Language of document : ECLI:EU:C:2013:469


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 11 juillet 2013 (1)

Affaire C‑262/12

Association Vent De Colère! Fédération nationale,
Alain Bruguier,

Jean‑Pierre Le Gorgeu,
Marie‑Christine Piot,
Eric Errec,
Didier Wirth,
Daniel Steinbach,
Sabine Servan‑Schreiber,
Philippe Rusch,
Pierre Recher,
Jean‑Louis Moret,
Didier Jocteur Monrozier

contre

Ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement,
Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Aide d’État – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion d’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État – Électricité d’origine éolienne – Obligation d’achat à un prix supérieur au prix du marché – Compensation intégrale – Jurisprudence ‘PreussenElektra’ – Contributions dues par les consommateurs finals d’électricité»





1.        La présente question préjudicielle, posée par le Conseil d’État (France), concerne l’interprétation d’un seul des critères constitutifs de la notion d’aide d’État, à savoir la notion d’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et ce dans le contexte du marché intérieur de l’électricité. Le litige au principal a pour origine la requête introduite devant le Conseil d’État par l’association Vent de Colère! – Fédération nationale et onze autres requérants (ci‑après «Vent de Colère e.a.») contre deux arrêtés ministériels fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent (ci‑après les «arrêtés litigieux») (2).

2.        La principale question soumise à la Cour a trait au mode de financement de la compensation des surcoûts imposés aux distributeurs d’électricité d’origine éolienne en France en raison de l’obligation d’achat de cette électricité à un prix supérieur à celui du marché. Les distributeurs sont soumis à ladite obligation en vertu de la loi no 2000‑108, du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité (3). Conformément à cette loi, les surcoûts résultant de l’obligation d’achat faisaient l’objet d’une compensation par un fonds de service public de production d’électricité, géré par la Caisse des dépôts et des consignations (ci‑après la «CDC») et alimenté par des contributions dues par les producteurs, fournisseurs et distributeurs mentionnés dans ladite loi.

3.        Or, le mécanisme mis en cause devant la juridiction de renvoi, résultant de la modification de la loi no 2000‑108 (ci‑après la «loi no 2000‑108 modifiée») (4), prévoit désormais que les surcoûts découlant de l’obligation d’achat susmentionnée font l’objet d’une compensation intégrale, financée par des contributions dues par les consommateurs finals d’électricité installés sur le territoire national. Les requérants au principal considèrent qu’il s’agit là d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

4.        Par conséquent, c’est à la lumière de la jurisprudence portant tant sur les mécanismes accordés de manière indirecte, moyennant la création de fonds ou d’organismes chargés de la gestion des flux susceptibles de constituer une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (5), que sur les mesures d’aide financées moyennant des taxes parafiscales ou des contributions obligatoires (6) que la Cour doit répondre à la question posée. Il convient également de souligner la ligne de la jurisprudence inspirée par la solution retenue par la Cour dans l’affaire PreussenElektra (7) dans laquelle, ainsi qu’il a été relevé par l’avocat général Jacobs, les montants servant à financer le système de soutien dans le secteur de l’énergie renouvelable n’étaient à aucun moment à la disposition d’une autorité publique. En fait, ces montants ne quittaient jamais le secteur privé (8).

I –    Cadre juridique

5.        Le système de financement mis en cause devant le Conseil d’État peut être résumé comme suit.

A –    L’obligation d’achat au bénéfice des installations utilisant l’énergie mécanique du vent

6.        Aux termes de l’article 10 de la loi no 2000‑108 modifiée, ceux qui produisent, sur le territoire national, de l’électricité issue, notamment, d’installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent qui sont implantées dans le périmètre d’une zone de développement de l’éolien (9) bénéficient, s’ils en font la demande et à condition de satisfaire eux‑mêmes à certaines obligations (10), d’une obligation d’achat de l’électricité ainsi produite.

7.        Les débiteurs de ladite obligation d’achat sont les distributeurs exploitant le réseau auquel est raccordée l’installation, à savoir Électricité de France (EDF) et les distributeurs non nationalisés (11), qui écoulent cette électricité dans leurs zones de desserte respectives. La mise en œuvre de ces dispositions se traduit par la conclusion d’un contrat d’achat qui est soumis aux conditions fixées dans la loi (12). Les modalités de calcul de ce tarif résultent d’une formule définie par arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie, pris en application de l’article 8 du décret no 2001‑410, du 10 mai 2001, après avis du Conseil supérieur de l’énergie et après avis de la Commission de régulation de l’énergie (ci‑après la «CRE»). L’article 10 de la loi no 2000‑108 modifiée prévoit par ailleurs en son cinquième alinéa une obligation de rachat par EDF du surplus d’électricité aux mêmes conditions que pour la conclusion d’un contrat d’achat obligatoire, étant précisé que ce rachat par EDF ouvre également droit à une compensation au bénéfice de cette dernière.

B –    Les mécanismes de compensation au bénéfice des opérateurs électriques soumis à l’obligation d’achat

8.        Il résulte de l’avant‑dernier alinéa de l’article 10 de la loi no 2000‑108 modifiée que les surcoûts qui découlent, pour les distributeurs d’électricité, de la mise en œuvre de l’obligation d’achat peuvent être intégralement compensés au titre de l’article 5, paragraphe I, de la loi no 2000‑108 modifiée, en tant que «charges imputables aux missions de service public assignées aux opérateurs électriques».

9.        Conformément à ladite disposition, le calcul du surcoût ouvrant droit à compensation tient compte des «coûts évités à EDF ou, le cas échéant, [de] ceux évités aux distributeurs non nationalisés […] par référence aux prix de marché de l’électricité ou, pour les distributeurs non nationalisés, par référence aux tarifs de cession mentionnés à l’article 4 de la loi [no 2000‑108 modifiée] à proportion de la part de l’électricité acquise à ces tarifs dans leur approvisionnement total, déduction faite des quantités acquises au titre des articles 8 et 10 [de ladite loi]», y compris «lorsque les installations concernées sont exploitées par [EDF] ou par un distributeur non nationalisé».

