Language of document : ECLI:EU:C:2013:884

ORDONNANCE DE LA COUR (troisième chambre)

12 septembre 2013 (*)

«Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Pourvoi manifestement non fondé – Article 263, sixième alinéa, TFUE – Délai de recours»

Dans l’affaire C‑616/12 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 21 décembre 2012,

Ellinika Nafpigeia AE, établie à Skaramagkas (Grèce),

2. Hoern Beteiligungs GmbH, établie à Kiel (Allemagne),

représentées par Mes K. Chrysogonos et A. Kaïdatzis, dikigoroi,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. M. Konstantinidis et B. Stromsky, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, MM. E. Jarašiūnas, A. Ó Caoimh, Mme C. Toader et M. C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par leur pourvoi, l’entreprise de construction navale Ellinika Nafpigeia AE (ci‑après «EN») ainsi que son principal actionnaire, 2. Hoern Beteiligungs GmbH (ci-après «Hoern»), demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 19 octobre 2012, Ellinika Nafpigeia et Hoern/Commission (T‑466/11, ci-après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle ce dernier a rejeté comme irrecevable leur recours tendant à l’annulation de la lettre C (2010) 8274 final de la Commission, du 1er décembre 2010, relative à l’«Aide d’État CR 16/2004 – exécution de la décision négative et récupération des aides d’État accordées à la société [Ellinika Nafpigeia AE] – invocation par la Grèce de l’article 346, paragraphe 1, sous b), TFUE et procédure au titre de l’article 348, paragraphe 1, TFUE» (ci-après la «lettre litigieuse»), telle que complétée par les documents et les autres éléments du dossier.

 Les antécédents du litige

2        Le 2 juillet 2008, la Commission des Communautés européennes a adopté la décision 2009/610/CE concernant les aides C 16/04 (ex NN 29/04, CP 71/02 et CP 133/05) octroyées par la Grèce à l’entreprise Hellenic Shipyards SA (JO 2009, L 225, p. 104). Cette décision ordonnait la récupération des aides identifiées comme ayant été octroyées irrégulièrement à EN ou utilisées abusivement par celle-ci (ci-après la «décision du 2 juillet 2008»).

3        Le 15 septembre 2008, EN a introduit devant le Tribunal un recours en annulation partielle contre la décision du 2 juillet 2008. Son recours a été rejeté par l’arrêt du Tribunal du 15 mars 2012, Ellinika Nafpigeia/Commission (T‑391/08). EN a introduit un pourvoi contre cet arrêt, qui a été rejeté par la Cour aux termes de son arrêt du 28 février 2013, Ellinika Nafpigeia/Commission (C‑246/12 P).

4        Le 30 janvier 2009, le gouvernement hellénique a envoyé à la Commission une lettre dans laquelle il s’est prévalu de l’article 296 CE (devenu article 346 TFUE), afin que l’application de la décision du 2 juillet 2008 ne compromette pas la capacité d’EN de produire du matériel militaire. À la suite de l’envoi de cette lettre, des négociations ont eu lieu entre la Commission et les autorités helléniques, conformément à l’article 348 TFUE. Au cours de la phase finale de ces négociations, le ministère des Finances grec a, le 29 octobre 2010, envoyé un plan de récupération des aides, fondé notamment sur des documents transmis audit ministère par EN le 27 octobre 2010.

5        Le 1er décembre 2010, la Commission a adressé à la République hellénique la lettre litigieuse, aux termes de laquelle cette institution indiquait notamment ce qui suit:

«13.      La Commission tient compte du fait que la [République hellénique] se prévaut de l’exception prévue à l’article 346 TFUE.

14.      La Commission tient également compte des engagements de la [République hellénique] convenus dans le cadre de la procédure prévue à l’article 348, premier alinéa, TFUE, et décrits en détail dans la lettre de la [République hellénique] du 29 octobre 2010 et dans la lettre adressée par [EN] à la [République hellénique] le 27 octobre 2010 [...].

15.      La Commission estime que, dans l’hypothèse d’une application complète dans les délais imposés, les mesures et les engagements proposés constitueront une application définitive, viable et complète de la décision [du 2 juillet 2008]».

6        Par télécopie du 13 décembre 2010, le ministère des Finances grec a communiqué la lettre litigieuse à EN.

7        Considérant que cette lettre n’était pas suffisamment claire et précise, EN a demandé à ce ministère de lui donner accès à tous les documents et éléments du dossier relatifs à l’application de la décision du 2 juillet 2008. Une demande formelle en ce sens a été déposée audit ministère le 30 mai 2011 et, le même jour, EN et Hoern ont également demandé à la Commission de leur donner accès auxdits documents et éléments.

