Language of document : ECLI:EU:T:2012:686

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

13 décembre 2012(*)

« Concurrence – Ententes – Marché du caoutchouc chloroprène – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix et répartition du marché – Imputabilité du comportement infractionnel – Obligation de motivation – Droits de la défense – Preuve de la participation à l’entente − Infraction unique et continue − Amendes − Gravité et durée de l’infraction − Récidive – Effet dissuasif – Circonstances atténuantes – Limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires – Coopération − Communication sur la coopération de 2002 − Égalité de traitement – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑103/08,

Versalis SpA, anciennement Polimeri Europa SpA, établie à Brindisi (Italie),

Eni SpA, établie à Rome (Italie),

représentées initialement par Mes M. Siragusa, G.M. Roberti, F. Moretti, I. Perego, F. Cannizzaro, V. Ruotolo, V. Larocca et D. Durante, puis par Mes Siragusa, Roberti, Moretti, Perego, Cannizzaro, Larocca et Durante, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. V. Di Bucci, G. Conte et V. Bottka, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation partielle de la décision C (2007) 5910 final de la Commission, du 5 décembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38629 – Caoutchouc chloroprène), dans la mesure où elle concerne les requérantes, et, à titre subsidiaire, une demande de suppression ou de réduction du montant de l’amende infligée solidairement aux requérantes par cette décision,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. A. Dittrich, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka (rapporteur) et M. M. Prek, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 février 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1.     Requérantes et produit concerné

1        Le présent recours a été introduit par deux destinataires de la décision C (2007) 5910 final de la Commission, du 5 décembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38629 – Caoutchouc chloroprène) (ci-après la « décision attaquée »), à savoir Polimeri Europa SpA, ayant son siège à Brindisi (Italie), devenue Versalis SpA, et sa société mère Eni SpA, ayant son siège à Rome (Italie), les requérantes.

2        Eni est la société mère ultime du groupe Eni, lequel est entré sur le marché du caoutchouc chloroprène (ci-après le « CR ») à la fin de 1992 par le biais de l’acquisition de la branche du CR du groupe Rhône-Poulenc, dont la société spécialisée dans le CR s’appelait Distugil. Pendant la période allant du 13 mai 1993 au 31 octobre 1997, la société responsable de l’activité relative au CR (ci-après l’ « activité CR ») au sein du groupe Eni était EniChem Elastomeri Srl, contrôlée à 100 % par EniChem SpA, elle-même contrôlée, pour partie directement et pour partie indirectement, par Eni à un niveau compris entre 99,93 et 99,97 %. Le 1er novembre 1997, EniChem Elastomeri a été englobée par incorporation dans EniChem. Cette dernière a repris la responsabilité des actions antérieures d’EniChem Elastomeri, qui a cessé d’exister en tant qu’entité juridique distincte. Le 1er janvier 2002, EniChem a transféré son activité CR à sa filiale détenue à 100 %, Polimeri Europa. Le 21 octobre 2002, Eni a acquis le contrôle direct à 100 % de Polimeri Europa. Le 30 avril 2003, EniChem a changé de nom pour s’appeler [confidentiel] (1) SpA.

3        Le CR est un caoutchouc synthétique qui se compose d’un polymère de fabrication artificielle faisant office d’élastomère. Le CR est utilisé principalement dans la fabrication de pièces techniques en caoutchouc, tels que des câbles, des tuyaux ou des courroies de transmission, dans celle d’adhésifs destinés notamment aux industries de la chaussure et du meuble, tels que des semelles, des talons et des tissus enduits, et dans celle de latex pour les équipements de plongée, les modifications bitumeuses et la semelle intérieure des chaussures (voir considérants 7 à 11 de la décision attaquée).

4        Les autres destinataires de la décision attaquée sont : Bayer AG, EI du Pont de Nemours and Company (ci-après « EI DuPont »), DuPont Performance Elastomers LLC, DuPont Performance Elastomers SA, The Dow Chemical Company (ci-après « Dow »), Denki Kagaku Kogyo K.K., Denka Chemicals GmbH, Tosoh Corp. et Tosoh Europe BV.

2.     Procédure devant la Commission

5        Le 18 décembre 2002, Bayer a informé la Commission des Communautés européennes de [confidentiel] et lui a exprimé son souhait de coopérer avec elle dans les conditions prévues dans sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération de 2002 »). Par décision du 27 janvier 2003, la Commission a accordé à Bayer l’immunité conditionnelle d’amendes (voir considérant 60 de la décision attaquée).

6        À la suite de la communication d’informations par Bayer, la Commission a procédé à des vérifications inopinées dans les installations de Dow Deutschland Inc., le 27 mars 2003, et dans les bâtiments de Denka Chemicals, le 9 juillet 2003 (voir considérants 61 et 62 de la décision attaquée).

7        Le 15 juillet 2003, Tosoh Corp. et Tosoh Europe, et le 21 novembre 2003, DuPont Dow Elastomers LLC (ci-après « DDE »), une entreprise commune détenue à parts égales par EI DuPont et Dow, ont respectivement introduit une demande de clémence conformément à la communication sur la coopération de 2002.

8        En mars 2005, la Commission a envoyé ses premières demandes de renseignements aux entreprises destinataires de la décision attaquée, au titre de l’article 18 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1).

9        À la réception de la première demande de renseignements, [confidentiel] et Polimeri Europa ont introduit, [confidentiel], des demandes de clémence. [confidentiel] a soumis d’« autres » déclarations dans le cadre de cette demande de clémence en [confidentiel] et en [confidentiel] (voir considérants 63 à 66 de la décision attaquée).

10      Par lettres du 7 mars 2007, la Commission a informé Tosoh Corp., Tosoh Europe et DDE de sa conclusion provisoire selon laquelle les éléments de preuve qu’elles lui avaient communiqués constituaient une valeur ajoutée significative au sens du paragraphe 22 de la communication sur la coopération de 2002 et, partant, de son intention de réduire le montant de l’amende qui leur serait infligée dans une des fourchettes visées au paragraphe 23, sous b), premier alinéa, de ladite communication, à savoir une réduction de 30 à 50 % pour Tosoh Corp. et Tosoh Europe et une réduction de 20 à 30 % pour DDE (voir considérants 63 à 66 de la décision attaquée). Par lettres du même jour, [confidentiel] et Polimeri Europa ont été informées que leurs demandes ne répondaient pas aux conditions visées au paragraphe 8, sous a) et b), de la communication sur la coopération de 2002 et que, en application des paragraphes 15 et 17 de celle‑ci, elles n’obtiendraient pas d’immunité conditionnelle d’amendes (voir considérant 67 de la décision attaquée).

11      Le 13 mars 2007, la Commission a engagé la procédure administrative et a adopté une communication des griefs concernant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (ci-après l’« accord EEE »), adressée à douze entreprises, dont les requérantes. Tous les destinataires de la communication des griefs ont soumis des observations par écrit en réponse aux griefs soulevés par la Commission et ont exercé leur droit d’être entendus lors d’une audition, qui s’est tenue le 21 juin 2007 (voir considérants 68 à 72 de la décision attaquée).

3.     Décision attaquée

12      Le 5 décembre 2007, la Commission a adopté la décision attaquée. Cette décision a été notifiée à Eni le 10 décembre 2007 et à Polimeri Europa le 11décembre 2007. Un résumé de la décision attaquée, telle que modifiée par la décision C (2008) 2974 final de la Commission, du 23 juin 2008, a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 3 octobre 2008 (JO C 251, p. 11). Cette dernière décision a été adressée uniquement à EI DuPont, à DuPont Performance Elastomers SA, à DuPont Performance Elastomers LLC et à Dow.

13      Il ressort de la décision attaquée que, entre 1993 et 2002, plusieurs producteurs de CR, destinataires de la décision attaquée, ont participé à une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, étendue à l’ensemble du territoire de l’Espace économique européen (EEE), consistant en des accords et des pratiques concertées relatifs à l’attribution et à la stabilisation des marchés, des parts de marché et des quotas de vente pour le CR, à coordonner et à faire appliquer plusieurs augmentations de prix, à convenir de prix minimaux, à répartir la clientèle et à échanger des informations sensibles sur le plan de la concurrence (voir considérants 2, 3 et 81 à 122 de la décision attaquée). Ces producteurs se réunissaient de façon régulière, plusieurs fois par an, dans des réunions multilatérales ou bilatérales (voir considérants 94 à 116 de la décision attaquée).

14      Aux termes des articles 1er à 3 de la décision attaquée, telle que modifiée :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et, à partir du 1er janvier 1994, l’article 53 de l’accord EEE en participant, pendant les périodes indiquées, à un accord unique et continu et à des pratiques concertées dans le secteur du [CR] :

a)      Bayer […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ;

b)      [EI DuPont] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ; DuPont Performance Elastomers SA, DuPont Performance Elastomers LLC et [Dow] : du 1er avril 1996 au 13 mai 2002 ;

c)      Denki Kagaku Kogyo […] et Denka Chemicals […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ;

d)      [les requérantes] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ;

e)      Tosoh Corp[.] et Tosoh Europe […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction visée à l’article 1er :

a)      Bayer […] : 0 [euro] ;

b)      [EI DuPont] : 59 250 000 [euros] ; [dont] solidairement avec

      i)      DuPont Performance Elastomers SA : 44 250 000 [euros] et

ii)      DuPont Performance Elastomers LLC : 44 250 000 [euros] et

iii)      [Dow] : 44 250 000 [euros] ;

c)      Denki Kagaku Kogyo […] et Denka Chemicals […], solidairement : 47 000 000 [euros] ;

d)      [les requérantes], solidairement : 132 160 000 [euros] ;

e)      Tosoh Corp[.] et Tosoh Europe […], solidairement : 4 800 000 [euros] ;

f)      [Dow] :      4 425 000 [euros].

[…]

Article 3

Les entreprises précitées mettent immédiatement fin aux infractions visées à l’article 1er, dans la mesure où elles ne l’ont pas déjà fait.

Elles s’abstiennent de répéter tout acte ou comportement décrit à l’article 1er, ainsi que tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire. »

15      Pour fixer le montant de base des amendes, la Commission s’est fondée sur ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2 , ci‑après les « lignes directrices de 2006 »). Elle a pris en compte une proportion de la valeur des ventes de CR réalisées par chaque entreprise au sein de l’EEE pendant l’année calendaire 2001, dernière année complète de participation à l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction (voir considérants 521 et 523 de la décision attaquée).

16      En vue de déterminer la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte, la Commission a considéré que les accords horizontaux de partage de marché et de fixation de prix comptaient, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves (voir considérant 525 de la décision attaquée). À cet égard, la Commission a également estimé que la part de marché combinée des entreprises participant à l’infraction s’élevait à 100 % au sein de l’EEE, que l’étendue géographique de l’infraction était mondiale et que l’infraction avait été mise en œuvre systématiquement (voir considérant 526 de la décision attaquée).

17      La Commission a décidé que la proportion de la valeur des ventes de chaque entreprise impliquée, dont il devait être tenu compte pour établir le montant de base de l’amende à infliger, était de 21 % (voir considérant 535 de la décision attaquée).

18      En raison de la participation à l’infraction pendant une durée de neuf ans pour EI DuPont, Bayer, Denki Kagaku Kogyo et Denka Chemicals (ci-après, prises ensemble, « Denka »), les requérantes, et Tosoh Corp. et Tosoh Europe (ci‑après, prises ensemble, « Tosoh »), et pendant une durée de six ans et un mois pour DuPont Performance Elastomers SA et DuPont Performance Elastomers LLC (ci-après, prises ensemble, « DPE »), et Dow, la Commission a, en application du paragraphe 24 des lignes directrices de 2006, multiplié par 9 les montants de départ des amendes déterminés en fonction de la valeur des ventes des requérantes, d’EI DuPont, de Bayer, de Denka, d’EniChem et de Tosoh et par 6,5 les montants de départ des amendes déterminés en fonction de la valeur des ventes de DPE et de Dow (voir considérant 536 de la décision attaquée).

19      Afin de dissuader les entreprises de participer à un accord relatif à un partage du marché ou à des accords horizontaux de fixation de prix tels que ceux en cause en l’espèce et en prenant en compte en particulier les éléments mentionnés au point 16 ci-dessus, la Commission a, en application du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, inclus dans le montant de base des amendes un montant additionnel de 20 % de la valeur des ventes (voir considérant 537 de la décision attaquée).

20      Au vu de ces éléments, le montant de base de l’amende à infliger aux requérantes a été fixé à 59 millions d’euros (voir considérant 539 de la décision attaquée).

21      S’agissant des ajustements des montants de base des amendes, d’une part, au titre des circonstances aggravantes, le montant de base de l’amende à infliger aux requérantes a été majoré de 60 % et le montant de base de l’amende à infliger à Bayer a été majoré de 50 % au motif que ces entreprises s’étaient rendues coupables de récidive (voir considérants 540 à 542 de la décision attaquée). D’autre part, au titre des circonstances atténuantes visées au paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, aucune réduction des montants de base des amendes n’a été accordée, la Commission ayant rejeté toutes les demandes de réduction qui avaient été présentées à ce titre (voir considérants 543 à 582 de la décision attaquée).

22      La Commission a ensuite appliqué à l’amende de certaines entreprises destinataires de la décision attaquée une majoration spécifique afin de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes, en tenant compte du niveau du chiffre d’affaires de ces entreprises au-delà des biens et des services auxquels l’infraction se réfère. Le montant de base de l’amende à infliger aux requérantes a été multiplié par 1,4 et le montant de base de l’amende à infliger à Dow a été multiplié par 1,1 (voir considérants 583 à 586 de la décision attaquée).

23      Partant, le montant de base de l’amende à infliger aux requérantes a été fixé à 132,16 millions d’euros (voir considérant 587 de la décision attaquée).

24      S’agissant de l’application de la communication sur la coopération de 2002, la Commission a accordé une réduction du montant de base de l’amende de 100 % à Bayer, de 50 % à Tosoh et de 25 % à EI DuPont, à DPE et à Dow (voir considérants 591 à 638 de la décision attaquée). La Commission a rejeté les demandes introduites au titre de cette communication par [confidentiel] et Polimeri Europa (voir considérants 639 à 654 de la décision attaquée).

25      Le montant de l’amende infligée aux requérantes a ainsi été fixé à 132,16 millions d’euros, à payer solidairement (voir considérant 655 de la décision attaquée).

 Procédure

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2008, les requérantes ont introduit le présent recours.

27      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a invité la Commission à produire certains documents et a posé aux parties par écrit des questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

28      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 18 février 2011.

29      Par ordonnance du 30 mars 2011, le Tribunal a ordonné une mesure d’instruction en vertu de laquelle il a demandé à la Commission de produire certains documents. Il a également demandé à la Commission de spécifier, parmi les documents qu’elle devait produire, les documents qui jouissaient d’une protection particulière dans le cadre du programme de clémence.

30      La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti. Les requérantes ont donc pu consulter les documents qui jouissaient de la protection particulière dans le cadre du programme de clémence au greffe du Tribunal.

31      Le 16 mai 2011, les requérantes ont déposé des observations sur les documents produits par la Commission.

32      La procédure orale a été clôturée le 16 novembre 2011, puis rouverte par ordonnance du 30 novembre 2012. Polimeri Europa a informé le Tribunal du changement de sa dénomination sociale, sa nouvelle dénomination étant Versalis. La Commission entendue, la procédure orale a été clôturée le 7 décembre 2012.

 Conclusions des parties

33      Les requérantes concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, en tout ou en partie, dans la mesure où elle les concerne ;

–        à titre subsidiaire, supprimer ou réduire le montant de l’amende qui leur est infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

34      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

35      La Commission propose par ailleurs au Tribunal de lui fournir tous les documents relatifs à l’affaire qu’il jugerait utiles.

 En droit

36      À l’appui du recours, les requérantes invoquent onze moyens.

37      Six moyens visent à l’annulation de la décision attaquée et sont tirés, premièrement, d’une violation de l’article 81 CE et d’un défaut de motivation de la décision attaquée s’agissant de l’imputation de l’infraction à Eni, deuxièmement, de la violation des droits de la défense, la décision attaquée étant contraire à la lettre de clôture de la procédure vis-à-vis de [confidentiel], troisièmement, d’une violation de l’article 81 CE et d’un défaut de motivation de la décision attaquée s’agissant de l’imputation de l’infraction à Polimeri Europa, quatrièmement, d’un défaut de motivation de la décision attaquée et d’une contrariété de motifs, d’un défaut d’instruction et d’une violation de l’article 81 CE s’agissant de l’appréciation des faits et des preuves par la Commission, en particulier quant à la participation de [confidentiel] et de Polimeri Europa aux réunions en 1993 et en 2002, cinquièmement, d’un défaut de motivation de la décision attaquée et d’une contrariété de motifs, d’un défaut d’instruction et d’une violation de l’article 81 CE du fait de la qualification de l’infraction d’infraction unique et continue et, sixièmement, d’un défaut de motivation de la décision attaquée et d’un défaut d’instruction s’agissant du calcul de la durée de l’infraction.

38      Cinq moyens visent à la suppression ou à la réduction du montant de l’amende et sont tirés, premièrement, de la détermination erronée du montant de base de l’amende, deuxièmement, d’une violation du principe de proportionnalité et d’un défaut de motivation de la décision attaquée s’agissant des adaptations du montant de base de l’amende au titre de la récidive, au titre des circonstances atténuantes et pour assurer l’effet dissuasif, troisièmement, de la détermination erronée du plafond de 10 % du chiffre d’affaires, quatrièmement, de l’absence de prise en compte de la coopération en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération de 2002 et, cinquièmement, de l’absence de réduction du montant de l’amende en vertu de la communication sur la coopération de 2002.

1.     Sur les moyens tendant à l’annulation de la décision attaquée


 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 81 CE et d’un défaut de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne l’imputation de l’infraction à Eni

 Rappel du libellé de la décision attaquée

39      Au considérant 457 de la décision attaquée, la Commission a estimé qu’Eni devrait être tenue pour solidairement responsable avec Polimeri Europa du comportement de cette dernière et d’EniChem au cours de la période allant du 13 mai 1993 au 13 mai 2002, dès lors qu’Eni « possédait directement ou indirectement quasiment 100 % d’EniChem Elastomeri, [d’]EniChem (devenue [confidentiel]) et [de] Polimeri Europa au moment où elles ont participé directement à l’infraction ». La Commission a ajouté, au même considérant, qu’il existait, en outre, « d’autres éléments qui confirment (et donc corroborent la présomption [selon laquelle, dans le cas de filiales détenues à 100 %, elle peut présumer que la société mère a effectivement exercé une influence déterminante sur la conduite de sa filiale]) qu’Eni a exercé une influence [déterminante] sur ses filiales ».

40      Aux considérants 458 et 459 de la décision attaquée, s’agissant de ces autres éléments confirmant l’exercice d’une influence déterminante, la Commission a relevé :

« (458)Premièrement, la majorité, si[non] l’ensemble, des membres du conseil d’administration d’EniChem (1995-2001) et de Polimeri[Europa] (2002) étaient directement ou indirectement nommés par Eni. [… L]es relations de dépendance entre [confidentiel] dans le secteur du CR conduisaient en fait directement [confidentiel] d’EniChem et de Polimeri [Europa].

(459) Deuxièmement, la concentration des activités chimiques formant la branche d’activité ‘[Élastomères et styrènes]’ au sein d’EniChem, dans un premier temps, et de Polimeri [Europa], par la suite, traduit une intention manifeste du groupe Eni de continuer à s’intéresser de près à cette branche d’activité et de rester maître de sa structure et de sa conduite ultimes. »

41      S’agissant de l’appréciation de l’autonomie effective de la filiale, la Commission a tout d’abord relevé que « [l]’allégation [selon laquelle] il n’existe aucune indication d’une implication directe de la société mère dans la conduite anticoncurrentielle et son ignorance présumée [étaie]nt non pertinentes » (voir considérant 463 de la décision attaquée) et ensuite que « [l]’exercice d’une influence [déterminante] sur la politique commerciale d’une filiale n’exige[ait] pas une gestion quotidienne du fonctionnement de la filiale » (voir considérant 464 de la décision attaquée).

42      Enfin, la Commission a déclaré, d’une part, au considérant 467 de la décision attaquée, ce qui suit :

« [L]a définition de l’activité principale et la qualification du rôle d’un groupe de sociétés mères [de] ‘société de portefeuille’ ne sont pas des arguments concluants en ce qui concerne l’autonomie effective d’une filiale. Le fait que la société mère elle-même ne soit pas impliquée dans différentes activités n’est pas un élément décisif lorsqu’il s’agit de déterminer s’il convient de considérer qu’elle forme une unité économique unique avec les unités opérationnelles du groupe. La répartition des tâches est un phénomène normal au sein d’un groupe d’entreprises. Par définition, une unité économique exécute toutes les fonctions principales d’un opérateur économique dans le cadre des entités juridiques qui la composent. Les entreprises du groupe et les secteurs d’affaires qui dépendent d’un centre d’entreprise pour leurs investissements et leurs finances, pour leurs affaires juridiques ainsi que pour leur direction commerciale et autre peuvent être considérés comme poursuivant un objectif économique unique et constituant de ce fait des unités économiques de plein droit. »

43      La Commission a déclaré, d’autre part, aux considérants 469 et 470 de la décision attaquée, que « la concentration des activités chimiques formant la branche d’activité ‘[Élastomères et styrènes]’, tout d’abord chez EniChem, puis chez Polimeri [Europa], montr[ait] l’importance stratégique de ce secteur pour le groupe Eni » et que, « [e]n tout état de cause, il [étai]t improbable qu’Enichem et Polimeri [Europa] puissent agir de manière autonome sur le marché dans une situation où la société mère réorganisait systématiquement ses entreprises ».

44      La Commission a donc, au considérant 477 de la décision attaquée, constaté que « les éléments avancés par Eni [étaie]nt insuffisants pour réfuter la présomption ».

 Arguments des parties

45      Les requérantes font valoir qu’Eni ne peut pas être tenue pour solidairement responsable de la participation d’une de ses filiales à une infraction à l’article 81 CE. En considérant le contraire dans la décision attaquée, la Commission aurait, premièrement, imputé erronément la responsabilité du comportement d’une filiale à la société mère sur la seule base de sa détention de la totalité du capital de cette filiale, deuxièmement, apprécié incorrectement l’autonomie effective de la filiale, troisièmement, violé les principes de personnalité de la responsabilité et de la peine, de la présomption d’innocence et de la protection des droits de la défense et, quatrièmement, violé le principe de responsabilité limitée applicable en droit des sociétés.

46      S’agissant, en premier lieu, de l’imputation de la responsabilité sur la seule base de la détention de la totalité du capital, les requérantes, en renvoyant à la jurisprudence, admettent que le fait qu’une société mère détienne la totalité ou la quasi-totalité du capital de la filiale constitue un « indice important » de ce que la société mère exerce un contrôle sur la conduite commerciale de la filiale, mais font valoir qu’il n’est pas suffisant à lui seul pour permettre d’imputer la responsabilité du comportement de la filiale à la société mère. Il ressortirait de la jurisprudence que la Commission ne peut, en tout état de cause, se dispenser de l’examen des éléments du cas d’espèce de nature à démontrer l’autonomie de la filiale dans la définition de ses stratégies et que ces éléments concernent l’ensemble des éventuels liens organisationnels, économiques et juridiques existant entre la société mère et sa filiale de nature à justifier de les concevoir comme une seule entité économique. De cette manière, l’imputation à la société mère du comportement de sa filiale dépendrait toujours de la constatation de l’exercice effectif par cette société mère d’une influence déterminante sur le comportement de la filiale. L’affirmation figurant au considérant 404 de la décision attaquée selon laquelle la Commission peut présumer qu’une filiale à 100 % applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par sa société mère sans devoir vérifier si celle-ci a effectivement exercé ce pouvoir ne serait dès lors pas fondée. Cette dernière approche serait, par ailleurs, contraire aux principes juridiques essentiels en matière de responsabilité des personnes morales, rendrait impossible la preuve contraire et transformerait la présomption simple en une « inadmissible présomption irréfragable ». Il serait en effet impossible de renverser une présomption reposant sur un élément objectif et irréfutable tel que le contrôle de la totalité du capital.

47      S’agissant, en deuxième lieu, de l’appréciation de l’autonomie effective de la filiale, les nombreux éléments additionnels généralement pris en compte par les juridictions de l’Union et la Commission pour apprécier si une filiale à 100 % dispose ou non d’une autonomie stratégique n’existeraient pas en l’espèce. Si ces éléments sont pertinents, lorsqu’ils existent, pour établir la responsabilité de la société mère, ils seraient également pertinents, lorsqu’ils n’existent pas, pour nier celle‑ci. Il n’existerait donc aucun fondement à la responsabilité solidaire d’Eni pour le comportement de sa filiale Polimeri Europa, les deux circonstances mentionnées aux considérants 458 et 459 de la décision attaquée (le pouvoir de nomination des membres du conseil d’administration des filiales et la réorganisation des activités chimiques à l’intérieur du groupe) permettant d’ailleurs de confirmer la conclusion proposée par les requérantes. De surcroît, la Commission aurait apprécié erronément d’autres éléments supplémentaires invoqués pendant la phase administrative et tendant à démontrer qu’Eni n’avait aucune intention de s’immiscer dans les activités de [confidentiel] et de Polimeri Europa, que les activités CR avaient un caractère marginal pour Eni et que cette dernière a opéré en tant que simple holding financière et ne s’est pas impliquée dans les décisions opérationnelles relatives aux activités CR. En outre, la Commission aurait omis d’apprécier une série d’éléments qui permettraient de conclure qu’Eni n’exerçait pas une influence déterminante sur le comportement de ses filiales dans le secteur du CR. Ainsi, tout d’abord, Eni n’aurait jamais participé aux comportements anticoncurrentiels sanctionnés et n’aurait même jamais opéré dans le secteur du CR. Ensuite, en ce qui concerne Eni et ses filiales, aucune présence simultanée des mêmes personnes physiques aux conseils d’administration n’aurait été constatée. Enfin, il n’y aurait pas eu de flux d’informations entre Eni et [confidentiel]/Polimeri Europa. Toutes ces circonstances, ainsi que les règles statutaires et de gouvernance d’entreprise le confirmeraient, permettraient d’affirmer qu’Eni a joué un rôle de holding de participation exerçant uniquement les prérogatives typiques d’un actionnaire en vertu du droit des sociétés, ce qui n’équivaudrait toutefois pas à une influence déterminante permettant de lui imputer la responsabilité pour les actes de la filiale. Par ailleurs, soutenir, comme la Commission, que les prérogatives typiques de l’actionnaire majoritaire suffiraient pour en déduire la responsabilité équivaudrait à reconnaître qu’en l’espèce Eni est responsable en vertu d’une « responsabilité objective ».

48      L’affirmation de la Commission selon laquelle le contrôle indirect par Eni des filiales actives dans le secteur du CR au cours de la période de l’infraction prétendue serait sans pertinence, compte tenu de l’acquisition du contrôle direct et total de Polimeri Europa par Eni après la fin de l’infraction, ne serait pas en accord avec la décision attaquée. Dans cette dernière, la Commission aurait en effet fondé la responsabilité d’Eni sur son contrôle total et direct de la filiale prétendument impliquée dans les infractions. Cela démontrerait que la Commission n’a pas tenu compte de ce que, en l’absence d’une participation directe dans ses filiales opérationnelles, Eni ne disposait pas, à l’égard de ces filiales, des liens et des prérogatives que la Commission considère comme faisant partie intégrante de la responsabilité d’une société mère et comme nécessaires afin d’établir la responsabilité d’une société mère pour le comportement de sa filiale.

49      S’agissant, en troisième lieu, de la violation des principes de personnalité de la responsabilité et de la peine, de la présomption d’innocence et des droits de la défense, les requérantes font valoir que, selon la jurisprudence, ce n’est pas la détention de la propriété, mais la responsabilité de la gestion qui détermine l’origine de la responsabilité en matière d’ententes. Il s’ensuivrait que, lorsqu’il n’apparaît pas que la société de contrôle influence de façon déterminante les comportements de la filiale, elle ne peut pas être tenue pour solidairement responsable des actes de cette dernière sur la seule base de sa détention du capital à 100 % sans violer lesdits principes généraux et, particulièrement, celui de la personnalité de la responsabilité et de la peine. La présomption contenue dans la décision attaquée, telle qu’interprétée par la Commission, fondée sur la seule détention, même indirecte, de la totalité du capital social de la filiale serait contraire non seulement aux principes susmentionnés, mais également aux principes relatifs à la preuve et à la présomption d’innocence. En réalité, l’approche de la Commission ferait peser sur l’entreprise – qui devrait au contraire être « présumée innocente » – une présomption de responsabilité qui ne pourrait être renversée qu’en fournissant la preuve d’un fait négatif, à savoir l’absence d’influence décisive : cela constituerait évidemment, lorsque cette influence n’existe pas, une preuve impossible et inadmissible (probatio diabolica). En outre, dans l’hypothèse où, pour imputer la responsabilité, il serait considéré que l’influence déterminante coïncide purement et simplement avec la détention de la totalité du capital social de la filiale, la preuve serait même impossible. Une telle présomption irréfragable serait contraire aux principes généraux invoqués et à la jurisprudence.

50      S’agissant, en quatrième lieu, de la violation du principe de responsabilité limitée prévue par le droit des sociétés, conséquence directe de l’existence d’une personnalité juridique distincte et d’une autonomie patrimoniale dont sont normalement dotées ces sociétés, les requérantes rappellent d’abord que ce principe est commun aux ordres juridiques de tous les États membres ainsi qu’à celui de l’Union. Dans le cadre des groupes de sociétés, ce principe s’opposerait au « dépassement de la personnalité juridique d’une société » en faveur du concept de l’unité du groupe sur la base de la simple activité d’une société holding qui se présente comme la société dominante de tout le groupe, étant donné que cette situation ne serait pas de nature à annuler l’autonomie dont chacune des sociétés jouit normalement en matière patrimoniale et de gestion. Ce ne serait que dans des cas exceptionnels, à savoir lorsqu’un abus de principe de responsabilité limitée a été constaté et établi et moyennant une preuve adéquate de l’implication de la holding, que l’ordre juridique pourrait parfois prévoir un « dépassement » de ce principe. Les principes énoncés par le droit de la concurrence de l’Union devraient ainsi être interprétés, autant que possible, d’une façon cohérente avec les principes du droit des sociétés.

51      À cet égard, les requérantes proposent de s’inspirer de l’exemple de la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis et, en particulier, de la doctrine de dérogation à la responsabilité limitée (dite « veil piercing ») qu’elle a élaborée. Cette doctrine, appliquée en droit américain des sociétés et pleinement admise dans le cadre de la mise en œuvre du droit américain de la concurrence, reconnaîtrait la pertinence du « principe de la limited liability » dans la détermination d’une éventuelle responsabilité de la société mère pour les comportements illicites de sa filiale. Elle impliquerait en effet que, pour déterminer une telle responsabilité, une série d’éléments allant au-delà du simple contrôle par la détention du capital doivent être examinés de façon approfondie, ce qui permettrait de conclure que la société mère s’est servie de sa filiale comme d’un simple instrument afin d’éluder la responsabilité du comportement illicite constaté. Les requérantes renvoient à deux avis relatifs au droit des sociétés et antitrust américain, joints en annexe à la requête, lesquels confirmeraient l’argumentation exposée de façon analytique dans le cadre du présent moyen.

52      La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

53      Selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise, placée dans un contexte de droit de la concurrence, doit être comprise comme désignant une unité économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm Gerätebau, 170/83, Rec. p. 2999, point 11, et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, ci-après l’« arrêt de la Cour Akzo Nobel », point 55). Aux fins de l’application des règles de la concurrence, la séparation formelle entre deux sociétés, résultant de leurs personnalités juridiques distinctes, n’est pas déterminante, ce qui s’impose étant l’unité ou non de leur comportement sur le marché. Il peut donc s’avérer nécessaire de déterminer si deux sociétés ayant des personnalités juridiques distinctes forment ou relèvent d’une seule et même entreprise ou entité économique qui déploie un comportement unique sur le marché (voir arrêt du Tribunal du 15 septembre 2005, DaimlerChrysler/Commission, T‑325/01, Rec. p. II‑3319, point 85, et la jurisprudence citée). Le Tribunal a ainsi considéré que l’article 81, paragraphe 1, CE s’adressait à des entités économiques consistant chacune en une organisation unitaire d’éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à la commission d’une infraction visée par cette disposition (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T‑11/89, Rec. p. II‑757, point 311 ; voir, également, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, Rec. p. II‑5049, point 57, et la jurisprudence citée).

