Language of document : ECLI:EU:C:2011:611

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme VERICA Trstenjak

présentées le 22 septembre 2011 (1)

Affaire C‑411/10

N. S.

contre

Secretary of State for the Home Department

[demande de décision préjudicielle de la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni)]

«Règlement (CE) n° 343/2003 – Transfert de demandeurs d’asile dans l’État membre compétent à examiner la demande d’asile – Obligation de l’État auteur du transfert d’exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 – Compatibilité du transfert d’un demandeur d’asile avec la charte des droits fondamentaux, la CEDH et la convention de Genève relative au statut des réfugiés – Champ d’application de la charte des droits fondamentaux – Rapport entre la charte des droits fondamentaux, la convention de Genève relative au statut des réfugiés et la CEDH – Droit à un recours juridictionnel effectif – Le protocole n° 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni»


Table des matières

I –   Introduction

II – Le cadre juridique

A –   Le droit de l’Union

1.     La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

2.     Protocole n° 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni

3.     Le droit dérivé

a)     Le règlement n° 343/2003

b)     La directive 2001/55

c)     La directive 2003/9

d)     La directive 2004/83

e)     La directive 2005/85

B –   Le droit international public

1.     La convention de Genève relative au statut des réfugiés

2.     La convention européenne des droits de l’homme

III – Les faits et la demande préjudicielle

IV – La procédure devant la Cour

V –   Les arguments des parties

VI – Appréciation juridique

A –   Première question préjudicielle

B –   Deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles

1.     Les mesures d’asile en droit dérivé et leur rapport à la charte des droits fondamentaux, à la CEDH et à la convention de Genève

a)     La base d’habilitation en droit primaire

b)     Les directives 2001/55, 2003/9, 2004/83 et 2005/85

c)     Le règlement n° 343/2003

d)     Résultat intermédiaire

2.     La saturation du système d’asile grec

3.     Sur la prise en considération de la saturation de systèmes d’asile nationaux dans le cadre de l’application du règlement n° 343/2003

a)     Quatrième question préjudicielle: l’obligation d’exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 en cas de risque sérieux de violation des droits fondamentaux à la suite du transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent

i)     Sur la problématique d’un risque grave de violation des droits fondamentaux en cas de transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent

ii)   Sur l’obligation d’évocation énoncée à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003

iii) Résultat intermédiaire

b)     Deuxième et troisième questions préjudicielles: le recours à des présomptions irréfragables dans le cadre de l’exercice du droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003

C –   Cinquième question préjudicielle: rapport entre la protection des demandeurs d’asile garantie par la charte des droits fondamentaux et leur protection sous le système de la CEDH

D –   Sixième question préjudicielle: contrôle juridictionnel du respect de la convention de Genève et de la CEDH dans l’État membre normalement compétent conformément au règlement n° 343/2003

1.     L’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux et le risque d’une violation de la convention de Genève ou de la CEDH après le transfert d’un demandeur d’asile opéré conformément au règlement n° 343/2003

2.     Il est incompatible avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux qu’une juridiction présume de manière irréfragable que, dans l’État membre normalement compétent, le demandeur d’asile ne serait pas exposé au risque d’un refoulement incompatible avec la convention de Genève ou avec la CEDH

E – Septième question préjudicielle

VII – Conclusion





I –    Introduction

1.        Un des plus grands défis auxquels sont confrontés les auteurs du système d’asile européen commun est la répartition équitable, mais en même temps efficace des contraintes que l’immigration impose aux systèmes d’asile nationaux des États membres de l’Union européenne, comme la présente demande préjudicielle l’illustre de manière particulièrement claire. La juridiction de renvoi demande à la Cour de l’instruire sur les effets que la saturation d’un système d’asile national peut avoir sur les règles de désignation des États membres compétents à connaître des demandes d’asile introduites dans l’Union.

2.        Les critères permettant de déterminer l’État membre compétent à connaître d’une demande d’asile introduite dans l’Union sont énoncés dans le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (2). Le système de répartition des compétences en matière d’asile mis en place par ce règlement a pour caractéristique essentielle qu’en principe un seul État membre est compétent à connaître de chaque demande d’asile présentée dans l’Union. Lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers a demandé asile dans un État membre qui n’est pas celui que désignent les règles de compétence du règlement n° 343/2003, celui-ci prévoit une procédure de transfert du demandeur d’asile dans l’État membre normalement compétent.

3.        La crise que connaît actuellement le système d’asile grec oblige cependant les autres États membres à se demander si, conformément au règlement n° 343/2003, les demandeurs d’asile peuvent être transférés en Grèce pour l’examen de leurs demandes lorsque le système ne peut plus garantir que ces demandeurs d’asile y seront traités et leurs demandes examinées d’une manière conforme à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH»). L’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 confère à un État membre le droit de déroger aux règles normales de compétence et d’examiner lui-même une demande d’asile présentée sur son territoire au lieu de l’État membre normalement compétent, de sorte que se pose en outre la question de savoir si ce que nous conviendrons d’appeler ce «droit d’évocation» des États membres peut se convertir en une «obligation d’évocation» lorsque les droits fondamentaux du demandeur d’asile risqueraient d’être violés s’il était transféré dans l’État membre normalement compétent.

4.        C’est sur ces questions que doit se prononcer la juridiction de renvoi dans la procédure au principal, dans laquelle un demandeur d’asile afghan s’oppose à ce que le Royaume-Uni le reconduise en Grèce. C’est dans ce contexte qu’elle demande en substance si et, dans l’affirmative, à quelles conditions le Royaume-Uni peut, en pareille hypothèse, être tenu par les règles de droit de l’Union d’examiner lui-même la demande d’asile bien que, conformément au règlement n° 343/2003, ce soit la République hellénique qui est normalement compétente à le faire.

5.        Comme la charte des droits fondamentaux revêt une pertinence particulière en pareille situation, la juridiction de renvoi demande également des précisions sur le contenu et la portée du protocole n° 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni.

6.        Pour répondre aux questions préjudicielles, il convient en outre de tenir compte de l’arrêt que la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la «Cour européenne») a rendu le 21 janvier 2011 dans l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce (3), c’est-à-dire après l’introduction de la demande préjudicielle. Dans cet arrêt, la Cour européenne a jugé que, en transférant un demandeur d’asile afghan en Grèce, le Royaume de Belgique avait enfreint les articles 3 et 13 de la CEDH.

7.        La présente affaire et l’affaire M. E. e.a. (C-493/10), dans laquelle je lirai mes conclusions aujourd’hui également, sont étroitement liées. Cette affaire M. E. e.a. concerne le problème du transfert de demandeurs d’asile d’Irlande en Grèce dans les conditions du règlement n° 343/2003. Elle a été jointe à la présente affaire par ordonnance du président de la Cour aux fins des observations écrites, de la procédure orale et d’un arrêt conjoint. Pour des motifs de clarté, j’ai néanmoins décidé de présenter des conclusions distinctes dans cette affaire-ci et dans l’affaire M. E. e.a..

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

1.      La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

8.        L’article 1er de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Dignité humaine», dispose que:

«La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée.»

9.        L’article 4 de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants», est rédigé comme suit:

«Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.»

10.      L’article 18 de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Droit d’asile», énonce les règles suivantes:

«Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.»

11.      L’article 19 de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Protection en cas d’éloignement, d’expulsion ou d’extradition», est formulé dans les termes que voici:

«1. Les expulsions collectives sont interdites.

2. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.»

12.      L’article 47 de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Droit à un recours effectif et à accéder à un Tribunal impartial», est rédigé de la manière suivante:

«Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.

Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice.»

13.      L’article 51 de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Champ d’application», dispose de ce qui suit:

«1. Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives.

2. La présente Charte ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour la Communauté et pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités.»

14.      L’article 52 de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Portée des droits garantis», énonce les règles suivantes:

«1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

2. Les droits reconnus par la présente Charte qui trouvent leur fondement dans les traités communautaires ou dans le traité sur l’Union européenne s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.

3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite Convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.

[…]

7. Les explications élaborées en vue de guider l’interprétation de la présente Charte sont dûment prises en considération par les juridictions de l’Union et des États membres.»

2.      Protocole n° 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni

15.      Le protocole n° 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni, qui est annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après le «protocole n° 30»), contient deux articles, dont le texte est le suivant:

«Article premier

1. La Charte n’étend pas la faculté de la Cour de justice de l’Union européenne, ou de toute juridiction de la Pologne ou du Royaume-Uni, d’estimer que les lois, règlements ou dispositions, pratiques ou actions administratives de la Pologne ou du Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux qu’elle réaffirme.

2. En particulier, et pour dissiper tout doute, rien dans le titre IV de la Charte ne crée des droits justiciables applicables à la Pologne ou au Royaume-Uni, sauf dans la mesure où la Pologne ou le Royaume-Uni a prévu de tels droits dans sa législation nationale.

Article 2

Lorsqu’une disposition de la Charte fait référence aux législations et pratiques nationales, elle ne s’applique à la Pologne ou au Royaume-Uni que dans la mesure où les droits et principes qu’elle contient sont reconnus dans la législation ou les pratiques de la Pologne ou du Royaume-Uni.»

3.      Le droit dérivé

16.      Lors de la session extraordinaire du Conseil européen qu’ils ont tenue à Tampere les 15 et 16 octobre 1999, les États membres sont convenus de mettre en place un système d’asile européen commun fondé sur l’application intégrale et globale de la convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951, dans la version modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967 (ci-après la «convention de Genève»), d’assurer le maintien du principe de non-refoulement et de garantir que personne ne soit renvoyé aux frontières de territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée. Lors de cette session extraordinaire, le Conseil européen a en outre confirmé que, sur la question d’une protection temporaire des personnes déplacées, il était nécessaire d’arriver à un accord qui repose sur la solidarité entre les États membres.

17.      Les résolutions de la réunion de Tampere ont été transposées au moyen du règlement et des directives suivants (4) notamment:

–        le règlement n° 343/2003;

–        la directive 2001/55/CE du Conseil, du 20 juillet 2001, relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil (5);

–        la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (6);

–        la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (7);

–        la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (8).

18.      Voici, en détail, ce que prévoient ce règlement et ces directives.

a)      Le règlement n° 343/2003

19.      L’article 1er du règlement n° 343/2003 établit les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers.

20.      L’article 3 du règlement n° 343/2003 dispose ce qui suit:

«1. Les États membres examinent toute demande d’asile présentée par un ressortissant d’un pays tiers à l’un quelconque d’entre eux, que ce soit à la frontière ou sur le territoire de l’État membre concerné. La demande d’asile est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable.

2. Par dérogation au paragraphe 1, chaque État membre peut examiner une demande d’asile qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. Dans ce cas, cet État devient l’État membre responsable au sens du présent règlement et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe l’État membre antérieurement responsable, celui qui conduit une procédure de détermination de l’État membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge.

3. Tout État membre conserve la possibilité, en application de son droit national, d’envoyer un demandeur d’asile vers un État tiers, dans le respect des dispositions de la convention de Genève.

4. Le demandeur d’asile est informé par écrit, dans une langue dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend, au sujet de l’application du présent règlement, des délais qu’il prévoit et de ses effets.»

21.      L’article 4 du règlement n° 343/2003 est rédigé comme suit:

«1. Le processus de détermination de l’État membre responsable en vertu du présent règlement est engagé dès qu’une demande d’asile est introduite pour la première fois auprès d’un État membre.

2. Une demande d’asile est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur d’asile ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l’État membre concerné. Dans le cas d’une demande non écrite, le délai entre la déclaration d’intention et l’établissement d’un procès-verbal doit être aussi court que possible.

[…]»

22.      L’article 5 du règlement n° 343/2003 énonce les règles suivantes:

«1. Les critères pour la détermination de l’État membre responsable qui sont établis s’appliquent dans l’ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre.

2. La détermination de l’État membre responsable en application des critères se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur d’asile a présenté sa demande pour la première fois auprès d’un État membre.»

23.      L’article 10 du règlement n° 343/2003 est formulé comme suit:

«1. Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 18, paragraphe 3, notamment des données visées au chapitre III du règlement (CE) n° 2725/2000, que le demandeur d’asile a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande d’asile. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

2. Lorsqu’un État membre ne peut, ou ne peut plus, être tenu pour responsable conformément au paragraphe 1 et qu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 18, paragraphe 3, que le demandeur d’asile qui est entré irrégulièrement sur les territoires des États membres ou dont les circonstances de l’entrée sur ce territoire ne peuvent être établies a séjourné dans un État membre pendant une période continue d’au moins cinq mois avant l’introduction de sa demande, cet État membre est responsable de l’examen de la demande d’asile.

Si le demandeur d’asile a séjourné dans plusieurs États membres pendant des périodes d’au moins cinq mois, l’État membre du dernier séjour est responsable de l’examen de la demande.»

24.      L’article 13 du règlement n° 343/2003 dispose ce qui suit:

«Lorsque l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande a été présentée est responsable de l’examen.»

25.      L’article 16 du règlement n° 343/2003 énonce les règles que voici:

«1. L’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile en vertu du présent règlement est tenu de:

a)      prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 17 à 19, le demandeur d’asile qui a introduit une demande dans un autre État membre;

b)      mener à terme l’examen de la demande d’asile;

[…]

3. Les obligations prévues au paragraphe 1 cessent si le ressortissant d’un pays tiers a quitté le territoire des États membres pendant une durée d’au moins trois mois, à moins qu’il ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité délivré par l’État membre responsable.

[…]»

26.      L’article 17, paragraphe 1, du règlement n° 343/2003 contient les dispositions suivantes:

«L’État membre auprès duquel une demande d’asile a été introduite et qui estime qu’un autre État membre est responsable de l’examen de cette demande peut requérir ce dernier aux fins de prise en charge dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois après l’introduction de la demande d’asile au sens de l’article 4, paragraphe 2.

Si la requête aux fins de prise en charge d’un demandeur n’est pas formulée dans le délai de trois mois, la responsabilité de l’examen de la demande d’asile incombe à l’État membre auprès duquel la demande a été introduite.

[…]»

27.      L’article 18 du règlement n° 343/2003 est formulé comme suit:

«1. L’État membre requis procède aux vérifications nécessaires et doit statuer sur la requête aux fins de prise en charge d’un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande.

[…]

7. L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d’un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris une bonne organisation de son arrivée.»

28.      L’article 19 du règlement n° 343/2003 dispose ceci:

«1. Lorsque l’État membre requis accepte la prise en charge d’un demandeur, l’État membre dans lequel la demande d’asile a été introduite notifie au demandeur la décision de ne pas examiner la demande, ainsi que l’obligation de le transférer vers l’État membre responsable.

2. La décision visée au paragraphe 1 est motivée. Elle est assortie des indications de délai relatives à la mise en œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, les informations relatives au lieu et à la date auxquels le demandeur doit se présenter s’il se rend par ses propres moyens dans l’État membre responsable. Cette décision est susceptible d’un recours ou d’une révision. Ce recours ou cette révision n’a pas d’effet suspensif sur l’exécution du transfert, sauf lorsque les tribunaux ou les instances compétentes le décident, au cas par cas, si la législation nationale le permet.

3. Le transfert du demandeur de l’État membre auprès duquel la demande d’asile a été introduite vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national du premier État membre, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation de la demande de prise en charge ou de la décision sur le recours ou la révision en cas d’effet suspensif.

[…]

4. Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l’État membre auprès duquel la demande d’asile a été introduite. Ce délai peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement du demandeur d’asile ou à dix-huit mois au maximum si le demandeur d’asile prend la fuite.

