Language of document : ECLI:EU:C:2011:336

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)


24 mai 2011 (*)

«Manquement d’État – Article 43 CE – Liberté d’établissement – Notaires – Condition de nationalité – Article 45 CE – Participation à l’exercice de l’autorité publique – Directive 89/48/CEE»

Dans l’affaire C‑51/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 12 février 2008,

Commission européenne, représentée par MM. J.-P. Keppenne et H. Støvlbæk, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par:

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mme E. Jenkinson et M. S. Ossowski, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par M. C. Schiltz, en qualité d’agent, assisté de Me J.-J. Lorang, avocat,

partie défenderesse,

soutenu par:

République tchèque, représentée par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

République française, représentée par MM. G. de Bergues et M. Messmer, en qualité d’agents,

République de Lettonie, représentée par Mmes L. Ostrovska, K. Drēviņa et J. Barbale, en qualité d’agents,

République de Lituanie, représentée par M. D. Kriaučiūnas et Mme E. Matulionytė, en qualité d’agents,

République de Hongrie, représentée par Mmes J. Fazekas, R. Somssich et K. Veres ainsi que par M. M. Fehér, en qualité d’agents,

République de Pologne, représentée par MM. M. Dowgielewicz et C. Herma ainsi que par Mme D. Lutostańska, en qualité d’agents,

République slovaque, représentée par M. J. Čorba, en qualité d’agent,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev (rapporteur) et J.‑J. Kasel, présidents de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász, G. Arestis, M. Ilešič, Mme C. Toader et M. M. Safjan, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 avril 2010,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 septembre 2010,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en imposant une condition de nationalité pour l’accès à la profession de notaire et en ne transposant pas, pour cette profession, la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16), telle que modifiée par la directive 2001/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 14 mai 2001 (JO L 206, p. 1, ci-après la «directive 89/48»), le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 45 CE ainsi que de la directive 89/48.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        Le douzième considérant de la directive 89/48 énonçait que «le système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur ne préjuge en rien l’application de l’article [45 CE]».

3        L’article 2 de la directive 89/48 était ainsi libellé:

«La présente directive s’applique à tout ressortissant d’un État membre voulant exercer à titre indépendant ou salarié une profession réglementée dans un État membre d’accueil.

La présente directive ne s’applique pas aux professions qui font l’objet d’une directive spécifique instaurant entre les États membres une reconnaissance mutuelle des diplômes.»

4        La profession de notaire n’a fait l’objet d’aucune réglementation du type de celle visée audit article 2, second alinéa.

5        La directive 89/48 prévoyait un délai de transposition expirant, conformément à son article 12, le 4 janvier 1991.

6        La directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO L 255, p. 22), a abrogé, en vertu de son article 62, la directive 89/48 avec effet à partir du 20 octobre 2007.

7        Le quarante et unième considérant de la directive 2005/36 énonce que celle-ci «ne préjuge pas l’application de l’article 39, paragraphe 4, [CE] et de l’article 45 [CE], notamment en ce qui concerne les notaires».

 La réglementation nationale

 L’organisation générale de la profession de notaire

8        Les notaires exercent leurs fonctions, dans l’ordre juridique luxembourgeois, dans le cadre d’une profession libérale. L’organisation de la profession de notaire est régie par la loi du 9 décembre 1976 relative à l’organisation du notariat (Mémorial A 1976, p. 1230), telle que modifiée par la loi du 12 novembre 2004 (Mémorial A 2004, p. 2766, ci-après la «loi relative à l’organisation du notariat»).

9        Aux termes de l’article 1er de la loi relative à l’organisation du notariat, les notaires sont des «officiers publics établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et des expéditions».

10      L’article 3 de cette loi prévoit que les notaires exercent leurs fonctions sur l’ensemble du territoire national. Chaque partie a le libre choix d’un notaire, ainsi qu’il découle, notamment, de l’article 7, point 4, de ladite loi.

11      Le nombre des notaires et leur résidence, ainsi que le tarif de leurs honoraires et émoluments sont déterminés, en vertu, respectivement, des articles 13 et 59 de la même loi, par règlement grand-ducal.

12      Conformément à l’article 15 de la loi relative à l’organisation du notariat, pour être admis aux fonctions de notaire au Luxembourg, l’intéressé doit, notamment, être luxembourgeois.

 Les activités notariales

13      S’agissant des différentes activités du notaire dans l’ordre juridique luxembourgeois, il est constant que la principale mission de celui-ci consiste à établir des actes authentiques. L’intervention du notaire peut ainsi être obligatoire ou facultative, en fonction de l’acte qu’il est appelé à authentifier. Par cette intervention, le notaire constate la réunion de toutes les conditions légalement requises à la réalisation de l’acte, ainsi que la capacité juridique et la capacité d’agir des parties concernées.

14      L’acte authentique est défini à l’article 1317 du code civil, figurant au chapitre VI, intitulé «De la preuve des obligations et de celle du payement», du titre III du livre III de ce code. Un tel acte est, aux termes de cet article, «celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d’instrumenter dans le lieu où l’acte a été rédigé, et avec les solennités requises».

15      En vertu de l’article 37 de la loi relative à l’organisation du notariat, l’acte notarié fait foi d’après les dispositions du code civil et est exécutoire lorsqu’il est revêtu de la formule exécutoire.

16      Il est précisé, à l’article 1319 du code civil, que «[l]’acte authentique fait pleine foi de la convention qu’il renferme entre les parties contractantes et leurs héritiers ou ayants cause».

17      L’article 1322 du même code prévoit que «[l]’acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l’oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l’ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l’acte authentique».

