Language of document : ECLI:EU:C:2012:687

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 novembre 2012 (*)

«Manquement d’État – Politique sociale – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Directive 2000/78/CE – Articles 2 et 6, paragraphe 1 – Régime national imposant la cessation de l’activité professionnelle des juges, des procureurs et des notaires ayant atteint l’âge de 62 ans – Objectifs légitimes justifiant une différence de traitement avec les travailleurs âgés de moins de 62 ans – Caractère proportionné de la durée de la période transitoire»

Dans l’affaire C‑286/12,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 7 juin 2012,

Commission européenne, représentée par M. J. Enegren et Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, MM. A. Borg Barthet, M. Ilešič, E. Levits et J.‑J. Kasel, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu l’ordonnance du président de la Cour du 13 juillet 2012 décidant de soumettre l’affaire à la procédure accélérée prévue aux articles 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 133 du règlement de procédure de la Cour,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er octobre 2012,

l’avocat général entendu,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant un régime national imposant la cessation de l’activité professionnelle des juges, des procureurs et des notaires ayant atteint l’âge de 62 ans, qui entraîne une différence de traitement fondée sur l’âge n’étant pas justifiée par des objectifs légitimes et, en tout état de cause, n’ayant pas un caractère nécessaire et approprié par rapport aux objectifs poursuivis, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        L’article 1er de la directive 2000/78 dispose:

«La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, l’handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.»

3        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de cette directive prévoit:

«1.      Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.      Aux fins du paragraphe 1:

a)      une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;

b)      une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que:

i)      cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ou que

[…]»

4        L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive est libellé comme suit:

«Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:

a)      la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;

[…]»

 Le droit hongrois

5        Jusqu’au 31 décembre 2011, l’article 57, paragraphe 2, de la loi no LXVII de 1997 relative au statut juridique et à la rémunération des juges permettait en substance aux juges de rester en fonction jusqu’à l’âge de 70 ans.

6        La nouvelle Loi fondamentale, adoptée le 25 avril 2011 et entrée en vigueur le 1er janvier 2012 (ci-après la «Loi fondamentale»), dispose, à son article 26, paragraphe 2, que, «[à] l’exception du président de la Kúria, les juges peuvent rester en exercice jusqu’à l’âge général de la retraite».

7        À cet égard, l’article 12, paragraphe 1, des dispositions transitoires de la Loi fondamentale (ci-après les «dispositions transitoires») dispose:

«Si le juge atteint l’âge général du bénéfice de la pension de retraite visé à l’article 26, paragraphe 2, de la Loi fondamentale avant le 1er janvier 2012, ses fonctions prennent fin le 30 juin 2012. S’il atteint l’âge général du bénéfice de la pension de retraite visé à l’article 26, paragraphe 2, de la Loi fondamentale entre le 1er janvier et le 31 décembre 2012, ses fonctions prennent fin le 31 décembre 2012.»

8        De même, en ce qui concerne les procureurs, aux termes de l’article 29, paragraphe 3, de la Loi fondamentale, «[à] l’exception du Procureur général, les procureurs peuvent rester en exercice jusqu’à l’âge limite général de départ à la retraite».

9        À cet égard, l’article 13 des dispositions transitoires prévoit:

«Si le procureur atteint l’âge général du bénéfice de la pension de retraite visé à l’article 29, paragraphe 3, de la Loi fondamentale avant le 1er janvier 2012, ses fonctions prennent fin le 30 juin 2012. S’il atteint l’âge général du bénéfice de la pension de retraite visé à l’article 29, paragraphe 3, de la Loi fondamentale entre le 1er janvier et le 31 décembre 2012, ses fonctions prennent fin le 31 décembre 2012.»

10      Ainsi, d’une part, au sens de l’article 90, sous ha), de la loi no CLXII de 2011 relative au statut juridique et à la rémunération des juges (ci-après la «loi de 2011 relative aux juges»), entrée en vigueur le 1er janvier 2012, le juge est mis à la retraite, s’il «a atteint l’âge limite de départ à la retraite qui lui est applicable […], en ce exclu le président de la Kúria».

11      D’autre part, conformément à l’article 34, sous d), de la loi no CLXIV de 2011 relative à la carrière des procureurs et au statut juridique du procureur général, des procureurs et des autres agents du parquet, «le procureur cesse d’exercer ses fonctions de procureur lorsqu’il atteint l’âge limite de la retraite qui lui est applicable.»

12      En outre, l’article 45, paragraphe 4, de la loi no CCI de 2011 modifiant certaines lois conformément à la Loi fondamentale a modifié, avec effet au 1er janvier 2014, l’article 22, sous d), de la loi no XLI de 1991 relative aux notaires. Ce dernier article dispose dans sa nouvelle version que «[l]es notaires cessent d’exercer leurs fonctions le jour où ils atteignent l’âge limite de départ à la retraite qui leur est applicable».