54      Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. Toutefois, l’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes. Il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. En effet, il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise au sens de l’article 81 CE, ce qui permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (voir arrêt de la Cour Akzo Nobel, point 53 supra, points 56 à 59, et la jurisprudence citée).

55      Afin qu’une société mère se voie imputer la responsabilité des agissements de sa filiale, il n’est pas nécessaire que la société mère exerce une influence déterminante sur la politique commerciale stricto sensu de cette filiale, ni, a fortiori, que la société mère influence la politique de sa filiale dans le domaine spécifique ayant fait l’objet de l’infraction. Il convient de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent cette filiale à la société mère, et non seulement le comportement de la filiale sur le marché (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Akzo Nobel, point 53 supra, points 73 à 75).

56      Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (arrêts de la Cour Akzo Nobel, point 53 supra, point 60, et du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C‑90/09 P, Rec. p.I-1, point 39). Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêts de la Cour Akzo Nobel, point 53 supra, point 61, et General Química e.a./Commission, précité, point 40).

57      S’il est vrai que la Cour a évoqué aux points 28 et 29 de son arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925), hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d’autres circonstances, telles que l’absence de contestation de l’influence exercée par la société mère sur la politique commerciale de sa filiale et la représentation commune des deux sociétés au cours de la procédure administrative, il n’en demeure pas moins que de telles circonstances n’ont été relevées par la Cour que dans le but d’exposer l’ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement dans cette affaire, et non pour subordonner la mise en œuvre de la présomption susmentionnée à la production d’indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une influence de la société mère sur sa filiale (arrêt General Química e.a./Commission, point 56 supra, point 41).

58      Afin de renverser la présomption selon laquelle une société mère détenant 100 % du capital social de sa filiale exerce effectivement une influence déterminante sur celle‑ci, il incombe à cette société mère de soumettre à l’appréciation du juge de l’Union tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre elle‑même et sa filiale de nature à démontrer qu’elles ne constituent pas une seule entité économique (arrêt General Química e.a./Commission, point 56 supra, point 51).

59      Il ressort en outre de la jurisprudence que, si une société mère détient la quasi-totalité du capital de sa filiale, il peut également raisonnablement en être conclu que ladite filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché et qu’elle forme par conséquent, avec sa société mère, une entreprise au sens de l’article 81 CE (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Arkema/Commission, T‑168/05, non publié au Recueil, point 69, et la jurisprudence citée).

60      En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, des arguments des requérantes visant à contester l’imputation de la responsabilité à la société mère sur la seule base de sa détention de la totalité du capital de ses filiales, il y a lieu de constater que ces arguments reposent sur une lecture erronée de la jurisprudence et de la décision attaquée.

61      Ainsi, d’une part, il ressort de la jurisprudence, citée aux points 56 à 57 ci‑dessus, que lorsqu’une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale, pour lui imputer la responsabilité de l’infraction commise par cette filiale, la Commission peut se fonder sur une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale. Contrairement à la thèse soutenue par les requérantes, fondée sur une ambiguïté engendrée par l’arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 57 supra, il n’est pas exigé de la Commission qu’elle apporte des éléments additionnels corroborant cette présomption.

62      Dans la situation de détention totale ou quasi totale du capital de la filiale par la société mère, il incombe à la société mère de renverser la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante en apportant des éléments de preuve visant à démontrer que sa filiale, nonobstant le fait que le capital de cette dernière était entièrement ou quasi entièrement détenu par la société mère, a déterminé son comportement sur le marché de manière autonome et, partant, que celle-ci ne formait pas une seule et même entreprise avec sa société mère du point de vue de l’objet de l’accord en cause. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne s’agit donc pas d’une présomption irréfragable.

63      Or, ainsi qu’il ressort du point 2 ci-dessus, Eni était, pendant la période en cause, la société mère ultime du groupe Eni et détenait, pour partie directement et pour partie indirectement, à un niveau compris entre 99,93 et 100 %, le capital des sociétés responsables de l’activité CR pendant la période allant du 13 mai 1993 au 13 mai 2002, à savoir EniChem Elastomeri, EniChem et Polimeri Europa. Il s’ensuit que c’est à bon droit que la Commission, après avoir constaté qu’Eni détenait la totalité ou la quasi-totalité du capital de ces filiales au cours de la période infractionnelle, a, sur ce seul fondement, considéré qu’Eni avait la possibilité d’exercer une influence déterminante sur le comportement de ces filiales et présumé qu’Eni avait effectivement exercé une telle influence déterminante sur les activités de ces filiales sur le marché du CR.

64      D’autre part, il y a lieu de relever que la responsabilité du comportement de ses filiales n’a pas été imputée à Eni sur la seule base de sa détention de la totalité du capital de ces filiales. En effet, au considérant 457 de la décision attaquée, cité au point 39 ci-dessus, la Commission a constaté que, outre la détention de la totalité du capital des sociétés filiales en cause, il existait d’autres éléments qui confirmaient et donc corroboraient la présomption qu’Eni avait exercé une influence déterminante sur ces filiales.

65      S’agissant, en deuxième lieu, des arguments tendant à démontrer l’autonomie effective des filiales en cause, il y a lieu d’observer que selon les requérantes la Commission ne pouvait pas imputer à Eni la responsabilité de l’infraction commise par ces filiales, parce qu’elle n’avait pas examiné des éléments qui, selon la jurisprudence, doivent être analysés afin d’apprécier l’autonomie effective d’une filiale. Un tel argument ne saurait être retenu. Ainsi qu’il ressort des points 61 à 63 ci-dessus, la Commission, ayant constaté qu’Eni détenait entre 99,93 et 100 % du capital de ses filiales responsables de l’activité CR, a pu se fonder sur une présomption afin d’imputer à Eni la responsabilité de l’infraction commise par ces filiales. Dans ce cas, il revenait aux requérantes de renverser cette présomption en apportant les éléments susceptibles de démontrer l’autonomie effective des filiales en cause et la Commission n’était pas tenue d’examiner d’autres éléments que ceux qui lui avaient été apportés par les requérantes au cours de la procédure administrative.

66      S’agissant des éléments apportés par les requérantes au cours de la procédure administrative, la Commission a estimé à bon droit qu’ils n’étaient pas susceptibles de démontrer l’autonomie effective des filiales en cause.

67      Ainsi, premièrement, quant au fait qu’Eni n’aurait jamais participé aux comportements anticoncurrentiels faisant l’objet de la décision attaquée, et n’aurait jamais été active dans le secteur du CR, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise au sens du droit de la concurrence de l’Union qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés (arrêts du Tribunal Akzo Nobel e.a./Commission, point 53 supra, point 58, et du 30 avril 2009, Itochu/Commission, T‑12/03, Rec. p. II‑883, point 58). Dès lors, le fait qu’Eni était absente du marché du CR et qu’elle n’a jamais participé aux comportements anticoncurrentiels, à le supposer établi, ne saurait suffire pour démontrer l’autonomie effective des filiales en cause.

68      Deuxièmement, s’agissant de la prétendue absence de flux d’informations entre Eni et ses filiales en cause et de la prétendue absence de chevauchements dans les fonctions dirigeantes entre Eni et ces filiales, il y a lieu d’observer que, par cet élément, les requérantes contestent qu’Eni ait eu connaissance de l’existence d’une entente sur le marché du CR. Or, il découle du point 90 des conclusions de l’avocat général Mme Kokott sous l’arrêt de la Cour Akzo Nobel, point 53 supra, (Rec. p. I‑8241), auxquelles la Cour renvoie explicitement au point 73 de cet arrêt, que la question de savoir si la société mère s’est immiscée dans la gestion quotidienne de sa filiale ou si les activités anticoncurrentielles de la filiale s’expliquaient par des instructions de la société mère ou étaient connues de cette dernière est dépourvu de pertinence lorsqu’il s’agit d’imputer à la société mère le comportement de sa filiale.

69      Troisièmement, s’agissant de l’affirmation des requérantes qu’Eni n’avait opéré à l’égard de filiales actives dans le secteur du CR qu’en tant que holding financière exerçant des prérogatives typiques d’un actionnaire majoritaire, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, dans le contexte des groupes de sociétés, un holding est une société ayant vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et dont la fonction est d’en assurer l’unité de direction (voir, en ce sens, arrêt Arkema/Commission, point 59 supra, point 76). Ainsi, le fait qu’Eni était une société holding dont le rôle était de détenir les parts de ses filiales actives dans la production du CR ne saurait suffire pour exclure qu’elle a exercé une influence déterminante sur le comportement de ces filiales.

70      Quatrièmement, quant à l’affirmation des requérantes selon laquelle Eni ne disposait pas, au vu de ses rapports indirects avec les filiales en cause, des liens et des prérogatives nécessaires permettant d’entraîner sa responsabilité pour leur comportement, il y a lieu d’observer que le pouvoir de contrôle détenu par la société mère entraîne la responsabilité de s’assurer que sa filiale se conforme aux règles de la concurrence. L’entreprise ayant la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la stratégie commerciale de sa filiale peut donc être présumée, jusqu’à preuve du contraire, avoir la possibilité d’instaurer une politique visant au respect du droit de la concurrence et prendre toutes les mesures nécessaires et utiles afin de contrôler la gestion commerciale de sa filiale. La simple carence de l’actionnaire ayant le contrôle à cet égard ne saurait en tout état de cause être acceptée comme motif pour décliner sa responsabilité. Dès lors, considérant également que les gains éventuels résultant des activités illégales sont à leur profit, il y a lieu de faire porter aux actionnaires ayant le pouvoir de contrôle la responsabilité des activités commerciales illégales de leurs filiales.

71      Cinquièmement, quant au fait, relevé par les requérantes, que les activités chimiques seraient marginales pour le groupe du point de vue économique, il ne saurait prouver que les filiales en cause jouissaient d’une autonomie effective et pouvaient définir librement leur comportement sur le marché.

72      Par ailleurs, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel les éléments mentionnés par la Commission aux considérants 458 et 459 de la décision attaquée, à savoir le pouvoir de nomination des membres du conseil d’administration des filiales et la réorganisation des activités chimiques à l’intérieur du groupe, ne peuvent pas constituer un fondement pour la responsabilité solidaire d’Eni, mais, au contraire, permettraient de confirmer la conclusion des requérantes selon laquelle les filiales d’Eni en cause agissaient de façon autonome sur le marché, il ne peut pas prospérer. D’une part, les requérantes n’expliquent pas comment les éléments tels que le pouvoir de nomination des membres du conseil d’administration des filiales et la réorganisation des activités chimiques à l’intérieur du groupe pourraient démontrer l’autonomie des filiales en cause. D’autre part, il ressort clairement du considérant 457 de la décision attaquée, cité au point 39 ci-dessus, que les éléments en cause ont été relevés par la Commission à titre surabondant et qu’ils « confirment (et donc corroborent) » la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante.

73      Il résulte de tout ce qui précède que la Commission a considéré à bon droit qu’Eni pouvait être présumée avoir effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement de ses filiales EniChem Elastomeri, EniChem et Polimeri Europa sur le marché du CR et que les requérantes ne sont pas parvenues à renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que ses filiales se comportaient de manière autonome sur le marché en cause. La Commission a donc établi à suffisance de droit que l’infraction commise par EniChem Elastomeri, EniChem et Polimeri Europa pouvait valablement être imputée à Eni en sa qualité de société mère de ces dernières.

74      En troisième lieu, s’agissant, d’une part, des arguments des requérantes tirés d’une violation des principes de personnalité de la responsabilité et de la peine et selon lesquels, en substance, la responsabilité de l’entente en cause ne pourrait pas être imputée à la société mère à défaut d’une responsabilité individuelle de cette dernière dans cette entente ou d’une implication directe dans le comportement infractionnel, il suffit de constater qu’une telle argumentation repose sur la prémisse erronée selon laquelle aucune infraction n’aurait été constatée à l’égard de la société mère, Eni en l’espèce. En effet, il ressort des considérants 457 à 478 et des articles 1er et 2 de la décision attaquée qu’Eni a été personnellement condamnée pour une infraction qu’elle est censée avoir commise elle-même en raison des liens économiques et juridiques étroits qui l’unissaient à ses filiales en cause et qui lui permettaient de déterminer le comportement de ces dernières sur le marché. En outre, la Cour a déjà jugé que le principe de responsabilité personnelle ne s’opposait pas à ce que la Commission envisage d’abord de sanctionner la société auteur d’une infraction aux règles de la concurrence avant d’explorer si, éventuellement, l’infraction peut être imputée à sa société mère (arrêt de la Cour du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 82).

75      S’agissant, d’autre part, des arguments des requérantes tirés de la présomption d’innocence et de la protection des droits de la défense, il y a lieu de rappeler que la présomption d’innocence implique que toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Elle s’oppose ainsi à tout constat formel et même à toute allusion ayant pour objet la responsabilité d’une personne accusée d’une infraction donnée dans une décision mettant fin à l’action, sans que cette personne ait pu bénéficier de toutes les garanties inhérentes à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure suivant son cours normal et aboutissant à une décision sur le bien-fondé de la contestation (arrêt du Tribunal du 6 octobre 2005, Sumitomo Chemical et Sumika Fine Chemicals/Commission, T‑22/02 et T‑23/02, Rec. p. II‑4065, point 106).

76      En l’espèce, force est de constater que la Commission a démontré sur la base d’éléments factuels qu’Eni avait la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la stratégie commerciale de ses filiales en cause et pouvait être présumée avoir exercé une telle influence et qu’elle a conclu, à bon droit, qu’Eni et ses filiales en cause formaient une seule unité économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause (voir considérants 457, 467 et 475 de la décision attaquée), ce qui permettait ainsi l’imputation solidaire d’une violation du droit de la concurrence, Eni n’étant pas parvenue à renverser la présomption en cause. De plus, au cours de la procédure devant la Commission, et donc avant tout constat formel de la responsabilité d’Eni, cette dernière a pu présenter des arguments afin de démontrer que ses filiales en cause avaient déterminé leur comportement sur le marché de manière autonome et que, partant, elle ne formait pas avec ses filiales une seule entreprise au sens de l’article 81 CE. Dans ces conditions, la violation alléguée de la présomption d’innocence et des droits de la défense n’est pas établie.

77      En quatrième lieu, s’agissant des arguments des requérantes tirés d’une violation du principe de responsabilité limitée prévue par le droit des sociétés, il importe de souligner que, aux fins de l’application des règles de la concurrence, selon une jurisprudence bien établie, la séparation formelle entre deux sociétés résultant de leurs personnalités juridiques distinctes n’est pas déterminante, ce qui s’impose étant l’unité ou non de leur comportement sur le marché (voir la jurisprudence citée au point 53 ci-dessus). Ainsi, l’imputation à la société mère ayant la possibilité d’exercer un contrôle sur la politique commerciale de sa filiale de l’infraction commise par cette dernière constitue une dérogation aux principes des droits des sociétés, de l’Union et nationaux. Toutefois, cette exception est justifiée en raison des exigences spécifiques du droit de la concurrence et, en particulier, de la nécessité d’imputer à des personnes morales les comportements illicites adoptés par des entités économiques, en assurant l’application effective des interdictions consacrées par le traité, la répression des infractions et le caractère dissuasif des sanctions. Les arguments relatifs aux règles prévues par le droit des sociétés et antitrust américain à cet égard, soulevés de façon analytique dans la requête et élaborés dans deux avis joints en annexe à cette dernière, sont en toute hypothèse dénués de pertinence s’agissant de l’application du droit de l’Union en l’espèce. Il n’est donc pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si les avis joints en annexe à la requête, dans la mesure où ils contiendraient des arguments ne figurant pas dans le texte de la requête, satisfont aux exigences découlant de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

78      Il résulte de tout ce qui précède que c’est à bon droit que la Commission a imputé à Eni la responsabilité de l’infraction commise par ses filiales et que, contrairement à ce que les requérantes prétendent, aucun défaut de motivation de la décision attaquée n’est établi. Partant, le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 81 CE et d’un défaut de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne l’imputation de l’infraction à Polimeri Europa

 Rappel du libellé de la décision attaquée

79      Au considérant 443 de la décision attaquée, la Commission a constaté ce qui suit :

« [confidentiel] (anciennement EniChem) et Polimeri Europa devraient être tenues responsables en tant que participants directs à l’infraction. [L]es deux sociétés ont participé à l’entente du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 sous différents noms d’entité juridique/économique dont elles sont les successeurs légaux et/ou économiques. »

80      Aux considérants 445 et 447 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, « [l]e 1er janvier 2002, EniChem a[vait] cédé la branche d’activité des ‘[Élastomères et styrènes]’ (dont le CR) […] à sa filiale à 100 % Polimeri Europa qui est devenue le successeur économique d’EniChem pour ces produits », que, « [l]e 1er mai 2003, EniChem a[vait] changé de nom et a[vait] adopté la dénomination de [confidentiel] » et que « Polimeri Europa et [confidentiel] f[aisaient] partie de la même entreprise ».

81      De plus, aux considérants 448 à 455 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que Polimeri Europa devrait être tenue pour responsable du comportement antérieur d’EniChem. Premièrement, au considérant 448 de la décision attaquée, elle a indiqué ce qui suit :

« […] Polimeri [Europa] a fait l’acquisition des activités CR d’Eni[C]hem, y compris tous les principaux actifs et effectifs du personnel, avec effet au 1er janvier 2002. Avant et après cette réorganisation, Eni[C]hem était l’unique actionnaire de Polimeri [Europa]. La cession ne s’est pas accompagnée du paiement d’une quelconque indemnité à Eni[C]hem, mais a davantage été réalisée par une augmentation du capital d’actions de Polimeri [Europa] et l’émission des actions correspondantes au profit d’Eni[C]hem. La valeur nominale totale de ces actions a été établie sur la base d’un rapport rédigé par un expert désigné par les tribunaux italiens. Le rapport avait principalement pour but d’éviter une surévaluation du capital d’actions de Polimeri Europa qui aurait nui aux attentes des créditeurs de Polimeri Europa […] »

82      Deuxièmement, aux considérants 449 et 450 de la décision attaquée, la Commission a relevé ce qui suit :

« […] l’actif et le chiffre d’affaires associés d’Eni[C]hem/[confidentiel] ont considérablement baissé depuis lors et son activité actuelle se limite à la gestion d’actionnariats non stratégiques en vue de leur vente à des tiers ou de leur liquidation, à la vente de toute usine active à des tiers ou à la clôture et la sécurisation de celle-ci, au démantèlement des usines fermées et à la décontamination des sols, aux services et installations de gestion sur les sites partagés en vue de leur conversion en services de tiers ou de l’établissement de consortia et à la gestion des litiges en cours. Il existe donc un risque sérieux que, d’ici le moment où une décision imposant une amende dans cette affaire sera traitée ou exécutée, [confidentiel] ne possédera plus assez d’avoirs pour payer l’amende. »

83      Troisièmement, aux considérants 451 à 455 de la décision attaquée, la Commission a constaté ce qui suit :

« Polimeri Europa a repris la participation dans les réunions de l’entente à partir du 1er janvier 2002 jusqu’au 13 mai 2002 et les salariés qui avaient participé à l’infraction en tant qu’employés d’EniChem ont continué à participer à l’infraction en tant que salariés de Polimeri Europa […] Les relations de dépendance entre [confidentiel] dans le secteur du CR conduisent également directement au [confidentiel] d’EniChem et de Polimeri respectivement […] Les [confidentiel] d’EniChem (aujourd’hui [confidentiel]) et de Polimeri [Europa] sont responsables envers [confidentiel]. [confidentiel] [ont] été nommé[s] par les actionnaires de l’entreprise concernée. [confidentiel] d’EniChem Elastomeri a été nommé par EniChem. »

 Arguments des parties

84      Les requérantes font valoir que, dans l’hypothèse, contestée, où la nature illicite des réunions intervenues entre le 1er janvier 2002 et le 13 mai 2002 serait avérée, Polimeri Europa ne pourrait être tenue pour responsable d’une infraction que pour cette période et que la Commission aurait dû tenir [confidentiel] (anciennement EniChem) pour responsable pour la période pendant laquelle cette dernière assurait la gestion exclusive des activités CR (à savoir jusqu’au 31 décembre 2001).

85      La Commission aurait admis elle-même que, en cas de cession des activités en cause au cours d’une infraction, la responsabilité est répartie au prorata temporis entre la cédante et la cessionnaire. Or, sur la base du seul considérant indiquant que [confidentiel] et Polimeri Europa appartiennent à la même entité économique, la Commission aurait exclu toute responsabilité directe de [confidentiel] et aurait attribué la responsabilité pour le comportement de celle-ci à Polimeri Europa, bien que pendant la période allant du 13 mai 1993 au 1er janvier 2002 cette dernière n’ait pas opéré dans le secteur du CR. Selon la jurisprudence, le principe de continuité économique ne peut être appliqué par dérogation au principe de responsabilité personnelle que de façon exceptionnelle, plus particulièrement lorsque la société qui a commis les infractions a cessé toute activité commerciale (et pas uniquement celles dans le secteur concerné par l’infraction) et est devenue en substance une « coquille vide » et/ou se trouve en situation de faillite. Ces circonstances seraient absentes en l’espèce, dans la mesure où [confidentiel] est une société existant encore à ce jour et commercialement active. Il n’existait donc aucun risque que soit rendue vaine l’application effective des règles de la concurrence, risque qui aurait justifié une dérogation au principe de responsabilité personnelle. Il s’ensuit, selon les requérantes, que le principe de responsabilité personnelle a été violé en l’espèce. Les éléments supplémentaires invoqués par la Commission aux considérants 448 à 455 de la décision attaquée seraient sans pertinence à cet égard. En particulier, dans la mesure où la Commission se prévaut en même temps de la responsabilité solidaire d’Eni, sa préoccupation selon laquelle [confidentiel] ne pourrait payer l’amende manquerait de fondement et de pertinence. Par ailleurs, dans sa décision du 29 novembre 2006 dans l’affaire COMP/F/38.638 (Caoutchouc butadiène et caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation et émulsion), la Commission aurait traité de manière différente une situation similaire.

86      Enfin, s’agissant du défaut de motivation de la décision attaquée, bien que les requérantes aient déjà fait valoir ces arguments concernant la continuité économique au cours de la procédure administrative, la décision attaquée ne contiendrait ni d’exposé ni d’analyse à cet égard.

87      Le critère de la continuité économique, auquel la Commission ne pourrait recourir que de manière exceptionnelle, aurait donc été appliqué en violation du principe de responsabilité personnelle ainsi qu’en violation de la jurisprudence, de l’obligation de motivation et du principe d’égalité de traitement.

88      La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

89      Selon la jurisprudence, la conséquence, en vertu du droit de la concurrence de l’Union, de l’existence d’une unité économique pouvant commettre une infraction visée par l’article 81, paragraphe 1, CE est que l’infraction commise par cette unité économique peut être imputée aux personnes morales qui l’exploitent. Il s’ensuit que, en cas de transfert de tout ou partie des activités économiques d’une entité juridique à une autre, la responsabilité de l’infraction commise par l’exploitant initial, dans le cadre des activités en question, peut être imputée au nouvel exploitant en tant qu’auteur de l’infraction d’un point de vue économique et organisationnel si celui-ci constitue avec celui-là une même entité économique aux fins de l’application des règles de concurrence, et ce même si l’exploitant initial existe encore en tant qu’entité juridique. En effet, le fait que l’exploitant initial existe encore en tant qu’entité juridique n’infirme pas, en soi, l’existence d’une unité économique (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 354 à 359).

90      En particulier, une telle mise en œuvre de la sanction est admissible lorsque ces entités ont été sous le contrôle de la même personne morale qui avait, de ce fait, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité de ces entités. Dans ces conditions, eu égard aux liens étroits qui les unissent sur le plan économique et organisationnel, il est en effet présumé que ces entités ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché et que l’unité économique, à savoir la société mère et ses filiales, a déployé un comportement unique sur le marché du point de vue de l’objet de l’accord en cause. Cette imputation de responsabilité apparaît en effet particulièrement justifiée au regard du critère de la continuité économique développé par la jurisprudence, notamment dans les cas de restructurations ou autres changements à l’intérieur d’un groupe d’entreprises, lorsque l’exploitant initial ne cesse pas nécessairement d’avoir une existence juridique, mais qu’il n’exerce plus d’activité économique notable sur le marché concerné, et le nouvel exploitant continue à exploiter l’entreprise impliquée dans l’entente (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 décembre 2007, ETI e.a., C‑280/06, Rec. p. I‑10893, points 40 à 49 ; voir, également, conclusions de l’avocat général Mme Kokott sous cet arrêt, Rec. p. I‑10896, points 65 à 84).

91      En l’espèce, les sociétés responsables de l’activité CR au sein du groupe Eni pendant la durée de l’infraction étaient, tout d’abord, pendant la période allant du 13 mai 1993 au 31 octobre 1997, EniChem Elastomeri, ensuite, pendant la période allant du 1er novembre 1997 au 31 décembre 2001, EniChem (devenue [confidentiel]) et, enfin, pendant la période allant du 1er janvier 2002 au 13 mai 2002, Polimeri Europa. EniChem Elastomeri et Polimeri Europa étaient contrôlées à 100 % par EniChem, elle-même contrôlée, pour partie directement et pour partie indirectement, par Eni à un niveau compris entre 99,93 et 99,97 % (voir point 2 ci-dessus).

92      De plus, ainsi qu’il résulte de l’analyse du premier moyen, du point de vue de l’objet de l’entente en cause, les requérantes et EniChem (devenue [confidentiel]) faisaient partie d’une même unité économique et, partant, formaient une seule entreprise au sens du droit de la concurrence de l’Union, laquelle a déployé un comportement unique sur le marché du CR et a participé à une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, étendue à l’ensemble du territoire de l’EEE.

93      Dans ces conditions, et au vu de la jurisprudence rappelée aux points 89 et 90 ci-dessus, c’est à bon droit que la Commission a estimé, aux considérants 443 à 456 de la décision attaquée, que le transfert des activités CR d’EniChem, y compris tous les principaux actifs et effectifs du personnel dédié − qui les avait elle-même d’abord absorbés de sa filiale EniChem Elastomeri − à sa filiale à 100 % Polimeri Europa, constituait une réorganisation interne au groupe Eni et que, par conséquent, il existait une continuité économique entre la société cédante impliquée dans l’entente, à savoir EniChem (devenue [confidentiel]), et la société cessionnaire, à savoir Polimeri Europa.

94      Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la décision attaquée est donc motivée à suffisance de droit s’agissant de l’imputation de l’infraction à Polimeri Europa, la Commission ayant répondu aux arguments concernant la continuité économique qui avaient été présentés par les requérantes au cours de la procédure administrative. Il y a aussi lieu de constater que la décision attaquée s’inscrit dans la jurisprudence de l’Union s’agissant de l’imputabilité d’un comportement infractionnel lorsque l’entreprise qui a participé à une entente a été cédée à un nouvel exploitant au sein du même groupe d’entreprises et que le fondement de l’imputation d’une responsabilité résulte bien d’une application uniforme de la notion d’entreprise aux fins de l’application des règles du droit de l’Union en matière de concurrence. En effet, au vu de la jurisprudence précitée, la Commission n’était pas obligée d’invoquer des circonstances particulières autres que l’existence d’une unité économique.

95      Par ailleurs, c’est à bon droit que la Commission a invoqué, aux considérants 449 et 450 de la décision attaquée, le risque que l’exploitant initial, en l’espèce EniChem (devenue [confidentiel]), puisse devenir une « coquille vide » à la suite des restructurations internes au groupe et que la sanction infligée à son égard en vertu du droit relatif aux ententes n’ait dans ce cas aucun effet (voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Mme Kokott sous l’arrêt ETI e.a., point 90 supra, point 79).

96      S’agissant des arguments tirés d’une violation des principes de personnalité de la responsabilité et de la peine, dans la mesure où Polimeri Europa s’est vu attribuer la responsabilité de l’infraction commise pendant la période allant du 13 mai 1993 au 1er janvier 2002, alors que pendant cette période elle n’aurait pas été active dans le secteur du CR, il suffit de rappeler, ainsi qu’il a été souligné dans le cadre de l’analyse du premier moyen en ce qui concerne Eni, qu’une telle argumentation repose sur la prémisse erronée selon laquelle aucune infraction n’aurait été constatée à l’égard du successeur économique, Polimeri Europa en l’espèce, s’agissant de cette période. En effet, il ressort des considérants 443 à 456 et des articles 1er et 2 de la décision attaquée que Polimeri Europa a été personnellement condamnée pour une infraction qu’elle est censée avoir commise elle-même en raison de la continuité économique existant entre elle et la société cédante impliquée dans l’entente, à savoir EniChem (devenue [confidentiel]), et, ainsi que cela a été constaté ci-dessus dans le cadre de l’examen du premier moyen, EniChem et Polimeri Europa étaient contrôlées par la même société mère et formaient ainsi avec cette société mère une seule entreprise au sens du droit de la concurrence de l’Union. Dans ces conditions, une telle condamnation n’est pas contraire aux principes de personnalité des peines et de légalité, Polimeri Europa ayant été condamnée à une amende pour une infraction qu’elle était, en vertu de la jurisprudence citée au point 89 ci‑dessus, censée avoir commise elle-même en tant qu’auteur de l’infraction d’un point de vue économique et organisationnel. La responsabilité individuelle de Polimeri Europa dans l’entente en cause a donc bien été établie.

97      S’agissant, enfin, des arguments tirés d’une violation du principe d’égalité de traitement, en ce que la Commission aurait traité de manière différente un tel transfert intragroupe dans le cadre d’une autre décision d’application de l’article 81 CE, il suffit de souligner qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 89 ci-dessus que, dans des circonstances comme celles de l’espèce, la Commission a le choix d’imposer une amende à l’exploitant initial ou au nouvel exploitant de la même entreprise impliquée dans l’entente. En tout état de cause, ainsi que la Commission l’a relevé, et conformément à une jurisprudence constante, les requérantes ne sauraient invoquer une décision adoptée dans une autre affaire − en l’occurrence la décision de la Commission du 29 novembre 2006 (voir point 85 ci‑dessus) − pour échapper à une sanction au motif qu’un autre opérateur économique impliqué dans une autre entente ne se serait pas vu infliger d’amende (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, Rec. p. I‑1307, point 197, et arrêt du Tribunal du 5 décembre 2006, Westfalen Gassen Nederland/Commission, T‑303/02, Rec. p. II‑4567, point 141).

98      Il s’ensuit que, d’une part, c’est à bon droit que la Commission a imputé à Polimeri Europa la responsabilité de l’infraction en cause, y compris pour la période pendant laquelle les activités CR étaient exploitées par EniChem, devenue [confidentiel], et, d’autre part, contrairement à ce que les requérantes prétendent, aucun défaut de motivation de la décision attaquée n’est établi.

99      Partant, le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

 Rappel du libellé de la décision attaquée

100    La Commission a considéré, au considérant 443 de la décision attaquée, que [confidentiel] (anciennement EniChem) et Polimeri Europa devraient être tenues pour responsables en tant que participants directs à l’infraction, ces deux sociétés ayant participé à l’entente du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 sous différents noms d’entité juridique ou économique dont elles sont les successeurs légaux ou économiques.

101    La Commission a en outre relevé, aux considérants 444 et 445 de la décision attaquée, que, « [l]e 1er novembre 1997, EniChem Elastomeri a[vait] été englobée par incorporation dans EniChem [et que cette dernière] a[vait] repris la responsabilité des actions antérieures d’EniChem Elastomeri qui a[vait] cessé d’exister en tant qu’entité juridique distincte », que, le 1er janvier 2002, EniChem avait cédé ses activités CR à sa filiale à 100 % Polimeri Europa, qui est devenue le successeur économique d’EniChem pour ces produits, et que, le 1er mai 2003, EniChem était devenue [confidentiel].

