Language of document : ECLI:EU:C:2010:684

ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

16 novembre 2010 (*)

«Pourvoi – Concurrence − Décision de la Commission relative à une procédure d’application de l’article 81 CE − Recours en annulation – Délai − Recours tardif – Raisons pouvant justifier une dérogation au délai de recours – Droit d’accès à un tribunal – Principes de légalité et de proportionnalité – Pourvoi manifestement non fondé»

Dans l’affaire C‑73/10 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 février 2010,

Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert GmbH & Co. KG, établie à Hambourg (Allemagne), représentée par Me A. Rinne, Rechtsanwalt, MM. S. Kon et C. Humpe, solicitors, ainsi que par M. C. Vajda, QC,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. M. Kellerbauer et A. Biolan, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. K. Schiemann, président de chambre, Mmes C. Toader et A. Prechal (rapporteur), juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. A. Calot Escobar,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert GmbH & Co. KG demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 novembre 2009, Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Commission (T‑2/09, ci-après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté comme manifestement irrecevable son recours tendant à l’annulation de la décision C(2008) 5955 final de la Commission, du 15 octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE (affaire COMP/39.188 – Bananes) (ci-après la «décision litigieuse»), au motif que ce recours a été introduit hors délai.

 Les antécédents du litige et la procédure devant le Tribunal

2        La requérante est une société en commandite de droit allemand.

3        Le 21 octobre 2008, elle s’est vu notifier la décision litigieuse, par laquelle la Commission des Communautés européennes a constaté que plusieurs entreprises, parmi lesquelles la requérante, ont enfreint l’article 81 CE en participant à une pratique concertée portant sur la coordination, dans une partie du marché commun, des prix de référence des bananes et a infligé des amendes auxdites entreprises.

4        Fresh Del Monte Produce Inc. (ci-après «Del Monte») a été condamnée conjointement et solidairement avec la requérante au paiement de l’amende infligée à cette dernière, en raison du fait que, au cours de la période pendant laquelle la requérante a participé à l’infraction, Del Monte exerçait une influence décisive sur elle. Par requête déposée le 31 décembre 2008, Del Monte a introduit un recours en annulation contre la décision litigieuse devant le Tribunal. Dans cette affaire, actuellement pendante, la requérante a été admise à intervenir au soutien de Del Monte par ordonnance du 17 février 2010, Fresh Del Monte Produce/Commission (T‑587/08).

5        Par télécopie parvenue au greffe du Tribunal le 2 janvier 2009, la requérante a transmis une copie d’une requête tendant à l’annulation de la décision litigieuse, dont l’original a été déposé audit greffe le 9 janvier suivant.

6        Ayant été informée, par lettre du greffier du Tribunal du 4 février 2009, que son recours n’avait pas été formé dans le délai prévu à l’article 230 CE, la requérante a, par lettre du 20 février suivant, déposé des observations sur le caractère tardif du dépôt de sa requête et a demandé qu’il soit dérogé audit délai.

7        La requérante a fait valoir à cet égard que le dépôt tardif de ladite requête résultait d’une interprétation erronée du règlement de procédure du Tribunal par ses représentants. Plus précisément, elle a fourni, en annexe à ses observations, le témoignage de l’un de ses représentants, selon lequel trois collaborateurs de ce dernier ont estimé de bonne foi que le délai de recours expirait, selon une lecture combinée de l’article 101, paragraphes 1, sous a), et 2, ainsi que de l’article 102, paragraphe 2, dudit règlement, le 2 janvier 2009.

8        La requérante a également avancé plusieurs arguments qui justifieraient que, nonobstant le dépôt tardif de sa requête, le Tribunal déclare le recours recevable.

9        Ainsi, tout d’abord, elle a fait valoir qu’elle subirait, en cas d’irrecevabilité du recours, une injustice et un préjudice important.

10      Ensuite, elle a invoqué que le délai aurait à peine été dépassé et qu’il existerait une explication au dépôt tardif de sa requête. En outre, selon la requérante, la recevabilité du recours n’entraînerait aucune atteinte notable au principe de sécurité juridique et ne porterait pas préjudice à la Commission.

11      Enfin, la requérante a soutenu que, en tout état de cause, le principe de proportionnalité et le droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), l’emporteraient sur le principe de sécurité juridique, ce qui aurait, notamment, été reconnu dans le droit de la procédure pénale en Allemagne et au Royaume-Uni.

