Language of document : ECLI:EU:C:2013:57

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 31 janvier 2013 (1)

Affaire C‑155/12

Minister Finansów

contre

RR Donnelley Global Turnkey Solutions Poland sp. z o.o.

[demande de décision préjudicielle formée par le Naczelny Sąd Administracyjny (Pologne)]

«Droit fiscal – TVA – Article 47 de la directive 2006/112/CE – Lieu d’une prestation de services – Prestation de services se rattachant à un bien immeuble – Stockage de marchandises»





I –    Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle concerne l’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») du stockage de marchandises et la question de savoir quel État membre dispose à cet égard du pouvoir d’imposition. Ce pouvoir d’imposition dépend du lieu d’une prestation imposable tel qu’il est déterminé par le droit en matière de TVA.

2.        Ainsi, le pouvoir d’imposition de prestations de services «se rattachant à un bien immeuble» appartient à l’État membre dans lequel est situé ledit bien. À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’un tel lien entre une prestation de services et un bien immeuble doit être «suffisamment direct» (2). Le Naczelny Sąd Administracyjny (Pologne), la juridiction de renvoi, cherche maintenant à savoir s’il en va également ainsi pour le stockage de marchandises.

3.        Le renvoi préjudiciel fournit une bonne occasion de préciser la jurisprudence de la Cour concernant le lieu d’une prestation de services se rattachant à un bien immeuble. Au-delà du cas d’espèce, il conviendrait, aux fins de l’application du droit, de préciser ce que la Cour entend par lien «suffisamment direct».

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

4.        La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (3), telle que modifiée par la directive 2008/8/CE (4) (ci-après la «directive TVA»), comporte, à ses articles 43 et suivants, des dispositions relatives au lieu d’une prestation de services.

5.        L’article 44 de la directive TVA prévoit:

«Le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. [...]»

6.        Si la prestation de services est fournie à une personne non assujettie, c’est la règle générale suivante, prévue à l’article 45 de la directive TVA, qui s’applique:

«Le lieu des prestations de services fournies à une personne non assujettie est l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique. [...]»

7.        Les articles 46 et suivants de la directive TVA comportent des dispositions spéciales relatives au lieu d’une prestation de services. L’article 47 de la directive TVA prévoit concernant les «prestations de services se rattachant à des biens immeubles»:

«Le lieu des prestations de services se rattachant à un bien immeuble, y compris les prestations d’experts et d’agents immobiliers, la fourniture de logements dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, tels que des camps de vacances ou des sites aménagés pour camper, l’octroi de droits d’utilisation d’un bien immeuble et les prestations tendant à préparer ou à coordonner l’exécution de travaux immobiliers, telles que celles fournies par les architectes et les entreprises qui surveillent l’exécution des travaux, est l’endroit où ce bien immeuble est situé.»

8.        La sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (5) (ci-après la «sixième directive»), applicable jusqu’au 31 décembre 2006, comportait, à son article 9, des dispositions relatives au lieu d’une prestation de services. La disposition spéciale relative aux prestations de services se rattachant à des biens immeubles se trouvait au paragraphe 2, sous a), de cet article:

«2)      Toutefois:

a)      le lieu des prestations de services se rattachant à un bien immeuble, y compris les prestations d’agents immobiliers et d’experts, ainsi que les prestations tendant à préparer ou à coordonner l’exécution de travaux immobiliers comme, par exemple, les prestations fournies par les architectes et les bureaux de surveillance, est l’endroit où le bien est situé».

B –    Le droit national

9.        La loi relative à la TVA, du 11 mars 2004, dans la version applicable au principal, comporte des dispositions identiques en substance à celles des articles 44 et 47 de la directive TVA.