18      Conformément à l’article 13 de la loi du 4 décembre 1990 portant organisation du service des huissiers de justice (Mémorial A 1990, p. 1248), l’huissier de justice a seul qualité pour, notamment, procéder à l’exécution des décisions de justice ainsi que des actes ou titres en forme exécutoire. En outre, ainsi qu’il découle notamment de l’article 690 du nouveau code de procédure civile, il revient au tribunal d’exécution de statuer sur les difficultés élevées sur l’exécution. Si ces difficultés requièrent célérité, c’est le tribunal du lieu qui y statue provisoirement.

19      Outre les activités d’authentification, l’ordre juridique luxembourgeois confie aux notaires, notamment, les missions suivantes.

20      En conformité avec les articles 809 et suivants du nouveau code de procédure civile, le notaire exerce certaines activités en matière de saisie immobilière. Selon ces dispositions, le titre exécutoire est d’abord mis à exécution par un huissier de justice, qui délivre un commandement de payer au débiteur. Ce dernier bénéficie ensuite d’un délai pour s’exécuter. Enfin, à l’issue de ce délai, et si le débiteur ne s’est pas entre-temps exécuté, les biens immobiliers concernés font l’objet d’une saisie par exploit d’huissier, laquelle est suivie de la transcription de cet exploit au bureau des hypothèques. Sur requête déposée par le poursuivant, le tribunal statue sur les dires et observations qui auront été insérés dans celle-ci, ainsi que sur la validité de la saisie, et désigne un notaire par le ministère duquel la vente publique aura lieu. Le notaire procède, par la suite, à la mise en œuvre de la vente en organisant les modalités de publication, en dressant le cahier des charges, lequel indique le jour de la vente et contient délégation du prix au profit des créanciers. Toute demande incidente à une poursuite en saisie immobilière est portée devant le tribunal. En outre, les parties peuvent stipuler, en vertu de l’article 879 dudit code, dans un contrat authentique, que le créancier est autorisé à faire vendre, par le ministère d’un notaire, sans suivre les formes légales décrites ci-dessus. Dans un tel cas, s’il y a contestation, le notaire sursoit à toutes opérations et renvoie les parties en référé devant le président du tribunal compétent pour qu’il tranche le litige.

21      Le notaire exerce également, conformément aux articles 1131 à 1164 du nouveau code de procédure civile, certaines activités en matière d’apposition et de levée des scellés. Les appositions et levées des scellés sont autorisées par le juge de paix. Lorsque les parties qui ont droit d’assister à la levée ne sont pas présentes, le président du tribunal compétent nomme d’office un notaire pour les représenter.

22      En vertu des articles 1165 à 1168 dudit code, le notaire est chargé de l’établissement de l’inventaire à la demande de ceux qui ont droit de requérir la levée du scellé. S’il s’élève des difficultés, le notaire délaisse les parties à se pourvoir en référé devant le président du tribunal de première instance et il peut en référer lui-même s’il réside dans le canton où siège le tribunal.

23      Le rôle du notaire dans le cadre de certaines ventes d’immeubles est régi par les articles 1177 à 1184 du nouveau code de procédure civile. Ces ventes ne peuvent avoir lieu qu’avec l’autorisation, notamment, du juge des tutelles. Lorsque la vente est autorisée, ce dernier commet un notaire pour procéder à la vente publique. Cette vente a lieu pardevant le juge des tutelles, qui donne décharge au notaire après approbation des comptes. Le juge des tutelles peut également autoriser la vente de gré à gré par une décision motivée.

24      Certaines activités en matière de partage sont également confiées au notaire conformément aux articles 815 et suivants du code civil. Conformément à l’article 822 de ce code, l’action en partage et les contestations qui s’élèvent dans le cours des opérations sont soumises au tribunal. C’est devant ce dernier qu’il est procédé aux licitations et que doivent être portées les demandes relatives à la garantie des lots entre copartageants ainsi que celles en rescision du partage. Si l’un des cohéritiers refuse de consentir au partage, ou s’il s’élève des contestations, soit sur le mode d’y procéder, soit sur la manière de le terminer, le tribunal est appelé à se prononcer. Si les immeubles ne peuvent pas se partager commodément, il est procédé à la vente par licitation devant le tribunal. Cependant, les parties, si elles sont toutes majeures, peuvent consentir que la licitation soit faite devant un notaire sur le choix duquel elles s’accordent. Après que les meubles et les immeubles ont été estimés et vendus, s’il y a lieu, le juge commissaire renvoie les parties devant un notaire qui procède aux comptes que les copartageants peuvent se devoir, à la formation de la masse générale, à la composition des lots et aux fournissements à faire à chacun des copartageants. Si, dans les opérations renvoyées devant un notaire, il s’élève des contestations, le notaire dresse procès-verbal des difficultés et des dires respectifs des parties, et les renvoie devant le commissaire nommé pour le partage.

25      La loi du 25 septembre 1905 sur la transcription des droits réels immobiliers (Mémorial 1905, p. 893) prévoit, à son article 1er, que tous les actes entre vifs, à titre gratuit ou onéreux, translatifs de droits réels immobiliers autres que les privilèges et les hypothèques, sont transcrits au bureau de la conservation des hypothèques, dans le ressort duquel les biens sont situés. Sont admis à la transcription, conformément à l’article 2 de cette loi, les jugements, les actes authentiques et les actes sous seing privé reconnus ou non en justice ou devant notaire. L’officier chargé de la transcription est le conservateur des hypothèques.

