Language of document : ECLI:EU:C:2013:614

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

26 septembre 2013 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut – Fixation des prix et répartition du marché – Infraction à l’article 81 CE – Imputabilité du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère – Effet dissuasif – Égalité de traitement – Coopération – Obligation de motivation – Circonstances atténuantes»

Dans l’affaire C‑668/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 décembre 2011,

Alliance One International Inc., établie à Morrisville (États-Unis), représentée par Mes M. Odriozola et A. Vide, abogados,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et J. Bourke, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. J. Malenovský, président de chambre, MM. U. Lõhmus (rapporteur) et M. Safjan, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Alliance One International Inc. (ci-après «AOI»), venant aux droits d’Agroexpansión SA (ci-après «Agroexpansión»), demande, d’une part, l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 octobre 2011, Agroexpansión/Commission (T‑38/05, Rec. p. II‑7005, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a confirmé en partie la décision C(2004) 4030 final de la Commission, du 20 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (affaire COMP/C.38.238/B.2 − Tabac brut – Espagne) (ci-après la «décision litigieuse»), ainsi que, d’autre part, la réduction de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2        Agroexpansión, Compañía española de tabaco en rama SA (ci-après «Cetarsa»), Tabacos Españoles SL (ci-après «Taes») et World Wide Tobacco España SA (ci-après «WWTE») sont les quatre entreprises de première transformation de tabac brut en Espagne (ci-après, ensemble, les «transformateurs»). Par ailleurs, Deltafina SpA (ci-après «Deltafina»), qui transforme également du tabac brut et qui est une société italienne sœur de Taes, était le principal acheteur de ce produit sur le marché espagnol.

3        À l’origine, Agroexpansión était une entreprise familiale. Le 18 novembre 1997, la totalité de ses actions a été acquise par Intabex Netherlands BV (ci-après «Intabex»). Celle-ci faisait alors partie du groupe de sociétés Intabex, lequel avait été acquis par la société américaine Dimon Inc. (ci-après «Dimon») au mois d’avril 1997. AOI est issue d’une fusion, réalisée au mois de mai 2005, entre Dimon et la société américaine Standard Commercial Corp.

4        Les 3 et 4 octobre 2001, la Commission des Communautés européennes a effectué des vérifications au titre de l’article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), dans les locaux, notamment, d’Agroexpansión, afin de vérifier des informations selon lesquelles les transformateurs et les producteurs espagnols de tabac brut auraient commis des infractions à l’article 81 CE.

5        Le 11 décembre 2003, la Commission a engagé la procédure à l’origine du présent litige et a adopté une communication des griefs qu’elle a adressée à 20 entreprises ou associations, dont les transformateurs, Deltafina, Dimon et Intabex.

6        Le 20 octobre 2004, la Commission a adopté la décision litigieuse qui concerne, notamment, une entente horizontale conclue et mise en œuvre sur le marché espagnol du tabac brut par les transformateurs et Deltafina.

7        Selon les constatations de la Commission, cette entente avait pour objet de fixer, chaque année, pendant les années 1996 à 2001, le prix moyen de livraison de chaque variété de tabac brut, toutes qualités confondues, et de répartir les quantités de chaque variété de tabac brut que chacun des transformateurs pouvait acheter auprès des producteurs. De 1999 à 2001, les transformateurs et Deltafina étaient également convenus des fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut ainsi que des prix minimaux moyens par producteur et par groupement de producteurs.

8        Dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que ladite entente constitue une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE, a imputé la responsabilité de l’entente, notamment, aux transformateurs ainsi qu’à Deltafina et a ordonné à ces entreprises de mettre immédiatement fin à cette infraction ainsi que de s’abstenir désormais de toute pratique restrictive ayant un objet ou un effet équivalent. À l’article 3 de cette décision, elle a infligé des amendes auxdites entreprises ainsi qu’aux représentants des producteurs.

9        Il ressort également de la décision litigieuse que Dimon a été tenue pour solidairement responsable du paiement de l’amende infligée à Agroexpansión, tout comme les trois sociétés mères de WWTE l’ont été pour l’amende infligée à celle-ci. En revanche, la responsabilité d’Intabex n’a pas été retenue à l’égard de l’amende infligée à Agroexpansión. En ce qui concerne les amendes infligées à Taes et à Deltafina, Universal Leaf Tobacco Co. Inc. (ci-après «Universal Leaf»), société mère à 100 % de ces dernières, et Universal Corp. (ci-après «Universal»), qui détenait 100 % des actions d’Universal Leaf, n’ont pas non plus été considérées comme solidairement responsables.

10      S’agissant des destinataires de la décision litigieuse, la Commission s’est prononcée comme suit aux considérants 372, 375 et 376 de la décision litigieuse:

«(372) Selon une jurisprudence constante, lorsque la société mère détient la totalité du capital de sa filiale, on peut légitimement supposer que la société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale [...]. Cette supposition peut être confirmée par des facteurs particuliers propres à certaines affaires.

[...]

(375) En l’espèce, trois des quatre transformateurs espagnols de tabac brut sont contrôlés (à 100 % ou à 90 %) par des multinationales américaines. Il existe par ailleurs d’autres éléments factuels qui confirment la présomption selon laquelle le comportement d’Agroexpansión et de WWTE doit être imputé à leur société mère respective. Dans ces cas, les deux sociétés – la société mère et sa filiale – doivent être considérées comme solidairement responsables des infractions constatées dans la présente décision.