III – La procédure au principal et la procédure devant la Cour

10.      RR Donnelley Global Turnkey Solutions Poland sp. z o.o., une société de droit polonais (ci-après l’«assujettie»), fournit des prestations de services de stockage de marchandises à des entreprises établies dans d’autres États membres de l’Union européenne et dans des États tiers. Ces prestations de services comprennent la prise en charge des marchandises en entrepôt, le placement de ces marchandises dans les espaces d’entreposage appropriés, leur stockage, leur conditionnement pour les clients, la remise des marchandises, le déchargement et le chargement. Parfois, la prestation de services comprend également le reconditionnement pour des assortiments individuels du matériel livré en emballages collectifs.

11.      Étant donné son activité, l’assujettie a fait, auprès de l’administration fiscale, une demande d’interprétation du droit polonais en matière de TVA. Elle voudrait savoir si les prestations de services en cause sont soumises à la TVA en Pologne. Le Minister Finansów, compétent en la matière, a répondu à cette question par l’affirmative à condition que les entrepôts soient situés en Pologne. En effet, les prestations de services en cause se rattacheraient à un bien immeuble, c’est pourquoi elles devraient être imposées là où le bien est situé.

12.      L’assujettie a introduit un recours contre cet avis devant les juridictions polonaises. Elle soutient que le lieu des prestations de services qu’elle fournit est l’endroit où le preneur a établi son siège, conformément à l’article 44 de la directive TVA, et non pas le lieu où est situé le bien immobilier, conformément à l’article 47 de la directive TVA. Par conséquent, dès lors que les preneurs des prestations de services seraient établis hors de Pologne, cette dernière n’aurait pas le droit d’imposer les prestations de stockage.

13.      À cause de cela et parce qu’il a constaté que d’autres États membres avaient une pratique divergente, le Naczelny Sąd Administracyjny, désormais saisi du litige, a déféré à la Cour les questions préjudicielles suivantes en vertu de l’article 267 TFUE:

«1)      Convient-il d’interpréter les articles 44 et 47 de la directive [TVA] en ce sens que des services complexes d’entreposage de marchandises, comprenant la prise en charge des marchandises en entrepôt, le placement de ces marchandises dans les espaces d’entreposage appropriés, leur stockage pour les clients, la remise des marchandises, le déchargement et le chargement ainsi que pour certains clients le reconditionnement du matériel livré en emballages pour des assortiments individuels, sont des prestations de services se rattachant à un bien immeuble, qui sont imposées à l’endroit où ce bien immeuble est situé, conformément à l’article 47 de la directive [TVA]?

2)      Convient-il d’admettre que ces services sont imposés à l’endroit où le preneur du service auquel la prestation de services a été fournie a établi le siège de son activité économique ou un établissement économique stable ou, à défaut, à l’endroit où il a son domicile ou sa résidence habituelle, conformément à l’article 44 de la directive [TVA]?»

14.      Dans le cadre de la procédure devant la Cour, l’assujettie, les gouvernements polonais et grec ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites.

IV – Appréciation en droit

15.      En posant les questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 47 de la directive TVA doit être appliqué aux prestations de services décrites de stockage de marchandises.

16.      Pour répondre à la question, il faut raisonner en deux étapes. Tout d’abord, il faut déterminer si la prestation de services complexe fournie par l’assujettie constitue une prestation unique ou si elle est composée de différentes prestations distinctes, dont il convient d’apprécier séparément les lieux d’exécution respectifs (voir titre A). Ensuite, il faut examiner si l’article 47 de la directive TVA trouve à s’appliquer aux prestations de services décrites (voir titre B).

A –    Prestation unique ou prestations individuelles autonomes

17.      Il convient tout d’abord de savoir si le lieu d’exécution des prestations individuelles liées à la prestation de services complexe, constituée de la prise en charge des marchandises en entrepôt, du placement de ces marchandises dans les espaces d’entreposage appropriés, de leur stockage, de la remise de la marchandise, du déchargement et du chargement doit être déterminé séparément, pour chacun des éléments de la prestation, ou globalement.