10.      Le montant des charges supportées par les opérateurs concernés est calculé sur la base d’une comptabilité appropriée tenue par les opérateurs susmentionnés, établie selon des règles définies par la CRE et sous le contrôle de cette dernière. Le ministre chargé de l’énergie arrête le montant des charges sur proposition de la CRE effectuée annuellement. Ainsi qu’il a été précisé lors de l’audience, seule la différence entre le coût découlant de l’obligation d’achat et les contributions reçues de ses propres clients fait l’objet d’un versement sur le compte spécifique de la CDC.

11.      Les sommes correspondant aux charges ouvrant droit à compensation sont reversées aux opérateurs concernés quatre fois par an par la CDC, qui dispose à cette fin d’un compte spécifique, alimenté par les contributions dues par le consommateur final, sur lequel elle retrace ces différentes opérations.

C –    La contribution due par les consommateurs finals

12.      Enfin, la compensation au bénéfice des opérateurs soumis à l’obligation d’achat est répercutée sur les consommateurs finals d’électricité installés sur le territoire national selon les modalités prévues à l’article 5 de la loi no 2000‑108 modifiée.

13.      Le montant de cette contribution, arrêté annuellement par le ministre chargé de l’énergie sur proposition de la CRE, est «calculé au prorata de la quantité consommée» et «de sorte que les contributions couvrent l’ensemble des charges […], ainsi que les frais de gestion exposés par la CDC […] et le budget du médiateur national de l’énergie», dans la limite de deux plafonds (13). En principe, les montants collectés au cours d’une année doivent couvrir l’ensemble des charges afférentes à cet exercice, mais un mécanisme de régularisation permet d’imputer sur le montant de la contribution due au titre de l’année suivante les charges non recouvrées pour l’année en cours.

14.      Le montant de la contribution est acquitté par le consommateur lors du règlement de sa facture d’électricité ou d’utilisation des réseaux en fonction de la quantité d’électricité qui lui a été livrée. Des dispositions spéciales sont prévues pour l’achat d’électricité transfrontalier ainsi que pour les consommateurs produisant leur propre énergie ou celle générée par un producteur auquel ils sont directement raccordés.

II – Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

15.      Par requête du 6 février 2009, Vent de colère e.a. a introduit devant le Conseil d’État un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation des arrêtés litigieux.

16.      Selon la juridiction de renvoi, l’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent à un prix supérieur à sa valeur de marché constitue un avantage susceptible d’affecter les échanges entre États membres et d’avoir une incidence sur la concurrence. Concernant le critère tiré de l’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, le Conseil d’État rappelle que, dans une décision UNIDEN en date du 21 mai 2003 (14), il a fait application de l’arrêt PreussenElektra, précité, en jugeant que la charge financière de l’obligation d’achat dont bénéficiaient les installations utilisant l’énergie mécanique du vent était répartie entre un certain nombre d’entreprises, sans que des ressources publiques contribuent, directement ou indirectement, au financement de l’aide et en considérant dès lors que le mécanisme antérieur d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

17.      La juridiction de renvoi s’interroge cependant sur les conséquences de la modification de la loi no 2000‑108, en particulier au regard de l’arrêt Essent Netwerk Noord e.a., précité, dans lequel la Cour a jugé qu’un financement par un supplément de prix imposé par l’État aux acheteurs d’électricité, constitutif d’une taxe, les fonds demeurant en outre sous le contrôle de l’État, devait être regardé comme une intervention de l’État au moyen de ressources d’État.

18.      C’est dans ce contexte que, par décision du 15 mai 2012, le Conseil d’État a sursis à statuer et soumis à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Compte tenu du changement de nature du mode de financement de la compensation intégrale des surcoûts imposés à [EDF] et aux distributeurs non nationalisés mentionnés à l’article 23 de la loi no 46‑628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, à raison de l’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent à un prix supérieur au marché de cette électricité, résultant de la loi no 2003‑8, du 3 janvier 2003, ce mécanisme doit‑il désormais être regardé comme une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État au sens et pour l’application des stipulations de l’article [107, paragraphe 1, TFUE]?»

19.      La présente demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 29 mai 2012. Des observations écrites ont été déposées par Vent de Colère e.a., le Syndicat des énergies renouvelables (15), les gouvernements français et hellénique ainsi que par la Commission européenne.

20.      Lors de l’audience qui s’est tenue le 24 avril 2013, Vent de Colère e.a., le Syndicat des énergies renouvelables, les gouvernements français et hellénique ainsi que la Commission ont été entendus.

III – Analyse

A –    Sur le traitement de la question préjudicielle

21.      À titre liminaire, j’observe que certaines parties ayant déposé des observations écrites devant la Cour l’invitent soit à reformuler, soit à compléter la portée de la question posée par le Conseil d’État.

22.      En effet, Vent de Colère e.a. propose, d’une part, d’inclure la jurisprudence Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (16) dans l’analyse, afin de vérifier si une obligation d’achat à prix fixe telle que celle en cause au principal satisfait aux conditions de cette jurisprudence. D’autre part, Vent de Colère e.a. soulève une problématique relative à la directive 2003/54/CE (17) et suggère que la Cour devrait trancher la question de savoir si ladite directive oblige le juge national à écarter une mesure nationale d’obligation d’achat d’électricité adoptée en contradiction avec l’avis de l’autorité nationale de régulation, à savoir la CRE.

23.      Pour sa part, la Commission propose de reformuler la question en faisant valoir que le changement de nature du mode de financement n’est pas déterminant au regard de la réponse à apporter en l’espèce. Elle propose, par conséquent, que la Cour se prononce sur la législation nationale dans son ensemble et ab initio en ce qu’elle prévoit la compensation intégrale des surcoûts imposés aux gestionnaires de réseau au sens de l’article 2 de la directive 2009/72.

