Language of document : ECLI:EU:C:2012:295

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 15 mai 2012 (1)

Affaires jointes C‑581/10 et C‑629/10

Emeka Nelson,

Bill Chinazo Nelson,

Brian Cheimezie Nelson (C‑581/10)

contre

Deutsche Lufthansa AG

[demande de décision préjudicielle formée par l’Amtsgericht Köln (Allemagne)]

et

TUI Travel plc,

British Airways plc,

easyJet Airline Co. Ltd,

International Air Transport Association,

The Queen (C‑629/10)

contre

Civil Aviation Authority

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni)]

«Transport – Règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol – Droit à indemnisation en cas de retard de vol – Compatibilité de ce droit avec la convention de Montréal»





1.        Les présentes affaires portent sur l’interprétation et la validité des articles 5, 6 et 7 du règlement (CE) no 261/2004 (2).

2.        Par les questions qu’ils posent à la Cour, l’Amtsgericht Köln (Allemagne) et la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni), cherchent à savoir, en réalité, si la Cour confirme l’interprétation qu’elle a donnée de ces dispositions dans son arrêt du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a. (3), selon laquelle les passagers de vols retardés peuvent être assimilés aux passagers de vols annulés aux fins de l’application du droit à indemnisation et peuvent ainsi invoquer le droit à indemnisation prévu à l’article 7 du règlement no 261/2004 lorsqu’ils subissent, en raison d’un vol retardé, une perte de temps égale ou supérieure à trois heures, c’est-à-dire lorsqu’ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien (4).

3.        Dans les présentes conclusions, nous proposerons à la Cour de confirmer cette interprétation et de dire pour droit que les articles 5, 6 et 7 de ce règlement sont compatibles avec la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Montréal le 9 décembre 1999 (5), avec le principe de proportionnalité ainsi qu’avec le principe de sécurité juridique.

I –    Le cadre juridique

A –    La réglementation internationale

4.        La convention de Montréal a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2001/539/CE (6) et elle est entrée en vigueur, en ce qui concerne l’Union européenne, le 28 juin 2004.

5.        L’article 19 de la convention de Montréal prévoit que le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, ce transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et ses mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

6.        L’article 29 de la convention de Montréal dispose:

«Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation.»

B –    La réglementation de l’Union

7.        Le premier considérant du règlement no 261/2004 indique que l’action de la Communauté dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers.

8.        Le quatorzième considérant de ce règlement prévoit que les obligations des transporteurs aériens effectifs devraient être limitées ou leur responsabilité exonérée dans les cas où un événement est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. De telles circonstances peuvent se produire, en particulier, en cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, de risques liés à la sécurité, de défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol, ainsi que de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif.

9.        En vertu du quinzième considérant dudit règlement, il devrait être considéré qu’il y a circonstances extraordinaires lorsqu’une décision relative à la gestion du trafic aérien concernant un avion précis pour une journée précise génère un retard important, un retard jusqu’au lendemain ou l’annulation d’un ou de plusieurs vols de cet avion, bien que toutes les mesures raisonnables aient été prises par le transporteur aérien afin d’éviter ces retards ou ces annulations.

10.      L’article 5 du règlement no 261/2004 est rédigé comme suit:

«1.      En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés:

[…]

b)      se voient offrir par le transporteur aérien effectif une assistance conformément à l’article 9, paragraphe 1, point a), et paragraphe 2, de même que, dans le cas d’un réacheminement lorsque l’heure de départ raisonnablement attendue du nouveau vol est au moins le jour suivant le départ planifié pour le vol annulé, l’assistance prévue à l’article 9, paragraphe 1, points b) et c), et

c)      ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7 […]

3.      Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

[…]»

11.      L’article 6 de ce règlement dispose:

«1.      Lorsqu’un transporteur aérien effectif prévoit raisonnablement qu’un vol sera retardé par rapport à l’heure de départ prévue:

a)      de deux heures ou plus pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins, ou

b)      de trois heures ou plus pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 km et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 km, ou

c)      de quatre heures ou plus pour tous les vols qui ne relèvent pas des points a) ou b),

les passagers se voient proposer par le transporteur aérien effectif:

i)      l’assistance prévue à l’article 9, paragraphe 1, point a), et paragraphe 2), et

ii)      lorsque l’heure de départ raisonnablement attendue est au moins le jour suivant l’heure de départ initialement annoncée, l’assistance prévue à l’article 9, paragraphe 1, points b) et c), et

iii)      lorsque le retard est d’au moins cinq heures, l’assistance prévue à l’article 8, paragraphe 1, point a).

2.      En tout état de cause, cette assistance est proposée dans les limites fixées ci-dessus compte tenu de la distance du vol.»

12.      L’article 7 du règlement no 261/2004, intitulé «Droit à indemnisation», prévoit, à son paragraphe 1, un montant forfaitaire d’indemnisation en fonction de la distance du vol concerné. Ainsi, en vertu de cette disposition, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à 250 euros pour tous les vols de 1 500 km ou moins, à 400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 km ainsi que pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 km et à 600 euros pour tous les vols qui ne relèvent pas des catégories précédentes.