13      Dans sa formulation en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009, l’article 18, paragraphe 1, de la loi no LXXXI de 1997 relative aux prestations d’assurance sociale en matière de pension (ci-après la «loi Tny») disposait:

«A droit à la pension de retraite de la sécurité sociale, à partir de 62 ans, toute personne ayant accompli au minimum 20 années de service.»

14      Dans sa version qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2010, cette même disposition est désormais libellée dans les termes suivants:

«L’âge ouvrant droit à la pension de retraite de la sécurité sociale est fixé comme suit:

a)      62 ans pour toutes les personnes nées avant le 1er janvier 1952,

b)      62 ans plus 183 jours pour toutes les personnes nées en 1952,

c)      63 ans pour toutes les personnes nées en 1953,

d)      63 ans plus 183 jours pour toutes les personnes nées en 1954,

e)      64 ans pour toutes les personnes nées en 1955,

f)      64 ans plus 183 jours pour toutes les personnes nées en 1956,

g)      65 ans pour toutes les personnes nées en 1957 ou après.»

15      En application du paragraphe 2 dudit article 18, a droit à la retraite à taux plein toute personne qui:

«a)      a atteint l’âge limite de départ à la retraite, tel que défini au paragraphe 1 ci-dessus, correspondant à son année de naissance […], et

b)      a exercé ses fonctions pendant au moins 20 ans, et

[…]»

16      Enfin, en vertu de l’article 230 de la loi de 2011 relative aux juges, parmi les juges atteignant, avant le 1er janvier 2013, l’âge de cessation obligatoire d’activité nouvellement fixé, les fonctions de ceux qui atteignent 62 ans avant le 1er janvier 2012 prennent fin le 30 juin 2012, alors que les fonctions de ceux qui atteignent 62 ans entre le 1er janvier et le 31 décembre 2012 prennent fin le 31 décembre 2012.

17      De même, l’article 160 de la loi no CLXIV de 2011 relative à la carrière des procureurs et au statut juridique du procureur général, des procureurs et des autres agents du parquet contient des dispositions similaires, en substance, à celles prévues pour les juges. S’agissant des notaires, un régime analogue à celui des juges et des procureurs leur sera appliqué à partir du 1er janvier 2014, ainsi qu’il a été mentionné au point 12 du présent arrêt.

 La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

18      Le 17 janvier 2012, la Commission a adressé à la Hongrie une lettre de mise en demeure, dans laquelle elle a considéré que cet État membre, en adoptant les dispositions législatives nationales relatives à la limite d’âge entraînant la cessation obligatoire d’activité applicable aux juges, aux procureurs et aux notaires, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2000/78. Dans sa réponse en date du 17 février 2012, ledit État membre a contesté le manquement qui lui est reproché. Le 7 mars 2012, la Commission a émis un avis motivé invitant la Hongrie à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à ses obligations dans un délai d’un mois à compter de la réception de cet avis. Cet État membre a répondu par lettre du 30 mars 2012.

19      Ne considérant pas cette réponse comme satisfaisante, la Commission a, le 7 juin 2012, introduit le présent recours.

20      Par acte séparé déposé au greffe de la Cour le même jour, la Commission a déposé une demande tendant à l’application de la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, à laquelle le président de la Cour a fait droit par ordonnance du 13 juillet 2012.

21      Le 16 juillet 2012, l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) a décidé d’annuler, avec effet rétroactif, une partie de la législation hongroise critiquée par la Commission. Sur demande du greffe de la Cour, la Commission a, le 25 juillet 2012, pris position sur cette décision et maintenu tant son recours que sa demande de procédure accélérée. La Hongrie a dès lors déposé son mémoire en défense le 14 août 2012, dans lequel elle a également pris position sur les conséquences de ladite décision sur la présente affaire.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

22      La Commission soutient que les dispositions litigieuses sont contraires aux articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 en ce que celles-ci introduiraient une discrimination non justifiée et, en tout état de cause, ne seraient ni appropriées ni nécessaires pour atteindre les objectifs prétendument légitimes invoqués par la Hongrie.

23      À titre liminaire, la Hongrie fait valoir que la présente affaire a perdu une partie de son objet dans la mesure où, par son arrêt, l’Alkotmánybíróság a annulé avec effet rétroactif les articles 90, sous ha), et 230 de la loi de 2011 relative aux juges. Partant, il n’y aurait plus lieu de statuer sur la partie correspondante du recours. En revanche, la Commission considère que cet arrêt n’a aucun effet sur le recours.