24.      À cet égard, il convient de rappeler que, lorsque la Cour est saisie d’un renvoi préjudiciel, sa fonction consiste à éclairer la juridiction nationale sur la portée des règles de l’Union afin de permettre à celle‑ci de faire une correcte application de ces règles aux faits dont cette juridiction est saisie et non à procéder elle‑même à une telle application, et ce d’autant que la Cour ne dispose pas nécessairement de tous les éléments indispensables à cet égard (18).

25.      En l’occurrence, étant donné que, d’une part, le présent dossier ne contient pas suffisamment d’éléments permettant de déterminer si la compensation de l’obligation d’achat en cause pourrait relever de la notion de service économique d’intérêt général (SIEG) au sens de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, et que, d’autre part, ni la problématique du SIEG ni celle de la directive 2003/54 n’ont été débattues entre les parties à la présente procédure, la Cour ne saurait statuer à cet égard.

26.      En outre, je rappelle que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, il appartient à celle‑ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi (19). Le choix de la formulation de la question effectuée par la juridiction de renvoi doit donc, en principe, bénéficier d’une présomption de pertinence ainsi que d’une «présomption d’utilité» pour la solution du litige au principal.

27.      Par conséquent, dans la mesure où la formulation de la question préjudicielle me paraît claire et bien délimitée, il ne revient pas à la Cour d’élargir le champ du débat.

B –    Qualification de la mesure contestée au regard de la jurisprudence portant sur la notion d’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

28.      Tout d’abord, il importe de préciser que les parties à la présente procédure exposent des points de vue diamétralement opposés en ce qui concerne la réponse à la question préjudicielle posée. La Commission et Vent de Colère e.a. partagent l’opinion selon laquelle l’intervention de ressources étatiques dans le mécanisme de financement en cause ne fait aucun doute. En revanche, le gouvernement français et le Syndicat des énergies renouvelables défendent la thèse contraire. S’agissant du gouvernement grec, ce dernier suggère de laisser au juge national le soin de procéder à la qualification définitive de la mesure.

29.      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la qualification d’«aide d’État» au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE requiert que toutes les conditions visées à cette disposition soient remplies (20). Ainsi, pour qu’une mesure nationale puisse être qualifiée d’aide d’État, il doit s’agir, premièrement, d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire et, quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (21).

30.      La présente question préjudicielle portant uniquement sur la première de ces conditions, il convient de préciser que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État (22). La jurisprudence a consacré le caractère cumulatif de ces deux conditions (23).

1.      Sur l’imputabilité de la mesure

31.      En ce qui concerne l’imputabilité à l’État, la notion en cause inclut les aides accordées tant directement par l’État au sens large (24) que par des organismes publics ou privés qu’il institue ou désigne en vue de gérer l’aide (25). Il y a lieu de noter que la jurisprudence est passée d’une approche institutionnelle de l’imputabilité (26) à l’approche selon laquelle l’imputabilité ne pouvait pas être présumée et donc déduite de la seule circonstance que la mesure en cause a été adoptée par une entreprise publique (27). Toutefois, il est clair qu’un tel test de contrôle étatique ne s’applique pas aux autorités publiques dès lors qu’elles constituent un démembrement pur de l’État lui‑même.

32.      En l’occurrence, les éléments du dossier font apparaître que la fixation de la contribution litigieuse était le résultat d’un comportement imputable à l’État français. En effet, étant donné que la contribution prélevée auprès des consommateurs finals a été instituée par la loi no 2000‑108 modifiée, il est justifié de considérer que ce sont les pouvoirs publics qui sont à l’origine du régime contesté.

2.      Sur la condition de l’origine étatique des ressources

33.      En ce qui concerne la condition tenant à l’origine étatique des ressources, je rappelle que la distinction entre aides accordées par l’État et aides accordées au moyen de ressources d’État est destinée à inclure dans la notion d’aide non seulement les aides accordées directement par l’État, mais également celles accordées par des organismes publics ou privés, désignés ou institués par l’État (28).

34.      L’article 107 TFUE comprend tous les moyens pécuniaires que l’État peut effectivement utiliser pour soutenir des entreprises. Le fait que ces moyens restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’ils soient qualifiés de ressources d’État et pour qu’une mesure qu’ils servent à financer entre dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (29).

35.      Tel me semble être le cas en l’espèce. En effet, ainsi qu’il ressort du dossier, en vertu de la loi no 2000‑108 modifiée, l’obligation d’achat de l’électricité est compensée par des contributions dues par tous les consommateurs finals d’électricité installés en France (30). Le montant de la contribution est déterminé par la voie d’un décret ministériel. La gestion des fonds ainsi collectés est confiée à la CDC qui dispose à cette fin d’un compte spécifique alimenté par les contributions dues par le consommateur final, sur lequel elle retrace ces différentes opérations. Les sommes permettant de financer les surcoûts qui résultent, pour EDF et les autres distributeurs, de l’obligation d’achat de l’énergie éolienne sont reversées aux opérateurs concernés par la CDC quatre fois par an. Le montant de la contribution est calculé au prorata de la quantité d’électricité consommée, tout en étant soumis à un plafonnement de 500 000 euros par site de consommation.

a)      Le contrôle exercé par l’État

36.      À cet égard, s’agissant d’un contrôle direct ou indirect que l’État exerce sur les ressources utilisées (31), il convient de souligner, en premier lieu, le rôle joué par des organes relevant de la sphère de droit public dans le mécanisme établi par la loi no 2000‑108 modifiée.

37.      En effet, ainsi qu’il ressort du dossier, le montant de l’imposition à laquelle chaque consommateur final d’électricité en France est soumis est arrêté annuellement par la voie d’un arrêté du ministre chargé de l’énergie sur proposition de la CRE, laquelle est l’autorité administrative indépendante chargée de veiller au bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz en France (32). Ainsi qu’il a été expliqué lors de l’audience, à défaut d’arrêté ministériel, le montant de la contribution est augmenté pour l’année suivante à hauteur de 3 euros par mégawattheure. Par ailleurs, bien que, comme cela a été souligné à l’audience, ce mécanisme n’assure pas en réalité une équivalence exacte entre les surcoûts supportés par les distributeurs et le montant de la contribution reversé à ces derniers, la loi no 2000‑108 modifiée consacre le principe de la couverture intégrale de l’obligation d’achat en cause, ce qui prouve en soi que l’État se porte garant du mécanisme dans son ensemble.

