Language of document : ECLI:EU:C:2006:608

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

28 septembre 2006 (*)

«Manquement d’État – Articles 56, paragraphe 1, CE et 43 CE – Actions spécifiques (‘golden shares’) de l’État néerlandais dans les sociétés KPN et TPG – Délimitation des notions de ‘participation de contrôle’, d’‘investissement direct’ et d’‘investissement de portefeuille’ dans le contexte des libertés fondamentales – ‘Mesure étatique’ au sens des libertés fondamentales – Garantie du service postal universel»

Dans les affaires jointes C-282/04 et C-283/04,

ayant pour objet des recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduits respectivement les 30 juin et 1er juillet 2004,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. H. Støvlbæk, A. Nijenhuis et S. Noë, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes H. G. Sevenster, J. van Bakel et M. M. de Grave, en qualité d’agents,

partie défenderesse,


LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, M. K. Schiemann, Mme N. Colneric, MM. K. Lenaerts et E. Juhász, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 avril 2006,

rend le présent

Arrêt

1        Par ses requêtes, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en maintenant dans les statuts de Koninklijke KPN NV et de TPG NV certaines dispositions prévoyant que le capital de ces sociétés comporte une action spécifique détenue par l’État néerlandais, qui confère à ce dernier des droits spéciaux d’approbation de certaines décisions des organes compétents desdites sociétés, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 56 CE et 43 CE.

 Le cadre juridique

2        En vertu de l’article 2:8 du code civil néerlandais (Burgerlijk Wetboek, ci-après le «Burgerlijk Wetboek»), l’exercice des droits dont dispose le détenteur d’une action spécifique est régi par les principes de raison et d’équité. Aux termes de cette disposition:

«1.       Une personne morale ainsi que ceux ou celles impliqués dans son organisation en vertu de la loi ou des statuts doivent se comporter les uns envers les autres conformément aux exigences des principes de raison et d’équité.

2.       Une règle applicable entre eux en vertu de la loi, de l’usage, des statuts, des règlements ou d’un décret est dénuée d’effets dans la mesure où, compte tenu des circonstances, cela serait inacceptable eu égard aux critères découlant de la raison et de l’équité.»

3        L’article 2:92 du Burgerlijk Wetboek prévoit:

«1.       Sauf disposition contraire dans les statuts, toutes les actions confèrent les mêmes droits et obligations en proportion de leur valeur nominale.

[…]

3.       Les statuts peuvent prévoir que certaines actions confèrent les droits spéciaux y décrits concernant le contrôle de la société.»

 Les faits et la procédure précontentieuse

4        En 1989, l’entreprise d’État néerlandaise en charge de la poste, de la télégraphie et de la téléphonie a été transformée en une société anonyme, dénommée Koninklijke PTT Nederland NV (ci-après «PTT»).

5        À l’occasion de la privatisation partielle de PTT, par la vente, en 1994, d’une première tranche d’actions représentant 30 % de son capital, puis, en 1995, d’une seconde tranche d’actions représentant 20 % de ce dernier, les statuts de cette entreprise ont été modifiés afin d’introduire une action spécifique, dite «golden share», au profit de l’État néerlandais.

6        En 1998, PTT a été scindée en deux sociétés autonomes, à savoir Koninklijke KPN NV (ci-après «KPN») pour les services de télécommunication et TNT Post Groep NV, devenue par la suite TPG NV (ci-après «TPG»), pour les services postaux.

7        Lors de cette scission, l’action spécifique que détenait l’État néerlandais dans PTT a été modifiée afin de faire bénéficier ledit État d’une action spécifique dans chacune des deux nouvelles sociétés (ci-après les «actions spécifiques en cause»).

8        En principe, l’État néerlandais pourrait céder les actions spécifiques qu’il détient à la société concernée ou à un autre acquéreur. Dans ce dernier cas, le transfert devrait, en vertu de l’article 17 des statuts de KPN et de TPG, être approuvé par le comité de gestion et le conseil de surveillance de ladite société.

