Language of document : ECLI:EU:C:2006:646

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 8 juillet 2008 (1)

Affaire C‑110/05

Commission des Communautés européennes

contre

République italienne


«Réouverture de la procédure orale – Manquement d’État – Article 28 CE – Libre circulation des marchandises – Modalités d’utilisation – Réglementation nationale interdisant l’utilisation d’une remorque attelée à un cyclomoteur, à un motocycle, à un tricycle et à un quadricycle – Restrictions quantitatives – Mesures d’effet équivalent – Justification – Sécurité routière – Proportionnalité»





1.        Une réglementation nationale relative aux «modalités d’utilisation» d’une marchandise doit‑elle être examinée au regard de l’article 28 CE ou doit‑elle être appréciée à la lumière des critères dégagés par la Cour dans l’arrêt Keck et Mithouard (2), de la même façon qu’une réglementation relative aux «modalités de vente»?

2.        Telle est, en substance, la question à laquelle doit répondre la Cour dans le cadre du présent recours.

3.        Cette affaire concerne une procédure en manquement que la Commission des Communautés européennes a engagée à l’encontre de la République italienne sur le fondement de l’article 226 CE. Selon la Commission, la République italienne a, en effet, manqué à ses obligations découlant de l’article 28 CE en édictant dans le code de la route une réglementation interdisant aux cyclomoteurs, aux motocycles, aux tricycles et aux quadricycles de tirer une remorque (3).

4.        C’est la seconde fois que des conclusions sont présentées dans ce recours.

5.        À l’origine, la Cour a décidé d’attribuer cette affaire à une chambre à cinq juges (4) et de statuer sans audience de plaidoiries, aucune des parties n’ayant demandé à être entendue en ses observations orales. L’avocat général Léger a présenté ses conclusions le 5 octobre 2006, à la suite desquelles la procédure orale a été clôturée. Celui‑ci a conclu que la République italienne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE en adoptant et en maintenant en vigueur une telle réglementation.

6.        Dans la mesure où cette proposition a soulevé de nouvelles questions relatives au champ d’application de l’article 28 CE qui n’ont pas été débattues par les parties au cours de la procédure, la Cour, par ordonnance du 7 mars 2007, a ordonné la réouverture de la procédure orale et a renvoyé l’affaire devant la grande chambre. Elle a, en outre, invité non seulement les parties, mais également les États membres autres que la République italienne à répondre à la question suivante:

«Dans quelle mesure et sous quelles conditions les dispositions nationales qui régissent non pas les caractéristiques d’un produit mais son utilisation, et qui sont indistinctement applicables aux produits nationaux et importés, doivent‑elles être considérées comme des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation au sens de l’article 28 CE?»

7.        Outre la Commission et la République italienne, des observations ont été présentées par la République tchèque, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, la République de Chypre, le Royaume des Pays‑Bas et, enfin, le Royaume de Suède.

8.        Les présentes conclusions s’articuleront en deux temps.

9.        Dans un premier temps, nous exposerons notre point de vue quant à la réponse à donner à la question posée par la Cour.

10.      Ceci requiert une réflexion générale sur le sens et la portée des règles relatives à la libre circulation des marchandises. Elle nécessite, au prix d’un retour sur des positions déjà exprimées à ce sujet, une analyse du champ d’application de l’article 28 CE et des critères qui permettent de qualifier une disposition nationale déterminée de mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation. La question posée par la Cour offre également l’opportunité de préciser la portée de l’arrêt Keck et Mithouard, précité. Cet arrêt, comme nous le savons, a donné lieu à de nombreuses difficultés d’interprétation qui n’ont pu être résolues qu’au cas par cas.

11.      Dans le cadre des présentes conclusions, nous expliquerons les raisons pour lesquelles nous considérons que des mesures nationales qui réglementent les conditions d’utilisation d’une marchandise ne doivent pas être examinées au regard des critères consacrés par la Cour dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité. Nous ferons valoir que ces mesures relèvent du champ d’application de l’article 28 CE et peuvent constituer des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation contraires au traité CE si celles‑ci entravent l’accès au marché du produit concerné.

12.      C’est au vu de cette analyse que nous examinerons, dans un second temps, le bien‑fondé du recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre de la République italienne.

13.      Après un examen des effets de la mesure en cause sur les échanges intracommunautaires, nous soutiendrons que la législation italienne, en tant qu’elle empêche l’accès au marché italien des remorques légalement produites et commercialisées dans les autres États membres, constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation contraire à l’article 28 CE.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

1.      Le traité CE

14.      L’article 28 CE interdit les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes les mesures d’effet équivalent entre les États membres.

15.      Néanmoins, conformément à l’article 30 CE, l’article 28 CE ne fait pas obstacle aux interdictions ou aux restrictions d’importation qui sont justifiées, notamment, par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé et de la vie des personnes, à condition que ces interdictions ou ces restrictions ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.

2.      Le droit dérivé

16.      Le législateur communautaire, dans le cadre de la directive 92/61/CEE (5), a établi une procédure de réception communautaire des véhicules à moteur à deux ou trois roues.

17.      Conformément à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la directive 92/61, les véhicules visés sont les cyclomoteurs (6), les motocycles, les tricycles ainsi que les quadricycles.

18.      Ainsi qu’il ressort clairement des considérants de cette directive, cette procédure permet, d’une part, de garantir un meilleur fonctionnement du marché intérieur en éliminant les entraves techniques aux échanges dans le secteur des véhicules à moteur et contribue, d’autre part, à l’amélioration de la sécurité routière et à la protection de l’environnement et des consommateurs (7).

19.      Pour permettre la mise en œuvre de ladite procédure, la directive 92/61 prévoit une harmonisation totale des exigences techniques auxquelles ces véhicules doivent satisfaire. Elle prévoit également que les prescriptions techniques applicables aux différents éléments et caractéristiques desdits véhicules sont harmonisées dans le cadre de directives particulières (8).

20.      Ainsi, les prescriptions relatives aux masses, aux dimensions ainsi qu’aux dispositifs d’attelage et de fixation de ces véhicules ont été harmonisées dans le cadre respectivement des directives 93/93/CEE (9) et 97/24/CE (10).

21.      Chacune de ces directives énonce, dans le cadre de leur préambule et dans des termes identiques, que les prescriptions qu’elles édictent ne peuvent pas avoir pour effet d’obliger à modifier leurs réglementations les États membres qui ne permettent pas, sur leur territoire, que des véhicules à moteur à deux ou à trois roues tirent une remorque (11).

B –    Le droit national

22.      L’article 53 du décret législatif n° 285 (decreto legislativo n. 285), du 30 avril 1992 (12), définit les cyclomoteurs comme tout véhicule à moteur à deux, trois ou quatre roues, ces derniers constituant les «quadricycles à moteur».

23.      Aux termes de l’article 54 du code de la route, les véhicules automobiles sont des véhicules à moteur comptant au moins quatre roues, à l’exclusion des cyclomoteurs.

24.      Conformément à l’article 56 dudit code, seuls sont autorisés à tirer une remorque les véhicules automobiles, les trolleybus et les tracteurs automobiles.

II – La procédure précontentieuse

25.      À la suite d’un échange de correspondance entre la République italienne et la Commission, cette dernière a estimé que cet État membre avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE en édictant la réglementation en cause. Elle a alors mis celui‑ci en demeure de présenter ses observations par une lettre du 3 avril 2003.

26.      Dans sa lettre en réponse, en date du 13 juin 2003, la République italienne s’est engagée à modifier sa réglementation afin d’éliminer les obstacles aux importations signalés par la Commission. Elle a précisé, en outre, que les modifications concernaient non seulement la réception des véhicules, mais également l’immatriculation, la circulation et les contrôles sur la route des remorques (révisions).

27.      La Commission n’a reçu aucune communication relative à l’adoption de ces modifications. Le 19 décembre 2003, elle a donc adressé à la République italienne un avis motivé l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet avis. Celui‑ci étant resté sans réponse, la Commission a introduit un recours en manquement sur le fondement de l’article 226 CE, par une requête déposée au greffe de la Cour le 4 mars 2005.

III – Le recours

28.      La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        constater que la République italienne, en interdisant aux cyclomoteurs de tirer des remorques, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE;

–        condamner la République italienne aux dépens de l’instance.

29.      La République italienne demande à la Cour de rejeter le recours.

IV – Sur la question posée par la Cour

30.      Ainsi que nous l’avons indiqué, la Cour, à la suite de la réouverture de la procédure orale, a invité les parties et les États membres à répondre à la question suivante:

«Dans quelle mesure et sous quelles conditions les dispositions nationales qui régissent non pas les caractéristiques d’un produit mais son utilisation, et qui sont indistinctement applicables aux produits nationaux et importés, doivent‑elles être considérées comme des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation au sens de l’article 28 CE?»

A –    Les réponses proposées par les parties et les États membres

31.      Des observations écrites et orales ont été fournies par la Commission, la République italienne, la République tchèque, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, la République de Chypre, le Royaume des Pays‑Bas et, enfin, le Royaume de Suède.

32.      La Commission soutient que les modalités d’utilisation d’un produit régissent les conditions dans lesquelles un produit peut être utilisé. Tel serait le cas d’une mesure qui limite l’utilisation d’un produit dans l’espace ou dans le temps (13). Cette notion recouvrirait également les cas dans lesquels une réglementation interdit l’utilisation d’un produit.

33.      Selon la Commission, pour déterminer si une réglementation nationale concernant l’utilisation d’un produit constitue une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE, il conviendrait de tenir compte, dans le cadre d’un examen au cas par cas, des effets directs ou indirects, actuels ou potentiels de cette mesure. Il ne fait aucun doute, pour la Commission, qu’une réglementation interdisant d’une manière absolue ou quasi absolue l’utilisation d’un produit constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article 28 CE (14).

34.      Le Royaume des Pays‑Bas milite en faveur d’une délimitation claire du champ d’application de l’article 28 CE. Il considère que l’objectif poursuivi par cette disposition, à savoir le bon fonctionnement du marché intérieur, ne saurait impliquer qu’une législation nationale relative, par exemple, à la sécurité routière, tombe sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 28 CE (15). Mais il fait également valoir qu’un accès au marché, sans entrave, revêt une importance particulière.