18.      Le gouvernement polonais a observé à juste titre que, en l’espèce, il convient de prendre en considération la jurisprudence de la Cour concernant la prestation unique. D’après cette jurisprudence, lorsqu’une opération est constituée par un faisceau d’éléments et d’actes, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l’opération en question afin de déterminer, notamment, si cette opération comporte deux ou plusieurs prestations distinctes ou une prestation unique (6).

19.      On est en présence d’une prestation unique notamment lorsqu’une ou plusieurs prestations constituent une prestation principale et que la ou les autres prestations constituent une ou plusieurs prestations accessoires. Une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu’elle constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (7).

20.      Si on est en présence d’une prestation unique sous forme de prestation principale et de prestations accessoires, alors, les prestations accessoires doivent partager le sort fiscal de la prestation principale (8). C’est pourquoi le gouvernement polonais observe à juste titre que le lieu de la prestation principale détermine le lieu de la prestation complexe (9).

21.      Certes, dans l’affaire au principal, il appartient a priori à la juridiction de renvoi de déterminer si les prestations individuelles en cause constituent une prestation unique et laquelle des prestations individuelles représente la prestation principale (10). Cependant, d’après l’exposé des faits, il faut a priori considérer l’entreposage des marchandises, c’est-à-dire le stockage proprement dit, comme la prestation principale et considérer en revanche la prise en charge, le placement de ces marchandises, la remise de la marchandise, le déchargement et le chargement comme des prestations accessoires. En effet, en général, pour le client, ces dernières prestations ne constituent pas une fin en soi, elles servent seulement à permettre le stockage des marchandises.

22.      Néanmoins, il est également possible de voir dans le reconditionnement de matériaux, tel qu’il est effectué pour quelques clients, une prestation de services autonome, lorsqu’il n’a pas pour but un meilleur stockage. Dans ce cas, du point de vue de la TVA, il faudrait considérer que l’on est en présence de deux services, dont il conviendrait d’apprécier séparément les lieux de prestation, d’une part, le reconditionnement et, d’autre part, le stockage.

23.      On pourrait parvenir globalement à une autre conclusion si le chargement et le déchargement des marchandises à stocker amenaient l’assujettie à fournir une prestation de transport substantielle. Si le fait de venir chercher la marchandise à un endroit et de la transporter à un autre après un entreposage de courte durée fait partie d’une prestation de services, alors, le transport peut également représenter la prestation principale, alors que l’entreposage ne constitue pas une fin en soi et ne représente donc qu’une prestation annexe. Le lieu d’une telle prestation de services serait alors déterminé comme pour une prestation de services de transport.

24.      Toutefois, compte tenu des prestations accessoires décrites par la juridiction de renvoi, notamment dans les questions préjudicielles, je considèrerai, lors de l’examen ci-après, que la prestation de services complexe décrite, de stockage de marchandises, constitue une prestation unique dont le lieu est déterminé d’après la prestation principale d’entreposage des marchandises.

B –    Lieu de la prestation unique de stockage

25.      Ce lieu de la prestation de stockage pourrait être déterminé conformément aux dispositions des articles 44 et 45 de la directive TVA ou à la disposition spéciale de l’article 47 de celle-ci.

26.      Comme les dispositions spéciales relatives au lieu d’une prestation de services prévalent sur les dispositions générales (11), il convient d’examiner tout d’abord l’application de l’article 47 de la directive TVA.

27.      Le stockage d’une marchandise ne fait pas partie des prestations de services mentionnées explicitement dans la disposition. Toutefois, comme il ne s’agit pas d’une énumération exhaustive (12), il y a lieu de se demander si le stockage d’une marchandise constitue une prestation de services «se rattachant à un bien immeuble» au sens de la disposition.

1.      Lien suffisamment direct

28.      D’après la jurisprudence de la Cour relative à l’article 9, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, il ne suffit pas pour cela d’un lien quelconque entre une prestation de services et un bien immeuble. En effet, ce lien doit être «suffisamment direct» (13). Dans l’arrêt Heger, précité, la Cour a considéré qu’un tel lien existait parce que le bien immeuble en cause constituait un «élément central et indispensable» de ladite prestation et que le lieu où se situait l’immeuble correspondait au lieu de consommation finale du service (14).