9        Les actions spécifiques en cause font bénéficier l’État néerlandais de droits spéciaux d’approbation préalable des décisions des organes de ces deux sociétés portant sur les points suivants:

–        l’émission d’actions de la société (article 12, paragraphes 1, 2 et 4, des statuts de KPN et de TPG);

–        la limitation ou la suppression du droit de préférence des détenteurs d’actions ordinaires (article 13, paragraphe 3, des statuts de KPN et de TPG);

–        l’acquisition ou la cession, par la société, d’actions propres représentant plus de 1 % du capital souscrit en actions ordinaires (article 15, paragraphe 3, des statuts de KPN et de TPG);

–        le retrait de l’action spécifique (article 16, paragraphe 3, des statuts de KPN et de TPG) ;

–        l’exercice du droit de vote attaché aux actions détenues dans KPN Telecom BV ou dans PTT Post Holdings BV (ou dans une autre personne morale au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la loi sur la poste [Postwet]) portant sur des propositions de dissolution, de fusion ou de scission, d’acquisition d’actions propres et de modifications des statuts relatives aux pouvoirs de l’assemblée générale de ces sociétés dans les domaines mentionnés précédemment [article 25, paragraphe 3, sous a), des statuts de KPN et de TPG];

–        des investissements entraînant une baisse des fonds propres de la société, selon son bilan consolidé, au-dessous de 30 % des actifs totaux de KPN [article 25, paragraphe 3, sous b), des statuts de KPN] ou bien de 15 % des actifs totaux de TPG [article 25, paragraphe 3, sous b), des statuts de TPG];

–        la distribution de dividendes en actions de la société et/ou à charge des réserves (article 36 des statuts de KPN et de TPG);

–        la fusion ou la scission [article 47, paragraphe 2, sous a), des statuts de KPN et de TPG];

–        la dissolution de la société [article 47, paragraphe 2, sous b), des statuts de KPN et de TPG];

–        la modification des statuts de la société [article 47, paragraphe 2, sous c), des statuts de KPN et de TPG] visant notamment:

–        l’objet social de celle-ci, pour autant qu’elle porte sur l’exécution de concessions ou d’autorisations;

–        le capital social et les types d’actions de la société, s’il s’agit de créer un nouveau type d’actions, de coupons ou d’autres droits sociaux sur le résultat et/ou le patrimoine de la société ou de supprimer l’action spécifique ou les actions préférentielles B;

–        la cession de l’action spécifique, et

–        la modification des droits attachés à l’action spécifique en vertu des articles 12, 13, 15, paragraphe 3, 25, paragraphe 3, 36 et 47, paragraphe 2, des statuts de KPN et de TPG, ainsi que,

–        d’une manière générale, toute modification qui porte préjudice, porte atteinte ou est contraire aux droits liés à l’action spécifique.

10      Dans les «Afspraken op Hoofdlijnen KPN en TPG» (convention avec KPN et TPG), l’État néerlandais s’est engagé, d’une part, à utiliser l’action spécifique détenue dans KPN uniquement si ses intérêts d’actionnaire important le requièrent et, d’autre part, à utiliser celle détenue dans TPG uniquement dans la même hypothèse ou si la protection de l’intérêt général lié à la garantie du service postal universel le requiert. Ledit État s’est également engagé à ne pas utiliser les droits qu’il tire de ces actions spécifiques pour protéger les sociétés concernées contre un changement de contrôle non désiré.

11      Entre 1998 et le terme du délai imparti dans l’avis motivé, soit le 6 avril 2003, la participation ordinaire de l’État néerlandais a été progressivement ramenée à environ 20 % dans KPN et à 35 % dans TPG.

12      Après avoir mis le Royaume des Pays-Bas en mesure de présenter ses observations, la Commission a adressé à cet État membre, le 6 février 2003, deux avis motivés relevant que les actions spécifiques détenues par l’État néerlandais dans les sociétés KPN et TPG lui semblaient incompatibles avec les articles 56, paragraphe 1, CE et 43 CE. La Commission a imparti audit État membre un délai de deux mois pour adopter les mesures requises afin de se conformer aux avis motivés. N’étant pas satisfaite des réponses apportées par le gouvernement néerlandais dans ses lettres du 28 avril 2003, la Commission a introduit les présents recours.