 La procédure précontentieuse

26      La Commission a été saisie d’une plainte visant la condition de nationalité requise pour l’accès à la profession de notaire au Luxembourg. Après avoir procédé à l’examen de cette plainte, la Commission a, par une lettre du 8 novembre 2000, mis le Grand-Duché de Luxembourg en demeure de lui présenter, dans un délai de deux mois, ses observations au sujet, d’une part, de la conformité à l’article 45, premier alinéa, CE de ladite condition de nationalité ainsi que, d’autre part, du défaut de transposition de la directive 89/48 à la profession de notaire.

27      Par une lettre du 11 janvier 2001, le Grand-Duché de Luxembourg a répondu à ladite lettre de mise en demeure.

28      La Commission a adressé, le 12 juillet 2002, une lettre de mise en demeure complémentaire à cet État membre, lui reprochant d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 45, premier alinéa, CE ainsi que de la directive 89/48.

29      Ledit État membre a répondu à cette lettre de mise en demeure complémentaire par une lettre du 10 septembre 2002.

30      N’ayant pas été convaincue par les arguments invoqués par le Grand-Duché de Luxembourg, la Commission a, le 18 octobre 2006, adressé à cet État membre un avis motivé dans lequel elle a conclu que celui-ci avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des articles 43 CE et 45, premier alinéa, CE ainsi que de la directive 89/48. Cette institution a invité ledit État membre à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de sa réception.

31      Par une lettre du 14 décembre 2006, le Grand-Duché de Luxembourg a exposé les motifs pour lesquels il estimait que la position défendue par la Commission n’était pas fondée.

32      C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Sur le premier grief

 Argumentation des parties

33      Par son premier grief, la Commission demande à la Cour de constater que, en réservant l’accès à la profession de notaire uniquement à ses propres ressortissants, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE et 45, premier alinéa, CE.

34      Cette institution souligne, à titre liminaire, que l’accès à la profession de notaire n’est soumis à aucune condition de nationalité dans certains États membres et que cette condition a été supprimée par d’autres États membres, tels que le Royaume d’Espagne, la République italienne et la République portugaise.

35      La Commission rappelle, en premier lieu, que l’article 43 CE constitue l’une des dispositions fondamentales du droit de l’Union qui vise à assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d’un État membre qui s’établit, ne serait-ce qu’à titre secondaire, dans un autre État membre pour y exercer une activité non salariée, et interdit toute discrimination fondée sur la nationalité.

36      Cette institution ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord font valoir que l’article 45, premier alinéa, CE doit faire l’objet d’une interprétation autonome et uniforme (arrêt du 15 mars 1988, Commission/Grèce, 147/86, Rec. p. 1637, point 8). En ce qu’il prévoit une exception à la liberté d’établissement pour les activités participant à l’exercice de l’autorité publique, cet article devrait, en outre, être interprété de manière stricte (arrêt du 21 juin 1974, Reyners, C‑2/74, Rec. p. 631, point 43).

37      L’exception prévue à l’article 45, premier alinéa, CE devrait donc être restreinte aux activités qui, par elles-mêmes, comportent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique (arrêt Reyners, précité, points 44 et 45). Selon la Commission, la notion d’autorité publique implique l’exercice d’un pouvoir décisionnel exorbitant du droit commun se traduisant par la capacité d’agir indépendamment de la volonté d’autres sujets ou même contre cette volonté. En particulier, l’autorité publique se manifesterait, selon la jurisprudence de la Cour, par l’exercice de pouvoirs de contrainte (arrêt du 29 octobre 1998, Commission/Espagne, C‑114/97, Rec. p. I‑6717, point 37).

38      De l’avis de la Commission et du Royaume-Uni, les activités participant à l’exercice de l’autorité publique devraient être distinguées de celles exercées dans l’intérêt général. En effet, diverses professions se verraient attribuer des compétences particulières dans l’intérêt général, sans pour autant participer à l’exercice de l’autorité publique.

39      Seraient également exclues du champ d’application de l’article 45, premier alinéa, CE les activités constituant une assistance ou une collaboration au fonctionnement de l’autorité publique (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 1993, Thijssen, C‑42/92, Rec. p. 4047, point 22).

40      En outre, la Commission et le Royaume-Uni rappellent que l’article 45, premier alinéa, CE vise en principe des activités déterminées et non une profession tout entière, à moins que les activités concernées ne soient pas détachables de l’ensemble de celles exercées par ladite profession.

41      La Commission procède, en deuxième lieu, à l’examen des différentes activités exercées par le notaire dans l’ordre juridique luxembourgeois.

42      S’agissant, premièrement, de l’authentification des actes et des conventions, la Commission fait valoir que le notaire se borne à témoigner de la volonté des parties, après avoir conseillé celles-ci, et à donner à cette volonté des effets juridiques. Dans l’exercice de cette activité, le notaire ne disposerait d’aucun pouvoir décisionnel à l’égard des parties. Ainsi, l’authentification ne serait que la confirmation d’un accord préalable entre ces dernières. Le fait que certains actes doivent être obligatoirement authentifiés serait dénué de pertinence, étant donné que de nombreuses procédures auraient un caractère obligatoire sans pour autant être la manifestation de l’exercice de l’autorité publique.

43      Il en irait de même en ce qui concerne les particularités du régime des preuves attaché aux actes notariés, une force probante comparable étant également conférée à d’autres actes ne relevant pas de l’exercice de l’autorité publique, tels que les procès-verbaux établis par les gardes forestiers assermentés. Le fait que le notaire engage sa responsabilité lors de l’établissement des actes notariés ne serait pas davantage pertinent. En effet, tel serait le cas en ce qui concerne la plupart des professionnels indépendants, tels que les avocats, les architectes ou les médecins.

