Language of document : ECLI:EU:T:2008:235

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

1er juillet 2008 (*)

« Aides d’État – Mesures prises par les autorités allemandes en faveur de la Deutsche Post AG – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché commun et ordonnant sa récupération – Service d’intérêt économique général – Compensation de surcoûts générés par une politique de vente à perte dans le secteur du transport de colis de porte à porte – Absence d’avantage »

Dans l’affaire T-266/02,

Deutsche Post AG, établie à Bonn (Allemagne), représentée par Mes J. Sedemund et T. Lübbig, avocats,

partie requérante,

soutenue par

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. W.‑D. Plessing et M. Lumma, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Kreuschitz et J. Flett, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Bundesverband Internationaler Express- und Kurierdienste eV (BIEK), établie à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), représentée par Mes F. Mitzkus, T. Wambach et R. Wojtek, avocats,

et par

UPS Europe NV/SA, établie à Bruxelles (Belgique), représentée initialement par Mes T. Ottervanger et A. Bijleveld, puis par MOttervanger, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2002/753/CE de la Commission, du 19 juin 2002, concernant des mesures prises par la République fédérale d’Allemagne en faveur de la Deutsche Post AG (JO L 247, p. 27),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de M. M. Jaeger, président, Mme V. Tiili et M. J. Azizi, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 juin 2007,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique allemand

1        Il convient de présenter les principales dispositions des cinq mesures législatives ou règlementaires allemandes relatives au transport postal adoptées entre 1989 et 1998 qui sont pertinentes dans le cadre du présent litige.

2        Premièrement, le 8 juin 1989, le Postverfassungsgesetz (loi sur l’organisation de la poste) (BGBl. 1989 I, p. 1026, ci-après le « PostVerfG ») a été adopté. En vertu de l’article 1er, paragraphe 2, du PostVerfG, l’administration postale allemande, la Deutsche Bundespost, a été scindée en trois entités juridiques distinctes (Teilsondervermögen), à savoir la Deutsche Bundespost Postdienst (ci-après la « DB‑Postdienst »), la Deutsche Bundespost Telekom (ci-après la « DB-Telekom ») et la Deutsche Bundespost Postbank. Conformément à l’article 65, paragraphe 2, du PostVerfG, lesdites entités étaient tenues de maintenir les services que la Deutsche Bundespost offrait. C’est ainsi que, tandis que la DB-Telekom a succédé à la Deutsche Bundespost dans ses activités de télécommunication, la DB-Postdienst a repris les activités de la Deutsche Bundespost dans le secteur postal.

3        En outre, en vertu de l’article 37, paragraphe 3, du PostVerfG, une compensation financière devait être réalisée entre les trois entités juridiques nées de la scission de la Deutsche Bundespost, lorsque l’une d’entre elles n’était pas en mesure de financer ses dépenses à partir de ses recettes propres. De plus, en vertu de l’article 63, paragraphe 1, du PostVerfG, la Deutsche Bundespost demeurait tenue, en dépit de sa scission, de verser des rétrocessions à l’État correspondant à un pourcentage de ses revenus d’exploitation, et ce jusqu’en 1995.

4        Enfin, concernant plus spécifiquement l’obligation de service public dont la DB-Postdienst était chargée, l’article 25, paragraphe 2, du PostVerfG prévoyait en substance que le gouvernement allemand était habilité à déterminer par voie de règlement « les infrastructures que les entreprises [devaient] fournir (prestations obligatoires) dans l’intérêt public particulier, notamment afin d’assurer le service public » ainsi qu’à « fixer les structures essentielles des prestations obligatoires et les règles de tarification ».

5        Deuxièmement, le 8 juillet 1989, le Gesetz über das Postwesen (loi sur la poste) (BGBl. 1989 I, p. 1449) a été adopté. Conformément à l’article 2, paragraphe 1, du Gesetz über das Postwesen, la DB‑Postdienst bénéficiait d’un monopole dans le secteur du transport de courrier.

6        Troisièmement, le 12 janvier 1994, la Postdienst-Pflichtleistungsverordnung (règlement sur les prestations obligatoires) (BGBl. 1994 I, p. 86, ci-après la « PPfLV ») a été adoptée. En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de la PPfLV, la DB-Postdienst devait fournir ses « prestations obligatoires » sur la totalité du territoire, conformément à un principe de tarif unique sur l’ensemble du territoire national. Concernant plus spécifiquement l’acheminement de colis, l’article 2, paragraphe 1, de la PPfLV prévoyait que la DB-Postdienst devait assurer la levée, le transport et la livraison de colis d’un poids maximal de 20 kg et répondant à certaines dimensions maximales sur l’ensemble du territoire. En outre, l’article 2, paragraphe 2, point 3, de la PPfLV autorisait la DB-Postdienst à fixer un tarif inférieur au tarif unique dans les cas où le client s’acquittait lui-même des opérations de tri de colis ou s’il déposait une quantité minimale de colis.

7        Quatrièmement, le 14 septembre 1994, le Postumwandlungsgesetz (loi sur la réorganisation de la poste) (BGBl. 1994 I, p. 2339), a été adopté. En vertu des articles 1 et 2 du Postumwandlungsgesetz, les trois entités juridiques mentionnées au point 2 ci-dessus ont été transformées en sociétés anonymes, à compter du 1er janvier 1995, et leurs activités ont été reprises respectivement par la Deutsche Post AG (ci-après la « DPAG » ou la « requérante »), Deutsche Telekom AG et la Deutsche Postbank AG.

8        Cinquièmement, le 22 décembre 1997, le Postgesetz (loi postale) (BGBl. 1997 I, p. 3294) a été adopté et prévoyait, aux termes de son article 4, paragraphe 1, que l’acheminement des colis dont le poids n’excédait pas 20 kg constituait un service universel.

 Faits à l’origine du litige

9        Outre le secteur du transport du courrier dans lequel elle bénéficie d’un monopole (ci-après le « secteur réservé »), la DPAG opère également dans deux autres secteurs postaux, à savoir, d’une part, le transport de colis et, d’autre part, le transport des périodiques et des journaux, qui sont tous deux ouverts à la concurrence (ci-après les « secteurs ouverts à la concurrence »).

10      Dans le secteur du transport de colis, la DPAG assure, d’une part, des services de transport des colis déposés directement aux guichets des bureaux de poste et, d’autre part, des services de transport de plus grosses quantités de colis qui ne sont pas traités directement dans les guichets des bureaux de poste (ci-après le « secteur du colis de porte à porte »).

11      Eu égard au secteur du colis de porte à porte, qui fait l’objet de la présente procédure, la DPAG assure deux principaux services, à savoir, d’une part, le transport de colis de porte à porte ciblé sur la clientèle professionnelle qui trie en amont ou dépose une quantité minimale de colis (ci‑après le « segment de la clientèle professionnelle ») et, d’autre part, le transport de colis pour le compte des entreprises de vente par correspondance qui expédient des marchandises commandées sur catalogue ou par voie électronique (ci-après le « segment de la VPC »).

12      Le segment de la clientèle professionnelle se distingue du segment de la VPC, notamment en raison des opérations logistiques de collecte, de traitement au centre de dépôt et de livraison qu’elles requièrent et des coûts qu’elles engendrent.

13      Le 7 juillet 1994, l’entreprise privée de distribution de colis, UPS Europe NV/SA (ci-après « UPS »), a déposé une plainte auprès de la Commission à l’encontre de la DB-Postdienst fondée tant sur l’article 86 du traité CE (devenu article 82 CE) que sur l’article 92 du traité CE (devenu article 87 CE). Cette plainte a été suivie d’une autre plainte formée par l’association des prestataires privés de services de messagerie et de livraison express du courrier et de colis, le Bundesverband Internationaler Express- und Kurierdienste eV (ci‑après le « BIEK »). En substance, UPS et le BIEK reprochaient à la DB‑Postdienst, d’une part, de mener une politique de vente à perte dans le secteur du colis de porte à porte constituant un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE et, d’autre part, de couvrir ses pertes dans ledit secteur au moyen soit de ses recettes générées dans le secteur réservé, soit de ressources publiques qui lui auraient été octroyées en violation de l’article 87 CE.