II – Les faits des litiges au principal

A –    L’affaire C‑581/10

13.      M. Nelson a effectué, pour ses deux fils et lui-même, une réservation sur le vol LH 565 Lagos-Francfort-sur-le-Main du 27 mars 2008 de 22 h 50. Le 28 mars 2008, vers 2 heures, ce vol a été annulé à cause d’un défaut technique affectant le système de direction du train avant de l’appareil. M. Nelson et ses deux fils ont alors été hébergés dans un hôtel. Le 28 mars 2008, à 16 heures, ils ont été conduits de l’hôtel à l’aéroport, l’avion ayant été remplacé par un appareil venant de Francfort-sur-le-Main (Allemagne). Le vol Lagos-Francfort-sur-le-Main a finalement eu lieu le 29 mars 2008 à 1 heure. La juridiction de renvoi précise que ce vol avait le même numéro de vol, à savoir LH 565, ainsi que, pour l’essentiel, les mêmes passagers que ceux ayant effectué une réservation sur le vol du 27 mars 2008. L’avion a atterri à Francfort-sur-le-Main le 29 mars 2008 à 7 h 10, soit avec plus de 24 heures de retard par rapport à l’horaire initialement prévu.

14.      M. Nelson estime que ce retard lui ouvre droit, ainsi qu’à ses deux fils, au bénéfice de l’indemnisation prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 261/2004. Il a donc intenté une action devant l’Amtsgericht Köln visant à condamner la compagnie aérienne Deutsche Lufthansa AG au paiement, à chacun d’entre eux, de la somme de 600 euros sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1, sous c), de ce règlement ainsi que de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement.

15.      Deutsche Lufthansa AG estime que, étant donné que le vol a été effectué, il ne peut être qualifié d’«annulé» au sens du règlement no 261/2004. Il s’agirait donc, en l’espèce, d’un vol retardé, pour lequel ce règlement ne prévoirait pas d’indemnisation.

16.      En raison de la décision qui était attendue dans les affaires jointes ayant donné lieu à l’arrêt Sturgeon e.a., précité, la juridiction de renvoi a suspendu l’instance. Celle-ci a été reprise à la suite de cet arrêt. Cependant, la juridiction de renvoi éprouve encore des doutes quant à la compatibilité de l’article 7 du règlement no 261/2004, tel qu’interprété par la Cour dans ledit arrêt, avec la convention de Montréal. Elle a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour des questions préjudicielles.

B –    L’affaire C‑629/10

17.      L’affaire au principal oppose TUI Travel plc (ci-après «TUI Travel»), British Airways plc, easyJet Airline Co. Ltd ainsi que l’International Air Transport Association (association internationale du transport aérien, ci-après l’«IATA») à la Civil Aviation Authority (autorité de l’aviation civile, ci-après la «CAA»).

18.      TUI Travel possède sept compagnies aériennes, basées dans plusieurs États membres. Ces compagnies opèrent essentiellement des vols charters pour le compte de TUI Travel, dont l’activité principale est l’organisation de voyages et de circuits touristiques. L’IATA est un organisme commercial international qui rassemble quelque 230 compagnies aériennes qui représentent, elles-mêmes, 93 % du trafic international régulier.

19.      Le litige au principal est né d’une demande adressée par les requérantes à la CAA dont l’objet était de confirmer que cette dernière n’interpréterait pas le règlement no 261/2004 en ce sens qu’il impose une obligation pour les compagnies aériennes d’indemniser les passagers en cas de retard. La CAA a refusé de confirmer une telle interprétation et a indiqué qu’elle était liée par l’arrêt Sturgeon e.a., précité. Les requérantes ont donc saisi la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court). Cette dernière a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une série de questions préjudicielles.

20.      Par ordonnance du président de la Cour du 30 novembre 2011, les affaires C581/10 et C629/10 ont été jointes aux fins de la procédure orale ainsi que de l’arrêt.

III – Les questions préjudicielles

A –    L’affaire C‑581/10

21.      L’Amtsgericht Köln pose à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le droit à indemnisation prévu à l’article 7 du règlement no 261/2004 constitue-t-il un droit à des dommages à un titre autre que la réparation au sens de l’article 29, seconde phrase, de la [convention de Montréal]?

2)      Comment le droit à indemnisation fondé sur l’article 7 du règlement no 261/2004 auquel peuvent prétendre, en application de l’arrêt [Sturgeon e.a., précité], les passagers qui atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien se situe-t-il par rapport au droit à indemnisation du dommage causé par un retard, prévu à l’article 19 de la convention de Montréal, compte tenu de l’exclusion, en vertu de l’article 29, seconde phrase, de cette même convention, des dommages à un titre autre que la réparation?