44      Quant à la force exécutoire des actes authentiques, la Commission considère que l’apposition de la formule exécutoire précède la mise en exécution proprement dite sans en faire partie. Ainsi, cette force exécutoire ne conférerait aucun pouvoir de contrainte aux notaires. Par ailleurs, toute contestation éventuelle serait tranchée non pas par le notaire mais par le juge.

45      S’agissant, deuxièmement, des activités du notaire en matière de saisie immobilière, de vente publique d’immeubles, d’établissement d’inventaires, de levée des scellés, ainsi que de partage judiciaire, la Commission estime que le Grand-Duché de Luxembourg ne fait que décrire lesdites activités sans pour autant parvenir à démontrer qu’elles comportent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique.

46      En ce qui concerne, troisièmement, le statut spécifique du notaire dans le droit luxembourgeois, celui-ci ne serait pas, selon la Commission, directement pertinent aux fins de l’appréciation de la nature des activités en cause.

47      La Commission considère, en troisième lieu, à l’instar du Royaume-Uni, que les règles du droit de l’Union et du droit international contenant des références à l’activité notariale ne préjugent pas l’application à cette activité des articles 43 CE et 45, premier alinéa, CE.

48      En effet, tant l’article 1er, paragraphe 5, sous d), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (JO L 178, p. 1), que le quarante et unième considérant de la directive 2005/36 n’excluraient de leur champ d’application les activités notariales que dans la mesure où elles comportent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique. Il s’agirait donc d’une simple réserve qui n’aurait aucune incidence sur l’interprétation de l’article 45, premier alinéa, CE.

49      S’agissant du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p. 1), ainsi que du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (JO L 143, p. 15), la Commission estime que ces règlements se bornent à prévoir l’obligation des États membres de reconnaître et de rendre exécutoires des actes reçus et exécutoires dans un autre État membre.

50      En outre, le règlement (CE) n° 2157/2001 du Conseil, du 8 octobre 2001, relatif au statut de la société européenne (SE) (JO L 294, p. 1), ainsi que la directive 2005/56/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux (JO L 310, p. 1), ne seraient pas pertinents aux fins de la solution du présent litige, ceux-ci se limitant à confier aux notaires, ainsi qu’à d’autres autorités compétentes désignées par l’État, la tâche de certifier l’accomplissement de certains actes et formalités préalables au transfert du siège, à la constitution et à la fusion de sociétés.

51      S’agissant de la convention supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers, conclue le 5 octobre 1961 à La Haye, celle-ci se bornerait à définir la notion d’«acte public» au sens de cette convention.

52      Quant à la résolution du Parlement européen du 23 mars 2006 sur les professions juridiques et l’intérêt général relatif au fonctionnement des systèmes juridiques (JO C 292E, p. 105, ci-après la «résolution de 2006»), celle-ci ne serait qu’un acte purement politique, dont le contenu serait ambigu, puisque, d’une part, au point 17 de cette résolution, le Parlement européen aurait affirmé que l’article 45 CE doit s’appliquer à la profession de notaire, alors que, d’autre part, au point 2 de celle-ci, il aurait confirmé la position formulée dans sa résolution du 18 janvier 1994 sur la situation et l’organisation du notariat dans les douze États membres de la Communauté (JO C 44, p. 36, ci-après la «résolution de 1994»), dans laquelle il exprimait son souhait que soit supprimée la condition de nationalité pour l’accès à la profession de notaire prévue dans la réglementation de plusieurs États membres.

53      La Commission et le Royaume-Uni ajoutent, en quatrième lieu, que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2003, Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española (C‑405/01, Rec. p. I‑10391), auquel font référence plusieurs États membres, concernait l’exercice par les capitaines et seconds de navires marchands d’un vaste ensemble de fonctions de maintien de la sécurité, de pouvoirs de police, en matière notariale et d’état civil. Dès lors, la Cour n’aurait pas eu l’occasion d’examiner en détail les différentes activités exercées par les notaires, au regard de l’article 45, premier alinéa, CE. Par conséquent, cet arrêt ne suffirait pas pour qu’il soit conclu à l’application de cette disposition aux notaires.

54      Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le Grand-Duché de Luxembourg, la jurisprudence de la Cour distinguerait les notaires des autorités publiques en reconnaissant qu’un acte authentique peut être établi par une autorité publique ou toute autre autorité habilitée par l’État (arrêt du 17 juin 1999, Unibank, C-260/97, Rec. p. I-3715, points 15 et 21).

55      Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir, en premier lieu, que la notion d’«exercice de l’autorité publique» au sens de l’article 45, premier alinéa, CE a connu des applications larges au travers de la jurisprudence de la Cour. La Cour aurait ainsi reconnu que les fonctions notariales constituent une participation à l’exercice de prérogatives de puissance publique dans l’arrêt Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española, précité. En outre, il résulterait de l’arrêt Unibank, précité, que l’établissement d’actes authentiques par un officier public, tel que le notaire, comporte une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique.

56      Cet État membre partage, en substance, la position de la Commission, selon laquelle la notion d’autorité publique se distingue de celle d’intérêt général, qui en constitue une condition nécessaire mais non suffisante. En revanche, la notion d’autorité publique ne serait pas, selon ledit État membre ainsi que la République tchèque, la République de Hongrie, la République de Pologne et la République slovaque, équivalente à celle de justice contentieuse.

57      Le Grand-Duché de Luxembourg estime, en deuxième lieu, que les notaires participent directement et spécifiquement à l’exercice de l’autorité publique en raison, d’une part, des effets juridiques exorbitants du droit commun attachés aux actes qu’ils dressent et, d’autre part, du statut spécifique dont ils jouissent dans l’ordre juridique luxembourgeois.