14      Par lettre du 17 août 1999, publiée au Journal officiel des Communautés européennes le 23 octobre 1999 (JO C 306, p. 25), la Commission a informé la République fédérale d’Allemagne de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE (ci-après la « décision d’ouverture de la procédure »). En outre, la Commission a adopté, le 7 juillet 2000, une décision d’ouverture de la procédure au titre de l’article 82 CE.

15      Le 20 mars 2001, la Commission a adopté la décision 2001/354/CE relative à une procédure d’application de l’article 82 CE (Affaire COMP/35.141 – Deutsche Post AG) (JO L 125, p. 27). Dans ladite décision, la Commission a conclu, en substance, que la DPAG a enfreint l’article 82 CE dans la mesure où elle a abusé de sa position dominante dans le seul segment de la VPC, premièrement, en soumettant, de 1974 à 2000, l’octroi de rabais de fidélité à ses clients à la condition qu’ils s’engagent à faire traiter par ses services l’ensemble ou une majorité de leurs colis ou de leurs catalogues d’un certain poids et, deuxièmement, en pratiquant, de 1990 à 1995, une politique de vente à perte en proposant des prix inférieurs à ses coûts incrémentaux. Eu égard à la pratique des rabais de fidélité, la Commission a imposé, en substance, une amende de 24 millions d’euros à la DPAG. S’agissant de la pratique de vente à perte, la Commission n’a pas imposé d’amende à la DPAG, dans la mesure où elle a considéré, en substance, que le critère auquel elle a eu recours afin d’établir l’existence de ladite vente à perte n’avait pas été préalablement utilisé.

16      Le 19 juin 2002, la Commission a adopté la décision 2002/753/CE concernant des mesures prises par la République fédérale d’Allemagne en faveur de la DPAG (JO L 247, p. 27, ci-après la « décision attaquée »). La décision attaquée comprend un raisonnement en quatre étapes.

17      Dans un premier temps, la Commission indique, au considérant 2 de la décision attaquée, que, « [d]ans sa décision [d’ouverture de] la procédure, la Commission a émis l’hypothèse que les versements reçus par [la] DB-Postdienst, et, ultérieurement [par la] DPAG, en compensation de la fourniture de services d’intérêt général, seraient supérieurs aux surcoûts nets occasionnés à [la] DB-Postdienst et à [la] DPAG pour lesdits services » et qu’elle « a de fait annoncé qu’elle examinerait les mesures d’aides présumées », qu’elle énumère aux considérants 3 à 7 de la décision attaquée. Ces mesures sont, premièrement, le financement de l’acquisition de la Deutsche Postbank en 1998, deuxièmement, le financement de la Post-Unterstützungskasse (fonds de pension pour fonctionnaires de la poste), troisièmement, l’octroi éventuel de garanties publiques destinées à couvrir les engagements de la Deutsche Bundespost, quatrièmement, les circonstances de la transformation de la DB-Postdienst en une société anonyme, et cinquièmement, l’aide financière ou administrative de l’État en faveur de la requérante.

18      Après avoir décrit, aux considérants 12 à 15 de la décision attaquée, la nature de chacune des quatre premières mesures mentionnées ci-dessus, la Commission indique, aux considérants 16 à 20 de ladite décision, concernant la cinquième mesure, que la requérante l’a informée qu’elle avait reçu, conformément à l’article 37, paragraphe 3, du PostVerfG, des transferts opérés par la DB-Telekom afin de compenser ses pertes subies de 1990 à 1995 (ci-après les « transferts opérés par la DB-Telekom »). À cet égard, la Commission relève en particulier, au considérant 20 de la décision attaquée, que, comme l’a confirmé la République fédérale d’Allemagne dans ses observations supplémentaires du 25 avril 2000 et du 31 janvier 2002, la DB-Telekom et/ou Deutsche Telekom ont versé au total 11 081 millions de marks allemands (DEM) à la DB-Postdienst et/ou à la DPAG au titre de la compensation entre 1990 et 1995, que les autorités allemandes ne nient pas que cette compensation financière entre deux entreprises différentes soit attribuable à l’État, car elle était prescrite par l’article 37, paragraphe 3, du PostVerfG, et que le gouvernement allemand fait toutefois valoir que les transferts opérés par la DB-Telekom étaient indispensables pour accomplir ses missions de service d’intérêt économique général (ci-après le « SIEG ») dans des conditions financières équilibrées.

19      Après avoir exposé, aux considérants 21 à 39 de la décision attaquée, le montant des coûts d’infrastructures imputables aux services de colis de porte à porte, la Commission indique en particulier, aux considérants 40 à 45 de la décision attaquée, que la République fédérale d’Allemagne lui a communiqué des informations concernant, d’une part, l’importance de la mission de SIEG de la DPAG dans le secteur du transport de colis et, d’autre part, les surcoûts nets de SIEG liés à quinze charges héritées du passé que la requérante a dû supporter en tant qu’ancienne administration publique. Enfin, la Commission fait état, aux considérants 46 à 63 de la décision attaquée, des observations qu’elle a reçues dans le cadre de la procédure administrative de tiers intéressés, et en particulier du BIEK et d’UPS, selon lesquelles, en substance, la DPAG enregistrerait des pertes dans le secteur du colis de porte à porte qui ne seraient pas liées à l’accomplissement d’un SIEG mais qui résulteraient d’une politique de vente à perte qu’elle couvrirait au moyen de ressources publiques.

20      Dans un deuxième temps, la Commission indique, aux considérants 66 à 69 et dans la note en bas de page nº 107 de la décision attaquée, que la République fédérale d’Allemagne l’a informée, à sa demande, que la DPAG avait enregistré, pour la période allant de 1990 à 1998, d’une part, des bénéfices dans le secteur réservé et, d’autre part, des pertes dans les secteurs ouverts à la concurrence, de telle sorte qu’elle avait enregistré un déficit total, tous secteurs d’activité confondus, de 2 289 millions de DEM durant cette période.

21      À cet égard, la Commission indique en effet, au considérant 68 de la décision attaquée, que, « [r]épondant à la question de la Commission du 10 mars 2000 sur d’éventuels bénéfices comptabilisés par [la] DPAG pendant la période comprise entre 1990 et 1998 dans le domaine des [secteurs ouverts à la concurrence], le gouvernement [allemand] indique dans sa communication du 24 mars 2000 (p. 10) que [la] DPAG a enregistré un excédent de [confidentiel] (1) millions de DEM dans les services ouverts à la concurrence en 1998 ». Elle poursuit en ajoutant que, « [p]ar ailleurs, les autorités allemandes ont présenté des chiffres au vu desquels, entre 1990 et 1998, le secteur [du transport de colis] dans son ensemble aurait enregistré un déficit de [confidentiel] millions de DEM et celui de la distribution des journaux et de périodiques une perte de [confidentiel] millions de DEM ». La Commission en conclut que « [a]u total, le déficit s’élèv[ait] donc à [confidentiel] millions de DEM pour ces deux secteurs » et que « [l]es recettes dégagées par les secteurs ouverts à la concurrence étaient donc insuffisantes pour combler le déficit dans le secteur [du transport de colis]».

22      Ensuite, dans la note en bas de page nº 107 de la décision attaquée, la Commission indique que, « [d]’après les chiffres présentés par [la République fédérale d’Allemagne] dans sa lettre du 2 juin 2000 (version corrigée du 12 janvier 2000), le [secteur] réservé a enregistré au total des bénéfices de [confidentiel] millions de DEM entre 1990 et 1998 », que, « [p]endant la période considérée, des produits de [confidentiel] millions de DEM ont été par ailleurs comptabilisés dans le[s] secteur[s] ouvert[s] à la concurrence » et que cela « implique nécessairement qu’une part au moins égale à 2 289 millions de DEM du déficit global de [confidentiel] millions de DEM n’a pu être compensée ni par les bénéfices du secteur [réservé] ni par les recettes procurées par les [secteurs] ouverts à la concurrence ».

23      Dans un troisième temps, la Commission indique, au considérant 72 de la décision attaquée, que, eu égard aux pertes de la DPAG d’un montant de [confidentiel] millions de DEM enregistrées dans le seul secteur du transport de colis durant la période allant de 1990 à 1998, il convient d’examiner si « les surcoûts nets que l’État a compensés sont directement liés à la mission de [la] DPAG définie avec précision par la loi » et que, « [s]i cet afflux de ressources publiques devait finalement permettre au secteur [du transport] de colis de financer également des surcoûts nets qui n’ont aucun lien de causalité avec l’accomplissement d’obligations de service public, [la] DPAG en retirerait un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE] ».