[…]»

b)      La directive 2001/55

29.      Aux termes de son article 1er, cette directive a pour objet d’instaurer des normes minimales relatives à l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine et de contribuer à un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.

30.      Conformément à l’article 2, sous a), de la directive 2001/55, l’expression «protection temporaire» désigne une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif ou d’afflux massif imminent de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire à ces personnes, notamment si le système d’asile risque également de ne pouvoir traiter cet afflux sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement, dans l’intérêt des personnes concernées et celui des autres personnes demandant une protection.

31.      Le chapitre II de la directive 2001/55 énonce les règles concernant la durée et la mise en œuvre de la protection temporaire. Le chapitre III énonce les obligations des États membres envers les bénéficiaires de la protection temporaire. Le chapitre IV contient les règles relatives à l’accès à la procédure d’asile dans le cadre de la protection temporaire. Le chapitre V est consacré au retour de personnes concernées et aux mesures à prendre après la protection temporaire. Le chapitre VI règle la répartition des charges et des missions entre les États membres dans un esprit de solidarité de l’Union.

c)      La directive 2003/9

32.      Aux termes de son article 1er, la directive 2003/9 a pour objectif d’établir des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres.

33.      Les normes minimales que contient la directive 2003/9 portent sur l’obligation qu’ont les États membres d’informer les demandeurs d’asile (article 5), sur les documents qu’ils doivent leur fournir (article 6), sur le séjour et la liberté de circulation des demandeurs d’asile (article 7), sur la préservation de l’unité de la famille des demandeurs d’asile (article 8), sur la scolarisation et l’éducation des enfants mineurs (article 10), sur l’accès des demandeurs d’asile au marché de l’emploi (article 11), sur leur formation professionnelle (article 12) et sur les conditions matérielles de leur accueil et de leur accès aux soins de santé (articles 13 et suivants).

34.      L’article 21 de la directive 2003/9, intitulé «Recours», dispose ce qui suit:

«1. Les États membres font en sorte que les décisions négatives quant à l’octroi des avantages prévus par la présente directive ou les décisions prises en vertu de l’article 7 qui affectent individuellement les demandeurs d’asile puissent faire l’objet d’un recours dans le cadre des procédures prévues dans le droit national. Il est prévu, au moins en dernière instance, la possibilité de voies de recours devant une instance juridictionnelle.

2. Les procédures d’accès à l’assistance juridique dans ces cas sont fixées par le droit national.»

35.      Conformément à l’article 23 de la directive 2003/9, les États membres veillent, dans le respect de leur structure constitutionnelle, à ce que le niveau des conditions d’accueil fasse l’objet d’orientations, d’une surveillance et d’un contrôle appropriés. Aux termes de l’article 24, paragraphe 2, ils allouent les ressources nécessaires à la mise en œuvre des dispositions nationales prises aux fins de la transposition de cette directive.

d)      La directive 2004/83

36.      Conformément à l’article 1er de la directive 2004/83, celle-ci a pour objet d’établir des normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de la protection accordée.

37.      Les chapitres II, III et IV de la directive 2004/83 contiennent toute une série de règles et de critères concernant l’examen des demandes d’octroi du statut de réfugié ou d’une protection subsidiaire ainsi que les conditions permettant d’être considéré comme réfugié ou comme personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire. Le chapitre IV, d’une part, fait aux États membres l’obligation d’octroyer le statut de réfugié à tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui remplit les conditions pour être considéré comme réfugié conformément aux chapitres II et III (article 13) et, d’autre part, il fixe les modalités de révocation du statut de réfugié, de fin du statut de réfugié ou du refus de le renouveler (article 14). Le chapitre VI énonce les règles correspondantes pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire (article 18) et pour la révocation de celui-ci, pour sa fin ou pour le refus de le renouveler (article 19). Le chapitre VII précise le contenu de la protection internationale, laquelle comporte notamment la protection contre le refoulement (article 21). Le chapitre VIII règle les questions de la coopération administrative. Conformément à l’article 36, les États membres veillent, notamment, à ce que les autorités et les autres organisations qui mettent en œuvre la directive bénéficient de la formation nécessaire.

e)      La directive 2005/85

38.      Conformément à son article 1er, la directive 2005/85 a pour objet d’établir des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.

39.      Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2005/85, celle-ci s’applique à toutes les demandes d’asile introduites sur le territoire des États membres, y compris à la frontière ou dans une zone de transit, ainsi qu’au retrait du statut de réfugié. Selon l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, les États membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément aux dispositions de la directive.

40.      Les principes de base de ces procédures ainsi que les garanties qui doivent être assurées aux demandeurs d’asile dans ce contexte sont énoncés au chapitre II de la directive 2005/85. Le chapitre III énonce des règles concrètes pour la procédure d’octroi du statut de réfugié. Il introduit le concept de pays tiers sûrs (article 27) et le concept de pays d’origine sûrs (article 31). Le chapitre V, enfin, précise les règles qui régissent le droit du demandeur d’asile à un recours effectif (article 39).

B –    Le droit international public

1.      La convention de Genève relative au statut des réfugiés

41.      Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève, aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières de territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2.      La convention européenne des droits de l’homme

42.      L’article 3 de la CEDH dispose que nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou à traitements cruels, inhumains ou dégradants.

43.      L’article 13 de la CEDH dispose que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans ladite convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles.

III – Les faits et la demande préjudicielle

44.      La juridiction de renvoi a été saisie d’un recours qu’un demandeur d’asile afghan (ci-après le «requérant au principal») a engagé contre une décision de la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), afin d’empêcher le Royaume-Uni de le transférer en Grèce. Le défendeur au principal, le Secretary of State for the Home Department, est le ministre compétent en matière d’immigration et d’asile au Royaume-Uni.

45.      Au cours du voyage qui l’a mené d’Afghanistan au Royaume-Uni, le requérant au principal a notamment traversé la Grèce, où il a été incarcéré le 24 septembre 2008, incarcération au cours de laquelle ses empreintes digitales ont été prélevées. Il n’a présenté aucune demande d’asile en Grèce. Après son incarcération, un ordre de quitter le territoire grec dans un délai de 30 jours lui a été intimé, après quoi il a été refoulé vers la Turquie. Après s’être enfui de la prison turque, il s’est rendu au Royaume-Uni, où il est arrivé le 12 janvier 2009 et où il a présenté une demande d’asile le même jour.

46.      S’autorisant des règles du règlement n° 343/2003, le Secretary of State a, le 1er avril 2009, demandé à la République hellénique d’accueillir le requérant au principal. Les autorités grecques n’ayant pas répondu à cette demande dans le délai prévu par ce règlement, il en a conclu que la République hellénique avait accepté la compétence à connaître de la demande d’asile que lui confère le règlement.

47.      Le 30 juillet 2009, le requérant au principal a été avisé qu’il serait transféré en Grèce le 6 août 2009. Le 31 juillet 2009, le Secretary of State a adopté une décision conformément à l’Asylum and Immigration (Treatment of Claimants, etc.) Act 2004 et fait savoir au requérant au principal que la réclamation qu’il avait introduite au motif que son transfert en Grèce enfreindrait les droits que lui confère la CEDH était manifestement infondée. Cette décision avait pour effet que le requérant au principal n’avait aucune possibilité en droit national d’engager un recours contre la décision de le transférer en Grèce, alors que, en cas de succès de sa réclamation, il aurait pu le faire.

48.      Il a alors demandé au Secretary of State qu’il évoque le dossier et exerce la compétence d’examen de la demande d’asile comme l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 lui permettait de le faire, mais il s’est heurté à un refus. À l’appui de cette demande, il avait notamment fait valoir qu’un transfert en Grèce violerait les droits fondamentaux que lui confère le droit de l’Union. Le 4 août 2009, il a été informé que le Secretary of State maintenait sa décision de le transférer en Grèce.

49.      Le 6 août 2009, le requérant au principal a demandé l’autorisation de saisir une juridiction qui pourrait contrôler, d’une part, la décision rejetant comme étant non fondée la réclamation qu’il avait introduite sur la base de la CEDH et, d’autre part, la décision de le transférer en Grèce. À la suite de cette demande, les dispositions que le Secretary of State avait adoptées en vue de son transfert en Grèce ont été annulées.

50.      Eu égard à l’importance des questions en litige, le requérant au principal a été autorisé, par décision du 14 octobre 2009, à saisir l’Administrative Court d’une demande de contrôle juridictionnel et la procédure a été déclarée affaire pilote pour l’Angleterre et le Pays de Galle dans le domaine des refoulements vers la Grèce conformément au règlement n° 343/2003.

51.      L’Administrative Court a rejeté l’action du requérant au principal par arrêt du 31 mars 2010, mais, en raison de la portée générale de cette affaire, il a autorisé un recours devant la juridiction de renvoi.

52.      La juridiction de renvoi a estimé que le recours dont elle avait été saisie entre-temps soulevait des questions fondamentales concernant le champ d’application de l’article 3 du règlement n° 343/2003 et les effets que peuvent avoir sur l’application de cette disposition les droits dont le requérant au principal peut se prévaloir au titre de la charte des droits fondamentaux et de conventions internationales telles que la CEDH.

53.      La juridiction de renvoi a alors sursis à statuer et saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

«1)      La décision prise par un État membre au titre de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 du Conseil (ci-après le ‘règlement’) d’examiner ou non une demande d’asile par rapport à laquelle il n’est pas responsable au regard des critères énoncés au chapitre III du règlement relève-t-elle du domaine d’application du droit de l’Union aux fins de l’article 6 du traité sur l’Union européenne et/ou de l’article 51 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la ‘Charte’)?

En cas de réponse affirmative à la première question:

2)      Suffit-il, pour satisfaire à l’obligation qui incombe aux États membres de respecter les droits fondamentaux de l’Union européenne (y compris les droits énoncés aux articles 1er, 4, 18, 19, paragraphe 2, et 47 de la Charte), de renvoyer le demandeur d’asile vers l’État membre que l’article 3, paragraphe 1, désigne, au regard des critères énoncés au chapitre III du règlement, comme responsable (ci-après l’‘État responsable’), indépendamment de la situation prévalant dans cet État?

3)      En particulier, l’obligation de respecter les droits fondamentaux de l’Union européenne s’oppose-t-elle à l’application d’une présomption irréfragable selon laquelle l’État responsable respectera i) les droits fondamentaux que le droit de l’Union confère au demandeur; et/ou ii) les normes minimales résultant des directives 2003/9/CE (‘la directive sur l’accueil’), 2004/83/CE (‘la directive sur les conditions’) et 2005/85/CE (‘la directive sur les procédures’) (dénommées conjointement, ci-après, ‘les directives’)?

4)      À titre subsidiaire, un État membre est-il tenu en vertu du droit de l’Union européenne, et si c’est le cas, dans quelles circonstances, de faire usage de la compétence, prévue à l’article 3, paragraphe 2, du règlement, d’examiner une demande et d’assumer la responsabilité à l’égard de celle-ci, lorsque le transfert du demandeur vers l’État membre responsable l’exposerait à un risque de violation de ses droits fondamentaux, notamment des droits énoncés aux articles 1er, 4, 18, 19, paragraphe 2, et/ou 47 de la charte, et/ou au risque que les normes minimales prévues par les directives ne soient pas appliquées à son égard?

5)      La portée de la protection conférée, à une personne à laquelle s’applique le règlement, par les principes généraux du droit de l’Union européenne et, notamment, les articles 1er, 18 et 47 de la charte est-elle plus étendue que celle de la protection conférée par l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la ‘convention’)?

6)      Une disposition de droit national qui oblige les juridictions à assimiler, aux fins de déterminer si une personne peut légalement être expulsée vers un autre État membre au titre du règlement, cet État membre à un État à partir duquel la personne en cause ne sera pas envoyée dans un autre État en violation des droits que lui confère la convention ou des droits que lui reconnaissent la convention de 1951 et le protocole de 1967 sur le statut des réfugiés, est-elle compatible avec les droits énoncés à l’article 47 de la charte?

7)      Dans la mesure où les questions qui précèdent sont soulevées à l’égard d’obligations incombant au Royaume-Uni, la prise en compte du protocole (n° 30) sur l’application de la charte à la Pologne et à la Grande-Bretagne a-t-elle une incidence quelconque sur les réponses aux deuxième à sixième questions?»

IV – La procédure devant la Cour

54.      La décision de renvoi, qui porte la date du 12 juillet 2010, est parvenue au greffe de la Cour le 18 août 2010. Se prévalant de l’article 104 b, paragraphe 1, du règlement de procédure, la juridiction de renvoi a demandé que sa demande soit traitée suivant la procédure accélérée, ce qui lui a été refusé par ordonnance du président de la Cour du 1er octobre 2010.

55.      Par ordonnance du président de la Cour du 9 novembre 2010, les affaires C-411/10 et C-493/10 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et, par ordonnance du 16 mai 2011, elles l’ont été aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

56.      Ont présenté des observations écrites à la Cour le requérant au principal, Amnesty International Ltd et l’AIRE (Advice on Individual Rights in Europe) Centre, le Haut-Commissaire des Nations unies aux réfugiés, l’Equality and Human Rights Commission en tant que partie intervenante au principal, le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République de Finlande, la République française, la République hellénique, l’Irlande, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République de Pologne, le Royaume-Uni, la République tchèque, la Confédération suisse et la Commission européenne. Ont comparu à l’audience du 28 juin 2011 les représentants du requérant au principal, d’Amnesty International Ltd et de l’AIRE Centre, du Haut-Commissaire des Nations unies aux réfugiés, de l’Equality and Human Rights Commission, de la République de Slovénie, de la République française, de la République hellénique, de l’Irlande, du Royaume des Pays-Bas, de la République de Pologne, du Royaume-Uni et de la Commission.

V –    Les arguments des parties

57.      La première question préjudicielle porte sur le point de savoir si la décision d’examiner une demande d’asile qu’un État membre prend en application de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 relève du champ d’application du droit de l’Union. La Commission, les gouvernement finlandais, français et néerlandais, le requérant au principal, le Haut-Commissaire des Nations unies aux réfugiés, Amnesty International Ltd, l’AIRE Centre ainsi que l’Equality and Human Rights Commission considèrent qu’il faut répondre affirmativement à cette question. Le gouvernement autrichien estime lui aussi que les droits fondamentaux de l’Union s’appliquent à la décision d’un État membre d’exercer le droit d’évocation que lui confère l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003.

58.      Selon l’Irlande, les gouvernements italien et belge et selon le gouvernement du Royaume Uni, en revanche, la décision d’exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union. Le gouvernement belge apporte cependant un tempérament de poids à sa position en soulignant que le transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre que le règlement n° 343/2003 désigne comme étant normalement compétent relève, lui, du champ d’application du droit de l’Union.

59.      Dans sa réponse à la première question, le gouvernement tchèque fait une distinction entre la situation dans laquelle un État membre exerce le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 et celle dans laquelle il renonce à le faire. Seule la décision d’exercer ce droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, dudit règlement relève du champ d’application du droit de l’Union, alors que la renonciation à ce droit n’en relèverait pas.

60.      Le gouvernement allemand ne se prononce pas expressément sur la première question préjudicielle et répond aux questions suivantes uniquement dans l’hypothèse où la Cour conclurait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire aménagé par l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 doit être considéré comme une «m[ise] en œuvre [du] droit de l’Union» au sens de l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte des droits fondamentaux.