35.      Le Royaume des Pays‑Bas soutient l’opinion défendue par l’avocat général Kokott dans ses conclusions présentées dans l’affaire Mickelsson et Roos (C‑142/05), pendante devant la Cour, puisqu’elle permettrait de faire échapper du champ d’application de l’article 28 CE un ensemble de règles qui ne visent pas la protection d’intérêts économiques. Il relève néanmoins quelques inconvénients à cette approche. D’une part, il serait difficile de définir clairement la notion de «modalités d’utilisation». Si la disposition relative à l’utilisation exige une adaptation du produit, il y aurait alors une exigence liée aux caractéristiques du produit.

36.      Le Royaume des Pays‑Bas considère également que l’ajout d’une nouvelle catégorie d’exception à l’application de l’article 28 CE serait une source de confusion pour le juge national. Selon la catégorie dont relève une disposition déterminée, il conviendrait de recourir à tel ou tel critère.

37.      Le Royaume des Pays‑Bas critique également la jurisprudence Keck et Mithouard, précitée, en ce qu’elle n’offrirait pas un critère approprié et se réfère, à cet égard, aux conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour‑Marinopoulos (16). En outre, il relève que, tout comme les modalités de vente, certaines modalités d’utilisation peuvent avoir de graves répercussions sur le commerce intracommunautaire et s’interroge sur l’utilité pratique d’ériger une nouvelle exception. Le Royaume des Pays‑Bas propose alors d’adopter l’approche «de minimis» défendue par l’avocat général Jacobs dans ses conclusions présentées dans l’affaire Leclerc‑Siplec (17) bien qu’il relève également les difficultés auxquelles seraient confrontés les juges nationaux dans sa mise en œuvre.

38.      Contrairement à la République tchèque, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, la République de Chypre et le Royaume de Suède considèrent que les critères dégagés dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, seraient transposables aux mesures réglementant l’utilisation d’un produit. Ils soutiennent, en substance, que les dispositions nationales, indistinctement applicables, limitant mais n’interdisant pas l’usage d’un produit, ne relèvent pas, en principe, de la notion de «restriction» au sens de l’article 28 CE. Néanmoins, il peut être, selon eux, dérogé à ce principe s’il est démontré que les mesures en cause interdisent purement et simplement l’utilisation d’un produit ou n’autorisent qu’une utilisation marginale limitant ainsi l’accès de ce produit au marché.

39.      Quant à la République hellénique, elle soutient qu’une réglementation relative à l’utilisation d’un produit n’est pas propre, à elle seule, à entraver le commerce entre les États membres. Elle relève néanmoins que si l’utilisation du produit est un élément constitutif de la circulation du produit, alors la question de la qualification de la mesure doit être examinée au cas par cas et l’entrave en résultant peut relever du champ d’application de l’article 28 CE.

40.      Enfin, la République italienne considère, en substance, que la réponse à la question posée par la Cour dépend également du point de savoir si le produit peut être utilisé à d’autres fins. Elle insiste, en outre, sur les préoccupations liées à la sécurité routière et sur les particularités du relief italien.

B –    Notre appréciation

41.      Dans le cadre du présent litige, la Cour est invitée à établir si la réglementation italienne qui interdit l’utilisation sur son territoire d’un produit déterminé constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation au sens de l’article 28 CE ou si cette réglementation, en tant qu’elle fixe une «modalité d’utilisation» d’une marchandise, échappe, au sens des critères dégagés par la Cour dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, au champ d’application de cette disposition.

42.      Cette question est d’autant plus intéressante qu’une autre affaire, l’affaire Mickelsson et Roos, précitée, pendante devant la Cour, soulève une interrogation similaire.

43.      En effet, dans cette affaire, la Cour est interrogée sur le point de savoir si les articles 28 CE et 30 CE s’opposent à une réglementation suédoise qui limite l’utilisation des véhicules nautiques à moteur dans certaines eaux. Cette réglementation se distingue de la mesure en cause dans notre affaire puisqu’elle limite l’utilisation d’un produit, mais n’interdit pas purement et simplement son usage comme cela est prévu par la réglementation italienne.

44.      Dans les conclusions rendues dans ladite affaire, l’avocat général Kokott propose, par analogie avec les «modalités de vente», de faire échapper les «modalités d’utilisation» d’une marchandise du champ d’application de l’article 28 CE s’il est satisfait, notamment, aux conditions que la Cour a énoncées dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité (18).

45.      En effet, l’avocat général Kokott relève que les dispositions nationales relatives aux modalités d’utilisation des produits et celles qui concernent leurs modalités de vente sont comparables quant à la nature et à l’intensité de leur incidence sur le commerce. Ces dispositions n’auraient normalement pas pour objet de régir les échanges de marchandises entre les États membres. Elles ne produiraient leurs effets, en principe, qu’après l’importation du produit et n’auraient qu’un impact indirect sur la vente de celui‑ci. Selon l’avocat général Kokott, il serait donc cohérent d’étendre la jurisprudence Keck et Mithouard, précitée, aux mesures réglementant l’utilisation des marchandises et, en conséquence, d’exclure ces mesures du champ d’application de l’article 28 CE (19).

46.      Néanmoins, l’avocat général Kokott invite la Cour à affiner et à compléter les conditions posées dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, et propose que les dispositions nationales qui interdisent l’utilisation d’un produit ou ne l’autorisent que d’une manière marginale relèvent du champ d’application de l’article 28 CE «dès lors qu’elles empêchent (ou presque) un produit d’accéder au marché» (20).

47.      Ceci étant rappelé, il nous semble à présent important d’exposer les grandes lignes de la jurisprudence relative à la libre circulation des marchandises.

1.      La jurisprudence relative au principe de libre circulation des marchandises

48.      La libre circulation des marchandises entre les États membres constitue l’un des principes fondamentaux de la Communauté (21).

49.      Ainsi, l’article 3 CE, inséré dans la première partie du traité, intitulée «Les principes», dispose, sous c), que, aux fins énoncées à l’article 2 CE, l’action de la Communauté comporte un marché intérieur caractérisé par l’abolition, entre les États membres, des obstacles, notamment, à la libre circulation des marchandises.

50.      En outre, l’article 14, paragraphe 2, CE prévoit que le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises est assurée selon les dispositions du traité.

51.      Ce principe fondamental est mis en œuvre notamment par l’article 28 CE.

52.      Cette disposition, nous le rappelons, prévoit que les restrictions quantitatives à l’importation, ainsi que toutes les mesures d’effet équivalent, sont interdites entre les États membres.

53.      Il est de jurisprudence constante depuis l’arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville (22), que cette disposition doit être comprise comme tendant à l’élimination de «toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire» (23).

54.      En outre, la Cour a expressément admis dans l’arrêt du 20 février 1979, Rewe‑Zentral, dit «Cassis de Dijon» (24), que, en l’absence d’harmonisation des législations nationales, des mesures indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés d’autres États membres sont également susceptibles de constituer des restrictions à la libre circulation des marchandises (25).

55.      Selon la Cour, ces restrictions peuvent néanmoins être justifiées par l’un des motifs énumérés à l’article 30 CE ou par l’une des exigences impératives dégagées par sa jurisprudence (26), à condition que, dans l’un ou l’autre cas, ces mesures soient propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (27).

56.      L’interprétation que la Cour a donnée dans l’arrêt Dassonville, précité, de la notion de mesure d’effet équivalent est particulièrement large (28). En effet, au regard de la jurisprudence précitée, bien qu’une mesure n’ait pas pour objet de régler les échanges de marchandises entre les États membres, ce qui est déterminant pour le juge communautaire, c’est son effet sur le commerce intracommunautaire, qu’il soit actuel ou potentiel. Cette interprétation a donc permis, en réalité, d’appréhender sous l’angle de l’article 28 CE toutes les formes de protectionnisme économique des États membres, puisque toutes les réglementations nationales susceptibles d’avoir des effets restrictifs sur le commerce, même celles qui ne présentaient aucun lien avec les importations, pouvaient faire l’objet d’un examen par la Cour.

57.      Pour tenter de limiter ce qu’elle a considéré être des recours excessifs à l’article 28 CE et pour éviter un trop grand empiètement sur les pouvoirs réglementaires des États membres, la Cour a adopté une nouvelle approche en tentant de limiter la portée de cette disposition.

58.      Dans un premier temps, la Cour a essayé d’écarter du champ d’application de l’article 28 CE certaines réglementations nationales qui poursuivaient un objectif d’intérêt général et n’avaient aucun lien avec l’activité commerciale.

59.      Ainsi, dans l’arrêt du 14 juillet 1981, Oebel (29), la Cour a jugé qu’une réglementation nationale portant sur le travail de nuit dans les boulangeries et les pâtisseries constituait un choix de politique économique et sociale légitime, conforme aux objectifs d’intérêt général poursuivis par le traité. Selon elle, une telle réglementation «qui s’applique en fonction de critères objectifs à l’ensemble des entreprises d’un secteur déterminé, établies sur le territoire national, sans créer une différence de traitement quelconque en raison de la nationalité des opérateurs et sans distinguer entre le commerce à l’intérieur de l’État intéressé et celui d’exportation» n’avait pas pour effet de restreindre les courants d’échanges entre les États membres et ne constituait donc manifestement pas une mesure d’effet équivalent contraire à l’article 28 CE (30).

60.      De la même façon, dans l’arrêt du 31 mars 1982, Blesgen (31), la Cour a considéré qu’une législation restreignant la consommation, la vente et l’offre de boissons alcoolisées dans les endroits publics n’était pas contraire à l’article 28 CE, dans la mesure où une telle réglementation, n’ayant aucun rapport avec l’importation des produits, n’était pas de nature à entraver les échanges entre les États membres. Cette mesure n’établissait aucune distinction selon la nature ou la provenance des produits et n’influait pas sur la commercialisation sous d’autres formes de ces boissons spiritueuses. Quant à ses effets restrictifs, la Cour a jugé qu’ils ne dépassaient pas le cadre des effets propres d’une réglementation de commerce (32).