8        Le ministère des Finances grec a communiqué un certain nombre des documents demandés par EN dans le courant du mois de juin 2011, faisant partiellement droit à la demande d’accès formulée par cette société. Le 13 juillet 2013, la Commission a, quant à elle, partiellement fait droit à la demande de même nature qui lui avait été également présentée par EN.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 août 2011, EN et Hoern ont demandé l’annulation de la lettre litigieuse, «telle que complétée par les documents et les autres éléments du dossier».

10      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 6 décembre 2011, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal.

11      Les requérantes ont déposé leurs observations concernant l’exception d’irrecevabilité le 16 janvier 2012.

12      Par l’ordonnance attaquée, prise en application de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier a, sans ouvrir la procédure orale, rejeté le recours comme irrecevable.

13      Le Tribunal a constaté, aux points 21 à 23 de l’ordonnance attaquée, que les requérantes n’avaient pas identifié «les documents et les autres éléments du dossier» qui avaient, selon elles, complété la lettre litigieuse et que, partant, leur recours était irrecevable en application de l’article 44, paragraphe 1, sous c), de son règlement de procédure, faute de définition de l’objet du litige.

14      Le Tribunal a également constaté, aux points 24 à 26 de ladite ordonnance, ce qui suit:

«24      À titre surabondant, il y a lieu de relever que, s’agissant de la partie de la décision attaquée qui a été identifiée dans la requête, à savoir la lettre [litigieuse], le recours est en toute hypothèse irrecevable, car tardif. Les requérantes reconnaissent que, le 13 décembre 2010, le ministère des Finances grec a transmis cette lettre par télécopie à [EN]. Les requérantes admettent donc en avoir pris connaissance à cette date.

25      Aux termes de l’article 263, [sixième alinéa], TFUE, un recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois, à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance. Ce délai est augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours en vertu de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure.

26      Il en résulte que le délai pour introduire un recours en annulation contre la lettre [litigieuse] a expiré le 23 février 2011. Or, le recours a été introduit le 23 août 2011.»

 Les conclusions des parties devant la Cour

15      Les requérantes demandent à la Cour:

–        d’annuler l’ordonnance attaquée et de faire droit au recours introduit en première instance;

–        de condamner la Commission aux dépens exposés par les requérantes dans le cadre des deux instances.

16      La Commission demande à la Cour:

–        de rejeter le pourvoi;

–        de condamner les requérantes aux dépens.

 Sur le pourvoi

17      En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsqu’un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter totalement ou partiellement ce pourvoi par voie d’ordonnance motivée, et ce sans ouvrir la procédure orale.

18      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent pourvoi.

19      En l’occurrence, les requérantes ont soulevé quatre moyens à l’appui de leur pourvoi. Par le premier moyen, elles reprochent au Tribunal d’avoir modifié l’objet du litige en interprétant erronément la requête. Le deuxième moyen est tiré d’une méconnaissance par le Tribunal de l’article 44, paragraphe 1, de son règlement de procédure. Le troisième moyen est tiré d’une violation de l’article 263, sixième alinéa, TFUE ainsi que du principe de protection juridictionnelle effective, et le quatrième moyen est tiré du rejet erroné de demandes de mesures d’organisation de la procédure et d’instruction.

20      Il convient d’examiner d’emblée le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 263, sixième alinéa, TFUE et du principe de protection juridictionnelle effective.

21      Les requérantes estiment que la lettre litigieuse, que la Commission a adressée à la République hellénique à l’issue de l’examen visé à l’article 348, premier alinéa, TFUE, est une décision au sens de l’article 288 TFUE.

22      Or, à supposer que cette qualification soit correcte et que les requérantes aient qualité à agir en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, leur recours devant le Tribunal, pour pouvoir être en tout état de cause recevable, aurait dû, aux termes de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, être formé «dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance».

23      S’agissant de ce délai, il ressort du pourvoi que les requérantes ne contestent pas que, en date du 13 décembre 2010, elles ont pris connaissance du texte de la lettre litigieuse.

24      Elles ne contestent pas non plus que, si cette date du 13 décembre 2010 devait, ainsi que l’a constaté le Tribunal, être considérée comme constituant le point de départ du délai de recours visé à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, leur recours, introduit le 23 août 2011, serait irrecevable car tardif.

25      Par ailleurs, les requérantes n’ont nullement fait valoir que la lettre litigieuse est un acte préparatoire. Bien au contraire, elles soulignent dans leur pourvoi que cette lettre entraîne des effets de droit et constitue par conséquent une décision.