24      À cet égard, tout d’abord, la Commission constate, aux considérants 75 à 79 de la décision attaquée, que la DPAG avait, à compter du 1er février 1994, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, point 3, de la PPfLV, la possibilité, mais non l’obligation, d’accorder dans le secteur du colis de porte à porte des rabais à ses clients qui aboutissaient à des tarifs inférieurs au tarif unique fixé par l’article 1er, paragraphe 1, de la PPfLV pour le secteur du transport de colis.

25      Ensuite, la Commission indique, au considérant 88 de la décision attaquée, que, compte tenu des charges de la DPAG liées au secteur du colis de porte à porte et des tarifs inférieurs au tarif unique qu’elle offrait (considérants 21 à 39 et tableau figurant au considérant 88 de la décision attaquée), les produits du secteur du colis de porte à porte étaient, de 1994 à 1999, en permanence insuffisants pour couvrir les charges qui résultaient de l’exploitation de ce seul secteur. Elle précise que cette situation d’insuffisance dans la couverture des coûts de la DPAG a cessé en 1999.

26      Enfin, la Commission relève, aux considérants 82 et 86 de la décision attaquée, qu’il n’existe aucun lien de causalité entre lesdits surcoûts générés par cette politique de vente à perte et la mission de SIEG de la DPAG pour trois motifs. Premièrement, selon elle, la DPAG n’était tenue par aucune obligation légale de proposer aux clients des services dans le secteur du colis de porte à porte à des tarifs inférieurs au tarif unique légal. Deuxièmement, elle considère que la politique tarifaire de la DPAG consistant à offrir des tarifs inférieurs au tarif unique était exclusivement imputable aux efforts entrepris par la DPAG pour conserver ou conquérir des parts de marché dans le secteur du colis de porte à porte soumis à la concurrence. Troisièmement, elle constate que la pratique des prix inférieurs au tarif unique occasionne des surcoûts nets clairement identifiables, qui ne sont pas attribuables à ses obligations de SIEG.

27      La Commission relève ainsi, au considérant 88 de la décision attaquée, que la requérante a enregistré, de 1994 à 1999, des surcoûts nets d’un montant total de 1 118,7 millions de DEM résultant de sa politique de vente à perte.

28      Dans un quatrième temps, la Commission estime, au considérant 87 de la décision attaquée, qu’« une politique [de vente à perte] est inconciliable, à moyen terme, avec l’intérêt économique de l’entreprise » et qu’« [a]ucune entreprise privée soumise aux lois du marché ne conserverait, dans ces conditions, [le secteur du] colis de porte à porte, car la politique poursuivie en matière de [vente à perte] accumule les déficits annuels et, en l’absence de compensation financière, entraîne à moyen terme un surendettement ». La Commission en déduit, au considérant 107 de la décision attaquée, que « [d]ans la mesure où la compensation de l’État accordée pour les surcoûts nets occasionnés par une politique de [vente à perte] a pour effet de réduire les coûts liés normalement à la prestation des services [dans le secteur du] colis de porte à porte ouverts à la concurrence, cette mesure constitue un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE] », que « [l]’octroi de ressources d’État pour compenser cette partie des coûts non couverts constitue pour [la] DPAG un avantage concurrentiel » et que « [c]et avantage et cette aide incompatible avec le marché commun s’élèvent à 1 118,7 millions de DEM ».

29      Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :

« Article premier

L’aide publique d’un montant de 572 millions d’euros (1 118,7 millions de DEM), que [la République fédérale d’Allemagne] a accordée à [la DPAG], est incompatible avec le marché commun.

Article 2

1. [La République fédérale d’Allemagne] prend toutes les mesures qui s’imposent pour exiger [de la DPAG] la restitution de l’aide mentionnée à l’article 1er, qui lui a été octroyée illégalement.

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

30      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 septembre 2002, la requérante a introduit le présent recours.

31      Par lettres déposées au greffe du Tribunal les 17 et 19 décembre 2002, le BIEK et UPS ont respectivement demandé à intervenir au soutien de la Commission.

32      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 9 mai 2003, la République fédérale d’Allemagne a demandé à intervenir au soutien de la requérante.

33      Par lettres envoyées au greffe du Tribunal les 11 mars, 14 avril et 26 septembre 2003, ainsi que le 26 février 2004, la requérante a demandé que certains éléments des pièces de procédure ne soient pas communiqués au BIEK et à UPS, en vertu de l’article 116, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement de procédure du Tribunal.

34      Par ordonnance du 2 juin 2003, le président de la quatrième chambre élargie du Tribunal a admis les demandes d’intervention du BIEK et d’UPS et a réservé la décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel.

35      Par ordonnance du 5 juin 2003, le président de la quatrième chambre élargie du Tribunal a admis la demande d’intervention de la République fédérale d’Allemagne. Ladite demande d’intervention ayant été présentée après l’expiration du délai de six semaines visé à l’article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure, les droits de la République fédérale d’Allemagne sont ceux prévus à l’article 116, paragraphe 6, de ce règlement.

36      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal les 25 juin et 17 novembre 2003, ainsi que le 23 avril 2004, le BIEK a émis des objections quant au traitement confidentiel de certains éléments des pièces de procédure qui lui ont été communiquées.

37      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal le 17 novembre 2003 et le 23 avril 2004, UPS a émis des objections quant au traitement confidentiel de certains éléments des pièces de procédure qui lui ont été communiquées.

38      Par lettre envoyée au Tribunal le 5 janvier 2004, la requérante a soumis ses observations sur les objections quant au traitement confidentiel de certains éléments de procédure soulevées par les parties intervenantes, le BIEK et UPS.

39      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre élargie, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

40      Par ordonnance du 13 janvier 2005, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a admis la demande de traitement confidentiel de certaines données chiffrées et de certains documents à l’égard du BIEK et d’UPS et a rejeté la demande de traitement confidentiel pour le surplus.

41      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a invité, par lettres du 15 mars 2007, la requérante, la Commission et la République fédérale d’Allemagne à déposer certains documents et à répondre par écrit à des questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.

42      Par lettres déposées au greffe du Tribunal les 13 avril et 3 mai 2007, la requérante a demandé que certaines données chiffrées et certains documents fournis par elle-même, la Commission et la République fédérale d’Allemagne dans le cadre des mesures d’organisation ne soient pas communiqués au BIEK et à UPS, en vertu de l’article 116, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement de procédure.

43      Par courrier du 24 mai 2007, le BIEK a émis des objections dans les délais impartis quant à la demande de traitement confidentiel de la requérante relative à la réponse de la Commission et à celle de la République fédérale d’Allemagne.

44      Par ordonnance du 11 juin 2007, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a admis la demande de traitement confidentiel de certaines données chiffrées et de certains documents à l’égard du BIEK et d’UPS et a rejeté la demande de traitement confidentiel pour le surplus.

45      Lors de l’audience, qui s’est déroulée le 13 juin 2007, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal.

46      La procédure orale a été close à l’issue de l’audience du 13 juin 2007. Conformément à l’article 32 du règlement de procédure, un membre de la chambre étant empêché d’assister au délibéré, le juge le moins ancien au sens de l’article 6 du règlement de procédure s’est en conséquence abstenu de participer au délibéré et les délibérations du Tribunal ont été poursuivies par les trois juges dont le présent arrêt porte la signature.

47      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

48      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

49      Le BIEK et UPS concluent à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme non fondé.

 En droit

 Sur les moyens d’annulation

50      À l’appui de son recours, la requérante soulève neuf moyens qui peuvent faire l’objet d’un regroupement.

51      Dans le cadre du premier groupe de moyens, la requérante reproche en substance à la Commission d’avoir violé l’article 87, paragraphe 1, CE et l’article 86, paragraphe 2, CE dans la mesure où cette dernière n’a pas démontré que la DPAG avait bénéficié d’un avantage. Premièrement, la requérante fait valoir que trois des ressources publiques mentionnées dans la décision attaquée ne lui ont conféré aucun avantage. Deuxièmement, elle prétend que la Commission a manqué à son obligation d’examiner si le montant total des transferts opérés par la DB-Telekom excédait le montant total de ses surcoûts nets liés à l’accomplissement de sa mission de SIEG. Troisièmement, elle prétend que la Commission a considéré à tort que les transferts opérés par la DB‑Telekom lui avaient conféré un avantage lui permettant de couvrir les prétendus surcoûts liés à sa politique de vente à perte.