(376) Par ailleurs, après l’envoi de la communication des griefs et l’audition des parties, il est apparu que les preuves du dossier ne pouvaient pas justifier une conclusion similaire au sujet des participations d’Universal [...] et d’Universal Leaf [...] dans Taes et Deltafina. En fait, outre le lien [social] entre les sociétés mères et leurs filiales, le dossier ne contient aucune indication de participation matérielle d’Universal [...] et d’Universal Leaf dans les faits examinés dans la présente décision. Il ne conviendrait donc pas d’en faire les destinataires d’une décision dans cette affaire. La même conclusion s’appliquerait a fortiori à Intabex puisque sa participation de 100 % dans Agroexpansión était purement financière.»

11      La Commission a indiqué qu’il pouvait être légitimement supposé que Dimon exerçait une influence déterminante sur le comportement d’Agroexpansión à partir du moment où elle avait acquis la totalité des actions de celle-ci par l’intermédiaire d’Intabex. Elle a conclu qu’une série d’éléments énoncés, notamment, au considérant 379 de la décision litigieuse confirmait que Dimon était en mesure d’exercer une influence sur Agroexpansión et était informée des pratiques reprochées à cette dernière, que les arguments avancés par Dimon dans sa réponse à la communication des griefs ne justifiaient pas de conclusions différentes à ce propos et que cette dernière société devait être tenue conjointement responsable du comportement d’Agroexpansión établi par la décision litigieuse pour la période allant du second semestre de l’année 1997 au 10 août 2001.

12      Les montants des amendes ont été déterminés par la Commission conformément à la méthode définie dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices») et dans la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération»).

13      Ayant qualifié les infractions constatées de «très graves», la Commission a fixé le montant de départ des amendes infligées aux transformateurs, notamment, en fonction de leur taille et de leurs parts de marché respectives.

14      Dans les considérants 422 et 423 de la décision litigieuse, la Commission a estimé que, afin que les amendes infligées à Agroexpansión et à WWTE aient un caractère suffisamment dissuasif eu égard au fait que ces dernières appartiennent à des multinationales qui ont une force économique et financière considérable et sous l’influence décisive desquelles ces deux sociétés ont agi, il était nécessaire d’augmenter le montant de départ de l’amende pour ces deux transformateurs en l’affectant d’un coefficient multiplicateur qui tienne compte tant de la taille des groupes auxquels ils appartiennent que de leur taille comparée par rapport aux autres transformateurs espagnols. En ce qui concerne Agroexpansión, la Commission a appliqué, aux fins de dissuasion, un coefficient de 2.

15      Pour ce qui est de la durée de l’infraction, la Commission a constaté, au considérant 432 de la décision litigieuse, que l’entente entre les transformateurs et Deltafina avait commencé au moins le 13 mars 1996 et avait cessé d’exister, selon les déclarations des transformateurs, le 3 octobre 2001. Toutefois, la dernière preuve dont disposait la Commission étant une réunion du 10 août 2001, cette dernière a estimé, aux fins de la détermination de la durée des infractions concernées, que ladite entente avait duré plus de 5 ans et 4 mois, ce qui correspond à une infraction de longue durée.

16      Après avoir fixé les montants de base, la Commission a examiné les circonstances aggravantes et atténuantes ainsi que le point de savoir s’il y avait lieu d’adapter les montants de base calculés pour les différents destinataires afin qu’ils n’excèdent pas la limite de 10 % du chiffre d’affaires prévue à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1).

17      Enfin, la Commission a fait application du titre D de la communication sur la coopération qui prévoit une réduction significative du montant de l’amende et dont le point 2 mentionne qu’une telle réduction peut bénéficier à l’entreprise concernée soit lorsque des informations sont fournies à la Commission avant l’envoi d’une communication des griefs (premier tiret de ce point 2), soit lorsque est transmise à la Commission, après réception de cette communication, l’information selon laquelle l’entreprise ne conteste pas la matérialité des faits fondant l’accusation (second tiret du même point 2). La Commission a décidé que Taes devait bénéficier d’une réduction de 40 % au titre dudit point 2, eu égard tant à sa coopération particulièrement utile pendant la procédure, notamment en ce qui concerne la participation de Deltafina à l’entente, qu’au fait qu’elle n’avait jamais contesté les faits tels qu’établis dans la communication des griefs.

18      S’agissant de Cetarsa et de WWTE, la Commission a estimé, d’une part, que les renseignements fournis par celles-ci, tout en étant significatifs, ne s’étaient pas avérés aussi utiles pour les investigations de la Commission que ceux fournis par Taes et, d’autre part, que ces deux transformateurs avaient contesté certains faits dans leurs réponses à la communication des griefs. Compte tenu de ces circonstances et conformément au titre D, point 2, premier tiret, de la communication sur la coopération, la Commission a accordé à Cetarsa et à WWTE une réduction de l’amende de 25 %.

19      En ce qui concerne Agroexpansión, la Commission a considéré que cette dernière lui avait également fourni des renseignements utiles, mais que, dans sa réponse à la communication des griefs, elle avait contesté les faits dans les mêmes termes que Cetarsa et WWTE et avait, en outre, nié la nature secrète des accords des transformateurs sur les prix de livraison moyens (maximaux). Par conséquent, la Commission a accordé à Agroexpansión une réduction de l’amende de 20 %. Le montant final de l’amende infligée à cette dernière s’est élevé à 2 592 000 euros.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 janvier 2005, Agroexpansión a introduit un recours tendant à l’annulation partielle de l’article 3 de la décision litigieuse ainsi qu’à une réduction du montant de l’amende que la Commission lui avait infligée.

