Language of document : ECLI:EU:C:2016:797

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

26 octobre 2016 (*)

« Pourvoi – Aides d’État – Production d’aluminium – Tarif préférentiel d’électricité octroyé par un contrat – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur – Résiliation du contrat – Suspension judiciaire des effets de la résiliation – Décision déclarant l’aide illégale – Article 108, paragraphe 3, TFUE – Notions d’“aide existante” et d’“aide nouvelle” – Distinction »

Dans l’affaire C‑590/14 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 18 décembre 2014,

Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), établie à Athènes (Grèce), représentée par Me E. Bourtzalas, avocat, ainsi que par Mes E. Salaka, C. Synodinos, C. Tagaras et A. Oikonomou, dikigoroi,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Alouminion tis Ellados VEAE, anciennement Alouminion AE, établie à Maroussi (Grèce), représentée par Mes G. Dellis, N. Korogiannakis, E. Chrysafis, D. Diakopoulos et N. Keramidas, dikigoroi,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier et A. Bouchagiar, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. A. Borg Barthet, faisant fonction de président de chambre, MM. E. Levits et F. Biltgen (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 octobre 2014, Alouminion/Commission (T‑542/11, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2014:859), par lequel celui-ci a annulé la décision 2012/339/UE de la Commission, du 13 juillet 2011, concernant l’aide d’État SA. 26117 – C 2/2010 (ex NN 62/2009) mise en œuvre par la Grèce en faveur d’Alouminion tis Ellados AE (JO 2012, L 166, p. 83, ci‑après la « décision litigieuse »).

 Les faits à l’origine du litige

2        En 1960, Alouminion tis Ellados AE (ci-après « AtE »), à laquelle Alouminion AE et Alouminion tis Ellados VEAE (ci-après « Alouminion ») ont succédé, respectivement, au mois de juillet 2007 et au mois de mai 2015, dans la production de l’aluminium en Grèce, a conclu un contrat (ci-après le « contrat de 1960 ») avec la compagnie publique d’électricité DEI, en vertu duquel un tarif préférentiel de fourniture d’électricité lui était accordé.

3        L’article 2, paragraphe 3, du contrat de 1960 prévoyait la reconduction tacite de celui-ci pour des périodes successives de cinq ans, à moins d’être résilié par l’une des parties avec un préavis de deux ans notifié par lettre recommandée avec accusé de réception.

4        En vertu d’un accord passé par AtE avec l’État grec et formalisé par un décret législatif de 1969, le contrat de 1960 devait prendre fin le 31 mars 2006, sauf s’il était prolongé conformément à ses dispositions.

5        Par décision du 23 janvier 1992, la Commission européenne a considéré que le tarif préférentiel accordé à AtE constituait une aide d’État compatible avec le marché intérieur.

6        Au mois de février 2004, DEI a avisé AtE de son intention de résilier le contrat de 1960 et a, conformément aux dispositions contractuelles, cessé de lui appliquer le tarif préférentiel à compter du 1er avril 2006.

7        AtE a contesté cette résiliation devant les juridictions nationales compétentes.

8        Par ordonnance du 5 janvier 2007 (ci-après la « première ordonnance de référé »), le Monomeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance à juge unique d’Athènes, Grèce), statuant en référé, a suspendu à titre provisoire et ex nunc les effets de ladite résiliation. Cette juridiction a estimé que cette même résiliation n’était pas conforme aux termes du contrat de 1960 et au cadre juridique national applicable.

9        DEI a contesté la première ordonnance de référé devant le Polymeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d’Athènes, Grèce), qui, statuant également en référé, a fait droit, ex nunc, à sa demande de résiliation du contrat de 1960 et de cessation du tarif préférentiel, par une ordonnance du 6 mars 2008.

10      Ainsi, pendant la période allant du 5 janvier 2007 au 6 mars 2008 (ci‑après la « période en cause »), AtE et, par la suite, Alouminion ont continué à bénéficier du tarif préférentiel.

11      Au mois de juillet 2008, la Commission a été saisie de plaintes. Par lettre du 27 janvier 2010, elle a informé la République hellénique de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et a invité les parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai d’un mois à compter de la date de publication de celle‑ci.

12      Ladite décision a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 16 avril 2010 (JO 2010, C 96, p. 7).

13      La Commission y a notamment exprimé des doutes quant au point de savoir si le tarif préférentiel facturé par DEI à AtE, puis à Alouminion, durant la période en cause, se situait au même niveau que le tarif appliqué aux autres grands consommateurs industriels d’électricité haute tension, dès lors que l’application du tarif préférentiel aurait dû cesser au 31 mars 2006, mais qu’elle avait été prolongée par la première ordonnance de référé.

14      La République hellénique, Alouminion et DEI ont envoyé leurs observations respectives à la Commission.

15      Par la décision litigieuse, la Commission a considéré que la République hellénique avait illégalement octroyé à AtE et à Alouminion une aide d’État d’un montant de 17,4 millions d’euros par application du tarif préférentiel durant la période en cause. Étant donné que ladite aide avait été octroyée en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et était, partant, incompatible avec le marché intérieur, la Commission a enjoint à la République hellénique de la récupérer auprès d’Alouminion.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 octobre 2011, Alouminion a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse et à la condamnation de la Commission aux dépens.