52      Dans le cadre du deuxième groupe de moyens, il est fait grief à la Commission d’avoir commis diverses erreurs manifestes d’appréciation. Premièrement, la requérante reproche à la Commission d’avoir utilisé une méthode de calcul erronée de ses coûts imputables au secteur du colis de porte à porte et d’avoir ainsi conclu à tort qu’elle avait mené une politique de vente à perte. Deuxièmement, elle fait valoir que la Commission a considéré de manière erronée que sa politique tarifaire dans le secteur du colis de porte à porte consistant à offrir des prix inférieurs au tarif unique prévu par la loi serait à l’origine des pertes qu’elle a enregistrées dans le secteur du transport de colis et que ladite pratique ne serait pas liée à l’accomplissement d’un SIEG. Troisièmement, elle reproche à la Commission d’avoir considéré qu’elle ne disposait pas de ressources propres lui permettant de financer sa prétendue politique de vente à perte.

53      Dans le cadre du troisième groupe de moyens, elle reproche à la Commission, premièrement, d’avoir méconnu la notion d’imputabilité des ressources à l’État, deuxièmement, d’avoir violé son obligation de motivation en ne précisant pas par quelles ressources publiques elle aurait bénéficié d’un avantage, troisièmement, d’avoir outrepassé ses pouvoirs en examinant l’efficacité de son service de transport dans le secteur du colis de porte à porte, quatrièmement, d’avoir enfreint le principe de l’investisseur privé et, cinquièmement, d’avoir méconnu son droit d’être entendu.

 Sur le premier groupe de moyens d’annulation, relatif à l’avantage reçu par la DPAG

 Arguments des parties

54      En premier lieu, la requérante fait valoir, dans la requête, que les ressources budgétaires utilisées pour financer la Post‑Unterstützungskasse, les garanties données par la Deutsche Bundespost et les mesures de transformation de la DB-Postdienst en une société anonyme, mentionnées dans la décision attaquée, ne lui ont conféré aucun avantage. À cet égard, la requérante indique, dans la réplique et en réponse aux questions du Tribunal lors de l’audience, avoir pris acte de l’affirmation de la Commission selon laquelle cette dernière a estimé, dans le cadre de la décision attaquée, que seuls les transferts opérés par la DB‑Telekom lui avaient conféré un avantage.

55      En deuxième lieu, concernant les transferts opérés par la DB-Telekom, premièrement, la requérante fait valoir que, en ne calculant pas le montant des surcoûts nets de la DPAG liés à l’accomplissement d’une mission de SIEG, la Commission a violé l’article 87, paragraphe 1, CE et l’article 86, paragraphe 2, CE ainsi que la jurisprudence telle qu’elle ressort de l’arrêt de la Cour du 22 novembre 2001, Ferring (C‑53/00, Rec. p. I‑9067, point 33), et des arrêts du Tribunal du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission (T‑106/95, Rec. p. II‑229, point 101), du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission (T‑67/94, Rec. p. II‑1, point 52), et du 10 mai 2000, SIC/Commission (T‑46/97, Rec. p. II‑2125, point 84), en vertu desquels la Commission ne peut à bon droit conclure à l’existence d’une aide d’État qu’à la condition qu’elle ait préalablement constaté que le montant des ressources publiques versées à une entreprise chargée de l’accomplissement d’un SIEG excède le montant des surcoûts nets liés à l’accomplissement de ce SIEG. À cet égard, la requérante, à laquelle se rallie la République fédérale d’Allemagne, soutient que, si la Commission avait en l’espèce procédé à une telle analyse, elle aurait constaté que, comme il ressortait de l’information fournie à la Commission à sa demande, le montant total de surcoûts nets liés à l’accomplissement de sa mission de SIEG excédait largement le montant des ressources publiques que la DPAG avait reçu.

56      Tout d’abord, la requérante fait valoir que, contrairement à ce qu’affirme la Commission, dans le cadre de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE et de l’article 86, paragraphe 2, CE, cette dernière ne dispose d’aucune marge d’appréciation pour établir l’existence d’une aide d’État, à la différence du large pouvoir d’appréciation dont elle dispose dans le cadre de l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE relatif à l’appréciation de la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun.

57      En outre, la requérante soutient que le BIEK et UPS invoquent à tort que les conditions posées par les arrêts de la Cour Ferring, point 55 supra, et du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, Rec. p. I‑7747, ci-après l’« arrêt Altmark »), ne seraient pas remplies en l’espèce alors que les transferts opérés par la DB-Telekom ne lui ont conféré aucun avantage, dans la mesure où elle avait, dès avant 1995, entièrement restitué à l’État ces sommes en s’acquittant des rétrocessions d’un montant de 11 481 millions de DEM dont la Deutsche Bundespost était redevable envers l’État en vertu de l’article 63, paragraphe 1, du PostVerfG (ci‑après les « rétrocessions »).

58      Deuxièmement, la requérante fait observer que, d’une part, en n’identifiant pas, dans la décision attaquée, le montant des surcoûts nets liés à l’accomplissement de sa mission de SIEG, qui lui avait pourtant été communiqué, et, d’autre part, en ne procédant pas au calcul permettant d’établir si le montant total des transferts opérés par la DB-Telekom excédait ou non le montant total desdits surcoûts, la Commission n’a pas mis le Tribunal en mesure de contrôler la légalité de la décision attaquée. À cet égard, la requérante fait valoir que la Commission n’apporte aucune explication valable justifiant qu’elle n’a pas pu constater l’existence des surcoûts nets liés à l’accomplissement de sa mission de SIEG alors qu’elle disposait de l’ensemble des informations nécessaires à cet égard, qui lui avaient été fournies par la République fédérale d’Allemagne.

59      Troisièmement, la requérante invoque une violation du principe de sécurité juridique résultant du fait que, en ne procédant pas au calcul visant à établir si le montant des ressources publiques qui lui ont été octroyées excédait le montant de ses surcoûts nets liés à l’accomplissement de sa mission de SIEG, la Commission s’est écartée de sa propre pratique décisionnelle.

60      En troisième lieu, la requérante, à laquelle se rallie la République fédérale d’Allemagne, fait valoir que, à supposer même que les transferts opérés par la DB-Telekom lui aient conféré un avantage, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que lesdits transferts lui avaient nécessairement permis de couvrir les prétendus surcoûts générés par sa politique de vente à perte de 1995 à 1999. À cet égard, elle fait valoir que, dès lors que les transferts opérés par la DB‑Telekom ont intégralement servi à compenser ses pertes subies entre 1990 et 1995, il est « mathématiquement » impossible qu’elle ait pu compenser ses prétendus surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte de 1994 à 1999 au moyen desdits transferts.

61      En premier lieu, la Commission rétorque que, dans la mesure où elle a considéré, dans le cadre de la décision attaquée, que seuls étaient pertinents les transferts opérés par la DB-Telekom, l’argument de la requérante selon lequel les autres ressources publiques mentionnées dans la décision attaquée ne lui avaient conféré aucun avantage est incompréhensible.

62      En deuxième lieu, la Commission fait valoir, en substance, qu’elle n’était pas tenue de procéder au calcul visant à établir si le montant des transferts opérés par la DB‑Telekom excédait ou non le montant de l’ensemble de ses surcoûts liés à l’accomplissement de la mission de SIEG de la DPAG. Premièrement, elle considère que, si ce calcul est approprié pour déterminer si une entreprise chargée d’un SIEG a bénéficié d’une surcompensation, d’une part, il aurait été inapproprié en l’espèce, compte tenu des plaintes concernant une distorsion de concurrence que le BIEK et UPS avaient déposées et des soupçons qu’elle pouvait avoir, sur la base desdites plaintes, que la DPAG pourrait surévaluer les surcoûts nets liés à l’accomplissement de sa mission de SIEG. D’autre part, elle estime que ce calcul ne lui aurait permis de déterminer ni s’il existait un lien de causalité entre l’accomplissement d’un SIEG et les surcoûts nets générés par la politique de vente à perte de la DPAG ni si l’État avait exonéré la requérante de la charge desdits surcoûts provoquant de ce fait une distorsion de concurrence.