21      À l’appui de son recours, Agroexpansión a soulevé quatre moyens, tirés:

–        le premier, de la violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ainsi que d’un défaut de motivation en ce qui concerne l’existence et l’étendue d’une responsabilité solidaire pour le paiement de l’amende infligée;

–        le deuxième, de la violation du principe d’égalité de traitement au regard de l’application d’un coefficient multiplicateur aux fins de dissuasion;

–        le troisième, de la violation du principe de protection de la confiance légitime en ce que la Commission aurait omis de prendre en compte une circonstance atténuante;

–        le quatrième, de la violation de la communication sur la coopération ainsi que des principes de proportionnalité, de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement.

22      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les trois premiers moyens. Il a également rejeté le quatrième moyen, sauf dans la mesure où il a jugé que la Commission avait attribué de manière erronée une affirmation à Agroexpansión en réponse à la communication des griefs, c’est-à-dire dans le cadre du titre D, point 2, second tiret, de la communication sur la coopération. Par conséquent, le Tribunal a accordé à cette société, au titre de sa coopération, une réduction supplémentaire de l’amende de 5 % s’ajoutant à celle de 20 % déjà octroyée par la Commission et a fixé à 2 430 000 euros le montant final de l’amende infligée à Agroexpansión.

 Les conclusions des parties

23      AOI demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission demande à la Cour:

–        de rejeter le pourvoi, et

–        de condamner AOI aux dépens.

 Sur le pourvoi

25      À l’appui de son pourvoi, AOI soulève quatre moyens tirés, le premier, de la violation des articles 101, paragraphe 1, TFUE, 296 TFUE ainsi que 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, le deuxième, d’une erreur dans l’application des lignes directrices ainsi que de la violation des principes d’individualisation des sanctions et de proportionnalité pour la période au cours de laquelle Agroexpansión ne faisait pas partie du groupe Dimon, le troisième, d’une erreur dans l’application de la communication sur la coopération et de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ainsi que de l’obligation de motivation, et, le quatrième, de la non-application du point 3, troisième tiret, des lignes directrices ainsi que d’une violation du principe de protection de la confiance légitime.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

26      Par la première branche de son premier moyen, AOI considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en n’annulant pas la décision litigieuse pour défaut de motivation. À cet égard, elle soutient que la Commission n’a pas défini le seul critère de preuve établi dans cette décision pour imputer la responsabilité du comportement illégal d’une filiale à sa société mère, à savoir celui de la «participation matérielle» de celle-ci aux faits visés, mentionné au considérant 376 de ladite décision, et n’a pas expliqué dans cette dernière la raison pour laquelle elle impliquait certaines sociétés mères et pas d’autres.

27      AOI fait valoir que le Tribunal a outrepassé les limites de sa compétence dès lors qu’il a tenté de corriger ledit défaut de motivation ex post facto en exposant, au point 122 de l’arrêt attaqué, la méthode dite «de la double base». Toutefois, la Commission aurait affirmé pour la première fois devant le Tribunal, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de ce dernier du 27 octobre 2010, Alliance One International e.a./Commission (T‑24/05, Rec. p. II‑5329), avoir employé cette méthode dans la décision litigieuse.

28      En réinterprétant ainsi la décision litigieuse, le Tribunal aurait cherché à sauvegarder le principe d’égalité de traitement en prétendant que la Commission avait appliqué ladite méthode de manière identique à toutes les sociétés mères concernées. Cependant, la Commission aurait affirmé avoir appliqué cette même méthode à certaines de ces sociétés mères tout en précisant, dans sa réponse à une question écrite du Tribunal, qu’elle avait tenu Dimon pour responsable de l’infraction commise par Agroexpansión sur le seul fondement de la présomption qu’une société mère détenant 100 % du capital d’une filiale exerce effectivement une influence déterminante sur celle-ci.

29      En outre, le considérant 372 de la décision litigieuse indiquerait seulement que cette présomption peut être confirmée par d’autres facteurs. L’existence de preuves supplémentaires ne constituant donc pas une condition d’imputation de la responsabilité à la société mère, l’application de la méthode de la double base serait arbitraire dès lors que ladite présomption pourrait être appliquée de manière stricte dans certains cas et non dans d’autres.

30      Au demeurant, même si la méthode de la double base était applicable, les preuves relatives à la participation de Dimon à l’infraction ne seraient pas plus solides que celles relatives à la participation d’Universal et d’Universal Leaf à cette même infraction.

31      Par la seconde branche de son premier moyen, AOI prétend que le Tribunal aurait dû déclarer que la Commission n’avait pas suffisamment motivé, dans la décision litigieuse, son rejet des arguments d’Agroexpansión tendant à réfuter l’application de la présomption susvisée à Dimon.

32      À cet égard, la Commission se serait bornée à examiner un seul des éléments avancés relatifs au comportement autonome d’Agroexpansión à l’égard de sa société mère. Il serait donc impossible de déterminer si elle avait attribué la responsabilité à Dimon sur le fondement de ladite présomption seulement ou après la prise en considération des éléments invoqués par Agroexpansión afin de renverser une telle présomption. Dans la mesure où la Commission estimait que cette attribution de responsabilité pouvait se fonder sur les éléments figurant au considérant 379 de la décision litigieuse, qui contiendrait des arguments vagues et inexacts, une telle position n’aurait pas non plus été suffisamment motivée.

33      Au vu des arguments invoqués dans l’ensemble du premier moyen, AOI demande l’annulation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne la prise en compte du chiffre d’affaires du groupe Dimon dans la fixation de l’amende infligée à Agroexpansión ainsi que la réduction de cette amende aux fins de respecter la limite du pourcentage du chiffre d’affaires prévu à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003.

34      La Commission estime que les arguments avancés par AOI dans le cadre de son premier moyen sont irrecevables au motif qu’ils n’ont pas été soulevés devant le Tribunal et que, en ce qui concerne l’allégation relative à la violation du principe d’égalité de traitement, ils sont dirigés non pas contre l’arrêt attaqué, mais contre les développements de la Commission devant le Tribunal. En tout état de cause, lesdits arguments seraient non fondés.