58      S’agissant de ce premier aspect, le Grand-Duché de Luxembourg souligne que l’acte authentique, en apportant la preuve complète des déclarations et des témoignages qu’il contient, jouit d’une force probante qui le place au sommet de la hiérarchie des preuves écrites. Par ailleurs, son authenticité ne pourrait être remise en cause que par la voie de la procédure en inscription de faux.

59      L’acte authentique jouirait, en outre, d’une force exécutoire, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir un jugement au préalable. Ainsi, le créancier se bornerait à donner la copie exécutoire de l’acte en cause à un huissier, ce dernier étant chargé de procéder à l’exécution avec l’aide de la force publique.

60      La République slovaque ajoute que le notaire doit refuser de passer l’acte authentique si les conditions légalement requises ne sont pas réunies.

61      En outre, le Grand-Duché de Luxembourg rappelle que, lors de l’authentification de l’acte, le notaire joue un rôle de collecteur d’impôts en recevant le paiement des éventuels droits d’enregistrement.

62      Par ailleurs, selon cet État membre, la consultation juridique effectuée par les notaires lors de l’authentification des actes constitue davantage un élément préparatoire, obligatoire et connexe à cette authentification.

63      S’agissant du statut du notaire dans l’ordre juridique luxembourgeois, il découlerait de celui-ci que le notaire joue un rôle public se manifestant, notamment, par un contrôle strict exercé par l’État, par un rapport de confiance et de solidarité entre le notaire et l’État, par des signes extérieurs, tels que l’autorisation de détenir le sceau de l’État, le serment que le notaire doit prêter, l’indépendance dont ce dernier jouit et le régime d’incompatibilités auquel il est soumis.

64      Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir, en troisième lieu, que l’ordre juridique luxembourgeois confie aux notaires certaines activités démontrant leur participation à l’exercice de l’autorité publique.

65      S’agissant, premièrement, des activités du notaire dans le cadre des saisies immobilières, cet État membre fait observer que le tribunal désigne, en vertu de l’article 832 du nouveau code de procédure civile, un notaire par le ministère duquel la vente publique aura lieu. Celui-ci serait ainsi investi d’une mission complète. En outre, conformément à l’article 879 de ce code, les parties auraient la possibilité de stipuler dans un contrat authentique que le créancier est autorisé à faire vendre l’immeuble hypothéqué, par le ministère d’un notaire, sans suivre les formes légales prévues pour la saisie immobilière.

66      La participation du notaire à l’exercice de l’autorité publique se manifesterait, deuxièmement, par le fait que les actes notariés sont transcrits au bureau de la conservation des hypothèques, ainsi qu’il ressortirait de l’article 2 de la loi du 25 septembre 1905 sur la transcription des droits réels immobiliers.

67      Troisièmement, lorsque des immeubles appartiennent à des mineurs ou à des majeurs en tutelle, le juge des tutelles commettrait un notaire qui procéderait à la vente publique, conformément aux dispositions de l’article 1180 du nouveau code de procédure civile. En outre, en cas de partage amiable, le juge des tutelles désignerait un notaire pour procéder à celui-ci.

68      Quatrièmement, le notaire serait chargé, en vertu des articles 1167 et suivants dudit code, d’établir l’inventaire de succession d’une communauté ou d’une indivision. S’il s’élevait des difficultés, celles-ci devraient, en revanche, être portées devant le tribunal.

69      Cinquièmement, dans l’hypothèse où les parties ayant le droit d’assister à la levée des scellés ne sont pas présentes, le président du tribunal pourrait, conformément à l’article 1152 du nouveau code de procédure civile, nommer d’office un notaire pour les représenter.

70      Sixièmement, le notaire serait chargé, en vertu des articles 815 et suivants du code civil, de plusieurs missions relatives au partage judiciaire, notamment la formation de la masse partageable, la composition des lots, le tirage au sort et, le cas échéant, l’établissement d’un procès-verbal de difficultés. Pour autant, d’éventuelles contestations devraient être portées devant le tribunal.

71      Le Grand-Duché de Luxembourg et la République de Lituanie font également valoir, en quatrième lieu, que le législateur de l’Union a confirmé que les notaires participent à l’exercice de l’autorité publique. À cet égard, ils se réfèrent aux actes de l’Union et du droit international mentionnés aux points 48 à 51 du présent arrêt, lesquels soit excluraient les activités exercées par les notaires de leur champ d’application respectif en raison de la participation de ces derniers à l’exercice de l’autorité publique, soit reconnaîtraient que les actes notariés sont assimilés aux décisions judiciaires ou bien aux documents émanant d’une autorité publique. La République de Lituanie ajoute que le Parlement aurait affirmé, dans ses résolutions de 1994 et de 2006, que la profession de notaire participe à l’exercice de l’autorité publique.

72      Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir, à titre subsidiaire, que, l’emploi de la langue luxembourgeoise étant nécessaire dans l’exercice des activités du notaire, la condition de nationalité en cause vise à assurer le respect de l’histoire, de la culture, de la tradition et de l’identité nationale luxembourgeoises au sens de l’article 6, paragraphe 3, UE.

 Appréciation de la Cour

–       Considérations liminaires

73      Par son premier grief, la Commission reproche au Grand-Duché de Luxembourg de faire obstacle à l’établissement, en vue de l’exercice de la profession de notaire, des ressortissants des autres États membres sur son territoire, en réservant l’accès à cette profession, en violation de l’article 43 CE, à ses propres ressortissants.

74      Ce grief concerne donc uniquement la condition de nationalité requise par la réglementation luxembourgeoise en cause pour l’accès à cette profession au regard de l’article 43 CE.