29.      Bien que le libellé ait désormais été élargi en ce qui concerne les prestations de services mentionnées expressément, il n’y a aucune raison de ne pas transposer cette jurisprudence à la disposition qu’il s’agit d’interpréter en l’espèce, l’article 47 de la directive TVA. Toutefois, il convient de préciser cette jurisprudence, car, comme l’avocat général Jacobs l’a souligné à juste titre (15), s’agissant de la détermination du lieu d’une prestation de services aux fins de la TVA, l’objectif suprême doit être d’assurer la sécurité juridique.

30.      Les dispositions relatives au lieu d’une prestation de services sont des règles de conflits de lois qui déterminent le lieu d’imposition de prestations de services et délimitent ainsi les compétences entre les États membres. L’objectif de ces dispositions est d’éviter, d’une part, des conflits de compétence susceptibles de conduire à des doubles impositions et, d’autre part, la non-imposition de recettes (16). Il s’ensuit que les termes employés dans les dispositions doivent être interprétés uniformément (17) dans l’Union européenne, de façon à ce que ces dispositions comportent un critère sûr, simple et praticable pour le rattachement de ce type de prestation et à éviter ainsi les conflits de compétence entre les États membres (18).

31.      S’agissant de l’article 47 de la directive TVA, la jurisprudence de la Cour n’a pas encore atteint cet objectif. Le critère du lien «suffisamment direct» est, comme le montre aussi l’espèce, tellement indéterminé, que son application au cas par cas n’est pas prévisible. Il en va de même des critères complémentaires, indiqués par la Cour dans une décision, du bien immeuble, en tant qu’«élément central et indispensable» d’une prestation de services, ou du lieu de la consommation finale.

32.      Certes, concernant le «lien direct et immédiat» entre les opérations en amont et les opérations imposées effectuées en aval, requis par sa jurisprudence pour la déduction de la TVA en amont conformément à l’article 168 de la directive TVA, la Cour a déjà constaté que, compte tenu de la diversité des transactions commerciales et professionnelles, il serait impossible de donner une réponse plus appropriée quant à la manière de déterminer dans tous les cas la relation nécessaire qui doit exister entre les opérations en amont et celles effectuées en aval pour que la TVA en amont soit déductible et qu’il appartient donc aux juridictions nationales d’appliquer le critère du lien direct (19). Toutefois, on ne saurait dire la même chose concernant le «lien suffisamment direct» déterminant l’application de l’article 47 de la directive TVA qu’il convient d’interpréter en l’espèce. En effet, si le droit de déduire la TVA en amont dans un cas donné ne peut être tranché que par une seule juridiction nationale, la question du lieu d’une prestation de services déterminée peut être examinée parallèlement par des juridictions de plusieurs États membres. Afin d’éviter des décisions divergentes à cet égard, qui auraient pour conséquence la double imposition ou la non-imposition d’une prestation de services, la Cour doit mettre à la disposition des juridictions nationales un critère d’application de l’article 47 de la directive TVA le plus objectif possible (20).

2.      Critère objectif de détermination d’un lien suffisamment direct

33.      À cet égard, la juridiction de renvoi a proposé de considérer qu’il y avait un lien suffisamment direct entre une prestation de services et un terrain lorsque la prestation de services a pour objet un bien immeuble déterminé.

34.      La Cour devrait suivre cette proposition.

35.      Elle signifie, premièrement, qu’il n’est pas suffisant qu’un bien immeuble quelconque soit nécessaire à l’exécution de la prestation de services. Au contraire, il doit plutôt s’agir d’un bien immeuble déterminé, identifié par les parties. Cela est nécessaire parce que, en cas d’application de l’article 47 de la directive TVA, les parties doivent savoir où s’acquitter des obligations fiscales.

