont calculés sur le fondement des recettes des sociétés télédiffusant ces œuvres ainsi qu’en fonction de la quantité de musique télédiffusée constitue un abus de position dominante interdit par l’article 82 CE et, d’autre part, si le fait qu’une autre méthode permette d’identifier et de quantifier de manière plus précise l’utilisation desdites œuvres ainsi que l’audience est susceptible d’avoir une incidence sur cette qualification.

18      En vertu du premier alinéa de cet article, est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre les États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.

19      Afin d’examiner si une entreprise occupe une position dominante au sens de l’article 82, premier alinéa CE, une importance fondamentale doit être accordée à la détermination du marché en cause et à la délimitation de la partie substantielle du marché commun où l’entreprise est en mesure de se livrer éventuellement à des pratiques abusives faisant obstacle à une concurrence effective (voir arrêt du 26 novembre 1998, Bronner, C‑7/97, Rec. p. I‑7791, point 32).

20      S’agissant du marché en cause au principal, la juridiction de renvoi indique que ce marché est celui de la mise à disposition, en Suède, d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur en vue de leur télédiffusion.

21      Cette juridiction indique également que STIM se trouve en situation de monopole de fait sur ledit marché.

22      Il en résulte que STIM détient une position dominante sur le marché en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt Bronner, précité, point 35) et que, dans la mesure où cette position dominante s’étend sur le territoire d’un État membre, elle est susceptible de constituer une position dominante sur une partie substantielle du marché commun (voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 1998, Dusseldorp e.a., C‑203/96, Rec. p. I‑4075, point 60; Bronner, précité, point 36; du 17 mai 2001, TNT Traco, C‑340/99, Rec. p. I‑4109, point 43, ainsi que du 22 mai 2003, Connect Austria, C‑462/99, Rec. p. I‑5197, point 79).

23      Enfin, la juridiction de renvoi précise que le commerce entre les États membres est affecté en raison du fait que le barème de redevances en cause au principal concerne l’utilisation d’œuvres musicales dont les auteurs sont des nationaux et des étrangers, qu’une partie des acheteurs d’espaces publicitaires auprès de Kanal 5 et de TV 4 sont établis dans des États membres autres que le Royaume de Suède et que Kanal 5 émet à partir du Royaume-Uni.

24      Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner si le fait que STIM applique ledit barème à Kanal 5 et à TV 4 constitue une exploitation abusive de sa position dominante au sens de l’article 82, premier alinéa, CE.

25      La notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 91, et du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 69).

26      Certes, s’il est exact que l’existence d’une position dominante ne saurait priver une entreprise se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont attaqués, et qu’il faut lui accorder, dans une mesure raisonnable, la faculté d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de protéger lesdits intérêts, on ne peut admettre de tels comportements lorsqu’ils ont précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser (voir arrêts du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, Rec. p. 207, point 189, ainsi que du 16 septembre 2008, Sot. Lélos kai Sia e.a., C‑468/06 à C‑478/06, non encore publié au Recueil, point 50).

27      Dans ce contexte, il convient donc de rechercher si le détenteur de cette position a utilisé les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages de transactions qu’il n’aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace (arrêt United Brands et United Brands Continentaal/Commission, précité, point 249).

28      Selon la jurisprudence de la Cour, un tel abus pourrait consister dans la pratique d’un prix excessif sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie (voir arrêts du 13 novembre 1975, General Motors Continental/Commission, 26/75, Rec. p. 1367, point 12, ainsi que United Brands et United Brands Continentaal/Commission, précité, point 250).

29      Dans l’affaire au principal, il convient donc de vérifier si les redevances exigées par STIM présentent un rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie par cet organisme, qui consiste à mettre le répertoire d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur qu’il gère à la disposition des sociétés de télédiffusion ayant conclu des accords de concession de licences avec lui.

30      Dans la mesure où ces redevances visent à rémunérer des auteurs d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur au titre de la télédiffusion de ces œuvres, il y a lieu de prendre en considération la nature particulière de ce droit.

31      Dans ce contexte, il est expédient de rechercher un équilibre adéquat entre l’intérêt des auteurs d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur à percevoir une rémunération au titre de la télédiffusion de ces œuvres et celui des sociétés de télédiffusion à pouvoir télédiffuser lesdites œuvres dans des conditions raisonnables.

