Language of document : ECLI:EU:C:2005:593

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 octobre 2005 (*)

«Directive 88/378/CEE – Jouets – Directive 91/338/CEE – Teneur en cadmium maximale autorisée»

Dans l’affaire C-9/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décision du 23 décembre 2003, parvenue à la Cour le 12 janvier 2004, dans la procédure pénale contre

Geharo BV,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Lenaerts (rapporteur), Mme N. Colneric, MM. K. Schiemann et E. Levits, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–       pour Geharo BV, par Mes C. J. van Bavel et R. Bosman, advocaten,

–       pour le gouvernement grec, par M. M. Apessos et Mmes M. Papida et M. Tassopoulou, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement néerlandais, par Mmes J. van Bakel et H. G. Sevenster, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement suédois, par M. A. Kruse et Mme K. Norman, en qualité d’agents,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par Mme F. Simonetti et M. R. Troosters, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 juillet 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’annexe II, titre II, point 3, de la directive 88/378/CEE du Conseil, du 3 mai 1988, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la sécurité des jouets (JO L 187, p. 1), et de l’article 1er de la directive 91/338/CEE du Conseil, du 18 juin 1991, portant dixième modification de la directive 76/769/CEE concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la limitation de la mise sur le marché et de l’emploi de certaines substances et préparations dangereuses (JO L 186, p. 59).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée devant le Hoge Raad der Nederlanden contre Geharo BV (ci-après «Geharo») pour avoir détenu en stock des jouets comportant une teneur en cadmium supérieure à la teneur maximale autorisée par la législation néerlandaise.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3       La directive 88/378 a pour objet, d’une part, d’éliminer les obstacles aux échanges entre les États membres en établissant des normes harmonisées relatives aux conditions de sécurité des jouets et, d’autre part, d’assurer une protection efficace du consommateur, notamment de l’enfant, contre les risques liés à l’utilisation de ces jouets.

4       À cette fin, cette directive dispose, à son article 2, paragraphe 1, que «[l]es jouets ne peuvent être mis sur le marché que s’ils ne compromettent pas la sécurité et/ou la santé des utilisateurs ou des tiers lorsqu’ils sont utilisés conformément à leur destination ou qu’il en est fait un usage prévisible, compte tenu du comportement habituel des enfants.»

5       L’article 3 de cette même directive prévoit que «[l]es États membres prennent toutes mesures utiles pour que les jouets ne puissent être mis sur le marché que s’ils répondent aux exigences essentielles de sécurité énoncées à l’annexe II.»

6       Cette annexe II, intitulée «Exigences essentielles pour les jouets», prévoit, à son titre II, point 3, 1:

«Les jouets doivent être conçus et fabriqués de manière à ne pas présenter […] de risques pour la santé ou de blessures par ingestion, inhalation ou contact avec la peau, les muqueuses ou les yeux.

En tout cas, ils doivent respecter les législations communautaires appropriées relatives à certaines catégories de produits ou visant l’interdiction, la limitation d’usage ou l’étiquetage de certaines substances et préparations dangereuses.»

7       Le titre II, point 3, 2, de cette même annexe, énonce:

«En particulier, la biodisponibilité, pour la protection de la santé des enfants, due à l’utilisation des jouets ne doit pas, comme objectif, dépasser, par jour:

[…]

0,6 microgramme de cadmium,

[…]

ou les autres valeurs qui peuvent être fixées pour ces substances ou pour d’autres substances dans la législation communautaire, basée sur une évidence scientifique.

On entend par biodisponibilité de ces substances, l’extrait soluble qui a une importance toxicologique.»

8       L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 76/769/CEE du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la limitation de la mise sur le marché et de l’emploi de certaines substances et préparations dangereuses (JO L 262, p. 201), dispose:

«Sans préjudice de l’application d’autres dispositions communautaires en la matière, la présente directive concerne les limitations apportées à la mise sur le marché et à l’emploi, dans les États membres de la Communauté, des substances et préparations dangereuses énumérées dans l’annexe.»