102    Considérant que, « lorsque l’entreprise pertinente (notamment ses principaux éléments humains et matériels) est transférée au sein d’une même entreprise d’une société vers une autre, la société acquérante peut être tenue pour responsable du comportement passé de l’entité qui lui a cédé son activité, en dépit du fait que cette dernière continue d’exister », et que « Polimeri Europa et [confidentiel] font partie de la même entreprise », la Commission a conclu que « Polimeri [Europa] devrait assumer une responsabilité pour le comportement antérieur de [confidentiel] » et qu’« [i]l n’[était] donc pas nécessaire d’adresser la [décision attaquée] à [confidentiel] » (voir considérants 446, 447 et 456 de la décision attaquée).

 Arguments des parties

103    Les requérantes font valoir que, étant donné que la Commission a formellement clos la procédure à l’égard de [confidentiel], la décision attaquée doit être annulée à tout le moins dans toutes les parties qui font référence à cette dernière. En outre, la Commission ayant tenu [confidentiel] pour responsable de l’infraction, l’exclusion de [confidentiel] des destinataires de la décision attaquée empêcherait cette dernière de faire valoir ses arguments devant le Tribunal et constituerait dès lors une violation de ses droits de la défense. La violation des droits de la défense des requérantes serait également établie dans la mesure où celles-ci se verraient contraintes de se défendre d’accusations relatives au comportement d’une autre société à l’égard de laquelle la procédure a été close.

104    La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

105    Ainsi que cela a déjà été indiqué aux points 89 et 90 ci-dessus, la conséquence, en vertu du droit de la concurrence de l’Union, de l’existence d’une unité économique est que l’infraction commise par cette unité économique peut être imputée aux personnes morales qui l’exploitent et que, en cas de transfert de tout ou partie des activités économiques d’une entité juridique à une autre, la responsabilité de l’infraction commise par l’exploitant initial, dans le cadre des activités en question, peut être imputée au nouvel exploitant si celui-ci constitue avec son prédécesseur une même unité économique aux fins de l’application des règles de concurrence, et en particulier lorsque ces entités juridiques ont été sous le contrôle de la même personne morale.

106    Il convient également de rappeler que, quels que soient les motifs sur lesquels repose une décision, seul le dispositif de celle-ci est susceptible de produire des effets juridiques et, par voie de conséquence, de faire grief. En revanche, les appréciations formulées dans les motifs d’une décision ne sont pas susceptibles de faire, en tant que telles, l’objet d’un recours en annulation. Elles ne peuvent être soumises au contrôle de légalité du juge de l’Union que dans la mesure où, en tant que motifs d’un acte faisant grief, elles constituent le support nécessaire du dispositif de cet acte et si, plus particulièrement, ces motifs sont susceptibles de changer la substance de ce qui a été décidé dans le dispositif de l’acte en question (voir arrêt du Tribunal du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, T‑474/04, Rec. p. II‑4225, point 73, et la jurisprudence citée).

107    En l’espèce, premièrement, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte de l’analyse du premier moyen, les requérantes et EniChem, devenue [confidentiel], faisaient partie, du point de vue de l’objet de l’entente en cause, d’une seule unité économique et, partant, formaient une seule entreprise au sens du droit de la concurrence de l’Union, laquelle a déployé un comportement unique sur le marché du CR et a participé à une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, étendue à l’ensemble du territoire de l’EEE.

108    Deuxièmement, c’est après avoir engagé une procédure et adopté une communication des griefs adressée, notamment, aux requérantes et à [confidentiel], ces dernières ayant toutes soumis des observations par écrit en réponse aux griefs soulevés par la Commission et ayant toutes exercé leur droit d’être entendues lors d’une audition, que la Commission a conclu, d’une part, que Polimeri Europa, en tant que successeur économique final, devrait assumer la responsabilité pour le comportement antérieur d’EniChem, devenue [confidentiel], et, considérant qu’elles font partie de la même entreprise, qu’il n’était dès lors pas nécessaire d’adresser la décision attaquée à [confidentiel]. D’autre part, elle a conclu qu’Eni devrait être considérée comme solidairement responsable avec Polimeri Europa pour les actes commis par EniChem Elastomeri, EniChem (devenue [confidentiel]) et Polimeri Europa dans la mesure où, notamment, Eni était la société mère ultime du groupe Eni et qu’elle contrôlait ces dernières sociétés (voir considérants 1, 69 à 73 et 443 à 478 de la décision attaquée). Il ressort également du dossier que [confidentiel] a été informée par la Commission de la clôture de la procédure administrative à son égard par lettre du 5 décembre 2007. Le même jour, la Commission adopté la décision attaquée.

109    Troisièmement, pour pouvoir imputer la responsabilité de l’infraction à Polimeri Europa, qui est le successeur économique final des activités en cause (voir l’analyse du troisième moyen), et à Eni, qui en avait le contrôle, c’est le comportement d’EniChem Elastomeri et d’EniChem sur le marché en cause qui a été pris en compte et qui a servi de fondement à l’imputation de la responsabilité d’une infraction aux deux sociétés visées dans le dispositif de la décision attaquée, à l’égard desquelles la Commission n’a pas clôturé la procédure.

110    Il s’ensuit, d’une part, que la constatation de la responsabilité de [confidentiel] en tant que telle, c’est-à-dire en tant que personne juridique distincte, n’est pas nécessaire pour soutenir le dispositif de la décision attaquée et, d’autre part, que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a pu décider qu’Eni devrait être considérée comme solidairement responsable avec Polimeri Europa pour les actes commis par EniChem Elastomeri, EniChem (devenue [confidentiel]) et Polimeri Europa et qu’elle a pu choisir les requérantes en tant que personnes morales auxquelles elle a infligé l’amende.

111    Partant, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, la lettre de clôture de la procédure adressée à [confidentiel] ne saurait, même partiellement, affecter la légalité de la décision attaquée et conduire à l’annulation de tout ou partie de son dispositif.

112    Il en va de même du fait que la décision attaquée fasse référence à [confidentiel]. [confidentiel] n’est que la nouvelle entité qui, après le transfert par EniChem de ses activités CR à sa filiale Polimeri Europa et après la fin de l’entente, a succédé à EniChem et, s’il est vrai que, dans les motifs de la décision attaquée, la responsabilité de [confidentiel] a été soulevée pour l’infraction en tant que successeur juridique des entreprises impliquées dans l’entente, [confidentiel] n’est pas mentionnée dans le dispositif de la décision attaquée et la mention de [confidentiel] dans les motifs ne constitue pas un support nécessaire de ce dispositif (voir point 110 ci-dessus). La demande des requérantes de voir la décision attaquée annulée dans ses parties qui font référence à [confidentiel], la procédure ayant été close à son égard, doit donc être rejetée.

113    Par ailleurs, à supposer que, par leur argument, les requérantes contestent en réalité l’imputation aux requérantes du comportement infractionnel d’EniChem Elastomeri et d’EniChem au motif que, ces dernières ayant été remplacées par [confidentiel] et la procédure ayant été close à son égard, elle aurait également été close à l’égard d’EniChem Elastomeri et d’EniChem, il suffit de relever qu’il ressort de l’analyse des premier et troisième moyens que c’est à bon droit que la Commission a pu considérer Eni, en tant que société mère ultime du groupe Eni, et Polimeri Europa, en tant que successeur économique, responsables du comportement d’EniChem Elastomeri et d’EniChem sur le marché en cause. Ainsi, la clôture de la procédure à l’égard de ces dernières en tant que prédécesseurs juridiques de [confidentiel], même à la supposer établie, n’aurait pas davantage d’impact sur la présente affaire que la clôture de la procédure à l’égard de [confidentiel].

114    S’agissant des arguments des requérantes selon lesquels la Commission a violé, d’une part, les droits de la défense de [confidentiel] en l’excluant des destinataires de la décision attaquée et, partant, en la privant d’une voie de recours devant le Tribunal, et à supposer que les requérantes puissent invoquer la violation des droits de la défense d’une autre personne morale, et, d’autre part, les droits de la défense des requérantes en les obligeant à se défendre d’accusations relatives au comportement de [confidentiel], il y a lieu de rappeler que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui doit être observé, même s’il s’agit d’une procédure à caractère administratif (arrêts de la Cour du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, Rec. p. I‑5977, point 94, et Erste Group Bank e.a./Commission, point 74 supra, point 270). En ce sens, le règlement n° 1/2003 prévoit l’envoi aux parties d’une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Une telle communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l’Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure. Ce principe exige notamment que la communication des griefs adressée par la Commission à une entreprise à l’encontre de laquelle elle envisage d’infliger une sanction pour violation des règles de concurrence contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de cette entreprise, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que cette entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative engagée à son égard (voir arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, Rec. p. I‑7191, points 35 et 36, et la jurisprudence citée).

115    Or, en l’espèce, il est constant que la Commission a adressé la communication de griefs aux requérantes et à [confidentiel] et que ces dernières ont soumis des observations par écrit en réponse aux griefs soulevés par la Commission et ont exercé leur droit d’être entendues lors d’une audition. La Commission ne leur a donc pas opposé dans la décision attaquée des éléments concernant la responsabilité de l’infraction dont elles n’avaient pas connaissance, et tant les requérantes que [confidentiel] ont pu faire valoir utilement leurs arguments à cet égard. Dans ces circonstances, la violation alléguée des droits de la défense n’est pas établie.

116    Enfin, à supposer que, par leur deuxième moyen, les requérantes invoquent en réalité le droit à une protection juridictionnelle effective, il suffit de constater que, par le présent recours, les requérantes, dont, notamment, la société mère de [confidentiel] qui détenait le contrôle exclusif sur cette dernière, et Polimeri Europa, en tant que successeur économique d’EniChem, devenue [confidentiel], faisant partie de la même unité économique, ont pu faire valoir leurs arguments devant le Tribunal.

117    Il en résulte que le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée et d’une contrariété de motifs, d’un défaut d’instruction et d’une violation de l’article 81 CE s’agissant de l’appréciation des faits et des preuves par la Commission, en particulier quant à la participation d’EniChem (devenue [confidentiel])/Polimeri Europa aux réunions en 1993 et en 2002

 Rappel du libellé de la décision attaquée

118    S’agissant de la date du début de la participation d’EniChem (devenue [confidentiel]) à l’entente, la Commission a estimé, au considérant 495 de la décision attaquée, ce qui suit :

« [confidentiel]. Dès lors, l’évaluation de la Commission au regard des règles de concurrence et l’application de toute amende [commence le] 13 mai 1993, qui correspond à la date de la première réunion collusoire [confidentiel] et étayée par des preuves indirectes [confidentiel]. »

119    Au considérant 499 de la décision attaquée, s’agissant de l’affirmation de [confidentiel] (anciennement EniChem) selon laquelle EniChem n’avait pas participé à la réunion de Florence (Italie) du 12 ou du 13 mai 1993, la Commission a expliqué ce qui suit :

« [confidentiel] a formellement identifié Eni[C]hem en tant que participant à la réunion. [confidentiel] exprime des doutes concernant l’identité du représentant d’Eni[C]hem […], mais pas concernant la présence d’Eni[C]hem. [confidentiel] est un solide indice en faveur de la présence d’Eni[C]hem à cette réunion cruciale, car les autres concurrents n’auraient pas pu se mettre d’accord sur le plan sans l’approbation d’Eni[C]hem. [confidentiel]. [confidentiel] n’est, dès lors, pas parvenue à affaiblir la conviction de la Commission concernant la date de début [de l’entente]. »

120    S’agissant de la date de la fin de la participation de Polimeri Europa à l’entente, la Commission a estimé, au considérant 502 de la décision attaquée, ce qui suit :

« [confidentiel]. Dès lors, l’évaluation en vertu des règles de concurrence et l’application des amendes sera limitée en l’espèce à la date du 13 mai 2002, à savoir la date à laquelle s’est tenue la réunion de [l’Institut international des producteurs de caoutchouc synthétique] à Naples [(Italie)]. »

121    Au considérant 503 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que « [l]es preuves en [s]a possession […] montr[ai]ent que les arrangements de parts de marché entre les concurrents existaient toujours à la date du 13 mai 2002 puisque [confidentiel] de Bayer a[vait] rédigé des notes précisant qu’une augmentation de prix concertée pour le CR en Europe occidentale ne d[evait] avoir aucune incidence sur les parts de marché mentionnées dans le ‘[confidentiel]’ [qui était] l’une des caractéristiques principales de l’entente, attribuant des parts de marché spécifiques à chacun des concurrents ». Selon la Commission, « [l]es notes […] indiqu[ai]ent, en outre, que des discussions de prix [s’étaient] tenues avec les concurrents au cours de la réunion ». Dès lors, « [l]a date de fin choisie par la Commission [a été] basée sur un document rédigé in tempore non suspecto, qui constitu[ait] une preuve directe » (voir considérant 505 de la décision attaquée).

122    S’agissant spécifiquement de la période postérieure à septembre 1998, la Commission a indiqué au considérant 506 de la décision attaquée ce qui suit :

« Il n’est que normal que les preuves des arrangements collusoires dans le dossier […] sont moins complètes que pour la période précédant cette date. [confidentiel] […] qu’en raison du programme de conformité antitrust de Bayer, les concurrents sont devenus plus prudents. Les rencontres sont devenues principalement bilatérales et un nombre croissant d’arrangements ont été passés par téléphone. Dans un tel contexte, il ne fait aucun doute, si on rassemble l’ensemble des preuves et indices disponibles dans le dossier, que les [confidentiel]. Cette conclusion est renforcée par les déclarations de [confidentiel].»

123    La Commission a relevé, aux considérants 507 et 508 de la décision attaquée, ce qui suit :

« [confidentiel]/Polimeri [Europa] n’a pas avancé d’éléments de preuve susceptibles d’être interprétés comme une volonté déclarée de sa part de se distancer de l’objet de l’accord qui a conduit à l’infraction […] Au contraire, il existe des éléments probants montrant qu’en 1999, les concurrents ont discuté des parts de marché d’Eni[C]hem pour l’avenir […] et des augmentations de prix pour le printemps 2000 […] En 2000, les discussions de prix avec Eni[C]hem ont été poursuivies entre les concurrents et des informations sur la politique de prix des concurrents ont été communiquées à Eni[C]hem […] Les chiffres sur les expéditions, échangés en juin 2000 entre Tosoh, Denka et DDE, incluent les chiffres de [confidentiel]. Cette constatation et le fait que la régionalisation s’est produite à la satisfaction des concurrents en 2000 et 2001 indiquent que les accords se sont poursuivis sans interruption […] Des indices montrent que non seulement Eni[C]hem mettait en œuvre une augmentation de prix convenue en juillet 2001, mais aussi que DDE a tenté d’élaborer un accord de parts de marché révisé en novembre 2001 […] Enfin, il y a eu non seulement la réunion de l’[Institut international des producteurs de caoutchouc synthétique] à Naples en mai 2002 […], mais aussi, avant cela, une réunion entre Bayer, DDE et Polimeri [Europa] en avril 2002 […] Les notes manuscrites de [confidentiel] concernant cette réunion parlent d’elles-mêmes et font référence à de futures augmentations de prix et à l’accord sur les parts de marché. Au cours de la réunion, Eni[C]hem a officiellement fait savoir à ses concurrents [confidentiel]. Si l’on prend tous les éléments ensemble, rien ne permet à la Commission de penser que [confidentiel]/Polimeri a mis fin à sa participation aux accords collusoires avant le 13 mai 2002 […] »

124    Au considérant 514 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, « même si [confidentiel], Polimeri [Europa] et Denka contestent certains événements qui se sont déroulés au cours de la dernière période de cartel et même si elles fournissent des interprétations alternatives pour certains éléments de preuve, elles ne sont pas parvenues à affaiblir la conviction que s’est forgée la Commission sur la base de l’ensemble des preuves et indices réunis, montrant qu’Eni[C]hem et Denka étaient également impliquées dans les accords ou les pratiques concertées avec leurs concurrents, du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ».

 Arguments des parties

125    Les requérantes, tout en admettant qu’EniChem [confidentiel], font valoir à titre liminaire que la Commission n’est pas parvenue à démontrer la participation d’EniChem aux accords avant février 1994. En outre, aucune infraction ne saurait être imputée aux requérantes ni pour la période allant de novembre 2000 à décembre 2001 ni pour l’année 2002. S’agissant de la période antérieure à février 1994, la preuve de la participation d’EniChem à l’entente serait tirée, pour chacune des réunions, d’une seule déclaration faite dans le cadre de demandes de clémence, ne constituant, selon la jurisprudence, qu’un simple indice lorsqu’elle n’est pas corroborée par les déclarations des autres concurrents. La charge de la preuve de l’infraction incombant à la Commission serait alors plus lourde. S’agissant de la période allant de novembre 2000 à décembre 2001, aucun représentant d’EniChem n’aurait participé aux huit réunions indiquées dans la décision attaquée. S’agissant de l’année 2002, sur les cinq réunions identifiées dans la décision attaquée, Polimeri Europa n’aurait participé qu’à deux réunions, lesquelles n’auraient pas eu d’objet anticoncurrentiel. Par ailleurs, en raison de sa position limitée sur le marché du CR, EniChem aurait été contrainte de participer à l’entente, mais elle n’aurait occupé qu’une position marginale au sein de celle-ci et aurait joué un rôle passif par rapport aux autres participants à cette entente. Ainsi, pendant la période [confidentiel], EniChem n’aurait pris part qu’à un nombre limité des réunions identifiées par la Commission dans la décision attaquée, à savoir à [confidentiel] réunions sur un total [confidentiel], et se serait écartée des accords convenus lors des réunions dans la mesure où cela était possible, en particulier quant aux prix pratiqués.

126    Les requérantes contestent donc tant la participation d’EniChem (devenue [confidentiel])/Polimeri Europa à certaines réunions de l’entente que le contenu des accords et pratiques concertées conclus dans son cadre et leur mise en œuvre.

127    Ainsi, en premier lieu, les requérantes contestent les conclusions de la Commission s’agissant de la participation d’EniChem (devenue [confidentiel])/Polimeri Europa à certaines réunions de l’entente.

128    Premièrement, s’agissant de la période antérieure à février 1994, les requérantes soutiennent, à propos de la réunion multilatérale du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence, que la preuve de la présence d’EniChem à cette réunion est tirée d’une seule déclaration, qui est contredite par d’autres éléments du dossier, parmi lesquels les déclarations de [confidentiel], et qu’elles-mêmes contestent. Ni le tableau récapitulatif des réunions établi par un de ces participants ni la déclaration de [confidentiel] à la Commission ne confirmerait la présence d’un représentant d’EniChem ou le fait que cette réunion était la première réunion du cartel. En particulier, il ressort de l’affirmation de [confidentiel], selon laquelle, lors de la réunion du mois de février 1994 à Tokyo (Japon), Denka et/ou Tosoh auraient informé [confidentiel] (EniChem) pour la première fois de l’existence de l’accord sur les parts de marché qui avait été passé entre les participants à la réunion de Florence en mai 1993 (page 13911 du dossier), que, d’une part, [confidentiel] n’était pas présent à la réunion de Florence et, d’autre part, aucun autre représentant d’EniChem n’y avait pris part, sinon [confidentiel] n’aurait pas été informé par les producteurs japonais (neuf mois après cette réunion), mais bien par un autre employé d’EniChem qui aurait représenté celle-ci à la réunion de Florence. La Commission aurait manqué de mentionner dans la décision attaquée le caractère contradictoire des déclarations sur lesquelles elle s’est fondée et le fait qu’une entreprise aurait indiqué dans une déclaration postérieure qu’aucun accord n’avait été conclu lors de cette réunion. Il ne se serait pas agi de la réunion de lancement de l’entente, mais simplement de la première occasion pour les représentants des producteurs de CR de se rencontrer en personne. Cela exclurait l’existence de réunions antérieures.

129    À propos de la réunion multilatérale du 13 juillet 1993 à Zurich (Suisse), les requérantes indiquent que la preuve de l’existence de cette réunion est tirée d’une seule déclaration de clémence de [confidentiel], corroborée par une inscription à l’agenda du représentant de cette entreprise et une note de frais d’un représentant d’une autre entreprise (EI DuPont). Toutefois, la note de frais, ne contenant aucune information quant à cette réunion présumée, ne corroborerait ni cette déclaration ni la présence d’EniChem à cette réunion. Le tableau récapitulatif des réunions établi par le demandeur de clémence ne confirmerait pas davantage la présence d’un représentant d’EniChem.

130    [confidentiel]

131    À propos de la réunion multilatérale du 18 novembre 1993 à Düsseldorf (Allemagne), les requérantes affirment que la présence d’EniChem à cette réunion n’a pas été confirmée dans les déclarations faites par les demandeurs de clémence. D’une part, un demandeur de clémence aurait déclaré seulement que cette réunion a été une réunion de suivi de celle du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence, sans fournir aucun élément relatif aux participants. En effet, dans le tableau fourni par ce demandeur figuraient de nombreux points d’interrogation. D’autre part, le tableau récapitulatif des réunions établi par un autre demandeur de clémence contiendrait également un point d’interrogation quant à l’identité des représentants des entreprises participant à la réunion en cause. La participation des représentants d’EniChem n’aurait donc pas été démontrée.

132    [confidentiel]

133    [confidentiel] du 12 février 1997 à Milan (Italie), [confidentiel].

134    À propos de la réunion bilatérale du 19 mai 1998 à Milan, au siège d’EniChem, les requérantes relèvent que la Commission s’appuie sur une seule déclaration, mais qu’il n’est pas possible de vérifier le déroulement et les objectifs de réunions éventuelles, compte tenu de l’absence de registre des visites, de la retraite des représentants d’EniChem qui y auraient prétendument participé et de l’absence de reçu relatif à des dépenses. Les requérantes contestent, par ailleurs, que le nom « [confidentiel] », figurant sur la preuve documentaire invoquée par la Commission, renvoie à EniChem. En outre, les requérantes font observer que l’existence et l’objet de cette réunion ont été démentis par les documents produits en annexe à la requête, qui démontrent qu’EniChem n’a pas modifié ses prix entre le 15 mars et le 15 octobre 1998.

135    À propos de la réunion multilatérale du 10 juin 1998 à Milan, au siège d’EniChem, les requérantes soulignent que la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation des représentants d’EniChem est tirée de deux déclarations faites dans le cadre de demandes de clémence, incohérentes, imprécises et démontrant tout au plus une visite de courtoisie des représentants de l’auteur de l’une de ces demandes aux représentants d’EniChem. Les requérantes contestent, par ailleurs, que le nom « [confidentiel] », figurant sur la preuve documentaire invoquée par la Commission, indique l’existence d’une réunion multilatérale. L’absence de reçu de dépenses confirmerait les doutes quant à l’existence de cette réunion.

136    À propos de la réunion bilatérale du 13 avril 1999 à Milan, au siège d’EniChem, les requérantes affirment que la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation de représentants d’EniChem est tirée d’une seule déclaration, vague, et d’un tableau récapitulatif établi par le demandeur de clémence, non corroboré par d’autres éléments de preuve. Au vu de l’absence de registre des visites et de reçus de dépenses, l’existence de cette réunion ne pourrait être confirmée.

137    À propos de la réunion bilatérale du 22 mars 2000 à Milan, au siège d’EniChem, les requérantes indiquent que la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation de deux représentants d’EniChem est tirée de quelques déclarations d’un seul demandeur de clémence, non corroborée par d’autres éléments de preuve. L’absence de crédibilité desdites déclarations ressortirait du fait qu’un des représentants identifiés par ce dernier n’aurait à cette époque pas encore commencé à s’occuper des activités CR au sein d’EniChem. De plus, les notes qui auraient été prises, citées par la Commission, ne mentionneraient pas de date et ne contiendraient aucune mention d’EniChem ou d’Eni.

138    Troisièmement, s’agissant de la période postérieure à novembre 2000, les requérantes avancent, à propos de la réunion trilatérale du 23 avril 2002 à Leverkusen (Allemagne), que cette réunion concernait une demande de fourniture par la division « adhésifs » de Bayer, qu’elle n’avait pas d’objet anticoncurrentiel et que la présence d’une troisième entreprise n’était, dès lors, « pas prévue ». Les notes du représentant de [confidentiel] ne constitueraient vraisemblablement qu’un schéma d’arguments à traiter et leur valeur probatoire serait donc très faible. Par ailleurs, il pourrait être déduit de la déclaration de Bayer que le projet d’augmentation des prix n’a pas été réalisé. Enfin, cette réunion aurait été reprise par la Commission dans le cadre d’une autre procédure, abandonnée après l’audition (affaire COMP/38.542 – EPDM). Il s’agit donc, selon les requérantes, d’une « réunion de divertissement » dont le contenu anticoncurrentiel n’a pas été établi et, dès lors, d’une réunion sans pertinence pour établir la responsabilité de Polimeri Europa quant à une infraction éventuelle à l’article 81 CE. S’agissant des notes manuscrites citées par la Commission, elles seraient dépourvues de fiabilité dans la mesure où il en existerait deux versions différentes et il serait impossible de déterminer laquelle a été prise en considération par la Commission et pourquoi. En toute hypothèse, les notes qui auraient été prises lors de la réunion ne mentionneraient ni EniChem ni Polimeri Europa.

139    Enfin, à propos de la réunion multilatérale du 13 mai 2002 à Naples, les requérantes soulignent qu’aucun élément de preuve ne permet de les tenir pour responsables de contacts anticoncurrentiels lors de cette réunion. La preuve de la participation de Polimeri Europa à une discussion anticoncurrentielle serait tirée d’une seule déclaration, contredite par les affirmations d’un demandeur de clémence, non corroborée par le texte du discours d’ouverture de la réunion officielle de l’Institut international des producteurs de caoutchouc synthétique (ci-après l’« IISRP ») prononcé par un représentant de Polimeri Europa et non corroborée par d’autres éléments de preuve. Les allégations figurant au considérant 303 de la décision attaquée seraient donc non fondées. Contrairement à la thèse soutenue par la Commission, il n’existerait pas de preuve directe permettant de qualifier la réunion en cause de réunion de cartel. En l’absence de preuve valable à cet égard, les requérantes contestent, en outre, qu’un accord sur les parts de marché ait encore été en vigueur en mai 2002.

140    En second lieu, les requérantes contestent les conclusions de la Commission s’agissant de la mise en œuvre des accords auxquels EniChem (devenue [confidentiel])/Polimeri Europa auraient participé.

141    D’une part, les éléments de preuve dont la Commission dispose ne permettraient pas de considérer que la mise en œuvre par EniChem des accords d’augmentation de prix convenus lors des réunions de l’entente est établie. [confidentiel].

142    À propos des accords d’augmentations de prix mentionnés au considérant 371 de la décision attaquée, les requérantes soutiennent que l’analyse, effectuée aux considérants 158 à 161 de la décision attaquée, d’une déclaration et d’un document manuscrit présenté par une autre entreprise à l’égard de la mise en œuvre par EniChem d’un tel accord convenu lors d’une réunion du 15 et/ou du 16 septembre 1994 à Zurich est arbitraire, contradictoire et inopérante. Quant à la preuve de la mise en œuvre d’un accord d’augmentation des prix lors de la réunion du 2 décembre 1994 à Zurich, elle serait tirée d’un seul document manuscrit, vague et en contradiction avec un autre document cité dans la décision attaquée. Il s’agit, selon les requérantes, d’une démonstration de ce qu’EniChem a toujours été considérée à tort comme étant sur le même plan que les autres entreprises, alors qu’elle n’aurait ni respecté ni mis en œuvre les accords de l’entente. La preuve de l’augmentation de prix discutée lors de la réunion du 19 mai 1998 à Milan, pour laquelle la participation d’EniChem aurait par ailleurs été exclue (voir point 134 ci-dessus), serait également tirée d’une seule déclaration, sans qu’il existe de trace concrète de cette augmentation. Enfin, la preuve de l’augmentation de prix à laquelle il est fait référence au considérant 267 de la décision attaquée serait tirée d’une déclaration non probante et contredite par d’autres éléments de preuve, ainsi qu’il ressortirait des listes de prix d’EniChem présentées en annexe à la requête et à la réplique.

143    À propos des autres accords d’augmentations de prix convenus lors des réunions de l’entente au cours des années 1996 à 1999, les requérantes font valoir que la mise en œuvre de ces prétendus accords, alléguée au considérant 188 de la décision attaquée comme étant la suite de la réunion ayant eu lieu entre le 8 et le 10 février 1996 à Tokyo, au considérant 202 de la décision attaquée comme étant la suite de la réunion du 18 juillet 1997 à Londres (Royaume-Uni), au considérant 221 de la décision attaquée comme étant la suite de la réunion du 4 février 1998 à Londres, et aux considérants 235 et 239 de la décision attaquée comme étant la suite de la réunion du 14 septembre 1998 à Londres, n’a pas été prouvée. Par ailleurs, au cours de l’année 1999, EniChem n’aurait pas du tout modifié ses prix.

144    Les requérantes contestent également l’affirmation figurant au considérant 283 de la décision attaquée, concernant une augmentation des prix d’EniChem en juillet 2001 : elle serait tirée d’une déclaration lacunaire et non étayée par d’autres éléments de preuve.

145    D’autre part, les éléments de preuve dont la Commission dispose ne permettraient pas de considérer que la mise en œuvre par EniChem des accords visant la répartition des marchés convenus lors des réunions de l’entente est établie. La Commission n’aurait jamais examiné les éléments de preuve attestant le non-respect par EniChem des accords convenus à cet égard. Ainsi qu’il ressortirait des considérants 165, 170, 191, 194, 249 et 262 de la décision attaquée, EniChem aurait eu pour objectif d’augmenter ses ventes de CR, contrevenant ainsi aux accords et réfutant la thèse soutenue par la Commission selon laquelle elle aurait mis en œuvre l’accord concernant l’attribution et la stabilisation des marchés. Contrairement à ce qu’affirme la Commission, aucune reconnaissance d’une mise en œuvre concrète des plans de répartition convenus ne pourrait être déduite des déclarations de [confidentiel].

146    La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

147    À titre liminaire, d’une part, il importe de rappeler que la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 58, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 86). Il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction (arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Coats Holdings et Coats/Commission, T‑36/05, non publié au Recueil, point 71).

148    D’autre part, dans le cadre d’un recours en annulation, il n’appartient au juge de l’Union que de contrôler la légalité de l’acte attaqué. Ainsi, le rôle du juge saisi d’un recours en annulation dirigé contre une décision de la Commission constatant l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et infligeant des amendes aux destinataires consiste à apprécier si les preuves et autres éléments invoqués par la Commission dans sa décision sont suffisants pour établir l’existence de l’infraction reprochée (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, points 174 et 175, et la jurisprudence citée).

149    Dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende, le juge ne saurait conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question. En effet, il est nécessaire de tenir compte du principe de présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, lequel fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, sont protégés dans l’ordre juridique de l’Union. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes. Ainsi, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction (voir arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 148 supra, points 177 et 178, et la jurisprudence citée).

150    Cela étant, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre aux critères de précision et de concordance pour chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par cette dernière, apprécié globalement, réponde aux exigences figurant au point 147 ci-dessus (voir arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 148 supra, point 180, et la jurisprudence citée).

151    Ainsi, il incombe à la partie ou à l’autorité qui allègue une violation des règles de la concurrence d’en apporter la preuve et il appartient à l’entreprise ou à l’association d’entreprises soulevant un moyen de défense contre une constatation d’infraction à ces règles d’apporter la preuve que les conditions d’application de la règle dont est déduit ce moyen de défense sont remplies, de sorte que ladite autorité devra alors recourir à d’autres éléments de preuve. Même si la charge de la preuve incombe selon ces principes soit à la Commission, soit à l’entreprise ou à l’association concernée, les éléments factuels qu’une partie invoque peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure qu’il a été satisfait aux règles en matière de charge de la preuve (voir arrêt de la Cour du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, Rec. p. I‑5361, points 29 et 30, et la jurisprudence citée).

152    Aucune disposition ni aucun principe général du droit de l’Union n’interdit à la Commission de se prévaloir à l’encontre d’une entreprise des déclarations d’autres entreprises incriminées. Si tel n’était pas le cas, la charge de la preuve de comportements contraires aux articles 81 CE et 82 CE, qui incombe à la Commission, serait insoutenable et incompatible avec la mission de surveillance de la bonne application de ces dispositions qui lui est attribuée par le traité CE. Toutefois, la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante des faits en cause sans être étayée par d’autres éléments de preuve. Tel est d’autant plus le cas s’agissant d’une déclaration tendant à atténuer la responsabilité de l’entreprise au nom de laquelle elle est faite, en mettant en exergue la responsabilité d’une autre entreprise (voir arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 285, et la jurisprudence citée).