61.      Dans un second temps, la Cour a décidé de reconsidérer sa jurisprudence. L’arrêt Keck et Mithouard, précité, marque un tournant dans l’approche de celle‑ci. La Cour a en effet estimé nécessaire de réexaminer et de préciser sa jurisprudence en la matière «[é]tant donné que [selon elle] les opérateurs économiques invoquent de plus en plus l’article [28 CE] pour contester toute espèce de réglementations qui ont pour effet de limiter leur liberté commerciale, même si elles ne visent pas les produits en provenance d’autres États membres» (33).

62.      Cette affaire concernait une législation française prohibant la revente à perte. Tout en reconnaissant que cette législation était susceptible de restreindre le volume des ventes de produits importés en privant les opérateurs économiques d’une méthode de promotion des ventes, la Cour s’est demandée «si cette éventualité suffi[sait] pour qualifier la législation en cause de mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation» (34) au sens de l’article 28 CE.

63.      Pour répondre à cette question, la Cour a procédé à une distinction entre deux catégories de réglementations, à savoir celles qui fixent les conditions auxquelles doivent répondre les marchandises et celles qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente. Pour chacune de ces deux catégories, la Cour a prévu un régime de contrôle différent.

64.      La première catégorie vise les réglementations relatives, notamment, à la dénomination, à la forme, au poids et aux dimensions du produit, ainsi qu’à sa composition, sa présentation, son étiquetage et son conditionnement qui sont distinctes de celles exigées dans l’État membre d’origine (35).

65.      Dans ce cas, la Cour a confirmé la jurisprudence classique qu’elle avait dégagée dans l’arrêt Cassis de Dijon, précité, suivant laquelle ces réglementations, même indistinctement applicables à tous les produits, tombent dans le champ d’application de l’article 28 CE (36).

66.      En effet, l’entrave aux échanges découle de l’obligation d’adapter aux conditions prescrites dans l’État membre de commercialisation les marchandises en provenance des autres États membres. En imposant un reconditionnement ou une modification de la composition du produit par exemple, une telle réglementation entraîne des coûts et des difficultés supplémentaires pour l’importateur.

67.      La seconde catégorie vise les réglementations limitant ou interdisant «certaines modalités de vente». La Cour n’a pas défini cette notion. Nous pouvons néanmoins en faire un inventaire, non exhaustif, au regard de sa jurisprudence. Outre l’interdiction de revente à perte visée dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, la Cour a considéré que concernaient des «modalités de vente» les réglementations qui restreignent certaines formes de promotion de vente, telles que les interdictions visant la publicité télévisée dans un secteur ou à destination d’un public particulier (37) ou encore les réglementations qui réservent la vente de produits déterminés à certains établissements (38) ou qui réglementent, par exemple, les horaires d’ouverture des commerces (39).

68.      Désormais, en l’absence de discrimination directe ou dissimulée au profit de l’industrie nationale, ces réglementations ne tombent plus dans le champ d’application de l’article 28 CE.

69.      Comme nous pouvons le constater, ces mesures visent l’exercice de l’activité commerciale en tant que telle. Elles ont un caractère général et n’affectent pas la commercialisation des produits originaires d’autres États membres d’une manière différente de celle des produits nationaux. Ces réglementations ne sont pas de nature à conditionner directement l’accès au marché du produit en cause. Elles peuvent néanmoins avoir un effet indirect sur les importations, dans la mesure où elles peuvent effectivement conduire à une réduction des ventes.

70.      Contrairement à sa jurisprudence antérieure, la Cour a donc considéré que ces réglementations ne constituent pas des mesures d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE, dans la mesure où celles‑ci s’appliquent «à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national» et où elles affectent «de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d’autres États membres» (40).

71.      La Cour a alors précisé que, dès lors que ces conditions sont remplies, «l’application de réglementations de ce type à la vente des produits en provenance d’un autre État membre et répondant aux règles édictées par cet État n’est pas de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage qu’elle ne gêne celui des produits nationaux» (41).

72.      Quelle est la raison d’être de la distinction opérée par la Cour entre les deux catégories de réglementations?

73.      Les produits tels qu’ils sont avec leur composition, leur dénomination, leur forme, leur étiquetage et leur emballage doivent en principe pouvoir être exportés dans tous les États membres, dès lors que, sur ces points, ils répondent aux prescriptions de leur État d’origine. L’application de la législation de l’État d’importation n’est licite que si elle peut être justifiée par un motif supérieur d’intérêt général. Il s’agit de ne pas entraver, plus qu’il n’est nécessaire, l’accès des produits au marché de l’État membre d’importation et d’éviter ainsi que l’industrie nationale bénéficie d’une protection.

74.      En revanche, à partir du moment où, comme tels, ces produits ont accès au marché de l’État membre d’importation, ils doivent pouvoir être soumis aux «règles de commercialisation» qui sont en vigueur dans cet État. À cet égard, ils doivent être sur un pied d’égalité avec les produits nationaux.

75.      L’introduction d’une telle distinction nous paraît inspirée par le souci d’assurer l’existence d’un régime juridique équilibré. En effet, l’examen de la jurisprudence de la Cour montre un conflit latent entre, d’une part, la volonté du juge communautaire de conférer à l’article 28 CE un rôle d’«instrument garde‑fou» contre les différentes formes de protectionnisme économique des États membres et, d’autre part, la préoccupation marquée de la Cour de ne pas empiéter dans certains domaines de la politique intérieure de ces États.

76.      À cet égard, la présente affaire est au cœur de cette problématique.

77.      L’arrêt Keck et Mithouard, précité, a suscité de la perplexité. Beaucoup ont regretté les contradictions qu’il contient, son absence de motivation et de clarté (42). La mise en œuvre des critères dégagés dans cet arrêt a entraîné de nombreuses difficultés d’interprétation auxquelles la Cour a dû faire face et qui n’ont pu être résolues qu’au cas par cas.

78.      Nous retiendrons, notamment, deux critiques à l’égard de cette jurisprudence.

79.      Premièrement, nous pensons, comme d’autres avant nous, qu’une distinction entre différentes catégories de mesures n’est pas appropriée (43).

80.      En effet, s’il est légitime de tenter de développer des présomptions quant aux effets sur le marché de différentes catégories de mesures, l’existence d’une restriction peut dépendre également d’autres facteurs, tels que le mode d’application de la réglementation en cause et ses effets concrets sur les échanges.

81.      La distinction à laquelle procède la Cour peut donc être artificielle et la ligne de démarcation entre ces différentes catégories de mesures peut être incertaine (44). Dans certains cas, la Cour qualifie des réglementations relatives aux caractéristiques des produits de «modalités de vente» (45). Dans d’autres cas, elle traite des mesures relatives aux modalités de vente d’une marchandise comme des règles concernant les caractéristiques des produits. C’est le cas, notamment, des mesures réglementant la publicité lorsque celles‑ci ont un effet sur le conditionnement du produit (46). Enfin, il peut arriver que la Cour s’écarte de cette distinction pour procéder à une analyse uniquement fondée sur les effets de la réglementation (47). Ces exemples démontrent les difficultés que la Cour peut rencontrer dans la qualification de certaines mesures. Il est donc, selon nous, difficile de procéder par catégorie alors même que, dans la pratique, le juge national et le juge communautaire peuvent rencontrer des réglementations très diverses, qu’ils doivent apprécier au regard des circonstances de chaque cas d’espèce.

82.      Deuxièmement, en dégageant de nouveaux critères et en établissant un régime de contrôle différent selon le type de mesures en cause, cette jurisprudence a entraîné une différenciation dans la manière dont sont appréhendées les restrictions à la libre circulation des marchandises par rapport au régime applicable aux autres libertés de circulation (48).

83.      En effet, comme nous le verrons, la manière dont sont appréhendées les restrictions à ces différentes libertés a ceci de commun qu’elle se fonde sur un critère unique, celui de l’accès au marché. Or, adopter une approche différente dans le domaine de la libre circulation des marchandises n’est, selon nous, pas cohérent au regard des exigences liées à la construction d’un marché unique européen et de l’émergence d’une citoyenneté de l’Union.

84.      Au regard de ce qui précède, il nous semble donc que les critères dégagés par la Cour dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, n’ont pas permis de clarifier le champ d’application de l’article 28 CE et de faciliter la mise en œuvre de celui‑ci.

85.      Néanmoins, comme l’avocat général Poiares Maduro, nous ne pensons pas qu’il soit aujourd’hui opportun de revenir sur cette jurisprudence (49).

86.      Nous ne sommes pas non plus d’avis qu’il faille étendre ladite jurisprudence aux réglementations qui, comme celles en cause dans l’affaire au principal, sont relatives aux «modalités d’utilisation» des produits.

2.      Les raisons pour lesquelles nous ne sommes pas favorable à une extension de la jurisprudence Keck et Mithouard, précitée, aux mesures réglementant les modalités d’utilisation des produits

87.      Étendre la jurisprudence Keck et Mithouard, précitée, aux réglementations relatives aux modalités d’utilisation des produits présente, selon nous, un certain nombre d’inconvénients, alors même que la «grille d’analyse classique» de la Cour nous semble pleinement satisfaisante.

88.      Premièrement, une telle solution reviendrait à introduire une nouvelle catégorie d’exception à l’application de l’article 28 CE. Or, nous n’y sommes pas favorable, et ce pour plusieurs raisons.

89.      D’une part, nous ne sommes pas certain que les raisons qui ont conduit la Cour à exclure du champ d’application de l’article 28 CE les réglementations relatives aux modalités de vente des produits se retrouvent également dans le cas des mesures réglementant leurs modalités d’utilisation. En effet, sauf erreur de notre part, la Cour n’a pas été saisie d’un nombre extrêmement important de recours introduits contre ce type de mesures.

90.      D’autre part, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, nous considérons que l’établissement de distinctions entre différentes catégories de réglementations n’est pas approprié. Un tel procédé est artificiel et peut être une source de confusion pour le juge national.

91.      Enfin, nous pensons qu’exclure du champ d’application de l’article 28 CE les mesures nationales réglementant non seulement les modalités de vente des marchandises, mais également leurs modalités d’utilisation est contraire aux objectifs que vise le traité, à savoir la création d’un marché unique et intégré. À notre avis, une telle solution porterait atteinte à l’effet utile de l’article 28 CE, puisqu’elle reviendrait à réintroduire la possibilité pour les États membres de légiférer dans des domaines que le législateur a voulu, au contraire, communautariser. Or, tel n’est pas la direction que doivent emprunter la construction européenne et la création d’un marché unique européen. En effet, un produit doit pouvoir circuler, sans entrave, au sein du marché commun et les mesures nationales qui, de quelque façon que ce soit, créent un obstacle dans les échanges intracommunautaires doivent pouvoir être justifiées par les États membres.