 Appréciation de la Cour

35      S’agissant de la première branche du premier moyen, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission, tirée du caractère nouveau des arguments invoqués par AOI, ne saurait être accueillie. En effet, il est en substance reproché au Tribunal d’avoir réinterprété la décision litigieuse, à la suite des explications de la Commission émises postérieurement à celle-ci, afin de pallier les violations de l’obligation de motivation ainsi que du principe d’égalité de traitement prétendument commises par cette institution dans ladite décision. Or, de tels arguments n’ayant pu être soulevés en première instance, ils ne sauraient être considérés comme irrecevables dans le cadre du pourvoi (voir, en ce sens, arrêts du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, Rec. p. I‑439, point 33, ainsi que du 28 juillet 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, C‑471/09 P à C‑473/09 P, point 124).

36      Quant au fond, il convient de rappeler, à titre liminaire, qu’une infraction aux règles de la concurrence commise par une filiale peut être imputée à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir arrêts du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, point 58, ainsi que du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C‑628/10 P et C‑14/11 P, non encore publié au Recueil, point 43).

37      En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale faisant partie d’une même unité économique et formant ainsi une seule entreprise au sens de l’article 81 CE, la Commission peut adresser une décision infligeant des amendes à la société mère sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (voir arrêts précités Akzo Nobel e.a./Commission, point 59, ainsi que Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., point 44).

38      La Cour a précisé que, dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence (arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 46 et jurisprudence citée).

39      Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour qu’il puisse être présumé que cette dernière exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêts précités Akzo Nobel e.a./Commission, point 61, ainsi que Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., point 47).

40      Toutefois, cette jurisprudence n’implique pas que la Commission est tenue de se fonder exclusivement sur ladite présomption. En effet, rien n’empêche cette institution d’établir l’exercice effectif, par une société mère, d’une influence déterminante sur sa filiale par d’autres éléments de preuve ou par une combinaison de tels éléments avec ladite présomption (arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 49).

41      En l’espèce, ainsi que le Tribunal l’a constaté aux points 115 à 129 de l’arrêt attaqué, il ressort de la décision litigieuse que la Commission avait décidé, pour l’appréciation de l’exercice effectif d’une influence déterminante sur les filiales par les sociétés mères, de ne tenir ces dernières pour responsables que lorsque des éléments de preuve venaient confirmer la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante sur les filiales qui découle du contrôle de l’ensemble du capital de celles-ci par les sociétés mères (méthode de la double base) et que, partant, elle avait renoncé à s’en tenir à l’application de la seule présomption d’influence déterminante (arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 50).

42      En ce qui concerne l’emploi de cette méthode dans la décision litigieuse, le Tribunal s’est prononcé comme suit aux points 122 et 123 de l’arrêt attaqué:

«122      [...] en l’espèce, pour imputer aux sociétés mères se trouvant dans un tel cas de figure la responsabilité de l’infraction commise par leur filiale, la Commission a choisi de ne pas se contenter d’avoir recours à [la présomption selon laquelle une société mère qui détient la totalité du capital de sa filiale exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de cette dernière], mais de se fonder également sur des éléments de fait visant à établir que ces sociétés mères exerçaient effectivement une influence déterminante sur leur filiale et, partant, à corroborer ladite présomption (voir, notamment, considérants 372, 375, 376 et 378 de la décision [litigieuse]).

123      Ainsi, il ressort expressément du considérant 18 de la décision [litigieuse] que, si la Commission n’a pas tenu les sociétés mères faîtière et intermédiaire de Deltafina, à savoir Universal et Universal Leaf, pour responsables du comportement infractionnel de leur filiale, en dépit du fait qu’elles la contrôlaient à 100 %, c’est au motif qu’elle ne disposait pas de preuves suffisantes de ce qu’elles exerçaient effectivement une influence déterminante sur ladite filiale. C’est également dans ce sens qu’il convient de comprendre le considérant 376 de la décision [litigieuse], même s’il est rédigé en des termes quelque peu ambigus. Plus particulièrement, s’il est vrai que la Commission déclare, dans ce considérant, que son dossier ne contient ‘aucune indication de participation matérielle d’Universal [...] et d’Universal Leaf dans les faits examinés dans la [décision litigieuse]’, toutefois, lue en parallèle avec le considérant 18 de cette décision et replacée dans le contexte de celle-ci, cette déclaration ne saurait être interprétée comme signifiant que la raison pour laquelle elle n’a pas retenu la responsabilité de ces deux sociétés mères – ou d’une quelconque autre société mère – est leur absence d’implication dans l’infraction.»

43      Il découle de ces points de l’arrêt attaqué que le Tribunal a fondé son appréciation de la méthode de la double base adoptée par la Commission dans la décision litigieuse sur sa propre interprétation de celle-ci, considérée dans son ensemble (voir arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, points 121 et 132).

44      Cette appréciation du Tribunal n’est entachée d’aucune erreur de droit. En particulier, c’est à bon droit que, par son interprétation, le Tribunal a réfuté la lecture du considérant 376 de la décision litigieuse proposée par Agroexpansión dans son mémoire en réplique, selon laquelle c’est en raison de l’absence d’éléments indiquant la participation matérielle des sociétés mères de Taes à l’infraction que la Commission n’a pas retenu la responsabilité de celles-ci, une telle lecture étant en contradiction avec une lecture d’ensemble de cette décision (voir arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 133).