13      Par ordonnance du président de la première chambre du 23 novembre 2005, les affaires C-282/04 et C-283/04 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Sur les recours

14      À l’appui de chacun de ses recours, la Commission invoque deux griefs tirés, en substance, d’une violation des articles 56, paragraphe 1, CE et 43 CE, au motif que le Royaume des Pays-Bas détient les deux actions spécifiques en cause dans les sociétés KPN et TPG lui réservant des droits spéciaux d’approbation préalable de certaines décisions de gestion des organes de ces deux sociétés.

 Sur les griefs tirés d’une violation de l’article 56, paragraphe 1, CE

 Argumentation des parties

15      La Commission fait valoir que les actions spécifiques en cause constituent des entraves à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE et que les droits spéciaux attachés à ces actions, même dans la mesure où ces dernières visent la protection de l’intérêt général, sont, en tout état de cause, disproportionnés.

16      Le gouvernement néerlandais rétorque que lesdites actions ne constituent pas des entraves à la libre circulation des capitaux. Elles ne pourraient être qualifiées de ‘mesures étatiques’ tombant dans le champ d’application de l’article 56, paragraphe 1, CE. En outre, elles auraient une incidence non pas sur l’acquisition d’actions dans les sociétés en question, mais seulement sur certaines décisions relatives à la gestion de ces dernières. Elles ne seraient pas susceptibles de dissuader les investisseurs d’acquérir des parts dans ces sociétés et n’auraient, dans les faits, nullement découragé les investissements. D’ailleurs, même si un lien devait être établi entre les actions spécifiques en cause et la décision d’investissement, un tel lien serait si aléatoire et indirect qu’il ne pourrait être considéré comme constituant une entrave à la libre circulation des capitaux.

17      À titre subsidiaire, ce gouvernement fait valoir que l’action spécifique détenue dans TPG est, en tout état de cause, justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, à savoir la garantie du service postal universel.

 Appréciation de la Cour

–        Sur l’existence d’entraves

18      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 56, paragraphe 1, CE interdit de façon générale les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 4 juin 2002, Commission/France, C‑483/99, Rec. p. I-4781, points 35 et 40, et du 13 mai 2003, Commission/Royaume-Uni, C‑98/01, Rec. p. I-4641, points 38 et 43).

19      En l’absence, dans le traité CE, de définition de la notion de «mouvements de capitaux» au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE, la Cour a précédemment reconnu une valeur indicative à la nomenclature annexée à la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité [article abrogé par le traité d’Amsterdam] (JO L 178, p. 5). Constituent dès lors des mouvements de capitaux au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE notamment les investissements directs sous forme de participation à une entreprise par la détention d’actions qui confère la possibilité de participer effectivement à sa gestion et à son contrôle (investissements dits «directs») ainsi que l’acquisition de titres sur le marché des capitaux effectuée dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise (investissements dits «de portefeuille») (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 1999, Trummer et Mayer, C-222/97, Rec. p. I-1661, point 21, et arrêts précités Commission/France, points 36 et 37, ainsi que Commission/Royaume‑Uni, points 39 et 40).

20      S’agissant de ces deux formes d’investissements, la Cour a précisé que doivent être qualifiées de «restrictions» au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE des mesures nationales qui sont susceptibles d’empêcher ou de limiter l’acquisition d’actions dans les entreprises concernées ou qui sont susceptibles de dissuader les investisseurs des autres États membres d’investir dans le capital de celles-ci (voir, en ce sens, notamment, arrêts Commission/France, précité, point 41; du 2 juin 2005, Commission/Italie, C‑174/04, Rec. p. I-4933, points 30 et 31, ainsi que du 19 janvier 2006, Bouanich, C‑265/04, Rec. p. I-923, points 34 et 35).

21      En l’espèce, il y a lieu de constater que les actions spécifiques en cause constituent des restrictions à la libre circulation de capitaux prévue à l’article 56, paragraphe 1, CE.

22      En effet, il convient tout d’abord de relever que l’introduction des actions spécifiques en cause dans les statuts de KPN et de TPG résulte de décisions prises par l’État néerlandais lors de la privatisation de ces deux sociétés en vue de s’assurer le maintien d’un certain nombre de droits statutaires spéciaux. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient le gouvernement néerlandais, il y a lieu de qualifier lesdites actions de mesures étatiques tombant dans le champ d’application de l’article 56, paragraphe 1, CE.