75      Il convient, par conséquent, de préciser que ledit grief ne porte ni sur le statut et l’organisation du notariat dans l’ordre juridique luxembourgeois ni sur les conditions d’accès, autres que celle afférente à la nationalité, à la profession de notaire dans cet État membre.

76      Au demeurant, il importe de souligner, ainsi que l’a indiqué la Commission lors de l’audience, que le premier grief ne concerne pas non plus l’application des dispositions du traité CE relatives à la libre prestation des services. De même, ledit grief ne concerne pas l’application des dispositions du traité concernant la libre circulation des travailleurs.

–       Sur le fond

77      Il convient de rappeler d’emblée que l’article 43 CE constitue une des dispositions fondamentales du droit de l’Union (voir en ce sens, notamment, arrêt Reyners, précité, point 43).

78      La notion d’établissement au sens de cette disposition est une notion très large, impliquant la possibilité pour un ressortissant de l’Union de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d’un État membre autre que son État membre d’origine, et d’en tirer profit, favorisant ainsi l’interpénétration économique et sociale à l’intérieur de l’Union européenne dans le domaine des activités non salariées (voir, notamment, arrêt du 22 décembre 2008, Commission/Autriche, C‑161/07, Rec. p. I‑10671, point 24).

79      La liberté d’établissement reconnue aux ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre comporte notamment l’accès aux activités non salariées et leur exercice dans les conditions définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants (voir, notamment, arrêt du 28 janvier 1986, Commission/France, 270/83, Rec. p. 273, point 13, et, en ce sens, arrêt Commission/Autriche, précité, point 27). En d’autres termes, l’article 43 CE interdit à chaque État membre de prévoir dans sa législation, pour les personnes qui font usage de la liberté de s’y établir, des conditions d’exercice de leurs activités différentes de celles définies pour ses propres ressortissants (arrêt Commission/Autriche, précité, point 28).

80      L’article 43 CE vise ainsi à assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d’un État membre qui s’établit dans un autre État membre pour y exercer une activité non salariée et interdit toute discrimination fondée sur la nationalité résultant des législations nationales en tant que restriction à la liberté d’établissement (arrêt Commission/France, précité, point 14).

81      Or, en l’espèce, la législation nationale litigieuse réserve l’accès à la profession de notaire aux ressortissants luxembourgeois, consacrant ainsi une différence de traitement en raison de la nationalité prohibée, en principe, par l’article 43 CE.

82      Le Grand-Duché de Luxembourg fait cependant valoir que les activités notariales sont soustraites du champ d’application de l’article 43 CE puisqu’elles participeraient à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 45, premier alinéa, CE. Il convient donc, dans un premier temps, d’examiner la portée de la notion d’exercice de l’autorité publique au sens de cette dernière disposition et, dans un second temps, de vérifier si les activités confiées aux notaires dans l’ordre juridique luxembourgeois relèvent de cette notion.

83      S’agissant de la notion d’«exercice de l’autorité publique» au sens de l’article 45, premier alinéa, CE, il convient de souligner que l’appréciation de celle-ci doit tenir compte, selon une jurisprudence constante, du caractère propre au droit de l’Union des limites posées par cette disposition aux exceptions permises au principe de la liberté d’établissement, afin d’éviter que l’effet utile du traité en matière de liberté d’établissement ne soit déjoué par des dispositions unilatérales prises par les États membres (voir, en ce sens, arrêts Reyners, précité, point 50; Commission/Grèce, précité, point 8, et du 22 octobre 2009, Commission/Portugal, C-438/08, Rec. p. I-10219, point 35).

84      Il est également de jurisprudence constante que l’article 45, premier alinéa, CE constitue une dérogation à la règle fondamentale de la liberté d’établissement. Comme telle, cette dérogation doit recevoir une interprétation qui limite sa portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts que cette disposition permet aux États membres de protéger (arrêts Commission/Grèce, précité, point 7; Commission/Espagne, précité, point 34; du 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, C‑451/03, Rec. p. I‑2941, point 45; du 29 novembre 2007, Commission/Autriche, C‑393/05, Rec. p. I‑10195, point 35, et Commission/Allemagne, C‑404/05, Rec. p. I‑10239, points 37 et 46, ainsi que Commission/Portugal, précité, point 34).

85      En outre, la Cour a souligné itérativement que la dérogation prévue à l’article 45, premier alinéa, CE doit être restreinte aux seules activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique (arrêts précités Reyners, point 45; Thijssen, point 8; Commission/Espagne, point 35; Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, point 46; Commission/Allemagne, point 38, et Commission/Portugal, point 36).

86      À cet égard, la Cour a eu l’occasion de considérer que sont exclues de la dérogation prévue à l’article 45, premier alinéa, CE certaines activités auxiliaires ou préparatoires par rapport à l’exercice de l’autorité publique (voir, en ce sens, arrêts précités Thijssen, point 22; Commission/Espagne, point 38; Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, point 47; Commission/Allemagne, point 38, et Commission/Portugal, point 36), ou certaines activités dont l’exercice, bien qu’il comporte des contacts, même réguliers et organiques, avec des autorités administratives ou judiciaires, voire un concours, même obligatoire, à leur fonctionnement, laisse intacts les pouvoirs d’appréciation et de décision desdites autorités (voir, en ce sens, arrêt Reyners, précité, points 51 et 53), ou encore certaines activités qui ne comportent pas d’exercice de pouvoirs décisionnels (voir, en ce sens, arrêts précités Thijssen, points 21 et 22; du 29 novembre 2007, Commission/Autriche, points 36 et 42; Commission/Allemagne, points 38 et 44, ainsi que Commission/Portugal, points 36 et 41), de pouvoirs de contrainte (voir en ce sens, notamment, arrêt Commission/Espagne, précité, point 37) ou de pouvoirs de coercition (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Anker e.a., C‑47/02, Rec. p. I‑10447, point 61, ainsi que Commission/Portugal, précité, point 44).