 Sur la discrimination

24      Selon la Commission, la législation hongroise en cause viole l’article 2 de la directive 2000/78 en ce qu’elle introduit une discrimination fondée sur l’âge entre les juges, les procureurs et les notaires ayant atteint les limites d’âge fixées par cette législation pour l’admission à la retraite et ceux pouvant rester en activité. En effet, l’abaissement de 70 ans à 62 ans de la limite d’âge entraînant la cessation obligatoire d’activité applicable aux juges, aux procureurs et aux notaires introduirait une différence de traitement fondée sur l’âge entre les personnes d’une profession déterminée. Tout en reconnaissant que la Hongrie est libre de fixer l’âge de départ à la retraite de ces personnes, la Commission fait valoir que le nouveau régime affecte profondément la durée du rapport de travail liant les parties ainsi que, plus généralement, l’exercice par les personnes concernées de leur activité professionnelle, en empêchant la participation future de celles-ci à la vie active. La Commission précise à cet égard que la circonstance que, par le passé, les personnes concernées étaient soumises à un régime plus favorable que celui applicable aux autres employés du secteur public n’exclut pas que ladite législation constitue une discrimination.

25      La Hongrie rétorque qu’aucune discrimination n’existe en l’espèce. En effet, la Commission n’aurait apprécié la législation en cause que de façon isolée, sans tenir compte du contexte général dans lequel elle s’inscrit. En particulier, l’abaissement de la limite d’âge entraînant la cessation obligatoire d’activité pour les personnes relevant des catégories professionnelles concernées viserait à corriger une discrimination positive dont ces personnes bénéficiaient, dans la mesure où elles seules, contrairement aux autres employés du secteur public, pouvaient non seulement rester en fonction jusqu’à l’âge de 70 ans, mais également, dans de nombreux cas, cumuler leur traitement avec la pension de retraite à laquelle elles avaient droit à partir du moment où elles avaient atteint l’âge de départ à la retraite. Ainsi, la réforme viserait à instaurer un équilibre au sein de la réglementation générale du travail.

 Sur la justification de la discrimination

26      La Commission avance que la différence de traitement alléguée n’est pas justifiée conformément aux conditions posées à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78. En effet, la législation nationale litigieuse ne poursuivrait aucun objectif légitime et, en tout état de cause, ne serait pas proportionnée. Or, le respect de ces conditions s’imposerait non seulement à l’égard de la fixation d’une limite d’âge entraînant la cessation obligatoire d’activité, mais également en ce qui concerne les modifications de cette limite d’âge.

27      S’agissant de l’existence d’un «objectif légitime» au sens de cette disposition, la Commission fait valoir que, selon la jurisprudence de la Cour, seuls les objectifs relevant de la politique sociale, tels que ceux liés à la politique de l’emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle, sont propres à justifier qu’il soit dérogé au principe de l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge. Or, d’une part, aucun objectif de ce type ne ressort de la législation en cause ni ne peut même être déduit du contexte général dans lequel cette législation s’inscrit. Une telle carence serait en soi contraire à la directive 2000/78 dans la mesure où elle empêcherait tout contrôle juridictionnel de la légalité et de la proportionnalité de ladite législation.

28      D’autre part, la Commission relève que, pendant la phase administrative, la Hongrie a invoqué, en substance, deux objectifs censés être visés par la législation en cause, à savoir, à titre principal, l’uniformisation des règles relatives à la retraite pour toutes les personnes et, à titre secondaire, la facilitation de l’entrée des jeunes juristes dans les tribunaux en vue de créer une «structure d’âge équilibrée».

29      Or, la Commission estime que le premier de ces objectifs ne peut pas être considéré comme étant «légitime» au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, la Cour ayant exclu que des objectifs de caractère organisationnel puissent justifier une discrimination. À l’argument de la Hongrie qui fait valoir que la Cour a, par son arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et 160/10, Rec. p. I‑6919), adopté une position contraire, à savoir que de tels objectifs sont légitimes, la Commission soutient que cet arrêt n’est pas transposable en l’espèce. En effet, dans ledit arrêt, la Cour aurait non pas élargi la définition de l’«objectif légitime» au sens de cette disposition, mais constaté que l’objectif consistant à établir une «structure d’âge équilibrée» entre les jeunes fonctionnaires et les fonctionnaires plus âgés peut constituer un «objectif légitime» de la politique de l’emploi et du marché du travail. Indépendamment du fait que cet «objectif légitime» puisse avoir des conséquences «organisationnelles», en termes notamment d’amélioration de l’efficacité du service public de la justice, ces conséquences ne pourraient pas être considérées, en elles-mêmes, comme étant des «objectifs légitimes».

30      Quant au second objectif, la Commission fait remarquer que l’argument tiré du remplacement des juges plus âgés par des juges plus jeunes et de l’amélioration de la qualité du service public de la justice censée en résulter est non seulement une «généralité pure et simple», rejetée par la Cour dans l’arrêt Fuchs et Köhler, précité, mais aussi une forme de préjugé lié à l’âge. Or, la directive 2000/78 entendrait précisément protéger les individus contre de tels préjugés.