92.      Deuxièmement, nous considérons qu’il n’y a aucun intérêt à limiter le contrôle de la Cour sur des mesures qui, en réalité, peuvent constituer un obstacle sérieux aux échanges intracommunautaires.

93.      En effet, le contrôle juridictionnel auquel procède la Cour selon la «grille d’analyse classique» définie dans les arrêts précités Dassonville et Cassis de Dijon est, à notre avis, pleinement satisfaisant et nous ne voyons aucune raison de nous en écarter.

94.      Cette grille d’analyse permet non seulement à la Cour de contrôler le respect par les États membres des dispositions du traité, mais elle laisse également à ces derniers la marge de manœuvre nécessaire pour la défense de leurs intérêts légitimes.

95.      En effet, nous rappelons que, pour éviter que la libéralisation des échanges n’affecte la poursuite d’autres intérêts généraux, le législateur communautaire et la Cour, à travers son œuvre jurisprudentielle, ont prévu des exceptions au principe de libre circulation des marchandises (50).

96.      L’article 30 CE établit ainsi une liste de justifications que les États membres peuvent invoquer pour adopter des restrictions à la libre circulation des marchandises. Cette liste est limitative et d’interprétation stricte (51).

97.      Parallèlement, la Cour a, au fil de sa jurisprudence, défini des «exigences impérieuses d’intérêt général», parmi lesquelles figurent les préoccupations liées à l’environnement ou bien encore la défense des consommateurs (52). Ainsi, en l’absence d’harmonisation communautaire, une mesure nationale adoptée pour protéger l’environnement peut constituer une «exigence impérative» susceptible, au sens de l’arrêt Cassis de Dijon, précité, de limiter l’application de l’article 28 CE.

98.      La reconnaissance par le législateur et le juge communautaires de cas dans lesquels il peut être légitime de restreindre la libre circulation des marchandises ne donne pas pour autant une «carte blanche» aux États membres. En effet, même si les mesures adoptées par ces derniers peuvent être justifiées par des motifs d’intérêts généraux, celles‑ci doivent néanmoins être nécessaires et proportionnées (53).

99.      En outre, cette grille d’analyse permet à la Cour d’assurer un contrôle juridictionnel sur l’ensemble des mesures adoptées par les États membres.

100. Ce contrôle est nécessaire. Il faut, en effet, s’assurer que les États membres tiennent compte de la mesure dans laquelle les règles qu’ils adoptent sont susceptibles d’affecter la libre circulation des marchandises et la jouissance par les acteurs du marché des libertés de circulation. Il faut également éviter que les juridictions nationales soient amenées à exclure de trop nombreuses mesures de l’interdiction prévue par cette disposition. Il est donc nécessaire de considérer la notion de restriction dans un sens large.

101. Dans le même temps, ce contrôle juridictionnel doit rester limité, puisque le rôle de la Cour n’est pas de mettre systématiquement en cause les mesures de police que les États membres pourraient adopter. C’est alors le contrôle de proportionnalité qui permet à la Cour de procéder à une pondération d’intérêts entre les préoccupations liées à la réalisation du marché intérieur et la protection des intérêts légitimes des États membres (54).

102. Au regard de ce qui précède, nous ne voyons donc aucune raison d’écarter cette grille d’analyse au profit d’une solution qui, finalement, aboutirait à vider d’une partie de son contenu l’une des dispositions‑clés du traité.

103. Troisièmement, nous pensons que la jurisprudence Keck et Mithouard, précitée, ne peut être étendue ni à une réglementation qui interdit l’utilisation d’un produit ni même à une réglementation qui fixe les modalités d’utilisation de celui‑ci.

104. En effet, la réglementation en cause dans notre affaire, en tant qu’elle interdit purement et simplement l’utilisation d’un produit et le prive ainsi de toute utilité, constitue, par nature, une entrave à la libre circulation des marchandises. Même si cette réglementation s’applique de la même façon aux produits nationaux et aux produits importés, elle empêche ces derniers d’accéder au marché. Cela constitue à l’évidence une restriction, et un examen fondé sur une articulation entre les articles 28 CE et 30 CE s’impose.

105. Tel est également le cas, selon nous, des mesures qui fixent les modalités d’utilisation d’un produit. Même si ces mesures n’ont, en principe, pas pour objet de régler les échanges de marchandises entre les États membres, elles peuvent néanmoins avoir des effets sur le commerce intracommunautaire en affectant l’accès au marché du produit concerné. Il est donc préférable, à notre avis, d’examiner ce type de mesures au regard des règles du traité plutôt que de les faire sortir du champ d’application de celui‑ci.

106. Au regard de ce qui précède, nous sommes donc d’avis que les dispositions nationales réglementant l’utilisation d’un produit ne doivent pas être appréciées au regard des critères dégagés par la Cour dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité, mais doivent être examinées à la lumière de l’article 28 CE.

107. L’examen auquel doit procéder le juge communautaire devrait, selon nous, s’exercer sur la base d’un critère formulé à la lumière de l’objectif poursuivi par l’article 28 CE et commun à l’ensemble des restrictions aux libertés de circulation, à savoir le critère de l’accès au marché (55).

3.      Un contrôle juridictionnel fondé sur le critère relatif à l’accès au marché

108. Nous rappelons que, aux termes de l’article 28 CE, le traité interdit les «mesures d’effet équivalent» entre les États membres (56). Dans le cadre du contrôle juridictionnel d’une réglementation nationale, il serait donc plus conforme à la lettre et à l’esprit du traité de recourir à une appréciation concrète des effets sur le marché de cette réglementation.

109. Le critère que nous proposons serait donc un critère général qui se fonde davantage sur l’effet de la mesure sur l’accès au marché que sur l’objet de la réglementation en cause. Ce critère s’appliquerait donc à tous les types de réglementations, qu’il s’agisse d’exigences liées aux caractéristiques d’un produit, de modalités de vente ou encore de modalités d’utilisation.

110. Ledit critère s’articulerait autour de la mesure dans laquelle une réglementation nationale entrave le commerce entre les États membres (57).

111. Selon ce critère, une législation nationale constituerait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, contraire au traité, lorsqu’elle empêche, gêne ou rend plus difficile l’accès au marché des produits originaires des autres États membres.

112. Avec un tel critère, les États membres devraient uniquement justifier les mesures qui entravent le commerce intracommunautaire. Cela permettrait de trouver un équilibre plus approprié entre les exigences liées au bon fonctionnement du marché commun et celles liées au nécessaire respect des compétences souveraines des États membres.

113. Quant à la mise en œuvre de ce critère, nous pensons, comme la Commission, que le juge communautaire devrait procéder à un examen au cas par cas. Dans le cadre de ce contrôle, la Cour examinerait in concreto l’étendue de l’obstacle au commerce intracommunautaire que cause la mesure limitant l’accès au marché.

114. Un examen de la jurisprudence de la Cour nous donne quelques indications sur l’application d’un tel critère.

115. En ce qui concerne, tout d’abord, les mesures opérant une discrimination ouverte, l’entrave au commerce intracommunautaire est évidente. De telles mesures sont interdites en soi par l’article 28 CE.

116. En ce qui concerne, ensuite, les autres catégories de mesures, il est nécessaire d’examiner leur impact concret sur les courants d’échanges, mais l’analyse à laquelle devrait procéder la Cour ne devrait pas entraîner d’appréciation économique complexe. En effet, selon la Cour, l’article 28 CE ne fait pas de distinction entre les réglementations qui peuvent être qualifiées de mesures d’effet équivalent à une restriction quantitative selon l’intensité de leurs effets sur les échanges intracommunautaires (58).

117. La Cour doit néanmoins disposer d’indications suffisantes lui permettant d’établir que ces mesures sont de nature à entraver ou à gêner le commerce entre les États membres. Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour que les effets purement hypothétiques (59) ou totalement aléatoires et indirects (60) ou encore simplement insignifiants (61) ne sont pas suffisants pour que les mesures soient qualifiées de mesures d’effet équivalent à une restriction quantitative, contraires à l’article 28 CE. Cette entrave n’a donc pas besoin d’être actuelle et significative, mais elle doit être au moins possible. Tel sera, par exemple, le cas des mesures indistinctement applicables, fixant les conditions relatives aux caractéristiques des produits.

118. L’emploi d’un critère unique et simple, relatif à l’accès au marché, permettrait de rapprocher les régimes de contrôle des restrictions aux différentes libertés de circulation. En effet, ainsi que nous l’avons indiqué, les critères dégagés dans la jurisprudence Keck et Mithouard, précitée, ont entraîné une différenciation dans la manière dont sont appréhendées les restrictions à la libre circulation des marchandises par rapport aux autres libertés. Or, une approche commune entre ces différentes libertés s’impose au regard, notamment, des exigences liées à la construction du marché unique européen et de l’émergence d’une citoyenneté européenne.

119. Évidemment, les analogies entre les libertés de circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux ne sont pas parfaites. Néanmoins, la manière dont sont appréhendées les restrictions à ces différentes libertés a ceci de commun qu’elle se fonde sur l’existence d’une entrave à l’accès au marché.

120. Dans le domaine de la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, la Cour examine si la mesure litigieuse interdit, gêne ou rend moins attrayant l’exercice de la liberté en cause et juge contraire au traité une réglementation qui affecte, par exemple, l’accès d’un travailleur au marché de l’emploi ou qui empêche l’accès de capitaux à un marché financier.

121. La Cour l’a récemment rappelé dans l’arrêt Gouvernement de la Communauté française et Gouvernement wallon, dans lequel il est précisé que «les articles 39 CE et 43 CE s’opposent à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants communautaires, des libertés fondamentales garanties par le traité» (62).

122. Parmi ces mesures figurent celles qui, tout en étant indistinctement applicables, affectent une modalité d’exercice de l’activité concernée et ont pour effet de priver un opérateur économique d’un moyen efficace de concurrence pour pénétrer un marché (63).