3)      Comment le critère d’interprétation sur lequel repose l’arrêt Sturgeon e.a., précité, qui autorise une extension du droit à indemnisation de l’article 7 du règlement no 261/2004 aux cas de retard, est-il conciliable avec le critère d’interprétation que la Cour applique à ce même règlement dans son arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C‑344/04, Rec. p. I‑403)?»

B –    L’affaire C‑629/10

22.      La High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), pose à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les articles 5 à 7 du règlement […] no 261/2004 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils exigent le versement de l’indemnité prévue à l’article 7 [de ce règlement] aux passagers dont le vol a fait l’objet d’un retard au sens de l’article 6 [dudit règlement] et, le cas échéant, dans quelles circonstances?

2)      En cas de réponse négative à la première question, les articles 5 à 7 du règlement […] no 261/2004 sont-ils invalides, en tout ou partie, pour violation du principe de l’égalité de traitement?

3)      En cas de réponse affirmative à la première question, les articles 5 à 7 du règlement […] no 261/2004 sont-ils invalides, en tout ou partie, pour a) incompatibilité avec la convention de Montréal, b) violation du principe de proportionnalité, et/ou c) violation du principe de sécurité juridique?

4)      En cas de réponse affirmative à la première question et de réponse négative à la troisième question, quelles sont, le cas échéant, les limites de l’effet dans le temps de l’arrêt préjudiciel qui sera rendu par la Cour dans la présente affaire?

5)      En cas de réponse négative à la première question, quel effet doit être donné, le cas échéant, à l’arrêt […] Sturgeon e.a., [précité], entre le 19 novembre 2009, date de son prononcé, et la date de l’arrêt préjudiciel qui sera rendu par la Cour dans la présente affaire?»

IV – Notre analyse

A –    Les observations liminaires

23.      Certaines des questions soulevées par l’Amtsgericht Köln et par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), étant connexes, nous proposons à la Cour de les traiter de la manière suivante.

24.      Tout d’abord, l’Amtsgericht Köln, par sa troisième question, ainsi que la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), par sa première question, demandent à la Cour, en réalité, de confirmer l’interprétation qu’elle a donnée des articles 5, 6 et 7 du règlement no 261/2004 dans l’arrêt Sturgeon e.a., précité.

25.      Puis, par sa deuxième question, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), se demande si, dans l’hypothèse où la Cour reviendrait sur sa jurisprudence Sturgeon e.a., précitée, les articles 5, 6 et 7 de ce règlement sont invalides pour violation du principe de l’égalité de traitement.

26.      Ensuite, les première et deuxième questions posées par l’Amtsgericht Köln ainsi que la troisième question soulevée par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), portent, en substance, sur la compatibilité des articles 5, 6 et 7 dudit règlement avec la convention de Montréal, dans la mesure où les passagers d’un vol retardé peuvent prétendre à l’indemnisation prévue à l’article 7 du règlement no 261/2004, ainsi qu’avec le principe de proportionnalité et le principe de sécurité juridique.

27.      Par sa quatrième question, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), cherche également à savoir, en substance, si l’arrêt que la Cour sera amenée à rendre dans les présentes affaires doit avoir des effets limités dans le temps dans l’hypothèse où elle jugerait que les articles 5, 6 et 7 de ce règlement doivent être interprétés en ce sens que le transporteur aérien est tenu de verser une indemnité au passager dont le vol a été retardé.

28.      Enfin, si la Cour estime que ces dispositions doivent être interprétées en ce sens que le transporteur aérien n’est pas tenu de verser une indemnité au passager dont le vol a été retardé, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), par sa cinquième question, se demande quel effet doit être donné à l’arrêt Sturgeon e.a., précité, entre le 19 novembre 2009, date de son prononcé, et la date du prononcé de l’arrêt dans les présentes affaires.

B –    Sur les questions préjudicielles

1.      Sur le droit du passager aérien à une indemnisation en cas de retard d’un vol

29.      La Cour a déjà eu l’occasion de s’interroger sur le point de savoir si un transporteur aérien était tenu, en vertu des articles 5, 6 et 7 du règlement no 261/2004, d’indemniser les passagers dont les vols avaient été retardés. En effet, dans son arrêt Sturgeon e.a., précité, elle a jugé que ces articles doivent être interprétés en ce sens que les passagers de vols retardés peuvent être assimilés aux passagers de vols annulés aux fins de l’application du droit à indemnisation et qu’ils peuvent ainsi invoquer le droit à indemnisation prévu à l’article 7 de ce règlement lorsqu’ils subissent, en raison d’un vol retardé, une perte de temps égale ou supérieure à trois heures, c’est-à-dire lorsqu’ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien (7).

30.      Toutefois, les litiges au principal témoignent du refus des transporteurs aériens d’appliquer ledit arrêt et d’indemniser les passagers se trouvant dans de telles situations. Ces transporteurs estiment, en effet, d’une part, que l’interprétation donnée par la Cour, dans son arrêt Sturgeon e.a., précité, des articles 5, 6 et 7 dudit règlement est en contradiction avec l’approche retenue dans son arrêt IATA et ELFAA, précité, et, d’autre part, que la Cour a outrepassé ses compétences.