9       La directive 76/769 a été modifiée, notamment, par la directive 91/338 visant, d’une part, à harmoniser les règles nationales relatives à la mise sur le marché et à l’emploi de produits contenant du cadmium et, d’autre part, à lutter contre la pollution de l’environnement par le cadmium et à protéger la santé de la population.

10     L’article 1er de la directive 91/338 se lit comme suit:

«L’annexe I de la directive 76/769/CEE est modifiée conformément à l’annexe de la présente directive. Toutefois, les nouvelles dispositions ne s’appliquent pas aux produits contenant du cadmium déjà couverts par d’autres dispositions communautaires.»

11     La modification apportée par la directive 91/338 à l’annexe I de la directive 76/769 consiste à insérer un nouveau point 24 qui énumère, pour un certain nombre de produits, trois types d’application du cadmium et de ses composés – comme colorants, comme stabilisateurs et pour le traitement de surface – dont il réglemente l’utilisation.

12     Aux termes dudit point 24, 1.1, la mise sur le marché des produits finis ou des composants des produits fabriqués à partir de certaines substances et préparations énumérées à ce même point, colorées avec du cadmium, est interdite si leur teneur en cadmium est supérieure en masse à 0,01 % de la matière plastique.

 La réglementation nationale

13     Le décret relatif aux jouets, pris en exécution de la loi sur les marchandises (Warenwetbesluit Speelgoed), du 29 mai 1991 (Stb. 1991, n° 269), a été adopté afin de transposer la directive 88/378. Le paragraphe 11 de l’annexe II de ce décret énonce les prescriptions relatives à la sécurité des jouets contenant des substances et préparations dangereuses et limite la biodisponibilité en cadmium à 0,6 microgramme par jour.

14     Au moment des faits incriminés, le décret relatif au cadmium, pris en exécution de la loi sur les substances dangereuses pour l’environnement (Cadmiumbesluit Wet Milieugevaarlijke Stoffen), du 12 octobre 1990 (Stb. 1990, n° 538), afin de transposer les directives 76/769 et 91/338, interdisait, à son article 2, paragraphe 1, de fabriquer, d’importer aux Pays-Bas, de mettre à disposition d’un tiers ou de détenir dans des stocks commerciaux des produits contenant du cadmium.

15     Selon l’article 1er du décret relatif au cadmium, on entend par produits contenant du cadmium, notamment, «les produits dans lesquels le cadmium est utilisé comme stabilisateur, pigment ou couche de recouvrement ainsi que les produits dans lesquels des matières artificielles ou des colorations ayant une teneur en cadmium supérieure à 50 mg/kg ont été intégrées».

 Le litige au principal et la question préjudicielle

16     Dans le cadre d’un contrôle de l’Inspectie Gezondheidsbescherming Waren en Veterinaire zaken (Inspection de la protection de la santé pour marchandises et produits vétérinaires) effectué en février 1999, il est apparu que Geharo détenait en stock des jouets présentant une teneur en cadmium supérieure à 100 mg/kg.

17     Acquittée, en première instance, des charges retenues contre elle, cette société a été condamnée, en appel, pour infraction au décret relatif au cadmium.

18     Geharo s’est pourvue en cassation, soutenant qu’une application dudit décret est contraire aux directives communautaires. À cet égard, elle fait observer que la directive 88/378 contient des normes spécifiques relatives au cadmium, reprises dans le décret relatif aux jouets, lesquelles seraient respectées pour les jouets en cause. Dès lors que la directive 91/338, en vertu de son article 1er, seconde phrase, ne s’applique pas aux produits contenant du cadmium déjà couverts par d’autres dispositions communautaires, cette dernière directive, dont les normes sont reprises par le décret relatif au cadmium, ne s’appliquerait pas aux jouets en cause.

19     Dans ce contexte, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La seconde phrase de l’article 1er de la directive [91/338] fait-elle obstacle à ce que les normes fixées dans cette directive quant à la teneur en cadmium des produits (finis) et des composants visés à l’annexe de cette directive s’appliquent aux jouets au sens de la directive [88/378]?»