87      Il convient de vérifier, à la lumière des considérations qui précèdent, si les activités confiées aux notaires dans l’ordre juridique luxembourgeois comportent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique.

88      À cette fin, il y a lieu de prendre en considération la nature des activités exercées par les membres de la profession en cause (voir, en ce sens, arrêt Thijssen, précité, point 9).

89      Le Grand-Duché de Luxembourg et la Commission s’accordent sur le fait que l’activité principale des notaires dans l’ordre juridique luxembourgeois consiste en l’établissement, avec les solennités requises, d’actes authentiques. Pour ce faire, le notaire devrait vérifier, notamment, que toutes les conditions légalement exigées pour la réalisation de l’acte sont réunies. L’acte authentique jouirait, en outre, d’une force probante et d’une force exécutoire.

90      Il convient de souligner, à cet égard, que font l’objet d’une authentification, en vertu de la législation luxembourgeoise, les actes ou les conventions auxquels les parties ont librement souscrit. En effet, celles-ci décident elles-mêmes, dans les limites posées par la loi, de la portée de leurs droits et obligations et choisissent librement les stipulations auxquelles elles veulent se soumettre lorsqu’elles présentent un acte ou une convention pour authentification au notaire. L’intervention de ce dernier suppose, ainsi, l’existence préalable d’un consentement ou d’un accord de volonté des parties.

91      En outre, le notaire ne peut modifier de façon unilatérale la convention qu’il est appelé à authentifier sans avoir recueilli au préalable le consentement des parties.

92      L’activité d’authentification confiée aux notaires ne comporte donc pas, en tant que telle, une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 45, premier alinéa, CE.

93      Le fait que certains actes ou certaines conventions doivent obligatoirement faire l’objet d’une authentification sous peine de nullité n’est pas susceptible de remettre en cause cette conclusion. En effet, il est courant que la validité d’actes divers soit soumise, dans les ordres juridiques nationaux et selon les modalités prévues, à des exigences de forme ou encore à des procédures obligatoires de validation. Cette circonstance ne saurait, dès lors, suffire à étayer la thèse défendue par le Grand-Duché de Luxembourg.

94      L’obligation des notaires de vérifier, avant de procéder à l’authentification d’un acte ou d’une convention, que toutes les conditions légalement exigées pour la réalisation de cet acte ou de cette convention sont réunies et, si tel n’est pas le cas, de refuser de procéder à cette authentification n’est pas non plus susceptible de remettre en cause la conclusion qui précède.

95      Certes, ainsi que le souligne le Grand-Duché de Luxembourg, le notaire exerce cette vérification en poursuivant un objectif d’intérêt général, à savoir garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers. Toutefois, la seule poursuite de cet objectif ne saurait justifier que les prérogatives nécessaires à cette fin soient réservées aux seuls notaires ressortissants de l’État membre concerné.

96      Le fait d’agir en poursuivant un objectif d’intérêt général ne suffit pas, en soi, pour qu’une activité donnée soit considérée comme participant directement et spécifiquement à l’exercice de l’autorité publique. En effet, il est constant que les activités exercées dans le cadre de diverses professions réglementées impliquent fréquemment, dans les ordres juridiques nationaux, l’obligation pour les personnes qui les exercent de poursuivre un tel objectif, sans que ces activités relèvent pour autant de l’exercice de cette autorité.

97      Cependant, le fait que les activités notariales poursuivent des objectifs d’intérêt général, qui visent notamment à garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers, constitue une raison impérieuse d’intérêt général qui permet de justifier d’éventuelles restrictions à l’article 43 CE découlant des spécificités propres à l’activité notariale, telles que l’encadrement dont les notaires font l’objet au travers des procédures de recrutement qui leur sont appliquées, la limitation de leur nombre et de leurs compétences territoriales ou encore leur régime de rémunération, d’indépendance, d’incompatibilités et d’inamovibilité, pour autant que ces restrictions permettent d’atteindre lesdits objectifs et sont nécessaires à cette fin.

98      Il est également vrai que le notaire doit refuser d’authentifier un acte ou une convention qui ne remplit pas les conditions légalement requises, cela indépendamment de la volonté des parties. Cependant, à la suite d’un tel refus, ces dernières restent libres soit de remédier à l’illégalité constatée, soit de modifier les stipulations de l’acte ou de la convention en cause, soit encore de renoncer à cet acte ou à cette convention.

99      Par ailleurs, la consultation et l’assistance juridiques assurées par le notaire lors de l’authentification desdits acte ou convention ne sauraient être considérées comme une participation à l’exercice de l’autorité publique, même lorsqu’il existe une obligation légale pour lui d’assurer une telle consultation ou assistance (voir, en ce sens, arrêt Reyners, précité, point 52).

100    S’agissant de la force probante et de la force exécutoire dont bénéficie l’acte notarié, il ne saurait être contesté que celles-ci confèrent auxdits actes d’importants effets juridiques. Cependant, le fait qu’une activité donnée comporte l’établissement d’actes dotés de tels effets ne saurait suffire pour que cette activité soit considérée comme participant directement et spécifiquement à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 45, premier alinéa, CE.