153    Selon une jurisprudence constante, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, il suffit, pour qu’un accord relève de son champ d’application, qu’il ait pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence, indépendamment de ses effets concrets. En conséquence, dans le cas d’accords se manifestant lors de réunions d’entreprises concurrentes, d’une part, une infraction à cette disposition est constituée lorsque ces réunions ont un tel objet et visent, ainsi, à organiser artificiellement le fonctionnement du marché, et, d’autre part, la responsabilité d’une entreprise déterminée pour sa participation à l’infraction est valablement retenue lorsqu’elle a participé à ces réunions en ayant connaissance de leur objet, même si elle n’a pas, ensuite, mis en œuvre l’une ou l’autre des mesures convenues lors de celles-ci (arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 508 et 509).

154    Lorsque des accords de nature anticoncurrentielle se manifestent lors de réunions d’entreprises concurrentes, il suffit que la Commission démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus pour prouver la participation de ladite entreprise à l’entente. Lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur. La raison qui sous-tend cette règle est que, ayant participé à ladite réunion sans se distancier publiquement de son contenu, l’entreprise a donné à penser aux autres participants qu’elle souscrivait à son résultat et qu’elle s’y conformerait (voir arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, point 150 supra, points 47 et 48, et la jurisprudence citée).

155    À cet égard, il convient de rappeler que la notion de distanciation publique en tant qu’élément d’exonération de la responsabilité doit être interprétée de manière restrictive. Afin de se dissocier effectivement des discussions anticoncurrentielles, il incombe à l’entreprise concernée d’indiquer par écrit à ses concurrents qu’elle ne souhaite en aucun cas être considérée comme membre de l’entente et participer à des réunions anticoncurrentielles (voir, en ce sens, arrêt Westfalen Gassen Nederland/Commission, point 97 supra, point 103). En tout état de cause, le silence observé par un opérateur dans une réunion au cours de laquelle une discussion anticoncurrentielle illicite a lieu ne peut être assimilé à l’expression d’une désapprobation ferme et claire. En effet, l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromet sa découverte (arrêt Westfalen Gassen Nederland/Commission, point 97 supra, point 124).

156    S’agissant de l’appréciation des éléments de preuve, il est usuel que les activités que des accords et pratiques anticoncurrentiels comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement et que la documentation s’y rapportant soit réduite au minimum. Il s’ensuit que, même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Dès lors, dans la plupart des cas, l’existence d’un accord ou d’une pratique anticoncurrentiels doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence (voir arrêts Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, point 150 supra, point 51, et Lafarge/Commission, point 151 supra, point 22, et la jurisprudence citée).

157    Enfin, il découle du texte même de l’article 81, paragraphe 1, CE que les accords entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet, lorsqu’ils ont un objet anticoncurrentiel (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 147 supra, point 123).

158    C’est à la lumière de ces éléments que les arguments des requérantes seront analysés ci-après. À cet égard, il convient de noter que, bien qu’il puisse apparaître que, si la Commission a prouvé à suffisance de droit la participation d’EniChem et de Polimeri Europa aux réunions qu’elle a considérées comme marquant respectivement le début et la fin de la participation à l’entente, les arguments des requérantes tendant à contester la participation d’EniChem/Polimeri Europa aux autres réunions de l’entente sont inopérants, cela n’est vrai qu’en ce qui concerne la question de la durée de la participation à l’entente. Le nombre de réunions auxquelles EniChem/Polimeri Europa a pris part peut en effet être pertinent s’agissant de l’appréciation de la gravité relative de sa participation à l’infraction, ainsi que de son rôle dans l’entente, et peut donc avoir de l’incidence sur l’examen du huitième moyen, qui porte notamment sur les circonstances atténuantes (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, points 165 à 167). C’est donc l’ensemble des réunions contestées par les requérantes qui doit être analysé. L’analyse portera toutefois d’abord sur la date du début, puis sur la date de la fin, de la participation d’EniChem/Polimeri Europa à l’entente en cause, avant de porter sur les autres réunions et sur la question de la mise en œuvre éventuelle des accords.

159    Ainsi, s’agissant, en premier lieu, de la participation d’EniChem/Polimeri Europa à certaines réunions de l’entente et, premièrement, de la période antérieure à février 1994, il y a lieu de rappeler que la date du début de la participation d’EniChem à l’entente a été fixée comme étant le 12 ou le 13 mai 1993. Dans la décision attaquée, la Commission a constaté qu’EI DuPont avait organisé une réunion anticoncurrentielle le 12 ou le 13 mai 1993 à Florence en marge de la réunion officielle de l’IISRP du 11 au 14 mai 1993 (voir considérant 137 de la décision attaquée). EI DuPont n’a pas contesté que l’entente ait débuté lors de cette réunion qu’elle affirme avoir organisée. Selon la décision attaquée, [confidentiel] cette appréciation de la Commission et [confidentiel] a fourni une description du sujet anticoncurrentiel de cette réunion (voir considérants 138 et 496 de la décision attaquée). En outre, Denka a confirmé sa présence à la réunion officielle de l’IISRP du 11 au 14 mai 1993 ainsi qu’à une réunion ayant eu lieu en marge de cette réunion officielle, organisée par EI DuPont, lors de laquelle elle a été menacée d’une éventuelle procédure antidumping (voir considérant 142 de la décision attaquée).

160    S’agissant de la participation d’EniChem à cette réunion, contestée par les requérantes, il ressort des documents sur lesquels la Commission s’est fondée dans la décision attaquée que [confidentiel] a formellement identifié EniChem en tant que participant à la réunion, les doutes exprimés ne concernant que l’identité précise du représentant d’EniChem ([confidentiel]) (voir considérants 137, 138 et 499 de la décision attaquée). Les requérantes relèvent à cet égard que le tableau récapitulatif des réunions fourni par [confidentiel] à la Commission mentionnerait uniquement « Distugil/[confidentiel] ( ?) ; [confidentiel] ( ?) », sans toutefois mentionner EniChem. Cependant, il y a lieu de rappeler qu’Eni est entrée sur le marché du CR à la fin de l’année 1992 par le biais de l’acquisition de la branche du CR du groupe Rhône-Poulenc, dont la société spécialisée dans le CR s’appelait Distugil. Dans ces circonstances, s’agissant d’une réunion ayant eu lieu en 1993, il y a lieu de comprendre la référence à Distugil comme une référence à EniChem.

161    En outre, selon la décision attaquée, le représentant de Tosoh désignait [confidentiel] d’EniChem dans son agenda sous le nom de code « [confidentiel] » ([confidentiel] de Distugil/Rhône-Poulenc) ou encore sous le nom de code « [confidentiel] » (voir considérant 118 de la décision attaquée) déjà en 1992. Or, [confidentiel] (voir considérant 46 de la décision attaquée).

162    Il s’ensuit que la présence d’un représentant d’EniChem à la réunion de Florence du 12 ou du 13 mai 1993 n’est confirmée que par une déclaration de clémence.

163    S’agissant de l’objet de la réunion du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence, il y a lieu de relever, tout d’abord, qu’il ressort de la déclaration de clémence de [confidentiel] invoquée par la Commission dans la décision attaquée que, [confidentiel], « [confidentiel] » (voir considérant 138 de la décision attaquée).

164    Ensuite, il y a lieu d’observer que, certes, ainsi qu’il a été relevé au considérant 139 de la décision attaquée, un [confidentiel] « [confidentiel] ». [confidentiel] « [confidentiel] » (voir considérant 140 de la décision attaquée).

165    Enfin, il y a lieu d’observer que [confidentiel] a confirmé dans sa déclaration de clémence qu’un représentant d’EniChem ([confidentiel]). Cela a été confirmé par [confidentiel], [confidentiel], [confidentiel].

166    Il s’ensuit que la Commission a à bon droit considéré que la réunion de mai 1993 à Florence était une réunion anticoncurrentielle, [confidentiel].

167    Dès lors que la Commission a à bon droit considéré que l’objet de la réunion de mai 1993 à Florence était, notamment, [confidentiel], il y a lieu de constater que c’est également à bon droit que la Commission a considéré la date de cette réunion comme étant la date de début de la participation d’EniChem à l’infraction.

168    Certes, la déclaration de [confidentiel] mentionnée au point 165 ci-dessus peut laisser supposer, ainsi que le relèvent les requérantes, qu’EniChem ne pouvait pas être présente à Florence, car dans ce cas [confidentiel] aurait appris l’existence de l’entente de son collègue, et non de son concurrent. Toutefois, d’une part, cette déclaration confirme que l’accord sur [confidentiel]. D’autre part, il en ressort qu’EniChem a nécessairement été prise en compte dans cet accord et qu’elle en a eu connaissance. Or, EniChem ne s’étant pas distanciée de cet accord, il y a lieu de considérer qu’elle y a participé. En effet, selon la jurisprudence, même l’acceptation tacite d’un accord, en l’absence de toute distanciation, peut être considérée comme une acceptation et une participation à un accord (arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Marlines/Commission, T‑56/99, Rec. p. II‑5225, point 21).

169    En outre, il y a lieu de relever qu’aucun des demandeurs de clémence n’a fait mention d’une entrée d’EniChem dans l’entente après que l’entente avait débuté pour les autres participants. Or, une telle entrée retardée aurait pourtant, de toute évidence, rendu nécessaire un nouveau calcul des parts de marché précédemment attribuées à chaque producteur.

170    Il s’ensuit que, même si la présence d’EniChem à la réunion du 12 ou du 13 mai à Florence a été confirmée par une seule déclaration de [confidentiel], c’est à juste titre que la Commission a pris en compte la date de cette réunion comme étant la date de début de la participation d’EniChem à l’infraction.

171    Par ailleurs, il importe de souligner qu’il ressort des déclarations de deux participants à l’entente que « [confidentiel] » (voir considérant 123 de la décision attaquée). Ainsi, selon la déclaration de la première entreprise, « [confidentiel] » (voir considérant 124 de la décision attaquée). Selon la déclaration de la seconde entreprise, « [confidentiel] » (voir considérant 129 de la décision attaquée). Ainsi, « [confidentiel] » (voir considérant 129 de la décision attaquée).

172    Certes, ces événements, non réfutés par les requérantes (celles-ci se contentant d’alléguer que la réunion de Florence [confidentiel]), se sont déroulés en dehors de la période d’infraction reprochée aux requérantes et concernent le groupe Rhône-Poulenc, dont la société spécialisée dans le CR s’appelait Distugil. Toutefois, il convient de relever que ce sont des éléments faisant partie du faisceau d’indices invoqué à juste titre par la Commission afin de prouver le caractère anticoncurrentiel de la réunion du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence. [confidentiel], y compris les représentants de Distugil, rachetée par Eni à la fin de l’année 1992.

173    Au vu des éléments qui précèdent, il y a lieu de considérer que la Commission a à juste titre considéré la réunion du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence comme étant la réunion de lancement de l’entente et a établi à suffisance de droit que la participation d’EniChem à l’entente en cause avait débuté lors de cette réunion. L’argument des requérantes selon lequel la Commission n’est pas parvenue à démontrer la participation d’EniChem aux accords avant février 1994 doit dès lors être écarté et, partant, leurs arguments selon lesquels cette dernière n’a pas participé à des réunions anticoncurrentielles entre mai 1993 et février 1994 sont dépourvus de pertinence pour établir la date du début de la participation d’EniChem à l’entente. Il convient toutefois, pour les motifs exposés au point 158 ci-dessus, d’analyser si la Commission a ou non établi la participation des requérantes aux trois autres réunions s’étant déroulées entre mai 1993 et février 1994 et à propos desquelles les requérantes contestent la participation d’EniChem.

174    À cet égard, il convient de constater, à propos de la réunion multilatérale du 13 juillet 1993 à Zurich, que la preuve de l’existence de cette réunion est tirée de la déclaration d’entreprise corroborée par les documents relatifs aux frais de voyage d’un autre participant. Toutefois, s’agissant de l’identification des participants à cette réunion, bien que trois entreprises n’aient pas contesté leur participation, deux entreprises, dont les requérantes, l’ont contestée. Dès lors, en l’absence d’éléments de preuve s’agissant de la participation d’EniChem à cette réunion autre que ladite seule déclaration, il y a lieu de conclure, conformément à la jurisprudence citée au point 152 ci‑dessus, que la Commission n’a pas démontré la participation d’EniChem à suffisance de droit.

175    À propos de la réunion multilatérale [confidentiel]. Or, la contestation du contenu de la déclaration de cette entreprise par les requérantes suffit à ce qu’il soit exigé que d’autres éléments de preuve viennent l’étayer. Partant, il y a lieu de constater, conformément à la jurisprudence citée au point 152 ci‑dessus, la déclaration en cause n’étant pas corroborée par d’autres éléments de preuve, que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit la participation d’EniChem à cette réunion.

176    À propos de la réunion multilatérale du 18 novembre 1993 à Düsseldorf, la preuve de l’existence de cette réunion est tirée d’une déclaration orale d’une entreprise, corroborée par la déclaration orale d’une autre entreprise. S’agissant de l’identification des autres entreprises qui auraient participé à cette réunion, les requérantes contestent le fait que la déclaration de la seconde entreprise corrobore celle de la première. En effet, cette seconde déclaration, présentée sous forme d’un tableau, précise uniquement la date et le lieu de la réunion en cause et contient une mention indiquant qu’il s’agissait d’une réunion multilatérale. En revanche, l’entreprise qui a fourni ce tableau n’a pas été en mesure de déterminer les participants de la réunion. Dès lors, en l’absence d’éléments de preuve confirmant la participation d’EniChem à la réunion en cause autre qu’une seule déclaration d’un concurrent, il y a lieu de conclure, conformément à la jurisprudence citée au point 152 ci-dessus, que la Commission n’a pas démontré, à suffisance de droit, la participation d’EniChem à la réunion du 18 novembre 1993 à Düsseldorf.

177    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit la participation d’EniChem aux réunions du 13 juillet 1993, du [confidentiel] et du 18 novembre 1993. Toutefois, cela n’est pas de nature à remettre en cause la durée de l’infraction qui est reprochée aux requérantes par la Commission (du 13 mai 1993 au 13 mai 2002) ou le bien-fondé de la constatation d’infraction figurant dans la décision attaquée.

178    S’agissant, deuxièmement, de la période postérieure à octobre 2000 et plus particulièrement de la date de la fin de la participation d’EniChem/Polimeri Europa à l’entente, il y a lieu de constater, à propos de la réunion multilatérale du 13 mai 2002 à Naples, marquant la fin de l’entente, que la Commission invoque, aux considérants 304 et 503 de la décision attaquée, des preuves documentaires contemporaines à cette réunion, à savoir les notes [confidentiel] », lequel constitue une des caractéristiques principales de l’entente. La Commission a observé, au même considérant 503 de la décision attaquée, que « la référence manuscrite aux [confidentiel] indiqu[ait] que des parts de marché cibles spécifiques pour 2002 avaient été établies dans le cadre du moratoire en se basant sur les parts de marché de 2001 » et que « [l]es notes […] montr[aient], en outre, qu[e son auteur] a[vait] réfléchi aux éventuels effets d’une augmentation de prix en Europe occidentale sur les parts de marché ainsi spécifiées et a[vait] tiré la conclusion que tant l’augmentation de prix que le moratoire ne seraient pas forcément néfastes l’un pour l’autre ». Au considérant 505 de la décision attaquée, la Commission a constaté que ces « notes manuscrites […] indiqu[aient], par ailleurs, que DDE, mais aussi Eni[C]hem avaient déjà donné sur place leur accord pour la prochaine augmentation de prix collusoire ».

179    Il convient également de citer la description du document en cause figurant au considérant 304 de la décision attaquée :

« [confidentiel

180    Ainsi que la Commission l’a relevé, ce document, préparé en vue de la réunion du 13 mai 2002 à Naples et mentionnant de manière explicite Eni, constitue une preuve directe et contemporaine du fait que l’accord attribuant des parts de marché spécifiques à chacun des concurrents était encore en vigueur lorsque cette réunion a eu lieu et du fait [confidentiel]. Il ressort également de ce document que [confidentiel] et [confidentiel], sinon elles n’auraient pas été mentionnées explicitement dans ce document préparatoire de la réunion en cause. Par ailleurs, les requérantes ne contestent pas qu’un représentant de Polimeri Europa ait assisté à la réunion officielle de l’IISRP en marge de laquelle les discussions anticoncurrentielles se sont tenues. La Commission a donc établi à suffisance de droit la participation de Polimeri Europa à cette réunion et le caractère anticoncurrentiel de cette dernière.

181    S’agissant de la réunion du 23 avril 2002 à Leverkusen, il y a lieu de relever qu’il ressort de la décision attaquée que lors de cette réunion un représentant d’EniChem/Polimeri Europa a rencontré un représentant de Bayer et de DDE dans un restaurant à Leverkusen (voir considérants 297 à 301 de la décision attaquée). Il ressort en outre du considérant 301 de la décision attaquée que, d’après la déclaration de [confidentiel], les concurrents sont convenus au cours de cette réunion à Leverkusen d’un [confidentiel]. [confidentiel]. Il ressort du même considérant que, [confidentiel], EniChem/Polimeri Europa redoutait l’entrée d’un autre concurrent sur le marché [confidentiel].

182    La Commission a également invoqué des preuves documentaires s’agissant de cette réunion du 23 avril 2002, à savoir des notes [confidentiel] (voir considérant 297 de la décision attaquée), [confidentiel] (voir considérant 298 de la décision attaquée) et [confidentiel] (voir considérant 299 de la décision attaquée). Il convient de citer la description desdits documents et l’explication fournie par leur auteur à la Commission, figurant dans la décision attaquée :

« (297) […]

[confidentiel]

(298) […]

[confidentiel]

(299) […]

[confidentiel] »

183    Les requérantes se bornent à affirmer que la réunion de Leverkusen avait principalement pour objectif d’expliquer les termes de la demande de fourniture d’une quantité de CR présentée à Polimeri Europa par la division « Adhésifs » de Bayer et que la présence de DDE n’était, dès lors, pas prévue. Il s’ensuit, selon les requérantes, que, en substance, il ne s’agissait que d’une « réunion de divertissement » dont le contenu anticoncurrentiel n’a pas été établi. Toutefois, ainsi que la Commission l’a souligné, les affirmations des requérantes sont démenties par les notes décrites ci-dessus, dont il ressort de manière univoque qu’au cours de cette réunion trilatérale les participants ont discuté [confidentiel], attestant ainsi l’existence [confidentiel] d’un point de vue concurrentiel. Par ailleurs, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission a reconstitué, d’une manière claire et simple, les différentes phases de la genèse de ces notes, à savoir les notes préparatoires, les annotations prises lors de la réunion sur ce même document contenant les notes préparatoires et les notes prises lors de la réunion sur une feuille séparée. De plus, contrairement à ce qu’allèguent les requérantes, ces notes et annotations contiennent bien des références à EniChem. Partant, elles ne sauraient prétendre qu’il s’agissait d’une « réunion de divertissement ». Au contraire, la Commission a établi à suffisance de droit qu’elles avaient participé à une réunion de l’entente le 23 avril 2002 à Leverkusen.

184    Par ailleurs, selon la décision attaquée, EniChem/Polimeri Europa a encore [confidentiel] (voir considérants 307 et 309 de la décision attaquée). En outre, selon la décision attaquée, il y a encore eu une [confidentiel] (voir considérant 310 de la décision attaquée). Certes, [confidentiel] se sont déroulées en dehors de la période d’infraction reprochée aux requérantes, mais elles font également partie du faisceau d’indices invoqué à bon droit par la Commission afin de déterminer la date de la cessation de l’entente retenue par elle.

185    Il s’ensuit que c’est à bon droit que la Commission a retenu la date de la réunion du 13 mai 2002 à Naples comme étant la date de la fin de l’entente sur la base du fait que le « moratoire » était resté en vigueur jusqu’à cette date pour tous les participants à l’entente. Par conséquent, c’est également à bon droit qu’elle a retenu cette date comme étant la date de la fin de la participation d’EniChem/Polimeri Europa à l’infraction (sa participation à cette réunion étant établie, ainsi qu’il résulte des points 178 à 180 ci-dessus). Les arguments des requérantes selon lesquels EniChem/Polimeri Europa n’a plus [confidentiel] doivent être rejetés.

186    S’agissant, troisièmement, des arguments des requérantes selon lesquels EniChem n’a pas participé à certaines des réunions anticoncurrentielles entre février 1994 et octobre 2000, [confidentiel] (voir point 125 ci-dessus). Leurs arguments visant à contester sa participation à six réunions anticoncurrentielles identifiées par la Commission pendant cette période sont donc inopérants dans la mesure où ils visent à l’annulation de la décision attaquée. Toutefois, la participation effective à ces réunions pouvant être pertinente pour l’appréciation du huitième moyen (et notamment l’existence éventuelle de circonstances atténuantes), ils seront examinés ci-après.

187    [confidentiel]

188    En ce qui concerne la réunion bilatérale du 12 février 1997 à Milan [confidentiel], il faut constater que la Commission n’a pas démontré cette participation à suffisance de droit au regard de la jurisprudence citée au point 152 ci-dessus.

189    En ce qui concerne la réunion bilatérale du 19 mai 1998 à Milan, au siège d’EniChem, il découle du considérant 228 de la décision attaquée que la Commission s’appuie, s’agissant de la preuve de l’existence et du contenu de cette réunion sur les documents de Tosoh, notamment sur un document contemporain à l’infraction – les notes manuscrites rédigées à l’époque de la réunion par le représentant de Tosoh, [confidentiel].

190    Il ressort de l’analyse des notes en question qu’elles ont été prises le 19 mai 1998. En outre, les notes portent une mention qui fait référence à l’identité de l’autre participant, à savoir le nom « [confidentiel] ». Les requérantes contestent que ce nom de code fasse référence à EniChem. Cependant, il ressort du considérant 114 de la décision attaquée que « [confidentiel] ». En outre, au considérant 118 de la décision attaquée, il est indiqué : « Tosoh admet que [confidentiel] a utilisé des noms de code et des abréviations pour certaines personnes et certaines entreprises. Par exemple, [confidentiel] indique, à la date [confidentiel] ([confidentiel] de Bayer), du [confidentiel]. [confidentiel] voulait dire [confidentiel], Eni[C]hem. Le nom [confidentiel], fréquemment utilisé par [confidentiel] dans ses agendas, indique des réunions multilatérales regroupant les cinq concurrents. [confidentiel] utilisait, en outre, le nom de code [confidentiel] pour désigner [confidentiel] de la firme Distugil/Rhône-Poulenc. » Il ressort de ces observations que l’employé de [confidentiel] a régulièrement utilisé les noms de code pour décrire différentes entreprises et personnes impliquées dans l’entente et non seulement EniChem. [confidentiel] a fourni une explication complète et cohérente de noms de code utilisés et ses explications peuvent être considérées comme crédibles, quand bien même elles auraient été soumises dans le cadre d’une demande de clémence. En revanche, les requérantes, tout en contestant les déclarations de [confidentiel], n’avancent aucune autre explication ou justification qui pourrait donner un éclairage différent aux faits établis par la Commission. En outre, il découle du considérant 228 de la décision attaquée que [confidentiel] a non seulement [confidentiel]. Au vu de ces éléments, l’argument des requérantes visant à contester le fait que le nom de code « [confidentiel] » figurant sur la note manuscrite déposée par Tosoh désignait EniChem doit être écarté.

191    L’analyse du contenu des notes manuscrites de Tosoh confirme la description de la réunion en cause rédigée sur leur base et figurant au considérant 228 de la décision attaquée :

« Les notes de [confidentiel] montrent que les concurrents ont décidé de proposer un ‘système de prix plancher absolu’ en Europe au cours d’une réunion qui se tiendrait le 4 ou le 10 juin 1998. [confidentiel]. Les notes de [confidentiel] montrent qu’Eni[C]hem et Tosoh ont parlé de certaines qualités de CR et de clients spécifiques tels que [confidentiel] et [confidentiel]. Ils ont en particulier échangé des informations sur leurs prix et leurs volumes pour des clients spécifiques en Espagne et en Italie. En ce qui concerne certains petits clients espagnols d’Alicante, Tosoh a dit qu’elle avait maintenu ses prix et volumes, tandis qu’Eni[C]hem a dit avoir augmenté ses prix, mais avoir perdu des volumes de vente au premier trimestre 1998. Concernant le client italien [confidentiel], Eni[C]hem a déclaré que son prix de 3 800 LIT était son [confidentiel]. Les notes de [confidentiel] montrent que les prix de Tosoh et de Bayer ont été discutés : le prix de Tosoh était de 3 500 LIT et celui de Bayer de 3 650 LIT. Tosoh et Eni[C]hem ont encore noté que Bayer et DDE fournissaient [confidentiel] sur la base de contrats à long terme et offraient des remises pour volume. Enfin, Eni[C]hem a informé Tosoh de sa capacité. »

192    Il y a lieu d’observer que la conclusion de la Commission relative à la participation d’EniChem à la réunion en cause n’est fondée que sur un document et des déclarations orales de [confidentiel]. Cependant, les preuves sur lesquelles la Commission s’est appuyée peuvent, en l’espèce, être considérées comme suffisantes pour démontrer le caractère anticoncurrentiel de cette réunion et la présence d’EniChem à celle‑ci. En effet, le document de Tosoh est contemporain à l’infraction et il contient une description détaillée du contenu de la réunion. En outre, les déclarations orales de [confidentiel] présentent une explication claire et cohérente de ces notes. Enfin, la réunion du 19 mai 1998 à Milan ne peut pas être analysée comme un évènement isolé, mais plutôt comme l’élément d’un ensemble des évènements qui doivent être appréciés globalement. Or, il ressort du considérant 229 de la décision attaquée, non contesté par les requérantes, que le lendemain de la réunion avec EniChem à Milan, les représentants de Tosoh ont rencontré les représentants de Bayer et de Denka lors de deux réunions séparées organisées à Düsseldorf. Il s’ensuit que les représentants de Tosoh ont rencontré, au cours des réunions bilatérales organisées entre le 19 et le 20 mai 1998 ses principaux concurrents, à savoir Bayer, Denka et Enichem. Tous ces éléments constituent un faisceau d’indices au sens de la jurisprudence citée au point 150 ci-dessus qui, apprécié globalement, permet de conclure que les requérantes ont effectivement participé à une réunion anticoncurrentielle organisée le 19 mai 1998 à Milan. Les requérantes ne sauraient dès lors prétendre que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit la participation d’EniChem à cette réunion.

193    En ce qui concerne la réunion du 10 juin 1998 à Milan, au siège d’EniChem, la preuve de l’existence de cette réunion est tirée des déclarations de deux entreprises, [confidentiel]. Les déclarations de [confidentiel] confirment que des représentants de [confidentiel], [confidentiel], ont rencontré les représentants d’EniChem à Milan le 10 juin 1998, mais que ceux‑ci ne pouvaient pas affirmer qu’il s’agissait d’une réunion multilatérale. Les déclarations de [confidentiel], auxquelles la Commission se réfère au considérant 231 de la décision attaquée, se fondent principalement sur des notes manuscrites relatives à cette réunion prises par un des employés de [confidentiel]. Il ressort de ces notes que la réunion du 10 juin 1998 était une réunion multilatérale entre les cinq participants à l’entente. En effet, les notes portent une mention « [confidentiel] ». Or, selon les explications de [confidentiel] citées aux considérants 118 et 231 de la décision attaquée, « [confidentiel] » était un nom de code utilisé par [confidentiel] pour désigner les réunions multilatérales de tous les concurrents (voir point 190 ci‑dessus). Il ressort en outre de ces notes que l’un des thèmes de la réunion en cause fut l’entretien régulier de l’usine d’EniChem afin d’améliorer la qualité des produits. Les autres sujets abordés pendant la réunion étaient les suivants : la fermeture des usines de Bayer et d’EI DuPont, l’unification des devises, les prix planchers absolus, la date d’annonce et la date d’application effective de l’augmentation de prix, l’usine en Chine, la qualité des produits Bayer et le programme de la prochaine réunion mondiale à Londres. Les notes manuscrites de l’employé de [confidentiel] confirment dès lors la nature anticoncurrentielle de la réunion et, indirectement, la présence d’EniChem à cette réunion. En effet, d’une part, le nom de code utilisé indique une réunion de tous les concurrents et, d’autre part, il n’est pas plausible que les décisions concernant directement EniChem, tel que l’entretien de son usine, puissent être discutées sans que cette entreprise prenne part à la discussion. Il s’ensuit que les déclarations de [confidentiel] corroborent et complètent les déclarations de [confidentiel] relatives à la présence d’EniChem à une réunion anticoncurrentielle du 10 juin 1998 à Milan.

194    Les requérantes se bornent à indiquer qu’il s’agissait tout au plus d’une visite de courtoisie et n’ont présenté aucune autre explication plausible de la présence d’EniChem à cette réunion, qualifiée de réunion anticoncurrentielle par les autres participants. Dans ces conditions, les deux déclarations faites dans le cadre de demandes de clémence étant étayées par un document rédigé à l’époque de la réunion, les requérantes ne sauraient prétendre que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit la participation d’EniChem à une réunion anticoncurrentielle le 10 juin 1998.

195    En ce qui concerne la réunion bilatérale du 13 avril 1999 à Milan, au siège d’EniChem, la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation d’EniChem est tirée d’une seule déclaration de [confidentiel] portant sur deux réunions bilatérales, le 13 avril 1999 avec EniChem et le 14 avril 1999 avec Bayer, concernant le concept de l’« approvisionnement régional » selon lequel chaque producteur devait se concentrer sur son marché domestique. Cette dernière réunion a été confirmée par les déclarations de [confidentiel] et par une inscription sur un agenda. Il s’ensuit que la déclaration de [confidentiel] est corroborée par d’autres éléments de preuve. Dans ces conditions, les requérantes, se bornant à insister sur l’absence d’un registre des visites et de reçus de dépenses, ne sauraient valablement prétendre que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit la participation d’EniChem à cette réunion anticoncurrentielle.

196    En ce qui concerne la réunion bilatérale du 22 mars 2000 à Milan, au siège d’EniChem, la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation d’EniChem est tirée d’une déclaration de Tosoh, corroborée par un document rédigé à l’époque des faits et par un document relatif aux frais de voyage (notamment de l’hôtel situé en face du siège d’Eni). [confidentiel]. Même s’il est vrai que ce premier document ne mentionne ni la date ni les requérantes, il n’en reste pas moins qu’il contient des notes d’une réunion concernant, notamment, une [confidentiel]. Ce premier document, qui étaye la déclaration orale de [confidentiel], et le [confidentiel] constituent dans leur ensemble des preuves suffisantes des faits en cause. Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a relevé, les indications figurant au considérant 274 de la décision attaquée, selon lesquelles le représentant d’EniChem, [confidentiel], « n’a rejoint la réunion que pour se présenter, puis l’a quittée » ne sont pas contredites par l’affirmation des requérantes selon laquelle il n’avait, à cette époque, pas encore commencé à s’occuper des activités CR au sein d’EniChem. Partant, il y a lieu de conclure que la Commission a prouvé à suffisance de droit la participation d’EniChem à une réunion anticoncurrentielle le 22 mars 2000.

197    Il résulte de ce qui précède que la participation d’EniChem aux réunions anticoncurrentielles du 19 mai 1998, du 10 juin 1998, du 13 avril 1999 et du 22 mars 2000 est établie, mais que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit la participation d’EniChem aux réunions du [confidentiel] et du 12 février 1997.

198    Cela étant, quand bien même la Commission n’aurait pas démontré à suffisance de droit la participation d’EniChem aux réunions du 13 juillet 1993, des [confidentiel], du [confidentiel] et du 12 février 1997, cela ne serait pas de nature à remettre en cause la durée de l’infraction qui est reprochée aux requérantes par la Commission (période allant du 13 mai 1993 au 13 mai 2002) ou le bien-fondé de la constatation d’infraction figurant dans la décision attaquée.