 L’ordonnance attaquée

12      Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable au motif qu’il n’avait pas été introduit dans le délai prescrit.

13      Le Tribunal a tout d’abord confirmé, aux points 10 à 17 de cette ordonnance, le caractère tardif du recours, après avoir constaté que, en vertu de l’article 230, cinquième alinéa, CE, de l’article 101, paragraphes 1, sous a) et b), et 2, ainsi que de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le délai pour introduire ledit recours avait commencé à courir le 22 octobre 2008 et expiré le 31 décembre 2008 à minuit, compte tenu du délai de distance.

14      Le Tribunal a ensuite rejeté, aux points 20 à 23 de l’ordonnance attaquée, l’argumentation de la requérante visant à justifier le dépôt tardif de sa requête.

15      En premier lieu, le Tribunal a rappelé, audit point 20, que, selon la jurisprudence de la Cour, il ne peut être dérogé à l’application des réglementations communautaires concernant les délais de procédure que dans des circonstances, tout à fait exceptionnelles, de cas fortuit ou de force majeure, conformément à l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour, étant donné que l’application stricte de ces règles répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice.

16      Le Tribunal a relevé au point 21 de l’ordonnance attaquée, d’une part, que la requérante n’avait, en l’espèce, ni établi ni même invoqué l’existence d’un cas fortuit ou d’un cas de force majeure. D’autre part, le Tribunal a jugé que, pour autant que, en invoquant l’interprétation incorrecte des dispositions du règlement de procédure du Tribunal par ses représentants, la requérante entendait se prévaloir d’une erreur excusable qui justifierait une dérogation à l’application de la réglementation relative aux délais applicable en l’espèce, cette réglementation ne présente pas, selon la jurisprudence, de difficulté d’interprétation particulière, de sorte que l’existence d’une erreur excusable de la part de la requérante qui justifierait une dérogation à l’application de ladite réglementation ne saurait être reconnue.

17      En deuxième lieu, le Tribunal a rappelé, au point 22 de l’ordonnance attaquée, qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que, en l’absence de précision expresse, l’ordre juridique communautaire n’entend pas, en principe, définir ses qualifications en s’inspirant d’un ou de plusieurs ordres juridiques nationaux et en a conclu qu’il convenait d’écarter les arguments tirés par la requérante du droit de la procédure pénale en Allemagne et au Royaume-Uni.

18      En troisième lieu, au point 23 de l’ordonnance attaquée, dans la mesure où la requérante se prévalait du droit à une protection juridictionnelle effective, le Tribunal a jugé que ce droit avait été adéquatement protégé par la possibilité, pour la requérante, d’introduire un recours contre l’acte lui faisant grief dans le délai prévu par l’article 230 CE et n’est nullement affecté par l’application stricte des réglementations communautaires concernant les délais de procédure. Le Tribunal en a conclu que ni le droit d’accès à un tribunal ni le principe de proportionnalité ne justifiaient de déroger audit délai au vu des circonstances prétendument exceptionnelles invoquées en l’espèce.

 Les conclusions des parties

19      Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour:

–        d’annuler l’ordonnance attaquée;

–        de déclarer recevable le recours en annulation qu’elle a introduit contre la décision litigieuse et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, ou

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que soit examinée la recevabilité dudit recours.

20      La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

21      En vertu de l’article 119 du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’un pourvoi est manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, celle-ci peut, à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, rejeter ce pourvoi par voie d’ordonnance motivée, sans ouvrir la procédure orale.

22      En l’espèce, la Cour s’estime suffisamment éclairée par les pièces du dossier pour rejeter le pourvoi comme manifestement non fondé par voie d’une telle ordonnance motivée.

 Argumentation des parties

23      La requérante fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant, au point 20 de l’ordonnance attaquée, qu’il ne peut être dérogé à l’application de la réglementation de l’Union concernant les délais de procédure que dans des circonstances, tout à fait exceptionnelles, de cas fortuit ou de force majeure.

24      Selon la requérante, une telle approche est indûment restrictive et ne tient pas compte, ou du moins pas adéquatement, de l’importance du droit d’accès à un juge dans la procédure pénale, du principe de légalité de la procédure pénale, du principe de proportionnalité ainsi que de la nécessité prépondérante d’éviter un résultat injuste.