32      S’agissant de redevances perçues au titre de la rémunération du droit d’auteur pour la représentation publique, dans une discothèque, d’œuvres musicales enregistrées et dont le montant était calculé sur la base du chiffre d’affaires de cette discothèque, la Cour a jugé que de telles redevances devaient être considérées comme l’exploitation normale d’un droit d’auteur et que leur perception ne constituait pas, en elle-même, un comportement abusif au sens de l’article 82 CE (voir, en ce sens, arrêt du 9 avril 1987, Basset, 402/85, Rec. p. 1747, points 15, 16, 18 et 21).

33      En ce qui concerne le caractère abusif du taux de redevances analogues, dont le montant correspondait également à un pourcentage du chiffre d’affaires d’une discothèque, la Cour a jugé que la nature globale de ces redevances ne saurait être mise en cause au regard de l’interdiction énoncée à l’article 82 CE que dans la mesure où d’autres méthodes seraient susceptibles de réaliser le même but légitime qui est la protection des intérêts des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, sans pour autant entraîner une augmentation des frais encourus en vue de la gestion des contrats et de la surveillance de l’utilisation des œuvres musicales protégées (voir arrêt du 13 juillet 1989, Tournier, 395/87, Rec. p. 2521, point 45).

34      De même, l’application, par STIM, du barème de redevances en cause au principal ne constitue pas, en soi, une pratique abusive au sens de l’article 82 CE et doit, en principe, être considérée comme une exploitation normale du droit d’auteur.

35      En effet, il ne saurait être contesté que, en percevant des redevances au titre de la rémunération due pour la télédiffusion d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur, STIM poursuit un but légitime, à savoir la sauvegarde des droits et des intérêts de ses adhérents à l’égard des utilisateurs de leurs œuvres musicales (voir, en ce sens, arrêt Tournier, précité, point 31).

36      Par ailleurs, ces redevances, qui représentent la contrepartie due pour l’utilisation d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur à des fins de télédiffusion, doivent, notamment, être analysées au regard de la valeur de cette utilisation dans les échanges économiques.

37      À cet égard, dans la mesure où de telles redevances sont calculées sur le fondement des recettes des sociétés de télédiffusion, elles présentent, en principe, un rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie par STIM.

38      En outre, le titulaire du droit d’auteur et ses ayants droit ont un intérêt légitime à calculer des redevances dues pour l’autorisation de représenter une œuvre protégée par le droit d’auteur en fonction du nombre réel ou probable des représentations (voir, en ce sens, arrêts 18 mars 1980, Coditel e.a., 62/79, Rec. p. 881, point 13, ainsi que Tournier, précité, point 12).

39      Or, le barème de redevances appliqué par STIM tient compte de la quantité d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur réellement télédiffusée, puisque, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, le montant de ces redevances varie en fonction non seulement des recettes des sociétés de télédiffusion, mais également du volume de musique télédiffusé.

40      Toutefois, il ne peut être exclu que, dans certaines circonstances, l’application d’un tel barème de redevances puisse revêtir un caractère abusif, notamment lorsqu’il existe une autre méthode permettant d’identifier et de quantifier de manière plus précise l’utilisation de ces œuvres ainsi que l’audience et que cette méthode est susceptible de réaliser le même but légitime, qui est la protection des intérêts des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, sans pour autant entraîner une augmentation disproportionnée des frais encourus en vue de la gestion des contrats et de la surveillance de l’utilisation des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur.

41      Par conséquent, il y a lieu de répondre aux première à troisième questions que l’article 82 CE doit être interprété en ce sens qu’un organisme de gestion collective du droit d’auteur détenant une position dominante sur une partie substantielle du marché commun n’exploite pas de façon abusive cette position lorsque, au titre de la rémunération due pour la télédiffusion d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur, il applique à des chaînes de télévision privées un barème de redevances suivant lequel les montants de ces redevances correspondent à une part des recettes de ces chaînes, à condition que cette part soit globalement proportionnelle à la quantité d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur réellement télédiffusée ou susceptible de l’être et à moins qu’une autre méthode permette d’identifier et de quantifier de manière plus précise l’utilisation de ces œuvres ainsi que l’audience, sans pour autant entraîner une augmentation disproportionnée des frais encourus en vue de la gestion des contrats et de la surveillance de l’utilisation desdites œuvres.