123. Ainsi, dans l’arrêt CaixaBank France, précité, la Cour a considéré que la législation française interdisant la rémunération des comptes de dépôts était une restriction au sens de l’article 43 CE, dans la mesure où elle constituait pour les sociétés implantées dans un État membre autre que la République française un «obstacle sérieux à l’exercice de leurs activités» affectant ainsi leur accès au marché français (64).

124. En ce qui concerne, encore, la libre prestation des services, la Cour a également jugé dans l’arrêt Fidium Finanz (65), relatif à une réglementation allemande exigeant un agrément préalable dans l’État membre dans lequel la prestation est fournie, que le régime litigieux avait pour effet d’entraver l’accès au marché financier allemand des opérateurs économiques n’ayant pas les aptitudes requises par la loi allemande et notamment des sociétés établies dans des États tiers (66).

125. Dans cette même affaire, même si l’aspect relatif à la libre circulation des capitaux a été jugé accessoire, la Cour a relevé que cette réglementation rendait moins accessibles aux clients établis en Allemagne les prestations de services financiers proposées par des sociétés établies en dehors de l’Espace économique européen et entraînait ainsi une diminution des flux financiers transfrontaliers afférents à de telles prestations (67).

126. En ce qui concerne, enfin, la libre circulation des travailleurs, la Cour a considéré dans l’arrêt Graf (68) qu’une disposition même indistinctement applicable qui empêche ou dissuade un ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer son droit à la libre circulation constitue une entrave à cette liberté. À cet égard, la Cour a rappelé que «pour être aptes à constituer de telles entraves, il faut [que les mesures en cause] conditionnent l’accès des travailleurs au marché du travail» (69). C’est ce qu’elle avait déjà jugé dans l’arrêt Bosman (70), relatif à une réglementation régissant le transfert d’un footballeur professionnel d’un club à un autre (71).

127. Ces réglementations constituent des restrictions contraires au traité dans la mesure où, en entravant l’accès de nouveaux opérateurs au marché, elles sont objectivement des barrières aux libertés de circulation. De telles mesures figent le marché concerné dans son état actuel et sont donc, par nature, contraires aux libertés de circulation et à la concurrence, sur lesquelles se fonde justement le marché commun (72).

128. Dans le domaine de la libre circulation des marchandises, le critère de l’accès au marché est sous‑jacent à l’approche jurisprudentielle de la Cour.

129. Dans l’arrêt Dassonville, précité, la Cour a défini la notion de mesure d’effet équivalent comme étant, nous le rappelons, «toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver […] le commerce intracommunautaire» (73). Puis, dans son arrêt Keck et Mithouard, précité, la Cour a considéré que des dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente échappent au domaine d’application de l’article 28 CE, si elles ne sont pas «de nature à empêcher [l’accès au marché des produits en provenance d’un autre État membre] ou à le gêner davantage qu’elle[s] ne gêne[nt] celui des produits nationaux» (74). En distinguant différentes catégories de mesures, la Cour a donc tenté d’identifier les conditions dans lesquelles chacune de ces catégories peut affecter l’accès au marché (75).

130. Il existe de nombreux exemples jurisprudentiels fondés, en réalité, sur ce critère. Dans l’arrêt Gourmet International Products (76), par exemple, la Cour a relevé qu’une réglementation qui interdit toute diffusion de messages publicitaires pour les boissons alcooliques en direction des consommateurs constitue une entrave au commerce intracommunautaire, entrant dans le champ d’application de l’article 28 CE, dans la mesure où elle est de nature à gêner davantage l’accès au marché des produits originaires d’autres États membres que celui des produits nationaux (77). De la même façon, dans l’arrêt De Agostini et TV‑Shop, précité, relatif à une interdiction totale de publicité télévisuelle destinée aux enfants, la Cour a estimé qu’une réglementation nationale qui prive un annonceur de la seule forme de promotion lui permettant de pénétrer sur le marché en cause peut constituer une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative (78).

131. Comme l’avait relevé l’avocat général Tizzano dans ses conclusions rendues dans l’affaire CaixaBank France, précitée, nous retrouvons donc un critère de même nature dans la jurisprudence relative à la libre circulation des marchandises que celui appliqué dans le cadre des autres libertés (79).

132. L’utilisation d’un même critère pour l’ensemble des libertés de circulation permet de résoudre plus facilement les hypothèses dans lesquelles des mesures soumises à l’examen de la Cour sous l’angle de la libre circulation des marchandises peuvent également être qualifiées de restrictions aux autres libertés de circulation.

133. Si, dans la majorité des cas, la Cour examine ce type de mesures au regard de l’une seulement des libertés fondamentales (80), la Cour a parfois considéré que l’aspect de la libre circulation des marchandises et celui de la libre prestation des services, par exemple, étaient intimement liés et a donc examiné, d’une manière simultanée, la restriction en cause au regard des articles 28 CE et 49 CE.

134. Ainsi, dans l’arrêt Canal Satélite Digital (81), la Cour a jugé qu’une réglementation qui soumet la commercialisation de certains équipements ainsi que la prestation de services y afférents à une procédure d’autorisation préalable était contraire aux principes de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services, dans la mesure où, par la durée de la procédure et les frais qu’elle engendrait, elle était susceptible de dissuader les opérateurs concernés de poursuivre leur projet (82).

135. En outre, nous trouvons également des cas dans lesquels la Cour a appliqué par analogie au domaine des autres libertés de circulation les critères dégagés dans l’arrêt Keck et Mithouard, précité. Ainsi, dans l’arrêt Alpine Investments (83), relatif à la libre prestation des services, le juge communautaire a précisément mis l’accent sur la circonstance que, à la différence de l’affaire Keck et Mithouard, précitée, l’interdiction en cause dans cette affaire «[conditionnait] directementl’accès au marché des services dans les autres États membres [et était] ainsi apte à entraver le commerce intracommunautaire des services» (84).

136. Au regard de ce qui précède, nous sommes donc d’avis qu’une réglementation nationale est susceptible de constituer une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, contraire au traité, si celle‑ci entrave l’accès d’un produit au marché, et ce quel que soit l’objet de la mesure en cause.

137. Ainsi, pour répondre à la question posée par la Cour dans le cadre de cette procédure, nous considérons que des dispositions nationales qui régissent les conditions d’utilisation d’un produit, et qui sont indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés d’autres États membres, constituent des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation au sens de l’article 28 CE si celles‑ci entravent l’accès au marché du produit concerné.

138. C’est au regard de ces éléments que nous allons examiner la conformité de la mesure en cause avec le principe de libre circulation des marchandises garanti par l’article 28 CE.

V –    Sur le manquement

139. Le recours de la Commission tend, nous le rappelons, à faire constater par la Cour que, en interdisant aux cyclomoteurs, aux motocycles, aux tricycles et aux quadricycles d’atteler une remorque, la réglementation italienne introduit une entrave à la libre circulation des marchandises contraire au traité.

A –    Principaux arguments des parties (85)

140. À titre liminaire, la Commission rappelle que, en l’absence d’harmonisation au niveau communautaire des règles relatives à l’homologation, à l’immatriculation et à la circulation des remorques pour cyclomoteurs, les articles 28 CE et 30 CE s’appliquent.

141. La Commission indique que la réglementation italienne empêche l’utilisation des remorques légalement produites et commercialisées dans les autres États membres, ce qui entrave, selon elle, leur importation et leur vente en Italie. Une telle interdiction ne pourrait donc être jugée compatible avec le traité que si elle était justifiée par l’un des motifs énumérés à l’article 30 CE ou par l’une des exigences impératives consacrées par la jurisprudence de la Cour.

142. À cet égard, la Commission relève que le fait que la République italienne autorise les cyclomoteurs immatriculés dans d’autres États membres à circuler sur son territoire malgré l’attelage d’une remorque prouve que la réglementation en cause ne répond à aucune exigence en matière de sécurité routière.

143. Enfin, la Commission souligne que les considérants des directives 93/93 et 97/24, invoqués par la République italienne au soutien de sa législation, n’ont, en vertu d’une jurisprudence constante, aucun caractère obligatoire et ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de rendre compatibles avec le droit communautaire des réglementations nationales telles que celle en cause dans le présent recours.

144. En réponse à ces arguments, la République italienne rétorque que l’infraction qui lui est reprochée concerne l’interdiction pour les cyclomoteurs immatriculés en Italie de tirer des remorques et non le refus d’immatriculation d’un cyclomoteur et d’une remorque fabriqués dans un autre État membre et destinés à être commercialisés sur le territoire italien.

145. La République italienne soutient, en outre, que la réserve figurant aux derniers considérants des directives 93/93 et 97/24 autorise la mesure litigieuse. Selon elle, une telle réserve s’explique en raison des différences de reliefs existant entre les territoires nationaux. Celle‑ci ne pourrait être levée que si les règles techniques relatives à l’homologation, à l’immatriculation et à la circulation sur route des remorques tractées par des véhicules à moteur à deux ou trois roues étaient harmonisées (86). Or, la République italienne relève que le droit communautaire applicable ne prévoit pas une telle harmonisation. Dès lors, la reconnaissance mutuelle des remorques demeurerait un pouvoir discrétionnaire des États membres.

146. La République italienne souligne, enfin, que les caractéristiques techniques des véhicules sont importantes du point de vue de la sécurité routière. À cet égard, les autorités italiennes considèrent que, en l’absence de normes d’homologation relatives aux véhicules tractant une remorque, les conditions de sécurité requises ne sont pas réunies.

B –    Appréciation

147. À titre liminaire, il convient de relever que le droit communautaire ne réglemente pas les règles de conduite et de circulation, notamment des véhicules couplés à une remorque.

148. En l’absence de dispositions d’harmonisation au niveau communautaire, les États membres peuvent donc définir le niveau de protection de la sécurité routière qu’ils jugent approprié sur leur territoire et arrêter des mesures visant à protéger la sécurité publique. Ils peuvent dès lors prévoir des restrictions quant à l’utilisation des remorques.

149. Cependant, cette compétence ne saurait être exercée sans limites.

150. En effet, en l’absence de règles communes ou harmonisées, les États membres restent tenus de respecter les libertés fondamentales consacrées par le traité, au nombre desquelles figure, nous le rappelons, la liberté de circulation des marchandises (87). Comme nous l’avons indiqué, cette liberté garantit, aux termes de l’article 28 CE, la prohibition entre les États membres des restrictions quantitatives à l’importation ainsi que de toutes mesures d’effet équivalent.