31.      Dans ce dernier arrêt, la Cour était amenée à se prononcer sur la validité de ces dispositions. En particulier, la juridiction de renvoi se demandait si les articles 5 et 6 du règlement no 261/2004 n’étaient pas invalides en ce qu’ils n’auraient pas été conformes au principe de sécurité juridique.

32.      À cet égard, la Cour a, notamment, jugé, au point 76 dudit arrêt, que «si le préambule d’un acte communautaire est susceptible de préciser le contenu de celui-ci […] il ne saurait être invoqué pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné». Elle a poursuivi en expliquant que, «certes, le libellé [des quatorzième et quinzième considérants du règlement no 261/2004] laisse entendre que, d’une manière générale, le transporteur aérien effectif devrait être relevé de toutes ses obligations en cas de circonstances extraordinaires, et il fait naître dès lors une certaine ambiguïté entre l’intention ainsi exprimée par le législateur communautaire et le contenu même des articles 5 et 6 [de ce] règlement […] qui ne confèrent pas un caractère aussi général à cette excuse de responsabilité. Toutefois, une telle ambiguïté n’est pas d’une portée telle qu’elle rendrait incohérent le dispositif mis en place au titre de ces deux articles, lesquels sont dépourvus quant à eux de toute ambiguïté».

33.      Le gouvernement du Royaume-Uni déduit de ce point que, selon la Cour, le règlement no 261/2004 ne prévoit aucune obligation de verser une indemnisation aux passagers dont le vol a été retardé et que celle-ci n’a pas considéré que le quinzième considérant de ce règlement était susceptible d’être utilisé afin de modifier la signification des dispositions dudit règlement (8). Dès lors, c’est à tort que la Cour aurait fondé son raisonnement dans son arrêt Sturgeon e.a., précité, sur ce considérant et en aurait conclu qu’une indemnisation est également susceptible d’être due en cas de retard.

34.      Nous ne pensons pas qu’une telle analyse puisse être déduite du point 76 de l’arrêt IATA et ELFAA, précité, et que l’interprétation donnée par la Cour dans son arrêt Sturgeon e.a., précité, soit en contradiction avec l’approche retenue dans le premier arrêt.

35.      Il convient, en effet, de replacer ce point dans son contexte. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt IATA et ELFAA, précité, la Cour devait se prononcer, nous l’avons vu, sur la validité des articles 5, 6 et 7 du règlement no 261/2004. Les requérantes soutenaient que ce dernier prévoit, de manière incohérente dans ses quatorzième et quinzième considérants, que des circonstances extraordinaires peuvent limiter ou exonérer le transporteur aérien effectif de sa responsabilité en cas d’annulation ou de retard important de vols alors que les articles 5 et 6 de ce règlement, qui régissent ses obligations dans un tel cas, ne retiennent pas, sauf en ce qui concerne l’obligation d’indemnisation, une telle excuse de responsabilité (9).

36.      Ces requérantes s’étonnaient, en réalité, de l’absence, dans le corps du texte du règlement no 261/2004, de l’exonération de l’obligation d’assistance et de prise en charge des passagers en cas de retard d’un vol dû à des circonstances extraordinaires. Selon elles, les quatorzième et quinzième considérants de ce règlement indiquent que le transporteur aérien doit être exonéré de toute obligation, quelle qu’elle soit, en cas de circonstances extraordinaires lorsque le vol a été non seulement annulé, mais également retardé. Elles estimaient donc que ces considérants, lus en combinaison avec l’article 6 dudit règlement, relatif au retard de vol, font naître une certaine ambiguïté, ce qui porte atteinte au principe de sécurité juridique (10).

37.      C’est sur cet élément que la Cour a jugé, au point 76 de son arrêt IATA et ELFAA, précité, qu’une telle ambiguïté n’est pas d’une portée telle qu’elle rendrait incohérent le dispositif mis en place au titre des articles 5 et 6 du règlement no 261/2004, lesquels sont dépourvus quant à eux de toute ambiguïté. En d’autres termes, la Cour a estimé, à notre avis, que l’ambiguïté qui peut naître de la lecture des quatorzième et quinzième considérants de ce règlement n’enlève rien au fait qu’il est clair, dans le corps du texte, que l’excuse de circonstances extraordinaires n’a pas de caractère général, mais qu’elle vaut uniquement pour l’obligation d’indemnisation.

38.      Dès lors, nous ne pensons pas que l’on puisse tirer de cette analyse la conclusion selon laquelle l’interprétation des articles 5, 6 et 7 dudit règlement donnée par la Cour dans son arrêt Sturgeon e.a., précité, est en contradiction avec l’approche que celle-ci a retenue dans son arrêt IATA et ELFAA, précité.