36.      Toutefois, la nécessité de l’existence d’un bien immeuble déterminé, auquel la prestation de services se rattache, ne peut pas non plus suffire aux fins de l’application de l’article 47 de la directive TVA. En effet, de nombreuses prestations de services sont censées être exécutées dans un bien immeuble déterminé parce que le fournisseur des prestations y a ses locaux professionnels, sans que cela puisse pour autant établir un lien suffisamment direct entre les prestations et un bien immeuble. En effet, comme la Cour l’a déjà constaté, un grand nombre de services se rattachent d’une manière ou d’une autre à un bien immeuble (21).

37.      C’est pourquoi, deuxièmement, le bien immeuble déterminé précisément doit aussi être l’objet de la prestation de services. Il est possible de déduire cette nécessité des prestations de services énumérées à l’article 47 de la directive TVA qui constituent en substance le seul élément d’interprétation (22). Ainsi, le bien immeuble est l’objet d’une prestation de services lorsqu’il est utilisé par le client (octroi de droits, dont l’hébergement), que des travaux y sont effectués (exécution de travaux immobiliers) ou qu’il est expertisé (prestations d’experts).

38.      À cet égard, il importe peu que l’article 47 de la directive TVA mentionne aussi deux prestations de services qui ne relèvent pas, à proprement parler, de l’une de ces trois catégories. Il s’agit des prestations d’agents immobiliers et de la préparation des prestations de travaux immobiliers. Celles-ci ont pour objet non pas le bien immeuble, mais le contrat de vente d’un bien immeuble ou les plans de travaux à effectuer sur celui-ci.

39.      Toutefois, la règle générale concernant le lien suffisamment direct avec un bien immeuble ne doit pas couvrir toutes les prestations de services énumérées explicitement à l’article 47 de la directive TVA. En effet, l’inclusion dans le libellé peut très bien viser à étendre son application à des fins de simplification (23). En revanche, si l’on formulait la règle générale de manière assez large pour couvrir également la totalité des prestations de services énumérées explicitement à l’article 47 de la directive TVA, cela étendrait considérablement le champ d’application de cette disposition. En effet, pour que les prestations d’agents immobiliers et la préparation de prestations de travaux immobiliers soient également couvertes par une règle générale, il faudrait inclure ces prestations, qui n’ont pas pour objet un bien immeuble, mais qui se rattachent pourtant à un tel bien. Or, comme je l’ai déjà exposé (24), il en va ainsi de nombreuses prestations de services.

40.      Dans ces conditions, il faut considérer qu’aux fins de l’application de l’article 47 de la directive TVA, il existe un lien suffisamment direct entre la prestation de services et un bien immeuble lorsque ladite prestation a pour objet l’utilisation d’un bien immeuble déterminé, l’exécution de travaux sur celui-ci ou son expertise, ou bien lorsqu’elle est énumérée expressément dans la disposition.

41.      Les cas tranchés jusqu’à présent par la Cour remplissent ces conditions: les droits de pêche en cause dans l’arrêt Heger, précité, constituent une utilisation d’un bien immeuble (25) et l’organisation de l’échange de droits d’utilisation à temps partagé sur des logements (26) est une prestation d’agent immobilier. Dans l’arrêt Inter-Mark Group, précité, la Cour a considéré qu’il n’existait pas de lien suffisamment direct entre la construction de stands de foire et un bien immeuble, bien qu’il s’agisse de l’exécution de travaux sur un bien immobilier. Toutefois, cette jurisprudence montre seulement que de tels travaux, même sous forme de prestations de construction, doivent avoir une certaine ampleur et une certaine permanence (27).

3.      Objet d’une prestation de stockage

42.      Ainsi, la prestation de stockage litigieuse en l’espèce ne peut présenter un lien suffisamment étroit avec un bien immeuble que si elle est rattachée à un droit d’utilisation d’un bien immeuble ou d’une partie déterminée d’un tel bien. C’est seulement dans ce cas que l’objet de la prestation de services est le bien immobilier lui-même. À cet égard, le fait que les zones de stockage ne soient pas accessibles au client peut avoir de l’importance, comme l’a considéré le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Łódz en première instance de l’affaire au principal.