151. La définition de la notion de mesure d’effet équivalent donnée par la Cour dans l’arrêt Dassonville, précité, a pour conséquence que toute réglementation nationale qui entrave l’accès au marché du produit importé tombe dans le champ d’application de l’article 28 CE.

152. Au regard de l’analyse que nous venons de mener, la question est donc de savoir si la législation italienne est susceptible d’entraver les échanges intracommunautaires et, notamment, d’empêcher les remorques légalement produites et commercialisées dans les autres États membres de pénétrer le marché italien.

153. Dans la présente affaire, la réglementation en cause est une mesure de police adoptée par le gouvernement italien en vue de garantir la sécurité des conducteurs et des usagers de la route. Elle figure, en tant que tel, dans le code de la route. Cette mesure interdit aux utilisateurs de remorques de les atteler à un cyclomoteur, à un motocycle, à un tricycle ou bien encore à un quadricycle, et ce sur l’ensemble du territoire italien. Il n’existe, semble‑t‑il, aucune dérogation à cette interdiction de principe. Contrairement à la réglementation en cause dans l’affaire Mickelsson et Roos, précitée, ladite mesure ne limite pas l’utilisation d’un produit, mais interdit purement et simplement son usage.

154. En outre, la mesure en cause ne fait aucune distinction selon que les remorques sont produites et commercialisées en Italie ou importées des autres États membres (88). En effet, la République italienne souligne, dans son mémoire en duplique, que la mesure d’interdiction concerne toutes les remorques, indépendamment du lieu de leur fabrication et de leur commercialisation (89).

155. Comme l’a indiqué la Commission dans ses observations écrites (90), les remorques visées par la réglementation en cause constituent un marché particulier. Celles‑ci présentent en effet des caractéristiques techniques spécifiques afin d’être attelées à des motos.

156. Au regard de ces éléments, nous estimons que la réglementation italienne impose de sérieuses restrictions aux producteurs et distributeurs de remorques établis dans les autres États membres, et ce tout en reconnaissant pleinement l’importance de la protection de la sécurité routière et en tenant compte de la conscience croissante qu’en ont la Communauté et les États membres.

157. En effet, l’interdiction en cause a pour effet de rendre pratiquement impossible la pénétration du marché italien.

158. En effet, la portée de l’interdiction est telle qu’elle ne laisse place à aucune utilisation autre que purement marginale des remorques. Ces dernières sont privées de toute utilité puisqu’elles ne peuvent pas être utilisées selon l’usage normal auquel elles sont destinées, à savoir augmenter la capacité du porte‑bagages de la moto. Cette interdiction dissuade donc les distributeurs de les importer. Une telle opération n’a en effet guère de sens si le détaillant sait qu’il n’y aura pas de vente ou de location du matériel (91). Elle aura donc pour effet de diminuer d’une manière significative les importations.

159. Par conséquent, nous considérons que la réglementation en cause, qui interdit purement et simplement l’utilisation d’une marchandise sur l’ensemble du territoire national, comporte une entrave substantielle, directe et immédiate au commerce intracommunautaire. Une telle réglementation constitue donc, selon nous, une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article 28 CE.

160. Néanmoins, cette mesure n’est pas nécessairement contraire au droit communautaire. Les libertés de circulation peuvent, nous l’avons vu, faire l’objet de restrictions de la part des États membres si ces dernières sont justifiées par un motif légitime et si elles sont appropriées et proportionnées.

161. En ce qui concerne la justification de ladite mesure, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une réglementation nationale qui entrave la libre circulation des marchandises peut être justifiée par l’un des motifs énumérés à l’article 30 CE ou par l’une des exigences impératives dégagées par la jurisprudence de la Cour dans le cas où la réglementation nationale est indistinctement applicable (92).

162. Dans le présent recours, la République italienne soutient que l’interdiction en cause a été édictée dans le but de garantir la sécurité routière.

163. Selon une jurisprudence constante, un tel objectif constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une entrave à la libre circulation des marchandises (93).

164. Néanmoins, cette interdiction doit être proportionnée. En effet, même s’il appartient aux États membres, en l’absence de règles harmonisées relatives à la circulation des motos tractant une remorque, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la sécurité des conducteurs et de la manière dont ce niveau doit être atteint, ceux-ci ne peuvent le faire que dans les limites définies par le traité et, en particulier, dans le respect du principe de proportionnalité.

165. Pour qu’une réglementation nationale soit conforme au principe de proportionnalité, il importe de vérifier, d’une part, si elle est propre à protéger l’intérêt visé et, d’autre part, si les moyens qu’elle met en œuvre ne vont pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (94).

166. Il est évident que cette législation peut être un moyen efficace de protéger les usagers de la route. En effet, comme l’avait relevé l’avocat général Léger dans les premières conclusions rendues dans la présente affaire, l’attelage d’une remorque à une moto peut, dans certaines circonstances, constituer un danger pour la circulation, dans la mesure où ce véhicule, lent, peut empiéter sur la chaussée d’une manière importante.

167. Néanmoins, il nous semble difficile d’admettre que la mesure attaquée puisse satisfaire à l’exigence de proportionnalité.

168. En effet, la législation italienne ne se borne pas à interdire l’utilisation des remorques couplées à une moto dans des localités précises ou sur des itinéraires particuliers, mais s’applique sur l’ensemble du territoire italien, quelles que soient les infrastructures routières et les conditions de circulation.

169. Les autorités italiennes ne font état d’aucun élément précis de nature à démontrer que ces exigences sont proportionnées au regard de l’objectif poursuivi. En outre, l’interdiction en cause ne concerne que les motos immatriculées en Italie (95). Les véhicules immatriculés dans les autres États membres sont donc autorisés à circuler avec une remorque sur les routes italiennes.

170. Par ailleurs, nous pensons que la sécurité des conducteurs visée par la législation italienne pourrait être assurée par des moyens beaucoup moins restrictifs de la liberté des échanges. Il conviendrait, par exemple, de définir à l’intérieur du pays les itinéraires jugés à risque – comme les franchissements montagneux, les autoroutes, ou bien encore les voies publiques particulièrement fréquentées – afin d’édicter des interdictions ou des limitations sectorielles. Cette alternative limiterait les risques liés à l’utilisation des remorques et serait certainement bien moins restrictive pour les échanges commerciaux.

171. En tout état de cause, nous considérons qu’il incombait aux autorités italiennes d’examiner attentivement, avant l’adoption d’une mesure aussi radicale qu’une interdiction générale et absolue, la possibilité de recourir à des mesures moins restrictives de la liberté de circulation et de ne les écarter que si leur caractère inadéquat, au regard de l’objectif poursuivi, était clairement établi. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités nationales aient procédé à un tel examen.

172. Compte tenu de ce qui précède, nous pensons que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE, en adoptant et en maintenant en vigueur une réglementation qui interdit, sur son territoire, l’utilisation des remorques couplées à un cyclomoteur, à un motocycle, à un tricycle ou à un quadricycle.

173. En ce qui concerne l’argument développé par la République italienne, selon lequel les derniers considérants des directives 93/93 et 97/24 autoriseraient les États membres à maintenir une telle réglementation, nous considérons qu’il ne permet pas de justifier la restriction édictée par la mesure en cause.

174. En effet, comme l’a relevé l’avocat général Léger dans ses conclusions rendues dans la présente affaire, le préambule d’un acte communautaire n’a, selon une jurisprudence constante, aucune valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué pour déroger aux dispositions de l’acte concerné ou pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé (96).

175. Or, il ressort d’une simple lecture de la directive 93/93 qu’aucun des considérants visés par la République italienne n’est repris dans le corps même de cette directive. À cet égard, et ainsi que l’a rappelé l’avocat général Léger au point 65 de ses conclusions dans la présente affaire, si le préambule d’une directive permet, en principe, de donner à la Cour des indications sur l’intention du législateur et sur le sens à donner aux dispositions de celle‑ci, il n’en reste pas moins que, lorsqu’une notion figurant dans un considérant ne trouve pas sa concrétisation dans le corps même de la directive, c’est bien le contenu de celle-ci qui doit primer (97).

176. En tout état de cause, nous rappelons qu’il ressort d’une jurisprudence constante qu’une disposition de droit dérivé, en l’occurrence une directive, «ne saurait être interprété[e] comme autorisant les États membres à imposer des conditions qui seraient contraires aux règles du traité relatives à la circulation des marchandises» (98).

177. Au regard de ce qui précède, nous proposons à la Cour de constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE, en adoptant et en maintenant en vigueur une réglementation qui interdit l’utilisation des remorques couplées à un cyclomoteur, à un motocycle, à un tricycle ou à un quadricycle.

VI – Sur les dépens

178. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle‑ci ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

VII – Conclusion

179. En vertu des considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour de:

–        constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE, en adoptant et en maintenant en vigueur une réglementation qui interdit l’utilisation des remorques couplées à un cyclomoteur, à un motocycle, à un tricycle ou à un quadricycle;

–        condamner la République italienne aux dépens.


1 – Langue originale: le français.


2 – Arrêt du 24 novembre 1993 (C‑267/91 et C‑268/91, Rec. p. I‑6097).


3 – Dans le cadre des présentes conclusions, nous emploierons également le terme «moto(s)» pour désigner l’ensemble de ces véhicules.


4 – En l’occurrence, à la troisième chambre.


5 – Directive du Conseil, du 30 juin 1992, relative à la réception des véhicules à moteur à deux ou trois roues (JO L 225, p. 72).


6 – Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 92/61, il faut entendre par «cyclomoteurs» les «véhicules à deux ou trois roues équipés d’un moteur d’une cylindrée ne dépassant pas 50 centimètres cubes si à combustion interne et ayant une vitesse maximale par construction ne dépassant pas 45 kilomètres par heure».


7 – Voir premier à troisième, douzième et dernier considérants.


8 – Voir huitième considérant.


9 – Directive du Conseil, du 29 octobre 1993, relative aux masses et dimensions des véhicules à moteur à deux ou trois roues (JO L 311, p. 76).