31      Au regard de la justification de la restriction, la Hongrie fait valoir que le fait que les règles en cause, qui concernent aussi bien les juges que les procureurs et les notaires, ont été adoptées et sont entrées en vigueur au cours d’une même période révèle clairement l’intention du législateur d’unifier, dans ces secteurs, le régime de l’âge limite de cessation obligatoire d’activité, afin d’établir une «structure d’âge plus équilibrée» au sein des professions concernées. Ces objectifs seraient par ailleurs «légitimes» au sens de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, ainsi que la Commission elle-même l’aurait reconnu.

 Sur le caractère approprié et nécessaire des dispositions nationales en cause

32      Au regard des deux objectifs invoqués par la Hongrie et censés être visés par les dispositions nationales litigieuses, la Commission considère que, même à les considérer comme étant des «objectifs légitimes» au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, ces dispositions ne sont pas appropriées pour atteindre ces objectifs.

33      En premier lieu, lesdites dispositions ne sauraient contribuer à la poursuite de l’objectif de l’uniformisation de l’âge de départ à la retraite, étant donné notamment que, tout d’abord, la relation de service des juges et des procureurs prendra fin dès qu’ils atteindront l’âge de la retraite, alors que la relation de travail des autres employés du service public ne prendra fin que lorsque ces derniers atteindront cet âge et qu’ils auront accompli les années de service nécessaires à l’obtention d’une pension de retraite complète. Ensuite, demeureraient encore des exceptions, comme celles concernant le président de la Kúria, le procureur général, les juges constitutionnels ou les procureurs adjoints et les procureurs stagiaires. Enfin, les juges, les procureurs et les notaires n’auraient pas la possibilité – contrairement aux autres catégories professionnelles relevant du secteur public – de demander à conserver leurs fonctions «dans l’intérêt du service», après avoir atteint l’âge de départ à la retraite.

34      En second lieu, s’agissant de l’objectif consistant à faciliter l’embauche des jeunes professionnels dans le service public de la justice, la Commission estime que les modalités d’application des dispositions en cause suggèrent que celles-ci n’ont pas été conçues de manière à atteindre l’objectif visé. En outre, elles n’auraient pas permis le transfert d’expérience des fonctionnaires plus âgés vers les juristes plus jeunes accédant aux professions concernées. Une manière plus cohérente et plus durable d’atteindre l’objectif souhaité aurait été d’abaisser progressivement la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité.

35      À cet égard, la Hongrie rétorque que, en réalité, grâce à ces dispositions et, parallèlement, aux possibilités de nomination de juristes plus jeunes, un grand nombre de postes de rang élevé sont accessibles pour la génération d’«âge moyen» dans les tribunaux et au parquet. Bien que les juges, les procureurs et les notaires plus âgés se voient contraints de quitter leurs fonctions, beaucoup d’entre eux resteraient en place. Or, la présence de ces derniers et la possibilité pour eux d’accéder à des postes élevés garantiraient qu’ils transmettront à leurs collègues plus jeunes l’expérience qu’ils ont acquise.

36      La Commission estime également qu’un abaissement aussi rapide et radical de la limite d’âge pour la cessation obligatoire d’activité va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs invoqués, compte tenu des conséquences graves qu’un tel changement est susceptible d’avoir pour les juges, les procureurs et les notaires concernés. Ceux-ci, en effet, se verraient contraints de quitter leurs fonctions rapidement et sans avoir eu le temps de prendre leurs dispositions, notamment de nature financière, pour faire face à la réduction de leur revenu.

37      La Hongrie est en revanche d’avis que les périodes de transition concernant les intéressés étaient connues, non pas lors de l’adoption de la législation litigieuse, mais dès le 20 juin 2011, lorsque le Parlement hongrois a adopté la loi no LXXII de 2011 modifiant certaines lois sur le statut juridique conformément à la Loi fondamentale. En effet, l’article 10, paragraphe 1, de cette loi no LXXII de 2011 comprenait déjà «les délais de prévenance qui allaient aussi être transposés plus tard dans la loi de 2011 relative aux juges et dans les dispositions transitoires». Dans de telles circonstances, les intéressés auraient pu prendre connaissance des périodes de transition prévues par la législation litigieuse dès le mois de juin 2011. La Hongrie ajoute que, dans le cas des notaires, les règles abaissant la limite d’âge pour la cessation obligatoire d’activité n’entreront en vigueur que le 1er janvier 2014, de sorte qu’ils disposent d’un temps de préparation encore plus long.