43.      En revanche, si la prestation de stockage n’est pas rattachée à un droit d’utilisation d’un bien immeuble déterminé, elle a seulement pour objet les marchandises stockées. Comme nous l’avons vu, il importe peu qu’un bien immeuble soit absolument nécessaire au stockage (28). Comme le gouvernement grec l’a observé à juste titre, dans ce cas, le bien immeuble ne constitue qu’un moyen d’exécution de la prestation.

44.      Contrairement à ce que suggère le gouvernement polonais, la prestation de stockage ne relève pas non plus de l’hébergement dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire visé à l’article 47 de la directive TVA. Le logement de personnes est réalisé dans des conditions tout à fait différentes de celles du stockage de marchandises et le secteur du stockage n’a pas une fonction similaire à celle du secteur hôtelier.

45.      Par conséquent, comme l’assujettie l’a fait remarquer à juste titre, aux fins de l’application de l’article 47 de la directive TVA à une prestation de services de stockage, il convient de distinguer selon que le client dispose d’un droit d’utilisation d’une zone de stockage déterminée ou qu’il doit seulement récupérer les marchandises en l’état.

4.      Orientation du comité de la TVA

46.      Cette distinction entre prestations de stockage est également conforme à l’avis du comité consultatif de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après le «comité de la TVA»). Dans une orientation découlant de la 93e réunion du 1er juillet 2011, le comité de la TVA, qui, conformément à l’article 398, paragraphe 2, de la directive TVA, est composé de représentants de la Commission et des États membres, a estimé à la «quasi-unanimité» que l’entreposage de biens dans un bien immeuble n’entre pas dans le champ d’application de l’article 47 de la directive TVA lorsque «aucune partie spécifique de ce bien immeuble n’est affectée à une utilisation exclusive par le preneur du service» (29).

47.      Certes, les orientations du comité de la TVA ne sont pas juridiquement contraignantes (30). Cependant, l’article 398, paragraphe 4, de la directive TVA charge expressément ledit comité d’examiner les questions portant sur l’application des dispositions du droit de l’Union en matière de TVA.

48.      Tôt déjà, dans le domaine de la réglementation douanière, la Cour a qualifié les avis du comité de la nomenclature du tarif douanier commun, qui avait une fonction analogue (31), de moyens importants pour assurer une application uniforme du tarif douanier commun, bien qu’ils n’aient pas de force obligatoire en droit (32). C’est sur cela qu’est fondée la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle les notes explicatives élaborées par la Commission, désormais en collaboration avec le comité de la nomenclature du tarif douanier commun (33), contribuent de façon importante à l’interprétation de la portée des différentes positions tarifaires sans toutefois avoir force obligatoire de droit (34).

49.      Il n’y a plus de raison pour ne pas reconnaître une fonction analogue aux orientations du comité de la TVA. Certes, dans mes conclusions dans l’affaire Levob Verzekeringen et OV Bank, j’avais encore refusé de le faire au motif que les orientations ne sont pas publiées (35). Cependant, maintenant elles le sont (36).

50.      Néanmoins, il ne faudrait pas non plus surestimer l’importance du comité de la TVA. Ses orientations constituent en substance l’expression d’un point de vue de la Commission et des autorités compétentes des États membres (37). D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle l’unanimité, telle que la prescrit l’article 113 TFUE pour les actes juridiques du Conseil de l’Union européenne en matière de TVA, n’est pas nécessaire pour les utiliser comme outil d’interprétation.

51.      Toutefois, en tant qu’outil d’aide à l’interprétation requise en l’espèce, l’orientation citée, adoptée à la quasi-unanimité, confirme que, aux fins de l’application de l’article 47 de la directive TVA à une prestation de services de stockage, il convient de distinguer.