38.      De surcroît, la loi no 2000‑108 modifiée prévoit des mécanismes de sanction administrative en cas de non‑paiement de la contribution (33). En effet, conformément à l’article 5 de la loi no 2000‑108 modifiée, en cas de défaillance de paiement des contributions par un redevable, le ministre chargé de l’énergie prononce une sanction administrative dans les conditions prévues à l’article 41 de ladite loi (34).

39.      Or, conformément à la jurisprudence, les fonds qui sont alimentés par des contributions obligatoires imposées par la législation de l’État membre et qui sont gérés et répartis conformément à cette législation sont à considérer comme des ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, même s’ils sont administrés par des institutions distinctes de l’autorité publique (35).

40.      Cette constatation n’est pas remise en cause par le raisonnement adopté récemment par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE, précité, relative à la légalité d’une décision d’une autorité nationale étendant à l’ensemble des professionnels de la filière agricole de la production et de l’élevage de dindes un accord interprofessionnel qui avait institué une cotisation obligatoire, en vue de permettre la mise en œuvre de certaines actions en faveur des intérêts de ce secteur. En effet, dans ladite affaire, les autorités publiques n’ont agi que comme un «instrument» afin de rendre obligatoires les contributions instituées par les organismes privés (36).

b)      Le statut de l’organe intervenant dans le transfert de fonds

41.      En deuxième lieu, s’agissant du mécanisme de transfert des fonds destinés au financement de la mesure d’aide entre les sujets redevables et les sujets bénéficiaires, il convient de souligner que les ressources obtenues grâce aux charges imposées à l’ensemble des consommateurs transitent par l’organisme de droit public mandaté expressément par l’État, à savoir la CDC.

42.      À cet égard, je souhaite préciser que c’est seulement si l’avantage est accordé par un organisme privé qu’il convient, pour apprécier le caractère étatique des ressources mises en œuvre, d’examiner en détail si l’État a confié la gestion du régime d’aide à cet organisme privé. Cela suppose que l’État mette directement ou indirectement les ressources nécessaires à la gestion de l’aide à la disposition de l’organisme privé qu’il désigne (37).

43.      Tel était le cas, notamment, dans l’affaire Essent Netwerk Noord e.a., précitée, dans laquelle le bénéficiaire de la taxe et le gestionnaire des fonds contestés était une société désignée par la loi (à savoir SEP). Toutefois, ladite société était une filiale commune de quatre entreprises nationales productrices d’électricité qui opéraient sur le marché national avant sa libéralisation et qui étaient également chargées de l’importation et de la transmission d’électricité. Par conséquent, la Cour a analysé le degré d’autonomie de ladite société désignée, laquelle s’est avérée être strictement contrôlée dans sa tâche de gestion des fonds, dès lors qu’elle était tenue de faire certifier par un comptable le décompte des sommes perçues et transférées et ne pouvait les utiliser que pour les affectations prévues par la loi (38).

44.       Or, en l’espèce, dans la mesure où l’organisme qui s’est vu confier la gestion comptable et la répartition financière des fonds est un établissement public par excellence (39) et surtout dès lors que les fonds en cause sont entièrement laissés à la disposition des autorités nationales (40), l’analyse des détails du fonctionnement de la CDC est, à mon avis, sans pertinence au regard du critère de l’origine étatique des ressources (41).

45.      À cet égard, je précise que, en ce qui concerne le mécanisme de financement, la présente affaire se distingue explicitement de l’affaire Pearle e.a., précitée, qui concernait un dispositif de financement d’une campagne publicitaire en faveur des entreprises du secteur de l’optique. Dans ladite affaire, les fonds étaient effectivement collectés par un organisme professionnel de droit public auprès de ses affiliés, bénéficiaires de la campagne, au moyen d’une contribution affectée obligatoirement à l’organisation de la campagne. Selon la Cour, il ne s’agissait ni d’une charge pour l’État ni de fonds demeurant sous le contrôle de l’État (42). Toutefois, la Cour a souligné que l’initiative prise pour l’organisation et la poursuite de ladite campagne émanait d’une association privée d’opticiens, et non dudit organisme professionnel de droit public. Par conséquent, contrairement au mécanisme en cause dans la présente espèce, l’élément décisif dans l’affaire Pearle e.a., précitée, était l’absence d’imputabilité à l’État néerlandais (43). En effet, ledit organisme de droit public servait uniquement d’instrument pour la perception et l’affectation de ressources générées en faveur d’un objectif purement commercial fixé préalablement par le milieu professionnel concerné et qui ne s’inscrivait nullement dans le cadre d’une politique définie par les autorités néerlandaises (44).

46.      Par conséquent, eu égard aux particularités des affaires précitées Essent Netwerk Noord e.a. et Pearle e.a., je ne peux pas partager une affirmation générale selon laquelle la nature publique d’un organisme n’implique pas que les ressources à sa disposition doivent être qualifiées de ressources d’État (45).

47.      Le rôle confié en l’espèce à la CDC corrobore la thèse de la présence de ressources publiques malgré le fait, précisé à l’audience, que la CDC ne perçoit qu’une partie des fonds transitant vers les bénéficiaires de la contribution. En effet, dans l’hypothèse où, d’une part, l’imputabilité à l’État ne fait pas de doute et où, d’autre part, les organismes intermédiaires impliqués dans la gestion des ressources servant à financer la mesure sont des organismes de droit public, le critère des ressources d’État est présumé rempli.

c)      La nature des ressources en cause

48.      En troisième lieu, s’agissant de la provenance et de l’étendue des ressources servant à financer une mesure susceptible de constituer une aide d’État, il y a lieu de souligner que, contrairement aux arguments avancés par les parties en faveur de la thèse de l’absence de ressources d’État en l’espèce, la présente affaire ne saurait aucunement être assimilée au mécanisme examiné dans l’affaire PreussenElektra dans laquelle la Cour a considéré que le dispositif en cause n’entraînait aucun transfert de ressources d’État aux entreprises productrices d’électricité (46).