26      L’erreur de droit dont l’ordonnance attaquée serait entachée résiderait dans le fait que c’est à tort que le Tribunal a retenu la date du 13 décembre 2010 en tant que point de départ du délai de recours, dès lors que la lettre litigieuse n’était, à cette date, pas suffisamment claire et précise pour permettre d’en saisir la portée exacte et pour connaître les motifs qui sous-tendaient la décision qu’elle contenait. Quand bien même il faudrait considérer qu’une prise de connaissance du texte de cette lettre est intervenue, celle-ci a, selon les requérantes, été incomplète eu égard à l’absence d’une motivation suffisante.

27      Dès lors, en qualifiant la prise de connaissance de ladite lettre le 13 décembre 2010 de «connaissance» au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, le Tribunal aurait méconnu cette disposition du traité FUE ainsi que le principe de protection juridictionnelle effective. Les requérantes estiment que le délai de recours ne peut commencer à courir qu’à partir du moment où l’ensemble des documents et des éléments du dossier, et ainsi des motifs de la décision de la Commission, leur sont connus. Par conséquent, loin d’être tardive, l’introduction de leur recours devant le Tribunal aurait été prématurée, ce qui serait cependant permis.

28      Ces arguments doivent être écartés comme étant manifestement non fondés. Les requérantes confondent, en réalité, la circonstance qu’un acte faisant grief est adopté et devient – pourvu qu’il ait fait l’objet d’une publication, d’une notification ou d’une prise de connaissance – attaquable avec la question de savoir si cet acte est entaché d’un vice susceptible de conduire à son annulation, tel qu’un défaut de motivation ou d’accès au dossier.

29      En effet, le défaut ou l’insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles visée à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE (voir, notamment, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 67; du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, Rec. p. I‑4951, point 174, ainsi que du 11 avril 2013, Mindo/Commission, C‑652/11 P, non encore publié au Recueil, point 30). Pareillement, un défaut d’accès au dossier peut constituer un vice procédural et entraîner l’annulation d’une décision (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑109/10 P, non encore publié au Recueil, point 55 et jurisprudence citée).Il ressort ainsi de la jurisprudence que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le prétendu manque de clarté ou de motivation d’un acte, tout comme le prétendu vice procédural tiré d’un défaut d’accès au dossier, relève du contrôle de légalité de cet acte, et non de l’identification du point de départ du délai de recours.

30      Souscrire à l’argumentation des requérantes, selon laquelle le délai de recours ne prend cours qu’à partir de la divulgation de documents et d’éléments permettant, à leurs yeux, de mieux comprendre la portée exacte et les motifs de la décision, serait incompatible avec la finalité de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, qui consiste à sauvegarder la sécurité juridique en évitant la remise en cause indéfinie des actes de l’Union entraînant des effets de droit (voir en ce sens, notamment, arrêts du 22 octobre 2002, National Farmers’ Union, C‑241/01, Rec. p. I‑9079, point 34; du 11 novembre 2010, Transportes Evaristo Molina/Commission, C‑36/09 P, point 37, ainsi que du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil, C‑478/11 P à C‑482/11 P, non encore publié au Recueil, point 62). Compte tenu de cette finalité, de même que du libellé de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, le point de départ du délai de recours doit être fixé d’une manière objective, sur le fondement de la connaissance acquise de la décision telle qu’adoptée, sans prise en compte d’éléments subjectifs, tels que des affirmations portant sur des prétendus vices dont cette décision serait entachée.

31      En fixant le point de départ du délai de recours de manière objective, le Tribunal n’a pas non plus violé le principe de protection juridictionnelle effective. Il s’est, en effet, limité à faire respecter ce délai de recours qui constitue, pour les raisons de sécurité juridique rappelées précédemment, une limitation inhérente au droit d’accès au juge.

32      Le troisième moyen du pourvoi étant manifestement non fondé et aucun autre moyen n’ayant été invoqué contre la constatation, par le Tribunal, du caractère tardif du recours, le dispositif de l’ordonnance attaquée demeure en tout état de cause légalement justifié par les motifs exposés aux points 24 à 26 de ladite ordonnance. Le caractère tardif du recours ayant pour conséquence que, en tout état de cause et ainsi que l’a retenu le Tribunal, ce recours ne devait pas être examiné par lui au fond, les premier, deuxième et quatrième moyens, tirés respectivement d’une lecture erronée de la requête, d’une application erronée de l’article 44 du règlement de procédure du Tribunal et d’un rejet erroné de demandes de mesures d’organisation de la procédure et d’instruction, sont inopérants.

33      Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le pourvoi comme manifestement non fondé.

 Sur les dépens

34      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Ellinika Nafpigeia AE et 2. Hoern Beteiligungs GmbH sont condamnées à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Signatures


* Langue de procédure: le grec.