17      Alouminion a invoqué dix moyens à l’appui de son recours, par lesquels elle contestait, à titre principal, la qualification de la mesure en cause d’aide nouvelle, à titre subsidiaire, la qualification du tarif préférentiel d’aide d’État et, à titre plus subsidiaire, l’obligation de récupération de l’aide nouvelle résultant de la mesure en cause.

18      Le Tribunal a accueilli le premier moyen du recours et a annulé la décision litigieuse sans statuer sur les autres moyens de ce recours.

 Sur le pourvoi

 Sur la recevabilité

 Argumentation des parties

19      Alouminion estime que le présent pourvoi est irrecevable.

20      DEI rappelle que, en première instance, le Tribunal a accueilli sa demande d’intervention au soutien des conclusions de la Commission. Or, l’article 56, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne prévoit que les parties intervenantes dans la procédure en première instance peuvent former un pourvoi si la décision du Tribunal les affecte directement.

21      DEI fait valoir que, pour se conformer à la décision litigieuse, elle a procédé à la récupération de l’aide d’État en cause, avec les intérêts, soit 21 276 766,43 euros. Dans la mesure où l’arrêt attaqué a annulé la décision litigieuse, cette récupération n’aurait plus de base juridique.

22      DEI soutient qu’elle serait donc susceptible de devoir rembourser la somme récupérée et que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour, elle doit, dès lors, être considérée comme étant directement affectée par l’arrêt attaqué.

 Appréciation de la Cour

23      Il importe de rappeler que, conformément à l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les parties intervenantes autres que les États membres et les institutions de l’Union ne peuvent former un pourvoi contre une décision du Tribunal que lorsque cette décision les affecte directement.

24      Il ressort, à cet égard, de la jurisprudence de la Cour qu’une partie requérante qui est susceptible de devoir rembourser un montant en exécution de l’arrêt du Tribunal doit être considérée comme étant directement affectée par cet arrêt (voir en ce sens, notamment, arrêts du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, EU:C:2002:524, points 46 à 58, ainsi que du 2 octobre 2003, International Power e.a./NALOO, C‑172/01 P, C‑175/01 P, C‑176/01 P et C‑180/01 P, EU:C:2003:534, points 52 et 53).

25      En l’occurrence, DEI serait, en exécution de l’arrêt attaqué, tenue de rembourser la somme qu’elle avait récupérée pour se conformer à la décision litigieuse, soit 21 276 766,43 euros, qui correspondent à la différence entre le tarif préférentiel de fourniture d’électricité indûment appliqué à Alouminion et le tarif normal.

26      Il s’ensuit que l’arrêt attaqué est de nature à affecter directement la situation économique de DEI, conformément à l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Partant, le pourvoi est recevable.

 Sur le fond

27      DEI invoque cinq moyens à l’appui de son pourvoi.

28      Par son premier moyen, divisé en trois branches, DEI, soutenue par la Commission, reproche au Tribunal d’avoir violé l’article 108, paragraphe 3, TFUE ainsi que l’article 1er, sous b) et c), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1).

 Sur la première branche du premier moyen

–       Argumentation des parties

29      Par la première branche du premier moyen, DEI, soutenue par la Commission, reproche au Tribunal d’avoir jugé que la prolongation d’une aide existante ne constitue pas, ipso facto, une aide nouvelle.

30      DEI et la Commission soutiennent que, après avoir rappelé, au point 53 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle la prolongation d’une aide existante crée une aide nouvelle distincte de l’aide prolongée et la modification de la durée d’une aide existante doit être considérée comme une aide nouvelle (arrêts du 4 décembre 2013, Commission/Conseil, C‑121/10, EU:C:2013:784, point 59 et jurisprudence citée, ainsi que du 4 décembre 2013, Commission/Conseil, C‑111/10, EU:C:2013:785, point 58), le Tribunal a, au point 54 de l’arrêt attaqué, tenté de nuancer cette jurisprudence en interprétant les arrêts du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, EU:C:1994:311), et du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C. (C‑138/09, EU:C:2010:291), en ce sens que c’est uniquement si le régime d’aide subit une modification substantielle qu’il doit être considéré comme constituant une aide nouvelle.

31      Cependant, il ne ressortirait pas des arrêts du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, EU:C:1994:311), et du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C. (C‑138/09, EU:C:2010:291), que la prolongation de la durée de validité d’une aide existante n’entraîne pas, à elle seule, l’octroi d’une aide nouvelle et, en tout état de cause, l’arrêt du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, EU:C:1994:311), ne serait pas transposable en l’espèce.

32      DEI et la Commission font valoir que la circonstance que la prolongation de la durée de validité d’une aide existante crée une aide nouvelle constitue le corollaire évident des articles 107 et 108 TFUE.

33      Selon DEI et la Commission, le système de contrôle des aides d’État instauré par ces dispositions prévoit une procédure différente suivant que l’aide en cause est existante ou nouvelle. Or, s’il était admis que la prolongation d’une aide existante ne constitue pas ipso facto une aide nouvelle, un État membre pourrait contourner cette différence de procédure en prolongeant indéfiniment une telle aide, ou en la prolongeant sur une courte durée.

34      DEI et la Commission estiment que la notion d’« aide existante » doit donc être interprétée de manière restrictive afin de ne pas affecter l’obligation de notification et de suspension prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ce que la Cour a, d’ailleurs, déjà reconnu dans les arrêts du 5 octobre 1994, Italie/Commission (C‑47/91, EU:C:1994:358, points 24 à 26), et du 21 mars 2002, Espagne/Commission (C‑36/00, EU:C:2002:196, point 24).