199    Le comportement du concurrent loyal se caractérise en effet par la manière autonome dont il détermine la politique qu’il entend suivre sur le marché commun (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 173, et arrêt du Tribunal du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T‑62/02, Rec. p. II‑5057, point 39). Dès lors, même en admettant qu’EniChem/Polimeri Europa se soit abstenue de participer aux réunions de l’entente de mai 1993 jusqu’en février 1994, d’une part, et de novembre 2000 jusqu’en avril 2002, d’autre part, il y a lieu de considérer qu’elle n’a pas repris de véritable politique autonome sur le marché au cours de ces brèves périodes. Le bénéfice qu’elle tirait de l’accès aux informations confidentielles échangées entre tous les participants à l’entente lors de la réunion du 12 ou du 13 mai 1993 n’a pas cessé d’exister le lendemain de cette réunion. Il est permis de supposer qu’elle a tenu compte des informations déjà échangées avec ses concurrents lors de la réunion de mai 1993 pour déterminer son comportement sur ce marché pendant la période suivante d’un peu moins de neuf mois. Il en va de même s’agissant de la période allant de novembre 2000 à avril 2002, qui est, certes, une période relativement longue de 18 mois. Toutefois, il convient de l’apprécier dans le contexte du fonctionnement de l’entente. Or, cette période a été précédée par une période de participation continue d’EniChem à l’entente de plus de sept ans (période allant du 13 mai 1993 à octobre 2000) et elle a été suivie d’une participation de Polimeri Europa à au moins deux réunions du même cartel (la réunion du 23 avril 2002 à Leverkusen et la réunion du 13 mai 2002 à Naples), ainsi qu’à [confidentiel] (voir point 184 ci-dessus).

200    Il résulte de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit la participation d’EniChem/Polimeri Europa à l’entente pour l’ensemble de la période infractionnelle retenue dans la décision attaquée.

201    S’agissant, en second lieu, de la mise en œuvre des accords d’augmentation de prix et des accords visant la répartition des marchés convenus lors des réunions de l’entente auxquels EniChem/Polimeri Europa a participé, il y a lieu de considérer que, au vu de [confidentiel] et de la jurisprudence citée aux points 147, 154 et 157 ci‑dessus, quand bien même les affirmations des requérantes seraient exactes, elles n’auraient pas pour effet de réfuter l’existence de l’entente, sa durée ou la participation d’EniChem/Polimeri Europa à celle-ci. La question de savoir si le comportement d’EniChem/Polimeri Europa justifierait de retenir une circonstance atténuante aux fins de la détermination du montant de l’amende sera cependant analysée dans le cadre de l’examen du huitième moyen.

202    Il en va de même des arguments concernant le rôle marginal et passif d’EniChem/Polimeri Europa au sein de l’entente. Quand bien même les affirmations des requérantes seraient exactes, elles n’auraient pas pour effet de réfuter l’existence de l’entente, sa durée ou la participation d’EniChem/Polimeri Europa à celle-ci. La question de savoir si le comportement d’EniChem/Polimeri Europa justifierait de retenir une circonstance atténuante aux fins de la détermination du montant de l’amende ne se rapporte en effet pas à l’existence de l’infraction retenue, visée par le présent moyen, et sera donc également analysée dans le cadre de l’examen du huitième moyen.

203    Au vu des éléments qui précèdent, il y a lieu de considérer que, d’une part, la Commission a établi à suffisance de droit la participation d’EniChem/Polimeri Europa à une infraction entre le 13 mai 1993 et le 13 mai 2002 et, d’autre part, contrairement à ce que les requérantes prétendent, aucun défaut de motivation de la décision attaquée n’est établi.

204    Partant, le quatrième moyen doit être rejeté.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée et d’une contrariété de motifs, d’un défaut d’instruction et d’une violation de l’article 81 CE en ce qui concerne la qualification de l’infraction d’infraction unique et continue

 Rappel du libellé de la décision attaquée

205    S’agissant de l’existence d’une infraction unique et continue, la Commission a expliqué, aux considérants 358 à 360 de la décision attaquée, ce qui suit :

« (358)Du 13 mai 1993 jusqu’à la réunion de Naples du 13 mai 2002 au minimum, les preuves auxquelles il est fait référence dans cette décision montrent l’existence d’une entente unique et continue sur le marché du [CR] entre Bayer, DuPont/DDE, Denka, Tosoh et Eni[C]hem […] Les parties ont exprimé leur intention commune de se comporter d’une certaine manière sur le marché et ont adhéré à un plan commun de limitation de leur conduite commerciale individuelle sur le marché du [CR]. La décision de passer ce plan en vue de restreindre la concurrence peut, par conséquent, remonter jusqu’au 13 mai 1993 au minimum. La collusion avait une visée économique anticoncurrentielle unique : en particulier, les concurrents visaient à maintenir le statu quo en se mettant d’accord sur des parts de marché cibles et des quotas de vente qui reflétaient les parts de marché actuelles au cours de l’année de référence 1993. Empêchant ainsi toute concurrence sur les marchés, les producteurs de CR visaient, dans un second temps, à accroître artificiellement les prix du CR au sein de l’EEE et dans le monde. Pendant toute la durée d’existence de l’entente, les concurrents se sont mis d’accord sur des prix minima et des attributions de clients sur le marché du [CR].

(359) Les accords et pratiques concertées jugées existantes font partie d’un système global qui fixait les lignes d’action sur le marché de leurs concurrents et restreignait leur conduite commerciale individuelle dans le but de poursuivre un même objet anticoncurrentiel et un but économique unique, en l’occurrence perturber les fluctuations normales des prix sur le marché mondial du [CR] et restreindre la production mondiale par l’attribution de volumes, de quotas et de marchés. Il serait artificiel de subdiviser une telle conduite continue, caractérisée par un objet unique, en la traitant comme si elle se composait de diverses infractions distinctes alors que ce qui était impliqué dans le cas présent était une infraction unique qui devait se manifester progressivement à la fois par des accords et [par] des pratiques concertées.

(360) Le plan auquel Bayer, DuPont/DDE, Denka, Tosoh et Eni[C]hem ont adhéré a été développé et mis en œuvre sur une période de neuf ans à travers un complexe d’arrangements collusoires, d’accords spécifiques et/ou de pratiques concertées. Les réorganisations d’entreprises au cours de la période d’infraction de 1993 à 2002 ont affecté certains participants de sorte que DuPont a été remplacée, le 1er avril 1996, par DDE, l’entreprise commune qu’elle a constituée avec Dow […] Vu la conception commune et l’objectif commun consistant à supprimer la concurrence sur le marché du [CR], le complexe d’arrangements collusoires avait pour objet de limiter la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, [CE] et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE. »

 Arguments des parties

206    En premier lieu, les requérantes font valoir que la Commission n’a pas effectué une analyse spécifique des faits en cause, qu’elle s’est limitée à une appréciation de nature générale sur le caractère unique et continu de l’infraction et que, dès lors, elle n’a pas prouvé que les contacts prétendument collusifs entre les concurrents s’étaient déroulés dans le contexte d’un plan global unique auquel tous avaient adhéré consciemment, afin de poursuivre un même objet anticoncurrentiel et un but économique unique. L’unicité du but poursuivi par tous les participants, reliant l’ensemble des comportements anticoncurrentiels, n’aurait pas été prouvée par la Commission en l’espèce. Renvoyant au principe de responsabilité personnelle pour la violation des règles de la concurrence, les requérantes soutiennent que la notion d’objectif commun ne peut être déterminée par une référence générale à la distorsion de la concurrence sur le marché et doit être interprétée strictement. EniChem aurait poursuivi des objectifs individuels et différents de ceux de ses concurrents, en raison de sa position particulière sur le marché. Ainsi qu’il résulterait clairement de la décision attaquée, la finalité anticoncurrentielle propre de l’entente aurait été définie et mise en œuvre par DDE et Bayer.

207    En second lieu, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir attribué à Polimeri Europa une « responsabilité unique », alors que l’infraction comprend également des éléments de l’entente mis en œuvre exclusivement par d’autres entreprises, à savoir les réductions de capacité opérées par Bayer et DDE, au seul motif que la fermeture des installations de production aurait contribué à la réalisation de la stratégie partagée de la régionalisation ou encore qu’elle aurait été discutée pendant les réunions entre concurrents. Les requérantes font observer que c’est la société qui a introduit une demande de clémence, à savoir DuPont/DDE elle-même, qui a affirmé que la fermeture des établissements ne relevait pas des activités du cartel. Ainsi, la Commission aurait elle-même admis ne pas disposer de « preuves suffisantes démontrant que cet accord a[vait] été effectivement conclu ». Quant à la tentative que fait la Commission de considérer la réduction de capacité effectuée par Bayer et par DDE comme une pratique concertée, les requérantes font observer que le simple fait qu’EniChem pourrait avoir été informée des intentions de ses concurrents au cours de certaines réunions n’en fait certainement pas une participante, ni ne la rend responsable d’une initiative tierce dont elle n’aurait donc pas eu de raison de se dissocier et qu’elle n’aurait pu en aucune manière influencer.

208    La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

209    Il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence, une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu. Il est artificiel de subdiviser en plusieurs comportements un accord anticoncurrentiel caractérisé par une série d’efforts poursuivant une seule finalité économique (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 89 supra, points 258 et 259).

210    Lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble, même s’il est établi que l’entreprise concernée n’a participé directement qu’à un ou à plusieurs des éléments constitutifs de l’infraction. En outre, dans le cadre d’un accord global s’étendant sur plusieurs années, un décalage de quelques mois entre les manifestations de l’entente importe peu, le fait que les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble » en raison de leur objet identique est en revanche déterminant (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 89 supra, points 258 à 260). Le fait que différentes entreprises aient joué des rôles différents dans la poursuite d’un objectif commun n’élimine pas l’identité d’objet anticoncurrentiel et, partant, d’infraction, à condition que chaque entreprise ait contribué, à son propre niveau, à la poursuite de l’objectif commun (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, Rec. p. II‑4949, point 161, et la jurisprudence citée).

211    Par ailleurs, une entreprise ayant participé à une infraction par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée tombant sous le coup de l’article 81, paragraphe 1, CE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble peut être également responsable, pour toute la période de sa participation à ladite infraction, des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction. Tel est le cas lorsqu’il est établi que l’entreprise en question connaissait les comportements infractionnels des autres participants ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (arrêt BASF et UCB/Commission, point 210 supra, point 160).

212    En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, de l’argument selon lequel la Commission aurait à tort appliqué la notion d’infraction unique et continue, sans avoir prouvé l’existence d’un plan d’ensemble, auquel tous les participants de l’infraction adhéraient consciemment, afin de poursuivre le même objet anticoncurrentiel et un but économique unique, il ressort de la décision attaquée et de l’analyse des premier, troisième et quatrième moyens que, entre mai 1993 et mai 2002, les producteurs de CR, dont EniChem/Polimeri Europa, se réunissaient de façon régulière, plusieurs fois par an, dans des réunions multilatérales, trilatérales ou bilatérales afin de s’entendre sur l’attribution et la stabilisation des marchés, des parts de marché et des quotas de vente pour le CR, de coordonner et de faire appliquer plusieurs augmentations de prix, de convenir de prix minimaux, de répartir la clientèle et d’échanger des informations sensibles sur le plan de la concurrence. Les réunions entre les concurrents, notamment celles auxquelles EniChem/Polimeri Europa a participé (voir points 159 à 197 ci-dessus), s’étendant sur plusieurs années et poursuivant le même objet, faisaient partie d’une infraction unique et continue.

213    Par ailleurs, les requérantes ne sauraient prétendre que la Commission a défini l’objet anticoncurrentiel identique de l’infraction par une référence générale à la distorsion de la concurrence. En effet, au considérant 358 de la décision attaquée, la Commission a constaté que la collusion entre les concurrents avait une visée anticoncurrentielle unique consistant, dans un premier temps, en un maintien des parts de marchés des concurrents pour la production du CR au moyen d’un accord sur des parts de marchés cibles et des quotas de vente qui reflétait les parts de marchés au cours de l’année de référence 1993 et, dans un second temps, l’augmentation artificielle des prix du CR au sein de l’EEE et dans le monde.

214    S’agissant, en second lieu, de l’argument selon lequel la Commission aurait attribué à EniChem/Polimeri Europa une « responsabilité unique » pour l’ensemble de l’infraction alors que celle-ci comprend également des comportements mis en œuvre exclusivement par d’autres entreprises, à savoir les réductions de capacité opérées par Bayer et DDE, d’une part, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort des considérants 330 et 335 de la décision attaquée, la Commission n’a pas considéré que les réductions de capacité de Bayer et de DDE résultaient d’un accord entre ces deux entreprises, mais qu’elles faisaient partie d’une pratique concertée qui concordait avec la stratégie de régionalisation convenue entre les concurrents. Selon cette stratégie de régionalisation, les concurrents devaient se concentrer sur leurs marchés domestiques, [confidentiel] (voir considérants 87 à 90 de la décision attaquée). Il ressort également des déclarations de Tosoh citées aux considérants 244, 247 et 249 de la décision attaquée, qui n’ont pas été contestées par les requérantes, que les réductions de capacité opérées par DDE et Bayer ont effectivement contribué à la réalisation des objectifs de l’entente, en limitant l’offre de CR sur le marché. D’autre part, les requérantes ne contestent pas les conclusions figurant aux considérants 199 à 205 et 217 de la décision attaquée, selon lesquelles un représentant d’EniChem était présent au moins à deux réunions organisées à Londres le 18 juillet 1997 et le 4 février 1998, pendant lesquelles les réductions de capacité de Bayer et de DDE ainsi que la stratégie de la régionalisation ont été discutées. Dans ces circonstances, la Commission a pu considérer que les requérantes connaissaient les comportements mis en œuvre uniquement par DDE et Bayer.

215    Partant, c’est sans défaut de motivation de la décision attaquée ou motif erroné et sans avoir manqué à son devoir d’instruction ou violé l’article 81 CE que la Commission a considéré qu’EniChem/Polimeri Europa avait participé à une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, étendue à l’ensemble du territoire de l’EEE, consistant en des accords et des pratiques concertées visant à s’entendre sur l’attribution et la stabilisation des marchés, des parts de marché et des quotas de vente pour le CR, à coordonner et à faire appliquer plusieurs augmentations de prix, à convenir de prix minimaux, à répartir la clientèle et à échanger des informations sensibles sur le plan de la concurrence, pour laquelle les requérantes sont tenues responsables. C’est également sans défaut de motivation de la décision attaquée ou motif erroné et sans avoir manqué à son devoir d’instruction ou violé l’article 81 CE que la Commission a attribué aux requérantes la responsabilité pour les comportements mis en œuvre par Bayer et DDE dans la mesure où elles faisaient partie de la même infraction unique et continue.

216    De plus, au vu de la jurisprudence citée au point 74 ci-dessus, il y a lieu de constater qu’une telle considération n’est pas contraire au principe de personnalité des peines.

217    Il résulte de ce qui précède que le cinquième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le sixième moyen, tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée et d’un défaut d’instruction en ce qui concerne le calcul de la durée de l’infraction

 Arguments des parties

218    Les requérantes font valoir que, en se fondant exclusivement sur les déclarations faites dans le cadre des demandes de clémence et sans les étayer par d’autres éléments de preuve, la Commission a déterminé de manière arbitraire les dates de début et de fin de l’infraction et, en particulier, la durée de la participation d’EniChem à celle-ci. Ainsi qu’il aurait été démontré dans le cadre de l’examen du quatrième moyen, les éléments de preuve fournis attesteraient qu’EniChem [confidentiel]. Selon les requérantes, les arguments avancés par la Commission pour chercher à démontrer l’implication d’EniChem également pendant la période suivante seraient génériques, erronés et en tout état de cause dépourvus de pertinence. En particulier, la réunion du 5 décembre 2000 à Tokyo n’aurait pas concerné EniChem. EniChem n’aurait augmenté ses prix ni en juillet 2001 ni en juillet 2002. Au contraire, elle les aurait réduits au moins deux fois au cours de l’année 2002. La réunion du 23 avril 2002 à Leverkusen n’aurait eu aucune finalité anticoncurrentielle et les notes rédigées en vue de la réunion du 13 mai 2002 à Naples par un employé de Bayer qui n’a pas participé à cette réunion ne seraient pas probantes. Partant, la durée de l’infraction aurait été de [confidentiel] ans.

219    La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

220    Ainsi qu’il ressort de l’analyse des quatrième et cinquième moyens, la Commission a établi à suffisance de droit la participation d’EniChem (devenue [confidentiel])/Polimeri Europa à une infraction unique et continue entre le 13 mai 1993 et le 13 mai 2002.

221    Partant, le sixième moyen doit être rejeté comme non fondé.

2.     Sur les moyens tendant à la suppression ou à la réduction du montant de l’amende


 Sur le septième moyen, tiré de la détermination erronée du montant de base de l’amende

 Rappel du libellé de la décision attaquée

222    Aux considérants 524 à 526 et 535 de la décision attaquée, la Commission a estimé :

« (524)En règle générale, la proportion de la valeur des ventes prise en compte sera fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30 %. Afin de décider si la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération dans un cas donné devrait être au bas ou au haut de cette échelle, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs tels que la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les entreprises concernées, l’étendue géographique de l’infraction et la mise en œuvre ou non de l’infraction.

(525) En l’espèce, les concurrents se sont entendus sur l’attribution et la stabilisation de marchés, de parts de marché et de quotas de vente pour le [CR], ont coordonné des augmentations de prix, se sont mis d’accord sur des prix minima, se sont attribué des clients et ont échangé des informations sensibles sur le plan de la concurrence. Les accords horizontaux de partage de marché et de fixation de prix comptent, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves. Par conséquent, la proportion des ventes prise en compte pour une telle infraction sera fixée à l’extrémité supérieure de l’échelle.

(526) La part de marché combinée estimée des quatre entreprises participant à l’infraction (pour ce qui est de la dernière année de l’infraction) s’élevait à 100 % au sein de l’EEE […] L’étendue géographique de l’infraction était mondiale […] Au regard de la gravité de l’infraction, cela signifie que l’entente couvrait tout l’EEE. En outre […] il a été établi que l’infraction a été mise en œuvre systématiquement.

[…]

(535) En conclusion et tenant compte des facteurs discutés, la proportion de la valeur des ventes de chaque entreprise impliquée dont il doit être tenu compte pour établir le montant de base de l’amende à infliger devrait être de 21 %. »

223    S’agissant du montant additionnel, la Commission a indiqué au considérant 537 de la décision attaquée ce qui suit :

« Afin de dissuader les entreprises de participer à un partage du marché ou à des accords horizontaux de fixation de prix semblables à ceux qui font l’objet de cette affaire, le montant de base devrait être augmenté d’un montant additionnel (‘droit d’entrée’), tel qu’indiqué au paragraphe 25 des lignes directrices [de 2006]. À cette fin, à la lumière des circonstances de l’affaire et, en particulier, des facteurs discutés sous les points (525) à (526), un montant additionnel de 20 % de la valeur des ventes serait adéquat. »

 Arguments des parties

224    Les requérantes font valoir, tout d’abord, que c’est à tort que la Commission a fixé la proportion des ventes prise en compte à l’extrémité supérieure de l’échelle pour une entente qui n’aurait été que partiellement mise en œuvre et qui n’aurait jamais concerné toutes les entreprises pour tous les aspects de la collusion. En particulier, EniChem n’a pas mis en œuvre les accords sur les prix, n’a pas respecté les parts de marchés stipulées et n’a pas été impliquée dans les initiatives de réductions de capacité lancées par Bayer et par DDE. Contrairement à ce qui serait indiqué au considérant 530 de la décision attaquée, l’absence de mise en œuvre ne serait pas seulement une circonstance spécifique à la seule entreprise et donc éventuellement à retenir comme circonstance atténuante, mais, ainsi qu’il ressortirait du paragraphe 22 des lignes directrices de 2006, serait également pertinente pour la détermination du montant de base. En effet, la gravité globale de l’infraction serait donc moindre. De plus, au moins deux entreprises sur cinq n’auraient adhéré à l’entente que pour la forme. Il s’ensuivrait, selon les requérantes, que la proportion de 21 % de la valeur des ventes fixée par la Commission en l’espèce est excessive.

225    En outre, la participation d’EniChem à l’entente ayant cessé après octobre 2000, le chiffre d’affaires de référence ne pourrait être celui de l’année 2001, mais devrait être celui de l’année 1999 ou, tout au plus, de l’année 2000.

226    Ensuite, la proportion appliquée sur les ventes en raison de la gravité étant déjà excessive, le montant additionnel de 20 % (à visée dissuasive), qui ne serait en aucune manière justifié de façon autonome, équivaudrait à punir les entreprises deux fois pour les mêmes motifs et dépasserait donc la limite prévue au paragraphe 21 des lignes directrices de 2006. En invoquant les principes d’équité et en précisant ne pas contester la légalité du paragraphe 25 desdites lignes directrices, mais bien son application concrète, les requérantes soutiennent que dans le cas d’espèce aucun montant additionnel ne devrait être imposé ou, à titre subsidiaire, que celui-ci devait rester dans les limites inférieures de la fourchette dont la Commission disposerait.

227    Enfin, ainsi qu’il résulterait des arguments présentés dans le cadre du sixième moyen (durée de l’infraction), le montant de départ aurait dû être multiplié par sept pour obtenir le montant de base, et non par neuf.

228    La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

229    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que les amendes que la Commission a infligées en l’espèce sont régies par l’article 23 du règlement n° 1/2003, qui correspond à l’article 15 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), lequel était en vigueur au moment où l’infraction a été commise. Pour déterminer le montant de l’amende, la Commission a appliqué les lignes directrices de 2006. Ces lignes directrices ont été publiées avant l’envoi de la communication des griefs aux requérantes le 13 mars 2007.

230    En application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l’article 81 CE ou de l’article 82 CE.

231    Pour chaque entreprise et chaque association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende ne peut pas excéder les limites indiquées à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003, à savoir 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

232    Aux termes de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de la concurrence, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.

233    Il ressort d’une jurisprudence constante que, dans les limites prévues par le règlement n° 1/2003, la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’exercice de son pouvoir d’imposer de telles amendes (arrêts de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 172, et Erste Group Bank e.a./Commission, point 74 supra, point 123). Ce pouvoir est toutefois limité ; en effet, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées (voir, en ce sens, arrêt Lafarge/Commission, point 151 supra, point 95, et arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Carbone‑Lorraine/Commission, T‑73/04, Rec. p. II‑2661, point 192, et la jurisprudence citée). Elle ne peut s’en écarter dans un cas particulier sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 209).

234    Au paragraphe 4 des lignes directrices de 2006, il est indiqué ce qui suit :

« Le pouvoir de la Commission d’imposer des amendes […] constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le traité. Cette mission ne comprend pas seulement la tâche d’instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises […] À cette fin, la Commission doit veiller au caractère dissuasif de son action […] Par conséquent, lorsque la Commission constate une infraction aux dispositions des articles 81 [CE] ou 82 [CE], l’imposition d’une amende à ceux qui ont méconnu les règles de droit peut être nécessaire. Il y a lieu de fixer les amendes à un niveau suffisamment dissuasif, non seulement en vue de sanctionner les entreprises en cause (effet dissuasif spécifique), mais aussi en vue de dissuader d’autres entreprises de s’engager dans des comportements contraires aux articles 81 [CE] et 82 [CE] ou de continuer de tels comportements (effet dissuasif général). »

235    Ainsi qu’il ressort des paragraphes 5 à 7 des lignes directrices de 2006, afin d’atteindre ces objectifs, la Commission se réfère, comme base pour la détermination des amendes, à la valeur des ventes des biens ou des services concernés par l’infraction et au nombre d’années pendant lequel l’entreprise a participé à l’infraction, tout en incluant dans le montant de base de l’amende un montant spécifique en vue de dissuader les entreprises de s’engager dans des comportements illicites.

236    En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, des arguments selon lesquels la proportion de 21 % de la valeur des ventes retenue par la Commission serait excessive, il y a lieu de rappeler que, au paragraphe 19 des lignes directrices de 2006, il est précisé que « [l]e montant de base de l’amende sera lié à une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction ».

237    En ce qui concerne le facteur relatif à la gravité de l’infraction, les lignes directrices de 2006 précisent, au paragraphe 20, que « [l]’appréciation de la gravité sera faite au cas par cas pour chaque type d’infraction, [en] tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce ».

238    Quant à la détermination de la proportion des ventes prise en compte, il est indiqué au paragraphe 21 des lignes directrices de 2006 que, « [e]n règle générale, [celle-ci] sera fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30% ». Il ressort du paragraphe 22 des lignes directrices que, « [a]fin de décider si la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération dans un cas donné devrait être au bas ou au haut de cette échelle, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, tels que la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction et la mise en œuvre ou non de l’infraction ». Enfin, au paragraphe 23 desdites lignes directrices, il est rappelé à cet égard ce qui suit :

« Les accords […] horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production, qui sont généralement secrets, comptent, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves. Au titre de la politique de la concurrence, ils doivent être sévèrement sanctionnés. Par conséquent, la proportion des ventes prise en compte pour de telles infractions sera généralement retenue en haut de l’échelle. »

239    En l’espèce, il est constant que l’infraction reprochée aux requérantes relève de la catégorie visée par le paragraphe 23 des lignes directrices de 2006, à savoir des accords horizontaux secrets de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production. Par conséquent, dès lors que les lignes directrices de 2006 prévoient un plafond de 30 %, la Commission, en fixant la proportion des ventes prise en compte à 21 %, c’est-à-dire vers le haut de l’échelle prévue, s’est conformée aux règles qu’elle s’est elle-même imposées dans les lignes directrices de 2006.

240    Par ailleurs, il ressort notamment des considérants 524 à 526 de la décision attaquée que la Commission a dûment tenu compte des facteurs énumérés au paragraphe 22 des lignes directrices de 2006, à savoir, outre la nature de l’infraction, la part de marché cumulée des entreprises concernées, englobant la totalité du marché, l’étendue géographique correspondant au moins à l’EEE et le fait que l’entente a été mise en œuvre.

241    À cet égard, s’agissant des arguments des requérantes selon lesquels les accords n’auraient été que partiellement mis en œuvre et l’entente n’aurait jamais concerné tous les participants pour tous ses aspects (voir également les quatrième, cinquième et sixième moyens), il y a lieu de constater que, au considérant 530 de la décision attaquée, la Commission a constaté à bon droit que, pour les besoins de l’évaluation de la gravité, il suffisait d’établir que l’infraction avait été mise en œuvre d’une manière générale, indépendamment de l’existence présumée de cas particuliers d’absence de mise en œuvre, ceux-ci pouvant être pris en compte en tant que circonstances atténuantes. Or, aux considérants 370 à 373 de la décision attaquée, la Commission a établi que l’infraction avait été mise en œuvre d’une manière générale. L’affirmation des requérantes selon laquelle au moins deux entreprises sur cinq n’auraient adhéré à l’entente que pour la forme, qui n’est par ailleurs nullement étayée, quand bien même elle serait exacte, ne suffit donc pas à remettre en cause les appréciations opérées par la Commission s’agissant de l’existence de l’infraction, de sa gravité en l’espèce et, partant, de la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte afin de déterminer le montant de base de l’amende.

242    Il s’ensuit que, en fixant, en application des lignes directrices de 2006, à 21 % la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte afin de déterminer le montant de base de l’amende à infliger aux requérantes, la Commission n’a pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation. L’argument des requérantes selon lequel ce pourcentage serait excessif doit donc être écarté.

243    S’agissant, en deuxième lieu, de l’argument des requérantes selon lequel, la participation d’EniChem à l’entente ayant cessé après octobre 2000, le chiffre d’affaires de référence ne pourrait être celui de 2001, mais devrait être celui de 1999 ou, tout au plus, de 2000, il y a lieu de rappeler que la prise en compte du chiffre d’affaires réalisé par chacune des entreprises au cours de l’année de référence, à savoir la dernière année complète de la période d’infraction retenue, permet d’apprécier la taille et la puissance économique de chaque entreprise ainsi que l’ampleur de l’infraction commise par chacune d’entre elles, ces éléments étant pertinents pour apprécier la gravité de l’infraction commise par chaque entreprise (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑175/05, non publié au Recueil, point 143, et la jurisprudence citée).

244    Ainsi, au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, il est indiqué ce qui suit :

« En vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou [de] services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte […] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE. La Commission utilisera normalement les ventes de l’entreprise au cours de la dernière année complète de sa participation à l’infraction (ci-après ‘la valeur des ventes’). »

245    En l’espèce, il résulte de l’analyse des quatrième et sixième moyens que la Commission a, à bon droit, considéré qu’EniChem/Polimeri Europa avait participé à l’entente jusqu’au 13 mai 2002. Dès lors, en prenant en compte les ventes de CR réalisées par les requérantes au sein de l’EEE au cours de l’année complète qui s’est achevée le 31 décembre 2001, à savoir la dernière année complète de participation à l’infraction, la Commission s’est conformée aux règles qu’elle s’est elle-même imposées dans les lignes directrices de 2006 et, partant, n’a pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation. L’argument des requérantes doit donc être écarté.

246    S’agissant, en troisième lieu, de l’argument des requérantes selon lequel le montant additionnel de 20 % de la valeur de ventes, à visée dissuasive, n’aurait pas dû être imposé ou, à titre subsidiaire, aurait dû rester dans les limites inférieures de la fourchette, il convient de rappeler que, au paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, il est indiqué ce qui suit :

« [… L]a Commission inclura dans le montant de base une somme comprise entre 15 % et 25 % de la valeur des ventes […] afin de dissuader les entreprises de même participer à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production […] En vue de décider la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte dans un cas donné, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, en particulier ceux identifiés au p[aragraphe] 22. »

247    En incluant un tel montant additionnel dans le montant de base de l’amende, la Commission cherche ainsi à dissuader d’autres entreprises de s’engager dans des comportements contraires à l’article 81 CE ou de continuer de tels comportements, c’est-à-dire vise à garantir l’effet dissuasif général de ses actions, allant au-delà des seules entreprises condamnées par une décision. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, ce montant additionnel se distingue donc, d’une part, de la partie du montant de base visée aux paragraphes 21 à 23 des lignes directrices de 2006 (proportion de la valeur des ventes déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction) et, d’autre part, de celle visée au paragraphe 24 des mêmes lignes directrices (durée de la participation de chaque entreprise à l’infraction). De plus, l’application du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006 constituant l’expression de l’étape spécifique dans le calcul du montant de l’amende destinée à articuler l’évaluation des circonstances pertinentes aux fins de la réalisation de l’effet dissuasif général de l’amende, elle n’a pas pour effet de punir les entreprises deux fois pour les mêmes motifs, la seule sanction imposée étant l’amende finalement imposée et non les étapes constitutives de son calcul.

248    Il importe de relever à cet égard que la jurisprudence reconnaissait jusqu’à présent que l’exigence d’assurer la dissuasion, qui est une finalité de l’amende, constitue une exigence générale devant guider la Commission tout au long du calcul du montant de l’amende, mais que cette exigence de dissuasion n’appelait pas nécessairement que ce calcul soit caractérisé par une étape spécifique destinée à une évaluation globale de toutes les circonstances pertinentes aux fins de la réalisation de cette finalité (voir, en ce sens, arrêt Carbone‑Lorraine/Commission, point 233 supra, point 131, et la jurisprudence citée). Toutefois, aux fins de la prise en compte de cette finalité de dissuasion, la Commission a désormais défini, dans les lignes directrices de 2006, une étape spécifique visant à prendre en compte, dans la détermination du montant de base de l’amende, la dissuasion à titre général. Ce faisant, elle a uniquement, conformément à la jurisprudence, encadré davantage son pouvoir d’appréciation.