25      S’agissant, en premier lieu, du droit fondamental d’accès à un tribunal, la requérante fait valoir que les amendes considérables infligées pour un comportement collusoire contraire aux règles de la concurrence concernent des accusations pénales au sens de l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH. Elle se réfère à cet égard à l’arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C‑199/92 P, Rec. p. I-4287, points 149 et 150), ainsi qu’à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006 (Recueil des arrêts et décisions 2006-XIII, § 43).

26      Ce droit fondamental constituerait un principe général du droit de l’Union, par référence, notamment, à l’arrêt du 22 septembre 1998, Coote (C‑185/97, Rec. p. I‑5199, point 21 et jurisprudence citée), qui aurait d’ailleurs été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000 (JO C 364, p. 1).

27      En deuxième lieu, la requérante soutient que le principe de sécurité juridique et le principe de protection de la confiance légitime ne peuvent s’appliquer de manière absolue, le principe de sécurité juridique devant coexister et s’appliquer en harmonie avec le principe de légalité. Un équilibre devrait être assuré entre ces principes et, dans certaines circonstances, le principe de légalité devrait primer, ainsi qu’en témoignerait la jurisprudence, la requérante invoquant à cet égard les arrêts du 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité (42/59 et 49/59, Rec. p. 101, p. 159); du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e.a. (205/82 à 215/82, Rec. p. 2633), ainsi que du 23 octobre 2007, Pologne/Conseil (C‑273/04, Rec. p. I‑8925).

28      En troisième lieu, le principe de proportionnalité exigerait qu’une mesure soit appropriée et nécessaire à la réalisation de l’objectif visé et n’impose pas au particulier une charge excessive par rapport à cet objectif.

29      Pour ce qui concerne tout d’abord le droit fondamental d’accès à un juge, le Tribunal aurait omis de prendre en compte le caractère pénal de l’amende, alors que la pleine et effective protection de ce droit dans des procédures pénales serait essentielle.

30      Ensuite, le Tribunal n’aurait pas expliqué pourquoi le principe de proportionnalité n’entre pas en considération pour justifier une dérogation aux règles relatives aux délais de procédure. Sur ce point, l’ordonnance attaquée serait en outre, et plus fondamentalement, entachée d’une erreur de droit en raison d’une application incorrecte dudit principe.

31      Enfin, le Tribunal aurait erronément omis de prendre en considération plusieurs éléments dont il devait tenir compte aux fins de l’application du principe de proportionnalité. Il s’agirait, notamment, de la circonstance que, par son recours en annulation, la requérante contestait une sanction pénale considérable, que le dépassement du délai de recours devant le Tribunal n’était que d’un seul jour et que l’impact sur la requérante et le préjudice subi par celle-ci en cas d’irrecevabilité du recours pour dépassement du délai est sans proportion avec les effets qu’une décision déclarant le recours recevable aurait sur la Commission.

32      La Commission se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, en particulier à l’arrêt Jussila c. Finlande, précité, dont il découlerait que:

–        pour apprécier si une sanction est pénale et, partant, si l’accusation est «pénale» au sens de l’article 6 de la CEDH, il y a lieu de recourir à trois critères, à savoir la qualification de la sanction dans l’État concerné, la nature de l’infraction et la sévérité de la sanction;

–        les sanctions qui relèvent du «noyau dur» du droit pénal en raison de leur qualification en droit national (premier critère) doivent être distinguées d’une autre catégorie de sanctions qui ne peuvent être considérées comme «pénales» qu’au regard des deuxième et troisième critères;

–        les amendes en matière de concurrence relèvent de cette dernière catégorie de sanctions pénales, et ne font donc pas partie du «noyau dur» du droit pénal, de sorte que les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6 de la CEDH ne doivent pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur.

33      Conformément au droit de l’Union, les sanctions infligées en vertu des règles du droit de la concurrence de l’Union n’auraient aucun caractère pénal.

34      La Commission soutient en outre que la prétendue flexibilité en matière de délais dont feraient preuve certains systèmes nationaux ne saurait donner lieu à la reconnaissance d’un principe général de droit de l’Union.

35      Elle considère par ailleurs que la requérante a bénéficié du droit d’accès à un tribunal comme tout autre société frappée d’une amende infligée en vertu du droit de la concurrence de l’Union. Le non-respect des délais conditionnant l’exercice de ce droit serait une question distincte et serait dû à une faute de la requérante, qu’elle ait ou non été commise de bonne foi.

36      Pour ce qui concerne le principe de proportionnalité, la Commission soutient que, en l’espèce, il n’a pas été indûment porté atteinte au droit d’accès à un tribunal du fait de l’application des règles relatives aux délais.