49.      Dans cette affaire, la Cour examinait l’obligation, faite à des entreprises privées d’approvisionnement en électricité, d’acheter de l’électricité dans leur zone d’approvisionnement à des prix minimaux supérieurs à la valeur économique réelle de ce type d’électricité. Le mécanisme en question prévoyait également que la charge financière en découlant serait répartie entre lesdites entreprises d’approvisionnement et les exploitants privés des réseaux d’électricité. De plus, les entreprises n’étaient pas mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État, mais étaient tenues d’une obligation d’achat au moyen de leurs ressources financières propres (47), les ressources provenant de paiements individuels n’étaient pas confondues en une ressource globale, séparée du patrimoine des entreprises concernées et gérée par un organisme distinct et les consommateurs finals ne supportaient pas le financement du mécanisme en cause par le biais d’une charge uniformément définie et généralement applicable (48).

50.      Le principal élément qui distingue la présente affaire du mécanisme examiné par la Cour dans l’affaire PreussenElektra, précitée (49), réside donc dans le fait que la charge visant à financer l’obligation d’achat de l’électricité éolienne à un prix supérieur à celui du marché s’applique à tous les consommateurs d’électricité en France, indépendamment du point de savoir s’ils achètent ou non de l’énergie verte, sachant que, dans le marché libéralisé de l’électricité, dont l’achèvement constitue l’un des objectifs primordiaux de l’Union (50), il existe une concurrence entre les producteurs et les fournisseurs d’énergie.

51.      Tout en admettant que, physiquement, l’énergie provenant de sources différentes se fond dans le réseau de distribution, je relève que, dans le cadre du mécanisme en cause au principal, les fournisseurs n’ont pas la possibilité de différencier les tarifs entre les différentes catégories de consommateurs et que les consommateurs sont privés de la possibilité d’opter pour ou contre l’achat d’énergie renouvelable. Or, les règles applicables dans le marché intérieur libéralisé de l’électricité visent à offrir aux consommateurs un choix réel à des prix équitables et concurrentiels, à stimuler la production d’énergie propre et à renforcer la sécurité de l’approvisionnement. En effet, l’objectif de la divulgation des informations sur les sources d’énergie pour la production d’électricité était déjà souligné dans la directive 2003/54 (51).

52.      Ainsi, contrairement au système de financement mis en place par le code rural, analysé par la Cour dans l’arrêt Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE, précité, et considéré par M. l’avocat général Wathelet comme un système «fermé» en ce sens que les sommes en jeu étaient tout le temps gérées et contrôlées par des entités privées (52), le système établi par la loi no 2000‑108 modifiée pourrait être qualifié d’«ouvert».

53.      Je note que, dans l’affaire Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE, précitée, qui s’inscrit clairement dans la ligne de la jurisprudence Pearle e.a., précitée, les cotisations provenaient d’opérateurs économiques privés, membres ou non membres de l’organisation interprofessionnelle impliquée, mais exerçant une activité économique sur les marchés concernés. Par ailleurs, aucun transit par le budget de l’État ou par une autre entité publique n’était prévu, ce qui a conduit la Cour à juger que les fonds conservaient leur nature privée tout au long de leur parcours (53).

54.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de conclure que le système établi par la loi no 2000‑108 modifiée introduit une taxe sur la consommation d’électricité qui est alimentée par une contribution générale selon des règles fixées de manière uniforme par l’État et qui frappe l’ensemble des consommateurs d’électricité sur le territoire national. La configuration de cette contribution exclut entièrement sa qualification en tant que dispositif confiné à une catégorie d’entreprises, qui serait imposé, administré et contrôlé par des opérateurs privés.

55.      Enfin, je rappelle que la finalité poursuivie par des interventions étatiques ne suffit pas à les faire échapper d’emblée à la qualification d’aide. En effet, l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (54).

56.      Je ne puis donc partager la position du gouvernement français qui, tout en soulignant que l’obligation d’achat est neutre pour le budget de l’État en ce que l’État ne renonce pas à percevoir les recettes (55), fait valoir que la contribution des consommateurs finals n’est qu’une modalité d’organisation de la répercussion des coûts additionnels supportés par les débiteurs de l’obligation d’achat de l’électricité éolienne. Enfin, la désignation de la CDC en tant qu’entité chargée de centraliser les contributions et de répartir les fonds collectés serait, selon lui, motivée par des considérations pratiques liées au nombre d’entreprises soumises à l’obligation d’achat. Or, ces arguments expliquant les motivations du législateur national ne sauraient corroborer la thèse de l’absence de ressources d’État dans le mécanisme de financement en cause. De surcroît, alors même que le rôle de la CDC paraît être technique et comptable, tant la répartition des revenus que la détermination des coûts dans le système dépendent des décisions adoptées par l’État français sous la forme de décrets du ministre compétent.

57.      Eu égard à tout ce qui précède, je considère qu’il convient de répondre à la question posée que le mécanisme résultant de la loi no 2000‑108 modifiée relève de la notion d’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

IV – Sur la demande de limiter les effets dans le temps

58.      Dans l’hypothèse où la Cour considérerait qu’un mode de financement, tel que celui qui est prévu par la réglementation nationale en cause au principal, constitue une intervention au moyen de ressources d’État, le gouvernement français demande à la Cour de limiter dans le temps les effets de son arrêt. Lors de l’audience, ledit gouvernement a précisé que, selon lui, la juridiction de renvoi estime que les autres conditions de la notion d’aide d’État sont remplies, ce qui induit une qualification du régime contesté comme une aide d’État, laquelle, en l’absence de notification à la Commission, sera considérée comme illégale.

59.      D’emblée, cette demande de limitation dans le temps des effets de l’arrêt de la Cour me semble infondée pour deux motifs.