 Sur la quatrième question

42      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande en substance si la circonstance qu’un organisme de gestion collective du droit d’auteur calcule des redevances perçues au titre de la rémunération due pour la télédiffusion d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur de manière différente selon qu’il s’agit de sociétés de télédiffusion privées ou de sociétés de service public constitue un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE.

43      Selon le second alinéa, sous c), de cet article, une pratique abusive peut notamment consister à appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence.

44      S’agissant de l’existence éventuelle d’une telle pratique dans le litige au principal, il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner, en premier lieu, si, en calculant de manière différente les redevances dues par Kanal 5 et TV 4, d’une part, et par SVT, d’autre part, au titre de la rémunération pour la télédiffusion d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur, STIM applique à leur égard des conditions inégales à des prestations équivalentes et, en second lieu, si ces sociétés de télédiffusion sont, en raison de ce fait, désavantagées dans la concurrence.

45      Dans le cadre de cet examen, ladite juridiction devra notamment tenir compte de la circonstance que, contrairement à Kanal 5 et à TV 4, SVT ne dispose ni de recettes publicitaires ni de recettes relatives aux contrats d’abonnement et du fait que la redevance due par SVT est perçue sans que soit prise en considération la quantité d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur réellement télédiffusée.

46      Par ailleurs, la juridiction de renvoi devra également vérifier si Kanal 5 et TV 4 ou l’une de ces deux sociétés sont des concurrentes de SVT sur le même marché.

47      Enfin, en vue de déterminer si le fait, pour un organisme de gestion collective du droit d’auteur, de calculer des redevances perçues au titre de la rémunération due pour la télédiffusion d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur de manière différente selon qu’il s’agit de sociétés de télédiffusion privées ou de sociétés de service public constitue une pratique abusive au sens de l’article 82 CE, il incombera à cette juridiction d’examiner si une telle pratique peut être objectivement justifiée (voir, en ce sens, arrêts United Brands et United Brands Continentaal/Commission, précité, point 184; Tournier, précité, points 38 et 46; du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C‑95/04 P, Rec. p. I‑2331, point 69, ainsi que Sot. Lélos kai Sia e.a., précité, point 39). Une telle justification pourrait notamment résulter de la mission et du mode de financement des sociétés de service public.

48      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 82 CE doit être interprété en ce sens que, en calculant des redevances perçues au titre de la rémunération due pour la télédiffusion d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur de manière différente selon qu’il s’agit de sociétés de télédiffusion privées ou de sociétés de service public, un organisme de gestion collective du droit d’auteur est susceptible d’exploiter de façon abusive sa position dominante au sens dudit article lorsqu’il applique à l’égard de ces sociétés des conditions inégales à des prestations équivalentes et qu’il leur inflige de ce fait un désavantage dans la concurrence, à moins qu’une telle pratique puisse être objectivement justifiée.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 82 CE doit être interprété en ce sens qu’un organisme de gestion collective du droit d’auteur détenant une position dominante sur une partie substantielle du marché commun n’exploite pas de façon abusive cette position lorsque, au titre de la rémunération due pour la télédiffusion d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur, il applique à des chaînes de télévision privées un barème de redevances suivant lequel les montants de ces redevances correspondent à une part des recettes de ces chaînes, à condition que cette part soit globalement proportionnelle à la quantité d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur réellement télédiffusée ou susceptible de l’être et à moins qu’une autre méthode permette d’identifier et de quantifier de manière plus précise l’utilisation de ces œuvres ainsi que l’audience, sans pour autant entraîner une augmentation disproportionnée des frais encourus en vue de la gestion des contrats et de la surveillance de l’utilisation desdites œuvres.

2)      L’article 82 CE doit être interprété en ce sens que, en calculant des redevances perçues au titre de la rémunération due pour la télédiffusion d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur de manière différente selon qu’il s’agit de sociétés de télédiffusion privées ou de sociétés de service public, un organisme de gestion collective du droit d’auteur est susceptible d’exploiter de façon abusive sa position dominante au sens dudit article lorsqu’il applique à l’égard de ces sociétés des conditions inégales à des prestations équivalentes et qu’il leur inflige de ce fait un désavantage dans la concurrence, à moins qu’une telle pratique puisse être objectivement justifiée.

Signatures


* Langue de procédure: le suédois.