45      Il s’ensuit, premièrement, que, le critère de la «participation matérielle» n’ayant pas été employé dans la décision litigieuse pour déterminer la responsabilité éventuelle des sociétés mères à raison du comportement de leurs filiales, l’argument d’AOI tiré d’un défaut de motivation, tel que résumé au point 26 du présent arrêt, n’est pas fondé.

46      Deuxièmement, l’allégation d’AOI selon laquelle le Tribunal a défini la méthode de la double base à la suite des explications de la Commission émises postérieurement à ladite décision est également dénuée de fondement dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 43 du présent arrêt, l’appréciation faite par le Tribunal de cette méthode était fondée sur son interprétation de la décision litigieuse.

47      En ce qui concerne l’affirmation d’AOI selon laquelle la Commission n’a pas appliqué la méthode de la double base à Dimon, il convient de constater que c’est à bon droit que le Tribunal a relevé, aux points 122 à 129 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait appliqué la méthode de la double base à toutes les sociétés mères dans la décision litigieuse (voir, par analogie, arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 137), y compris, ainsi qu’il ressort des points 126 et 127, à Dimon. Cette constatation n’est pas susceptible d’être infirmée par la réponse de la Commission à une question du Tribunal au cours de l’instance, telle que mentionnée au point 28 du présent arrêt, à supposer même que l’interprétation de cette réponse avancée par AOI soit correcte.

48      Quant à l’argument, énoncé au point 29 du présent arrêt, selon lequel la méthode de la double base est susceptible d’être appliquée à l’égard de certaines sociétés mères et pas à l’endroit d’autres sociétés mères, il suffit de constater que, dès lors que, ainsi qu’il résulte du point précédent, la Commission a bien appliqué la méthode de la double base à toutes les sociétés mères concernées en l’occurrence, cet argument est dépourvu de toute pertinence.

49      S’agissant de l’argument selon lequel, même en admettant l’application de la méthode de la double base, les preuves de la participation de Dimon à l’infraction en cause ne seraient pas plus solides que celles relatives aux sociétés mères dont la responsabilité n’a pas été retenue pour cette même infraction, force est de constater qu’AOI tend à remettre en cause des constatations et des appréciations de nature factuelle effectuées par le Tribunal.

50      À cet égard, il convient de rappeler que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêts du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, Rec. p. I‑4429, point 85, ainsi que du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, Rec. p. I‑2359, point 180).

51      Aucune dénaturation n’ayant été alléguée par AOI en l’occurrence, ledit argument doit par conséquent être considéré comme irrecevable.

52      En ce qui concerne, enfin, la seconde branche du premier moyen, il convient de rappeler qu’il résulte des articles 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que 168, paragraphe 1, sous d), et 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de celle-ci qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (voir arrêt du 11 avril 2013, Mindo/Commission, C‑652/11 P, non encore publié au Recueil, point 21 et jurisprudence citée).

53      Force est de constater qu’AOI, par ses arguments avancés dans le cadre de la seconde branche de son premier moyen, reproche non pas au Tribunal, mais à la Commission un défaut de motivation de la décision litigieuse. En particulier, son argumentation ne contient aucun argument relatif à un défaut de motivation de l’arrêt attaqué. Dans la mesure où il est fait grief au Tribunal de ne pas avoir annulé cette décision pour défaut de motivation, lesdits arguments ne permettent d’identifier avec la précision requise ni les éléments critiqués de l’arrêt attaqué ni les arguments juridiques invoqués au soutien de cette critique (voir, par analogie, ordonnance du 3 mai 2012, World Wide Tobacco España/Commission, C‑240/11 P, points 52 et 53).

54      Il s’ensuit que la seconde branche du premier moyen doit être considérée comme irrecevable.

55      Par conséquent, il y a lieu d’écarter le premier moyen du pourvoi comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

56      Par son deuxième moyen, AOI reproche au Tribunal une violation des principes d’individualisation des sanctions et de proportionnalité en tant qu’il aurait entériné, aux points 192 à 197 de l’arrêt attaqué, l’application erronée par la Commission, dans la décision litigieuse, du coefficient multiplicateur de 2 aux fins de dissuasion, au titre du point 1, A, quatrième alinéa, des lignes directrices, à la période de l’infraction qui a précédé l’acquisition d’Agroexpansión par Dimon au mois de novembre de l’année 1997. En effet, l’application de ce coefficient à l’égard de cette période aurait tenu compte non pas de la capacité économique d’Agroexpansión considérée individuellement, mais de sa capacité en tant qu’«unité économique» constituée par elle-même et Dimon à la date à laquelle l’amende a été infligée.

57      À cet égard, AOI considère que l’approche suivie par la Commission dans plusieurs décisions, consistant à tenir compte des ressources économiques propres d’une entreprise afin de limiter le montant d’une sanction à 10 % du chiffre d’affaires, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, bien que, à la date du prononcé de cette sanction, cette entreprise fasse partie d’une unité économique de taille plus importante, devrait être adoptée par analogie en ce qui concerne le coefficient multiplicateur susmentionné. Elle fait également valoir que, dans l’arrêt du 29 septembre 2011, Arkema/Commission (C‑520/09 P, Rec. p. I‑8901), la Cour a considéré que l’application de différents coefficients aux fins de dissuasion permettait de respecter le principe de proportionnalité dès lors que la moindre capacité de paiement de la filiale était prise en compte.

58      AOI estime en outre que, aux fins de respecter le principe d’égalité de traitement, aucun coefficient multiplicateur n’aurait dû être appliqué pour la période antérieure au mois de novembre 1997, dès lors que le Tribunal a approuvé la non-application d’un tel coefficient au montant de départ des amendes infligées à Taes et à Deltafina au motif que les sociétés mères de celles-ci n’avaient pas été déclarées solidairement responsables de l’infraction commise par leurs filiales. Par conséquent, le Tribunal aurait commis une erreur de droit, aux points 216 à 218 de l’arrêt attaqué, en constatant que la prise en compte des ressources économiques de Dimon pour fixer le montant de la sanction infligée à Agroexpansión pendant ladite période n’enfreignait pas ce principe.