10 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 1997, relative à certains éléments ou caractéristiques des véhicules à moteur à deux ou trois roues (JO L 226, p. 1).


11 – Voir derniers considérants des directives 93/93 et 97/24.


12 – GURI n° 114, du 18 mai 1992, ci‑après le «code de la route».


13 – Cas dans lesquels il est nécessaire de posséder une autorisation administrative (par exemple, le port d’armes), ou d’avoir un certain âge pour pouvoir acquérir ou utiliser des produits donnés, ou bien les cas dans lesquels l’utilisation du produit est interdite dans certains endroits ou à certaines heures de la journée (par exemple, l’interdiction d’utiliser des téléphones portables dans les hôpitaux).


14 – Arrêt du 11 juillet 2000, Toolex (C‑473/98, Rec. p. I‑5681, points 34 à 37). Dans cet arrêt, la Cour a établi qu’une réglementation nationale contenant une interdiction de principe d’utiliser un produit donné constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, et ce y compris dans le cas où ladite réglementation prévoit un système de dérogations individuelles à cette interdiction.


15 – Le Royaume des Pays‑Bas cite l’exemple de réglementations nationales relatives à la limitation de vitesse sur les routes ou à l’utilisation de feux d’artifices.


16 – Arrêt du 14 septembre 2006 (C‑158/04 et C‑159/04, Rec. p. I‑8135).


17 – Arrêt du 9 février 1995 (C‑412/93, Rec. p. I‑179).


18 – Au point 44 de ses conclusions, l’avocat général Kokott définit les «modalités d’utilisation» comme les «réglementations nationales régissant le mode et le lieu d’utilisation de produits».


19 – Points 52 à 55.


20 – Point 87.


21 – Voir, notamment, arrêts du 30 avril 1996, CIA Security International (C‑194/94, Rec. p. I‑2201, point 40), dans lequel la Cour a précisé que la libre circulation des marchandises est «un des fondements de la Communauté», ainsi que Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour‑Marinopoulos, précité (point 14).


22 – 8/74, Rec. p. 837.


23 – Idem (point 5). Voir, également, arrêts du 12 mars 1987, Commission/Allemagne, dit «Loi de pureté pour la bière» (178/84, Rec. p. 1227, point 27); du 9 décembre 1997, Commission/France (C‑265/95, Rec. p. I‑6959, point 29); du 24 novembre 2005, Schwarz (C‑366/04, Rec. p. I‑10139, point 28), et du 10 avril 2008, Commission/Portugal (C‑265/06, non encore publié au Recueil, point 31 et jurisprudence citée).


24 – 120/78, Rec. p. 649.


25 – Cette affaire concerne une réglementation nationale fixant une teneur minimale en alcool de certaines boissons. La Cour a considéré que la législation allemande réservant la qualification de «liqueur de fruits» aux seules boissons alcoolisées titrant au‑dessus de 25 ° et qui, partant, rendait impossible la vente en République fédérale d’Allemagne de liqueurs françaises titrant entre 15 ° et 25 ° constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article 28 CE.


26 – Pour une critique de la jurisprudence de la Cour sur ce point, voir Hatzopoulos, V., «Exigences essentielles, impératives ou impérieuses: une théorie, des théories ou pas de théorie du tout?», Revue trimestrielle de droit européen, n° 2, avril‑juin 1998, p. 191.


27 – Voir, notamment, arrêt du 8 mai 2003, ATRAL (C‑14/02, Rec. p. I‑4431, point 64).


28 – Voir White, E., «In search of the limits to article 30 of the EEC Treaty», Common Market Law Review, 1989, n° 2, p. 235, et Reich, N., «The ‘November Revolution’ of the European Court of Justice: Keck, Meng and Audi Revisited», Common Market Law Review, 1994, p. 449.


29 – 155/80, Rec. p. 1993.


30 – Points 12 et 16.


31 – 75/81, Rec. p. 1211.


32 – Points 8 et 9.


33 – Point 14. Dans le même sens, voir les considérations exposées aux points 31 et 32 des conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire Graf (arrêt du 27 janvier 2000, C‑190/98, Rec. p. I‑493).


34 – Arrêt Keck et Mithouard, précité (point 13).


35 – Ibidem (point 15). Voir, également, arrêts du 10 novembre 1982, Rau Lebensmittelwerke (261/81, Rec. p. 3961), relatif à une obligation d’utiliser une forme d’emballage; du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne (179/85, Rec. p. 3879), relatif à une restriction à l’usage de certaines formes de bouteilles; du 2 février 1994, Verband Sozialer Wettbewerb, dit «Clinique» (C‑315/92, Rec. p. I‑317), relatif à la dénomination d’un produit cosmétique; du 1er juin 1994, Commission/Allemagne (C‑317/92, Rec. p. I‑2039), relatif à l’indication des dates de péremption; du 13 mars 1997, Morellato (C‑358/95, Rec. p. I‑1431), relatif à la composition du pain; du 18 septembre 2003, Morellato (C‑416/00, Rec. p. I‑9343), relatif à la nécessité de modifier l’étiquette des produits importés, ainsi que Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour‑Marinopoulos, précité, relatif à une réglementation nationale qui soumet la vente de produits «bake‑off» aux mêmes exigences que celles applicables aux pains et produits de boulangerie traditionnels.


36 – Arrêt Keck et Mithouard, précité (point 15).


37 – Voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1993, Hünermund e.a. (C‑292/92, Rec. p. I‑6787, points 19 à 21), relatif à une interdiction imposée aux pharmaciens de faire de la publicité des produits parapharmaceutiques aux cinémas, à la radio ou à la télévision; Leclerc‑Siplec, précité (points 21 et 22), à propos d’une mesure nationale interdisant la publicité télévisée en faveur d’entreprises du secteur de la distribution, et du 9 juillet 1997, De Agostini et TV‑Shop (C‑34/95 à C‑36/95, Rec. p. I‑3843, point 39), concernant une interdiction totale de publicité télévisuelle destinée aux enfants.


38 – Voir, notamment, arrêts du 29 juin 1995, Commission/Grèce (C‑391/92, Rec. p. I‑1621, points 13 à 15), relatif à une réglementation réservant la vente des laits transformés du premier âge aux pharmacies, et du 14 décembre 1995, Banchero (C‑387/93, Rec. p. I‑4663, points 34 à 36), à propos d’une réglementation réservant la vente au détail des tabacs aux distributeurs autorisés.


39 – Voir, notamment, arrêts du 2 juin 1994, Tankstation ’t Heukske et Boermans (C‑401/92 et C‑402/92, Rec. p. I‑2199, points 12 à 14), concernant une mesure réglementant les horaires d’ouverture des stations‑service, et Punto Casa et PPV (C‑69/93 et C‑258/93, Rec. p. I‑2355, points 12 à 14), à propos d’une réglementation italienne concernant la fermeture des commerces de détail le dimanche.


40 – Arrêt Keck et Mithouard, précité (point 16).


41 – Ibidem (point 17).


42 – Voir, notamment, Picod, F., «La nouvelle approche de la Cour de justice en matière d’entraves aux échanges», Revue trimestrielle de droit européen, n° 2, avril‑juin 1998, p. 169; Mattera, A., «De l’arrêt ‘Dassonville’ à l’arrêt ‘Keck’: l’obscure clarté d’une jurisprudence riche en principes novateurs et en contradictions», Revue du Marché Unique Européen, n° 1, 1994, p. 117; Weatherill, S., «After Keck: some thoughts on how to clarify the clarification», Common Market Law Review, 1996, p. 885; Kovar, R., «Dassonville, Keck et les autres: de la mesure avant toute chose», Revue trimestrielle de droit européen, n° 2, avril‑juin 2006, p. 213, et Poiares Maduro, M., «Keck: The End? The Beginning of the End? Or Just the End of the Beginning?», Irish Journal of European Law, 1994, p. 36.


43 – Voir point 38 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Leclerc‑Siplec, précitée.


44 – Voir, pour une illustration, Picod, F., op.cit., spécialement p. 172 à 177, ainsi que points 27 à 29 et 31 des conclusions de l’avocat général Poiares Maduro, dans l’affaire Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour‑Marinopoulos, précitée.


45 – Ainsi, dans l’arrêt du 18 septembre 2003, Morellato, précité, la Cour a jugé que, dans les circonstances du cas d’espèce, «une exigence de conditionnement […] ne concernant que la commercialisation du pain résultant de la cuisson finale du pain précuit est, en principe, de nature à échapper au domaine d’application de l’article [28 CE], à condition qu’elle ne constitue pas, en réalité, une discrimination envers les produits importés» (point 36). Il semble que la Cour se soit fondée sur le fait que l’exigence de conditionnement et donc d’adaptation du produit n’était imposée qu’au stade final de la commercialisation du produit, de telle sorte que l’accès lui‑même du produit importé au marché national n’était pas en cause.


46 – Arrêt du 6 juillet 1995, Mars (C‑470/93, Rec. p. I‑1923). Cette affaire concerne une réglementation allemande qui interdisait l’importation et la commercialisation d’un produit légalement commercialisé dans un autre État membre, dont la quantité avait été augmentée à l’occasion d’une campagne publicitaire et dont l’emballage portait la mention «+ 10 %». La Cour a considéré que cette réglementation était de nature à entraver le commerce intracommunautaire, dans la mesure où elle contraignait l’importateur à aménager de façon différente la présentation de ses produits en fonction du lieu de commercialisation, et à supporter par conséquent des frais supplémentaires de conditionnement et de publicité (point 13).


47 – Voir, notamment, arrêts du 5 octobre 1994, Centre d’insémination de la Crespelle (C‑323/93, Rec. p. I‑5077, point 29), à propos de la réglementation française imposant aux opérateurs économiques qui importaient des semences provenant d’un autre État membre de les livrer à un centre bénéficiaire d’une concession exclusive, et du 23 octobre 1997, Franzén (C‑189/95, Rec. p. I‑5909, point 71), concernant le régime suédois d’autorisation portant sur l’importation et la commercialisation de boissons alcoolisées.


48 – Nous visons la libre circulation des personnes (articles 39 CE à 48 CE), des services (articles 49 CE à 55 CE) et des capitaux (articles 56 CE à 60 CE).


49 – Point 25 des conclusions dans l’affaire Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour‑Marinopoulos, précitée.