60.      En premier lieu, ladite demande ne saurait prospérer au regard de la portée de la question préjudicielle, la Cour étant en l’espèce amenée à se prononcer sur un seul élément de la notion d’aide d’État.

61.      Il est vrai que le Conseil d’État paraît avoir analysé les critères définis à l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Toutefois, une conclusion éventuelle d’un juge national quant à la qualification de la mesure en tant qu’aide d’État ne constitue qu’un aspect de la procédure complexe du contrôle des aides d’État.

62.      De surcroît, il me paraît ressortir du dossier que la problématique du service d’intérêt économique général n’a pas été tranchée par le Conseil d’État.

63.      À cet égard, il est utile de rappeler que, en ce qui concerne le contrôle du respect par les États membres des obligations mises à leur charge par les articles 107 et 108 TFUE, il y a lieu de tenir compte des rôles complémentaires et distincts remplis par les juridictions nationales et la Commission (56). Tandis que l’appréciation de la compatibilité relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle de la Cour, les juridictions nationales veillent à la sauvegarde des droits des justiciables en cas de violation de l’obligation de notification préalable des aides d’État à la Commission prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. À ce titre, une juridiction nationale peut être amenée à interpréter la notion d’aide (57).

64.      En effet, les juridictions nationales doivent, en principe, faire droit à une demande de remboursement des aides versées en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (58). Elles doivent donc garantir que toutes les conséquences d’une violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE seront tirées, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes d’exécution des mesures d’aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition (59).

65.      Toutefois, il importe de souligner que le constat du Conseil d’État selon lequel le système résultant de la loi no 2000‑108 modifiée relève de la notion d’aide d’État n’exclut pas, en cas d’examen du régime à la suite de la notification, une décision positive de la Commission.

66.      Il est en revanche clair que, sous peine de porter atteinte à l’effet direct de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE, la décision finale de la Commission n’a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d’exécution qui étaient invalides du fait qu’ils avaient été pris en méconnaissance de l’interdiction visée par cet article. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l’inobservation, par l’État membre concerné, de cette disposition et la priverait de son effet utile (60).

67.      Enfin, la Cour a jugé, dans l’affaire CELF (61), que, lorsqu’une demande fondée sur l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE est examinée après que la Commission a adopté une décision positive, le juge national, nonobstant la constatation de la compatibilité avec le marché commun de l’aide en cause, doit statuer sur la validité des actes d’exécution et sur le recouvrement des soutiens financiers accordés. Cependant, le droit de l’Union n’impose pas dans un tel cas de figure au juge national une obligation de récupération intégrale de l’aide illégale (62), mais exige qu’il ordonne au bénéficiaire de l’aide compatible, mise en œuvre illégalement, le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité (63).

68.      En second lieu, je rappelle que l’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (64).

69.      Ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves (65).

70.      Plus spécifiquement, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, notamment lorsqu’il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et qu’il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à adopter un comportement non conforme au droit de l’Union en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions du droit de l’Union, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission (66).

71.      Alors même que je pourrais hypothétiquement considérer que le critère relatif au nombre important des rapports juridiques constitués sous l’empire de la législation contestée est rempli en l’espèce, les dispositions du droit de l’Union applicables dans le domaine des aides d’État, et surtout en ce qui concerne l’obligation de notification au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ne peuvent nullement être considérées comme entachées d’une incertitude quelconque (67).

72.      Eu égard à tout ce qui précède, je propose à la Cour de rejeter la demande de limiter les effets de son arrêt dans le temps.

V –    Conclusion

73.      À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Conseil d’État:

Un mécanisme de financement de l’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent, qui repose sur une taxe prélevée sur tous les consommateurs finals d’électricité sur le territoire national, tel que celui résultant de la loi no 2000‑108, du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, telle que modifiée, relève de la notion d’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.


1 –      Langue originale: le français.


2 –      Arrêté du 17 novembre 2008 du ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, complété par un arrêté du 23 décembre 2008 de la ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi (JORF du 13 décembre 2008, p. 19032).


3 –      Les bases juridiques du mécanisme en question découlent, en cascade, de la loi no 2000‑108, du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité (JORF du 11 février 2000, p. 2143). En application de l’article 10 de ladite loi, le décret no 2001‑410 (JORF du 12 mai 2001, p. 7543) habilite notamment, par son article 8, les ministres compétents à fixer les tarifs d’achat de l’électricité; ceux‑ci ont dès lors adopté les arrêtés litigieux.


4 –      La loi no 2000‑108 a notamment été modifiée par la loi no 2003‑8, du 3 janvier 2003 (JORF du 4 janvier 2003, p. 265), et par la loi no 2005‑781, du 13 juillet 2005 (JORF du 14 juillet 2005, p. 11570).


5 –      Voir, notamment, arrêts du 2 février 1988, van der Kooy e.a./Commission (67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219), concernant le tarif préférentiel du gaz naturel appliqué aux Pays‑Bas pour l’horticulture sous serres chauffées; du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig (78/76, Rec. p. 595), relatif à la mise en œuvre d’une politique étatique de promotion de l’agriculture, de la sylviculture et de l’industrie alimentaire nationales; du 16 mai 2002, France/Commission, dit «Stardust Marine» (C‑482/99, Rec. p. I‑4397), relatif au soutien du secteur du textile et de l’habillement; du 20 novembre 2003, GEMO (C‑126/01, Rec. p. I‑13769), concernant le système de financement d’un service public de l’équarrissage par une taxe sur les achats de viande; du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, Rec. p. I‑5497), concernant le mécanisme de financement des coûts échoués sur le marché de l’électricité aux Pays‑Bas.


6 –      Arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, Rec. p. 709).