 Sur la cohérence du régime

38      La Commission souligne qu’il n’existe aucune cohérence entre la législation litigieuse et la réforme hongroise du régime général des pensions. Elle expose que, «en 2012, prendra fin, avec effet obligatoire, la relation de service des juges, des procureurs et des notaires âgés de 62 à 70 ans», alors que, «entre 2014 et 2022, l’âge général de départ à la retraite et, partant, [la limite d’âge obligatoire de cessation d’activité] applicable également aux juges, procureurs et notaires, passera progressivement de 62 à 65 ans». Ainsi, la combinaison de ces deux réformes aboutirait à une situation extrêmement déséquilibrée en ce qui concerne le recrutement et la promotion des jeunes juristes, dans la mesure où, au cours des années 2012 et 2013, il peut être escompté que l’État procède à un recrutement massif de personnes pour occuper les postes vacants alors que, à partir de l’année 2014 – en raison du rehaussement de la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité – ce processus de recrutement devrait ralentir considérablement.

39      Selon la Hongrie, l’incohérence dénoncée par la Commission n’est qu’apparente. En effet, un rehaussement de la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité pourrait être observé dans presque tous les États membres, ce qui ne remettrait pas en question la logique interne de la législation litigieuse. Celle-ci lie, précisément, cette limite d’âge pour les professions concernées à l’âge du bénéfice de la pension de retraite, afin que l’âge qui a été retenu corresponde aux évolutions économique et démographique que le système des pensions et la politique de l’emploi sont, par nécessité, tenus de suivre. La politique pratiquée par les États membres en matière de pensions reposerait donc sur la considération que la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité et l’âge auquel les personnes bénéficient de la pension de retraite doivent toujours évoluer ensemble, de sorte que puisse être garantie la réalisation optimale des objectifs de la politique de l’emploi visés.

 Appréciation de la Cour

 Sur l’objet du recours

40      Il importe d’examiner, à titre liminaire, l’argument soulevé par la Hongrie selon lequel il n’y aurait plus lieu de statuer sur une partie du recours, dans la mesure où celui-ci aurait perdu son objet par effet de l’arrêt de l’Alkotmánybíróság.

41      Il convient de rappeler, à cet égard, qu’il ressort d’une jurisprudence constante que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre en cause telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 29 janvier 2004, Commission/Autriche, C‑209/02, Rec. p. I‑1211, point 16, et du 19 juillet 2012, Commission/Italie, C‑565/10, point 22).

42      En l’espèce, il est constant que, au terme du délai fixé par la Commission dans l’avis motivé, les dispositions nationales en cause étaient en vigueur. En outre, ainsi que la Hongrie l’a reconnu elle-même lors de l’audience, les autorités nationales compétentes ont adopté, sur le fondement de ces dispositions, des actes administratifs individuels ayant pour objet de mettre fin aux relations de travail des personnes concernées.

43      Le 16 juillet 2012, c’est-à-dire postérieurement au terme dudit délai qui est intervenu le 7 avril 2012, l’Alkotmánybíróság a rendu l’arrêt par lequel elle a annulé les articles 90, sous ha), et 230 de la loi de 2011 relative aux juges.

44      Selon la Hongrie, cet arrêt ayant prononcé l’annulation rétroactive desdits articles 90, sous ha), et 230, ceux-ci ne pourraient plus être considérés comme étant en vigueur au moment de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.

45      Force est toutefois de constater à cet égard que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 41 du présent arrêt, la date à laquelle la Cour doit se placer pour apprécier l’existence du manquement reproché à la Hongrie est le 7 avril 2012. Le caractère rétroactif de l’arrêt de l’Alkotmánybíróság ne saurait dès lors faire disparaître l’objet du présent recours étant donné que l’annulation des articles 90, sous ha), et 230 de la loi de 2011 relative aux juges procède d’un événement qui est survenu postérieurement à cette date et qui, pour cette raison, ne peut pas être pris en compte.

46      En tout état de cause, force est de constater que, d’une part, ledit arrêt n’a eu aucun effet en ce qui concerne les dispositions transitoires qui prévoient des règles analogues à celles contenues aux articles 90, sous ha), et 230 de la loi de 2011 relative aux juges. D’autre part, l’annulation de ces dernières dispositions n’ayant pas directement affecté la validité des actes individuels par lesquels il a été mis fin aux relations de travail des personnes concernées, celles-ci ne sont pas automatiquement réintégrées dans leurs fonctions. Au contraire, pour être réintégrées, ces personnes sont obligées d’introduire des recours en annulation desdits actes, recours dont l’issue, ainsi qu’il a été confirmé lors de l’audience par la Hongrie elle-même, n’est pas certaine.

47      Par conséquent, il y a lieu de statuer sur l’intégralité du recours.

 Sur le fond du recours

48      Afin d’apprécier le bien-fondé du grief reproché à la Hongrie par la Commission, il convient, de rappeler que, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78, «on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er» de cette directive. L’article 2, paragraphe 2, sous a), de ladite directive précise que, pour les besoins de l’application de son paragraphe 1, une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre se trouvant dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er de la même directive (arrêt du 13 septembre 2011, Prigge e.a., C‑447/09, Rec. p. I‑8003, point 42).