35      En revanche, il conviendrait d’interpréter la notion d’« aide nouvelle » de manière large puisque, conformément à l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999, elle comprend « toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ».

36      DEI et la Commission soulignent, en outre, que l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 659/1999 (JO 2004, L 140, p. 1, et rectificatif JO 2005, L 25, p. 74), prévoit que, « aux fins de l’article 1er, point c), du règlement (CE) no 659/1999, on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché commun ».

37      Compte tenu de ces éléments et du fait que l’appréciation, par la Commission, de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur se fonde sur l’examen des données économiques et des circonstances qui se présentent sur le marché en question à la date d’adoption de sa décision et pour la durée pour laquelle l’octroi de l’aide est prévu, DEI et la Commission soutiennent que la prolongation de la durée de validité d’une aide ne saurait être considérée comme une modification « de caractère purement formel ou administratif », au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004, mais constitue la modification d’une aide existante.

38      Selon DEI, la jurisprudence constante de la Cour, citée au point 53 de l’arrêt attaqué, s’inscrit dans cette même logique.

39      Alouminion estime que la première branche du premier moyen doit être rejetée.

40      Selon elle, au point 54 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a expliqué la méthode d’interprétation à suivre pour constater s’il y a effectivement une modification d’un régime d’aide existant et n’a donc pas tenté de nuancer la jurisprudence constante citée au point 53 du même arrêt.

41      Alouminion soutient que l’arrêt du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, EU:C:1994:311), est pertinent en l’espèce puisque, dans cet arrêt, la Cour a constaté que la mesure en cause n’avait pas modifié la législation qui a institué les avantages litigieux, tant en ce qui concerne leur nature que les activités de l’établissement public auxquelles ils s’appliquaient, et en a conclu que cette mesure ne pouvait être regardée comme l’institution ou la modification d’une aide existante. Or, la même conclusion devrait être faite dans la présente affaire puisque la première ordonnance de référé n’a, selon Alouminion, ni modifié ni remplacé la base juridique et contractuelle de l’aide existante.

42      Alouminion fait valoir que c’est également à bon droit que le Tribunal a cité l’arrêt du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C. (C‑138/09, EU:C:2010:291), puisque, même si la Cour a jugé, aux points 46 et 47 dudit arrêt, que les situations où la modification du cadre juridique législatif conduit à une augmentation du budget alloué au régime d’aide et à la prolongation de la durée de celui-ci constituent des aides illégales, elle a considéré, en revanche, que tel n’est pas le cas des situations modifiant le cadre législatif, mais n’influençant pas le montant de l’aide.

43      Alouminion en déduit que, compte tenu desdits arrêts, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 55 de l’arrêt attaqué, que la première ordonnance de référé ne saurait être considérée comme l’institution ou la modification d’une aide existante.

44      Quant à l’argument selon lequel la prolongation d’une aide existante constitue ipso facto une aide nouvelle, Alouminion fait valoir que la jurisprudence invoquée par DEI et par la Commission à cet égard n’est pas pertinente en l’espèce puisqu’elle concerne l’appréciation stricte de la notion d’« aide existante », et non l’appréciation de la notion de « prolongation ».

–       Appréciation de la Cour

45      À titre liminaire, il convient de souligner que, dans le cadre du système de contrôle des aides étatiques, instauré par les articles 107 et 108 TFUE, la procédure diffère selon que les aides sont existantes ou nouvelles. Alors que les aides existantes peuvent, conformément à l’article 108, paragraphe 1, TFUE, être régulièrement exécutées tant que la Commission n’a pas constaté leur incompatibilité, l’article 108, paragraphe 3, TFUE prévoit que les projets tendant à instituer des aides nouvelles ou à modifier des aides existantes doivent être notifiés, en temps utile, à la Commission et ne peuvent être mis à exécution avant que la procédure n’ait abouti à une décision finale (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 19 mars 2015, OTP Bank, C‑672/13, EU:C:2015:185, point 35).

46      Il importe également de rappeler, d’une part, que, aux termes de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999, on entend par aide nouvelle « toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ».

47      D’autre part, l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004 prévoit que, « aux fins de l’article 1er, point c), du [règlement no 659/1999], on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché commun ».

48      En outre, il ressort d’une jurisprudence constante que la notion d’« aide d’État » répond à une situation objective qui s’apprécie à la date à laquelle la Commission prend sa décision (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234/84, EU:C:1986:302, point 16 ; du 11 septembre 2003, Belgique/Commission, C‑197/99 P, EU:C:2003:444, point 86, ainsi que du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 144).

49      Il s’ensuit que l’évaluation, par la Commission, de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur se fonde sur l’appréciation des données économiques et des circonstances qui se présentent sur le marché en question à la date à laquelle la Commission prend sa décision et tient compte, notamment, de la durée pour laquelle l’octroi de cette aide est prévu. Par conséquent, la durée de validité d’une aide existante constitue un élément de nature à influencer l’évaluation, par la Commission, de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur.

50      Dans ces conditions, et ainsi que la Cour l’a jugé dans les arrêts du 4 décembre 2013, Commission/Conseil (C‑121/10, EU:C:2013:784, point 59) et du 4 décembre 2013, Commission/Conseil (C‑111/10, EU:C:2013:785, point 58), la prolongation de la durée de validité d’une aide existante doit être considérée comme une modification d’une aide existante et constitue, dès lors, en application de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999, une aide nouvelle.