59      À titre subsidiaire, AOI prétend qu’il ressort du considérant 423 de la décision litigieuse que, pour justifier l’augmentation du montant de départ de l’amende, la Commission a appliqué le point 1, A, cinquième alinéa, des lignes directrices, relatif à la possibilité de tenir compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps de connaissances et des infrastructures juridico-économiques leur permettant de mieux apprécier le caractère infractionnel et les conséquences de leur comportement. Or, conformément au point 125 de l’arrêt du Tribunal du 24 mars 2011, Pegler/Commission (T‑386/06, Rec. p. II‑1267), ce serait la taille de l’entreprise en cause au moment de l’infraction qui constitue le critère pertinent pour justifier une telle augmentation à ce titre. En conséquence, l’amende infligée à Agroexpansión devrait être réduite afin d’exclure l’application d’un facteur multiplicateur aux fins de dissuasion.

60      La Commission estime que les arguments d’AOI sont non fondés et que celui invoqué à titre subsidiaire est irrecevable comme ayant été soulevé pour la première fois au stade du pourvoi.

 Appréciation de la Cour

61      Il y a lieu de constater que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 194 de l’arrêt attaqué, que c’est à bon droit que la Commission a appliqué le coefficient multiplicateur de 2 aux fins de dissuasion en se fondant sur la taille et les ressources globales de l’entité économique constituée par Agroexpansión et Dimon en 2003, qui est l’année précédant celle de l’adoption de la décision litigieuse, et que le fait que Dimon ne pouvait être tenue pour solidairement responsable avec Agroexpansión de l’infraction avant le mois de novembre 1997 est dépourvu de pertinence.

62      À cet égard, il convient de rappeler que la notion de «dissuasion» constitue l’un des éléments à prendre en compte dans le calcul du montant de l’amende. Il est en effet de jurisprudence constante que les amendes infligées en raison de violations de l’article 81 CE, telles que prévues à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, ont pour objet de réprimer les actes illégaux des entreprises concernées ainsi que de dissuader tant les entreprises en question que d’autres opérateurs économiques de violer, à l’avenir, les règles du droit de la concurrence de l’Union. Or, le lien entre, d’une part, la taille et les ressources globales des entreprises et, d’autre part, la nécessité d’assurer un effet dissuasif à l’amende ne saurait être contesté (voir arrêts du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission, C-289/04 P, Rec. p. I-5859, point 16, et du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, Rec. p. I‑5361, point 102).

63      En effet, c’est l’impact recherché sur l’entreprise concernée qui justifie la prise en considération de la taille et des ressources globales de cette entreprise afin d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende, la sanction ne devant pas être négligeable au regard, notamment, de la capacité financière de ladite entreprise (arrêt Lafarge/Commission, précité, point 104).

64      Il s’ensuit que, aux fins d’infliger une amende d’un montant susceptible de dissuader les entreprises concernées de violer, à l’avenir, les règles du droit de la concurrence de l’Union, il convient de prendre en considération la taille et les ressources globales de ces dernières au moment de l’adoption de la décision litigieuse (voir, en ce sens, ordonnance du 7 février 2012, Total et Elf Aquitaine/Commission, C‑421/11 P, point 82). En conséquence, la taille et les ressources globales éventuellement réduites desdites entreprises à un stade antérieur de l’infraction sont sans incidence pour la fixation d’un coefficient multiplicateur aux fins de dissuasion.

65      Cette conclusion n’est pas infirmée par les arguments d’AOI résumés au point 57 du présent arrêt. S’agissant, d’une part, des décisions de la Commission invoquées par cette société, il suffit de constater que, conformément à la règle énoncée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, telle que reprise à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, c’est le chiffre d’affaires total d’une entreprise ou d’une association d’entreprises réalisé au cours de l’exercice social précédant l’adoption de la décision de la Commission qui sert à fixer le montant maximal de l’amende à infliger.

66      D’autre part, AOI ne saurait utilement invoquer l’arrêt Arkema/Commission, précité. En effet, ainsi qu’il ressort des points 70 à 76 de celui-ci, il était question, dans la décision en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, d’appliquer un facteur multiplicateur distinct et hypothétique, reflétant la capacité économique de la filiale concernée prise isolément, uniquement aux fins de calculer une amende supplémentaire infligée à cette seule filiale pour prendre en compte son comportement récidiviste.

67      Il découle de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter l’allégation d’AOI relative à une violation du principe d’égalité de traitement. En effet, elle est fondée sur la prémisse erronée selon laquelle il y avait lieu de prendre en compte, aux fins de dissuasion, la taille et les ressources d’Agroexpansión avant le mois de novembre 1997.

68      En ce qui concerne, enfin, l’argument invoqué à titre subsidiaire par AOI, selon lequel la Commission aurait appliqué le point 1, A, cinquième alinéa, des lignes directrices dans la décision litigieuse, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. Ainsi, la compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est en effet limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc modifier l’objet dudit litige en soulevant pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle aurait pu soulever devant le Tribunal, mais qu’elle n’a pas soulevé, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (voir, notamment, arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec. p. I‑8947, point 35 et jurisprudence citée).

69      Or, il ressort du dossier du recours devant le Tribunal qu’Agroexpansión n’a pas invoqué en première instance un moyen tiré de la lecture du considérant 423 de la décision litigieuse indiquée au point 59 du présent arrêt, et ce alors même qu’elle aurait été en mesure de le faire. Un tel argument est donc susceptible de modifier l’objet du litige et il est, pour ce motif, irrecevable.