37      Ces règles seraient d’application depuis longtemps et la jurisprudence établirait qu’elles ne présentent pas de difficulté particulière. En l’espèce, il ne saurait être utilement allégué, selon la Commission, que l’erreur commise «de bonne foi» dans le calcul des délais de recours constitue une erreur excusable.

38      Le Tribunal aurait pleinement respecté le principe de proportionnalité en appliquant l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour, qui, en ce qu’il prévoit des dérogations auxdits délais dans des circonstances exceptionnelles, permet d’assurer le respect de ce principe.

39      De plus, l’observation des délais de procédure ne saurait dépendre de facteurs tels l’importance du montant de l’amende infligée ou les ressources financières du contrevenant. Le droit dont dispose la requérante de réclamer des dommages-intérêts à ses représentants ôterait d’ailleurs largement leur pertinence à ces facteurs.

40      Enfin, la Commission relève que, dès lors que Del Monte a soulevé, dans le cadre de la procédure qu’elle a introduite devant le Tribunal, des moyens par lesquels elle remet notamment en cause la participation de la requérante à l’infraction concernée, et puisque la requérante a été admise à y intervenir, le Tribunal sera amené à examiner la plupart des parties de la décision litigieuse qui la concernent. Or, s’il devait annuler ces parties de la décision litigieuse, la Commission estime qu’elle pourra en tirer des conséquences par rapport à la requérante, bien qu’elle n’y serait pas légalement tenue.

 Appréciation de la Cour

41      Selon une jurisprudence constante, il ne peut être dérogé à l’application de la réglementation de l’Union concernant les délais de procédure que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, de cas fortuit ou de force majeure, conformément à l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour, étant donné que l’application stricte de ces règles répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (voir, notamment, ordonnances du 18 janvier 2005, Zuazaga Meabe/OHMI, C-325/03 P, Rec. p. I‑403, point 16, ainsi que du 3 juillet 2008, Pitsiorlas/Conseil et BCE, C‑84/08 P, point 14 et jurisprudence citée).

42      Il ressort également de la jurisprudence que, dans le cadre de la réglementation de l’Union relative aux délais de recours, la notion d’erreur excusable, permettant d’y déroger, ne vise que des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’un opérateur normalement averti (voir, notamment, ordonnance du 14 janvier 2010, SGAE/Commission, C‑112/09 P, non encore publiée au Recueil, point 20 et jurisprudence citée).

43      Devant le Tribunal, la requérante n’a pas fait valoir que le dépassement du délai pouvait être justifié par une circonstance devant être qualifiée de cas fortuit ou de cas de force majeure.

44      Dans son pourvoi, la requérante ne fait pas non plus expressément grief au Tribunal d’avoir refusé, au point 21 de l’ordonnance attaquée, de reconnaître l’existence d’une erreur excusable dans son chef.

45      À cet égard, il peut en tout état de cause être relevé que, dans une affaire relative à une décision de la Commission imposant une amende au titre de l’article 81 CE et où une erreur de computation des délais de recours analogue à celle en cause dans la présente affaire avait été commise, la Cour a refusé de retenir l’existence d’une erreur excusable, jugeant notamment que le libellé de l’article 101, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement de procédure du Tribunal est clair et ne présente pas de difficulté d’interprétation particulière (ordonnance SGAE/Commission, précitée, point 24).

46      La requérante soutient en revanche que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu’il ne saurait être dérogé à l’application de la réglementation de l’Union concernant les délais de procédure dans des circonstances autres que celles relevant de cas fortuit ou de la force majeure.

47      La requérante considère qu’une dérogation à cette réglementation devrait également être permise aux titres du droit fondamental d’accès à un juge, du principe de légalité et du principe de proportionnalité ainsi qu’en raison de la nécessité prépondérante d’éviter un résultat injuste. Une telle dérogation s’imposerait surtout dès lors que le recours en cause concerne une décision de la Commission imposant une amende substantielle qui devrait être qualifiée de pénale, de sorte que la requérante ferait l’objet d’une accusation pénale au sens de l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH.

48      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le principe établi par l’article 6 de la CEDH, à savoir assurer à toute personne un procès équitable, et reconnu dans l’ordre juridique de l’Union ne fait pas obstacle à ce qu’un délai pour l’introduction d’un recours en justice soit prévu (arrêt du 1er avril 1987, Dufay/Parlement, 257/85, Rec. p. 1561, point 10).