61.      En réponse aux deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles, la Commission, les gouvernements finlandais, français, allemand, néerlandais et belge, le gouvernement du Royaume-Uni (9) ainsi que le requérant au principal et le Haut-Commissaire des Nations unies aux réfugiés considèrent en substance que l’État membre qui applique le règlement n° 343/2003 est fondé à présumer que l’État membre compétent à connaître d’une demande d’asile agit d’une manière conforme au droit de l’Union et au droit public international, cette présomption étant réfragable. Dans la mesure, néanmoins, où il devrait s’avérer dans un cas concret que le transfert du demandeur d’asile vers l’État membre initialement compétent et le traitement que les autorités de cet État membre réservent au demandeur d’asile enfreignent les droits que la charte des droits fondamentaux confère à celui-ci, la Commission, les gouvernements finlandais, français et belge, le gouvernement du Royaume-Uni, le requérant au principal, le Haut-Commissaire des Nations unies aux réfugiés, Amnesty International Ltd et l’AIRE Centre estiment que l’État membre auteur du transfert est obligé d’exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003. Selon les gouvernements allemand et néerlandais, un demandeur d’asile ne peut, en pareil cas, plus être transféré dans l’État membre initialement compétent.

62.      Le gouvernement du Royaume-Uni souligne en outre qu’une obligation d’exercer le droit d’évocation ne peut naître que dans des circonstances extraordinaires, à savoir lorsque la présomption que l’État membre compétent agit à l’égard d’une catégorie déterminée de demandeurs d’asile d’une manière conforme aux droits de l’homme et au droit de l’Union a été clairement infirmée et lorsque le demandeur d’asile concerné relève de cette catégorie.

63.      De l’avis de la Confédération suisse (10), le règlement n° 343/2003 contient, de par la logique propre au système qu’il met en place, une présomption réfragable que les États qui participent à ce système respectent la convention de Genève ainsi que la CEDH. Néanmoins, lorsque cette présomption est infirmée dans un cas concret et qu’un traitement du demandeur d’asile conforme au droit international public n’est pas garanti dans l’État compétent, il serait exclu de le transférer dans cet État et le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 deviendrait, à titre exceptionnel, une obligation d’évocation.

64.      Les gouvernements italien, polonais, slovène et hellénique ainsi que l’Irlande considèrent, en revanche, que rien n’autorise à déduire de l’article 3, paragraphe 2 du règlement n° 343/2003 une obligation d’exercer le droit d’évocation qu’il institue. Selon les gouvernements hellénique, slovène et polonais, le droit de l’Union exclut en outre qu’un État membre contrôle la conformité du comportement d’un autre État membre avec le droit de l’Union.

65.      En réponse à la cinquième question, le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que les gouvernements italien et néerlandais font valoir que la protection à laquelle une personne relevant du champ d’application du règlement n° 343/2003 peut prétendre sur le pied des droits inscrits aux articles 1er, 18 et 47 de la charte des droits fondamentaux n’est pas plus étendue que la protection mise en place par l’article 3 de la CEDH. Le requérant au principal, l’Equality and Human Rights Commission, le Haut-Commissaire des Nations unies aux réfugiés, Amnesty International Ltd et l’AIRE Centre ne sont pas de cet avis et soutiennent au contraire que la protection dont le demandeur d’asile peut se prévaloir sur la base de la charte des droits fondamentaux et des principes généraux du droit de l’Union va au-delà de la protection garantie par l’article 3 de la CEDH.

66.      Selon le gouvernement allemand, les droits fondamentaux de l’Union garantis par les articles 4 et 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux correspondent au droit fondamental inscrit à l’article 3 de la CEDH. L’article 18 de la charte des droits fondamentaux comporterait un droit non pas à l’octroi d’un asile, mais à la protection contre l’expulsion ou le refoulement mis en place par l’article 33 de la convention de Genève. L’article 47 de la charte des droits fondamentaux aurait un champ d’application plus large que les articles 6 et 13 de la CEDH dans la mesure où le paragraphe 1 exige un recours juridictionnel et où le paragraphe 2 ne se limite pas aux procédures de droit civil et de droit pénal.

67.      En réponse à la sixième question, la Commission, le gouvernement néerlandais, le requérant au principal, le Haut-Commissaire des Nations unies aux réfugiés, Amnesty International Ltd et l’AIRE Centre soutiennent qu’une réglementation nationale qui instituerait une présomption irréfragable que chaque État membre est un État sûr, de sorte que les demandeurs d’asile peuvent être transférés vers un autre État membre sans être exposés à une violation des droits que leur confèrent la CEDH et la convention de Genève serait incompatible avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux. Le gouvernement du Royaume-Uni souligne que cette présomption ne pourrait être considérée comme ayant été infirmée qu’en cas de violation manifeste des droits fondamentaux et des droits de l’homme. Le gouvernement italien, en revanche, est d’avis qu’il est compatible avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux que le droit national institue une présomption irréfragable que les autres États membres sont des États sûrs.

68.      En réponse à la septième question, la Commission, le gouvernement polonais, le gouvernement du Royaume-Uni, le requérant au principal, le Haut-Commissaire des Nations unies aux réfugiés, l’Equality and Human Rights Commission, Amnesty International Ltd et l’AIRE Centre déclarent que les dispositions du protocole n° 30 n’ont aucune incidence sur la réponse aux questions préjudicielles qu’ils ont proposée.

VI – Appréciation juridique

A –    Première question préjudicielle

69.      La première question porte sur le point de savoir si la décision que prend un État membre, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003, d’exercer le droit d’évocation prévu par cette disposition et d’examiner une demande d’asile en lieu et place de l’État membre normalement compétent relève du champ d’application du droit de l’Union au sens de l’article 6 TUE ou de l’article 51 de la charte des droits fondamentaux. La juridiction de renvoi souhaite s’entendre préciser en substance si et, dans l’affirmative, à quelles conditions les États membres doivent respecter les dispositions de la charte des droits fondamentaux lorsqu’ils doivent décider d’exercer ou de ne pas exercer le droit d’évocation que leur confère l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 (11).

70.      Pour répondre à cette question, il faut partir de l’article 6, paragraphe 1, TUE, dont le premier alinéa range la charte des droits fondamentaux parmi les instruments de droit primaire de l’Union et dont le deuxième alinéa constate en même temps que les dispositions de la charte n’étendent d’aucune manière les compétences de l’Union telles que définies dans les traités. Pour l’interprétation et l’application concrètes de la charte des droits fondamentaux, l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE renvoie au titre VII (articles 51 à 54) de celle-ci.

71.      L’article 51 de la charte des droits fondamentaux en définit le champ d’application. Il confirme, d’une part, que les dispositions de la charte s’adressent aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union ainsi qu’aux États membres et, d’autre part, que la charte ne peut avoir pour effet d’étendre les compétences et tâches conférées à l’Union par les traités ni d’étendre le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union établies dans les traités (12).

72.      Afin d’exclure toute extension de compétences de l’Union par rapport aux États membres, l’article 51, paragraphe 1, de la charte prévoit en particulier:

–        que l’application de la charte ne restreint pas le principe de subsidiarité (article 51, paragraphe 1, première phrase);

–        que les dispositions de la charte ne s’appliquent aux États membres que lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union (article 51, paragraphe 1, première phrase) et

–        que la charte doit être observée et appliquée dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités (article 51, paragraphe 1, deuxième phrase).

73.      L’article 51, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux dispose en outre d’une manière générale que celle-ci n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de celle-ci, qu’elle ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union, et qu’elle ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités.

74.      Le problème que soulève la première question de la juridiction de renvoi est donc celui de la restriction énoncée à l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte, qui précise que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Elle demande ainsi si les États membres «mettent le droit de l’Union en œuvre» au sens de cette disposition lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire que leur confère l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 et décident d’examiner ou non une demande d’asile en lieu et place de l’État membre normalement compétent.

75.      Il faut, selon moi, répondre affirmativement à cette question.

76.      Ainsi qu’il apparaît des explications CDF (13), la règle énoncée à l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte des droits fondamentaux, conformément à laquelle les dispositions de celle-ci ne lient les États membres que lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, doit être considérée comme une confirmation de la jurisprudence que la Cour a dégagée jusqu’à présent à propos du respect par les États membres des droits fondamentaux définis dans le cadre de l’Union. Les explications CDF renvoient expressément aux décisions de principe Wachauf (14) et ERT (15) ainsi qu’à l’arrêt Karlsson e.a. (16).

77.      Dans l’arrêt Wachauf, la Cour a dit pour droit que les États membres sont tenus de respecter les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique de l’Union lorsqu’ils mettent en œuvre des réglementations de celui-ci et que, par conséquent, ils sont tenus, dans toute la mesure du possible, d’appliquer ces réglementations d’une manière conforme à ces exigences (17). Dans l’arrêt ERT, elle a en outre constaté que les restrictions que les États membres apportent aux libertés fondamentales doivent, elles aussi, être compatibles avec les exigences de la protection des droits fondamentaux mis en place par l’ordre juridique de l’Union (18).

78.      Le fait que les explications CDF se réfèrent aussi bien à la jurisprudence Wachauf qu’à la jurisprudence ERT mérite une attention particulière, car il en résulte que, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, les dispositions de celle-ci s’imposent aux États membres aussi bien lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union que lorsqu’ils appliquent leurs restrictions nationales aux libertés fondamentales (19).

79.      La question qui se pose à nous aujourd’hui dans ce contexte est celle de savoir si, aux fins de l’applications de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux et compte tenu de la jurisprudence Wachauf, lorsqu’il doit décider d’examiner ou non une demande d’asile comme l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 lui permet de le faire, un État membre pose un acte de mise en œuvre du règlement n° 343/2003.

80.      J’ai la conviction qu’il faut répondre affirmativement à cette question. Le pouvoir d’appréciation dont dispose un État membre lorsqu’il prend une telle décision ne s’oppose pas à ce qu’elle soit considérée comme un acte de mise en œuvre du règlement n° 343/2003, car l’élément déterminant, c’est que celui-ci contient des règles exhaustives permettant de déterminer l’État membre compétent à examiner une demande d’asile. La possibilité que l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 offre aux États membres d’examiner les demandes d’asile fait partie intégrante de cet ensemble de règles, ce qu’illustre notamment le fait que ledit règlement énonce avec précision les effets juridiques d’une telle décision (20). Par conséquent, la décision qu’un État membre prend sur la base de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 doit, nonobstant son caractère discrétionnaire, être considérée comme un acte de mise en œuvre de ce règlement.

81.      Cette analyse est confirmée par l’arrêt Wachauf (21), dans lequel la Cour a notamment examiné la compatibilité des dispositions du règlement (CEE) n° 1371/84 (22) avec les exigences de la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique de l’Union. Le règlement n° 1371/84 permettait aux États membres d’accorder, en fin de bail et à certaines conditions, une indemnité aux fermiers qui s’engageaient à abandonner définitivement la production laitière. Dans la procédure au principal, un fermier avait introduit un recours contre une décision lui refusant une telle indemnité, bien qu’il avait définitivement abandonné l’entreprise de production laitière qu’il avait créée. La juridiction de renvoi avait notamment demandé à la Cour si ce refus de l’indemnité était un effet obligatoire du règlement n° 1371/84 et s’il était compatible avec les droits fondamentaux de l’Union reconnus comme principes généraux du droit. Dans son arrêt, la Cour a souligné, d’une part, que le refus d’accorder l’indemnité litigieuse à un fermier en fin de bail devait être considéré comme une violation des exigences de la protection des droits fondamentaux garantis par l’ordre juridique de l’Union s’il avait pour effet, à l’expiration du bail, de priver sans compensation le fermier des fruits de son travail et des investissements effectués par lui dans l’exploitation affermée (23). La Cour a néanmoins ajouté que, comme le règlement n° 1371/84 laisse aux États membres une marge d’appréciation suffisamment large pour leur permettre d’accorder aux fermiers qui abandonnent la production laitière définitivement une indemnité adaptée conforme aux exigences de la protection des droits fondamentaux, la réglementation nationale litigieuse n’était, à tout prendre, pas incompatible avec celle-ci (24).

82.      S’il est vrai que, dans l’arrêt Wachauf, la Cour s’est essentiellement penchée sur la conformité du règlement n° 1371/84 avec les droits fondamentaux, elle a confirmé, au moins implicitement, que les décisions que les États membres prennent en matière d’octroi d’une indemnité aux fermiers en fin de bail dans l’exercice de la marge d’appréciation que leur laisse le règlement n° 1371/84 doivent elles aussi, dans la mesure du possible, respecter les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux. Elle a ainsi confirmé, dans le même temps, que les décisions que les États membres adoptent sur la base du pouvoir discrétionnaire qui leur appartient dans le cadre de l’application d’une réglementation de l’Union doivent elles aussi être considérées comme des actes de mise en œuvre de cette réglementation de l’Union quand il s’agit de contrôler le respect des droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union (25).

83.      Il résulte de l’exposé qui précède qu’il convient de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que la décision prise par un État membre au titre de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 d’examiner ou de ne pas examiner une demande d’asile qui ne relève pas de sa compétence conformément aux critères énoncés au chapitre III de ce règlement est un acte de mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux.

B –    Deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles

84.      Il ressort des réflexions que je viens d’exposer que, lorsqu’ils décident d’exercer le droit d’évocation que leur confère l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 et d’examiner une demande d’asile qui relève normalement de la compétence d’un autre État membre si l’on s’en tient aux critères énoncés au chapitre III de ce règlement, les États membres sont tenus de respecter la charte des droits fondamentaux. Au moyen de ses deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande en substance si et, dans l’affirmative, à quelles conditions les États membres, liés par cette obligation de respecter la charte des droits fondamentaux, peuvent être tenus d’exercer le droit d’évocation que leur confère l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 s’il devait être établi qu’en cas de transfert dans l’État membre normalement compétent, le demandeur d’asile serait exposé à une violation de ses droits fondamentaux et au risque que cet État membre ne respecte pas les obligations qui lui incombent en vertu des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85.

85.      La juridiction de renvoi pose ces questions parce qu’elle est en possession d’indices clairs dont elle déduit que le traitement que les autorités grecques réservent en pratique aux demandeurs d’asile s’écarte largement des règles que le droit de l’Union fixe en matière d’aménagement du système d’asile, à telle enseigne qu’en cas de transfert vers ce pays, les droits fondamentaux et les droits de l’homme des demandeurs d’asile risqueraient même d’être violés.

86.      Afin de permettre une meilleure compréhension de ces questions, je vais tout d’abord examiner les mesures que le droit dérivé prévoit en matière d’asile et qui nous intéressent en l’espèce ainsi que le rapport entre ces mesures et la charte des droits fondamentaux, la CEDH et la convention de Genève. J’aborderai ensuite les problèmes auxquels le système d’asile grec est actuellement confronté avant de me pencher sur la question de savoir de quelle manière les autres États membres doivent tenir compte de la saturation de la capacité d’accueil en Grèce lorsqu’ils appliquent le règlement n° 343/2003.

1.      Les mesures d’asile en droit dérivé et leur rapport à la charte des droits fondamentaux, à la CEDH et à la convention de Genève

a)      La base d’habilitation en droit primaire

87.      C’est le traité d’Amsterdam de 1997 qui a étendu les compétences de l’Union aux matières relatives aux réfugiés et au droit d’asile. C’est lui qui a transféré à l’Union la compétence législative concernant le droit d’asile, les réfugiés, l’immigration et le séjour de ressortissants de pays tiers. À cette fin, un nouvel article 73 K a été introduit dans le traité CE comme base d’habilitation de droit primaire. Cet article a ensuite été renuméroté et s’appelle désormais l’article 63 CE.