49      En l’occurrence, il n’est pas contesté que les dispositions nationales litigieuses prévoient que les juges, les procureurs et les notaires concernés cessent de plein droit leurs fonctions lorsqu’ils atteignent l’âge de 62 ans.

50      Les personnes exerçant ces professions et ayant atteint l’âge de 62 ans se trouvent dans une situation comparable à celle des personnes, moins âgées, exerçant les mêmes professions. Toutefois, les premières, en raison de leur âge, sont contraintes de cesser de plein droit leurs fonctions (voir, par analogie, arrêts précités Fuchs et Köhler, point 34, ainsi que Prigge e.a., point 44).

51      En effet, les dispositions litigieuses en application desquelles le fait pour des personnes d’atteindre l’âge fixé par celles-ci pour l’admission à la retraite emporte cessation de plein droit de la relation de travail doivent être considérées comme imposant un traitement moins favorable aux personnes ayant atteint cet âge par rapport à l’ensemble des autres personnes en activité. De telles dispositions instaurent dès lors une différence de traitement directement fondée sur l’âge, telle que visée à l’article 2, paragraphes 1 et 2, sous a), de la directive 2000/78 (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa, C‑411/05, Rec. p. I‑8531, point 51).

52      La Hongrie fait valoir, à cet égard, que, en réalité, ces dispositions ont procédé à un abaissement de la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité afin de remédier à une situation de discrimination positive dont les juges, les procureurs et les notaires étaient les bénéficiaires sous le régime antérieurement en vigueur, dans la mesure où ils pouvaient, contrairement aux autres employés du service public, demeurer en fonction jusqu’à l’âge de 70 ans.

53      Une telle circonstance n’est cependant pas susceptible de remettre en cause l’existence d’une différence de traitement entre les personnes devant cesser leurs fonctions en raison du fait d’avoir atteint l’âge de 62 ans et celles qui, n’ayant pas encore atteint cet âge, peuvent rester en fonction. En effet, la différence de traitement en raison de l’âge se fonde sur l’existence même d’une limite d’âge au-delà de laquelle les personnes concernées cessent leurs fonctions, indépendamment de l’âge retenu pour cette limite et, a fortiori, pour celle qui était antérieurement applicable.

54      Il convient, par conséquent, de constater que les dispositions en cause instaurent une différence de traitement directement fondée sur l’âge au sens des dispositions combinées des articles 1er et 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78.

55      Il ressort toutefois de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78 qu’une différence de traitement fondée sur l’âge ne constitue pas une discrimination lorsqu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires (arrêts Prigge e.a., précité, point 77, ainsi que du 5 juillet 2012, Hörnfeldt, C‑141/11, point 21).

56      Il convient dès lors de vérifier si les dispositions litigieuses sont justifiées par un objectif légitime et si les moyens mis en œuvre pour y parvenir sont appropriés et nécessaires, respectant ainsi le principe de proportionnalité.

57      En ce qui concerne, en premier lieu, les objectifs poursuivis par ces dispositions, il y a lieu de relever d’emblée que n’est pas déterminante la circonstance invoquée par la Commission qu’aucun objectif spécifique ne ressort expressément de celles-ci.

58      En effet, il ne saurait être inféré de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 qu’un manque de précision de la législation nationale en cause quant à l’objectif poursuivi aurait pour effet d’exclure automatiquement que celle-ci puisse être justifiée au titre de cette disposition. À défaut d’une telle précision, il importe que d’autres éléments, tirés du contexte général de la mesure concernée, permettent l’identification de l’objectif sous-tendant cette dernière aux fins de l’exercice d’un contrôle juridictionnel quant à sa légitimité ainsi qu’au caractère approprié et nécessaire des moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif (voir arrêts précités Fuchs et Köhler, point 39, ainsi que Hörnfeldt, point 24).

59      Il convient dès lors d’examiner les arguments que la Hongrie a fait valoir dans le cadre de la procédure précontentieuse, ainsi que dans ses écritures et lors de l’audience, selon lesquels les dispositions en cause visent à atteindre, en substance, deux objectifs, à savoir, d’une part, l’uniformisation, dans le cadre des professions relevant de la fonction publique, de la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité, tout en garantissant la viabilité du régime des pensions, un niveau élevé d’emploi ainsi que l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des activités de l’administration de la justice concernées, et, d’autre part, la mise en place d’une «structure d’âge plus équilibrée» facilitant l’accès des jeunes juristes aux professions de juge, de procureur ou de notaire et leur garantissant une carrière plus rapide.