51      C’est au regard de l’ensemble de ces considérations qu’il convient d’examiner le bien-fondé de la première branche du premier moyen.

52      Dans le cadre de cette première branche, DEI, soutenue par la Commission, reproche, en substance, au Tribunal d’avoir jugé que la prolongation d’une aide existante ne constitue pas, ipso facto, une aide nouvelle.

53      DEI et la Commission font valoir que, au point 54 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a interprété de manière erronée les arrêts du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, EU:C:1994:311), et du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C. (C‑138/09, EU:C:2010:291), afin d’apporter une nuance à la jurisprudence citée au point 53 du même arrêt, à savoir les arrêts du 4 décembre 2013, Commission/Conseil (C‑121/10, EU:C:2013:784, point 59), et du 4 décembre 2013, Commission/Conseil (C‑111/10, EU:C:2013:785, point 58).

54      À cet égard, il convient de relever que, au point 54 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est fondé, d’une part, sur l’arrêt du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, EU:C:1994:311), pour énoncer que, « pour l’application des paragraphes 1 et 3 de l’article 108 TFUE, l’apparition d’une aide nouvelle ou la modification d’une aide existante doit être appréciée par référence aux dispositions qui la prévoient, à leurs modalités et à leurs limites ».

55      D’autre part, audit point, le Tribunal a fait référence aux points 46 et 47 de l’arrêt du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C. (C‑138/09, EU:C:2010:291), pour ajouter que « [c]’est […] seulement dans l’hypothèse où la modification affecte le régime initial dans sa substance même que ce régime se trouve transformé en un régime d’aides nouveau ».

56      Or, cette interprétation repose sur une lecture erronée de ce dernier arrêt. En effet, il ressort uniquement desdits points 46 et 47 que la Cour a jugé que, en prévoyant tant une augmentation du budget alloué au régime d’aide en cause qu’une prolongation de deux années de la durée d’application de ce régime, l’État membre concerné avait créé une aide nouvelle distincte de l’aide autorisée par la Commission.

57      Il s’ensuit que, ainsi que le soutient DEI, la jurisprudence établie par les arrêts du 4 décembre 2013, Commission/Conseil (C‑121/10, EU:C:2013:784, point 59), et du 4 décembre 2013, Commission/Conseil (C‑111/10, EU:C:2013:785, point 58), selon laquelle la prolongation d’un régime d’aide existant crée une aide nouvelle, s’inscrit dans la même logique que les arrêts du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, EU:C:1994:311), et du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C. (C‑138/09, EU:C:2010:291). Il y a lieu, d’ailleurs, de souligner que, dans ces arrêts du 4 décembre 2013, la Cour a fait expressément référence aux points 46 et 47 de ce dernier arrêt.

58      Il convient, en outre, de noter que, en l’occurrence, il découle des faits tels que constatés par le Tribunal et décrits aux points 2 à 10 du présent arrêt que le contrat de 1960 devait prendre fin le 31 mars 2006, sauf s’il était prolongé conformément à ses dispositions. Or, au mois de février 2004, DEI a avisé AtE de son intention de résilier ce contrat et a cessé, à compter du 1er avril 2006, de lui appliquer le tarif préférentiel. Cependant, la première ordonnance de référé a suspendu, à titre provisoire, les effets de cette résiliation de telle sorte que, durant la période en cause, AtE et, par la suite, Alouminion ont continué à bénéficier du tarif préférentiel.

59      Dès lors, contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 55 à 57 de l’arrêt attaqué, en rétablissant l’application du tarif préférentiel durant la période en cause, la première ordonnance de référé a eu pour effet de modifier les limites temporelles d’application dudit tarif, telles que convenues dans le contrat de 1960, et donc les limites temporelles du régime d’aide tel qu’approuvé par la Commission dans sa décision du 23 janvier 1992. La première ordonnance de référé doit, par conséquent, être considérée comme constituant une modification d’une aide existante.

60      Au regard de l’ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu de constater que, aux points 54 à 56 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a interprété et appliqué de manière erronée la jurisprudence de la Cour établie par les arrêts du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, EU:C:1994:311), ainsi que du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C. (C‑138/09, EU:C:2010:291), et confirmée par les arrêts du 4 décembre 2013, Commission/Conseil (C‑121/10, EU:C:2013:784, point 59), ainsi que du 4 décembre 2013, Commission/Conseil (C‑111/10, EU:C:2013:785, point 58), et que, en jugeant, au point 57 de l’arrêt attaqué, que la première ordonnance de référé ne saurait être regardée comme l’institution ou la modification d’une aide, au sens de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le Tribunal a commis une erreur de droit.

61      Partant, la première branche du premier moyen doit être accueillie.

 Sur la deuxième branche du premier moyen

–       Argumentation des parties

62      Par la deuxième branche du premier moyen, DEI, soutenue par la Commission, fait valoir que les développements formulés par le Tribunal aux points 61 à 68 de l’arrêt attaqué sont erronés.