88.      En ce qui concerne le droit d’asile, les compétences législatives ont été transférées à l’Union sous la réserve, énoncée à l’article 63, paragraphe 1, CE, que les mesures adoptées par le législateur de l’Union soient conformes à la convention de Genève et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ainsi qu’aux autres traités pertinents (26). L’article 63, paragraphe 1, CE dispose en outre expressément que la compétence d’harmonisation en matière de droit d’asile se limite à l’adoption de normes minimales (27).

b)      Les directives 2001/55, 2003/9, 2004/83 et 2005/85

89.      Quatre directives contenant des normes minimales concernant divers aspects des systèmes d’asile nationaux ont été adoptées sur la base de cette habilitation de droit primaire. La première à avoir été adoptée est la directive 2001/55, qui contient, notamment, des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées. Trois autres directives ont introduit des normes minimales communes, dans pratiquement tous les États membres (28): il s’agit de normes minimales relatives à l’accueil des demandeurs d’asile (directive 2003/9), des conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (directive 2004/83) et de normes minimales relatives à la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (directive 2005/85).

90.      Conformément aux règles de droit primaire inscrites à l’article 63, paragraphe 1, CE, aux termes duquel les actes de droit dérivé adoptés sur cette base doivent être conformes à la convention de Genève, les exposés des motifs des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 renvoient, avec un bel ensemble, à la conclusion du Conseil européen de Tampere selon laquelle la mise en place d’un système d’asile européen commun doit être fondée sur l’application intégrale et globale de la convention de Genève (29). Ces exposés des motifs soulignent en outre que ces directives respectent les droits fondamentaux et observent les principes reconnus par la charte des droits fondamentaux (30) et qu’en ce qui concerne le traitement des personnes qui relèvent du champ d’application de ces directives, les États membres sont liés par les obligations qui leur incombent en vertu des instruments de droit international auxquels ils sont partie (31).

91.      Les directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 contiennent donc d’importantes normes minimales concernant le traitement des demandeurs d’asile et l’examen de leurs demandes. L’article 24, paragraphe 2, de la directive 2003/9 prévoit en outre expressément que les États membres doivent allouer les ressources nécessaires à la mise en œuvre des normes minimales en matière d’accueil des demandeurs d’asile établies par ladite directive. L’article 36 de la directive 2004/83 prévoit, de façon analogue, que les États membres doivent veiller à ce que les autorités et les autres organisations qui mettent cette directive en œuvre bénéficient de la formation nécessaire.

92.      Ce cadre juridique garantit donc que le traitement des demandeurs d’asile et l’examen de leur demande dans les États membres, qui sont tenus de respecter les normes minimales fixées par les directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85, sont, en principe, également conformes aux exigences de la charte des droits fondamentaux, de la convention de Genève et de la CEDH (32).

c)      Le règlement n° 343/2003

93.      Comme l’indique le troisième considérant de son exposé des motifs, le règlement n° 343/2003, qui a été adopté sur la base de l’article 63, paragraphe 1, CE, a pour but de mettre en place une méthode claire et opérationnelle permettant de déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile (33). Aux termes du quatrième considérant, cette méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre de déterminer rapidement l’État membre compétent afin de garantir un accès effectif aux procédures de détermination de la qualité de réfugié et de ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes d’asile.

94.      Afin de réaliser ces objectifs, qui visaient notamment à éviter que les demandeurs d’asile pratiquent le «forum shopping», le règlement n° 343/2003 prévoit qu’un seul État membre, déterminé sur la base de critères objectifs, est compétent à examiner une demande d’asile présentée dans l’Union. Fait notamment partie de ces critères objectifs l’existence d’une relation juridique fondée sur le droit d’asile ou le droit des étrangers entre un État membre et le demandeur d’asile ou un membre de sa famille (34). Lorsque le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est compétent à connaître de sa demande d’asile (35). L’article 16 du règlement n° 343/2003 impose à l’État membre compétent de prendre en charge le demandeur d’asile qui a introduit une demande dans un autre État membre et de mener à terme l’examen de celle-ci (36). Les règles qui régissent la procédure de transfert de demandeurs d’asile sont énoncées aux articles 17 à 19 du règlement n° 343/2003.

95.      Le système de détermination de l’État membre compétent à connaître d’une demande d’asile et de transfert du demandeur vers cet État membre mis en place par le règlement n° 343/2003 ne tient pas expressément compte des éventuelles différences dans la manière dont les divers États membres ont aménagé et appliquent leurs systèmes et procédures d’asile. Le règlement ne se réfère au traitement qui doit être réservé au demandeur d’asile dans l’État normalement compétent à connaître de sa demande ni lorsqu’il fixe les critères permettant de déterminer l’État membre compétent ni lorsqu’il définit la procédure de transfert de ce demandeur d’asile.

96.      Cette absence de référence concrète au traitement du demandeur d’asile dans l’État membre normalement compétent s’explique par le jeu combiné du règlement n° 343/2003 et des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 ainsi que par le jeu combiné de ce règlement avec les obligations que le droit international public fait aux divers États membres. Le fait que ces directives fixent des normes minimales contraignantes que les États membres doivent respecter dans le traitement qu’ils réservent aux demandeurs d’asile et à l’examen de leurs demandes et que tous les États membres ont adhéré à la CEDH et à la convention de Genève garantit juridiquement que le traitement réservé aux demandeurs d’asile dans chaque État membre doit être conforme aux exigences de la charte des droits fondamentaux, à la convention de Genève et à la CEDH (37).

97.      Considérées sous cet angle, ni la charte des droits fondamentaux ni la convention de Genève, ni la CEDH ne sont incompatibles avec le système mis en place par le règlement n° 343/2003, qui établit les règles permettant de déterminer l’État membre dans lequel les demandeurs d’asile doivent être pris en charge en vue de l’examen de leurs demandes d’asile ainsi que les règles qui régissent leur transfert dans cet État membre sans se référer explicitement à la manière dont cet État a aménagé son système d’asile et la procédure permettant de l’obtenir ni à la manière dont il les applique (38).

d)      Résultat intermédiaire

98.      En résumé, on retiendra de tout ce qui précède qu’aussi bien par les objectifs qui leur ont été fixés que par la manière dont elles ont été aménagées, les règles de droit dérivé relatives au traitement des demandeurs d’asile et à l’examen de leurs demandes, règles qui résultent de la combinaison des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 ainsi que du règlement n° 343/2003, sont conformes aux dispositions de la charte des droits fondamentaux, de la convention de Genève et de la CEDH.

2.      La saturation du système d’asile grec

99.      Le règlement n° 343/2003 ne contient aucune réglementation expresse qui s’appliquerait dans l’hypothèse où des États membres, en raison de leur situation géographique, par exemple, seraient confrontés à un afflux de demandeurs d’asile excédant les capacités de leur système d’asile, de sorte qu’ils ne seraient plus en mesure, pour des raisons purement pratiques, de garantir un traitement de ces demandeurs d’asile et un examen de leurs demandes qui soient conformes aux directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 ainsi qu’aux obligations qui leur incombent en vertu des règles de droit public international et des instruments sur les droits fondamentaux (39).

100. Une telle situation d’urgence semble s’être instaurée en Grèce.

101. C’est ce qu’indique clairement l’arrêt que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu le 21 janvier 2011 dans l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce (40), dans laquelle elle a statué sur le cas d’un ressortissant afghan qui avait illégalement pénétré sur le territoire de l’Union au départ de la Turquie par la frontière de la Grèce, où il avait été incarcéré. Une fois libéré, il a quitté ce pays sans y avoir introduit une demande d’asile, ce qu’il a finalement fait en Belgique. Après avoir examiné le dossier du demandeur d’asile afghan, les autorités belges compétentes ont conclu que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 343/2003, lu en combinaison avec son article 10, paragraphe 1, c’était, du fait de son entrée irrégulière dans l’Union via la Grèce, ce pays qui était compétent à connaître de sa demande d’asile. Elles ont donc engagé la procédure de transfert vers la Grèce conformément aux dispositions du règlement n° 343/2003 et transféré le demandeur d’asile vers la Grèce au terme de celle-ci. Avant ce transfert, le ressortissant afghan avait néanmoins eu le temps d’introduire une réclamation devant la juridiction strasbourgeoise.

102. Dans son arrêt, celle-ci a constaté que les conditions de détention et de vie du demandeur d’asile afghan en Grèce devaient être considérées comme incompatibles avec l’article 3 de la CEDH. Elle a également convaincu la République hellénique d’une violation de l’article 13 lu en combinaison avec l’article 3 de la CEDH au motif que celle-ci se serait rendue coupable de défaillances dans l’examen de la demande d’asile du requérant, que celui-ci risquait d’être refoulé directement ou indirectement vers son pays d’origine sans un examen sérieux du bien-fondé de sa demande et sans avoir eu accès à un recours effectif. Elle a en outre constaté que le Royaume de Belgique avait lui aussi enfreint l’article 3 de la CEDH, parce qu’en transférant le demandeur d’asile afghan vers la Grèce, il l’avait exposé aux risques liés aux défaillances constatées du système d’asile grec et aux conditions de détention et de vie incompatibles avec l’article 3 de la CEDH. Enfin, la Cour européenne a également constaté que le Royaume de Belgique avait enfreint les dispositions combinées des articles 13 et 3 de la CEDH.

103. Les juridictions nationales de divers États membres ont, elles aussi, porté un regard critique sur le système d’asile grec et sur les conditions de détention et de vie des demandeurs d’asile en Grèce, et, dans le cadre du transfert de demandeurs d’asile vers ce pays, elles se sont interrogées sur leur conformité avec le règlement n° 343/2003. C’est ainsi que, dans l’arrêt qu’il a rendu le 7 octobre 2010 (41) à propos de la constitutionnalité du transfert vers la Grèce d’une femme afghane célibataire avec trois enfants opéré conformément au règlement n° 343/2003, le Verfassungsgerichtshof (Autriche) a conclu qu’en cas de renvoi de personnes vulnérables en Grèce aux fins de la procédure d’asile, cet État pouvait en principe subvenir à leurs besoins, mais que rien ne permettait cependant de conclure automatiquement à l’existence de pareilles possibilités aussi longtemps que les autorités compétentes n’avaient pas donné les assurances nécessaires dans un cas individuel.

104. L’exposé des faits de la juridiction de première instance que la juridiction de renvoi statuant en degré d’appel reproduit dans la demande de décision préjudicielle fournit une image similaire (42). Dans les observations écrites qu’elle a déposées dans la présente affaire, la Commission a en outre indiqué que, le 3 novembre 2009, elle avait adressé un avis motivé à la République hellénique conformément à l’article 226 CE et, le 24 juin 2010, un avis motivé complémentaire, avis dans lesquels elle lui faisait notamment grief d’avoir enfreint différentes exigences des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 (43).

105. Il résulte de ces constatations que, confronté à un nombre exceptionnel de demandes, le système d’asile grec est saturé, de sorte qu’il ne peut plus garantir que les demandeurs d’asile seront constamment traités et leurs demandes examinées d’une manière conforme aux exigences des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85. Dans ces conditions, rien ne permet d’exclure que des demandeurs d’asile qui seraient transférés d’un État membre vers la Grèce conformément aux critères et aux procédures mis en place par le règlement n° 343/2003 se voient réserver un traitement incompatible avec les dispositions de la charte des droits fondamentaux, de la convention de Genève et de la CEDH.

3.      Sur la prise en considération de la saturation de systèmes d’asile nationaux dans le cadre de l’application du règlement n° 343/2003

106. La saturation du système d’asile grec et les effets de celle-ci sur le traitement réservé aux demandeurs d’asile et sur l’examen de leurs demandes placent la juridiction de renvoi devant la question de savoir si un État membre peut, sans enfreindre les dispositions du règlement n° 343/2003, transférer un demandeur d’asile vers la Grèce lorsqu’il est avéré qu’après un tel transfert, les droits fondamentaux et les droits de l’homme de celui-ci seraient menacés. La juridiction de renvoi développe cette question de principe dans les deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles.

107. La juridiction de renvoi a formulé ses deuxième et troisième questions préjudicielles afin que la Cour lui précise, en substance, si, lorsqu’ils appliquent le règlement n° 343/2003, les États membres peuvent appliquer une présomption irréfragable selon laquelle, après le transfert du demandeur d’asile, l’État membre compétent à connaître d’une demande d’asile respectera aussi bien les normes minimales résultant des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 que les droits fondamentaux du demandeur d’asile (troisième question préjudicielle), de sorte qu’un transfert de demandeur d’asile opéré conformément au règlement n° 343/2003 devrait toujours être considéré comme compatible avec les droits fondamentaux consacrés par l’Union, et cela indépendamment de la situation prévalant dans l’État membre compétent (deuxième question préjudicielle).

108. En cas de réponse négative à ces questions, la juridiction de renvoi en formule une quatrième afin de savoir si et, dans l’affirmative, dans quelles circonstances un État membre qui fait application du règlement n° 343/2003 est tenu de faire usage de la compétence prévue à l’article 3, paragraphe 2, de ce règlement et d’examiner la demande d’asile lorsque le transfert du demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent l’exposerait à un risque de violation de ses droits fondamentaux ou au risque que les normes minimales prévues par les directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 ne lui soient pas appliquées.

109. Je répondrai tout d’abord à la quatrième question avant de me tourner vers les deuxième et troisième.

a)      Quatrième question préjudicielle: l’obligation d’exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 en cas de risque sérieux de violation des droits fondamentaux à la suite du transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent

i)      Sur la problématique d’un risque grave de violation des droits fondamentaux en cas de transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent

110. Lorsque, pour une raison quelconque, un État membre n’est pas en mesure d’assumer les obligations que lui imposent les directives 2003/9, 2004/83 ou 2005/85 et le droit international public dans sa façon de traiter les demandeurs d’asile ou d’examiner leurs demandes surgit de facto le risque qu’en cas de transfert vers cet État membre, les demandeurs d’asile soient traités d’une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux et les droits de l’homme.

111. L’on pourrait craindre, par exemple, que l’État membre normalement compétent enfreigne le droit au respect et à la protection de la dignité humaine qui est garanti par l’article 1er de la charte des droits fondamentaux ou l’interdiction de la torture, des peines ou traitements inhumains ou dégradants qui est énoncée à l’article 4 de celle-ci (44).

112. Dans l’hypothèse où il y aurait lieu de craindre sérieusement qu’un État membre porte atteinte à la dignité humaine au sens de l’article 1er de la charte des droits fondamentaux ou réserve aux demandeurs d’asile transférés sur son territoire un traitement inhumain ou dégradant au sens de son article 4, le transfert de ces demandeurs d’asile vers cet État membre serait lui aussi incompatible avec l’article 1er ou avec l’article 4 de la charte des droits fondamentaux. En effet, l’article 1er de celle-ci dispose que la dignité humaine doit non seulement être «respectée», mais également «protégée». L’article 4 de la charte des droits fondamentaux comporte lui aussi une telle fonction de protection positive (45). L’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux prévoit d’ailleurs expressément à ce sujet que nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants (46).

113. La saturation du système d’asile d’un État membre peut, dans certaines circonstances, avoir également pour effet d’obliger à contrôler la compatibilité du transfert d’un demandeur d’asile vers celui-ci avec l’article 18 de la charte des droits fondamentaux.

114. Conformément à l’article 18 de la charte des droits fondamentaux, le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève, du TUE et du TFUE (47). Un des éléments essentiels de la convention de Genève est l’interdiction que contient son article 33 d’expulser ou de refouler de quelque manière que ce soit un réfugié sur les frontières de territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée, interdiction généralement appelée principe de non-refoulement. Bien que la portée précise de cette interdiction de refoulement soit controversée, il est constant qu’elle garantit au réfugié (48) non seulement une protection contre toute expulsion ou tout refoulement directs sur les frontières de territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée, mais également une protection contre une telle expulsion ou refoulement dits «en chaîne», qui consiste à le transférer vers un État où il risque d’être expulsé ou refoulé vers un tel État (49).