49      La Cour a également jugé que le droit à une protection juridictionnelle effective n’est nullement affecté par l’application stricte de la réglementation de l’Union concernant les délais de procédure, laquelle, selon une jurisprudence constante, répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (ordonnance du 17 mai 2002, Allemagne/Parlement et Conseil, C-406/01, Rec. p. I‑4561, point 20 et jurisprudence citée).

50      Il ressort en outre de la jurisprudence qu’une dérogation à ladite réglementation ne saurait être justifiée par la circonstance que des droits fondamentaux sont en jeu. En effet, les règles concernant les délais de recours sont d’ordre public et doivent être appliquées par le juge de manière à assurer la sécurité juridique ainsi que l’égalité des justiciables devant la loi (arrêt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, Rec. p. I‑439, point 101).

51      La requérante soutient que, dans chaque cas de dépassement d’un délai de procédure concernant un recours contre une décision infligeant une amende substantielle en raison d’une infraction aux règles du droit de la concurrence, le droit à une protection juridictionnelle effective ainsi que les principes de légalité et de proportionnalité nécessitent que le juge de l’Union mette en balance, d’une part, l’importance du dépassement de ce délai et la mesure dans laquelle l’objectif qui sous-tend ledit délai est affecté par ce dépassement et, d’autre part, les conséquences pour le requérant du rejet du recours en raison de son caractère tardif.

52      Or, une telle dérogation au cas par cas, si elle pouvait être mise en œuvre par le juge de l’Union nonobstant le fait, rappelé au point 50 de la présente ordonnance, que les règles concernant les délais de recours sont d’ordre public, serait difficilement conciliable avec l’objectif de la réglementation de l’Union en matière de délais de recours, à savoir rencontrer l’exigence de sécurité juridique et la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice.

53      En tout état de cause, sans qu’il soit besoin d’examiner si une amende telle que celle imposée à la requérante par la décision litigieuse revêt un caractère pénal au sens de l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, il y a lieu de relever que le droit à un tribunal, dont le droit d’accès à un tribunal constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même. Enfin, elles doivent tendre à un but légitime et il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Cour eur. D. H., arrêt Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, § 44).

54      Il convient également d’observer que les justiciables doivent s’attendre à ce que la réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours soit appliquée dès lors que celle-ci vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de sécurité juridique. Toutefois, cette réglementation ou l’application qui en est faite ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d’une voie de recours disponible (Cour eur. D. H., arrêt Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, précité, § 45).

55      Or, il ne saurait être soutenu que la réglementation de l’Union relative aux délais de procédure et son application en l’espèce aient empêché la requérante de se prévaloir de la voie de recours disponible contre la décision litigieuse.

56      En effet, si le délai de deux mois en cause constitue, certes, une limitation au droit d’accès à un tribunal, cette limitation ne constitue manifestement pas une atteinte à la substance même de ce droit, ce d’autant que, comme il a déjà été relevé au point 45 de la présente ordonnance, les règles relatives à la computation de ce délai, dont celles en cause dans la présente affaire, sont claires et ne présentent pas de difficulté d’interprétation particulière.

57      Est également pertinente dans ce contexte, la circonstance que, en l’espèce, le dépassement du délai de recours est uniquement dû à une erreur commise par le conseil de la requérante, qui, ainsi qu’il a été relevé au point 45 de la présente ordonnance, ne peut être considérée comme une erreur excusable qui permettrait de déroger aux règles relatives aux délais de recours.

58      Il en va de même du fait, relevé au point 41 de la présente ordonnance, que des dérogations sont également prévues en cas de dépassement d’un tel délai dans des circonstances de cas fortuit et de force majeure.

59      Il en découle que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 23 de l’ordonnance attaquée, que le droit à une protection juridictionnelle effective a été adéquatement protégé par la possibilité pour la requérante d’introduire un recours contre l’acte lui faisant grief dans le délai prévu à l’article 230 CE et que ce droit n’est nullement affecté par l’application stricte des réglementations communautaires concernant les délais de procédure. C’est donc également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal en a conclu, au même point, que ni le droit d’accès à un tribunal ni le principe de proportionnalité ne justifient de déroger au délai de recours au vu des circonstances invoquées.

60      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le pourvoi comme manifestement non fondé.

 Sur les dépens

61      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert GmbH & Co. KG est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.