23      Ensuite, il convient de constater que les actions spécifiques en cause sont susceptibles de dissuader les investisseurs des autres États membres d’effectuer des investissements dans KPN et dans TPG.

24      En effet, en vertu de ces actions spécifiques, une série de décisions de gestion très importantes des organes de KPN et de TPG, concernant tant les activités de ces deux sociétés que leur structure même (notamment, les questions de fusion, de scission ou de dissolution), dépendent d’une approbation préalable par l’État néerlandais. Ainsi, comme l’a relevé à juste titre la Commission, d’une part, ces actions spécifiques accordent à l’État néerlandais une influence sur la gestion de KPN et de TPG, qui n’est pas justifiée par l’ampleur de son investissement et qui est sensiblement plus importante que celle que sa participation ordinaire dans ces sociétés lui permettrait normalement d’obtenir. D’autre part, lesdites actions limitent l’influence des autres actionnaires par rapport à l’importance de leur participation dans KPN et dans TPG.

25      En outre, ces actions spécifiques ne peuvent être retirées qu’avec l’accord de l’État néerlandais.

26      En soumettant des décisions d’une telle importance à l’approbation préalable de l’État néerlandais et en limitant ainsi la possibilité pour les autres actionnaires de participer effectivement à la gestion de la société concernée, l’existence desdites actions peut avoir une influence négative sur les investissements directs.

27      De même, les actions spécifiques en cause peuvent avoir un effet dissuasif sur les investissements de portefeuille dans KPN et dans TPG. Un éventuel refus de l’État néerlandais d’approuver une décision importante, présentée par les organes de la société concernée comme répondant à l’intérêt de celle-ci, est, en effet, susceptible de peser sur la valeur (boursière) des actions de ladite société et, partant, sur l’attrait d’un investissement dans de tels actions.

28      Ainsi, le risque de voir l’État néerlandais exercer ses droits spéciaux afin de poursuivre des intérêts qui ne concordent pas avec les intérêts économiques de la société concernée pourrait décourager des investissements directs ou de portefeuille dans celle-ci.

29      Enfin, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que soutient le gouvernement néerlandais, ces effets restrictifs ne sont ni trop aléatoires ni trop indirects pour constituer une entrave à la libre circulation des capitaux.

30      En effet, il ne peut être exclu que, dans certaines circonstances particulières, l’État néerlandais exerce ses droits spéciaux afin de défendre des intérêts généraux, éventuellement contraires aux intérêts économiques de la société concernée. Les actions spécifiques en cause comportent ainsi le risque réel que des décisions, préconisées par les organes de ces sociétés comme répondant aux intérêts économiques de ces dernières, soient bloquées par ledit État.

31      Compte tenu de ce qui précède, les actions spécifiques en cause constituent des restrictions au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE.

–        Sur une éventuelle justification des entraves

32      La libre circulation des capitaux peut cependant être limitée par des mesures nationales justifiées par les raisons mentionnées à l’article 58 CE ou par des raisons impérieuses d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2004, Manninen, C‑319/02, Rec. p. I-7477, point 29), pour autant qu’il n’existe pas de mesure communautaire d’harmonisation prévoyant des mesures nécessaires pour assurer la protection de ces intérêts (voir, en ce sens, dans le contexte de la libre prestation des services, arrêt du 15 juin 2006, Commission/France, C‑255/04, non encore publié au Recueil, point 43 et jurisprudence citée).

33      À défaut d’une telle harmonisation communautaire, il appartient, en principe, aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de tels intérêts légitimes ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint. Ils ne peuvent cependant le faire que dans les limites tracées par le traité et, en particulier, dans le respect du principe de proportionnalité, qui exige que les mesures adoptées soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2002, Commission/Belgique, C‑503/99, Rec. p. I‑4809, point 45).

34      En l’espèce, il convient donc, afin d’apprécier le bien-fondé des griefs invoqués par la Commission, d’examiner si les actions spécifiques en cause, impliquant des droits spéciaux d’approbation préalable de certaines décisions de gestion des organes de KPN et de TPG, peuvent être justifiées au regard de l’une des raisons visées au point 32 du présent arrêt et si ces mesures sont proportionnées aux objectifs recherchés.