70      Dans ces conditions, le deuxième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant, en partie, non fondé et, en partie, irrecevable.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

71      Par son troisième moyen, AOI demande, à titre principal, qu’Agroexpansión bénéficie du même taux de réduction de l’amende que celui accordé à Taes en vertu du titre D, point 2, premier tiret, de la communication sur la coopération, dans la mesure où, contrairement à ce que le Tribunal a constaté aux points 267 et 268 de l’arrêt attaqué, la valeur des renseignements fournis volontairement par ces deux transformateurs, relatifs à l’explication des pratiques sanctionnées et à l’implication de Deltafina dans ces dernières, aurait été comparable.

72      Selon AOI, il découle dudit point 268 que le Tribunal a tenu compte uniquement des réponses d’Agroexpansión aux demandes de renseignements de la Commission et non pas des informations fournies volontairement à cette dernière par cette société dans deux lettres qu’elle lui a envoyées ainsi que dans sa demande de clémence, lesquelles ont été annexées à la requête déposée devant le Tribunal. Ce dernier n’aurait donc pas effectué une appréciation suffisante des preuves qu’Agroexpansión a présentées. La motivation de l’arrêt attaqué serait donc insuffisante, ce qui entraînerait, par voie de conséquence, une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

73      À titre subsidiaire, AOI sollicite le bénéfice pour Agroexpansión du même taux de réduction de l’amende que celui accordé à Cetarsa et à WWTE, dès lors que ces trois transformateurs auraient fourni à la Commission des renseignements d’une utilité comparable avant l’envoi de la communication des griefs, c’est-à-dire dans le cadre du titre D, point 2, premier tiret, de la communication sur la coopération. Elle fait valoir qu’Agroexpansión a subi un traitement discriminatoire par rapport à ces deux autres sociétés et que, en méconnaissance de l’obligation de motivation, le Tribunal n’a pas examiné cette question malgré la demande qui avait été formulée dans la requête à cet effet.

74      La Commission propose de rejeter ce moyen.

 Appréciation de la Cour

75      À titre liminaire, il convient de rappeler que le titre D, point 2, premier tiret, de la communication sur la coopération prévoit une réduction du montant de l’amende si, avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise, alors que le second tiret de ce même point 2 énonce qu’une telle réduction peut être accordée si, après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations.

76      Le Tribunal a réfuté les arguments d’Agroexpansión, visant à obtenir, au titre de la coopération, la même réduction de l’amende que celle accordée à Taes, en se prononçant dans les termes suivants aux points 266 à 268 de l’arrêt attaqué:

«266      D’une part, en effet, s’agissant de l’application [du titre D, point 2, second tiret, de la communication sur la coopération,] Taes, à la différence [d’Agroexpansión], n’avait contesté en aucune manière la matérialité des faits.

267      D’autre part, s’agissant de l’application du [titre D, point 2, premier tiret], il ressort clairement du dossier que la coopération apportée par Taes était d’une qualité et d’une utilité supérieures à celle apportée par [Agroexpansión]. Ainsi, les informations fournies par cette dernière, bien qu’étant utiles, ne faisaient en grande partie que confirmer ou clarifier des éléments dont la Commission disposait déjà et n’avaient donc qu’une faible valeur ajoutée, alors que Taes avait, en outre, apporté des éléments nouveaux et décisifs permettant d’établir la responsabilité de Deltafina dans la commission de l’infraction.

268      Dans ce contexte, [Agroexpansión] ne saurait valablement invoquer – comme elle le fait dans la requête – les réponses qu’elle a données aux demandes de renseignements qui lui avaient été adressées par la Commission sur le fondement de l’article 11 du règlement n° 17. En effet, les documents fournis à la Commission en réponse à une demande de renseignements le sont en vertu d’une obligation légale et ne sauraient être pris en compte au titre de la communication sur la coopération même s’ils peuvent servir à établir, à l’encontre de l’entreprise qui les fournit ou à l’encontre d’une autre entreprise, l’existence d’un comportement anticoncurrentiel [...]»

77      Tout d’abord, force est de constater que, par ses arguments résumés au point 71 du présent arrêt, AOI conteste les appréciations d’ordre factuel figurant aux points 267 et 268 de l’arrêt attaqué, sans pour autant alléguer la dénaturation des éléments de preuve présentés devant le Tribunal. Conformément à la jurisprudence rappelée au point 50 du présent arrêt, de tels arguments sont irrecevables au stade du pourvoi.

78      Ensuite, s’agissant de l’argumentation d’AOI selon laquelle le Tribunal aurait tenu compte uniquement des réponses d’Agroexpansión aux demandes de renseignements de la Commission et non des informations fournies spontanément par cette société, il y a lieu de relever qu’une telle argumentation procède d’une lecture partielle de l’arrêt attaqué. En effet, si, comme AOI le prétend, le Tribunal s’était borné, aux fins de l’application du titre D, point 2, premier tiret, de la communication sur la coopération, à tenir compte de la réponse d’Agroexpansión à une demande de renseignements de la Commission, aucune réduction du montant de l’amende n’aurait été accordée à cette entreprise au titre de cette disposition, et ce pour les raisons explicitées par le Tribunal au point 268 de l’arrêt attaqué.

79      Toutefois, il ressort clairement du point 267 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a pris en considération d’autres éléments produits par Agroexpansión. Il a en outre expliqué, avec une motivation suffisante, les raisons pour lesquelles il considérait que la coopération de Taes sur le fondement du titre D, point 2, premier tiret, de la communication sur la coopération était d’une qualité et d’une utilité supérieures à celle d’Agroexpansión. Par conséquent, l’argumentation tirée d’un défaut de motivation ainsi que d’une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement qui en résulteraient est dépourvue de fondement.