63      En premier lieu, DEI et la Commission soutiennent que, en se référant, aux points 53 et 61 à 63 de l’arrêt attaqué, aux arrêts du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑127/99, T‑129/99 et T‑148/99, EU:T:2002:59), et du 1er juillet 2010, Italie/Commission (T‑53/08, EU:T:2010:267), pour affirmer que seule la prolongation de la durée d’une aide existante par une intervention législative peut avoir pour conséquence l’institution d’une aide nouvelle, le Tribunal a interprété ces arrêts de manière erronée.

64      À cet égard, DEI et la Commission rappellent que, si, selon une jurisprudence constante de la Cour, une omission imputée à un État membre peut avoir pour conséquence l’apparition d’une aide d’État (arrêt du 19 mars 2013, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a., C‑399/10 P et C‑401/10 P, EU:C:2013:175, points 100 à 103), tel serait, a fortiori, le cas d’un acte rendu par un organe étatique, même lorsqu’il ne s’agit pas d’une intervention législative.

65      En deuxième lieu, DEI et la Commission font valoir que c’est à tort que, au point 63 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a distingué les arrêts du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑127/99, T‑129/99 et T‑148/99, EU:T:2002:59), et du 1er juillet 2010, Italie/Commission (T‑53/08, EU:T:2010:267), de la présente affaire au motif que, dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, la prolongation de la durée de validité de l’aide en cause n’a pas été automatique. Il serait, en effet, constant que, en l’espèce, la prolongation de l’application du tarif préférentiel n’a pas découlé automatiquement du contrat de 1960, mais a résulté de la première ordonnance de référé.

66      En troisième lieu, DEI et la Commission relèvent que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé, aux points 65 à 67 de l’arrêt attaqué, il ne ressort pas de l’arrêt du 20 septembre 2011, Regione autonoma della Sardegna e.a./Commission (T‑394/08, T‑408/08, T‑453/08 et T‑454/08, EU:T:2011:493), qu’une mesure, telle que la première ordonnance de référé, doit, pour constituer une aide nouvelle, modifier le cadre juridique de l’aide existante et donc modifier la substance de cette aide. Il découlerait, en réalité, dudit arrêt que même une modification non substantielle d’une aide existante a pour conséquence l’institution d’une aide nouvelle.

67      En outre, la Commission soutient que la base juridique de l’aide durant la période en cause était la première ordonnance de référé et que c’est donc à tort que, aux points 64, 67 et 68 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la première ordonnance de référé n’a pas eu pour objet de modifier le cadre juridique du contrat de 1960, mais en a simplement interprété le contenu, à titre provisoire.

68      Ce faisant, le Tribunal aurait considéré que seul ce contrat produisait des effets juridiques. Or, selon la Commission, les ordonnances de référé n’interprètent et ne tranchent pas le litige de manière provisoire, mais produisent des effets juridiques autonomes, en reconnaissant des droits et des obligations existants et en constituant des nouveaux droits ainsi que des nouvelles obligations. Le juge national pourrait notamment ordonner des mesures de référé lorsque, d’une part, il est nécessaire qu’un droit soit préservé ou qu’une situation soit réglée et, d’autre part, il y a urgence ou nécessité de prévenir un risque imminent. Ainsi, ces mesures pourraient envisager la préservation d’un droit qui est lié à l’action principale, mais qui n’est pas nécessairement le même droit que celui dont l’action principale demande la protection judiciaire permanente.

69      Alouminion estime que la première ordonnance de référé n’a modifié ni le cadre juridique national initial ni le cadre législatif du tarif préférentiel et que, dès lors, la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée.

70      Tout d’abord, Alouminion fait valoir que c’est à tort que DEI fait référence à l’arrêt du 20 septembre 2011, Regione autonoma della Sardegna e.a./Commission (T‑394/08, T‑408/08, T‑453/08 et T‑454/08, EU:T:2011:493), pour soutenir que même une modification non substantielle d’une aide existante entraîne l’institution d’une aide nouvelle. En effet, il ressortirait de la version en langue italienne de cet arrêt qu’une telle modification est uniquement « susceptible » d’entraîner l’institution d’une aide nouvelle.

71      Ensuite, Alouminion soutient qu’il ressort des arrêts du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava/Commission (T‑127/99, T‑129/99 et T‑148/99, EU:T:2002:59), et du 1er juillet 2010, Italie/Commission (T‑53/08, EU:T:2010:267), que, si le Tribunal a jugé que les aides en cause dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts constituaient des aides nouvelles, c’est en raison de l’existence d’une intervention législative.

72      Enfin, Alouminion estime que la jurisprudence citée par DEI selon laquelle même une omission imputée à un État membre peut avoir pour conséquence l’apparition d’une aide n’est pas pertinente en l’espèce.

–       Appréciation de la Cour

73      S’agissant, en premier lieu, des points 61 à 64 de l’arrêt attaqué, il convient de relever que, premièrement, au point 63 dudit arrêt, le Tribunal a indiqué que, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑127/99, T‑129/99 et T‑148/99, EU:T:2002:59), et du 1er juillet 2010, Italie/Commission (T‑53/08, EU:T:2010:267), les prolongations en cause ont été considérées comme ne constituant pas des aides nouvelles « que parce que lesdites prolongations, loin d’être automatiques, avaient nécessité des interventions législatives afin de modifier l’avantage initialement fixé ».