39.      Sur le principe même de l’indemnisation du passager aérien dont le vol a été retardé de trois heures au moins, étant donné qu’aucun élément nouveau, susceptible de remettre en cause l’interprétation que la Cour a donnée de ces dispositions dans l’arrêt Sturgeon e.a., précité, n’a été présenté par les parties aux litiges au principal, nous ne voyons pas pourquoi la Cour devrait revenir sur cette interprétation.

40.      Dans cet arrêt, la Cour a appliqué la méthode de l’interprétation téléologique du règlement no 261/2004 (11). L’interprétation des articles 5, 6 et 7 de ce règlement est suggérée par le quinzième considérant de celui-ci et trouve son fondement dans l’objectif même du texte qui est, nous le rappelons, de garantir un niveau élevé de protection aux passagers aériens indépendamment du fait qu’ils se trouvent dans une situation de refus d’embarquement, d’annulation ou de retard de vol, puisqu’ils sont tous victimes de difficultés et de désagréments sérieux similaires liés au transport aérien (12).

41.      La Cour a, en réalité, fait une interprétation a contrario du quinzième considérant du règlement no 261/2004. Celui-ci, en effet, indique qu’«il y a circonstance extraordinaire [et, de ce fait, exonération de l’obligation d’indemnisation], lorsqu’une décision relative à la gestion du trafic aérien concernant un avion précis pour une journée précise génère un retard important, un retard jusqu’au lendemain ou l’annulation d’un ou de plusieurs vols de cet avion». Par conséquent, la Cour en a déduit, au point 43 de l’arrêt Sturgeon e.a., précité, que la notion de retard important est également liée au droit à indemnisation.

42.      Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a indiqué, au point 47 de l’arrêt Sturgeon e.a., précité, selon un principe général d’interprétation, un acte communautaire doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remet pas en cause sa validité. De même, lorsqu’une disposition de droit de l’Union est susceptible de plusieurs interprétations, il convient de privilégier celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile.

43.      Or, l’approche retenue par la Cour dans cet arrêt s’attache précisément à ne pas remettre en cause la validité des articles 5, 6 et 7 du règlement no 261/2004 en choisissant l’interprétation qui permet de sauvegarder l’effet utile de ces dispositions. En effet, la Cour a relevé, au point 52 dudit arrêt, que ce règlement a pour objectif de remédier, entre autres, au préjudice qui consiste, pour les passagers concernés, en une perte de temps qui ne peut être réparée, compte tenu de son caractère irréversible, que par une indemnisation. Elle en a conclu que les passagers dont le vol a fait l’objet d’une annulation et ceux concernés par un retard de vol subissent un préjudice analogue, consistant en une perte de temps, et se trouvent ainsi dans des situations comparables aux fins de l’application du droit à indemnisation prévu à l’article 7 dudit règlement (13).

44.      Dès lors, il serait contraire au principe d’égalité de traitement que ces passagers soient traités de manière différente, alors même qu’ils sont dans des situations comparables. C’est la raison pour laquelle la Cour a jugé, au point 61 de l’arrêt Sturgeon e.a., précité, que les passagers dont le vol a été retardé peuvent invoquer le droit à indemnisation prévu à l’article 7 du règlement no 261/2004.

45.      Par ailleurs, la Cour a considéré qu’un retard doit être considéré comme important, et ouvrir droit à une telle indemnisation, lorsque les passagers atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien. Cette interprétation de la notion de «retard important», visée au quinzième considérant de ce règlement, a également fait l’objet de critiques de la part, notamment, des transporteurs aériens et de la doctrine qui estiment que la fixation d’une telle durée est arbitraire et ne trouve pas de justification dans ledit règlement.

46.      Nous ne sommes pas de cet avis. En premier lieu, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe fondamental de droit de l’Union, exige, notamment, qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (14). Rapporté aux situations des passagers aériens dont le vol a été retardé et aux transporteurs aériens, cela veut dire que les premiers doivent pouvoir savoir à partir de quand ils peuvent prétendre au versement d’une indemnisation et que les seconds doivent pouvoir savoir à partir de quand ils sont tenus de verser cette indemnisation. L’instauration d’une limite de temps permet d’éviter que les tribunaux nationaux n’apprécient de manière différente la notion de retard important et que cela n’entraîne une insécurité juridique (15). Des passagers ayant subi une perte de temps de quatre heures pourraient se voir attribuer une indemnisation dans certains États membres mais pas dans d’autres, certaines juridictions nationales jugeant que ce retard est un retard important au sens du règlement no 261/2004, alors que d’autres estimeraient que tel n’est pas le cas. En plus d’une insécurité juridique, cela aurait pour conséquence de créer des inégalités entre des passagers aériens dont la situation serait pourtant identique.