115. Si la saturation du système d’asile d’un État membre devait avoir pour conséquence que les réfugiés qu’il accueille seraient menacés d’une expulsion ou d’un refoulement directs ou indirects dans un État hostile, l’article 18 de la charte des droits fondamentaux interdit donc aux autres États membres de transférer des réfugiés vers cet État membre.

ii)    Sur l’obligation d’évocation énoncée à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003

116. Il apparaît des observations que j’ai exposées plus haut, d’une part, que la saturation du système d’asile d’un État membre peut provoquer l’apparition d’un climat susceptible d’entraîner une violation d’un ou de plusieurs des droits des demandeurs d’asile qui sont garantis par la charte des droits fondamentaux. D’autre part, je suis parvenue à la conclusion qu’il est incompatible avec cette charte des droits fondamentaux de transférer des demandeurs d’asile vers un État membre dans lequel existe un risque sérieux d’une violation de leurs droits fondamentaux.

117. Dans ces conditions, il convient de se demander si le règlement n° 343/2003 peut être interprété en ce sens qu’il interdirait tout transfert de demandeurs d’asile incompatible avec les droits fondamentaux.

118. Que le règlement n° 343/2003 doive, dans la mesure du possible, être interprété d’une manière conforme aux droits fondamentaux résulte, d’une part, de la jurisprudence constante de la Cour conformément à laquelle les États membres doivent veiller à ne pas se fonder sur une interprétation d’un texte du droit dérivé qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’Union ou avec les autres principes généraux du droit de l’Union (50). D’autre part, le règlement n° 343/2003 doit d’autant plus être interprété d’une manière conforme aux droits fondamentaux que l’article 63, paragraphe 1, CE, sur la base duquel il a été adopté, dispose expressément que les mesures d’asile adoptées par le législateur de l’Union doivent être conformes à la convention de Genève ainsi qu’aux autres traités pertinents (51). Le quinzième considérant de l’exposé des motifs du règlement n° 343/2003 confirme en outre expressément que ce règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par la charte des droits fondamentaux (52).

119. Selon moi, l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 laisse aux États membres un pouvoir discrétionnaire suffisamment large qui leur permet d’appliquer ce règlement d’une manière compatible avec les exigences de la protection des droits fondamentaux lorsque le transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent risque sérieusement d’entraîner une violation des droits fondamentaux que la charte garantit à celui-ci.

120. L’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 confère, en effet, aux États membres le droit d’examiner la demande d’asile qu’un demandeur lui aurait adressée même lorsque c’est un autre État membre qui est normalement compétent à le faire en vertu des dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 1, et du chapitre III. Lorsqu’un État membre exerce ce droit d’évocation, il devient, conformément à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003, l’État membre compétent et doit assumer toutes les obligations dont cette compétence est assortie.

121. En exerçant le droit d’évocation que l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 lui confère, l’État membre saisi d’une demande d’asile peut donc neutraliser complètement la menace sérieuse d’une violation des droits que la charte des droits fondamentaux garantit au demandeur d’asile en cas de transfert de celui-ci vers l’État membre normalement compétent.

122. Dès lors que les États membres sont tenus d’appliquer le règlement n° 343/2003 d’une manière conforme aux droits fondamentaux et qu’un transfert de demandeurs d’asile vers un État membre dans lequel il existe un risque sérieux de violation d’un ou de plusieurs de leurs droits fondamentaux doit, en règle générale, lui aussi être considéré comme une violation de la charte des droits fondamentaux par l’État membre auteur du transfert, les États membres sont, selon moi, tenus d’exercer le droit d’évocation institué par l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 lorsqu’existe, dans l’État membre normalement compétent, un risque sérieux de violation des droits que la charte des droits fondamentaux garantit au demandeur d’asile qui doit être transféré.

123. En revanche, un risque sérieux de violation de dispositions isolées des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 dans l’État membre normalement compétent, mais qui ne comporte pas en même temps une violation des droits que la charte des droits fondamentaux garantit au demandeur d’asile qui doit être transféré n’est pas suffisant pour obliger l’État membre auteur du transfert à exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003.

124. Il convient de souligner, en premier lieu, à ce sujet qu’une interprétation du règlement n° 343/2003 conforme aux droits fondamentaux ne peut pas imposer l’évocation prévue à l’article 3, paragraphe 2, lorsque l’État membre d’accueil enfreint des dispositions isolées des directives 2003/9, 2004/83 ou 2005/85, mais sans enfreindre la charte des droits fondamentaux. De surcroît, le transfert d’un demandeur d’asile vers un État membre qui ne présente aucun risque de violation des droits que la charte des droits fondamentaux garantit à ce demandeur d’asile n’entraîne normalement pas non plus une violation de la charte des droits fondamentaux par l’État membre auteur du transfert.

125. Il ne serait d’ailleurs guère compatible avec les objectifs du règlement n° 343/2003 que la moindre infraction aux directives 2003/9, 2004/83 ou 2005/85 suffise à empêcher tout transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent (53). En effet, le règlement n° 343/2003 vise à instaurer une méthode claire et opérationnelle permettant de déterminer rapidement l’État membre compétent à connaître d’une demande d’asile (54). Pour réaliser cet objectif, le règlement n° 343/2003 prévoit qu’un seul État membre, désigné sur la base de critères objectifs, soit compétent à connaître d’une demande d’asile introduite dans un quelconque pays de l’Union. En cas d’entrée illégale sur le territoire de l’Union, l’article 10 du règlement n° 343/2003 dispose que c’est l’État membre par lequel le demandeur est entré qui est compétent à examiner sa demande d’asile (55).

126. Or, si la moindre infraction à des dispositions isolées des directives 2003/9, 2004/83 ou 2005/85 par l’État membre par lequel l’intéressé est entré illégalement dans l’Union devait avoir pour conséquence que l’État membre dans lequel il a introduit une demande d’asile serait obligé d’exercer le droit d’évocation institué par l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003, cette conséquence aurait pour effet de créer, en plus des critères objectifs de détermination de l’État membre compétent qui sont énoncés au chapitre III du règlement, un nouveau et très large critère d’exclusion conformément auquel des infractions mineures aux règles des directives 2003/9, 2004/83 ou 2005/85 commises dans tel ou tel État membre pourraient avoir pour effet d’exonérer celui-ci des compétences prévues par le règlement n° 343/2003 et des missions inhérentes à celles-ci. Une telle interprétation pourrait non seulement vider complètement de leur substance les règles de compétence élaborées dans le règlement n° 343/2003, mais également compromettre la réalisation de l’objectif qu’il poursuit, à savoir la désignation rapide de l’État membre compétent à connaître d’une demande d’asile introduite dans l’Union.

iii) Résultat intermédiaire

127. Il résulte des explications qui précèdent qu’il convient de répondre à la quatrième question préjudicielle de la juridiction de renvoi en ce sens qu’un État membre qui a été saisi d’une demande d’asile est obligé d’exercer le droit d’examiner celle-ci qui lui est conféré par l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 lorsqu’en cas de transfert vers l’État membre normalement compétent en application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 343/2003 lu en combinaison avec les dispositions du chapitre III de celui-ci, le demandeur d’asile serait exposé à un risque sérieux de violation des droits que la charte des droits fondamentaux lui garantit. En revanche, un risque sérieux de violation de dispositions isolées des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 dans l’État membre normalement compétent qui n’entraînerait pas en même temps une violation des droits que la charte des droits fondamentaux garantit à ce demandeur d’asile n’est pas suffisant pour obliger l’État saisi de la demande à exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003.

b)      Deuxième et troisième questions préjudicielles: le recours à des présomptions irréfragables dans le cadre de l’exercice du droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003

128. Les deuxième et troisième questions préjudicielles portent sur le point de savoir si, lorsqu’ils appliquent le règlement n° 343/2003, les États membres peuvent se fonder sur la présomption irréfragable qu’après le transfert du demandeur d’asile, l’État membre normalement compétent à connaître de sa demande d’asile respectera les normes minimales des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 et les droits fondamentaux du demandeur (troisième question préjudicielle), de sorte que le transfert d’un demandeur d’asile opéré conformément au règlement n° 343/2003 devra toujours être considéré comme compatible avec les droits fondamentaux garantis par l’Union, et cela indépendamment de la situation prévalant dans l’État membre compétent (deuxième question préjudicielle).

129. Il convient, selon moi, de répondre négativement à ces questions.

130. Comme je l’ai déjà expliqué plus haut, le risque qu’en cas de transfert vers un autre État membre en vue de l’examen de leurs demandes d’asile, les demandeurs soient de facto exposés à un traitement qui enfreint leurs droits fondamentaux et les droits de l’homme ne peut jamais être complètement exclu. S’il existe un risque sérieux que l’État membre normalement compétent à connaître d’une demande d’asile viole les droits que la charte des droits fondamentaux garantit au demandeur, l’État membre dans lequel celui-ci a introduit sa demande d’asile est obligé d’exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003.

131. Il résulte directement de ces constatations qu’appliquer le règlement n° 343/2003 sur la base de la présomption irréfragable que les droits fondamentaux du demandeur d’asile seront respectés dans l’État membre normalement compétent à connaître de sa demande est incompatible avec l’obligation qu’ont les États membres d’interpréter et d’appliquer le règlement n° 343/2003 d’une manière conforme aux droits fondamentaux (56). En pareil cas, en effet, l’État membre dans lequel le demandeur d’asile a introduit sa demande ne serait jamais obligé d’exercer le droit d’évocation que lui ouvre l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 et rien n’empêcherait dès lors de transférer le demandeur d’asile vers un autre État membre en dépit du risque sérieux d’une violation des droits que la charte des droits fondamentaux lui garantit.

132. C’est pour la même raison qu’appliquer le règlement n° 343/2003 sur la base de la présomption irréfragable que toutes les normes minimales des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 seront respectées dans l’État membre d’accueil est tout aussi inacceptable. En effet, la présomption irréfragable que toutes les normes minimales des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85 seront respectées ne se distingue pas de facto de la présomption irréfragable que les droits que la charte des droits fondamentaux garantit aux demandeurs d’asile seront respectés dans l’État normalement compétent.

133. Cela ne signifie cependant pas qu’il serait, par principe, interdit aux États membres, lorsqu’ils appliquent le règlement n° 343/2003, de se fonder sur la présomption réfragable qu’aussi bien les droits de l’homme que les droits fondamentaux du demandeur d’asile seront respectés dans l’État membre normalement compétent à connaître de sa demande d’asile. Il convient de rappeler à cet égard que, conformément aux directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85, le traitement des demandeurs d’asile et l’examen de leurs demandes doivent, dans tout État membre, être conformes à des normes minimales contraignantes et que tous les États membres doivent respecter la charte des droits fondamentaux (57) et, en tant qu’États signataires, la CEDH et la convention de Genève. Eu égard au niveau de protection élevé que ces instruments juridiques garantissent, il paraît même aller de soi que, lorsqu’il transfère un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent à connaître de sa demande, l’État membre saisi applique la présomption réfragable qu’ils y seront traités de manière conforme aux droits de l’homme et aux droits fondamentaux (58). C’est dans ce sens que, dans le deuxième considérant de l’exposé des motifs du règlement n° 343/2003, le législateur a expressément souligné que les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement, doivent être considérés des États sûrs pour les ressortissants de pays tiers (59).

134. Les États membres qui optent pour une telle présomption réfragable doivent cependant respecter le principe d’effectivité, conformément auquel les États membres ne peuvent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (60).

135. Dans la mesure où les États membres décident ainsi d’introduire la présomption réfragable que l’État membre normalement compétent respectera les droits de l’homme ainsi que les droits fondamentaux des demandeurs d’asile, il convient également d’instituer en faveur de ceux-ci une procédure juridique permettant d’infirmer effectivement cette présomption. C’est une fois de plus à l’ordre juridique national des divers États membres qu’il appartiendra d’énoncer, dans le respect du principe d’effectivité, les règles régissant les moyens de preuve pouvant être utilisés à cette fin ainsi que les règles et principes de l’appréciation de ces preuves.

136. Il résulte des explications qui précèdent qu’il convient de répondre aux deuxième et troisième questions préjudicielles en ce sens que l’obligation d’interpréter le règlement n° 343/2003 d’une manière conforme aux droits fondamentaux interdit d’appliquer la présomption irréfragable que l’État membre normalement compétent à connaître d’une demande d’asile respecte les droits fondamentaux que le droit de l’Union garantit au demandeur d’asile ainsi que toutes les normes minimales des directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85. En revanche, rien n’interdit aux États membres, lorsqu’ils appliquent le règlement n° 343/2003, de se fonder sur la présomption réfragable que l’État membre normalement compétent à connaître de la demande d’asile respectera les droits de l’homme ainsi que les droits fondamentaux du demandeur.

C –    Cinquième question préjudicielle: rapport entre la protection des demandeurs d’asile garantie par la charte des droits fondamentaux et leur protection sous le système de la CEDH

137. La juridiction de renvoi a posé sa cinquième question préjudicielle afin de s’entendre préciser si les articles 1er, 18 et 47 de la charte des droits fondamentaux confèrent aux demandeurs d’asile qui sont transférés vers un autre État membre en application des règles du règlement n° 343/2003 une protection plus étendue que celle que garantit l’article 3 de la CEDH.

138. Bien que la juridiction de renvoi n’ait pas expressément indiqué le contexte juridique de cette question, il semble que la décision que la Cour européenne des droits de l’homme a rendue dans l’affaire K. R. S. c. Royaume-Uni (61) ne soit pas étrangère à sa résolution de la formuler. Dans cette décision, la juridiction strasbourgeoise devait statuer sur le recours en matière de droits de l’homme dont elle avait été saisie par un demandeur d’asile iranien qui devait être transféré en Grèce par le Royaume-Uni, conformément aux dispositions du règlement n° 343/2003, et qui s’y opposait au motif que son expulsion vers la Grèce enfreindrait l’article 3 de la CEDH. Dans sa décision, la Cour européenne a rejeté ce recours comme étant manifestement non fondé.

139. Au moment où elle a formulé sa décision de renvoi, la juridiction nationale s’est donc trouvée confrontée à la question de savoir de quelle manière elle devait tenir compte de la décision K. R. S. c. Royaume-Uni de la Cour européenne. Il s’agissait pour elle de déterminer si l’analyse opérée par celle-ci, qui avait conclu que le transfert d’un demandeur d’asile iranien vers la Grèce n’enfreignait pas l’article 3 de la CEDH, l’empêchait de constater une violation des articles 1er, 18 et 47 de la charte des droits fondamentaux dans un cas tel que celui de l’espèce.

140. Comme je l’ai déjà expliqué, dans l’arrêt qu’elle a rendu le 21 janvier 2011 dans l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce (62), c’est-à-dire après l’introduction de la demande préjudicielle, la Cour européenne des droits de l’homme a revu sa jurisprudence et elle a dit pour droit qu’en transférant un demandeur d’asile vers la Grèce en application du règlement n° 343/2003, le Royaume de Belgique avait enfreint l’article 3 de la CEDH ainsi que l’article 13 de celle-ci lu en combinaison avec son article 3.