35      S’agissant de l’action spécifique détenue dans KPN, le gouvernement néerlandais n’invoque aucun objectif d’intérêt général pouvant servir de justification.

36      Dans ces conditions, le premier grief invoqué dans l’affaire C-282/04, tiré d’une violation de l’article 56, paragraphe 1, CE, doit être accueilli.

37      S’agissant de l’action spécifique détenue dans TPG, le gouvernement néerlandais fait valoir que celle-ci est nécessaire pour garantir le service postal universel, et plus particulièrement pour protéger la solvabilité et la continuité de TPG, qui est la seule entreprise actuellement en mesure aux Pays-Bas d’assurer ce service universel au niveau requis par la loi.

38      À cet égard, il convient de relever que la garantie d’un service d’intérêt général, tel que le service postal universel, peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général qui pourrait justifier une entrave à la libre circulation des capitaux (voir, par analogie, arrêt du 20 juin 2002, Radiosistemi, C‑388/00 et C‑429/00, Rec. p. I‑5845, point 44).

39      Toutefois, l’action spécifique en cause va au-delà de ce qui est nécessaire pour sauvegarder la solvabilité et la continuité du prestataire du service postal universel.

40      En effet, ainsi que l’a observé à juste titre M. l’avocat général aux points 38 et 39 de ses conclusions, il convient de constater, d’une part, que les droits spéciaux détenus par l’État néerlandais dans TPG ne se limitent pas aux activités de cette dernière en tant que prestataire du service postal universel. D’autre part, l’exercice de ces droits spéciaux ne repose sur aucun critère précis et ne doit pas être motivé, ce qui rend impossible tout contrôle juridictionnel effectif.

41      Eu égard à tout ce qui précède, le premier grief invoqué dans l’affaire C-283/04, tiré d’une violation de l’article 56, paragraphe 1, CE, doit être accueilli.

 Sur les griefs tirés d’une violation de l’article 43 CE

42      La Commission demande également que soit constaté un manquement aux obligations qui incombent au Royaume des Pays-Bas en vertu de l’article 43 CE, relatif à la liberté d’établissement, au motif que les actions spécifiques en cause n’entravent pas seulement les investissements directs et de portefeuille dans KPN ou dans TPG, mais sont également susceptibles de gêner des prises de participation de contrôle dans ces deux sociétés, donc des investissements qui confèrent une influence certaine sur la gestion et le contrôle de ces dernières (voir, à cet égard, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2002, Überseering, C‑208/00, Rec. p. I-9919, point 77 et jurisprudence citée).

43      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 41 de ses conclusions, dans la mesure où les actions spécifiques en cause entraînent des restrictions à la liberté d’établissement, de telles restrictions sont la conséquence directe des obstacles à la libre circulation des capitaux examinés ci-dessus, dont elles sont indissociables. Dès lors, une violation de l’article 56, paragraphe 1, CE ayant été constatée, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les mesures en cause à la lumière des règles du traité relatives à la liberté d’établissement (voir, notamment, arrêt du 13 mai 2003, Commission/Espagne, C‑463/00, Rec. p. I-4581, point 86).

44      Compte tenu de tout ce qui précède, il convient de constater que, en maintenant dans les statuts de KPN et de TPG certaines dispositions, prévoyant que le capital de ces sociétés comporte une action spécifique détenue par l’État néerlandais, qui confère à ce dernier des droits spéciaux d’approbation de certaines décisions de gestion des organes desdites sociétés, qui ne sont pas limités aux cas où l’intervention de cet État est nécessaire pour des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par la Cour et, dans le cas de TPG notamment pour assurer le maintien du service postal universel, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56, paragraphe 1, CE.

 Sur les dépens

45      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume des Pays-Bas et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      En maintenant dans les statuts de Koninklijke KPN NV et de TPG NV certaines dispositions, prévoyant que le capital de ces sociétés comporte une action spécifique détenue par l’État néerlandais, qui confère à ce dernier des droits spéciaux d’approbation de certaines décisions de gestion des organes desdites sociétés, qui ne sont pas limités aux cas où l’intervention de cet État est nécessaire pour des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par la Cour et, dans le cas de TPG NV notamment pour assurer le maintien du service postal universel, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56, paragraphe 1, CE.

2)      Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.