V –    Conclusion

52.      Par conséquent, je suggère à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle du Naczelny Sąd Administracyjny:

1)      L’application de l’article 47 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008, suppose que la prestation de services ait pour objet l’utilisation d’un bien immeuble déterminé, l’exécution de travaux sur celui-ci ou son expertise, ou bien qu’elle soit mentionnée expressément dans la disposition.

2)      Des prestations de services complexes dans le domaine du stockage de marchandises remplissent ces conditions seulement si l’entreposage des marchandises constitue l’élément principal d’une prestation de services unique et qu’il se rattache à un droit d’utilisation d’un bien immeuble déterminé ou d’une partie déterminée d’un bien immeuble.


1 –      Langue originale: l’allemand.


2 – Voir arrêts du 7 septembre 2006, Heger (C‑166/05, Rec. p. I‑7749, point 24) et du 27 octobre 2011, Inter-Mark Group (C‑530/09, Rec. p. I‑10675 point 30).


3 – JO L 347, p. 1.


4 – Directive du Conseil du 12 février 2008 (JO L 44, p. 11).


5 – JO L 145, p. 1.


6 – Arrêt du 19 juillet 2012, Deutsche Bank (C‑44/11, point 18 et jurisprudence citée).


7 – Arrêt du 27 septembre 2012, Field Fisher Waterhouse (C‑392/11, point 17 et jurisprudence citée).


8 – Arrêts Deutsche Bank (précité à la note 6, point 19 et jurisprudence citée) ainsi que Field Fischer Waterhouse (précité à la note 7, point 17).


9 – Voir à cet égard, aussi, arrêt du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen et OV Bank (C‑41/04, Rec. p. I‑9433); voir, également, arrêt du 25 janvier 2001, Commission/France (C‑429/97, Rec. p. I‑637, points 46 à 48), selon lequel l’existence d’une prestation de services complexe semble plaider contre l’application d’une disposition particulière relative au lieu d’une prestation.


10 – Voir arrêts Field Fisher Waterhouse (précité à la note 7, point 20 et jurisprudence citée).


11 – Voir en ce sens, concernant l’article 9 de la sixième directive, arrêt du 2 juillet 2009, EGN (C‑377/08, Rec. p. I‑5685, point 28 et jurisprudence citée).


12 – Voir point 36 des conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Heger (précité à la note 2).


13 – Arrêts Heger (précité à la note 2, point 24) et Inter-Mark Group (précité à la note 2, point 30) concernant la disposition, au libellé identique, de l’article 45 de l’ancienne version de la directive TVA; voir aussi arrêt du 3 septembre 2009, RCI Europe (C‑37/08, Rec. p. I‑7533, point 36): «lien suffisamment direct».


14 – Arrêt Heger (précité à la note 2, point 25).


15 – Voir point 30 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Design Concept (arrêt du 5 juin 2003, C‑438/01, Rec. p. I‑5617).


16 – Voir, concernant l’article 9 de la sixième directive, arrêts du 4 juillet 1985, Berkholz (168/84, Rec. p. 2251, point 14); du 26 septembre 1996, Dudda (C‑327/94, Rec. p. I‑4595, point 20); du 6 mars 1997, Linthorst, Pouwels en Scheres (C‑167/95, Rec. p. I‑1195, point 10); Commission/France (précité à la note 9, point 41); du 15 mars 2001, SPI (C‑108/00, Rec. p. I‑2361, point 15); du 12 mai 2005, RAL (Channel Islands) e.a. (C‑452/03, Rec. p. I‑3947, point 23); Levob Verzekeringen et OV Bank (précité à la note 9, point 32); du 9 mars 2006, Gillan Beach (C‑114/05, Rec. p. I‑2427, point 14); du 6 décembre 2007, Commission/Allemagne (C‑401/06, Rec. p. I‑10609, point 29); du 6 novembre 2008, Kollektivavtalsstiftelsen TRR Trygghetsrådet (C‑291/07, Rec. p. I‑8255, point 24); du 19 février 2009, Athesia Druck (C‑1/08, Rec. p. I‑1255, point 20); EGN (précité à la note 11, point 27), ainsi que du 26 janvier 2012, ADV Allround (C‑218/10, point 27).