47.      En second lieu, afin de déterminer la perte de temps au-delà de laquelle les passagers d’un vol retardé peuvent prétendre au versement d’une indemnisation, il convient de rappeler que la Cour s’est fondée sur la situation des passagers de vols annulés qui sont réacheminés conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous c), iii), du règlement no 261/2004, étant donné que leur situation est semblable à celle des passagers dont le vol a été retardé et que les deux catégories de passagers sont informées, en principe, au même moment de l’incident qui rend plus difficile leur transport aérien (16). Par ailleurs, ces deux catégories de passagers atteignent leur destination finale postérieurement à l’heure initialement prévue et elles subissent, par conséquent, une perte de temps analogue (17). La Cour a, ensuite, relevé que les passagers réacheminés conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous c), iii), de ce règlement se voient accorder le droit à indemnisation prévu à l’article 7 dudit règlement dès lors que le transporteur ne les réachemine pas par un vol qui part au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et arrive à leur destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée. Ces passagers acquièrent ainsi un droit à indemnisation lorsqu’ils subissent une perte de temps qui est égale ou supérieure à trois heures par rapport à la durée qui avait été initialement prévue par le transporteur (18).

48.      La Cour en a donc conclu que les passagers de vols retardés peuvent invoquer le droit à indemnisation prévu à l’article 7 du règlement no 261/2004 lorsqu’ils subissent, en raison de tels vols, une perte de temps égale ou supérieure à trois heures, c’est-à-dire lorsqu’ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien (19).

49.      Par conséquent, au vu de l’ensemble de ces éléments, nous sommes d’avis que les articles 5, 6 et 7 de ce règlement doivent être interprétés en ce sens que les passagers de vols retardés peuvent invoquer le droit à indemnisation prévu à l’article 7 dudit règlement lorsqu’ils subissent, en raison d’un vol retardé, une perte de temps égale ou supérieure à trois heures, c’est-à-dire lorsqu’ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien.

50.      Dès lors, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question posée par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court).

2.      Sur la compatibilité des articles 5, 6 et 7 du règlement no 261/2004 avec la convention de Montréal, le principe de proportionnalité et le principe de sécurité juridique

51.      L’Amtsgericht Köln s’interroge sur le point de savoir, en substance, comment s’articule le droit à indemnisation prévu à l’article 7 du règlement no 261/2004 avec les articles 19 et 29 de la convention de Montréal, dans la mesure où ces dernières dispositions excluent l’indemnisation des dommages résultant d’un retard dans le transport des passagers aériens à un titre autre que la réparation.

52.      Par ailleurs, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), se demande, en réalité, dans l’hypothèse où la Cour jugerait que les passagers de vols retardés peuvent prétendre à l’indemnisation prévue à l’article 7 de ce règlement, si cette disposition est invalide, en tout ou partie, pour incompatibilité avec la convention de Montréal, violation du principe de proportionnalité et/ou violation du principe de sécurité juridique.

53.      Concernant la compatibilité du droit à indemnisation prévu à l’article 7 dudit règlement avec les articles 19 et 29 de la convention de Montréal, il convient de rappeler que la Cour a jugé que tout retard dans le transport aérien peut causer, sur un plan général, deux types de préjudice, à savoir, d’une part, des préjudices quasi identiques pour tous les passagers dont la réparation peut prendre la forme d’une assistance ou d’une prise en charge, standardisées et immédiates, pour tous les intéressés et, d’autre part, des préjudices individuels, inhérents au motif de leur déplacement, dont la réparation exige une appréciation au cas par cas de l’ampleur des dommages causés et ne peut, en conséquence, que faire l’objet d’une indemnisation a posteriori et individualisée (20).

54.      La convention de Montréal vise à régir les conditions d’indemnisation de ce second type de préjudice (21). Dès lors que l’assistance et la prise en charge des passagers visées à l’article 6 du règlement no 261/2004 en cas de retard important d’un vol constituent des mesures réparatrices standardisées et immédiates, elles ne sont pas au nombre de celles dont cette convention fixe les conditions d’exercice (22).

55.      Tout comme l’assistance et la prise en charge, l’indemnisation au titre de l’article 7 de ce règlement constitue une mesure standardisée et immédiate qui vise à réparer un préjudice qui consiste, pour le passager aérien dont, notamment, le vol a été retardé, en une perte de temps irréversible (23). Cela est confirmé par le caractère forfaitaire de cette indemnisation dont le montant varie en fonction non pas du préjudice individuel subi, mais de la distance de vol parcourue ou à parcourir, ainsi que par son caractère général puisqu’elle est applicable indistinctement à tous les passagers remplissant les conditions pour en bénéficier.

56.      Par conséquent, l’article 7 du règlement no 261/2004 est, selon nous, compatible avec les articles 19 et 29 de la convention de Montréal.

57.      En ce qui concerne le respect du principe de proportionnalité, la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la compatibilité de l’article 7 de ce règlement avec un tel principe (24). Elle a jugé, à cet égard, que les mesures prévues aux articles 5 et 6 dudit règlement (25) sont, par elles-mêmes, de nature à réparer immédiatement certains des préjudices subis par les passagers aériens en cas d’annulation ou de retard important d’un vol, et permettent ainsi de garantir un niveau élevé de protection des intéressés, recherché par le règlement no 261/2004 (26).