80      Enfin, en ce qui concerne l’argument subsidiaire d’AOI, par lequel cette dernière demande le bénéfice pour Agroexpansión du même taux de réduction de l’amende que celui accordé à Cetarsa et à WWTE, il convient de relever que, devant le Tribunal, cette demande était fondée sur des éléments de sa réponse à la communication des griefs afférents au caractère secret des accords entre les transformateurs sur les prix de livraison moyens (maximaux). Ainsi, c’est au regard du titre D, point 2, second tiret, de la communication sur la coopération qu’Agroexpansión a contesté l’application du taux de réduction moindre que celui accordé aux autres transformateurs. Cette contestation a été rejetée au point 269 de l’arrêt attaqué, lequel n’est pas mis en cause par AOI dans le cadre du présent pourvoi.

81      Il en découle que l’argument évoqué au point 73 du présent arrêt, qui relève du premier tiret dudit point 2, n’a pas été soulevé devant le Tribunal. Par conséquent, conformément à la jurisprudence citée au point 68 du présent arrêt, cet argument doit être écarté comme irrecevable.

82      Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

 Sur le quatrième moyen

 Argumentation des parties

83      Par son quatrième moyen, AOI soutient que le Tribunal a considéré à tort, au point 230 de l’arrêt attaqué, que la circonstance atténuante visée au point 3, troisième tiret, des lignes directrices, à savoir la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission, ne pouvait être appliquée au motif que l’infraction commise par Agroexpansión avait cessé le 10 août 2001. À cet égard, cette institution aurait également reconnu que, selon les déclarations des transformateurs, l’entente avait cessé d’exister le 3 octobre 2001. Or, dans la mesure où la cessation de l’infraction dès les premières interventions de la Commission constituerait une circonstance atténuante, Agroexpansión pourrait légitimement s’attendre à ce qu’une réduction de l’amende lui soit accordée à ce titre.

84      AOI fait en outre valoir que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit dans la mesure où le Tribunal a jugé, aux points 231 et 232 de cet arrêt, que ladite circonstance atténuante n’est pas applicable en l’espèce en raison de la nature de l’infraction. Elle relève que, dans d’autres décisions de la Commission, les amendes infligées pour des infractions graves et secrètes ont bénéficié d’une réduction au titre de ladite disposition des lignes directrices. AOI demande le bénéfice d’une réduction du montant de l’amende infligée à Agroexpansión pour tenir compte du fait que la participation de celle-ci à l’infraction aurait cessé au moment où la Commission est intervenue.

85      La Commission conclut au rejet de ce moyen.

 Appréciation de la Cour

86      La Cour a déjà eu l’occasion de confirmer la constatation du Tribunal selon laquelle la circonstance visée au point 3, troisième tiret, des lignes directrices, consistant en la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission, ne peut logiquement être une circonstance atténuante que s’il existe des raisons de supposer que les entreprises en cause ont été incitées à arrêter leurs comportements anticoncurrentiels par les interventions en question (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, Rec. p. I‑829, point 158).

87      Au point 230 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que l’infraction en cause avait cessé le 10 août 2001, soit avant la date des premières vérifications opérées par la Commission, de sorte que cette cessation ne saurait constituer une circonstance atténuante aux fins de la fixation du montant de l’amende. À cet égard, le Tribunal a précisé au même point que, nonobstant les déclarations des transformateurs, la Commission avait retenu ladite date comme étant celle de la fin de l’infraction au motif que la dernière preuve de l’infraction dont elle disposait était une réunion qui avait eu lieu à la même date.

88      Par son argumentation, AOI conteste essentiellement la constatation factuelle du Tribunal en ce qui concerne la date de cessation de ladite infraction, sans invoquer aucune dénaturation. Or, il résulte de la jurisprudence citée au point 50 du présent arrêt qu’une telle argumentation n’est pas recevable au stade du pourvoi.

89      Dès lors que l’argument d’AOI selon lequel Agroexpansión pouvait légitimement s’attendre à une réduction de l’amende au titre de la circonstance atténuante énoncée au point 3, troisième tiret, des lignes directrices est tributaire de sa contestation mentionnée au point précédent, cet argument est également irrecevable.

90      En ce qui concerne les critiques d’AOI à l’égard des points 231 et 232 de l’arrêt attaqué, il suffit de constater que les considérations développées par le Tribunal à ces points, relatives à l’hypothèse selon laquelle l’infraction aurait pu être considérée comme ayant cessé le 3 octobre 2001, comme le prétendait Agroexpansión, constituent des motifs surabondants.

91      Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, les griefs dirigés contre des motifs surabondants d’une décision du Tribunal ne sauraient entraîner l’annulation de cette décision et sont donc inopérants (voir, notamment, ordonnance du 20 janvier 2009, Mebrom/Commission, C‑374/07 P, point 57, et arrêt du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, Rec. p. I‑2131, point 211).

92      Par conséquent, il y a lieu d’écarter le quatrième moyen comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, inopérant.

 Sur la demande de réduction de l’amende

93      Dans ses conclusions ainsi que dans le cadre des moyens qu’elle invoque à l’appui de son pourvoi, AOI considère que l’amende infligée à Agroexpansión devrait être réduite.

94      Étant donné que, eu égard à tout ce qui précède, aucun des moyens invoqués par AOI au soutien de son pourvoi ne saurait être accueilli, la demande de réduction de ladite amende doit en tout état de cause être rejetée.

95      Il s’ensuit que le pourvoi d’AOI doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

96      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation d’AOI et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens afférents au pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Alliance One International Inc. est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.