63      À cet égard, la Commission fait observer que seule était pertinente dans le cadre de la décision attaquée la question de savoir si la requérante avait couvert les surcoûts générés par sa politique de vente à perte, dans le secteur spécifique du colis de porte à porte, au moyen de ses ressources propres ou si elle avait dû faire appel à des ressources publiques. Or, selon la Commission, dès lors que la requérante n’a pas contesté avoir compensé la totalité des déficits enregistrés dans le secteur du transport de colis entre 1994 et 1998 au moyen de ressources publiques et que la Commission a établi que la requérante ne disposait pas de ressources propres suffisantes pour couvrir ses surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte, il est établi que les transferts opérés par la DB‑Telekom ont servi à compenser lesdits surcoûts nets que la DPAG a enregistrés de 1994 à 1999 et qui n’ont aucun lien avec l’accomplissement d’un SIEG.

64      Deuxièmement, la Commission fait valoir que, tout comme dans le cadre de l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE et de l’article 86, paragraphe 2, CE, elle dispose, dans le cadre de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, d’un large pouvoir d’appréciation pour constater l’existence d’une aide d’État lorsqu’elle est en présence de faits économiques complexes. Dans ces conditions, il n’appartiendrait au juge communautaire que de vérifier si la décision attaquée est entachée d’un des motifs d’annulation prévus par l’article 230 CE sans pouvoir substituer son appréciation à celle de l’auteur de la décision. Or, en l’espèce, la requérante se contenterait d’affirmer qu’il existe une autre méthode pour apprécier les faits sans toutefois apporter la preuve que la Commission a dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

65      Troisièmement, la Commission, à laquelle se rallient le BIEK et UPS, fait observer que le calcul visant à établir si le montant total de ressources publiques excède le montant total de surcoûts nets liés à l’accomplissement d’un SIEG présuppose notamment une utilisation conforme des ressources d’État à leur affectation. Or, aucune des conditions posées par la Cour dans ses arrêts Ferring, point 55 supra, et Altmark, point 57 supra, ne serait remplie en l’espèce. De plus, il ressortirait de l’arrêt FFSA e.a./Commission, point 55 supra (points 185 à 189), que le Tribunal a considéré que ce calcul n’était pas obligatoire, mais qu’il était éventuellement suffisant.

66      Quatrièmement, la Commission estime, en réponse à l’argument de la requérante selon lequel elle se serait écartée de sa propre pratique décisionnelle, que la méthode qu’elle a utilisée est conforme à sa communication 2001/C 320/04 concernant l’application aux services publics de radiodiffusion des règles relatives aux aides d’État (JO 2001, C 320, p. 5, point 58) et au point 80 de son « non paper » du 12 novembre 2002 relatif aux services d’intérêt économique général et aux aides d’État, en vertu desquels elle s’est réservé la possibilité d’examiner le lien de causalité existant entre l’accomplissement d’un SIEG et certaines distorsions de concurrence, dès lors que la politique tarifaire d’un prestataire bénéficiant de ressources publiques sur un marché ouvert à la concurrence menaçait de fausser la concurrence.

67      En troisième lieu, la Commission conteste l’argument de la requérante selon lequel celle-ci n’aurait pas établi que les transferts opérés par la DB‑Telekom étaient suffisants, compte tenu de ses pertes subies de 1990 à 1995, pour financer sa politique de vente à perte de 1994 à 1999. En effet, la Commission, à laquelle se rallient le BIEK et UPS, fait valoir que, outre le fait qu’il est impossible, d’un point de vue comptable, de déterminer au moyen de quelles ressources une charge a été couverte, les rétrocessions dont la requérante a dû s’acquitter ne constituaient pas des surcoûts nets de SIEG. Elle considère également que, dans la mesure où la requérante n’a pas apporté la preuve qu’elle avait couvert les prétendus surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte au moyen de ses ressources propres, elle pouvait à bon droit présumer que lesdits surcoûts avaient été couverts au moyen de ressources publiques.

 Appréciation du Tribunal

68      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, CE, « [s]auf dérogations prévues par le […] traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre les États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

69      En outre, aux termes de l’article 86, paragraphe 2, CE, les entreprises chargées de la gestion de SIEG sont soumises aux règles du traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie.

70      Selon une jurisprudence constante, la qualification d’aide d’État requiert que toutes les conditions visées à l’article 87, paragraphe 1, CE soient remplies. L’article 87, paragraphe 1, CE énonce les conditions suivantes. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir arrêt Altmark, point 57 supra, points 74 et 75, et la jurisprudence citée).

71      S’agissant de la troisième condition mentionnée au point précédent, il ressort de la jurisprudence que la notion d’aide d’État est une notion objective, dépendant de la seule question de savoir si une mesure confère ou non un avantage à une ou à certaines entreprises (arrêt Ladbroke Racing/Commission, point 55 supra, point 52).

72      À cet égard, il y a lieu de relever que la Cour a dit pour droit que, dans la mesure où une intervention étatique doit être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’a donc pas pour effet de les placer dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur font concurrence, une telle intervention ne tombe pas sous le coup de l’article 87, paragraphe 1, CE (arrêts de la Cour Altmark, point 57 supra, point 87, et du 27 novembre 2003, Enirisorse, C‑34/01 à C‑38/01, Rec. p. I‑14243, point 31).

73      Pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse échapper à la qualification d’aide d’État, un certain nombre de conditions doivent être réunies (arrêts Altmark, point 57 supra, point 88, et Enirisorse, point 72 supra, point 31). Premièrement, l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies. Deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente, afin d’éviter que la compensation ne comporte un avantage économique susceptible de favoriser l’entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes. Troisièmement, la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations. Quatrièmement, lorsque le choix de l’entreprise à charger de l’exécution d’obligations de service public, dans un cas concret, n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations (arrêt Altmark, point 57 supra, points 89 à 93).

74      Il s’ensuit que, lorsque des ressources d’État ont été octroyées en compensation de surcoûts liés à l’accomplissement d’un SIEG dans les conditions prévues aux points 72 et 73 ci-dessus, la Commission ne saurait, sous peine de priver l’article 86, paragraphe 2, CE de tout effet utile, qualifier d’aide d’État la totalité ou une partie des ressources publiques octroyées si le montant total desdites ressources reste inférieur aux surcoûts engendrés par l’accomplissement de ladite mission de SIEG (voir, en ce sens, arrêt FFSA e.a./Commission, point 55 supra, point 188).

75      Enfin, selon une jurisprudence constante, la Commission est habilitée à adopter une décision sur le fondement des informations disponibles lorsqu’elle est confrontée à un État membre qui ne satisfait pas à son devoir de collaboration et qui s’abstient de lui fournir les informations que celle-ci lui a demandées pour examiner la compatibilité d’une aide avec le marché commun (arrêts de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, C‑301/87, Rec. p. I‑307, point 22, et du 13 avril 1994, Allemagne et Pleuger Worthington/Commission, C‑324/90 et C‑342/90, Rec. p. I‑1173, point 26). Toutefois, avant de prendre une telle décision, la Commission doit respecter certaines exigences procédurales. En particulier, elle doit enjoindre à l’État membre de lui fournir, dans le délai qu’elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de l’aide avec le marché commun. Ce n’est que si l’État membre omet, nonobstant l’injonction de la Commission, de fournir les renseignements sollicités que celle-ci a le pouvoir de mettre fin à la procédure et de prendre la décision constatant la compatibilité ou l’incompatibilité de l’aide avec le marché commun sur la base des éléments dont elle dispose (arrêt France/Commission, précité, points 19 et 22). Ces exigences ont été reprises et concrétisées à l’article 5, paragraphe 2, à l’article 10, paragraphe 3, et à l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1) (arrêt du Tribunal du 19 octobre 2005, Freistaat Thüringen/Commission, T‑318/00, Rec. p. II‑4179, point 73).

76      En premier lieu, il convient de relever que le grief que la requérante soulève dans la requête, selon lequel la Commission a à tort considéré que les mesures publiques autres que les transferts opérés par la DB‑Telekom lui auraient conféré un avantage, est inopérant dès lors que la Commission reconnaît expressément dans le mémoire en défense n’avoir pris en considération que les transferts opérés par la DB-Telekom pour conclure que la DPAG avait bénéficié d’un avantage au moyen de ressources publiques.