58.      Par ailleurs, la Cour a indiqué qu’il est constant que l’étendue des différentes mesures retenues par le législateur de l’Union varie en fonction de l’importance des préjudices subis par les passagers, laquelle est appréciée en fonction soit de la durée du retard et de l’attente du prochain vol, soit du délai mis à informer les intéressés de l’annulation du vol. Les critères ainsi retenus pour déterminer le droit des passagers au bénéfice de ces mesures n’apparaissent dès lors nullement étrangers à l’exigence de proportionnalité (27).

59.      Certaines parties aux litiges au principal avancent, en outre, l’argument selon lequel l’indemnisation des passagers dont le vol a été retardé aboutirait à imposer une charge financière arbitraire et excessivement lourde aux transporteurs aériens. Cette indemnisation serait disproportionnée au vu de l’objectif poursuivi par le règlement no 261/2004.

60.      À cet égard, selon les chiffres portés à la connaissance de la Commission européenne par l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol), moins de 1,2 % des vols sont susceptibles de relever des dispositions de ce règlement relatives aux vols retardés. Par ailleurs, moins de 0,5 % des vols retardés le sont de trois heures ou plus, que le retard soit dû à des circonstances extraordinaires ou non. La proportion des vols dont le retard ouvre droit à l’indemnisation prévue à l’article 7 dudit règlement s’élève à moins de 0,15 % (28).

61.      La fréquence des retards de plus de trois heures et qui ouvrent droit à cette indemnisation apparaît donc limitée. Les effets de l’indemnisation due en cas de retard de plus de trois heures ne nous semblent pas, dès lors, être disproportionnés au vu de l’objectif du règlement no 261/2004 qui est, nous le rappelons, de garantir un niveau élevé de protection des passagers aériens.

62.      Cela d’autant plus, ainsi que l’a indiqué la Cour dans son arrêt Sturgeon e.a., précité, que les transporteurs aériens ne sont pas tenus au versement d’une indemnisation s’ils sont en mesure de prouver que l’annulation ou le retard important est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises, à savoir des circonstances qui échappent à la maîtrise effective du transporteur aérien (29). En outre, les obligations acquittées en vertu du règlement no 261/2004 le sont sans préjudice pour ces transporteurs de demander réparation à toute personne ayant causé un retard, y compris des tiers, conformément à l’article 13 de ce règlement (30). Enfin, la Cour a également jugé que le montant de l’indemnisation due au passager d’un vol retardé, qui atteint sa destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue, peut être réduit de 50 %, conformément à l’article 7, paragraphe 2, sous c), dudit règlement, lorsque le retard reste, pour un vol ne relevant pas de l’article 7, paragraphe 2, sous a) et b), inférieur à quatre heures (31). La charge financière imposée aux transporteurs aériens en cas de retard de vol de plus de trois heures peut donc être nulle ou considérablement réduite.

63.      Par conséquent, au vu de ce qui précède, nous sommes d’avis que l’article 7 du règlement no 261/2004 est compatible avec le principe de proportionnalité.

64.      Enfin, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑629/10 se demande, en substance, si l’interprétation de cette disposition donnée par la Cour dans son arrêt Sturgeon e.a., précité, est compatible avec le principe de sécurité juridique.

65.      Selon les requérantes au principal dans l’affaire C‑629/10, cette interprétation violerait le principe de sécurité juridique dans la mesure où elle serait en contradiction avec le libellé clair et sans équivoque du règlement no 261/2004, avec l’intention du législateur de l’Union et avec l’arrêt IATA et ELFAA, précité.

66.      Pour les raisons exposées aux points 31 à 48 des présentes conclusions, nous estimons que ladite interprétation n’est pas contraire au principe de sécurité juridique.

67.      Au regard des éléments qui précèdent, nous sommes d’avis que les articles 5, 6 et 7 du règlement no 261/2004 sont compatibles avec la convention de Montréal, avec le principe de proportionnalité ainsi qu’avec le principe de sécurité juridique.

3.      Sur les effets de l’arrêt à venir dans le temps

68.      Les requérantes au principal dans l’affaire C‑629/10 sollicitent de la Cour qu’elle limite les effets dans le temps de l’arrêt à venir, dans l’hypothèse où il serait répondu de manière affirmative et de manière négative, respectivement, aux première et troisième questions posées par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), dans cette affaire. Elles souhaitent que les articles 5, 6 et 7 du règlement no 261/2004 ne puissent pas être invoqués pour fonder des demandes d’indemnisation de passagers relatives à des vols retardés avant la date de l’arrêt à venir dans les présentes affaires, sauf à l’égard des passagers qui avaient déjà introduit une action judiciaire en vue de cette indemnisation à cette date.

69.      À cet égard, il convient de rappeler que l’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (32).

70.      La Cour peut, à titre exceptionnel, en tenant compte des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner pour le passé, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer l’interprétation que, saisie par voie de question préjudicielle, elle donne d’une disposition du droit de l’Union (33).