249    En l’espèce, ainsi qu’il ressort du considérant 537 de la décision attaquée, en fixant le montant additionnel en prenant en compte notamment les facteurs identifiés au paragraphe 22 des lignes directrices de 2006, la Commission s’est donc simplement conformée aux règles qu’elle s’est elle-même imposées dans les lignes directrices de 2006. En outre, contrairement à la thèse soutenue par les requérantes, ce montant additionnel n’est pas soumis à la limite de 30 % prévue au paragraphe 21 des lignes directrices de 2006, qui a trait à la détermination de la proportion de la valeur des ventes prise en compte sur la base des paragraphes 22 et 23 des lignes directrices. Au contraire, il ressort du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006 que ce montant additionnel à visée dissuasive générale qui peut être inclus dans le montant de base correspond à une somme comprise entre 15 et 25 % de la valeur des ventes. Ainsi, en le fixant à 20 % de la valeur des ventes, la Commission s’est donc aussi simplement conformée aux règles qu’elle s’est elle-même imposées dans les lignes directrices de 2006.

250    Il s’ensuit que, en fixant, en application des lignes directrices de 2006, le montant additionnel à inclure dans le montant de base de l’amende à 20 % de la valeur des ventes, la Commission n’a pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

251    Par ailleurs, quant à l’invocation par les requérantes du principe d’équité afin de contester l’application concrète du paragraphe 25 des lignes directrices à leur situation, elle revient, en substance, à demander au Tribunal d’exercer sa compétence de pleine juridiction. Toutefois, compte tenu du fait que la Commission n’a pas dépassé en l’espèce les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu de rejeter cette demande.

252    S’agissant, en quatrième lieu, du facteur relatif à la durée de l’infraction, les lignes directrices de 2006 précisent au paragraphe 24 ce qui suit :

« Afin de prendre pleinement en compte la durée de la participation de chaque entreprise à l’infraction, le montant déterminé en fonction de la valeur des ventes […] sera multiplié par le nombre d’années de participation à l’infraction. Les périodes de moins d’un semestre seront comptées comme une demie année ; les périodes de plus de six mois mais de moins d’un an seront comptées comme une année complète. »

253    En l’espèce, il résulte de l’analyse des quatrième et sixième moyens que la Commission a, à bon droit, considéré qu’EniChem/Polimeri Europa avait participé à l’entente du 13 mai 1993 au 13 mai 2002, soit pendant une période infractionnelle de neuf ans. Par conséquent, en multipliant, en application des lignes directrices de 2006, le montant de départ par un facteur de 9 afin de déterminer le montant de base de l’amende à infliger aux requérantes, la Commission s’est simplement conformée aux règles qu’elle s’est elle-même imposées dans les lignes directrices de 2006 et, partant, n’a pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation. Il s’ensuit que l’argument des requérantes doit être écarté.

254    Il résulte de ce qui précède que le septième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le huitième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité et d’un défaut de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne les adaptations du montant de base de l’amende au titre de la récidive, des circonstances atténuantes et de l’effet dissuasif

 Sur la première branche, relative à la circonstance aggravante de la récidive

–       Rappel du libellé de la décision attaquée

255    S’agissant de la récidive, aux considérants 540 et 541 de la décision attaquée, la Commission a indiqué ce qui suit :

« (540)Au moment de l’infraction, Bayer et Eni[C]hem avaient déjà été les destinataires de décisions antérieures de la Commission portant sur des activités collusoires […] Le fait que les entreprises aient reproduit le même type de conduite, que ce soit au sein de la même industrie ou dans des secteurs différents de celui dans lesquels des amendes leur avaient été précédemment infligées, montre que les premières pénalités n’ont pas incité ces entreprises à modifier leur conduite. Ceci constitue une circonstance aggravante. Considérant qu’Eni et Bayer sont des récidivistes, cette circonstance aggravante justifie une augmentation de 60 % du montant de base de l’amende à infliger à Eni et une augmentation de 50 % du montant de base de l’amende à infliger à Bayer.

(541) En réponse aux arguments avancés par [confidentiel] et Polimeri [Europa] dans leur réponse à la communication des griefs, il importe peu de savoir si la nouvelle infraction est commise dans un secteur différent ou pour un produit différent. Il suffit que la même entreprise ait déjà été punie pour des infractions similaires […] L’exigence [selon la]que[lle] les infractions doivent être ‘similaires’ est satisfaite par le fait que les précédentes décisions citées et la présente décision concernent le partage de marché et la collusion sur les prix. Quant à l’exigence que la ‘personne’ doit être identique, elle est satisfaite lorsque la même entreprise commet les infractions en cause. Il n’est pas requis que les entités juridiques au sein de l’entreprise, les produits et le personnel soient identiques dans toutes les décisions […] Quoi qu’il en soit, les réorganisations internes ne peuvent avoir d’effet sur l’évaluation de l’existence de cette circonstance aggravante. »

–       Arguments des parties

256    Les requérantes font valoir que la Commission ne pouvait retenir à leur égard la circonstance aggravante de la récidive, la condition de l’identité entre les entreprises auteurs des infractions précédentes et celles faisant l’objet de la décision en cause n’étant pas remplie. En outre, les infractions commises sur les marchés du polypropylène et du polychlorure de vinyle (ci-après le « PVC »), citées par la Commission à cet égard, constitueraient une seule et même infraction et non deux. Enfin, les requérantes estiment que la Commission ne peut retenir la récidive étant donné le temps qui s’est écoulé entre les anciennes infractions et celle commise sur le marché du CR : un laps de temps de plus de dix ans écoulé entre des comportements anticoncurrentiels répétés priverait de toute justification l’application de la récidive. Il s’ensuit que la décision attaquée devrait être annulée dans la mesure où elle inflige aux requérantes une majoration du montant de l’amende de 60 % au titre de la récidive. À titre subsidiaire, la majoration devrait être d’un taux largement inférieur.

257    Ainsi, premièrement, aucune majoration du montant de l’amende ne pourrait être imposée à Eni, dès lors que cette dernière ne serait pas récidiviste, dans la mesure où elle n’aurait, avant la décision attaquée, jamais été destinataire d’une décision relative à une infraction. Pour l’application de la notion de récidive, qui est une notion de droit pénal, dans le cadre du droit de la concurrence de l’Union, l’identification du sujet qui a matériellement commis l’infraction constatée serait d’une importance capitale. Or, l’auteur serait l’entreprise au sens du droit de la concurrence de l’Union, à savoir l’ensemble des éléments matériels et humains. Les décisions citées par la Commission, à savoir sa décision 86/398/CEE, du 23 avril 1986, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.149 – Polypropylène) (JO L 230, p. 1, ci-après la « décision Polypropylène »), et sa décision 94/599/CE, du 27 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.865 – PVC) (JO L 239, p. 14, ci-après la « décision PVC II »), auraient été adressées respectivement à EniChem Anic et à EniChem, pour des faits remontant à 25 ans dans lesquels Eni n’aurait jamais été impliquée. Retenir la récidive à l’encontre d’Eni méconnaîtrait, dès lors, les droits de la défense d’Eni ainsi que le principe de responsabilité personnelle et le principe de sécurité juridique. En effet, Eni n’aurait pas eu la possibilité de se disculper de sa responsabilité pour le comportement de ses filiales, en renversant, le cas échéant, la présomption réfragable selon laquelle elle aurait exercé une influence déterminante sur leur politique commerciale. Faire valoir a posteriori la présomption irréfragable d’influence déterminante équivaudrait à rendre absolue cette présomption, en y ajoutant un effet rétroactif.

258    Deuxièmement, Polimeri Europa n’étant pas le successeur d’EniChem ou d’EniChem Anic et n’ayant jamais été responsable pour les activités relatives au PVC et au polypropylène qui, en outre, ont été cédées respectivement à une société tierce et à une société commune avant la constitution de Polimeri Europa, aucune majoration d’amende ne pourrait être infligée à son égard. En l’absence de tout lien entre elles, hormis l’appartenance à un groupe – dont la société holding ne pourrait être considérée comme récidiviste –, les principes de succession juridique ou de succession économique ne seraient applicables ni à Polimeri Europa, ni à EniChem, ni à EniChem Anic. La clôture de la procédure à l’égard de [confidentiel], le successeur juridique d’EniChem et d’EniChem Anic, aurait rendu impossible toute connexion entre les anciennes infractions et celle dont il s’agit en l’espèce.

259    Troisièmement, dans l’hypothèse contestée où la récidive pourrait être constatée à l’égard de Polimeri Europa, la Commission n’aurait dû tenir compte que d’une seule infraction antérieure et non de deux, étant donné que les infractions commises sur les marchés du polypropylène et du PVC l’ont été à la même époque – entre la fin des années 70 et les années 1983-1984. L’augmentation infligée à ce titre devrait, dès lors, être réduite.

260    Quatrièmement, les comportements illicites pour lesquels EniChem et EniChem Anic ont été sanctionnées ayant pris fin au moins dix ans avant le début de l’infraction sur le marché du CR et étant donné qu’environ vingt ans se sont écoulés entre l’adoption des deux décisions antérieures et celle de la décision attaquée, la Commission n’aurait pas pu en tenir compte s’agissant de la circonstance aggravante de la récidive sans violer les principes de proportionnalité et de sécurité juridique. Un laps de temps suffisamment significatif exclurait toute propension à adopter des comportements anticoncurrentiels. À cet égard, les requérantes contestent la prise en compte de la décision PVC II, qui est postérieure de six ans à la décision 89/191/CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.866 – PEBD) (JO 1989, L 74, p. 21, ci-après la « décision PVC I »), qui a été adoptée pour remédier à un vice de procédure extrêmement grave de cette dernière décision dont la Commission aurait été elle-même responsable. Les requérantes soutiennent, en invoquant l’article 5, paragraphe 3, CE – relatif à la proportionnalité des actions de la Communauté – et en relevant que les comportements antérieurs ne leur sont pas imputables et sont prescrits, que, s’il est vrai que la jurisprudence ne s’oppose pas à l’absence d’un délai de prescription pour l’application de la récidive, la récidive ne pourrait toutefois pas avoir un caractère permanent.

261    En outre, renvoyant à l’arrêt du Tribunal du 18 juin 2008, Hoechst/Commission (T‑410/03, Rec. p. II‑881, ci-après l’« arrêt Hoechst »), où une majoration de 50 % pour trois comportements anticoncurrentiels antérieurs aurait été considérée comme proportionnelle par le Tribunal, les requérantes font valoir qu’une majoration de 60 % pour seulement deux décisions précédentes, comme en l’espèce, ne l’est pas.

262    La Commission estime que la présente branche du huitième moyen n’est pas fondée. Elle souligne en particulier que, dans la mesure où différentes sociétés ne déterminant pas de façon autonome leur comportement sur le marché constitueraient une entité économique et une entreprise au sens de l’article 81 CE, la jurisprudence permet à la Commission d’imposer une amende à la société mère pour les infractions commises par ses filiales. La Commission aurait dès lors à bon droit considéré, aux considérants 540 à 542 de la décision attaquée, que la même entreprise avait déjà été condamnée pour le même type d’infraction. La Commission aurait pu donc tenir compte des deux infractions relatives au polypropylène et au PVC, constatées par des décisions adoptées respectivement en 1986 et en 1994, pour appliquer une majoration de 60 % au montant de l’amende à imposer pour une nouvelle infraction qui a commencé en 1993 et qui a duré jusqu’en 2002. En outre, contrairement à la thèse soutenue par les requérantes, il s’agirait bien de deux infractions, qui n’étaient pas prescrites, commises au cours de la même période et il se serait écoulé moins de dix ans entre les constats d’infractions, qui seraient seuls pertinents, et la répétition d’un comportement infractionnel.

–       Appréciation du Tribunal

263    Il convient de rappeler que la majoration du montant de l’amende au titre de la récidive répond à l’impératif de réprimer les manquements répétés aux règles de concurrence par une même entreprise (arrêt Lafarge/Commission, point 151 supra, point 61).

264    Selon la jurisprudence, une éventuelle récidive figure parmi les éléments à prendre en considération lors de l’analyse de la gravité de l’infraction en cause (arrêts Aalborg Portland e.a./Commission, point 89 supra, point 91, et Lafarge/Commission, point 151 supra, point 63).

265    Ainsi, conformément au paragraphe 28 des lignes directrices de 2006 :

« Le montant de base de l’amende peut être augmenté lorsque la Commission constate l’existence de circonstances aggravantes, telles que :

‑ lorsqu’une entreprise poursuit ou répète une infraction identique ou similaire après que la Commission ou une autorité nationale de concurrence a constaté que cette entreprise a enfreint les dispositions de l’article 81 [CE] ou de l’article 82 [CE]. Le montant de base sera augmenté jusqu’à 100 % par infraction constatée ;

[…] »

266    Selon la jurisprudence de la Cour, le droit de la concurrence de l’Union n’autorise pas la Commission à tenir compte d’une récidive sans limitation dans le temps. Le principe de proportionnalité exige que le temps écoulé entre l’infraction en cause et un précédent manquement aux règles de concurrence soit pris en compte pour apprécier la propension de l’entreprise à s’affranchir de ces règles. Dans le cadre du contrôle juridictionnel exercé sur les actes de la Commission en matière de droit de la concurrence, le Tribunal peut donc être appelé à vérifier si la Commission a respecté ce principe lorsqu’elle a majoré, au titre de la récidive, le montant de l’amende infligée, et, en particulier, si une telle majoration s’imposait, notamment au regard du temps écoulé entre l’infraction en cause et le précédent manquement aux règles de concurrence (arrêt Lafarge/Commission, point 151 supra, points 70 et 73).

267    Il convient également de rappeler que, d’une part, dans la fixation du montant de l’amende, et notamment dans le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié au Recueil, point 735) et, d’autre part, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (voir, en ce sens, arrêt Erste Group Bank e.a./Commission, point 74 supra, point 233).

268    S’agissant, en premier lieu, de la récidive à l’égard d’Eni, il y a lieu de relever que la notion de récidive, telle qu’elle est comprise dans un certain nombre d’ordres juridiques nationaux, implique qu’une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires (arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 617 ; Groupe Danone/Commission, point 152 supra, point 362, et Hoechst, point 261 supra, point 450).

269    Ainsi qu’il a été rappelé aux points 53 et 54 ci-dessus, la notion d’entreprise, placée dans un contexte de droit de la concurrence, doit être comprise comme désignant une unité économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. Toutefois, l’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes. Il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. Il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise au sens de l’article 81 CE, ce qui permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction.

270    Certes, ainsi que le relève la Commission, le Tribunal a considéré, dans son arrêt du 30 septembre 2003, Michelin/Commission (T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 290), que, dès lors que deux filiales sont détenues directement ou indirectement à 100 % (ou à presque 100 %) par la même société mère, il est permis de conclure raisonnablement que de telles filiales ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché et constituent avec leur société mère une entité économique et donc une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE. Partant, il peut être tenu compte de l’infraction antérieure commise par l’une des filiales du groupe afin d’établir la circonstance aggravante de récidive à l’égard d’une autre filiale de ce groupe.

271    Cependant, ainsi qu’il a été relevé au point 56 ci-dessus, le comportement infractionnel d’une telle filiale détenue à 100 % (ou à presque 100 %) ne peut être imputé à sa société mère, et la Commission ne sera en mesure de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale que si la société mère ne renverse pas la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale qui a été établie par la jurisprudence précitée. En effet, ainsi que la Cour l’a récemment rappelé, cette présomption est réfragable (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Akzo Nobel, point 53 supra, points 60 et 61, et la jurisprudence citée).

272    Or, en l’espèce, force est de constater que, dans le cadre des affaires citées dans la décision attaquée afin d’établir l’existence de la récidive à l’égard d’Eni, à savoir les affaires ayant donné lieu aux décisions Polypropylène et PVC II (voir point 257 ci-dessus) (voir note en bas de page n° 517 de la décision attaquée), la Commission n’a pas prétendu ni démontré que les sociétés visées par lesdites décisions, à savoir, respectivement, Anic SpA et EniChem, n’avaient pas déterminé de façon autonome leur comportement sur le marché en cause au cours des périodes infractionnelles retenues et qu’elles constituaient alors avec leur société mère Eni une entité économique et donc une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE. En effet, la Commission a constaté une infraction seulement à l’égard de ces filiales et non à l’égard de leur société mère. Ainsi que l’ont révélé les requérantes, sans être contredites par la Commission, Eni n’a pas été entendue dans le cadre de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de ces décisions.

273    Le principe du respect des droits de la défense exclut toutefois que puisse être considérée comme licite une décision par laquelle la Commission impose à une entreprise une amende en matière de concurrence sans lui avoir préalablement communiqué les griefs retenus à son égard. Il importe également que la communication des griefs indique en quelle qualité une personne juridique se voit reprocher les faits allégués (arrêt Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, point 114 supra, points 37 et 39, et arrêt de la Cour Akzo Nobel, point 53 supra, point 57).

274    Partant, il ne saurait être admis que la Commission puisse considérer, dans le cadre de l’établissement de la circonstance aggravante de récidive à l’égard d’Eni, qu’Eni doive être tenue pour responsable d’une infraction antérieure, pour laquelle elle n’a pas été sanctionnée par une décision de la Commission, et dans le cadre de l’établissement de laquelle elle n’a pas été destinataire d’une communication des griefs, de sorte qu’elle n’a pas été mise en mesure de présenter ses arguments aux fins de contester, à son égard, l’existence éventuelle d’une unité économique avec d’autres entreprises − Anic et EniChem en l’espèce − au moment de l’infraction antérieure.

275    Il s’ensuit que l’infraction constatée à l’article 1er de la décision attaquée ne saurait être considérée comme une récidive à l’égard d’Eni.

276    Cependant, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de l’analyse du premier moyen, Eni s’est vu imputer le comportement infractionnel de Polimeri Europa sur la base d’une présomption selon laquelle Eni, du fait de la détention de la totalité du capital de Polimeri Europa, a exercé une influence déterminante sur le comportement de celle‑ci. En outre, il a été constaté au point 73 ci‑dessus que les requérantes n’étaient pas parvenues à renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que les filiales d’Eni, y compris Polimeri Europa, se comportaient de manière autonome sur le marché en cause. Or, dans ces conditions, selon la jurisprudence, la Commission est en mesure de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale (arrêt de la Cour Akzo Nobel, point 53 supra, point 61). La responsabilité solidaire de la société mère doit être comprise comme s’étendant sur le montant final de l’amende infligée à la filiale. Par conséquent, le fait qu’aucune récidive ne puisse être constatée à l’égard d’Eni ne peut pas, en lui-même, entraîner l’annulation de la décision attaquée ou la réduction du montant de l’amende infligée, une constatation de récidive à l’égard de Polimeri Europa pouvant suffire à justifier la majoration du montant de l’amende au titre de la récidive retenue par la Commission dans la décision attaquée.

277    S’agissant, en deuxième lieu, de la récidive à l’égard de Polimeri Europa, il y a lieu d’observer que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, les infractions commises sur les marchés du polypropylène et du PVC ne peuvent être considérées comme constituant une seule et même infraction. Les requérantes reconnaissent elles-mêmes qu’il s’agissait de deux marchés différents et ces comportements ont fait l’objet de deux décisions de la Commission constatant également l’existence de deux infractions à l’article 81 CE.

278    Ainsi, premièrement, s’agissant de l’infraction constatée dans la décision PVC II (voir point 257 ci-dessus), il y a lieu de relever, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de l’analyse du troisième moyen, que Polimeri Europa est le successeur économique d’EniChem (devenue [confidentiel]) et s’est vu attribuer, à bon droit, la responsabilité de l’infraction commise pendant la période allant du 13 mai 1993 au 31 décembre 2001 en raison de la continuité économique existant entre elle et la société cédante impliquée dans l’entente, à savoir EniChem.

279    Or, EniChem a déjà fait l’objet d’une condamnation en 1994 dans le cadre de la décision PVC II et a renouvelé un comportement infractionnel sur le marché du CR. Dès lors, la personne morale visée par la décision PVC II et ayant participé directement à l’infraction constatée par la décision attaquée est la même. Cette répétition d’un comportement infractionnel témoigne d’une propension d’EniChem à ne pas tirer les conséquences appropriées du constat, à son égard, d’une infraction aux règles de concurrence de l’Union. Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, des réorganisations internes ne sauraient avoir d’effet sur l’évaluation de l’existence de cette circonstance aggravante.

280    Dans ces conditions, rien ne s’opposait à ce que la Commission se fonde sur la décision PVC II (voir point 257 ci-dessus), aux fins de constater la récidive de Polimeri Europa, successeur économique d’EniChem, pour augmenter, dans le cas d’espèce, le montant de l’amende au paiement de laquelle Eni est tenue pour solidairement responsable.

281    Deuxièmement, s’agissant de l’infraction constatée dans la décision Polypropylène (voir point 257 ci-dessus), il y a lieu de rappeler que, dans son arrêt du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission (C‑196/99 P, Rec. p. I‑11005, point 99), la Cour a considéré que le simple fait que le capital de deux sociétés commerciales distinctes appartienne à une même personne n’était pas suffisant, en tant que tel, pour établir l’existence, entre ces deux sociétés, d’une unité économique ayant pour conséquence, en vertu du droit de la concurrence de l’Union, que les agissements de l’une peuvent être imputés à l’autre. Il y a lieu de rappeler également que, même si, dans l’arrêt Michelin/Commission, point 270 supra, le Tribunal a considéré que, dès lors que les deux filiales sont détenues par la même société mère, il est permis de tenir compte de l’infraction antérieure commise par une de ces filiales pour établir la circonstance aggravante de récidive à l’égard de l’autre, selon l’arrêt de la Cour Akzo Nobel, point 53 supra, la société mère ne peut être considérée comme responsable pour le comportement infractionnel de sa filiale détenue à 100 % que dans le cas où cette société mère ne renverse pas la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale (voir points 270 et 271 ci-dessus). En l’espèce, Eni n’ayant pas été destinataire de la décision Polypropylène (voir point 257 ci-dessus), elle n’a pas été mise en mesure de présenter ses arguments afin de contester, à son égard, l’existence éventuelle d’une unité économique avec Anic, destinataire de cette décision. Il ne saurait donc être admis qu’au moment de la constatation de l’infraction à l’égard d’Anic dans la décision Polypropylène, cette société constituait une entreprise avec la société mère Eni (voir points 272 à 274 ci-dessus). Il s’ensuit que le fait qu’Eni et Polimeri Europa puissent être considérées comme faisant partie d’une même entreprise au moment de l’infraction constatée dans la décision attaquée ne saurait suffire pour tenir compte de l’infraction commise par Anic dans l’établissement de la circonstance aggravante de récidive à l’égard de Polimeri Europa.

282    Il découle de ce qui précède que la Commission n’a pas pu se fonder sur la décision Polypropylène (voir point 257 ci‑dessus) aux fins de constater la récidive de Polimeri Europa et que seule l’infraction établie dans la décision PVC II (voir point 257 ci‑dessus) pouvait être retenue à l’égard de Polimeri Europa à titre de circonstance aggravante de récidive. Sur ce point, la décision attaquée est donc entachée d’une illégalité.

283    S’agissant, en troisième lieu, de l’argument tiré d’une violation des principes de proportionnalité et de sécurité juridique en raison d’un laps de temps qui s’est écoulé entre les comportements illicites antérieurs reprochés à EniChem et l’infraction faisant objet de la décision attaquée, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive font partie du pouvoir d’appréciation de la Commission et cette dernière ne saurait être liée par un éventuel délai de prescription pour un tel constat (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, p. II‑3555, point 141). Cependant, si aucun délai de prescription ne s’oppose à la constatation par la Commission d’un état de récidive, il n’en demeure pas moins que, conformément au principe de proportionnalité, la Commission ne saurait prendre en considération une ou des décisions antérieures sanctionnant une entreprise sans limitation dans le temps (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, point 151 supra, points 70 et 73).

284    En l’espèce, d’une part, il y a lieu de relever que la Commission s’est fondée, pour retenir la récidive, sur le fait qu’une infraction avait été constatée à l’égard des requérantes le 27 juillet 1994, dans la décision PVC II. D’autre part, il y a lieu de relever que l’infraction faisant l’objet de la décision attaquée a débuté le 13 mai 1993, ce qui veut dire qu’EniChem, en s’engageant dans cette nouvelle infraction, a continué les activités infractionnelles sans interruption malgré une condamnation. Dans ce cas, la prise en compte par la Commission, aux fins de la récidive, d’une infraction constatée treize ans avant l’adoption de la décision attaquée ne saurait être considérée comme une violation des principes de sécurité juridique et de proportionnalité.

285    S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission a retenu, aux fins de la récidive, la décision PVC II pour dissimuler le fait que l’infraction constatée dans cette décision avait pris fin déjà en 1984 et que la Commission aurait dû tenir compte de la date d’adoption de la décision PVC I, c’est-à-dire le 21 décembre 1988, il ne saurait prospérer. D’une part, le Tribunal a déjà confirmé que, même si la décision PVC II, adoptée par la Commission à la suite de l’annulation de la décision PVC I, reprend en grande partie les éléments factuels de cette dernière décision, elle s’en distingue, notamment, en ce qui concerne la durée de l’infraction et les amendes infligées et qu’il ne s’agit donc pas de décisions identiques (arrêt Hoechst, point 261 supra, points 465). D’autre part, même si l’argument des requérantes devait être accueilli, il faudrait conclure que 19 ans se sont écoulés entre la constatation de l’infraction dans la décision PVC I et la constatation de la nouvelle infraction dans la décision attaquée et que seulement quatre ans et demi se sont écoulés entre la constatation de l’infraction dans la décision PVC I et le début de la nouvelle infraction. Or, l’existence de tels laps de temps entre les dates concernées ne saurait être considérée comme une violation des principes de sécurité juridique et de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331, point 40).

286    S’agissant du taux de majoration appliqué en l’espèce, il n’est pas clairement affirmé dans la décision attaquée que le fait que la Commission ait constaté que la récidive découlait de deux infractions antérieures avait donné lieu à une augmentation du montant de l’amende supérieure à celle qui aurait été appliquée si une seule infraction antérieure avait été identifiée. En tout état de cause, il n’y a pas nécessairement de lien entre le nombre d’infractions antérieures et le pourcentage de majoration du montant de l’amende appliqué au titre de la récidive (voir, en ce sens, arrêts du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 152 supra, point 366, et Hoechst, point 261 supra, point 470). Pour ce motif, le seul fait que, dans une autre décision qui ne concerne pas les requérantes, la Commission ait majoré un montant de base de 50 % pour cause de récidive sur la base de trois constatations d’infractions antérieures n’implique pas qu’elle aurait été dans l’obligation d’appliquer un pourcentage de majoration inférieur à 50 % dans la décision attaquée. Partant, les arguments des requérantes selon lesquels la majoration du montant de l’amende au titre de la récidive doit être réduite doivent, au vu de cette jurisprudence, être écartés.

287    Il ressort de tout ce qui précède que la décision attaquée est entachée d’une illégalité en ce que la Commission ne pouvait pas retenir une circonstance aggravante de récidive à l’égard d’Eni. La Commission ne pouvait pas non plus se fonder sur la décision Polypropylène (voir point 257 ci-dessus), aux fins de constater une circonstance aggravante de récidive à l’égard de Polimeri Europa. Les arguments des requérantes relatifs à la circonstance aggravante de la récidive doivent être rejetés pour le surplus.

 Sur la deuxième branche, relative aux circonstances atténuantes

–       Rappel du libellé de la décision attaquée

288    S’agissant des circonstances atténuantes, premièrement, la Commission a indiqué, quant au rôle passif et/ou mineur, qu’elle « accept[ait] qu’un rôle passif ou ‘suiviste’ joué par une entreprise dans une infraction [puisse], s’il est établi, constituer une circonstance atténuante ». Selon elle, « [u]n rôle passif implique que l’entreprise adopte un ‘profil bas’, c’est-à-dire qu’elle ne participera pas activement à la création d’accords anticoncurrentiels » (voir considérant 545 de la décision attaquée). Aux considérants 550, 551 et 555 de la décision attaquée, la Commission a précisé, quant à [confidentiel]/Polimeri Europa, ce qui suit :

« (550)[…L]es preuves figurant au dossier indiquent une participation cohérente, régulière et active à l’infraction. La fréquence de leurs contacts avec les autres producteurs pendant toute la période d’infraction […] et en particulier la participation régulière aux réunions entre tous les concurrents est incompatible avec toute notion d’acteur passif.

(551) L’affirmation [selon laquelle] [confidentiel] poursuivait des objectifs différents des autres membres de l’entente lors de son adhésion aux accords collusoires ne modifie en rien la nature et le rôle joué par cette entreprise dans les arrangements. Le rôle de chaque entreprise dans l’infraction repose sur ses actions et non sur sa motivation ou ses objectifs. Les preuves figurant au dossier montrent que [confidentiel] était une force motrice dans l’entente, pas seulement au dernier stade, lorsqu’il s’agissait, par exemple, de négocier une part de marché supérieure pour ses produits CR […], mais déjà au début de la période, lorsqu’elle a accepté de jouer le rôle de chef de file pour l’application des augmentations de prix dans certains pays européens […] Il n’existe dans le dossier aucun élément probant indiquant que le rôle de [confidentiel] dans les accords d’entente aurait changé lors de la reprise de la branche d’activité par Polimeri [Europa] au début 2002.

[…]

(555) S’agissant des revendications formulées par [confidentiel] et Tosoh, le fait de ne pas jouer le rôle de chef de file ne peut être assimilé à un rôle passif ou mineur dans l’infraction. Bien qu’une preuve [du] rôle de chef de file puisse, dans certaines circonstances, donner lieu à une augmentation de l’amende sur la base du fait que cela constitue des circonstances aggravantes, l’absence d’un tel facteur ne constitue pas une circonstance atténuante. Pendant la durée de vie de l’entente, toutes les entreprises faisant l’objet de cette décision, sans exception, ont participé, d’une manière ou d’une autre, au partage du marché et à la fixation des prix. Par conséquent, il n’y a rien qui permette de distinguer ces entreprises l’une de l’autre et qui suggère que l’une d’entre elles ait joué un rôle mineur ou passif dans l’infraction. »

289    Deuxièmement, la Commission a indiqué aux considérants 561 et 562 de la décision attaquée, quant à l’absence de participation à toutes les pratiques alléguées, ce qui suit :

« […R]ien ne justifie l’application d’une réduction de l’amende en raison de la non-participation pendant toute la durée de l’infraction, car cet élément sera pris en compte dans la détermination de la durée de l’infraction commise […] En dehors et en plus de ces considérations, l’enquête a révélé que [confidentiel]/Polimeri [Europa] a participé à une infraction unique et continue de mai 1993 jusqu’en mai 2002 […] Au cours de cette période, [confidentiel]/Polimeri [Europa] était impliquée dans tous les éléments de l’entente […], notamment dans la mise en œuvre des accords d’augmentation de prix […] Il est normal que, dans le cas d’une entente de longue durée, la Commission [soit] en possession d’éléments probants plus solides attestant de la tenue de contacts plus fréquents entre les membres de l’entente pour certaines périodes. Toutefois, ceci ne peut conduire à la conclusion que les périodes au cours desquelles moins de contacts ont eu lieu ou pour lesquelles les éléments probants disponibles sont plus épars doivent être considérées comme des périodes au cours desquelles la participation des membres de l’entente s’est limitée à certains éléments. Le caractère très grave de l’implication ne peut être modulé par des degrés d’intensité variables qui, en l’espèce, ne peuvent avoir aucun effet sur le montant de l’amende. »

290    Troisièmement, la Commission a constaté, au considérant 567 de la décision attaquée, quant à la cessation de l’infraction, ce qui suit :

« […I]l n’existe aucune raison d’appliquer une réduction de l’amende pour la non-participation à toutes les années pendant lesquelles l’infraction s’est poursuivie, car ceci sera pris en considération lors de la détermination de la durée de l’infraction. Par ailleurs, […] des éléments probants présents dans le dossier montrent que [confidentiel]/Polimeri [Europa] ont été impliquées dans les rencontres collusives jusqu’en mai 2002. »

291    Quatrièmement, la Commission a indiqué, au considérant 572 de la décision attaquée, quant à l’absence de mise en œuvre des accords : « Il ressort tout d’abord clairement des faits […] que [confidentiel] [a] mis en œuvre au minimum les accords de parts de marché. Ceci a été confirmé par [confidentiel] et n’a pas été contesté dans sa réponse à la communication des griefs […] Pour qu’il y ait mise en œuvre d’accords collusoires, il n’est toutefois pas nécessaire que chaque membre de l’entente applique chaque caractéristique de l’entente dans la même mesure. Il n’est que normal que chaque participant ne mette en œuvre que certaines parties des accords, et la duperie est chose courante entre membres d’une entente. » Ensuite, au considérant 573 de la décision attaquée, la Commission a estimé qu’elle « n’[était] tenue de reconnaître l’existence d’une circonstance atténuante du fait de l’absence de mise en œuvre d’une entente que si l’entreprise qui invoque cette circonstance peut démontrer qu’elle s’est clairement et considérablement opposée à la mise en œuvre de cette entente, au point d’en avoir perturbé le fonctionnement même et qu’elle n’a pas adhéré à l’accord en apparence et, de ce fait, incité d’autres entreprises à mettre en œuvre l’entente en cause ». En outre, « [l]a conclusion incontestée de la Commission à ce sujet est […] que les arrangements étaient mis en œuvre » (voir considérant 574 de la décision attaquée). Enfin, au considérant 575 de la décision attaquée, la Commission a souligné que [confidentiel]/Polimeri Europa « n’[avaie]nt [pas] démontré qu’elles s’[étaient] clairement et considérablement opposées à la mise en œuvre de cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci et qu’elles n’[avaient] pas adhéré à l’accord en apparence et, de ce fait, n’[avaient] pas incité d’autres entreprises à mettre en œuvre l’entente en cause ». La Commission a conclu que, « [é]tant donné qu’elles ne s’[étaie]nt pas clairement distanciées des résultats de réunions de lutte contre la concurrence auxquelles elles [avaie]nt assisté, elles conserv[aient] leur pleine responsabilité du fait de leur participation à l’entente ».