74      Or, même s’il ressort de l’exposé des faits figurant aux points 1 à 9 de l’arrêt du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑127/99, T‑129/99 et T‑148/99, EU:T:2002:59), et aux points 1 à 11 de l’arrêt du 1er juillet 2010, Italie/Commission (T‑53/08, EU:T:2010:267), que les prolongations en cause résultaient d’une intervention législative, force est de constater qu’il n’existe aucun élément indiquant que c’est en raison de cette circonstance que, dans ces arrêts, le Tribunal a considéré que lesdites prolongations constituaient des aides nouvelles.

75      En effet, il résulte, notamment, des points 174 et 175 de l’arrêt du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑127/99, T‑129/99 et T‑148/99, EU:T:2002:59), que l’aide en cause avait été octroyée sur la base d’un instrument juridique, à savoir une intervention législative, adopté alors que le Royaume d’Espagne était déjà un État membre et que, même si l’avantage prévu dans cet instrument juridique ne constituait que la prolongation d’une mesure antérieure, il n’en restait pas moins que, en raison de la modification de la durée de l’aide en cause, celle-ci devait être considérée comme une aide nouvelle. Il s’ensuit que les prolongations en cause ont été considérées comme des aides nouvelles non pas parce qu’elles résultaient d’une intervention législative, mais en raison de leurs effets.

76      Deuxièmement, aux points 63 et 64 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a distingué les arrêts du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑127/99, T‑129/99 et T‑148/99, EU:T:2002:59), et du 1er juillet 2010, Italie/Commission (T‑53/08, EU:T:2010:267), de la présente affaire au motif que, dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, la prolongation de la durée de validité de l’aide en cause n’avait pas été automatique.

77      Or, il convient de souligner qu’il ressort clairement des faits tels que constatés par le Tribunal et décrits aux points 8 à 10 du présent arrêt que, en l’espèce, la prolongation de l’application du tarif préférentiel n’a pas découlé automatiquement du contrat de 1960, mais a résulté de la première ordonnance de référé.

78      Par conséquent, les développements figurant aux points 61 à 64 de l’arrêt attaqué reposent sur une interprétation et une application erronées des arrêts du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑127/99, T‑129/99 et T‑148/99, EU:T:2002:59), et du 1er juillet 2010, Italie/Commission (T‑53/08, EU:T:2010:267).

79      S’agissant, en second lieu, des points 65 à 68 de l’arrêt attaqué, il importe de relever que, aux points 65 et 66 de celui-ci, le Tribunal a indiqué que, dans l’arrêt du 20 septembre 2011, Regione autonoma della Sardegna e.a./Commission (T‑394/08, T‑408/08, T‑453/08 et T‑454/08, EU:T:2011:493), il a certes été jugé que les aides accordées sur une base juridique substantiellement différente du régime approuvé par la décision d’approbation devaient être considérées comme des aides nouvelles, toutefois, l’aide initiale, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, avait été approuvée par la Commission et l’aide nouvelle avait été octroyée par un nouvel acte réglementaire contraire à la décision d’approbation de la Commission.

80      Puis, après avoir souligné, au point 67 de l’arrêt attaqué, que, dans la présente affaire, la première ordonnance de référé n’a pas eu pour objet de modifier le cadre juridique du tarif préférentiel par rapport à celui approuvé par la Commission, le Tribunal en a conclu, au point 68 dudit arrêt, que la base juridique de l’aide en cause est non pas la première ordonnance de référé, mais le contrat de 1960 et le droit national pertinent, tel qu’interprété, à titre provisoire, par la première ordonnance de référé.

81      Il convient de constater, à cet égard, que, dans la mesure où il ressort du point 59 du présent arrêt que, en prolongeant l’application du tarif préférentiel pendant la période en cause, la première ordonnance de référé a eu pour effet de modifier les limites temporelles du contrat de 1960 et donc les limites temporelles du tarif préférentiel telles que décrites au point 4 du présent arrêt, la base juridique de l’aide durant la période en cause était la première ordonnance de référé.

82      Par conséquent, les points 67 et 68 de l’arrêt attaqué sont entachés d’une erreur de droit.

83      Il y a donc lieu d’accueillir également la deuxième branche du premier moyen.

 Sur la troisième branche du premier moyen

–       Argumentation des parties

84      Par la troisième branche de son premier moyen, DEI soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 58 de l’arrêt attaqué, qu’une décision de référé d’un juge national ne peut avoir pour résultat l’octroi d’une aide d’État.

85      DEI rappelle, à cet égard, qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que les juridictions nationales sont compétentes pour adopter des mesures provisoires en vue d’éviter la distorsion de concurrence résultant de l’octroi d’une aide en violation de l’obligation de suspension prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE et que les décisions des juridictions nationales qui adoptent de telles mesures font, dès lors, partie du mécanisme préventif de contrôle des aides d’État.

86      Selon DEI, il s’ensuit que toute juridiction nationale, y compris celle statuant en référé, est tenue d’examiner si une mesure imposée par elle-même peut produire des résultats qui sont susceptibles de la rendre incompatible avec le marché intérieur parce qu’elle provoque l’octroi d’un avantage concurrentiel illégal pour le futur.

87      En l’occurrence, cela signifierait que l’appréciation provisoire faite par le juge national dans la première ordonnance de référé quant à la résiliation du contrat de 1960 ne pouvait lever définitivement l’incertitude sur la nature juridique et les conséquences de l’application du tarif préférentiel après l’expiration de sa période de validité initiale et que cette ordonnance aurait dû être soumise au contrôle préalable prévu à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

88      La Commission estime, à l’instar de DEI, que la circonstance qu’une aide nouvelle a été instituée par une ordonnance de référé du juge national n’est pas pertinente aux fins de l’appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur.