77      Partant, ce grief doit être rejeté.

78      En deuxième lieu, concernant le grief de la requérante selon lequel la Commission n’a pas établi qu’elle aurait bénéficié d’un avantage au moyen des transferts opérés par la DB-Telekom, compte tenu de ses surcoûts nets liés à l’accomplissement d’un SIEG, il convient de relever, à titre liminaire, et comme il ressort de la description de la décision attaquée figurant aux points 16 à 29 ci-dessus, que la conclusion de la Commission selon laquelle la DPAG a bénéficié d’un avantage repose sur les constatations suivantes. Premièrement, la Commission a constaté que la requérante avait reçu des transferts opérés par la DB-Telekom d’un montant de 11 081 millions de DEM de 1990 à 1995, transferts que la Commission a considérés comme les seules ressources publiques pertinentes aux fins de la décision attaquée. Deuxièmement, la Commission a indiqué, d’une part, que la requérante avait enregistré des surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte menée de 1994 à 1999 d’un montant de 1 118,7 millions de DEM et, d’autre part, que lesdits surcoûts nets n’étaient pas liés à l’accomplissement d’un SIEG. Troisièmement, la Commission a constaté que la requérante n’avait pas pu couvrir lesdits surcoûts nets d’un montant de 1 118,7 millions de DEM au moyen de ses ressources propres, car elle avait enregistré un déficit total, tous secteurs d’activité confondus, de 1990 à 1998, d’un montant total de 2 289 millions de DEM. La Commission a dès lors conclu, au vu des trois constatations précédentes, que les surcoûts nets générés par la politique de vente à perte de la DPAG pour la période allant de 1994 à 1999 avaient nécessairement été compensés au moyen des transferts opérés par la DB‑Telekom durant la période allant de 1990 à 1995, de telle sorte qu’elle avait bénéficié d’une aide d’État d’un montant de 1 118,7 millions de DEM. À cet égard, il importe de relever que, dans ses réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience, la Commission a indiqué, en substance, qu’elle avait considéré que, dès lors que la requérante n’avait pas apporté la preuve qu’elle avait couvert ses prétendus surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte au moyen d’autres ressources que les transferts opérés par la DB-Telekom, elle pouvait à bon droit présumer que la DPAG avait bénéficié d’une aide d’État à concurrence de 1 118,7 millions de DEM.

79      Partant, il convient d’examiner si, en procédant comme elle l’a fait dans la décision attaquée, la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante avait bénéficié d’un avantage au moyen des transferts opérés par la DB‑Telekom.

80      À cet égard, premièrement, il convient d’observer que, en dépit des informations que la République fédérale d’Allemagne a fournies à la Commission et qui l’ont conduite à relever, au considérant 41 de la décision attaquée, que la République fédérale d’Allemagne soutenait que le segment de la clientèle professionnelle n’était pas exclu du service universel, la Commission ne s’est pas prononcée dans la décision attaquée sur la question de savoir si le secteur du colis de porte à porte constituait un SIEG. En effet, à cet égard, force est de relever que, comme il ressort du point 26 ci-dessus, la Commission a uniquement constaté dans la décision attaquée que la politique tarifaire de la DPAG, consistant à offrir des tarifs inférieurs au tarif unique, entraînait des surcoûts nets qui n’étaient pas liés à l’accomplissement d’un SIEG.

81      En outre, il y a lieu d’observer que la Commission a considéré, d’une part, au considérant 74 de la décision attaquée, qu’« [i]l n’exist[ait …] aucun rapport de cause à effet entre ces surcoûts nets [liés à la politique de vente à perte] et les obligations de service public de [la] DPAG » et, d’autre part, au considérant 73 de la décision attaquée, qu’« [i]l s’av[érait] que [la] DPAG support[ait] des surcoûts nets dont une part minimale n’[était] pas due à l’accomplissement d’obligations de [SIEG] ».

82      Il y a donc lieu de relever que, comme la Commission l’a par ailleurs confirmé dans ses écritures, d’une part, elle n’a pas constaté dans la décision attaquée que les informations que lui avait fournies la République fédérale d’Allemagne selon lesquelles le secteur du colis de porte à porte constituait un SIEG n’étaient pas fondées et, d’autre part, elle a reconnu, à tout le moins implicitement, que la DPAG avait également enregistré, hormis les surcoûts nets qui ont été générés par sa politique de vente à perte, des surcoûts nets qui étaient quant à eux liés à l’accomplissement d’un SIEG (ci-après les « surcoûts nets non contestés »).

83      Deuxièmement, il convient de relever que la Commission indique, d’une part, au considérant 43 de la décision attaquée, que la République fédérale d’Allemagne l’a informée qu’elle avait dû supporter « quinze charges héritées du passé » constituant des surcoûts nets de SIEG et, d’autre part, dans la note en bas de page nº 94 de la décision attaquée, que, « [d]ans sa lettre du 16 septembre 1999 (p. 18), le gouvernement [allemand] désigne par ‘charges héritées du passé’ les coûts spéciaux supportés par la DPAG par rapport aux coûts habituels occasionnés aux entreprises privées dans les conditions normales de marché », étant précisé que, « [d]’après les informations du gouvernement fédéral, ce sont précisément ces charges particulières qui expliquent le déficit mentionné dans la décision d’ouverture de la procédure dans le secteur des colis ». Au considérant 43 de la décision attaquée, la Commission énumère les quinze charges héritées du passé dont la République fédérale d’Allemagne fait état. À cet égard, la Commission relève en particulier, au considérant 45 de la décision attaquée, que, « [d]’après les autorités allemandes, même si la Commission devait estimer que la totalité des services [du transport de colis] fournis au moyen de cette infrastructure ne [pouvai]ent plus être considérés comme des services d’intérêt général, ces charges héritées du passé devraient cependant être considérées comme des ‘coûts d’investissement perdus’ pour des services qui, au moment où l’infrastructure actuelle a été conçue en 1990, étaient incontestablement fournis dans l’intérêt général [annexe 1 à la lettre du gouvernement fédéral du 21 juin 2000] ».

84      Or, à cet égard, il convient de constater que, comme il ressort des points 41 à 52 de la décision d’ouverture de la procédure, la République fédérale d’Allemagne a fourni à la Commission, à sa demande, une liste précise de ses quinze charges héritées du passé, à propos desquelles, d’une part, elle a fourni les raisons pour lesquelles, selon elle, lesdites charges constituaient des surcoûts nets liés à l’accomplissement d’un SIEG et une estimation du montant que chacune de ces charges avait entraîné de 1990 à 1996 et, d’autre part, elle a indiqué que le montant total de ces charges héritées du passé, qui seraient liées à l’accomplissement d’un SIEG, s’élèverait à 20 426 millions de DEM, soit un montant nettement supérieur au montant de 11 081 millions de DEM correspondant aux transferts opérés par la DB-Telekom. À cet égard, force est de constater que la Commission a indiqué, au point 72 de la décision d’ouverture de la procédure, que, si elle « a[vait] des doutes quant au fait que tous les éléments de coûts évoqués dans ce contexte [pouvai]ent réellement être considérés comme afférents à ce type de [SIEG] », elle estimait toutefois que « certains éléments (comme par exemple les livraisons le samedi) [pouvai]ent, dans la mesure où ils [étaie]nt définis et imputés de manière appropriée, en principe, constituer des SIEG ».

85      Troisièmement, il convient de relever que, d’une part, en n’examinant pas et en ne se prononçant pas dans la décision attaquée sur les informations fournies par la République fédérale d’Allemagne selon lesquelles les surcoûts nets non contestés étaient liés à l’accomplissement d’une mission de SIEG et, d’autre part, en n’opérant pas le calcul permettant d’établir si le montant desdits surcoûts excédait le montant des transferts opérés par la DB‑Telekom, la Commission s’est abstenue de vérifier si le montant total des transferts opérés par la DB-Telekom était inférieur au montant total de ses surcoûts nets de SIEG, de telle sorte que lesdits transferts n’auraient conféré aucun avantage à la requérante.