17 – Voir en ce sens, concernant l’article 9 de la sixième directive, arrêts du 17 novembre 1993, Commission/France (C‑68/92, Rec. p. I‑5881, point 14); Commission/Luxembourg (C‑69/92, Rec. p. I‑5907, point 15); Commission/Espagne (C‑73/92, Rec. p. I‑5997, point 12); Gillan Beach (précité à la note 16, point 20), et du 22 octobre 2009, Swiss Re Germany Holding (C‑242/08, Rec. p. I‑10099, point 32).


18 – Voir, concernant l’article 9 de la sixième directive, arrêt du 25 janvier 2001, Commission/France (précité à la note 9, point 49); Voir aussi, en ce sens, arrêts du 7 mai 1998, Lease Plan (C‑390/96, Rec. p. I‑2553, point 23 et jurisprudence citée); Kollektivavtalsstiftelsen TRR Trygghetsrådet (précité à la note 16, point 31), ainsi que ADV Allround (précité à la note 16, point 30).


19 – Arrêt du 8 juin 2000, Midland Bank (C‑98/98, Rec. p. I‑4177, point 25).


20 – Voir, en ce sens déjà, point 33 des conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Heger (précité à la note 2).


21 – Arrêt Heger (précité à la note 2, point 23).


22 – Voir, concernant l’esprit et la finalité de la disposition dérogatoire concernant les prestations de services se rattachant à un bien immeuble, proposition de directive du Conseil portant modification de la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le lieu des prestations de services, du 23 décembre 2003, présentée par la Commission [COM(2003) 822 final, p. 7 et suiv.]; voir expression «raisons […] politiques».


23 – Voir, concernant l’extension de la liste des prestations de services par la directive 2008/8, la proposition présentée par la Commission, susmentionnée, p. 12, article 9a.


24 – Voir point 36 des présentes conclusions.


25 – Voir arrêt Heger (précité à la note 2, point 25).


26 – Voir arrêt RCI Europe (précité à la note 13).


27 – Voir arrêt Inter-Mark Group (précité à la note 2, point 31).


28 – Voir points 35 et suiv. des présentes conclusions.


29 – Document A – taxud.c.1(2012)400557 – 707, p. 4, point 8, sous a).


30 – Voir point 72 des conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Hoffmann (arrêt du 3 avril 2003, C‑144/00, Rec. p. I-2921) et point 50 des conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Commission/Allemagne (arrêt du 6 décembre 2007, C‑401/06, Rec. p. I‑10609).


31 – Voir article 2 du règlement (CEE) n° 97/69 du Conseil, du 16 janvier 1969, relatif aux mesures à prendre pour l’application uniforme de la nomenclature du tarif douanier commun (JO L 14, p. 1).


32 – Arrêt du 15 février 1977, Dittmeyer (69/76 et 70/76, Rec. p. 231).


33 – Voir articles 9, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, et 10 du règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO L 256, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) nº 254/2000 du Conseil, du 31 janvier 2000 (JO L 28, p. 16).


34 – Voir, notamment, arrêts du 6 novembre 1997, LTM (C‑201/96, Rec. p. I‑6147, point 17); du 17 mars 2005, Ikegami (C‑467/03, Rec. p. I‑2389, point 17), et du 18 mai 2011, Delphi Deutschland (C‑423/10, Rec. p. I‑4003, point 24).


35 – Voir point 25 de mes conclusions dans l’affaire Levob Verzekeringen et OV Bank (précité à la note 9).


36 – Voir site Internet de la Commission à l’adresse: http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/vat/key_documents/vat_committee/index_fr.htm, consulté le 11 janvier 2013.


37 – Voir, en ce sens, points 231 et 244 des conclusions de l’avocat général Warner dans l’affaire Dittmeyer (précité à la note 32).