89      Selon la Commission, une conclusion contraire reviendrait à interpréter la notion d’« aide » de manière subjective, en fonction de l’instance qui adopte la mesure instituant cette aide, et s’opposerait donc à la jurisprudence de la Cour et, notamment, l’arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission (C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 17 et jurisprudence citée), dans lequel il a été jugé que la notion d’« aide d’État » a un caractère juridique et doit être interprétée sur la base d’éléments objectifs et en fonction des effets de cette aide.

90      La Commission ajoute que l’argument de DEI selon lequel il incombe à la juridiction nationale, dans le cadre d’une procédure en référé, de notifier à la Commission et de soumettre à son contrôle préventif toute mesure instituant une aide nouvelle ou modifiant une aide existante se trouve corroboré par l’arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini (C‑119/05, EU:C:2007:434, points 59 à 63), duquel il ressort que la compétence exclusive de la Commission et la primauté du droit de l’Union obligent la juridiction nationale à ne pas appliquer une disposition nationale lorsque l’application de celle-ci ferait obstacle à la récupération de l’aide d’État.

91      La Commission relève également que, conformément au point 58 de sa communication relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales (JO 2009, C 85, p. 1), lorsque le paiement d’une aide illégale risque d’être effectué au cours d’une instance devant une juridiction nationale, l’obligation pour cette juridiction d’empêcher toute violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE peut lui imposer de rendre une ordonnance de référé en vue d’empêcher le versement illégal jusqu’à ce qu’elle ait statué sur le fond de l’affaire. Elle en déduit que, en toute logique, une juridiction nationale ne saurait être elle-même à l’origine de telles aides.

92      Alouminion estime que la troisième branche du premier moyen repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué et doit, dès lors, être rejetée.

93      Alouminion soutient que, en réalité, au point 58 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la première ordonnance de référé n’a pas pour conséquence l’octroi d’un nouvel avantage, distinct de l’aide existante. Le Tribunal n’aurait donc pas exclu le cas dans lequel une aide d’État est octroyée par l’intermédiaire d’une décision d’une juridiction nationale accordant un nouvel avantage distinct d’une aide existante, mais aurait simplement conclu que tel n’est pas le cas en l’espèce.

94      En tout état de cause, Alouminion fait valoir, d’une part, que le point 58 de l’arrêt attaqué est surabondant en ce qu’il confirme, a contrario, le raisonnement développé aux points 55 à 57 dudit arrêt et, d’autre part, que l’appréciation, par le Tribunal, du contenu de la première ordonnance de référé constitue une appréciation de fait, qui échappe au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi.

–       Appréciation de la Cour

95      Il importe, à titre liminaire, de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la mise en œuvre du système de contrôle des aides étatiques incombe, d’une part, à la Commission et, d’autre part, aux juridictions nationales, qui remplissent des rôles complémentaires et distincts (arrêts du 9 août 1994, Namur‑Les assurances du crédit, C‑44/93, EU:C:1994:311, point 14 ; du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, point 27 et jurisprudence citée, ainsi que du 19 mars 2015, OTP Bank, C‑672/13, EU:C:2015:185, point 36).

96      En effet, les juridictions nationales ne sont pas compétentes pour statuer sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, ce contrôle relevant de la compétence exclusive de la Commission (voir, en ce sens, arrêts du 8 décembre 2011, Residex Capital IV, C‑275/10, EU:C:2011:814, point 27 ; du 18 juillet 2013, P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 38 et jurisprudence citée, ainsi que du 19 mars 2015, OTP Bank, C‑672/13, EU:C:2015:185, point 37).

97      En revanche, les juridictions nationales veillent à la sauvegarde, jusqu’à la décision finale de la Commission, des droits des justiciables en cas de violation de l’obligation de notification préalable à la Commission prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE (arrêts du 8 décembre 2011, Residex Capital IV, C‑275/10, EU:C:2011:814, point 27 et jurisprudence citée ; du 18 juillet 2013, P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 39, ainsi que du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, point 28).

98      À cette fin, les juridictions nationales peuvent être saisies de litiges les obligeant à interpréter et à appliquer la notion d’« aide d’État », visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en particulier en vue de déterminer si une mesure instaurée sans tenir compte de la procédure de contrôle préalable prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE devrait ou non y être soumise (arrêts du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, EU:C:2007:434, point 50 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 juillet 2013, P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 38).

99      Si les juridictions nationales parviennent au constat que la mesure concernée aurait effectivement dû être notifiée à la Commission, elles doivent vérifier si l’État membre concerné s’est conformé à cette obligation et, si tel n’est pas le cas, déclarer cette mesure illégale (arrêt du 19 mars 2015, OTP Bank, C‑672/13, EU:C:2015:185, point 68).

100    En effet, il leur appartient de tirer toutes les conséquences de la violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, conformément à leur droit national, tant en ce qui concerne la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d’aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés en méconnaissance de cette disposition (arrêt du 8 décembre 2011, Residex Capital IV, C‑275/10, EU:C:2011:814, point 29 et jurisprudence citée).