141. Il pourrait résulter de cette évolution de la jurisprudence de la Cour européenne que la juridiction de renvoi ne serait plus désormais tenue de s’interroger en priorité sur le point de savoir à quelles conditions le transfert d’un demandeur d’asile vers la Grèce constituerait, malgré la décision K. R. S. c. Royaume-Uni, une violation des droits que la charte des droits fondamentaux garantit à ces demandeurs d’asile, mais devrait bien plutôt se demander si, eu égard à l’arrêt M. S. S. c. Belgique et Grèce que la même Cour européenne des droits de l’homme a rendu ultérieurement, le transfert d’un demandeur d’asile vers la Grèce serait encore susceptible d’être déclaré compatible avec la charte des droits fondamentaux.

142. Dans ces conditions, la cinquième question préjudicielle doit, en définitive, être comprise en ce sens que la Cour est invitée à préciser les rapports qui existent entre les articles 3 et 13 de la CEDH, d’une part, et les dispositions correspondantes de la charte des droits fondamentaux, d’autre part (63), et à indiquer de quelle manière la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la compatibilité de transferts de demandeurs d’asile vers la Grèce avec la CEDH est susceptible d’influencer le contrôle judiciaire de la conformité de pareils transferts à la charte des droits fondamentaux.

143. Pour répondre à ces questions, il faut partir de l’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux, aux termes duquel, dans la mesure où la charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère la CEDH. L’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux précise en outre expressément qu’il ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.

144. Les explications CDF relatives à l’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux indiquent que cette disposition vise à assurer la cohérence nécessaire entre la charte et la CEDH, que la référence à cette dernière vise à la fois la convention et ses protocoles, et que le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte de ces instruments, mais aussi par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne.

145. Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux, il convient donc de garantir que la protection conférée par celle-ci dans les domaines dans lesquels ses dispositions recoupent celles de la CEDH ne soit jamais inférieure à celle qui est instituée par cette dernière. Dès lors que la protection mise en place par la CEDH ne cesse de se développer au gré de l’interprétation qu’en donne la Cour européenne des droits de l’homme (64), le renvoi que l’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux fait à la CEDH doit être interprété comme un renvoi dynamique par essence qui englobe l’ensemble de la jurisprudence de la juridiction de Strasbourg (65).

146. À ce sujet, il faut évidemment tenir compte du fait que les arrêts de la Cour européenne sont, par nature, toujours des décisions judiciaires qui se rapportent à un cas particulier et ne se substituent pas aux règles de la CEDH elle-même, de sorte qu’il serait erroné d’appliquer la charte des droits fondamentaux en se fondant sur la jurisprudence de Strasbourg comme étant une source d’interprétation dotée d’une valeur absolue (66). Cette constatation ne doit cependant pas faire oublier qu’il faut accorder une importance particulière et un poids considérable à la jurisprudence de la Cour européenne lorsqu’on interprète la charte des droits fondamentaux, et qu’il est donc indispensable de s’en inspirer (67).

147. Cette analyse est confirmée par la jurisprudence de la Cour qui, lorsqu’elle interprète les dispositions de la charte des droits fondamentaux, se réfère systématiquement à la jurisprudence de la Cour européenne relative aux dispositions de la CEDH (68).

148. Il résulte de l’exposé qui précède qu’il convient de répondre à la cinquième question préjudicielle en ce sens que l’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux impose l’obligation de garantir que le niveau de protection conféré par la charte des droits fondamentaux dans les domaines où ses dispositions recoupent celles de la CEDH ne soit pas inférieur au niveau garanti par celle-ci. Comme la Cour européenne des droits de l’homme a précisé l’étendue et la portée de la protection garantie par la CEDH dans sa jurisprudence, la Cour doit accorder une importance particulière et un poids considérable à celle-ci lorsqu’elle interprète les dispositions correspondantes de la charte des droits fondamentaux.

D –    Sixième question préjudicielle: contrôle juridictionnel du respect de la convention de Genève et de la CEDH dans l’État membre normalement compétent conformément au règlement n° 343/2003

149. La juridiction de renvoi a formulé sa sixième question préjudicielle afin que la Cour lui précise si une disposition de droit national qui oblige les juridictions appelées à contrôler l’exécution du règlement n° 343/2003 à appliquer la présomption irréfragable que l’État membre normalement compétent à connaître de la demande d’asile est un État sûr dans lequel le demandeur d’asile ne risque pas d’être renvoyé, en violation de la convention de Genève ou en violation de la CEDH, dans un autre État où sa vie ou sa liberté seraient menacées est compatible avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.

150. Pour répondre à cette question, je vais tout d’abord analyser le rapport qui existe entre les droits que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux confère aux demandeurs d’asile et le risque d’un renvoi incompatible avec la convention de Genève ou avec la CEDH dans un État où leur vie ou leur liberté serait menacée, renvoi auquel ils seraient exposés en cas de transfert vers l’État membre normalement compétent. C’est sur la base des réflexions que j’exposerai à ce sujet que je répondrai ensuite à la sixième question de la juridiction de renvoi.

1.      L’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux et le risque d’une violation de la convention de Genève ou de la CEDH après le transfert d’un demandeur d’asile opéré conformément au règlement n° 343/2003

151. Aux termes de l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un Tribunal dans le respect des conditions prévues audit article.

152. La condition préalable pour que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux puisse s’appliquer est donc que des droits ou des libertés garantis par le droit de l’Union aient été violés. Par conséquent, une violation de la convention de Genève ou de la CEDH ne peut donner naissance au droit à un recours effectif au titre de l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux que lorsque cette violation doit en même temps être qualifiée de violation de droits ou de libertés garantis par le droit de l’Union.

153. Bien qu’il faille strictement distinguer de iure une violation de la convention de Genève ou de la CEDH en cas de transfert d’un demandeur d’asile dans un État membre dans lequel il risque sérieusement d’être renvoyé dans un État où sa vie ou sa liberté serait menacée de toute éventuelle violation du droit de l’Union dont la première violation serait assortie, il existe généralement, dans un tel cas, de facto un parallèle entre la violation de la convention de Genève ou de la CEDH et la violation du droit de l’Union.

154. Pour déterminer si le transfert d’un demandeur d’asile vers un État membre dans lequel il risque d’être renvoyé dans un autre État en violation de la convention de Genève est compatible avec le droit de l’Union, il faut se baser sur l’article 18 de la charte des droits fondamentaux, conformément auquel le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève (69). Conformément à cette référence expresse à la convention de Genève, l’article 18 de la charte des droits fondamentaux assure aux réfugiés qui ont introduit une demande d’asile une protection contre tout transfert incompatible avec cette convention (70). Dans ces conditions, il est incompatible avec la charte des droits fondamentaux de transférer un réfugié vers l’État membre normalement compétent à connaître de sa demande d’asile lorsqu’il risquerait, dans cet État, d’être renvoyé directement ou indirectement, en violation de la convention de Genève, dans un État où sa vie ou sa liberté serait menacée.

155. Pour déterminer s’il est compatible avec le droit de l’Union de transférer un demandeur d’asile vers un État membre dans lequel il risque sérieusement d’être renvoyé vers un État tiers en violation de la CEDH, il faut partir du principe énoncé à l’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux conformément auquel le niveau de protection des droits garantis par la charte des droits fondamentaux ne peut pas être inférieur à celui qu’assure la CEDH (71).

156. La mise au point la plus récente concernant les garanties de la CEDH par rapport au transfert de demandeurs d’asile entre États membres date de l’arrêt M. S. S. c. Belgique et Grèce, dans lequel la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué que le transfert d’un demandeur d’asile vers un État intermédiaire qui est également signataire de la convention n’exonère pas l’État auteur du transfert de sa responsabilité, parce que l’article 3 de la CEDH lui impose de renoncer à l’expulsion lorsque des motifs sérieux et avérés permettent de présumer qu’en cas de transfert vers l’État intermédiaire, l’intéressé y sera réellement exposé au risque d’un transfert vers un autre État en violation de l’article 3 de la CEDH (72).

157. Eu égard aux règles énoncées à l’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux, lorsque le transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent conformément au règlement n° 343/2003 est incompatible avec l’article 3 de la CEDH en raison du risque d’un refoulement indirect, ce transfert serait en règle générale également contraire à la charte des droits fondamentaux. Il serait en particulier incompatible avec les droits fondamentaux du demandeur d’asile qui sont garantis par les articles 1er, 4 et 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux (73).

158. En résumé, on retiendra de l’exposé qui précède que le transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent conformément au règlement n° 343/2003 est, en règle générale, incompatible avec le droit de l’Union si l’intéressé y court le risque sérieux d’y être refoulé, en violation de la convention de Genève ou de la CEDH, vers un État dans lequel sa vie ou sa liberté serait menacée. Tout transfert d’un demandeur d’asile incompatible avec le droit de l’Union ouvre le champ d’application de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.

2.      Il est incompatible avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux qu’une juridiction présume de manière irréfragable que, dans l’État membre normalement compétent, le demandeur d’asile ne serait pas exposé au risque d’un refoulement incompatible avec la convention de Genève ou avec la CEDH

159. Conformément à l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal compétent à contrôler cette violation. Ce recours ayant pour objet de déterminer si des droits ou des libertés garantis par le droit de l’Union ont bel et bien été violés, ce droit à un recours effectif prend naissance dès l’instant où cette violation du droit est alléguée d’une manière plausible (74).

160. Les États membres disposent, pour aménager les modalités de procédure concrètes du recours effectif prévu à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, d’un pouvoir d’appréciation très large, pourvu que l’effectivité du recours soit toujours garantie. L’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux dispose à ce sujet que toute limitation de l’exercice du droit à un recours effectif doit être prévue par la loi (75) et en respecter le contenu essentiel ainsi que le principe de proportionnalité.

161. Le critère minimum du droit à un recours effectif qui doit être garanti conformément à la charte s’inscrit dans le principe d’effectivité (76) suivant lequel les règles de procédure qui régissent l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ne peuvent pas rendre cet exercice pratiquement impossible ou excessivement difficile (77).

162. Selon moi, il résulte immédiatement de ces réflexions sur l’essence et le contenu minimum du droit à un recours effectif conféré par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux qu’une réglementation nationale qui impose aux juridictions chargées de contrôler le transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent, conformément au règlement n° 343/2003, d’appliquer la présomption irréfragable que cet État membre n’expulsera pas ce demandeur d’asile dans un autre État en violation de la CEDH ou de la convention de Genève est incompatible avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.

163. L’élément déterminant dans ce contexte est qu’une telle présomption rend considérablement plus difficile, voire exclut de facto, tout contrôle juridictionnel du risque d’une expulsion en chaîne incompatible avec la charte des droits fondamentaux vers un État dans lequel la vie ou la liberté de l’intéressé serait menacée. En effet, il ne serait ni logique ni compréhensible qu’une juridiction nationale estime, d’une part, qu’il n’existe aucun risque d’une telle expulsion en chaîne vers un État hostile du point de vue de la CEDH et de la convention de Genève, mais considère, d’autre part, qu’un tel risque identique se présente du point de vue de la charte des droits fondamentaux. C’est la raison pour laquelle la présomption irréfragable litigieuse selon laquelle l’État membre normalement compétent n’expulsera pas le demandeur d’asile dans un État hostile en violation de la CEDH et de la convention de Genève est incompatible avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.

164. Il résulte de l’exposé qui précède qu’il convient de répondre à la sixième question préjudicielle en ce sens qu’une réglementation nationale qui impose aux juridictions chargées d’examiner si un demandeur d’asile peut légalement être transféré dans un autre État membre en application du règlement n° 343/2003 d’appliquer la présomption irréfragable suivant laquelle cet État membre est un État sûr dans lequel les demandeurs d’asile ne risquent pas d’être expulsés vers un État répressif en violation de la convention de Genève ou de la CEDH est incompatible avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.

 E – Septième question préjudicielle

165. La juridiction de renvoi a formulé sa septième question préjudicielle afin que la Cour lui précise le contenu et la portée du protocole n° 30, qui est annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle lui demande en substance si, compte tenu de ce protocole, les dispositions de la charte des droits fondamentaux en cause dans la présente affaire peuvent sortir leurs effets juridiques sans restriction dans l’ordre juridique du Royaume-Uni.

166. La juridiction de renvoi a posé cette question parce qu’elle souhaite savoir si et, dans l’affirmative, dans quelle mesure le protocole n° 30 doit être considéré comme une clause de non-participation du Royaume-Uni et de la République de Pologne à la charte des droits fondamentaux.

167. Je considère que l’on peut, sans autre forme de procès, répondre négativement à la question de savoir si le protocole n° 30 doit être considéré comme une clause générale de non-participation du Royaume-Uni et de la République de Pologne à l’application de la charte des droits fondamentaux (78). C’est l’analyse littérale du texte du protocole n° 30, lu à la lumière de son exposé des motifs, qui m’amène à cette conclusion.

168. Conformément à l’article 1er, paragraphe 1, du protocole n° 30, la charte n’étend pas la faculté de la Cour de justice de l’Union européenne, ou de toute juridiction polonaise ou du Royaume-Uni, d’estimer que les lois, règlements ou dispositions, pratiques ou actions administratives de la Pologne ou du Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux qu’elle réaffirme.

169. Cette disposition précise donc clairement que la charte des droits fondamentaux ne peut entraîner ni un glissement de compétence au détriment du Royaume-Uni ou de la République de Pologne ni un élargissement du champ d’application du droit de l’Union qui irait au-delà des compétences que les traités confient à l’Union. L’article 1er, paragraphe 1, du protocole n° 30 ne fait cependant que confirmer le contenu normatif de l’article 51 de la charte des droits fondamentaux, qui a précisément pour objet d’exclure un tel élargissement des compétences de l’Union ou du champ d’application du droit de l’Union (79). Il ne remet donc pas en question l’applicabilité de la charte des droits fondamentaux au Royaume-Uni ou en Pologne (80).

170. Cette analyse est confirmée par les considérants du protocole, qui réaffirment à plusieurs reprises que la charte des droits fondamentaux s’applique en principe dans l’ordre juridique polonais et du Royaume-Uni (81). C’est ainsi qu’il est souligné dans le troisième considérant que, conformément à l’article 6 TUE, la charte doit être appliquée et interprétée par les juridictions polonaises et du Royaume-Uni en stricte conformité avec les explications visées dans cet article. Les huitième et neuvième considérants énoncent le souhait de la République de Pologne et du Royaume-Uni de clarifier certains aspects de l’application de la charte ainsi que l’application de la charte en ce qui concerne les lois et l’action administrative de la République de Pologne et du Royaume-Uni.

171. Alors que l’article 1er, paragraphe 1, du protocole n° 30 ne met pas en cause l’applicabilité de la charte des droits fondamentaux, mais doit uniquement être considéré comme une confirmation explicite du contenu normatif de l’article 51 de celle-ci, l’article 1er, paragraphe 2, du même protocole n° 30 semble avoir pour objet de préciser l’applicabilité de certaines dispositions individuelles de la charte dans les ordres juridiques du Royaume-Uni et de la Pologne. Conformément à cet article 1er, paragraphe 2, du protocole n° 30, en effet, rien dans le titre IV de la charte ne crée des droits justifiables applicables à la République de Pologne, sauf dans la mesure où la République de Pologne ou le Royaume-Uni a prévu de tels droits dans sa législation nationale.

172. L’article 1er, paragraphe 2, du protocole n° 30 vise l’arsenal de droits et de principes sociaux qui sont détaillés au chapitre IV de la charte des droits fondamentaux (articles 27 à 38). Ce titre, appelé «Solidarité», et les thèmes qu’il aborde furent les plus controversés lors de l’adoption de la charte. La polémique portait non seulement sur la question essentielle de savoir si des droits et des principes sociaux avaient leur place dans cette charte, mais également sur le point de savoir combien de pareils droits sociaux il fallait y inclure, sur la manière de les aménager, sur les effets obligatoires dont il fallait les pourvoir et sur le point de savoir s’ils devaient être qualifiés de droits fondamentaux ou simplement de principes (82).