71.      Par ailleurs, la Cour a indiqué qu’il faut nécessairement un moment unique de détermination des effets dans le temps de l’interprétation sollicitée que donne la Cour d’une disposition du droit de l’Union. À cet égard, le principe qu’une limitation ne peut être admise que dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée garantit l’égalité de traitement des États membres et des autres justiciables face à ce droit et remplit par là même les exigences découlant du principe de sécurité juridique (34).

72.      Dans les présentes affaires, les dispositions de droit de l’Union soumises à interprétation sont les articles 5, 6 et 7 du règlement no 261/2004. Il est demandé à la Cour, en substance, si ces dispositions doivent être interprétées en ce sens que le transporteur aérien est tenu au paiement d’une indemnisation aux passagers dont le vol a été retardé. La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette question dans l’arrêt Sturgeon e.a., précité (35), et les présentes questions préjudicielles ne visent qu’à savoir, en réalité, si la Cour confirme l’interprétation qu’elle a donnée desdites dispositions dans ledit arrêt.

73.      Or, force est de constater que la Cour n’a pas, dans ledit arrêt, limité dans le temps les effets de celui-ci.

74.      Par conséquent, il n’y a pas lieu, selon nous, de limiter dans le temps les effets de l’arrêt à venir dans les présentes affaires.

75.      Dans la mesure où nous proposons à la Cour de répondre de manière affirmative à la première question posée par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), dans l’affaire C‑629/10, il n’est pas nécessaire de répondre à la cinquième question posée par cette dernière.

V –    Conclusion

76.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par l’Amtsgericht Köln et par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court):

«Les articles 5, 6 et 7 du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doivent être interprétés en ce sens:

–        que les passagers de vols retardés peuvent invoquer le droit à indemnisation prévu à l’article 7 du règlement no 261/2004 lorsqu’ils subissent, en raison d’un vol retardé, une perte de temps égale ou supérieure à trois heures, c’est-à-dire lorsqu’ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien;

–        qu’ils sont compatibles avec la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Montréal le 9 décembre 1999, avec le principe de proportionnalité ainsi qu’avec le principe de sécurité juridique.»


1 – Langue originale: le français.


2 –      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO L 46, p. 1).


3 –      C402/07 et C432/07, Rec. p. I10923.


4 –      Point 69.


5 – Ci-après la «convention de Montréal».


6 –      Décision du Conseil du 5 avril 2001 concernant la conclusion par la Communauté européenne de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (convention de Montréal) (JO L 194, p. 38).


7 –      Point 69 de cet arrêt.


8 –      Points 35 à 38 de ses observations dans l’affaire C‑581/10.


9 –      Voir point 75 de cet arrêt.


10 –      Voir, notamment, point 31 des observations de l’European Low Fares Airline Association ainsi que points 132 à 135 des observations de l’IATA dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt IATA et ELFAA, précité.


11 –      Voir points 41 et 42 dudit arrêt.


12 –      Voir arrêt Sturgeon e.a., précité (point 44).


13 –      Ibidem (point 54).


14 –      Voir arrêt IATA et ELFAA, précité (point 68 et jurisprudence citée).


15 –      Voir, à cet égard, points 88 à 90 des conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sturgeon e.a., précité.


16 –      Arrêt Sturgeon e.a., précité (points 55 et 56).


17 –      Ibidem (point 56).


18 –      Ibidem (point 57).


19 –      Ibidem (point 61).


20 –      Arrêt IATA et ELFAA, précité (point 43). Voir, également, arrêt Sturgeon e.a., précité (point 51).


21 –      Arrêt IATA et ELFAA, précité (point 44).


22 –      Ibidem (point 46).


23 –      Voir, en ce sens, arrêt Sturgeon e.a., précité (point 52).


24 –      Voir arrêt IATA et ELFAA, précité (point 81).


25 – Ces mesures sont l’assistance et la prise en charge des passagers, telles que prévues aux articles 8 et 9 du règlement no 261/2004, ainsi que l’indemnisation, telle que prévue à l’article 7 de ce règlement.


26 – Arrêt IATA et ELFAA, précité (point 84).


27 – Ibidem (point 85).


28 –      Voir document de travail des services de la Commission, accompagnant la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 11 avril 2011 sur l’application du règlement (CE) no 261/2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol [SEC(2011) 428 final]. Ce document est disponible en langue anglaise.


29 –      Voir point 67 de cet arrêt.


30 –      Point 68 dudit arrêt.


31 –      Arrêt Sturgeon e.a., précité (point 63).


32 –      Voir, notamment, arrêt du 6 mars 2007, Meilicke e.a. (C‑292/04, Rec. p. I‑1835, point 34 et jurisprudence citée).


33 –      Voir, notamment, arrêt du 29 juillet 2010, Brouwer (C‑577/08, Rec. p. I7489, point 33). Voir, également, arrêt Meilicke e.a., précité (point 35).


34 –      Arrêt Meilicke e.a., précité (point 37).


35 –      Voir point 69 de cet arrêt.