101    Les juridictions nationales sont, notamment, compétentes pour adopter des mesures provisoires en vue d’éviter la distorsion de concurrence résultant de l’octroi d’une aide en violation de l’obligation de suspension prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE (voir arrêts du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C‑354/90, EU:C:1991:440, point 11 ; du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C‑39/94, EU:C:1996:285, points 39, 40 et 53, ainsi que du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, point 34). Ainsi, comme le prévoit le point 58 de la communication de la Commission relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales (JO 2009, C 85, p. 1), lorsque le paiement d’une aide illégale risque d’être effectué au cours d’une instance devant une juridiction nationale, cette dernière peut être amenée à rendre une ordonnance de référé en vue d’empêcher le versement illégal jusqu’à ce qu’elle ait statué sur le fond de l’affaire.

102    C’est au regard de l’ensemble de ces considérations qu’il convient d’examiner le bien-fondé de la troisième branche du premier moyen, par laquelle DEI reproche au Tribunal d’avoir jugé, au point 58 de l’arrêt attaqué, qu’une décision de référé d’un juge national ne peut avoir pour effet l’octroi d’une aide d’État.

103    Il importe de relever, à cet égard, que, au point 58 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que le fait d’admettre que la première ordonnance de référé constitue l’institution ou la modification d’une aide, au sens de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, « contraindrait, en fait et en droit, la juridiction nationale statuant en référé sur un litige portant sur un contrat, comme en l’espèce, à notifier à la Commission et à soumettre à son contrôle préventif non seulement les aides nouvelles ou les modifications d’aides proprement dites accordées à une entreprise bénéficiaire d’une aide existante, mais toutes les mesures qui affectent l’interprétation et l’exécution dudit contrat, qui peuvent avoir des incidences sur le fonctionnement du marché intérieur, sur le jeu de la concurrence ou simplement sur la durée effective, pendant une période déterminée, d’aides qui demeurent existantes dans leur principe et alors que la Commission n’a pris aucune décision d’autorisation ou d’incompatibilité ».

104    Ainsi, au point 58 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a opéré une distinction entre les « aides nouvelles ou les modifications d’aides proprement dites » et les mesures qui affectent l’interprétation et l’exécution d’un contrat approuvé par la Commission comme une aide d’État compatible avec le marché intérieur, autrement dit, des mesures telles que la première ordonnance de référé, et en a conclu que le juge national statuant en référé n’est pas soumis aux obligations incombant, de manière générale, aux juridictions nationales conformément aux articles 107 et 108 TFUE.

105    Or, il convient de rappeler que l’application des règles en matière d’aides d’État repose sur une obligation de coopération loyale entre, d’une part, les juridictions nationales et, d’autre part, la Commission et les juridictions de l’Union, dans le cadre de laquelle chacune agit en fonction du rôle qui lui est assigné par le traité FUE. Dans le cadre de cette coopération, les juridictions nationales doivent prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du droit de l’Union et s’abstenir de prendre celles qui sont susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité, ainsi qu’il découle de l’article 4, paragraphe 3, TUE. Ainsi, les juridictions nationales doivent, en particulier, s’abstenir de prendre des décisions allant à l’encontre d’une décision de la Commission (arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, point 41).

106    En outre, la Cour a jugé, aux points 46 et 47 de l’arrêt du 18 juillet 2013, P (C‑6/12, EU:C:2013:525), qu’il incombe aux juridictions nationales de vérifier si les modalités d’application d’un régime d’aide n’ont pas été modifiées et que, s’il devait s’avérer que ces modifications ont eu pour effet d’étendre la portée du régime, il pourrait être nécessaire de considérer qu’il s’agit d’une aide nouvelle ayant pour conséquence l’applicabilité de la procédure de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

107    Par conséquent, il importe de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 58 de l’arrêt attaqué, que, au motif qu’elle statue en référé, une juridiction nationale saisie d’un litige portant sur un contrat n’est pas tenue de notifier à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, « toutes les mesures qui affectent l’interprétation et l’exécution dudit contrat qui peuvent avoir des incidences sur le fonctionnement du marché intérieur, sur le jeu de la concurrence ou simplement sur la durée effective, pendant une période déterminée, d’aides qui demeurent existantes ».

108    En effet, reconnaître aux juridictions nationales statuant en référé la possibilité de se soustraire aux obligations leur incombant dans le cadre du contrôle des aides étatiques instauré par les articles 107 et 108 TFUE conduirait ces juridictions à méconnaître les limites de leurs propres compétences, visant à assurer le respect du droit de l’Union relatif aux aides d’État, ainsi qu’à violer l’obligation de coopération loyale avec les institutions de l’Union, rappelée au point 105 du présent arrêt, et porterait, dès lors, incontestablement atteinte à l’effet utile desdits articles.

109    Partant, la troisième branche du premier moyen doit être accueillie.

110    Dans ces conditions, il convient d’accueillir le premier moyen dans son intégralité et, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens, d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur le renvoi de l’affaire devant le Tribunal

111    Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

112    En l’occurrence, le Tribunal n’ayant examiné que l’un des moyens avancés par les parties, la Cour considère que le présent litige n’est pas en état d’être jugé. Il convient, dès lors, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

 Sur les dépens

113    L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 octobre 2014, Alouminion/Commission (T‑542/11, EU:T:2014:859), est annulé.

2)      L’affaire T-542/11 est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

3)      Les dépens sont réservés.

Signatures


* Langue de procédure : le grec.