173. En constatant que le titre IV de la charte ne crée aucun droit justiciable applicable à la République de Pologne ou au Royaume-Uni, l’article 1er, paragraphe 2, du protocole n° 30 confirme tout d’abord le principe, exprimé à l’article 51, paragraphe 1, de la charte, selon lequel celle-ci ne crée aucun droit dont les particuliers pourraient se prévaloir en justice. De surcroît, l’article 1er, paragraphe 2, du protocole n° 30 semble cependant exclure également que puissent être déduits des articles 27 à 38 de la charte de nouveaux droits de l’Union dont les titulaires pourraient se prévaloir à l’encontre du Royaume-Uni ou de la République de Pologne (83).

174. Les droits fondamentaux en cause dans la présente espèce ne relevant pas des droits et des principes sociaux fondamentaux énumérés au titre IV de la charte, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant ici la question de la valeur et de la portée précises de l’article 1er, paragraphe 2, du protocole n° 30. L’on se contentera de renvoyer au dixième considérant du protocole n° 30, aux termes duquel les références que celui-ci fait à la mise en œuvre de dispositions spécifiques de la charte sont strictement sans préjudice de la mise en œuvre des autres dispositions de la charte.

175. L’article 2 du protocole n° 30 prévoit enfin que, lorsqu’une disposition de la charte fait référence aux législations et aux pratiques nationales, elle ne s’applique à la République de Pologne et au Royaume-Uni que dans la mesure où les droits et principes qu’elle contient sont reconnus dans la législation ou les pratiques de la République de Pologne ou du Royaume-Uni.

176. Il résulte des considérants que nous avons déjà évoqués qu’aucune clause générale de non-participation à la charte des droits fondamentaux ne peut être déduite de l’article 2 du protocole n° 30 en faveur du Royaume-Uni et de la République de Pologne. Par ailleurs, cet article 2 du protocole n° 30 se rapporte exclusivement aux dispositions de la charte qui renvoient à des dispositions et à des pratiques juridiques en vigueur dans des États individuels (84). Tel n’est pas le cas des dispositions de la charte des droits fondamentaux en cause dans la présente affaire.

177. Il résulte des observations qui précèdent qu’il convient de répondre à la septième question préjudicielle en ce sens que l’interprétation du protocole n° 30 n’a fourni aucun résultat susceptible de mettre en question l’applicabilité au Royaume-Uni des dispositions de la charte en cause dans la présente affaire.

VII – Conclusion

178. Au terme de toutes les observations que je viens d’exposer, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles de la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division):

«1)      La décision prise par un État membre, au titre de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, d’examiner ou de ne pas examiner une demande d’asile qui ne relève pas de sa compétence selon les critères énoncés au chapitre III dudit règlement est un acte de mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

2)      Un État membre saisi d’une demande d’asile est tenu d’exercer le droit d’examiner celle-ci qui lui est conféré par, l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 lorsqu’en cas de transfert vers l’État membre normalement compétent à en connaître conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 343/2003, lu en combinaison avec les dispositions du chapitre III de celui-ci, le demandeur d’asile serait exposé à un risque sérieux de violation des droits que la charte des droits fondamentaux lui garantit. En revanche, des risques sérieux de violations de dispositions individuelles de la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres, de dispositions individuelles de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, ou de dispositions individuelles de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, violations qui n’entraîneraient cependant pas en même temps une violation des droits garantis par la charte des droits fondamentaux, ne l’obligent pas à exercer le droit d’évocation prévu à cet article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003.

3)      L’obligation d’interpréter le règlement n° 343/2003 d’une manière conforme aux droits fondamentaux fait obstacle à l’application d’une présomption irréfragable suivant laquelle l’État membre normalement compétent à connaître d’une demande d’asile respecte les droits fondamentaux que le droit de l’Union garantit au demandeur ainsi que toutes les normes minimales prévues par les directives 2003/9, 2004/83 et 2005/85. En revanche, rien n’empêche les États membres de se fonder, lorsqu’ils appliquent le règlement n° 343/2003, sur la présomption réfragable que l’État membre normalement compétent à connaître de sa demande d’asile respecte les droits de l’homme et les droits fondamentaux du demandeur.

4)      L’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux oblige à garantir que, dans les domaines dans lesquels les dispositions de la charte des droits fondamentaux recoupent celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), le niveau de protection garanti par la charte ne soit pas inférieur à celui qu’assure la CEDH. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ayant précisé l’étendue et la portée de la protection garantie par la CEDH, la Cour doit accorder à cette jurisprudence une importance particulière et un poids considérable lorsqu’elle interprète les dispositions correspondantes de la charte des droits fondamentaux.

5)      Une réglementation nationale qui impose aux juridictions appelées à déterminer si un demandeur d’asile peut légalement être transféré dans un autre État membre en application du règlement n° 343/2003 d’appliquer la présomption irréfragable que cet État membre est un État sûr dans lequel les demandeurs d’asile ne risquent pas d’être expulsés dans un État répressif en violation de la convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951, dans la version modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967, ou en violation de la CEDH est incompatible avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.

6)      L’interprétation du protocole (n° 30) sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni n’a fourni aucun résultat qui serait de nature à mettre en question l’applicabilité au Royaume-Uni des dispositions de la charte des droits fondamentaux en cause dans la présente affaire.»


1 – Langue originale: allemand.


2 – JOL 50, p. 1.


3 – Recours n° 30696/09.


4 – Outre le règlement et les directives mentionnés ici, une multitude d’autres actes de droit dérivé ont été adoptés en vue de la création d’un système commun d’asile, de la mise en place d’une politique d’immigration légale et de lutte contre l’immigration illégale, notamment le règlement (CE) n° 439/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 19 mai 2010, portant création d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile (JO L 132, p. 11), ou la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures applicables dans les États membres au retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348, p. 98).


5 – JO L 212, p. 12.


6 – JO L 31, p. 18.


7 – JO L 304, p. 12.


8 – JO L 326, p. 13.


9 – Le gouvernement du Royaume-Uni a répondu aux questions préjudicielles suivantes uniquement dans l’hypothèse où la Cour estimerait, contrairement à sa proposition, que la décision d’exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 relève du champ d’application du droit de l’Union.


10 –      La Confédération suisse s’est associée au système du droit de l’Union permettant de déterminer les États compétents à connaître des demandes d’asile par l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif aux critères et aux mécanismes permettant de déterminer l’État responsable d’une demande d’asile introduite dans un État membre ou en Suisse (JO 2008, L 53, p. 5). Conformément à l’article 5, paragraphe 2, de cet accord, la Confédération suisse «a le droit de présenter des mémoires ou des observations écrites à la Cour de justice lorsqu’une juridiction d’un État membre saisit la Cour de justice d’une question préjudicielle concernant l’interprétation» du règlement n° 343/2003.


11 – La juridiction de renvoi est confrontée à cette question dans la procédure au principal, parce que le Secretary of State avait fait valoir que, lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire que leur confère l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003, les États membres ne seraient pas tenus de respecter les droits fondamentaux de l’Union, parce que l’exercice de ce pouvoir ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union.


12 – Voir, également, à ce sujet les explications sur la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 32, ci-après les «explications CDF»).


13 –      Aux termes de l’article 52, paragraphe 7, de la charte des droits fondamentaux, les explications élaborées en vue de guider l’interprétation de la charte sont dûment prises en considération par les juridictions de l’Union et des États membres. L’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE confirme également de manière expresse l’importance que revêtent les explications CDF pour l’interprétation des dispositions de la charte des droits fondamentaux.


14 –      Arrêt du 13 juillet 1989 (5/88, Rec. p. 2609).


15 – Arrêt du 18 juin 1991 (C-260/89, Rec. p. I-2925).


16 – Arrêt du 13 avril 2000 (C-292/97, Rec. p. I-2737). Cet arrêt s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence Wachauf.


17 – Arrêt déjà cité à la note 14, point 19. Cet arrêt a notamment été confirmé par l’arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C-540/03, Rec. p. I-5769, points 104 et suiv.).


18 –      Arrêt déjà cité à la note 15, points 41 et suiv.


19 –      Voir également, en ce sens, Ladenburger, C., article 51, dans Europäische Grundrechtcharta (éd. Tettinger, P., et Stern, K.), Munich, 2006, points 22 et suiv., ainsi que Nowak, C., dans Handbuch der Europäischen Grundrechte (éd. Heselhaus et Nowak), Munich, 2006, paragraphe 6, points 44 et suiv.


20 – Conformément à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003, l’État membre qui décide d’examiner une demande d’asile sans être tenu de le faire devient l’État membre responsable au sens dudit règlement et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité.


21 – Arrêt déjà cité à la note 14.


22 – Règlement de la Commission, du 16 mai 1984, fixant les modalités d’application du prélèvement supplémentaire visé à l’article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 (JO L 132, p. 11).


23 – Arrêt Wachauf (déjà cité à la note 14, point 19).


24 – Ibidem, points 22 et suiv.


25 – Voir également, en ce sens, arrêt Parlement/Conseil (déjà cité à la note 17, point 104).


26 – Indiqué à bon droit par Graßhof, M., dans EU-Kommentar (éditeur Schwarze), deuxième édition, Baden-Baden, 2009, article 63 CEE, point 4.


27 – Article 63, paragraphe 1, sous b), c) et d), CE.


28 – Conformément aux articles 1er et suiv. du protocole (n° 5) sur la position du Danemark, qui est annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne, le Royaume de Danemark n’a pas participé à l’adoption de ces directives et n’est donc pas lié par elles ni soumis à leur application (voir vingt et unième considérant de la directive 2003/9, quarantième considérant de la directive 2004/83 et trente-quatrième considérant de la directive 2005/85). Si, conformément à l’article 3 du protocole (n° 4) sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande, qui est annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne, l’Irlande a participé à l’adoption des directives 2004/83 et 2005/85 (voir trente-neuvième et trente-troisième considérants respectivement de ces deux directives), elle n’a pas, conformément à l’article 1er de ce protocole, participé à l’adoption de la directive 2003/9 (voir vingtième considérant de cette directive). Conformément à l’article 3 de ce protocole, le Royaume-Uni a participé à l’adoption des trois directives (voir dix-neuvième considérant de la directive 2003/9, trente-huitième considérant de la directive 2004/83 et trente-deuxième considérant de la directive 2005/85).


29 – Voir deuxième considérant de la directive 2003/9, de la directive 2004/83 et de la directive 2005/85.


30 – Voir cinquième considérant de la directive 2003/9, dixième considérant de la directive 2004/83 et huitième considérant de la directive 2005/85.


31 – Voir sixième considérant de la directive 2003/9, onzième considérant de la directive 2004/83 et neuvième considérant de la directive 2005/85.


32 – Voir, également, à ce propos arrêts du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, Rec. p. I‑1493, points 51 et suiv.), et du 9 novembre 2010, B et D (C‑57/09 et C‑101/09, non encore publié au Recueil, points 77 et suiv.), dans lesquels la Cour, invitée à interpréter la directive 2004/83, a souligné, d’une part, que les dispositions de cette directive concernant les conditions de l’octroi du statut de réfugié et le contenu de la protection à accorder aux réfugiés ont été adoptées afin de fournir des concepts et des critères communs aux autorités compétentes des États membres lorsqu’elles appliquent la convention de Genève et elle a constaté, d’autre part, que l’interprétation de cette directive doit garantir le respect des droits fondamentaux et, en particulier, celui des principes reconnus dans la charte. Voir également, à ce sujet, arrêt du 17 juin 2010, Bolbol (C‑31/09, non encore publié au Recueil, point 38).


33 – Conformément aux articles 1er et suiv. du protocole (n° 5) sur la position du Danemark, qui est annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne, le Royaume de Danemark n’a pas participé à l’adoption du règlement n° 343/2003, de sorte que, dans un premier temps, il n’était pas lié par celui-ci ni soumis à son application. La convention de Dublin demeurait donc en vigueur et continuait à s’appliquer entre le Royaume de Danemark et les États membres (voir dix-huitième et dix-neuvième considérants de l’exposé des motifs du règlement n° 343/2003). L’accord entre la Communauté européenne et le Royaume de Danemark concernant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée par un ressortissant d’un pays tiers au Danemark ou dans tout autre État membre de l’Union européenne et le système Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace de la convention de Dublin (JO 2006, L 66, p. 38) a étendu le champ d’application du règlement n° 343/2003 aux relations entre l’Union et le Royaume de Danemark. Conformément à l’article 3 du protocole (n° 4) sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande, qui est annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne, ces deux États membres n’ont pas participé à l’adoption et à l’application du règlement n° 343/2003 (voir dix-septième considérant de celui-ci). Il convient en outre d’observer que certains États non-membres de l’Union européenne se sont associés, par le biais de traités de droit international public, au système mis en place par le droit de l’Union pour déterminer l’État compétent à examiner les demandes d’asile; c’est le cas, notamment, de la Confédération suisse; voir, à ce sujet, note 10 des présentes conclusions.


34 – Voir article 6, paragraphes 1, 7 et 8, et article 9, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 343/2003.


35 – Article 10 du règlement n° 343/2003. Cette compétence expire néanmoins au terme de douze mois après le franchissement illégal de la frontière.


36 – C’est la raison pour laquelle l’article 25, paragraphe 1, de la directive 2005/85 dispose que les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié en application de la directive 2004/83 lorsque le règlement n° 343/2003 leur impose de le faire.


37 – Voir point 92 des présentes conclusions.


38 – L’exposé des motifs du règlement n° 343/2003 se réfère également à la conclusion du Conseil européen de Tampere suivant laquelle le système d’asile européen commun doit être fondé sur l’application intégrale et globale de la convention de Genève (voir deuxième considérant de l’exposé des motifs du règlement n° 343/2003). Il souligne également que, en ce qui concerne le traitement des personnes qui relèvent du règlement, les États membres sont liés par les obligations qui leur incombent en vertu des instruments de droit international auxquels ils sont partie (voir douzième considérant de l’exposé des motifs du règlement n° 343/2003) et que ce règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus par la charte des droits fondamentaux (voir quinzième considérant de l’exposé des motifs du règlement n° 343/2003).


39 – La proposition faite par la Commission d’un règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (COM/2008/820 final), proposition qui permettrait une refonte du règlement n° 343/2003, en revanche, prévoit un mécanisme de suspension des transferts de demandeurs d’asile vers des États membres confrontés à une situation d’urgence particulière faisant peser une charge exceptionnellement lourde sur ses capacités d’accueil, son système d’asile ou ses infrastructures (article 31). Il apparaît des motifs exposés par la Commission que ce mécanisme permettrait de remédier à des situations dans lesquelles les systèmes d’asile et les capacités d’accueil des États membres sont soumis à des pressions exorbitantes.


40 – Arrêt déjà cité à la note 3.


41 – Arrêt (affaire U694/10) qui peut être consulté sur Internet dans le système d’information juridique du Bund (http://www.ris.bka.gv.at).


42 – Voir points 13 et suiv. de la demande préjudicielle du 12 juillet 2010.


43 – Ces avis motivés sont joints en annexes 1 et 2 aux observations de la Commission.