60      Quant au caractère légitime de ces objectifs, il y a lieu de rappeler, en deuxième lieu, que la Cour a déjà jugé que les objectifs pouvant être considérés comme «légitimes» au sens de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78 et, par voie de conséquence, de nature à justifier qu’il soit dérogé au principe d’interdiction des discriminations fondées sur l’âge sont des objectifs relevant de la politique sociale, tels que ceux liés à la politique de l’emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle (voir arrêts du 5 mars 2009, Age Concern England, C‑388/07, Rec. p. I‑1569, point 46; du 18 juin 2009, Hütter, C‑88/08, Rec. p. I‑5325, point 41, ainsi que Prigge e.a., précité, point 81).

61      S’agissant de l’objectif de l’uniformisation, dans le cadre des professions relevant de la fonction publique, des limites d’âges de cessation obligatoire d’activité, il y a lieu de constater, comme le relève Mme l’avocat général au point 63 de sa prise de position, que, dans la mesure où la poursuite d’un tel objectif permet d’assurer le respect du principe de l’égalité de traitement pour toutes les personnes d’un secteur donné et en rapport avec un élément essentiel de leur relation de travail, tel que le moment de départ à la retraite, cet objectif peut constituer un objectif légitime de la politique de l’emploi.

62      Quant à l’objectif visant la mise en place d’une structure d’âge plus équilibrée facilitant l’accès des jeunes juristes aux professions de juge, de procureur ou de notaire, il suffit de constater que la Cour a déjà eu l’occasion de considérer que l’objectif consistant à établir une structure d’âge équilibrée entre jeunes fonctionnaires et fonctionnaires plus âgés afin de favoriser l’embauche et la promotion des jeunes, d’optimiser la gestion du personnel et par là même de prévenir les litiges éventuels portant sur l’aptitude du salarié à exercer son activité au-delà d’un certain âge tout en visant à offrir un service de la justice de qualité peut constituer un objectif légitime de politique de l’emploi et du marché du travail (arrêt Fuchs et Köhler, précité, point 50).

63      S’il découle de ce qui précède que les dispositions litigieuses sont justifiées par des objectifs légitimes, encore convient-il de vérifier, en dernier lieu, si les dispositions nationales en cause constituent des moyens appropriés et nécessaires pour parvenir à la réalisation de ces deux objectifs.

64      En ce qui concerne le premier objectif, ces dispositions sont, en principe, un moyen approprié pour réaliser l’objectif d’uniformisation poursuivi par la Hongrie, en ce qu’elles visent précisément, sinon à éliminer, du moins à réduire considérablement la diversité des limites d’âge de cessation obligatoire d’activité pour l’ensemble des professions relevant du service public de la justice.

65      Encore faut-il, cependant, déterminer si lesdites dispositions constituent également un moyen nécessaire à ces fins.

66      Or, afin d’examiner si les dispositions en cause dépassent ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif et portent une atteinte excessive aux intérêts des personnes concernées, il convient de replacer ces dispositions dans le contexte législatif dans lequel elles s’insèrent et de prendre en considération tant le préjudice qu’elles peuvent occasionner aux personnes visées que les bénéfices qu’en tirent la société en général et les individus qui la composent (voir arrêt du 12 octobre 2010, Rosenbladt, C‑45/09, Rec. p. I‑9391, point 73).

67      Il y a lieu de relever, à cet égard, que les catégories de personnes concernées par lesdites dispositions bénéficiaient, jusqu’à l’entrée en vigueur de celles-ci, d’une dérogation leur permettant de demeurer en fonction jusqu’à l’âge de 70 ans, ce qui a fait naître dans le chef de ces personnes l’espérance fondée de leur maintien en fonction jusqu’à cet âge.

68      Or, les dispositions en cause ont procédé à un abaissement abrupt et considérable de la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité, sans prévoir de mesures transitoires de nature à protéger la confiance légitime des personnes concernées.

69      Ainsi, par l’effet de la législation en question, qui n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 2012, d’une part, tous les juges et les procureurs ayant atteint l’âge de 62 ans avant cette date se verront contraints de quitter leur fonctions le 30 juin 2012, soit après une période de six mois, et ceux qui ont atteint cet âge entre le 1er janvier et le 31 décembre 2012 cesseront leurs fonctions le 31 décembre 2012, soit après une période qui en aucun cas ne sera supérieure à un an et qui, dans la plupart des cas, sera inférieure. D’autre part, les notaires ayant atteint l’âge de 62 ans avant le 1er janvier 2014 cesseront leurs fonctions à cette date, soit au plus tard deux ans après l’entrée en vigueur du nouveau régime de retraite.

70      Dans ces conditions, les personnes concernées quittent d’office et définitivement le marché du travail sans avoir eu le temps de prendre les mesures, notamment de nature économique et financière, qu’une telle situation nécessite, compte tenu de la circonstance que, d’une part, leur pension de retraite est, comme il a été précisé lors de l’audience, inférieure d’au moins 30 % à leur rémunération et, d’autre part, la cessation d’activité ne tient pas compte des périodes de contribution, ce qui ne garantit donc pas le droit à une pension à taux plein.