–       Arguments des parties

292    Selon les requérantes, la Commission devait leur reconnaître le bénéfice de circonstances atténuantes, étant donné le rôle passif ou mineur joué par EniChem (devenue [confidentiel]) et Polimeri Europa, leur participation limitée à certains éléments de l’infraction, la cessation de l’infraction et l’absence de mise en œuvre des accords.

293    En particulier, le dossier administratif de la Commission contiendrait de nombreux éléments de preuve du fait que la participation d’EniChem à l’entente en cause a été substantiellement réduite, au sens du paragraphe 29, troisième tiret, des lignes directrices de 2006, à savoir, notamment, premièrement, le nombre limité de réunions auxquelles EniChem (devenue [confidentiel]/Polimeri Europa aurait pris part par rapport aux autres entreprises et par rapport au nombre total de réunions de l’entente, deuxièmement, les déclarations des autres participants à l’entente, en particulier les autres demandeurs de clémence, quant au peu d’importance d’EniChem sur le marché du CR et au rôle « réellement subordonné » que celle-ci a joué dans le cadre du cartel, l’absence de fiabilité d’EniChem (dénommée par ses concurrents le « mouton noir des prix ») quant à l’application des accords et à son comportement commercial agressif, troisièmement, l’absence de mise en œuvre des accords sur les prix, quatrièmement, la tentative d’augmenter les volumes de vente, en contradiction avec la répartition convenue, et, cinquièmement, l’absence de participation aux initiatives de réduction de capacité. La Commission n’aurait pas apporté de preuve pour étayer sa conclusion selon laquelle EniChem aurait participé à l’entente d’une façon cohérente, régulière et active. En outre, en n’accordant pas de diminution du montant de l’amende au titre de circonstances atténuantes aux requérantes, en tant que suiveurs, d’une part, et en n’appliquant pas de majoration du montant de l’amende au titre des circonstances aggravantes pour Bayer et DDE, en tant que meneurs de l’entente, d’autre part, la Commission aurait traité de façon identique des situations différentes, en violation du principe d’égalité de traitement.

294    Dans la mesure où l’absence de participation à l’entente après novembre 2000 ne serait pas prise en compte pour réduire la durée de l’infraction, cet élément devrait au moins être pris en compte en tant que circonstance atténuante. Il en irait de même en ce qui concerne l’absence de mise en œuvre des augmentations de prix, du système de répartition des marchés et des réductions de capacité de Bayer et de DDE. Soulignant la différence existant entre la non-participation à l’infraction et la participation marginale et renvoyant au paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, les requérantes relèvent que la dissociation explicite par rapport à l’entente ne serait pas une condition nécessaire pour l’application de la circonstance atténuante en cause, contrairement à ce que la Commission aurait exigé dans la décision attaquée. À défaut, l’application de la circonstance atténuante serait soumise à un critère équivalent à celui applicable pour établir l’absence d’infraction. En toute hypothèse, même cette dernière condition, non requise, de dissociation explicite serait satisfaite par les requérantes.

295    La Commission conteste les arguments des requérantes.

–       Appréciation du Tribunal

296    Selon la jurisprudence, l’octroi d’une diminution du montant de base de l’amende au titre des circonstances atténuantes est nécessairement lié aux circonstances de l’espèce, qui peuvent amener la Commission à ne pas accorder une telle diminution à une entreprise partie à un accord illicite. En effet, la reconnaissance du bénéfice d’une circonstance atténuante, dans des situations dans lesquelles une entreprise est partie à un accord manifestement illégal, dont elle savait ou ne pouvait ignorer qu’il constituait une infraction, ne saurait ôter l’effet dissuasif à l’amende infligée et porter atteinte à l’effet utile de l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, Rec. p. I‑5843, points 104 et 105, et la jurisprudence citée).

297    Il y a lieu de rappeler également qu’il ressort de la jurisprudence que les lignes directrices que la Commission adopte énoncent une règle de conduite dont elle ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 233 supra, points 209 et 210 ; voir également la jurisprudence citée au point 233 ci‑dessus), lequel s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt de la Cour du 15 octobre 2009, Audiolux e.a., C‑101/08, Rec. p. I‑9823, point 54, et la jurisprudence citée).

298    Conformément au paragraphe 29 des lignes directrices de 2006 :

« Le montant de base de l’amende peut être réduit lorsque la Commission constate l’existence de circonstances atténuantes, telles que :

–        lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve qu’elle a mis fin à l’infraction dès les premières interventions de la Commission. Ceci ne s’appliquera pas aux accords ou pratiques de nature secrète (en particulier les cartels) ;

–        lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve que l’infraction a été commise par négligence ;

–        lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve que sa participation à l’infraction est substantiellement réduite et démontre par conséquent que, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, elle s’est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché ; le seul fait qu’une entreprise a participé à une infraction pour une durée plus courte que les autres ne sera pas considéré comme une circonstance atténuante, puisque cette circonstance est déjà reflétée dans le montant de base ;

–        lorsque l’entreprise concernée coopère effectivement avec la Commission, en dehors du champ d’application de la communication sur la clémence et au-delà de ses obligations juridiques de coopérer ;

–        lorsque le comportement anticoncurrentiel a été autorisé ou encouragé par les autorités publiques ou la réglementation. »

299    Ainsi qu’il ressort du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, la Commission n’a aucune obligation de toujours prendre en compte séparément chacune des circonstances atténuantes énumérées : elle « peut » réduire le montant de base. Si les circonstances énumérées dans la liste figurant au paragraphe 29 des lignes directrices de 2006 sont certainement parmi celles qui peuvent être prises en compte par la Commission dans un cas donné, celle-ci n’est pas obligée d’accorder une réduction supplémentaire à ce titre de manière automatique dès qu’une entreprise avance des éléments de nature à indiquer l’existence d’une de ces circonstances, le caractère adéquat d’une éventuelle réduction du montant de l’amende au titre des circonstances atténuantes devant être apprécié d’un point de vue global en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes. En effet, l’adoption des lignes directrices n’a pas privé de pertinence la jurisprudence antérieure selon laquelle la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de prendre ou de ne pas prendre en considération certains éléments lorsqu’elle fixe le montant des amendes qu’elle entend infliger, en fonction des circonstances de l’espèce. Ainsi, en l’absence d’indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, Rec. p. II‑2223, points 274 et 275, et du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, points 472 et 473, et la jurisprudence citée).

300    Quant aux arguments des requérantes selon lesquels la participation d’EniChem à l’infraction a été substantiellement réduite au sens du paragraphe 29, troisième tiret, des lignes directrices de 2006, il convient de relever que la position « exclusivement passive ou suiviste » d’une entreprise dans la réalisation de l’infraction implique, par définition, l’adoption par l’entreprise concernée d’un « profil bas », c’est-à-dire une absence de participation active à l’élaboration du ou des accords anticoncurrentiels (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 158 supra, point 167). Il ressort de la jurisprudence que, parmi les éléments de nature à révéler le rôle passif d’une entreprise au sein d’une entente, peuvent être pris en compte le caractère sensiblement plus sporadique de ses participations aux réunions par rapport aux membres ordinaires de l’entente de même que l’existence de déclarations expresses quant au rôle joué par cette entreprise dans l’entente et émanant de représentants d’entreprises tierces ayant participé à l’infraction, en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes du cas d’espèce (voir arrêt Cheil Jedang/Commission, point 158 supra, point 168, et la jurisprudence citée).

301    Or, en l’espèce, s’agissant, d’une part, de la période entre le début de 1994 et octobre 2000, il y a lieu de relever qu’EniChem/Polimeri Europa a participé à un nombre non négligeable de réunions de l’entente, dont le caractère anticoncurrentiel a été établi. En effet, il y a lieu de constater que les requérantes admettent expressément que, « [confidentiel] ». Il convient d’ajouter à ces [confidentiel] réunions [confidentiel] par les requérantes les quatre réunions organisées à Milan les 19 mai 1998, 10 juin 1998, 13 avril 1999 et 22 mars 2000, auxquelles la participation d’EniChem/Polimeri Europa a été établie (voir points 192 et 194 à 196 ci-dessus). Il s’ensuit qu’EniChem/Polimeri Europa a participé à [confidentiel] des réunions organisées pendant la période entre le mois de février 1994 (voir point 125 ci-dessus) et le mois d’octobre 2000.

302    En outre, il ressort des considérants 151, 156 à 158, 163, 168, 170 à 174, 177, 186, 188, 194, 199, 210, 213, 215, 230 et 235 de la décision attaquée que, pendant la période entre février 1994 et octobre 2000, 20 réunions multilatérales de tous les participants à l’entente ont été organisées. Compte tenu du fait que la Commission n’a pas prouvé la participation d’EniChem/Polimeri Europa à la réunion du [confidentiel] (voir point 187 ci-dessus), qu’elle a prouvé sa participation, contestée, à la réunion du 10 juin 1998 à Milan (voir point 194 ci-dessus) et qu’elle a admis, s’agissant de la réunion du 7 novembre 1997 à Singapour, qu’EniChem/Polimeri Europa avait annulé sa participation à la dernière minute (voir considérant 210 de la décision attaquée), il y a lieu de constater qu’EniChem/Polimeri Europa a participé aux [confidentiel] réunions multilatérales de tous les participants à l’entente, sur un total de [confidentiel], organisées pendant la période entre février 1994 et octobre 2000. Compte tenu de ces éléments, il ne saurait être considéré que la participation d’EniChem/Polimeri Europa aux réunions était sensiblement plus sporadique que celles des autres membres de l’infraction.

303    S’agissant, d’autre part, des périodes entre mai 1993 et février 1994 et entre octobre 2000 et mai 2002, il est vrai que la participation des requérantes aux réunions de l’entente était moins intense. En effet, pour la période entre mai 1993 et février 1994, la Commission n’a pas établi la participation d’EniChem aux réunions multilatérales du 13 juillet à Zurich, du [confidentiel] et du 18 novembre 1993 à Düsseldorf (voir point 174 à 177 ci-dessus) et, pour la période entre octobre 2000 et mai 2002, il est établi que les requérantes ont participé seulement à deux réunions (voir points 180 et 183 ci-dessus). Toutefois, même s’il n’est pas établi que la participation des requérantes aux réunions de l’entente pendant ces deux périodes était aussi intense que pendant la période entre février 1994 et octobre 2000, il ne saurait être admis que globalement EniChem/Polimeri Europa a participé aux réunions de l’entente de façon sensiblement plus sporadique que les autres participants à l’infraction. La Commission n’était donc pas obligée d’accorder à EniChem/Polimeri Europa une réduction du montant de l’amende.

304    Par ailleurs, les requérantes n’ont pas démontré que les autres participants à l’entente en cause avaient indiqué qu’EniChem/Polimeri Europa aurait adopté un « profil bas » au cours de l’infraction, ce qui pourrait révéler son rôle passif au sein de l’entente, conformément à la jurisprudence citée au point 300 ci-dessus.

305    Il découle de ce qui précède qu’il ne peut pas être considéré que la participation d’EniChem/Polimeria Europa à l’infraction a été substantiellement réduite ou que son rôle a été exclusivement passif. Par ailleurs, le rôle éventuellement plus limité d’EniChem/Polimeri Europa dans l’entente du fait de sa position moins importante que celle de certains de ses concurrents sur le marché européen du CR a déjà été pris en compte dans la détermination du montant de base de l’amende, qui correspond à une proportion de la valeur des ventes des biens ou des services concernés par l’infraction, qui sont réalisées par chaque entreprise (voir point 15 ci-dessus).

306    S’agissant des arguments des requérantes selon lesquels, en substance, EniChem/Polimeri Europa se serait soustraite à l’application des accords de l’entente en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché au sens du même paragraphe 29, troisième tiret, des lignes directrices de 2006, il y a lieu de constater qu’il est constant qu’EniChem/Polimeri Europa a au moins partiellement mis en œuvre les accords de l’entente, dont, notamment, l’accord de partage de marché. Les requérantes n’ont pas davantage établi qu’EniChem/Polimeri Europa s’était opposée à l’entente au point d’en perturber le bon fonctionnement, ce qui est pourtant imposé par la jurisprudence afin de reconnaître une absence de mise en œuvre de l’entente justifiant une réduction du montant de l’amende au titre des circonstances atténuantes. À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la Commission n’est tenue de reconnaître l’existence d’une circonstance atténuante du fait de l’absence de mise en œuvre d’une entente que si l’entreprise qui invoque cette circonstance peut démontrer qu’elle s’est clairement et de manière considérable opposée à la mise en œuvre de cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci, et qu’elle n’a pas adhéré à l’accord en apparence et, de ce fait, incité d’autres entreprises à mettre en œuvre l’entente en cause. Le fait qu’une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents pour partager les marchés est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d’une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l’amende à infliger (voir arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 299 supra, point 277, et la jurisprudence citée).

307    Partant, la Commission n’a pas dépassé les limites du pouvoir d’appréciation dont elle dispose en la matière en ne retenant pas, à titre de circonstance atténuante qui justifierait une réduction du montant de l’amende, la prétendue absence de mise en œuvre de l’entente par les requérantes. Par ailleurs, l’analyse effectuée ci-dessus n’a révélé aucun élément de nature à démontrer une violation du principe de proportionnalité. Il s’ensuit que les arguments des requérantes s’agissant des circonstances atténuantes doivent être écartés.

 Sur la troisième branche, relative à la majoration spécifique appliquée afin de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes

–       Rappel du libellé de la décision attaquée

308    S’agissant de la majoration spécifique appliquée à titre dissuasif, considérant qu’EniChem, Dow, DuPont et Bayer avaient un chiffre d’affaires particulièrement élevé au-delà des produits et des services auxquels l’infraction se réfère, le chiffre d’affaires de chacun d’eux, en termes absolus, étant ainsi nettement plus important que celui de Tosoh et de Denka (voir considérant 584 de la décision attaquée), la Commission a estimé, au considérant 586 de la décision attaquée, ce qui suit :

« […A]fin de fixer le montant des amendes à un niveau qui garantit un effet suffisamment dissuasif, il est approprié d’appliquer un [coefficient multiplicateur] aux amendes à infliger. En 2006, l’exercice financier précédant cette décision, les chiffres d’affaires totaux des entreprises auxquelles cette décision s’adresse étaient les suivants : E[ni] : 86 105 millions [d’euros] ; Dow : 39 124 millions [d’euros] ; Bayer : 28 956 millions [d’euros] ; DuPont : 21 839 millions [d’euros] ; Tosoh : 5 350 millions [d’euros] et Denka : 2 254 millions [d’euros]. Sur cette base, il est adéquat de ne pas appliquer de [coefficient multiplicateur] à l’amende infligée à Bayer, [EI] DuPon[t], Tosoh et Denka et de multiplier par 1,4 l’amende à infliger à [Eni] et par 1,1 l’amende à infliger à Dow. »

–       Arguments des parties

309    Les requérantes font valoir, à propos de l’augmentation appliquée en vertu du paragraphe 30 des lignes directrices de 2006, que la Commission a en fait infligé deux augmentations, d’abord une de 60 %, ensuite une de 40 %, pour atteindre un même objectif, méconnaissant ainsi le principe de proportionnalité. L’amende infligée serait ainsi disproportionnée par rapport au chiffre d’affaires relatif aux produits concernés par l’infraction, de même qu’au regard des majorations appliquées ou non aux autres participants à l’entente. Il en irait d’autant plus ainsi que la Commission aurait calculé le coefficient sur le chiffre d’affaires total d’Eni, et non sur celui de Polimeri Europa, et ce après avoir déjà appliqué une majoration pour récidive, laquelle ne pourrait pas être constatée à l’égard d’Eni. Pour apprécier la proportionnalité du montant de l’amende, dans le but spécifique d’appliquer une éventuelle majoration en vertu du titre C des lignes directrices de 2006 (Augmentation spécifique en vue du caractère dissuasif), la Commission devrait nécessairement évaluer le montant de l’amende tel qu’il a déjà été défini selon les paragraphes précédents de ces lignes directrices et vérifier si, sur la base des circonstances spécifiques, d’autres conditions sont remplies pour justifier une telle majoration aux fins de dissuasion. En l’espèce, la Commission ayant déjà augmenté le montant de base d’un montant additionnel de 20 % en application du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006 et appliqué une majoration de 60 % au titre de la récidive, l’objectif de dissuasion aurait déjà été satisfait et l’augmentation spécifique en vue du caractère dissuasif serait donc disproportionnée et devrait être annulée.

310    Les requérantes avancent en outre que l’augmentation spécifique devrait à tout le moins être réduite à un taux maximal de 20 %, la Commission ayant appliqué à l’amende des requérantes une majoration quatre fois supérieure à celle appliquée à l’amende de Dow, alors que le chiffre d’affaires total d’Eni correspondait à un peu plus du double de celui de Dow. Elles ont précisé à l’audience que, dans ces circonstances, l’augmentation spécifique leur avait été infligée en violation du principe d’égalité de traitement.

311    La Commission estime que la présente branche n’est pas fondée. En se référant au paragraphe 30 des lignes directrices de 2006, elle rappelle qu’elle dispose d’un pouvoir d’appréciation pour appliquer, le cas échéant, un coefficient multiplicateur permettant de fixer le montant de l’amende à un niveau suffisamment dissuasif par rapport aux dimensions totales des entreprises, représentées par le chiffre d’affaires total, visant ainsi à garantir le respect, par les entreprises, des règles de concurrence du traité CE pour l’exercice de leurs activités au sein de la Communauté ou de l’EEE. La majoration calculée sur la base du chiffre d’affaires total d’Eni ne violerait donc en aucune façon le principe de proportionnalité et n’entraînerait aucune « duplication de la sanction » infligée solidairement à Eni et à Polimeri Europa, dans la mesure où elle aurait une fonction radicalement différente de la majoration visant à dissuader davantage les entreprises de prendre part à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marchés et de limitation de la production, d’une part, et de la circonstance aggravante de la récidive, d’autre part. Il serait, au contraire, indispensable d’appliquer la majoration en cause en l’espèce pour éviter de sanctionner de la même façon une entreprise « monoproductrice » de taille relativement réduite et une multinationale active dans de très nombreux secteurs de l’énergie et de la chimie, comme le groupe Eni, avec une capacité contributive plus élevée. En outre, le coefficient multiplicateur de 1,4 appliqué en l’espèce ne serait pas excessif, voire bien moins proportionnel au chiffre d’affaires total que le coefficient multiplicateur de 1,1 appliqué à Dow, qui avait un chiffre d’affaires total moindre de moitié par rapport à celui d’Eni.

–       Appréciation du Tribunal

312    Il convient de relever que les lignes directrices de 2006 précisent, au paragraphe 30, que « [l]a Commission portera une attention particulière au besoin d’assurer que les amendes présentent un effet suffisamment dissuasif ; à cette fin, elle peut augmenter l’amende à imposer aux entreprises dont le chiffre d’affaires, au-delà des biens et [des] services auxque[ls] l’infraction se réfère, est particulièrement important ».

313    Les requérantes soulèvent deux arguments à cet égard.

314    En premier lieu, l’argument selon lequel la Commission aurait appliqué deux augmentations, d’abord de 60 % au titre de la récidive et ensuite de 40 % en vue du caractère dissuasif, pour atteindre un même objectif et, partant, aurait violé le principe de proportionnalité, et ce d’autant plus que celle-ci avait déjà inclus dans le montant de base un montant additionnel de 20 %, doit être écarté.

315    Ainsi que la Commission l’a relevé, l’augmentation spécifique déterminée, en vertu du paragraphe 30 des lignes directrices de 2006, à partir du chiffre d’affaires total d’Eni poursuit un objectif différent de celui visé par le montant additionnel inclus dans le montant de base en vertu du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, d’une part, et de celui visé par l’application de la circonstance aggravante de la récidive en vertu du paragraphe 28 des lignes directrices de 2006, d’autre part.

316    En effet, il y a lieu de distinguer les étapes spécifiques conduisant à une évaluation globale de toutes les circonstances pertinentes aux fins d’assurer la dissuasion. Premièrement, en ajoutant, au titre du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, le montant additionnel au montant de base, la Commission vise à dissuader d’autres entreprises de s’engager dans des comportements contraires à l’article 81 CE ou de continuer de tels comportements, c’est-à-dire vise à garantir l’effet dissuasif général de ses actions en leur donnant un effet dissuasif allant au-delà des seuls entreprises condamnées par une décision (en l’espèce, la Commission a ajouté au montant de base de tous les destinataires de la décision attaquée un montant additionnel de 20 % de la valeur des ventes : voir point 19 ci-dessus). Deuxièmement, en augmentant, au titre du paragraphe 28 des lignes directrices de 2006, le montant de base de l’amende en cas de récidive, la Commission vise à encourager une entreprise, dont le comportement témoigne d’une propension à ne pas tirer les conséquences appropriées du constat, à son égard, d’une infraction aux règles de concurrence de l’Union, à respecter lesdites règles (en l’espèce, la Commission a majoré le montant de base de l’amende à infliger aux requérantes de 60 % : voir point 21 ci-dessus). Troisièmement, en augmentant, au titre du paragraphe 30 des lignes directrices de 2006, le montant de l’amende à imposer aux entreprises dont le chiffre d’affaires, au-delà des biens et des services auxquels l’infraction se réfère, est particulièrement important, la Commission vise à assurer l’effet suffisamment dissuasif de ses amendes pour certains types d’entreprises ayant une capacité contributive importante − entreprises multinationales actives dans de très nombreux secteurs −, tout en évitant de sanctionner de la même façon une entreprise « monoproductrice » de taille relativement réduite et ayant une capacité contributive plus faible (en l’espèce, la Commission a multiplié le montant de l’amende à infliger aux requérantes par 1,4, c’est-à-dire qu’elle a appliqué une majoration spécifique à titre dissuasif de 40 % : voir point 24 ci-dessus).

317    Par conséquent, étant donné que l’application du paragraphe 30 des lignes directrices de 2006 constitue l’expression de l’étape spécifique dans le calcul du montant de l’amende destinée à articuler l’évaluation des circonstances pertinentes aux fins de la réalisation de l’effet dissuasif spécifique de l’amende, elle n’a pas pour effet de punir les requérantes pour la deuxième fois pour les mêmes motifs que ceux qui sont visés au paragraphe 28 des lignes directrices de 2006.

318    S’agissant de l’argument selon lequel la Commission ne saurait déterminer le coefficient multiplicateur aux fins de la dissuasion spécifique sur la base du chiffre d’affaires total d’Eni après avoir appliqué la majoration pour récidive − qui ne pouvait, selon les requérantes, en aucun cas être imputée à Eni − d’une part, il y a lieu de rappeler que l’augmentation au titre de la récidive est appliquée au montant de base de l’amende, lequel est calculé à partir du chiffre d’affaires du groupe en cause sur le marché auquel l’infraction se réfère, le CR en l’espèce (voir points 15 à 17 ci-dessus). D’autre part, le coefficient multiplicateur appliqué aux fins de la dissuasion spécifique (c’est-à-dire le pourcentage de majoration spécifique appliquée à titre dissuasif) est appliqué aux entreprises dont le chiffre d’affaires, au-delà des biens et des services auxquels l’infraction se réfère, est particulièrement important et est donc déterminé au vu de l’ensemble du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée − en l’espèce le chiffre d’affaires total du groupe Eni. Le fait que la Commission n’était pas fondée à constater la récidive à l’égard d’Eni est donc sans incidence à cet égard, dès lors que la Commission était fondée à considérer que, aux fins de l’entente en cause, Eni et EniChem (devenue [confidentiel]/Polimeri Europa formaient une seule et même entreprise au sens de l’article 81 CE (voir l’analyse du premier moyen ci-dessus). De plus, ainsi qu’il ressort du paragraphe 30 des lignes directrices de 2006, et contrairement à ce que les requérantes semblent soutenir, ce coefficient multiplicateur est appliqué au montant de l’amende tel qu’il a été déterminé au cours des étapes précédentes (montant de base, incluant le montant additionnel, majoré ou minoré pour cause de circonstance aggravante ou atténuante), et non au chiffre d’affaires total de l’entreprise concernée (le groupe Eni en l’espèce) ou au seul montant de base de l’amende.

319    En second lieu, il y a lieu de constater, à propos de l’argument selon lequel l’augmentation spécifique appliquée aux requérantes serait également disproportionnée au vu du traitement accordé aux autres participants à l’entente en l’espèce, « la différence entre l’amende infligée à ces entreprises […] et celle infligée aux requérantes [ayant] déjà été assurée par l’application (outre celle de la circonstance aggravante de la récidive) d’un coefficient [multiplicateur] moins élevé [que 1,4] », que, en fixant les coefficients multiplicateurs applicables à l’amende de chaque entreprise, la Commission a pris en compte les chiffres d’affaires totaux de chaque entreprise à laquelle la décision attaquée est adressée (voir considérant 586 de la décision attaquée).

320    Contrairement à ce que suggèrent les requérantes, la proportionnalité de l’augmentation au titre de l’effet dissuasif spécifique doit être appréciée en comparant, d’une part, le chiffre d’affaires réalisé sur le marché en cause et, d’autre part, le chiffre d’affaires total.

321    En l’espèce, la Commission a constaté, d’une part, que le chiffre d’affaires total d’Eni en 2006 était de 86 105 millions d’euros et, d’autre part, que le chiffre d’affaires réalisé par Eni sur le marché du CR (en 2001) était de 28,5 millions d’euros. Sur cette seule base, l’application d’un coefficient multiplicateur de 1,4 n’est pas disproportionné, le chiffre d’affaires total d’Eni par rapport à celui réalisé par elle sur le seul marché du CR étant plus de 3 000 fois plus important.

322    Toutefois, les requérantes ont également avancé (voir point 310 ci‑dessus) que, dans la mesure où l’augmentation spécifique qui leur a été appliquée était quatre fois supérieure à celle appliquée à l’amende de Dow, alors que le chiffre d’affaires total d’Eni équivalait à un peu plus du double de celui de Dow, la Commission a violé le principe d’égalité de traitement. Pour ce motif, l’augmentation spécifique au titre de l’effet dissuasif appliquée à leur égard devrait « tout au moins être réduite à un maximum de 20 % ».

323    À cet égard, il y a lieu d’observer, d’abord, que, au considérant 584 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, dans la présente affaire, Enichem, Dow, DuPont et Bayer avaient un chiffre d’affaires particulièrement élevé au‑delà des biens et des services auxquels l’infraction se réfère, le chiffre d’affaires de chacune d’elles, en termes absolus, étant nettement plus important que celui de Tosoh et de Denka. Ensuite, au considérant 586 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, en 2006, l’exercice financier précédant la décision attaquée, les chiffres d’affaires totaux des entreprises auxquelles cette décision s’adresse s’élevaient à 86 105 millions d’euros pour Eni, à 39 124 millions d’euros pour Dow, à 28 956 millions d’euros pour Bayer, à 21 839 millions d’euros pour EI Du Pont, à 5 350 millions d’euros pour Tosoh et à 2 254 millions d’euros pour Denka. Enfin, sur la base de ces chiffres, la Commission a jugé équitable de multiplier par 1,4 le montant de l’amende à infliger à Eni (c’est-à-dire d’augmenter cette amende de 40 %), par 1,1 le montant de l’amende à infliger à Dow (c’est-à-dire d’augmenter cette amende de 10 %) et de ne pas appliquer de coefficient multiplicateur à l’amende à infliger à Bayer, à EI DuPont, à Tosoh et à Denka.

324    Il en découle que le chiffre d’affaires total d’Eni retenu par la Commission pour les besoins du calcul de l’augmentation spécifique constitue un peu plus du double du chiffre d’affaires total de Dow. Dès lors, suivant le raisonnement de la Commission en l’espèce et afin de respecter le principe d’égalité de traitement, tel qu’interprété par la jurisprudence (voir arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309, et la jurisprudence citée), il convenait de multiplier le montant de l’amende à infliger à Eni par un coefficient qui correspond au double de la majoration appliquée à Dow, pour tenir compte de sa taille et de ses ressources globales deux fois plus importantes que celles de Dow. La majoration appliquée à Dow étant de 10 %, celle appliquée à Eni devait s’élever à 20 %. Le coefficient multiplicateur à appliquer à l’égard d’Eni devait être donc de 1,2.

325    Aucun des arguments contraires avancés par la Commission ne saurait infirmer cette conclusion. D’une part, la décision attaquée ne contient aucune constatation autre que celles relatives à la taille et aux ressources globales de l’entreprise, qui justifierait l’application à Eni d’un coefficient multiplicateur supérieur à 1,2. En particulier, elle n’explique pas pourquoi les circonstances du cas d’espèce exigeraient l’application à Eni d’un coefficient multiplicateur quatre fois supérieur à celui appliqué à Dow, bien que son chiffre d’affaires pertinent pour cette opération ne soit que deux fois supérieur à celui de Dow. À cet égard, l’affirmation de la Commission avancée dans la duplique selon laquelle le coefficient multiplicateur de 1,4 en l’espèce serait « beaucoup moins que proportionnel au chiffre d’affaires » par rapport au coefficient de 1,1 appliqué à Dow, qui avait un chiffre d’affaires moitié moindre par rapport à celui d’Eni, considérant que « [l]e premier [coefficient multiplicateur] dépasse […] de 27,27 % le second [coefficient multiplicateur] », doit être rejetée. Contrairement à ce qu’avance la Commission, il y a lieu de constater que le coefficient appliqué à Eni (à savoir 1,4 ; soit une majoration de 40 %) dépasse de 400 % le coefficient appliqué à Dow (1,1 ; soit une majoration de 10 %). En effet, en l’espèce, ce n’est pas le rapport entre 1,1 et 1,4 qui importe, mais le rapport entre 10 et 40.

326    Il ressort de ce qui précède que la décision attaquée est entachée d’une illégalité en ce que, afin de garantir un effet suffisamment dissuasif à l’amende à infliger aux requérantes, la Commission a appliqué, en violation du principe d’égalité de traitement, un coefficient multiplicateur de 1,4 au lieu d’un coefficient multiplicateur de 1,2.

327    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, contrairement à ce que les requérantes prétendent, aucun défaut de motivation de la décision attaquée n’est établi. Il ressort cependant des points 287 et 326 ci-dessus que le présent moyen est partiellement fondé.

 Sur le neuvième moyen, tiré de la détermination erronée du plafond de 10 % du chiffre d’affaires

 Rappel du libellé de la décision attaquée

328    Au considérant 589 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, « [en l’espèce, les amendes à infliger aux entreprises auxquelles s’adresse la présente décision n’atteignent dans aucun cas le seuil de 10% du chiffre d’affaires] ».