7 – Arrêt du 13 mars 2001 (C‑379/98, Rec. p. I‑2099), relatif à l’obligation faite à des entreprises privées d’acheter de l’électricité renouvelable. Voir, également, arrêts du 15 juillet 2004, Pearle e.a. (C‑345/02, Rec. p. I‑7139), concernant le financement de la campagne publicitaire décidée par les membres d’un organisme professionnel, et du 30 mai 2013, Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE (C‑677/11), relatif à la décision d’une autorité nationale étendant à l’ensemble des membres d’une organisation interprofessionnelle reconnue par l’État un accord qui institue une cotisation obligatoire destinée à financer des actions de promotion et de défense des intérêts du secteur en question.


8 –      Voir point 166 des conclusions dans l’affaire PreussenElektra, précitée.


9 –      Telle que définie à l’article 10‑1 de la loi no 2000‑108 (abrogé), sans limite de puissance.


10 –      Résultant, notamment, du décret no 410‑2001, du 10 mai 2001, et des arrêtés pris en application de l’article 8 de ce décret, dont les arrêtés qui font l’objet de la présente procédure.


11 –      À savoir, les sociétés de distribution à économie mixte dans lesquelles l’État ou les collectivités publiques possèdent la majorité, les régies constituées par les collectivités locales, les coopératives d’usagers et les sociétés d’intérêt collectif agricole concessionnaires d’électricité, telles que définies à l’article 23 de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz (abrogé).


12 –      Les principes régissant la détermination du tarif d’achat de l’électricité sont énoncés à l’article 10 de la loi no 2000‑108 modifiée. La durée de ce contrat d’achat était de quinze ou vingt ans en 2008, étant précisé que les installations éligibles ne pouvaient en bénéficier qu’une seule fois (voir arrêtés litigieux).


13 –      Aux termes de l’article 5 de la loi no 2000‑108 modifiée, le montant de la contribution due, par site de consommation, par les consommateurs finals mentionnés au premier alinéa du paragraphe I de l’article 22 ne peut excéder 500 000 euros et la contribution applicable à chaque kilowattheure ne peut dépasser 7 % du tarif de vente du kilowattheure, hors abonnement et hors taxes, correspondant à une souscription d’une puissance de 6 kWh sans effacement ni horosaisonnalité.


14 –      Décision no 237466, du 21 mai 2003, UNIDEN.


15 –      Ayant été admis à intervenir devant la juridiction de renvoi eu égard à son intérêt au maintien des arrêtés litigieux.


16 – Arrêt du 24 juillet 2003 (C‑280/00, Rec. p. I‑7747).


17 –      Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (JO L 176, p. 37), abrogée par la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché de l’électricité (JO L 211, p. 55).


18 –      Arrêt du 21 juin 2007, Omni Metal Service (C‑259/05, Rec. p. I‑4945, point 15).


19 –      Arrêt du 8 mars 2007, Campina (C‑45/06, Rec. p. I‑2089, point 30).


20 –      Voir, entre autres, arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post (C‑399/08 P, Rec. p. I‑7831, point 38).


21 –      Voir, en ce sens, notamment, arrêt du 17 novembre 2009, Presidente del Consiglio dei Ministri (C‑169/08, Rec. p. I‑10821, point 52 et jurisprudence citée).


22 –      Arrêts du 21 mars 1991, Italie/Commission (C‑303/88, Rec. p. I‑1433, point 11); GEMO, précité (point 24), et Pearle e.a., précité (point 35 et jurisprudence citée).


23 –      Arrêt Stardust Marine, précité (point 24).


24 –      Arrêt du 14 octobre 1987, Allemagne/Commission (248/84, Rec. p. 4013, points 17 et 18).


25 –      Arrêt Steinike & Weinlig, précité (point 21).


26 –      Arrêts du 21 mars 1991, Italie/Commission (C‑303/88, Rec. p. I‑1433, point 12), et du 21 mars 1991, Italie/Commission (C‑305/89, Rec. p. I‑1603, point 14). Voir Dony, M., Contrôle des aides d’État, Éditions de l’Université de Bruxelles 2006, 3e éd., p. 26 et suiv.


27 –      Arrêt Stardust Marine, précité (point 52): le seul fait qu’une entreprise publique soit sous contrôle étatique ne suffit pas pour imputer des mesures prises par celle‑ci, telles que les mesures de soutien financier en cause, à l’État. Il est encore nécessaire d’examiner si les autorités publiques doivent être considérées comme ayant été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption de ces mesures.


28 –      Arrêts du 30 janvier 1985, Commission/France (290/83, Rec. p. 439), et du 17 mars 1993, Sloman Neptun (C‑72/91 et C‑73/91, Rec. p. I‑887, point 19).


29 –      Arrêt du 29 avril 2004, Grèce/Commission (C‑278/00, Rec. p. I‑3997, point 52).


30 –      Au cours de la période comprise entre l’année 2000 et l’année 2003, ces contributions étaient versées par les opérateurs qui livraient de l’électricité à des clients finals installés en France, par les auto‑producteurs ainsi que par les clients finals qui importaient ou qui effectuaient des acquisitions intracommunautaires d’électricité.


31 –      Voir arrêt Stardust Marine, précité (point 37).


32 –      La CRE est le régulateur national au sens de l’article 23 de la directive 2003/54 qui impose aux États membres l’obligation de désigner un ou plusieurs organes compétents chargés d’exercer les fonctions d’autorités de régulation. Ces autorités sont totalement indépendantes du secteur de l’électricité. Toutefois, dès lors que la loi prévoit une augmentation plafonnée en l’absence d’un arrêté ministériel, le rôle joué par la CRE paraît affecté.


33 –      Voir, a contrario, arrêt Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE, précité (point 32).


34 –      Certes, en vertu de l’article 4 de l’ordonnance no 2011‑504, du 9 mai 2011, l’article 41 de la loi no 2000‑108 modifiée a été abrogé. Toutefois, en vertu de l’article 6 de ladite ordonnance, l’abrogation n’a pas encore pris effet.


35 –      Arrêt Italie/Commission, 173/73, précité (point 35).


36 –      Voir point 90 des conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE, précitée.


37 –      Voir, en ce sens, arrêts précités Italie/Commission, 173/73 (points 33 à 35), et Steinike & Weinlig (point 22).