86      À cet égard, il y a lieu de constater que la Commission ne relève ni n’établit dans la décision attaquée que la République fédérale d’Allemagne ou la requérante ne lui ont pas fourni les informations nécessaires pour s’assurer que le montant des transferts opérés par la DB‑Telekom n’excédait pas les surcoûts nets non contestés ni qu’elle n’avait pas eu d’autre choix, compte tenu des informations à sa disposition, que de présumer que le montant des transferts opérés par la DB-Telekom excédait le montant desdits surcoûts non contestés, de telle sorte que les transferts opérés par cette dernière avaient conféré à la requérante un avantage.

87      En outre, il convient également de constater que la Commission n’a avancé, ni dans ses écritures ni à l’audience, aucune raison objective justifiant qu’elle était dans l’impossibilité, compte tenu des informations que la République fédérale d’Allemagne lui avait fournies, de procéder à un tel examen. En effet, à cet égard, force est de constater que la Commission se contente d’expliquer en substance que l’étendue des coûts exceptionnels avancés par la requérante rendait cette analyse difficile, mais non que la République fédérale d’Allemagne ne lui avait pas fourni l’information nécessaire à cet égard de telle sorte qu’elle n’avait pas été en mesure de procéder à une telle analyse.

88      À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de constater que, en s’abstenant de vérifier si le montant des transferts opérés par la DB‑Telekom excédait le montant des surcoûts nets non contestés de DPAG, la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que les transferts opérés par la DB‑Telekom lui avaient conféré un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

89      Cette conclusion ne saurait être infirmée par les arguments avancés par la Commission visant, en substance, à faire valoir, d’une part, qu’elle n’était pas tenue d’établir que le montant des surcoûts nets non contestés n’excédait pas le montant des transferts opérés par la DB-Telekom et, d’autre part, que, pour établir l’existence d’une aide d’État en l’espèce, la méthode à laquelle elle a eu recours était plus appropriée que celle consistant à vérifier si la DPAG avait reçu une surcompensation.

90      Premièrement, concernant l’argument de la Commission selon lequel elle dispose d’une marge d’appréciation dans le choix de la méthode la plus appropriée pour établir l’existence d’une aide d’État, il convient de rappeler que la qualification d’une mesure d’aide d’État, qui, selon le traité, incombe tant à la Commission qu’au juge national, ne saurait, en principe, justifier, en l’absence de circonstances particulières dues notamment à la nature complexe de l’intervention étatique en cause, la reconnaissance d’un large pouvoir d’appréciation à la Commission. En effet, l’appréciation de la pertinence des causes ou des objectifs des interventions étatiques ne relève que de l’examen de la compatibilité éventuelle de ces mesures avec le marché commun, tel que prévu par l’article 87, paragraphe 3, CE (arrêt Ladbroke Racing/Commission, point 55 supra, point 52).

91      Toutefois, il convient également de relever à cet égard que, si le Tribunal a reconnu à la Commission une certaine marge d’appréciation quant à l’adoption de la méthode la plus appropriée afin de s’assurer de l’absence de subvention croisée au profit d’activités concurrentielles (arrêt FFSA e.a./Commission, point 55 supra, point 187), il n’en demeure pas moins que la Commission ne peut, conformément à l’arrêt Altmark, point 57 supra (point 87), qualifier d’aide d’État des ressources étatiques octroyées en compensation de surcoûts liés à l’accomplissement d’un SIEG. Or, en l’espèce, en n’examinant pas si le montant total des transferts opérés par la DB-Telekom excédait le montant total des surcoûts non contestés, la Commission ne pouvait pas présumer, comme il ressort de l’analyse de la décision attaquée au point 78 ci-dessus, que lesdits transferts avaient conféré à la requérante un avantage alors même que la République fédérale d’Allemagne lui avait fourni des informations rendant plausible le fait que le montant total desdits transferts n’excédait pas le montant total des surcoûts nets non contestés.

92      En outre, concernant l’argument de la Commission selon lequel elle n’était tenue que d’examiner si les plaintes du BIEK et d’UPS selon lesquelles la DPAG financerait une politique de vente à perte au moyen de ressources publiques étaient fondées, il convient de rappeler à cet égard que, selon la jurisprudence, la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives aux aides, de procéder à un examen diligent et impartial d’une plainte, ce qui peut rendre nécessaire qu’elle procède à l’examen des éléments qui n’ont pas été expressément invoqués par le plaignant (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 62). De plus, la Commission est tenue de vérifier l’existence d’un réel avantage pour le bénéficiaire d’une aide. Ainsi, en l’espèce, si la Commission était tenue de procéder à un examen diligent et impartial des plaintes déposées par le BIEK et UPS, cela n’impliquait aucunement toutefois, d’une part, qu’elle pouvait ignorer les informations que la République fédérale d’Allemagne lui avaient fournies visant à établir que la requérante n’avait bénéficié d’aucun avantage au moyen de ressources publiques et, d’autre part, qu’elle pouvait à bon droit conclure à l’existence d’une aide d’État sans avoir préalablement vérifié si les ressources publiques que la DPAG avait reçues lui avaient conféré un avantage.

93      Enfin, il convient également de rejeter les arguments de la Commission, ainsi que ceux du BIEK et de UPS, selon lesquels la Commission n’était pas tenue de procéder à l’examen de la question de savoir si le montant total des transferts opérés par la DB‑Telekom excédait le montant total des surcoûts nets liés à l’accomplissement d’un SIEG supportés par la requérante, dans la mesure où les conditions prévues par la Cour dans les arrêts Ferring, point 55 supra, et Altmark, point 57 supra, ne seraient pas remplies en l’espèce.

94      En effet, comme il a été exposé au point 81 ci-dessus, où il a été relevé que la Commission s’était contentée de constater dans la décision attaquée que les surcoûts nets générés par la politique de vente à perte de la DPAG ne pouvaient pas faire l’objet d’une compensation, elle n’a ni vérifié ni établi que la requérante n’avait pas enregistré d’autres surcoûts nets liés à l’accomplissement d’un SIEG pour lesquels elle était en droit de prétendre à une compensation au moyen de la totalité des transferts opérés par la DB-Telekom dans les conditions prévues par l’arrêt Altmark, point 57 supra (points 89 à 95).

95      Or, dans la mesure où la Commission n’a opéré aucun examen ni aucune appréciation à cet égard, il n’appartient pas au juge communautaire de se substituer à la Commission en effectuant à sa place un examen auquel elle n’a procédé à aucun moment et en supputant les conclusions auxquelles elle serait parvenue au terme de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 septembre 2004, Valmont/Commission, T‑274/01, Rec. p. II‑3145, point 136).

96      Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir le grief de la requérante selon lequel la Commission a violé l’article 87, paragraphe 1, CE en considérant que les transferts opérés par la DB-Telekom lui avaient conféré un avantage.

97      Toutefois, le Tribunal estime opportun d’examiner également, à titre surabondant, le grief de la requérante selon lequel, indépendamment de la question de savoir si le montant des transferts opérés par la DB-Telekom excédait le montant de ses surcoûts nets non contestés, la Commission aurait, en tout état de cause, conclu à tort que les transferts opérés par la DB‑Telekom d’un montant de 11 081 millions de DEM lui auraient permis, compte tenu des pertes qu’elle avait enregistrées de 1990 à 1995, de couvrir les prétendus surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte de 1994 à 1999 d’un montant de 1 118,7 millions de DEM.

98      À cet égard, il convient de constater à titre liminaire que, en vertu de l’article 63, paragraphe 1, du PostVerfG, la Deutsche Bundespost était tenue de s’acquitter de rétrocessions auprès de l’État allemand de 1990 à 1995 à concurrence d’un pourcentage décroissant de ses revenusd’exploitation. Si les parties s’opposent sur la question de savoir si ces rétrocessions constituaient ou non des surcoûts nets de SIEG, la Commission ne conteste pas que ces rétrocessions ont été acquittées par les entreprises issues de la scission de la Deutsche Bundespost et que, dans ce contexte, la requérante a dû s’acquitter d’un montant de 11 418 millions de DEM de 1990 à 1995.