 Arguments des parties

329    Les requérantes font valoir que, si le Tribunal devait conclure à l’illégalité de l’attribution à Polimeri Europa de la responsabilité de l’infraction pour la période pendant laquelle EniChem (devenue [confidentiel]) était en charge des activités CR et que la décision attaquée aurait dû être adressée à cette dernière, il devra également juger que le chiffre d’affaires sur lequel le seuil de 10 % visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 doit être appliqué est celui obtenu par [confidentiel] en 2006, à savoir [confidentiel], et que par conséquent le montant de l’amende infligée par la Commission ne pouvait pas dépasser [confidentiel]. Dans la mesure où il serait accepté que Polimeri Europa a participé directement à l’entente en 2002, quod non, la Commission aurait dû lui appliquer une sanction distincte de celle qui aurait été appliquée à [confidentiel], sans tenir Eni pour responsable, et limitée en raison de la courte période pendant laquelle Polimeri Europa aurait géré les activités CR.

330    La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

331    Il y a lieu d’observer que le présent moyen repose sur l’hypothèse selon laquelle, notamment, les premier et troisième moyens seraient accueillis. Tel n’étant pas le cas, il doit être rejeté.

 Sur le dixième moyen, tiré de l’absence de prise en compte de la coopération en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération de 2002

 Rappel du libellé de la décision attaquée

332    S’agissant de la coopération effective en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération de 2002, la Commission a indiqué, au considérant 581 de la décision attaquée, ce qui suit :

« Dans la mesure où la coopération de [confidentiel] et de Polimeri [Europa] mérite une réduction, celle-ci sera prise en considération au moment d’appliquer la communication sur la [coopération de 2002]. Tenant compte de tous les faits, on peut conclure qu’une circonstance exceptionnelle susceptible de justifier l’octroi à [confidentiel] et à Polimeri [Europa] d’une réduction de l’amende qui à défaut aurait été infligée pour une coopération effective tombant en dehors de la communication sur la [coopération de 2002] n’est pas présente en l’espèce […] »

 Arguments des parties

333    Les requérantes font valoir que la Commission aurait dû leur accorder une réduction du montant de l’amende conformément au paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006, pour la coopération effective de [confidentiel] et de Polimeri Europa avec elle en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération de 2002 et au-delà de leurs obligations juridiques de coopération. Une telle réduction du montant de l’amende serait justifiée dès lors que le comportement de l’entreprise a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté, et ce même si cette entreprise a introduit une demande de clémence n’ayant pas été accueillie et sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles. À défaut, les entreprises se verraient découragées de coopérer avec la Commission dans tous les cas dans lesquels une autre entreprise a déjà présenté une demande d’immunité. En toute hypothèse, ces circonstances exceptionnelles existeraient en l’espèce. La jurisprudence relative à la circonstance atténuante visée au paragraphe 3, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3), citée par la Commission, serait évidemment dépourvue de pertinence également en ce qu’elle concerne une entreprise qui – contrairement aux requérantes – avait déjà obtenu une réduction de 50 % du montant de l’amende au sens de la communication sur la coopération.

334    La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

335    Conformément au paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006, cité au point 298 ci-dessus, « [l]e montant de base de l’amende peut être réduit lorsque la Commission constate l’existence de circonstances atténuantes, telles que […] lorsque l’entreprise concernée coopère effectivement avec la Commission, en dehors du champ d’application de la communication sur la clémence et au-delà de ses obligations juridiques de coopérer ».

336    Selon la jurisprudence, dans la mesure où une infraction relève du champ d’application de la communication sur la coopération de 2002, dont le paragraphe 1 fait référence aux ententes secrètes – consistant à fixer des prix, des quotas de production ou de vente et à répartir les marchés, y compris par le truquage d’appels d’offres, ou encore à restreindre les importations ou les exportations –, l’examen de la coopération avec la Commission s’effectue, en principe, sur la base de cette communication et non sur la base du paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006. Même s’il fallait admettre qu’une coopération à une enquête portant sur des ententes horizontales de fixation de prix et de répartition de marchés est susceptible d’être récompensée au titre du paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006, dans une telle hypothèse une réduction au titre de cette disposition supposerait nécessairement que la coopération en cause ne soit pas susceptible d’être récompensée dans le cadre de la communication sur la coopération de 2002 et qu’elle ait été effective, c’est-à-dire qu’elle ait facilité la tâche de la Commission consistant en la constatation et en la répression des infractions aux règles de la concurrence de l’Union [voir, à propos des lignes directrices de 1998 et de la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4), arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, Rec. p. II‑1333, points 427 et 428, et la jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 233 supra, points 380 à 382].

337    Or, force est de constater que l’infraction en cause relève du champ d’application de la communication sur la coopération de 2002 et que [confidentiel] et Polimeri Europa ont introduit des demandes de clémence. Dès lors, les requérantes ne sauraient valablement reprocher à la Commission de ne pas avoir pris en compte le degré de la coopération de [confidentiel] et de Polimeri Europa en tant que circonstance atténuante en dehors du cadre juridique de la communication sur la coopération de 2002. Le fait qu’aucune réduction n’a été accordée aux requérantes, les conditions requises pour bénéficier d’une immunité d’amendes ou d’une réduction du montant de l’amende au titre de cette communication n’étant pas remplies (voir considérants 639 à 654 de la décision attaquée), est sans incidence à cet égard.

338    Au demeurant, même si, comme l’indique la jurisprudence citée au point 336 ci-dessus, il fallait admettre qu’une coopération à une enquête portant sur des ententes horizontales de fixation de prix et de répartition de marchés est susceptible d’être récompensée au titre du paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices de 2006, force est de constater que l’affirmation des requérantes selon laquelle, en l’espèce, les conditions posées par la jurisprudence pour qu’une telle réduction soit admissible sont satisfaites n’est nullement étayée.

339    Il s’ensuit que le dixième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le onzième moyen, tiré de l’absence de réduction du montant de l’amende en vertu de la communication sur la coopération de 2002

 Rappel du libellé de la décision attaquée

340    S’agissant des demandes présentées par [confidentiel] au titre de la communication sur la coopération de 2002, la Commission a constaté, au considérant 643 de la décision attaquée, que « [confidentiel] ».

341    Aux considérants 644 à 648 de la décision attaquée, elle a motivé cette constatation comme suit :

« (644) [confidentiel]

(645) [confidentiel]

(646)       [confidentiel]

(647)       [confidentiel]

(648)       [confidentiel] »

342    S’agissant de la demande présentée par Polimeri Europa au titre de la communication sur la coopération de 2002, la Commission a indiqué, au considérant 653 de la décision attaquée, que « les informations fournies par Polimeri [Europa] ne représent[ai]ent pas une valeur ajoutée significative sur la base de laquelle [elle …] devrait octroyer une réduction de l’amende en application de la communication sur la [coopération de 2002] ».

343    Aux considérants 650 à 652 de la décision attaquée, elle a avancé la motivation suivante :

« (650) [confidentiel]

(651) Polimeri [Europa] a contesté les conclusions tirées par la Commission dans la communication des griefs. En particulier, elle maintient notamment que [confidentiel] avait déjà mis fin à sa participation à l’entente avant la cession de la branche d’activité CR à Polimeri [Europa], alors que l’implication de Polimeri [Europa] dans les accords est établie dans cette décision sur la base d’autres éléments probants.

(652) La demande de clémence introduite par Polimeri [Europa] et les éléments de preuve fournis n’ont concerné aucun fait dont la Commission n’avait pas déjà connaissance. En conséquence, si les informations fournies par d’autres demandeurs représentaient toujours une valeur ajoutée significative au sens du [paragraphe 21 de la communication sur la coopération de 2002], cet argument n’est pas valable à l’égard de Polimeri [Europa]. »

344    S’agissant de la demande des requérantes de voir pris en compte, dans le calcul du montant des amendes infligées, tout bénéfice accordé à [confidentiel] pour sa coopération avec la Commission, dans la mesure où [confidentiel] n’est pas elle-même destinataire de la décision attaquée, elle a été rejetée par la Commission, au considérant 654 de la décision attaquée, « puisque la coopération de [confidentiel] n’a[vait] pas été suffisante pour constituer une valeur ajoutée [significative] ».

 Arguments des parties

345    Les requérantes font valoir que, en omettant de leur accorder une réduction substantielle du montant de l’amende en vertu de la communication sur la coopération de 2002 en raison de la coopération de [confidentiel] et de Polimeri Europa, la Commission a violé les principes d’équité, d’égalité de traitement et de non‑discrimination. Les informations et les éléments de preuve fournis par ces dernières auraient apporté une valeur ajoutée significative au sens du paragraphe 21 de ladite communication par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission, ainsi qu’il ressortirait de la décision attaquée, dans laquelle la Commission aurait utilisé systématiquement les déclarations et les documents fournis par ces sociétés pour établir les faits contestés.

346    S’agissant en particulier de sept réunions de l’entente, les déclarations et/ou documents fournis par [confidentiel] aurait été indispensables pour établir l’infraction. En outre, la Commission aurait utilisé de façon extensive les informations fournies par [confidentiel] dans la partie de la décision attaquée relative à la description des principes de base et de la structure de l’entente. Or, il y aurait valeur ajoutée significative dans deux circonstances : d’une part, si l’entreprise produit de nouvelles preuves qui, combinées avec des preuves déjà en possession de la Commission, permettent de prouver l’existence d’une entente ; d’autre part, si l’entreprise, alors que la Commission ne dispose que des déclarations d’un demandeur de clémence, produit des documents ou des déclarations corroborant la déclaration initiale. Ces deux circonstances existeraient en l’espèce en ce qui concerne les déclarations et/ou documents produits par [confidentiel], qui auraient renforcé la capacité de la Commission d’établir les faits en question. [confidentiel] à propos des réunions des 6 et 9 février 1994 à Tokyo, apporteraient même une valeur ajoutée particulièrement significative, dans la mesure où elles [confidentiel]. La Commission aurait également renoncé aux éléments de preuve fournis par [confidentiel] en éliminant dans la décision attaquée toute référence à cinq autres réunions, figurant dans la communication des griefs, afin de diminuer la valeur de la collaboration de [confidentiel]. En toute hypothèse, les réunions mentionnées dans la décision attaquée seraient dans ces circonstances absolument nécessaires pour prouver l’infraction, et la contribution de [confidentiel] à l’établissement de l’existence de ces réunions aurait apporté une valeur ajoutée significative. De plus, la Commission aurait elle-même expliqué en d’autres occasions qu’une valeur ajoutée significative pouvait être apportée aussi par une entreprise qui, sans soumettre de nouvelles preuves, présente des documents appropriés ou des déclarations permettant de consolider la preuve existant déjà. À cet égard, les requérantes soulignent que [confidentiel] et que, dans le cadre de l’appréciation de la valeur des preuves fournies par les entreprises demandant la clémence, il faudrait prendre en compte la mesure d’implication de chaque entreprise dans l’entente, par exemple la fréquence de sa participation aux réunions et sa possibilité de fournir des informations. En effet, il serait évident qu’une entreprise qui a organisé le cartel, a joué un rôle de chef de file et/ou en tout état de cause a participé à toutes les réunions, comme [confidentiel], est en mesure de fournir beaucoup plus d’informations que les entreprises telles que [confidentiel] qui, au contraire, ont joué un rôle mineur et n’ont participé qu’à un nombre restreint de réunions.

347    L’approche suivie en l’espèce par la Commission, par ailleurs contraire à l’approche retenue dans la décision 2006/901/CE de la Commission, du 20 octobre 2005, relative à une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (Affaire COMP/C.38.281/B.2 – Tabac brut – Italie) (JO 2006, L 353, p. 45), et dans la décision 2006/902/CE de la Commission, du 21 décembre 2005, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre de Flexsys NV, Bayer, Crompton Manufacturing Co. Inc. (ex-Uniroyal Chemical Co. Inc.), Crompton Europe Ltd, Chemtura Corp. (ex-Crompton Corp.), General Química SA, Repsol Química SA et Repsol YPF SA (Affaire COMP/F/C.38.443 – Produits chimiques pour le traitement du caoutchouc) (JO 2006, L 353, p. 50), dans lesquelles la Commission aurait accordé une réduction importante du montant de l’amende à des entreprises dont la contribution à l’établissement des preuves utilisées dans ces décisions avait été clairement inférieure à ou à tout le moins semblable à celle offerte par [confidentiel], violerait le principe d’égalité de traitement dans la mesure où la Commission aurait appliqué des critères différents pour apprécier la coopération de DDE, de Bayer et de Tosoh alors que les preuves fournies par [confidentiel] auraient été de la même valeur ou de la même qualité que celles fournies par ces dernières qui, comme l’admet la Commission elle-même, étaient partiellement « contradictoires ». Les requérantes font observer que les déclarations de [confidentiel], lacunaires et imprécises, se limitaient souvent à une simple liste de dates et de réunions, reconstruite au moyen de preuves indirectes comme des documents de voyage et des notes de frais, et que ce n’est qu’à la suite d’une demande d’informations que [confidentiel] a fourni quelques notes manuscrites. En outre, [confidentiel] n’aurait pris connaissance des enquêtes que lorsqu’elle a reçu la première demande d’informations de la Commission le 23 mars 2005, soit deux ans après la vérification inopinée dans les locaux de Dow Deutschland Inc. La Commission aurait également méconnu le principe d’égalité de traitement dans la mesure où ce principe l’obligerait à envoyer les demandes d’information et à procéder aux vérifications simultanément à l’encontre de toutes les entreprises soupçonnées de participer à une infraction, afin de ne pas faire obstacle à la perspective des entreprises d’être les premières à fournir des preuves apportant une valeur ajoutée significative. À cet égard, la coopération de [confidentiel] aurait été bien plus rapide que celle de [confidentiel]. Il conviendrait également de tenir compte du fait que le laps de temps entre les vérifications et le moment auquel [confidentiel] a pris connaissance de l’enquête a rendu difficile la constitution par [confidentiel] d’un dossier aux fins de la coopération. Les communiqués de presse présentés par la Commission pour établir que [confidentiel] a eu connaissance des enquêtes dans le secteur du CR avant le 23 mars 2005 ne concerneraient pas le CR.

348    La position de [confidentiel] ne serait par celle d’une entreprise demandant une réduction du montant de l’amende pour ne pas avoir contesté, après la réception de la communication des griefs, la matérialité des faits sur lesquels la Commission fondait ses accusations. Il ressortirait de la jurisprudence que le fait d’avoir contesté la date de début et de fin de la participation à l’entente et de l’implication de Polimeri Europa n’empêcherait pas les requérantes de bénéficier d’une réduction du montant de l’amende pour leur coopération avant l’envoi de la communication des griefs. Il ne pourrait en tout cas pas être demandé à une entreprise décidant de coopérer de renoncer par avance à son droit de se défendre face à des accusations dépourvues de fondement. En outre, la Commission aurait reconnu implicitement le bien-fondé de certaines des contestations de Polimeri Europa, puisqu’elle a supprimé dans la décision attaquée la mention de la réunion de Milan du 15 février 2002 qui figurait parmi les réunions de cartel énumérées dans la communication des griefs. Les requérantes soutiennent enfin qu’il est évident que la Commission ne peut pas leur refuser par principe la possibilité de bénéficier d’une réduction du montant de l’amende en raison de la collaboration apportée par [confidentiel], du simple fait que cette dernière n’a pas été incluse parmi les destinataires de la décision attaquée. Si Polimeri Europa peut être considérée comme responsable du comportement de [confidentiel] par application du principe de continuité économique, quod non, Polimeri Europa devrait également pouvoir bénéficier d’une réduction du montant de l’amende en raison de la collaboration apportée par [confidentiel]. La même chose vaudrait, mutatis mutandis, pour Eni qui, de surcroît et contrairement à ce qu’a affirmé la Commission, n’a pas contesté (celle-ci n’étant d’ailleurs pas en mesure de le faire) les faits faisant l’objet de la décision au cours de la procédure, mais s’est bornée à nier avoir exercé une influence déterminante sur ses filiales impliquées dans cette procédure.

349    La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

350    Il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 229 et 233 ci-dessus, si l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 confère à la Commission une marge d’appréciation dans la fixation des amendes, l’exercice de ce pouvoir est toutefois limité, notamment par les règles de conduite que la Commission s’est elle-même imposées, non seulement dans les lignes directrices pour le calcul des amendes, mais également dans les communications sur la coopération (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, point 151 supra, point 95, et la jurisprudence citée).

351    Dans la communication sur la coopération de 2002, la Commission a ainsi défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente peuvent être exemptées de l’amende ou bénéficier d’une réduction du montant de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter.

352    Au paragraphe 8 de la communication sur la coopération de 2002, il est indiqué ce qui suit :

« La Commission exemptera une entreprise de toute amende qu’elle aurait à défaut dû acquitter :

a)      lorsque l’entreprise est la première à fournir des éléments de preuve qui, de l’avis de la Commission, sont de nature à lui permettre d’adopter une décision ordonnant des vérifications en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement [n°] 17 […], concernant une entente présumée affectant la Communauté, ou

b)      lorsque l’entreprise est la première à fournir des éléments de preuve qui, de l’avis de la Commission, sont de nature à lui permettre de constater une infraction à l’article 81 […] CE […] en rapport avec une entente présumée affectant la Communauté. »

353    Il est précisé au paragraphe 20 de cette communication que « [l]es entreprises qui ne remplissent pas les conditions [d’exemption de l’amende] prévues au titre A [Immunité d’amendes] peuvent toutefois bénéficier d’une réduction de l’amende qui à défaut leur aurait été infligée » et, au paragraphe 21, que, « [a]fin de pouvoir prétendre à une telle réduction, une entreprise doit fournir à la Commission des éléments de preuve de l’infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission, et doit mettre fin à sa participation à l’activité illégale présumée au plus tard au moment où elle fournit ces éléments de preuve ».

354    S’agissant de la notion de valeur ajoutée, il est expliqué au paragraphe 22 de la communication sur la coopération de 2002 ce qui suit :

« La notion de ‘valeur ajoutée’ vise la mesure dans laquelle les éléments de preuve fournis renforcent, par leur nature même et/ou leur niveau de précision, la capacité de la Commission d’établir les faits en question. Lors de cette appréciation, la Commission estimera généralement que les éléments de preuve écrits datant de la période à laquelle les faits se rapportent ont une valeur qualitative plus élevée que les éléments de preuve établis ultérieurement. De même, les éléments de preuve se rattachant directement aux faits en question seront le plus souvent considérés comme qualitativement plus importants que ceux qui n’ont qu’un lien indirect avec ces derniers. »

355    Selon la jurisprudence, la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes et elle peut, à cet égard, tenir compte de multiples éléments, au nombre desquels figure la coopération des entreprises concernées lors de l’enquête conduite par les services de cette institution. Dans ce cadre, la Commission est appelée à effectuer des appréciations factuelles complexes, telles que celles qui portent sur la coopération respective desdites entreprises (arrêt de la Cour du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 81). Par ailleurs, la Commission dispose d’une certaine marge d’appréciation dans l’évaluation du point de savoir si la coopération en cause a été « déterminante » pour lui faciliter sa tâche, qui est de constater l’existence d’une infraction et d’y mettre fin, seul un dépassement manifeste de cette marge d’appréciation étant susceptible d’être censuré (voir arrêt Hoechst/Commission, point 261 supra, point 555, et la jurisprudence citée). Dès lors, le contrôle exercé par le Tribunal sur l’appréciation par la Commission de la valeur ajoutée des preuves fournies par une entreprise dans le cadre du programme de clémence est restreint.

356    En l’espèce, les requérantes font valoir qu’elles auraient dû bénéficier d’une réduction substantielle du montant de l’amende en vertu de la communication sur la coopération de 2002 dès lors que [confidentiel] et Polimeri Europa auraient apporté des éléments de preuve d’une valeur ajoutée significative au sens du paragraphe 21 de ladite communication, ayant fourni, s’agissant de sept réunions de l’entente, des preuves « indispensables » ou « absolument nécessaires » pour établir l’infraction.

357    Or, il ressort sans équivoque des constatations non contestées de la décision attaquée (voir points 5 à 9 ci-dessus) que les éléments de preuve relatifs à l’entente qui ont été fournis par [confidentiel] et Polimeri Europa n’ont été communiqués à la Commission que deux ans et quatre mois après que Bayer avait introduit sa demande de clémence, deux ans après les inspections effectuées par la Commission chez Dow, un an et neuf mois après les inspections effectuées chez Denka, un an et neuf mois après que Tosoh avait introduit sa demande de clémence, un an et cinq mois après que DDE avait introduit sa demande de clémence et, enfin, après que la Commission avait envoyé ses premières demandes d’informations à toutes les entreprises visées par son enquête.

358    Ainsi, en considérant que, à la date à laquelle les éléments de preuve ont été communiqués par [confidentiel] et Polimeri Europa, elle connaissait déjà la durée complète de la période d’infraction et disposait de preuves concernant la date de début et la date de fin de l’infraction et que les inspections et les déclarations de [confidentiel] étaient, en outre, suffisantes pour prouver l’implication d’EniChem/Polimeri Europa dans l’infraction pendant toute la période et en en déduisant que les éléments de preuve fournis par [confidentiel] et Polimeri Europa n’apportaient pas une valeur ajoutée significative dans la mesure où ils n’étaient pas nécessaires pour établir l’existence de l’entente, la Commission s’est conformée aux règles qu’elle s’est elle-même imposées dans la communication sur la coopération de 2002 et n’a pas manifestement dépassé la marge d’appréciation dont elle dispose à cet égard. En effet, il ressort du dossier que la valeur ajoutée de la contribution de [confidentiel] et de Polimeri Europa était principalement liée à la période allant de 1994 à 1999, à propos de laquelle la Commission était déjà en possession de preuves bien documentées qui lui avaient été fournies par [confidentiel].

359    S’agissant en particulier des déclarations de [confidentiel] relatives aux réunions des 6 et 9 février 1994 à Tokyo, [confidentiel], elles n’ont pas eu de valeur ajoutée significative, dans la mesure où il ressort du quatrième moyen (voir points 159 à 175 ci-dessus) que [confidentiel].

360    En outre, contrairement à la thèse soutenue par les requérantes, il ressort du paragraphe 22 de la communication sur la coopération de 2002 que la valeur ajoutée est un critère objectif, dont l’appréciation se rapporte à la qualité de la contribution au travail de la Commission, et non au maximum que pouvait produire une entreprise donnée, en considérant, par exemple, la mesure de son implication dans l’entente, sa possibilité de fournir des informations ou encore le moment auquel elle aurait pris connaissance de l’enquête. La Commission n’est donc pas tenue d’effectuer des vérifications simultanées auprès de toutes les entreprises concernées afin de ne pas faire obstacle à la perspective des entreprises d’être les premières à fournir des preuves apportant une valeur ajoutée significative, l’exercice des pouvoirs en matière d’inspection étant soumis à l’appréciation des éléments dont la Commission dispose lui permettant de suspecter une violation de l’article 81 CE ainsi que l’implication de l’entreprise concernée, conformément à l’article 20, paragraphe 8, du règlement n° 1/2003. Chaque entreprise impliquée dans une entente a en outre la possibilité d’être la « première coopérante » et de bénéficier d’une exemption de l’amende en dénonçant à la Commission l’existence de celle-ci et en lui apportant ainsi des éléments de preuve lui permettant d’ordonner des vérifications ou de constater une infraction à l’article 81 CE.

361    Par ailleurs, s’agissant de l’argument tiré de la violation du principe d’égalité de traitement dans la mesure où la Commission aurait appliqué des critères différents pour apprécier la coopération de DDE, de Bayer et de Tosoh, si, certes, selon une jurisprudence constante, la Commission ne saurait, dans le cadre de son appréciation de la coopération fournie par les membres d’une entente, méconnaître le principe général d’égalité de traitement (arrêt du Tribunal du 6 mai 2009, Wieland-Werke/Commission, T‑116/04, Rec. p. II‑1087, point 124), l’appréciation de la valeur ajoutée des éléments contenus dans une demande de clémence s’effectue en fonction des éléments de preuve déjà en possession de la Commission.

362    Or, en l’espèce, dès lors que la coopération de Bayer, de Tosoh et de DDE a précédé celle de [confidentiel] et de Polimeri Europa, la Commission disposait déjà de plus d’éléments de preuve au moment où [confidentiel] et Polimeri Europa ont introduit leur demandes de clémence qu’au moment où Bayer, Tosoh et DDE ont introduit les leurs. De plus, les preuves apportées par les autres demandeurs de clémence étaient, contrairement aux observations transmises par [confidentiel] et Polimeri Europa, généralement fondées sur des preuves directes comme des documents rédigés in tempore non suspecto, ne nécessitant pas de confirmation supplémentaire, alors que, notamment, la qualité des documents et des déclarations fournis par [confidentiel] était limitée (voir considérant 648 de la décision attaquée) et que les éléments de preuve fournis par Polimeri Europa ne concernaient aucun fait dont la Commission n’avait pas déjà connaissance (voir considérant 652 de la décision attaquée). En outre, il convient de relever que, ainsi que la Commission le souligne, DDE, qui a présenté des preuves directes, a confirmé des détails supplémentaires, a communiqué des éléments nouveaux portant notamment sur l’étendue et sur le fonctionnement de l’entente, et qui permettaient à la Commission de ne pas se fonder exclusivement sur les déclarations de [confidentiel] pour ce qui concerne les premières années d’activité de l’entente, n’a pourtant pas reçu le pourcentage de réduction maximal auquel elle pouvait prétendre.

363    Dans ces conditions, Bayer, Tosoh, DDE, d’une part, et [confidentiel] et Polimeri Europa, d’autre part, n’ayant pas fourni à la Commission des informations semblables au même stade de la procédure administrative et dans des circonstances analogues, ne se trouvaient pas dans des situations comparables. Dès lors, l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement entre les requérantes, d’une part, et les autres entreprises en cause dans la présente affaire, d’autre part, n’est pas établie.

364    S’agissant, enfin, de l’approche suivie par la Commission dans d’autres affaires, il suffit de rappeler que, d’une part, eu égard à la jurisprudence citée au point 355 ci-dessus, la Commission dispose d’une marge d’appréciation lorsqu’elle est appelée à évaluer si des éléments de preuve fournis par une entreprise ayant exprimé son souhait de bénéficier de la communication sur la coopération de 2002 apportent une valeur ajoutée significative au sens du paragraphe 21 de cette communication et, d’autre part, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est uniquement défini dans le règlement n° 1/2003 et dans les lignes directrices (voir point 267 ci-dessus). Ainsi, des décisions concernant d’autres affaires n’ont qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence d’inégalité de traitement (arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C‑167/04 P, Rec. p. I‑8935, point 205). Il peut également être rappelé que le principe général d’égalité de traitement ne s’oppose pas à ce que des situations différentes soient traitées de manière différente. Il s’ensuit que les requérantes ne sauraient utilement invoquer une violation du principe d’égalité de traitement au regard du traitement accordé par la Commission aux entreprises en cause dans d’autres affaires que celle ayant donné lieu à la décision attaquée.

365    Partant, le onzième moyen doit être rejeté comme non fondé.

366    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les conclusions visant à l’annulation de la décision attaquée et de réformer la décision attaquée, en tant qu’elle impose, pour cause de récidive, une majoration de 60 % du montant de base et, au titre de l’effet dissuasif spécifique, un coefficient multiplicateur de 1,4 du montant de base de l’amende infligée aux requérantes.

3.     Sur la détermination du montant final de l’amende

367    S’agissant, d’une part, du taux de majoration du montant de base de l’amende pour cause de récidive, il y a lieu d’observer que dans la décision attaquée le montant de base de l’amende qui a été infligée à Bayer a été augmenté de 50 % pour une seule infraction antérieure (voir considérant 540 de la décision attaquée). Or, en l’espèce, force est de constater que, compte tenu du fait qu’une seule infraction peut être retenue à l’égard de Polimeri Europa au titre de la récidive (voir points 281 et 282 ci-dessus), Bayer et les requérantes se trouvent dans une situation comparable. Dans ce cas, le principe d’égalité de traitement, un principe général du droit de l’Union, exige qu’elles ne soient pas traitées de manière différente (voir arrêt de la Cour du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a., C‑550/07 P, Rec. p. I‑8301, points 54 et 55, et la jurisprudence citée). Partant, il y a lieu d’appliquer aux requérantes la même majoration que celle qui a été appliquée à Bayer, c’est-à-dire réduire de 60 à 50 % le pourcentage de majoration appliqué à l’amende infligée aux requérantes au titre de la récidive constatée à l’égard de Polimeri Europa.

368    S’agissant, d’autre part, du coefficient multiplicateur retenu pour calculer la majoration spécifique appliquée afin de garantir à l’amende un effet suffisamment dissuasif, il découle du point 326 ci-dessus qu’il y a lieu d’appliquer au montant de l’amende infligée à Eni un coefficient multiplicateur de 1,2.

369    Le montant final de cette amende est donc calculé comme suit : le montant de base de l’amende (59 000 000 euros) n’est augmenté que de 50 % au titre de la récidive et n’est affecté que d’un coefficient multiplicateur de 1,2 au titre de l’effet dissuasif spécifique, soit un montant total de 106 200 000 euros (59 000 000 euros x 1,5 x 1,2 = 106 200 000 euros ; soit l’amende de 132 160 000 euros imposée dans la décision attaquée, réduite de 5 900 000 euros en ce qui concerne la récidive et de 20 060 000 euros en ce qui concerne la majoration spécifique appliquée à titre dissuasif).

 Sur les dépens

370    Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusions. Dans la mesure où il est proposé, en l’espèce, que l’amende infligée aux requérantes soit réduite d’environ 20 %, il y a lieu de décider que les requérantes supporteront quatre cinquièmes de leurs dépens ainsi que quatre cinquièmes des dépens de la Commission. La Commission supportera un cinquième de ses dépens ainsi qu’un cinquième des dépens des requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le montant de l’amende infligée solidairement à Eni SpA et à Versalis SpA pour l’infraction constatée à l’article 1er, sous d), de la décision C (2007) 5910 final de la Commission, du 5 décembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38629 – Caoutchouc chloroprène), est fixé à 106 200 000 euros.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Eni et Versalis supporteront quatre cinquièmes de leurs dépens ainsi que quatre cinquièmes des dépens de la Commission européenne. La Commission supportera un cinquième de ses dépens ainsi qu’un cinquième des dépens d’Eni et de Versalis.

Dittrich

Wiszniewska-Białecka

Prek

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2012.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

1.  Requérantes et produit concerné

2.  Procédure devant la Commission

3.  Décision attaquée

Procédure

Conclusions des parties

En droit

1.  Sur les moyens tendant à l’annulation de la décision attaquée

Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 81 CE et d’un défaut de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne l’imputation de l’infraction à Eni

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 81 CE et d’un défaut de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne l’imputation de l’infraction à Polimeri Europa

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le quatrième moyen, tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée et d’une contrariété de motifs, d’un défaut d’instruction et d’une violation de l’article 81 CE s’agissant de l’appréciation des faits et des preuves par la Commission, en particulier quant à la participation d’EniChem (devenue [confidentiel])/Polimeri Europa aux réunions en 1993 et en 2002

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le cinquième moyen, tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée et d’une contrariété de motifs, d’un défaut d’instruction et d’une violation de l’article 81 CE en ce qui concerne la qualification de l’infraction d’infraction unique et continue

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le sixième moyen, tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée et d’un défaut d’instruction en ce qui concerne le calcul de la durée de l’infraction

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

2.  Sur les moyens tendant à la suppression ou à la réduction du montant de l’amende

Sur le septième moyen, tiré de la détermination erronée du montant de base de l’amende

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le huitième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité et d’un défaut de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne les adaptations du montant de base de l’amende au titre de la récidive, des circonstances atténuantes et de l’effet dissuasif

Sur la première branche, relative à la circonstance aggravante de la récidive

–  Rappel du libellé de la décision attaquée

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la deuxième branche, relative aux circonstances atténuantes

–  Rappel du libellé de la décision attaquée

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la troisième branche, relative à la majoration spécifique appliquée afin de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes

–  Rappel du libellé de la décision attaquée

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur le neuvième moyen, tiré de la détermination erronée du plafond de 10 % du chiffre d’affaires

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le dixième moyen, tiré de l’absence de prise en compte de la coopération en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération de 2002

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le onzième moyen, tiré de l’absence de réduction du montant de l’amende en vertu de la communication sur la coopération de 2002

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

3.  Sur la détermination du montant final de l’amende

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’italien.



Version publique


1 –      « Données confidentielles occultées »