71      Force est de constater que la Hongrie n’a fourni aucun élément permettant d’établir qu’aucune disposition moins contraignante n’aurait permis de parvenir à l’objectif en cause.

72      Certes, cet État membre a soutenu que les personnes concernées ont eu la possibilité de prévoir, dès l’année 2011, les modifications de leur régime de retraite, étant donné que l’article 10, paragraphe 1, de la loi no LXXII de 2011 modifiant certaines lois sur le statut juridique conformément à la Loi fondamentale comprenait déjà les «délais de prévenance», qui allaient aussi être transposés dans la loi de 2011 relative aux juges et dans les dispositions transitoires. Toutefois, même à supposer que ces délais ont pu être suffisants pour éviter tout préjudice aux personnes concernées, il importe de relever que la Hongrie n’a aucunement précisé que la législation litigieuse permettait aux juges, aux procureurs et aux notaires de prévoir avec un degré de certitude suffisant les modifications envisagées de leur régime de retraite et de prendre les mesures nécessaires.

73      En outre, la Hongrie n’a pas non plus indiqué les raisons pour lesquelles, d’une part, elle a procédé à un abaissement de huit ans de l’âge de départ à la retraite sans prévoir un étalement graduel de cette modification, alors que, d’autre part, la loi Tny non seulement prévoyait que le rehaussement de trois ans de l’âge de départ à la retraite, à savoir le passage de 62 ans à 65 ans, s’effectuerait à partir de l’année 2014 sur une période de huit ans, mais était aussi entrée en vigueur dès le 1er janvier 2010, soit quatre ans avant qu’elle devienne applicable.

74      Or, comme le met en exergue Mme l’avocat général au point 66 de sa prise de position, ces différences entre les dispositions litigieuses et la loi Tny suggèrent que les intérêts de ceux qui sont affectés par l’abaissement de la limite d’âge de départ à la retraite n’ont pas été pris en compte de la même façon que ceux des autres employés de la fonction publique pour lesquels ladite limite d’âge a été rehaussée.

75      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que les dispositions en cause ne sont pas nécessaires pour atteindre l’objectif d’uniformisation invoqué par la Hongrie.

76      S’agissant du second objectif, visant la mise en place d’une structure d’âge plus équilibrée facilitant l’accès des jeunes juristes aux professions de juge, de procureur ou de notaire et leur garantissant une carrière plus rapide, il y a lieu de considérer que, comme le met en exergue la Hongrie, l’abaissement de la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité a pour conséquence de rendre vacants de nombreux postes qui seront susceptibles d’être occupés par de jeunes juristes ainsi que d’accélérer la rotation et le renouvellement du personnel des professions concernées.

77      Toutefois, de tels effets apparemment positifs à court terme sont susceptibles de remettre en cause la possibilité de parvenir à une «structure d’âge» réellement équilibrée à moyen et à long termes.

78      En effet, si, au cours de l’année 2012, le renouvellement du personnel des professions concernées sera soumis à une accélération très significative en raison de la circonstance que huit classes d’âge seront remplacées par une seule, à savoir celle de 2012, ce rythme de rotation subira un ralentissement tout aussi radical en 2013 lorsque seulement une classe d’âge devra être remplacée. De surcroît, ce rythme de rotation sera de plus en plus lent à mesure que la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité s’élèvera progressivement de 62 ans à 65 ans, en application de l’article 18, paragraphe 1, de la loi Tny, entraînant une dégradation même des possibilités d’accès des jeunes juristes aux professions de la justice.

79      Il s’ensuit que les dispositions en cause ne sont pas appropriées pour poursuivre l’objectif de la mise en place d’une «structure d’âge» plus équilibrée.

80      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les dispositions nationales litigieuses établissent une différence de traitement ne respectant pas le principe de proportionnalité et que, partant, le recours de la Commission doit être accueilli.

81      Eu égard à tout ce qui précède, il convient de constater que, en adoptant un régime national imposant la cessation de l’activité professionnelle des juges, des procureurs et des notaires ayant atteint l’âge de 62 ans, qui entraîne une différence de traitement fondée sur l’âge n’ayant pas un caractère proportionné par rapport aux objectifs poursuivis, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

 Sur les dépens

82      En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la Hongrie et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      En adoptant un régime national imposant la cessation de l’activité professionnelle des juges, des procureurs et des notaires ayant atteint l’âge de 62 ans, qui entraîne une différence de traitement fondée sur l’âge n’ayant pas un caractère proportionné par rapport aux objectifs poursuivis, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

2)      La Hongrie est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le hongrois.