99      En l’espèce, la requérante prétend que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que les transferts opérés par la DB-Telekom de 1990 à 1995 d’un montant de 11 418 millions de DEM lui avaient permis de couvrir les prétendus surcoûts nets d’un montant de 1 118,7 millions de DEM que sa politique de vente à perte de 1994 à 1999 aurait engendrés alors même que lesdits transferts avaient intégralement servis à compenser ses pertes subies de 1990 à 1995 qui résultaient notamment de son obligation de s’acquitter des rétrocessions.

100    La Commission rétorque en substance que, dans la mesure où la requérante n’a pas apporté la preuve que les surcoûts nets liés à sa politique de vente à perte avaient été financés au moyen de ses ressources propres, elle pouvait valablement présumer que les transferts opérés par la DB‑Telekom lui avaient permis de financer lesdits surcoûts.

101    À cet égard, il convient de relever que les parties s’accordent à dire que, d’un point de vue comptable, toute ressource peut financer toute charge. Or, s’il appartient à la Commission d’établir que des ressources publiques ont conféré un avantage à leur bénéficiaire, comme il ressort de l’arrêt Altmark, point 57 supra (point 75), il est indifférent à cet égard que la Commission établisse à quelles charges elle a affecté le montant des ressources publiques qui ont été octroyées à la requérante.

102    Toutefois, dans la mesure où la Commission a subordonné en l’espèce, comme il ressort du point 78 ci-dessus, sa démonstration de l’existence d’un avantage conféré à la DPAG au moyen de ressources publiques au fait que les prétendus surcoûts nets de la DPAG liés à sa politique de vente à perte avaient nécessairement dû être couverts, à concurrence de 1 118,7 millions de DEM, au moyen des transferts opérés par la DB‑Telekom, il y a lieu d’examiner si, compte tenu des pertes de la DPAG subies de 1990 à 1994 et de 1990 à 1995, lesdits transferts versés durant cette période s’avéraient suffisants pour couvrir également les surcoûts nets liés à sa politique de vente à perte enregistrés de 1994 à 1999.

103    Or, la Commission a estimé, au considérant 88 de la décision attaquée, que les prétendus surcoûts nets enregistrés par la DPAG liés à sa politique de vente à perte s’étaient élevés aux montants suivants :

Années

1994

1995

1996

1997

1998

1999

Total 1994 ‑ 1999

Surcoûts liés à la vente à perte (Mio. de DEM)

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

1 118,7


104    En outre, comme il ressort des informations fournies par la République fédérale d’Allemagne, que la Commission ne conteste pas, la DPAG a enregistré, durant les périodes allant de 1990 à 1994 et de 1990 à 1995, les résultats opérationnels (hors les transferts opérés par la DB‑Telekom et hors les rétrocessions versées) et les résultats définitifs (y compris les transferts opérés par la DB‑Telekom et les rétrocessions versées), suivants (communication de la République fédérale d’Allemagne du 31 janvier 2002 et annexe 11 A de la communication de la République fédérale d’Allemagne du 10 mars 2000) :

Années

1990

1991

1992

1993

1994

Total 1990-1994

1995

Total 1990-1995

Secteur réservé

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

Secteur colis

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

Secteur journaux

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

Solde opérationnel

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

[conf.]

-4 331

[conf.]

-4 945

Transferts opérés par la DB-Telekom

1 495

2 031

1 310

726

0

5 562

5 519

11 081

Rétrocessions

- 1 651

- 1 982

- 2 100

- 2 182

- 2 190

- 10 104

- 1 314

- 11 418

Solde transferts/ rétrocession

     

- 4 552

 

- 337

Résultat définitif (Mio. de DEM)

     

- 8 883

 

- 5 282


105    À la lumière du tableau figurant au point 104 ci-dessus, tout d’abord, il y a lieu de relever que, même s’il est vrai que la requérante a reçu, de 1990 à 1994, la somme de 5 562 millions de DEM à titre de transferts opérés par la DB‑Telekom et qu’elle a enregistré en 1994 des surcoûts liés à sa politique de vente à perte d’un montant de [confidentiel] millions de DEM (tableau figurant au point 103 ci-dessus), le déficit définitif qu’elle a enregistré de 1990 à 1994, tous secteurs d’activité confondus, était de 8 883 millions de DEM. Ce déficit définitif pour la période allant de 1990 à 1994 correspond, en effet, aux pertes opérationnelles de la DPAG d’un montant de 4 331 millions de DEM, aggravées par le paiement des rétrocessions d’un montant de 10 104 millions de DEM, qui ont été compensées en partie par les transferts d’un montant de 5 562 millions de DEM opérés par la DB‑Telekom.

106    Dans ces conditions, force est de constater que l’octroi des transferts opérés par la DB‑Telekom entre 1990 et 1994 d’un montant de 5 562 millions de DEM ne permettait pas à la requérante, compte tenu de ses pertes opérationnelles subies de 1990 à 1994, d’un montant de 4 331 millions de DEM, et des rétrocessions dont elle avait dû s’acquitter durant cette période, d’un montant de 10 104 millions de DEM, soit un montant total de pertes de 14 435 millions de DEM, de couvrir ses prétendus surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte de 1994 à 1999, d’un montant de 1 118,7 millions de DEM.

107    Ensuite, dans la mesure où la requérante a reçu les transferts opérés par la DB‑Telekom jusqu’en 1995, il convient également de constater que, même s’il est vrai que la requérante a reçu, de 1990 à 1995, 11 081 millions de DEM, à titre de transferts opérés par la DB‑Telekom, elle a enregistré durant ladite période un déficit définitif, tous secteurs d’activité confondus, de 5 282 millions de DEM. Ce déficit définitif pour la période allant de 1990 à 1995 correspond, en effet, aux pertes opérationnelles de la DPAG d’un montant de 4 945 millions de DEM, aggravées par le paiement des rétrocessions d’un montant de 11 418 millions de DEM, qui ont été compensées en partie par les transferts opérés par la DB‑Telekom d’un montant de 11 081 millions de DEM.

108    Dans ces conditions, force est de constater que l’octroi des transferts opérés par la DB-Telekom entre 1990 et 1995, d’un montant de 11 081 millions de DEM, ne permettait pas à la DPAG, compte tenu de ses pertes opérationnelles subies de 1990 à 1995, d’un montant de 4 945 millions de DEM, et des rétrocessions dont elle avait dû s’acquitter, d’un montant de 11 418 millions de DEM, soit un montant total de pertes de 16 363 millions de DEM, de couvrir ses prétendus surcoûts générés par sa politique de vente à perte enregistrés de 1994 à 1999, d’un montant de 1 118,7 millions de DEM.

109    Il convient donc de constater que la démonstration de la Commission selon laquelle la requérante a bénéficié d’un avantage de 1 118,7 millions de DEM, dans la mesure où seuls les transferts opérés par la DB‑Telekom auraient pu financer les prétendus surcoûts générés par sa politique de vente à perte, est invalidée par la conclusion que les pertes définitives de la DPAG subies de 1990 à 1994 ou de 1990 à 1995 étaient d’un montant tel que les transferts opérés par la DB-Telekom s’avéraient insuffisants pour couvrir les prétendus surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte de 1994 à 1999.

110    Il y a donc lieu d’accueillir le présent grief de la requérante.

111    Partant, il y a lieu d’annuler la décision attaquée sans qu’il soit nécessaire de vérifier si le présent grief implique que la décision attaquée est également entachée d’un défaut de motivation au sens de l’article 253 CE (voir point 58 ci-dessus), ni d’examiner les autres griefs et moyens soulevés par la requérante.

 Sur les dépens

112    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

113    Conformément à l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. La République fédérale d’Allemagne, qui n’a pas déposé de mémoire en intervention, supportera ses propres dépens en application de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, dudit règlement.

114    En vertu de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante, autre que les États membres, les États parties à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), les institutions et l’autorité de surveillance de l’Association européenne de libre échange (AELE), supportera ses propres dépens. Le BIEK et UPS, parties intervenantes, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision 2002/753/CE de la Commission, du 19 juin 2002, concernant des mesures prises par la République fédérale d’Allemagne en faveur de la Deutsche Post AG est annulée.

2)      La Commission supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Deutsche Post.

3)      La République fédérale d’Allemagne, le Bundesverband Internationaler Express- und Kurierdienste eV (BIEK) et UPS Europe NV/SA supporteront leurs propres dépens.

Jaeger

Tiili

Azizi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er juillet 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’allemand.


1 – Données confidentielles occultées.