44 – Il n’est pas nécessaire, aux fins de la présente procédure, d’examiner plus avant la question de savoir si et, dans l’affirmative, à quelles conditions l’article 1er de la charte des droits fondamentaux peut s’appliquer de manière autonome en marge de l’article 4 de celle-ci. Il convient néanmoins d’observer que, conformément à l’opinion majoritaire des auteurs de doctrine en Allemagne, il convient de contrôler le respect de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux. En cas de crainte justifiée d’une atteinte au droit fondamental spécifique protégé par cette disposition, c’est ce droit qui a la primauté et l’article 1er de la charte des droits fondamentaux doit céder le pas en tant que critère de contrôle isolé ou supplémentaire; voir en ce sens Jarass, D., Charta der Grundrechte der Europäischen Union, Munich, 2010, article 1er, point 4; Borowsky, D., dans Charta der Grundrechte der Europäischen Union (éd. Meyer, J.), troisième édition, Baden-Baden, 2011, article 1er, point 33, ainsi que Höfling, W., dans Kölner Gemeinschaftskommentar zur Europäischen Grundrechte-Charta (éd. Tettinger, J., et Stern, K.), Munich, 2006, article 1er, point 18.


45 – Voir à ce sujet Höfling, W., op. cit., article 4, point 3, et Borowsky, D., op. cit., article 4, point 20.


46 – Il n’est pas nécessaire, aux fins de la présente procédure, d’examiner plus avant la question de savoir si et, dans l’affirmative, à quelles conditions l’article 1er de la charte des droits fondamentaux peut s’appliquer de manière autonome en marge de l’article 4 de celle-ci. Il convient néanmoins d’observer que, conformément à l’opinion majoritaire des auteurs de doctrine en Allemagne, l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, en tant que disposition spécifique, l’emporte, d’un point de vue de la technique de contrôle, en cas de recoupement avec l’article 1er ou avec l’article 4 de la charte des droits fondamentaux. Voir à ce sujet Jarass, D., op. cit. (note 44), article 19, point 4.


47 – La constatation que le droit d’asile est garanti dans le respect des règles du TUE et du TFUE renvoie, notamment, au protocole (n° 21) sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, qui est annexé au TUE et au TFUE. Néanmoins, comme, conformément à l’article 3 du protocole (n° 4) sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande, qui est annexé su traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne, le Royaume-Uni a participé à l’adoption des directives 2003/9, 2004/85 et 2005/85 ainsi qu’à l’adoption du règlement n° 343/2003, la question de l’applicabilité de l’article 18 de la charte des droits fondamentaux au Royaume-Uni sur ce point ne se pose pas dans la procédure au principal.


48 – Le champ d’application de la protection conférée par l’article 18 de la charte des droits fondamentaux s’inspire de la notion de réfugié au sens de la convention de Genève parce que, conformément à l’article 33 de celle-ci, l’interdiction d’expulsion ou de refoulement qu’il énonce s’applique aux réfugiés [voir, en ce sens, Jarass, D., op. cit. (note 44), article 18, point 5]. La notion de réfugié aux fins de cette interdiction n’englobe pas seulement ceux qui ont déjà obtenu le statut de réfugié, mais également ceux qui remplissent les conditions leur permettant de l’obtenir. Voir en ce sens Lauterpacht, E., et Bethlehem, D., «The scope and content of the principle of non-refoulement: Opinion», dans Refugee Protection in International Law (éd. Feller, E., Türk, V., et Nicholson, F.), Cambridge, 2003, p. 87, p. 116 et suiv.


49 – Voir en ce sens Lauterpacht, E., et Bethlehem, D., op. cit. (note 48), p. 122, et Hailbronner, K., Asyl- und Ausländerrecht, deuxième édition, Stuttgart, 2008, point 655.


50 – Voir, en ce sens, arrêts du 6 novembre 2003, Lindqvist (C‑101/01, Rec. p. I‑12971, point 87); du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑305/05, Rec. p. I‑5305, point 28), et du 23 décembre 2009, Detiček (C‑403/09 PPU, Rec. p. I‑12193, point 34).


51 – Voir, en ce sens, également Lenaerts, K., «The Contribution of the European Court of Justice to the Area of Freedom, Security and Justice», ICLQ, 2010, p. 255, 298, qui, après avoir analysé en profondeur la jurisprudence récente de la Cour dans le domaine du système d’asile européen, aboutit à la conclusion que, dans chacun de ses arrêts, elle s’est toujours inspirée de l’aspect droits fondamentaux du système d’asile européen.


52 – Voir, à ce sujet, également arrêts Salahadin Abdulla e.a. (déjà cité à la note 32, point 54) et Bolbol (déjà cité à la note 32, point 38) à propos du dixième considérant de la directive 2004/83, qui est rédigé dans des termes similaires et à propos de l’obligation qui en résulte d’interpréter les dispositions de la directive d’une manière conforme aux droits fondamentaux.


53 – Conformément à la jurisprudence constante, il y a lieu, pour interpréter une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie; voir, notamment, arrêt du 29 janvier 2009, Petrosian e.a. (C‑19/08, Rec. p. I‑495, point 34).


54 – Voir troisième considérant et considérants suivants de l’exposé des motifs du règlement n° 343/2003.


55 – Article 10 du règlement n° 343/2003.


56 – Voir point 118 des présentes conclusions.


57 – Sur le contenu et la portée du protocole n° 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni, voir points 165 et suiv. des présentes conclusions.


58 – C’est ainsi, par exemple, que, dans l’arrêt qu’elle a rendu le 2 décembre 2008 dans l’affaire K. R. S. c. Royaume-Uni (dossier n° 32733/08), la Cour européenne des droits de l’homme est partie du principe qu’il fallait présumer que la République hellénique s’acquitte des obligations que lui font les directives 2005/85 et 2003/9.


59 – Voir, également, à ce sujet le protocole (n° 24) sur le droit d’asile pour les ressortissants des États membres de l’Union européenne, qui est annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ce protocole indique tout d’abord qu’eu égard au niveau de protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans les États membres de l’Union européenne, ceux-ci sont considérés comme étant des pays d’origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d’asile. Cette mise au point étant faite, le protocole ajoute qu’en conséquence toute demande d’asile présentée par un ressortissant d’un État membre ne peut être prise en considération ou déclarée admissible pour instruction par un autre État membre qu’aux conditions très restrictives qu’il énonce.


60 – Sur le principe d’effectivité, voir arrêts du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, Rec. p. I‑2271, point 43); du 7 juillet 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, Rec. p. I‑4233, point 28); du 2 février 2008, Kempter (C‑2/06, Rec. p. I‑411, point 57), et du 8 juillet 2010, Bulicke (C‑246/09, non encore publié au Recueil, point 25).


61 – Décision déjà citée à la note 58.


62 – Déjà cité à la note 3.


63 – Les articles 3 et 13 de la CEDH correspondent aux articles 4 et 47, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux. Dans les explications élaborées en vue de guider l’interprétation de cette dernière, on peut lire à propos de son article 4 que le droit garanti par celui-ci correspond à celui qui est garanti par l’article 3 de la CEDH, de sorte que, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux, l’article 4 a la même signification et la même portée que l’article 3 de la CEDH. Les explications relatives à l’article 47, paragraphe 1, de la charte indiquent que, si cette disposition se fonde bel et bien sur l’article 13 de la CEDH, elle garantit néanmoins une protection plus étendue, puisqu’elle garantit un droit à un recours effectif devant un juge.


64 – Dans une jurisprudence constante, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que la CEDH doit être considérée comme un «instrument vivant»; voir notamment l’arrêt qu’elle a rendu le 25 avril 1978 dans l’affaire Tyler c. Royaume-Uni (recours n° 5856/72, point 31) et celui qu’elle a prononcé le 16 décembre 1999 dans l’affaire V. c. Royaume-Uni (recours n° 24888/94, point 72).


65 – Voir, également, à ce sujet Rengeling, H.-W., et Szczekalla, P., Grundrechte in der Europaïschen Union, Cologne, 2004, point 468, qui indiquent que l’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux confère une dynamique importante à la poursuite de l’écriture des droits fondamentaux de l’Union. Naumann, K., «Art. 52, Abs. 3, GrCh zwischen Kohärenz des europäischen Grundrechtsschutzes und Autonomie des Unionsrechts», EuR, 2008, p. 424, 424, indique qu’il ne serait de toute façon pas possible de déterminer la signification et la portée des droits conférés par la CEDH sans tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et que seul un renvoi dynamique à la CEDH peut empêcher des discordances futures entre la jurisprudence de la Cour de justice et celle de la Cour européenne.


66 – Voir, également, à ce sujet point 23 des conclusions que l’avocat général Poiares Maduro a présentées le 9 septembre 2008 dans l’affaire Elgafaji (arrêt du 17 février 2009, C‑465/07, Rec. p. I‑921).


67 – Voir, également, à ce sujet von Danwitz, T., «Art. 52», dans Europäische Grundrechtecharta (éd. Tettinger, P., et Stern, K.), Munich, 2006, points 57 et suiv., qui indique que la charte des droits fondamentaux ne confère évidemment pas à la Cour européenne des droits de l’homme la souveraineté exclusive en matière d’interprétation des droits correspondants, mais qui concède cependant que la Cour de justice n’est pas liée par l’interprétation des droits garantis par la convention qui est donnée par la jurisprudence de la Cour européenne à un point tel qu’elle ne pourrait demeurer en deçà du niveau de protection garanti par celle-ci. Voir en outre Lenaerts, K., et de Smijter, E., «The Charter and the Role of the European Courts», Maastricht Journal of European and Comparative Law, 2001, p. 90, 99, qui semblent admettre que la Cour de justice est tenue de respecter et de reprendre la jurisprudence pertinente de la Cour européenne.


68 – Voir, en dernier lieu, arrêt du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert (C‑92/09 et C‑93/09, non encore publié au Recueil, points 43 et suiv.). Voir, également, arrêt Elgafaji (précité à la note 66, point 44), dans lequel la Cour a souligné, à titre d’obiter dictum, que l’interprétation des dispositions de la directive 2004/83 en cause dans cette affaire est pleinement compatible avec la CEDH, y compris la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 3 de celle-ci. Dans l’arrêt du 5 octobre 2010, McB. (C‑400/10 PPU, non encore publié au Recueil, point 53), la Cour a expressément déclaré qu’il convient de donner à l’article 7 de la charte le même sens et la même portée que ceux conférés à l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.


69 – Voir points 114 et suiv. des présentes conclusions.


70 – Sur la référence à la convention de Genève qui est faite à l’article 18 de la charte des droits fondamentaux, voir Bernsdorff, N., dans Charta der Grundrechte der Europäischen Union (éd. Meyer, J.), troisième édition, Baden-Baden, 2011, article 18, point 10; Wollenschläger, M., dans Handbuch der Europäischen Grundrechte (éd. Heselhaus et Nowak), Munich, 2006, paragraphe 16, point 32, ainsi que Jochum, G., dans Europäische Grundrechtecharta (éd. Tettinger, P., et Stern, K.), Munich, 2006, article 18, point 6.


71 – Voir points 143 et suiv. des présentes conclusions.


72 – Arrêt déjà cité à la note 3, point 342.


73 – En ce qui concerne la question de savoir si les articles 1er, 4 et 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux peuvent s’appliquer l’un après l’autre de manière autonome lorsqu’un demandeur d’asile est transféré vers un État membre en violation de l’une de ces dispositions, voir notes 44 et 46 plus haut.


74 – Voir Jarass, D., op. cit. (note 44), article 47, point 11; Alber, S., dans Europäische Grundrechtecharta (éd. Tettinger, P., et Stern, K.), Munich, 2006, article 47, point 25; Nowak, C., op. cit. (note 19), paragraphe 51, point 32. Voir, également, en ce sens la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 13 de la CEDH, jurisprudence conformément à laquelle le droit garanti par cette disposition ouvre un recours effectif dès l’instant où une violation de la convention est alléguée de manière plausible (il s’agit de ce qu’il est convenu d’appeler un «arguable complaint»). Voir, notamment, arrêts M. S. S. c. Belgique et Grèce (déjà cité à la note 3, point 288) et Kudła c. Pologne du 26 octobre 2000 (recours n° 30210/96, point 157).


75 – Cette réserve légale concernant les restrictions à l’exercice des droits fondamentaux a pour effet que ces restrictions des droits garantis par la charte des droits fondamentaux doivent être prévues soit par le législateur de l’Union, soit par les législateurs nationaux. Lorsque c’est le droit national qui limite les droits fondamentaux, cette réserve légale doit cependant être interprétée de façon large, de manière à pouvoir englober également le droit coutumier ou prétorien et en accordant une attention particulière aux diverses traditions légales des États membres; voir Jarass, D., op. cit. (note 44), article 52, point 28, et Borowsky, D., op. cit. (note 44), article 52, point 20.


76 – Sur le rôle du principe d’effectivité dans l’application de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, voir Alber, S., op. cit. (note 74), article 47, point 34; Jarass, D., «Bedeutung der EU-Rechtsschutzgewährleistung für nationale und EU-Gerichte», NJW, 2011, p. 1393, 1395. Voir, également, la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 13 de la CEDH, conformément à laquelle le droit à un recours effectif qu’il garantit doit être interprété en ce sens que le recours doit être ouvert tant de facto que de iure à ceux qui remplissent les conditions leur permettant d’en bénéficier, les autorités nationales compétentes devant pouvoir à la fois contrôler le contenu de la violation de la convention alléguée et apporter une solution appropriée. Voir notamment arrêt M. S. S. c. Belgique et Grèce (déjà cité à la note 3, points 290 et suiv.).


77 – Voir jurisprudence citée à la note 60.


78 – Voir, également, en ce sens House of Lords – European Union Committee, «The Treaty of Lisbon: an impact assessment», volume I: Report (10th Report of session 2007-08), http://www.parliament.the-stationery-office.co.uk/pa/ld200708/ldselect/ldeucom/62/62.pdf, points 5.87 et 5.103. Voir, également, en ce sens Pernice, I., «The Treaty of Lisbon and Fundamental Rights», dans Griller, S., et Ziller, J. (éd.), The Lisbon TreatyEU Constitutionalism without a Constitutional treaty?, Vienne, 2008, p. 235, 245.


79 – Voir points 71 et suiv. des présentes conclusions. Voir, également, en ce sens Craig, P., The Lisbon Treaty, Oxford, 2010, p. 239, et Pernice, I., op. cit. (note 78), p. 246 et suiv.


80 – Voir également, en ce sens, House of Lords – European Union Committee, op. cit. (note 78), point 5.103, sous a), ainsi que Dougan M., «The Treaty of Lisbon 2007: winning minds, not hearts», CMLR, 2008, p. 617, 669. Voir également Craig, P., op. cit. (note 79), p. 239, qui souligne pertinemment à ce sujet que l’article 1er, paragraphe 2, du protocole n° 30 serait dénué de sens si l’article 1er, paragraphe 1, de ce protocole contenait une clause générale de non-participation.


81 – Voir, à ce sujet, House of Lords – European Union Committee, op. cit. (note 78), point 5.102.


82 – Voir à ce sujet Riedel, E., dans Charta der Grundrechte der Europäischen Union (éd. Meyer, J.), 3e édition, Baden-Baden, 2011, titre IV, points 7 et suiv.


83 – Voir, à ce sujet, House of Lords – European Union Committee, op. cit. (note 78), point 5.103, sous b), aux termes duquel l’article 1er, paragraphe 2, du protocole exclut que, lorsqu’elle interprète certains «droits» prévus au titre IV, la Cour reconnaisse que des particuliers puissent déduire de ces «droits» des prétentions à l’égard du Royaume-Uni dont ils pourraient se prévaloir en justice.


84 – Voir également Dougan, M., op. cit. (note 80), p. 670; House of Lords – European Union Committee, op. cit. (note 78), point 5.103, sous c), et Pernice, I., op. cit. (note 78), p. 248 et suiv.