50 – Dans l’arrêt du 7 février 1985, ADBHU (240/83, Rec. p. 531), la Cour a déjà reconnu que «le principe de la liberté du commerce n’est pas à considérer d’une manière absolue mais est assujetti à certaines limites justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté, dès lors qu’il n’est pas porté atteinte à la substance de ces droits» (point 12).


51 – Voir, notamment, arrêt du 17 juin 1981, Commission/Irlande (113/80, Rec. p. 1625, point 7).


52 – Voir arrêts Cassis de Dijon, précité; du 29 novembre 1983, Roussel Laboratoria e.a. (181/82, Rec. p. 3849), et du 9 juillet 1992, Commission/Belgique, dit «Déchets wallons» (C‑2/90, Rec. p. I‑4431).


53 – Le juge communautaire vérifie donc si les moyens que les mesures mettent en œuvre sont propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et s’ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Voir, notamment, arrêts du 14 décembre 2004, Commission/Allemagne (C‑463/01, Rec. p. I‑11705, point 78), et Radlberger Getränkegesellschaft et S. Spitz (C‑309/02, Rec. p. I‑11763, point 79).


54 – Ainsi que la Cour l’a relevé dans un arrêt du 16 décembre 1992, B & Q (C‑169/91, Rec. p. I‑6635), relatif à une réglementation nationale restreignant l’ouverture des magasins le dimanche, le contrôle de proportionnalité doit «[mettre] en balance l’intérêt national à la réalisation [du but poursuivi] avec l’intérêt communautaire à la libre circulation des marchandises» (point 15).


55 – Voir, également, Picod, F., op. cit., spécialement p. 184 à 189; O’Keeffe, D., et Bavasso, A., F., «Four freedoms, one market and national competence: in search of a dividing line», Liber Amicorum Slynn, Kluwer Law International, La Haye, 2000, p. 541, spécialement p. 550; Barnard, C., «Fitting the remaining pieces into the goods and persons jigsaw», European Law Review, n° 1, 2001, vol. 26, p. 35; Snell, J., «Goods and services in EC Law: a study of the relationship between the freedoms», Oxford University Press, Londres, 2002; Oliver, P., et Enchelmaier, S., «Free movement of goods: recent developments in the case law», Common Market Law Review, 2007, p. 649, spécialement p. 666 à 671; Weatherill, S., op. cit.; Tryfonidou, A., «Was Keck a Half‑baked Solution After All?», Legal Issues of Economic Integration, Kluwer Law International, La Haye, 2007, p. 167, spécialement p. 178, et Prete, L., «Of Motorcycle Trailers and Personal Watercrafts: the Battle over ‘Keck’», Legal Issues of Economic Integration, Kluwer Law International, La Haye, 2008, p. 133. Voir aussi conclusions des avocats généraux Jacobs dans l’affaire Leclerc‑Siplec, précitée; Tizzano dans l’affaire CaixaBank France (arrêt du 5 octobre 2004, C‑442/02, Rec. p. I‑8961), et Poiares Maduro dans l’affaire Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour‑Marinopoulos, précitée.


56 – Souligné par nos soins.


57 – Ainsi que la Cour l’a relevé, la notion de marché commun vise à l’élimination de toutes les «entraves» aux échanges intracommunautaires (voir, à cet égard, arrêt du 5 mai 1982, Schul Douane Expediteur, 15/81, Rec. p. 1409, point 33).


58 – Voir, notamment, arrêt du 18 mai 1993, Yves Rocher (C‑126/91, Rec. p. I‑2361, point 21).


59 – Voir, notamment, arrêt B & Q, précité (point 15).


60 – Voir, notamment, arrêts du 7 mars 1990, Krantz (C‑69/88, Rec. p. I‑583, point 11); du 14 juillet 1994, Peralta (C‑379/92, Rec. p. I‑3453, point 24); du 30 novembre 1995, Esso Española (C‑134/94, Rec. p. I‑4223, point 24), et du 3 décembre 1998, Bluhme (C‑67/97, Rec. p. I‑8033, point 22).


61 – Arrêt du 26 mai 2005, Burmanjer e.a. (C‑20/03, Rec. p. I‑4133, point 31).


62 – Arrêt du 1er avril 2008 (C‑212/06, non encore publié au Recueil, point 45 et jurisprudence citée).


63 – Arrêt CaixaBank France, précité (points 12 et 14).


64 – Ibidem (point 12 et jurisprudence citée).


65 – Arrêt du 3 octobre 2006 (C‑452/04, Rec. p. I‑9521).


66 – Points 46 et 49.


67 – Point 48.


68 – Arrêt du 27 janvier 2000 (C‑190/98, Rec. p. I‑493).


69 – Point 23.


70 – Arrêt du 15 décembre 1995 (C‑415/93, Rec. p. I‑4921).


71 – Points 92 à 104, spécialement point 103.


72 – Voir, à cet égard, point 73 de nos conclusions dans l’affaire Corporación dermoestética (C‑500/06), pendante devant la Cour.


73 – Point 5 (souligné par nos soins).


74 – Point 17.


75 – Voir, notamment, conclusions des avocats généraux Fennelly dans l’affaire Graf, précitée (point 19), et Tizzano dans l’affaire CaixaBank France, précitée (point 72).


76 – Arrêt du 8 mars 2001 (C‑405/98, Rec. p. I‑1795).


77 – Points 18 à 25.


78 – Point 43. Voir, également, arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, Rec. p. I‑14887), dans lequel la Cour a qualifié de mesure d’effet équivalent une mesure d’interdiction de vente par correspondance de médicaments au motif qu’elle pourrait être de nature à gêner davantage l’accès au marché des produits en provenance d’autres États membres que celui des produits nationaux (point 74).


79 – Point 73. L’avocat général Tizzano visait notamment l’approche adoptée par la Cour dans le domaine de la libre circulation des personnes.


80 – La Cour procède ainsi lorsqu’il s’avère que l’une des libertés fondamentales est secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée. Voir, notamment, arrêts du 24 mars 1994, Schindler (C‑275/92, Rec. p. I‑1039, point 22), par rapport aux activités de loteries, et du 14 octobre 2004, Omega (C‑36/02, Rec. p. I‑9609, points 25 à 27), concernant l’exploitation et l’utilisation d’un modèle de jeu.


81 – Arrêt du 22 janvier 2002 (C‑390/99, Rec. p. I‑607).


82 – Point 41.


83 – Arrêt du 10 mai 1995 (C‑384/93, Rec. p. I‑1141), relatif à une réglementation néerlandaise interdisant le démarchage par téléphone.


84 – Point 38 (souligné par nos soins). Voir, également, arrêt du 13 janvier 2000, TK‑Heimdienst (C‑254/98, Rec. p. I‑151), relatif à la compatibilité avec l’article 28 CE d’une réglementation autrichienne réglementant la vente ambulante de produits de boulangerie, de boucherie‑charcuterie et alimentaires, dans lequel la Cour s’est expressément référée au critère de l’accès au marché et à la jurisprudence Alpine Investments, précitée (point 29).


85 – Nous nous référons, à cet égard, aux points 20 à 27 des conclusions de l’avocat général Léger dans cette affaire.


86 – La République italienne note, à cet égard, qu’une telle réglementation existe déjà pour les remorques tractées par d’autres types de véhicules.


87 – Voir, en ce sens, arrêt Commission/France, précité (points 24 et suiv.).


88 – Il ressort des pièces du dossier qu’il n’existerait aucune production nationale de remorques de ce type.


89 – Point 2.


90 – Nous nous référons à la pièce déposée par la Commission dans le cadre de la réouverture de la procédure (p. 3).


91 – Nous renvoyons, à cet égard, aux conclusions de l’avocat général Kokott rendues dans l’affaire Mickelsson et Roos, précitée. L’avocat général Kokott a en effet souligné, au point 45 de ses conclusions, que les mesures réglementant l’utilisation d’un produit (par exemple, l’interdiction de rouler hors des voies de circulation en forêt ou encore les limitations de vitesse sur autoroutes) peuvent dissuader certaines personnes d’acheter un véhicule tout‑terrain ou une voiture rapide au motif qu’elles ne pourraient pas en faire l’usage qu’elles souhaitent, de sorte que la restriction apportée à l’utilisation constituerait un obstacle potentiel au commerce intracommunautaire.


92 – Voir arrêt Cassis de Dijon, précité.


93 – Voir, concernant la sécurité routière, arrêt Commission/Portugal, précité (point 38 et jurisprudence citée). Voir, notamment, recommandation 2004/345/CE de la Commission, du 6 avril 2004, relative à l’application de la réglementation dans le domaine de la sécurité routière (JO L 111, p. 75); communication de la Commission, du 2 juin 2003, concernant le programme d’action européen pour la sécurité routière – Réduire de moitié le nombre de victimes de la route dans l’Union européenne d’ici 2010: une responsabilité partagée [COM(2003) 311 final], et résolution du Conseil, du 26 juin 2000, relative au renforcement de la sécurité routière (JO C 218, p. 1).


94 – Voir, notamment, arrêts précités du 14 décembre 2004, Commission/Allemagne (point 78), et Radlberger Getränkegesellschaft et S. Spitz (point 79), ainsi que du 20 septembre 2007, Commission/Pays‑Bas (C‑297/05, Rec. p. I‑7467, point 76 et jurisprudence citée).


95 – Point 2 du mémoire en défense de la République italienne.


96 – Voir, notamment, arrêts du 19 novembre 1998, Nilsson e.a. (C‑162/97, Rec. p. I‑7477, point 54), et du 24 novembre 2005, Deutsches Milch‑Kontor (C‑136/04, Rec. p. I‑10095, point 32 et jurisprudence citée).


97 – L’avocat général Léger fait référence au point 70 de ses conclusions dans l’affaire Meta Fackler (arrêt du 12 mai 2005, C‑444/03, Rec. p. I‑3913).


98 – Arrêt du 9 juin 1992, Delhaize et Le Lion (C‑47/90, Rec. p. I‑3669, point 26). Voir, également, arrêt Clinique, précité, dans lequel la Cour a dit pour droit qu’une «directive doit […], comme toute réglementation de droit dérivé, être interprétée à la lumière des règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises» (point 12).