 Sur la question préjudicielle

20     Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er de la directive 91/338 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’interdiction édictée par celle-ci de commercialiser les produits présentant une teneur en cadmium excédant un maximum autorisé s’applique aux jouets relevant de la directive 88/378.

21     À cet égard, il y a lieu de constater que tant la directive 88/378 que la directive 91/338 fixent des normes relatives aux teneurs en cadmium. Cependant, ces normes sont distinctes et correspondent à des objectifs différents.

22     Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 39 à 42 de ses conclusions, la teneur maximale de 0,01 % en masse de la matière plastique, introduite dans la directive 76/769 par l’annexe I de la directive 91/338 pour des produits colorés à base de cadmium, concerne la quantité maximale de cadmium qu’un produit peut contenir, tandis que la norme maximale de 0,6 microgramme de biodisponibilité, définie au titre II, point 3, 2, de l’annexe II de la directive 88/378, concerne la capacité d’une substance, en l’espèce le cadmium, à se diffuser et à être absorbée par l’organisme.

23     Le fait que les normes fixées par les directives 88/378 et 91/338 se définissent par rapport à des valeurs de référence distinctes s’explique par les objectifs différents de ces directives. En effet, la directive 88/378, en définissant une limite de biodisponibilité en cadmium par jour, vise à protéger l’utilisateur du jouet contre les risques liés aux propriétés chimiques du produit lors de son utilisation, alors que la directive 91/338, en limitant la quantité de cadmium dans un produit, s’inscrit dans une politique tendant à protéger la population en général contre la dispersion du cadmium dans l’environnement.

24     Eu égard au contenu et à l’objectif différents desdites normes, l’application aux jouets relevant de la directive 88/378 d’une limite en quantité de cadmium, telle que celle prévue par la directive 91/338, n’est pas incompatible avec l’application aux mêmes jouets de la limite en biodisponibilité prévue par la directive 88/378.

25     Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’article 1er de la directive 91/338, en vertu duquel les dispositions introduites par celle-ci ne s’appliquent pas aux produits contenant du cadmium déjà couverts par d’autres dispositions communautaires.

26     En effet, les dispositions introduites par la directive 91/338 ne sauraient être comprises en ce sens qu’elles s’opposent à toute application cumulative de normes régissant la teneur en cadmium. Il convient de rappeler, à cet égard, que l’objet de cette directive est d’insérer certaines normes relatives au cadmium dans l’annexe I de la directive 76/769. Or, la directive 91/338 n’a pas modifié l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 76/769, en vertu duquel les limitations apportées à la mise sur le marché et à l’emploi des substances et préparations dangereuses énumérées dans cette annexe s’appliquent sans préjudice de l’application d’autres dispositions communautaires en la matière.

27     En considération de leur caractère complémentaire, l’application aux jouets de la limite de biodisponibilité en cadmium prévue par la directive 88/378 n’exclut pas l’application aux mêmes jouets de la teneur maximale en cadmium fixée postérieurement par la directive 91/338.

28     La directive 88/378 a, elle-même, anticipé une application cumulative de ses propres normes et d’autres normes pertinentes. En effet, elle dispose à son annexe II, titre II, point 3, 1, que, en tout cas, les jouets doivent respecter les législations communautaires appropriées relatives à certaines catégories de produits ou visant l’interdiction, la limitation d’usage ou l’étiquetage de certaines substances et préparations dangereuses.

29     Il convient donc de répondre à la question posée que l’article 1er, seconde phrase, de la directive 91/338 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que l’interdiction édictée par cette directive de commercialiser des produits présentant une teneur en cadmium supérieure à un maximum autorisé s’applique aux jouets relevant de la directive 88/378.

 Sur les dépens

30     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 1er, seconde phrase, de la directive 91/338/CEE du Conseil, du 18 juin 1991, portant dixième modification de la directive 76/769/CEE concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la limitation de la mise sur le marché et de l’emploi de certaines substances et préparations dangereuses, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que l’interdiction édictée par cette directive de commercialiser des produits présentant une teneur en cadmium supérieure à un maximum autorisé s’applique aux jouets relevant de la directive 88/378/CEE du Conseil, du 3 mai 1988, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la sécurité des jouets.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.