38 –      Arrêt Essent Netwerk Noord e.a., précité (points 68 à 70).


39 –      Pour une description détaillée de la CDC, voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Air France/Commission (T‑358/94, Rec. p. II‑2109).


40 –      Voir, a contrario, arrêt Pearle e.a., précité (point 36).


41 –      À titre de comparaison, je rappelle que, notamment, dans l’affaire van der Kooy e.a., précitée, les parties ont soutenu devant la Cour que la société ayant imposé le tarif susceptible de constituer une aide d’État était une société de droit privé dans laquelle l’État néerlandais ne disposait que de 50 % du capital et, d’autre part, que le tarif était le résultat d’un accord de droit privé conclu entre différents opérateurs et auquel l’État néerlandais était étranger. La Cour a donc été contrainte d’analyser lesdits éléments qui l’ont d’ailleurs amenée à conclure que l’État était pleinement impliqué dans l’imposition du tarif litigieux.


42 –      Arrêt Essent Netwerk Noord e.a., précité (point 72).


43 –      Voir également point 110 des conclusions dans l’affaire Essent Netwerk Noord e.a., précitée.


44 –      Voir point 76 des conclusions de l’avocat général dans l’affaire Pearle e.a., précitée.


45 –      Point 104 des conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Essent Netwerk Noord e.a., précitée.


46 –      Arrêt précité (point 59).


47 –      Voir arrêt Essent Netwerk Noord e.a., précité (point 74).


48 –      Voir, a contrario, arrêt Pearle e.a., précité (point 36).


49 –      Par ailleurs, un autre aspect qui illustre la différence entre les deux mécanismes réside dans l’institution d’un organisme tel que la CDC, laquelle est chargée d’administrer et de gérer les fonds provenant de la taxe.


50 –      Le marché intérieur de l’énergie a été mis en place progressivement, initialement par la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 1997, L 27, p. 20), laquelle a été remplacée par la directive 2003/54. Eu égard à l’objectif de poursuivre la libéralisation du marché intérieur de l’électricité, la directive 2009/72, abrogeant la directive 2003/54, a été adoptée. Son délai de transposition a expiré en mars 2011.


51 –      Tout en reconnaissant que la directive 2009/72 n’est pas applicable au présent litige ratione temporis, je relève que, aux termes de l’article 3, paragraphe 9, de celle‑ci, les États membres s’assurent que les fournisseurs d’électricité spécifient dans ou avec les factures envoyées aux clients finals la contribution de chaque source d’énergie à la totalité des sources utilisées par le fournisseur.


52 –      Voir point 66 des conclusions dans l’affaire Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE, précité.


53 –      Voir arrêt Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE, précité (point 32).


54 – Arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, Rec. p. I‑10515, points 84 et 85 ainsi que jurisprudence citée).


55 –      Voir, à cet égard, point 162 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire PreussenElektra, précitée.


56 –      Tels qu’ils ont été rappelés par la Cour dans son arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a. (C‑39/94, Rec. p. I‑3547, points 41 et suiv.).


57 –      Voir, en ce sens, arrêt SFEI e.a., précité (points 49 à 51).


58 –      Voir, notamment, arrêt SFEI e.a., précité (point 70).


59 –      Arrêts SFEI e.a., précité (point 40), ainsi que du 21 octobre 2003, van Calster e.a. (C‑261/01 et C‑262/01, Rec. p. I‑12249, point 64), et du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich (C‑368/04, Rec. p. I‑9957, point 47).


60 –      Arrêt van Calster e.a., précité (point 63).


61 –      Arrêt du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication (C‑199/06, Rec. p. I‑469).


62 –      Arrêt CELF et ministre de la Culture et de la Communication, précité (point 46).


63 –      Voir, en ce sens, arrêts précités SFEI e.a. (point 75), et Transalpine Ölleitung in Österreich (point 56). La Cour a toutefois précisé que, dans le cadre de son droit national, le juge national peut, le cas échéant, ordonner en outre la récupération de l’aide illégale, sans préjudice du droit de l’État membre de mettre celle‑ci à nouveau à exécution, ultérieurement. Il peut également être amené à accueillir des demandes d’indemnisation de dommages causés en raison du caractère illégal de l’aide.


64 – Voir, notamment, arrêts du 3 octobre 2002, Barreira Pérez (C‑347/00, Rec. p. I‑8191, point 44); du 17 février 2005, Linneweber et Akritidis (C‑453/02 et C‑462/02, Rec. p. I‑1131, point 41), ainsi que du 6 mars 2007, Meilicke e.a. (C‑292/04, Rec. p. I‑1835, point 34).


65 –      Voir, notamment, arrêts du 10 janvier 2006, Skov et Bilka (C‑402/03, Rec. p. I‑199, point 51), ainsi que du 3 juin 2010, Kalinchev (C‑2/09, Rec. p. I‑4939, point 50).


66 – Voir, notamment, arrêts du 27 avril 2006, Richards (C‑423/04, Rec. p. I‑3585, point 42); Kalinchev, précité (point 51), et du 10 mai 2012, Santander Asset Management SGIIC (C‑338/11 à C‑347/11, points 59 et 60).


67 –      Je relève, à cet égard, une pratique administrative bien établie relatée dans les observations de la Commission, laquelle a examiné dans la dernière décennie un nombre important de systèmes de soutien comparables dans d’autres États membres. Voir, entre autres, à titre d’exemple d’une décision finale adoptée après une procédure formelle d’examen, la décision 2007/580/CE de la Commission, du 24 avril 2007, concernant le régime d’aides d’État mis en œuvre par la Slovénie dans le cadre de sa législation relative aux producteurs d’énergie qualifiés – Aide d’État C 7/2005 (JO L 219, p. 9, considérants 66 à 78); et, à titre d’exemple d’une décision de ne pas soulever d’objections, la décision du 2 juillet 2009 – N 143/2009 – Chypre – Aid scheme to encourage electricity generation from large commercial wind, solar, photovoltaic systems and biomass [C(2009)5398].