101    En effet, en ce qui concerne, en particulier, la force probante dont jouit un acte notarié, il convient de préciser que celle-ci relève du régime des preuves consacré par la loi dans l’ordre juridique en cause. Ainsi, l’article 1319 du code civil, lequel détermine la force probante de l’acte authentique, fait partie du chapitre VI dudit code, intitulé «De la preuve des obligations et de celle du payement». La force probante conférée par la loi à un acte donné n’a donc pas d’incidence directe sur la question de savoir si l’activité comportant l’établissement de cet acte, prise en elle-même, constitue une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique, ainsi que l’exige la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêts précités Thijssen, point 8, et Commission/Espagne, point 35).

102    En outre, l’acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l’oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, conformément à l’article 1322 du code civil, entre ceux qui l’ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, «la même foi que l’acte authentique».

103    S’agissant de la force exécutoire de l’acte authentique, il convient d’indiquer, ainsi que le fait valoir le Grand-Duché de Luxembourg, que celle-ci permet la mise à exécution de l’obligation que cet acte renferme, sans l’intervention préalable du juge.

104    La force exécutoire de l’acte authentique ne traduit cependant pas, dans le chef du notaire, des pouvoirs comportant une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique. En effet, si l’apposition par le notaire de la formule exécutoire sur l’acte authentique confère à ce dernier la force exécutoire, celle-ci repose sur la volonté des parties de passer un acte ou une convention, après vérification de leur conformité avec la loi par le notaire, et de leur conférer ladite force exécutoire.

105    Il convient également de vérifier si les autres activités confiées au notaire dans l’ordre juridique luxembourgeois et auxquelles le Grand-Duché de Luxembourg fait référence comportent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique.

106    S’agissant, en premier lieu, des missions confiées au notaire dans le cadre des saisies immobilières, il convient de relever que celui-ci est chargé principalement de procéder à la mise en œuvre de la vente, dans le cas où cette dernière a été autorisée par le juge, en organisant les modalités de publication, en dressant le cahier des charges, lequel indique le jour de la vente et contient délégation du prix au profit des créanciers.

107    Force est de constater à cet égard, d’une part, que le notaire n’est pas compétent pour procéder lui-même à la saisie. D’autre part, c’est le juge compétent qui, après avoir statué sur les dires et observations éventuellement insérés dans la requête, ainsi que sur la validité de la saisie, désigne le notaire et le charge de procéder à la vente publique. En outre, toute demande incidente à la poursuite en saisie immobilière doit être portée devant le tribunal compétent. Par ailleurs, même dans l’hypothèse où le créancier est autorisé, dans un contrat authentique, à faire vendre par le ministère d’un notaire sans suivre les formes légales applicables pour la saisie immobilière, hypothèse envisagée à l’article 879 du nouveau code de procédure civile auquel se réfère le Grand-Duché de Luxembourg, le notaire est tenu, en cas de contestation, de surseoir à toutes opérations et de renvoyer les parties en référé devant le président du tribunal.

108    Les missions confiées aux notaires dans le cadre des saisies immobilières apparaissent ainsi être exercées sous la surveillance du juge, auquel le notaire doit renvoyer les contestations éventuelles et qui, par ailleurs, décide en dernier lieu. Ces missions ne sauraient, par conséquent, être considérées comme participant, en tant que telles, directement et spécifiquement à l’exercice de l’autorité publique (voir, en ce sens, arrêts précités Thijssen, point 21; du 29 novembre 2007, Commission/Autriche, points 41 et 42; Commission/Allemagne, points 43 et 44, ainsi que Commission/Portugal, points 37 et 41).

109    La même conclusion s’impose, en deuxième lieu, en ce qui concerne les missions confiées aux notaires, conformément aux articles 1177 à 1184 du nouveau code de procédure civile, dans le cadre de certaines ventes d’immeubles. En effet, il ressort de ces dispositions que la décision d’autoriser ou non de telles ventes revient au juge des tutelles.

110    S’agissant, en troisième lieu, des activités des notaires en matière d’inventaire de successions, de communautés ou d’indivisions, ainsi qu’en matière d’apposition et de levée des scellés, il convient de souligner que celles-ci sont soumises à l’autorisation du juge de paix. En cas de difficultés, le notaire renvoie la question, en application de l’article 1168 du nouveau code de procédure civile, au président du tribunal de première instance.

111    En ce qui concerne, en quatrième lieu, les activités des notaires en matière de partage judiciaire, il convient de souligner que l’action en partage est soumise, conformément à l’article 822 du code civil, au tribunal. Le notaire n’intervient que si les parties sont convenues que la licitation sera faite devant lui. Dans ce cas, il a pour mission, notamment, de procéder à l’inventaire, à la formation de la masse générale et à la composition des lots. Cependant, même dans cette hypothèse, il revient au juge de trancher tout litige qui pourrait en survenir. Par conséquent, ces activités ne confèrent pas au notaire l’exercice de l’autorité publique.

112    Il convient en outre de préciser, en ce qui concerne les activités notariales mentionnées aux points 106 à 111 du présent arrêt, que, ainsi qu’il a été rappelé au point 86 de cet arrêt, des prestations professionnelles comportant un concours, même obligatoire, au fonctionnement des juridictions ne constituent pas, pour autant, une participation à l’exercice de l’autorité publique (arrêt Reyners, précité, point 51).

113    En cinquième lieu, le fait que les actes authentiques translatifs de droits réels immobiliers font l’objet d’une transcription au bureau de la conservation des hypothèques n’est pas directement pertinent pour la solution du présent litige. En effet, cette transcription, dont, par ailleurs, est chargé le conservateur des hypothèques, se rapporte aux mesures de publicité desdits actes et ne traduit donc pas, dans le chef du notaire, un exercice direct et spécifique de l’autorité publique.

114    S’agissant, en sixième lieu, des missions de collecte de l’impôt, dont est chargé le notaire lorsqu’il reçoit le paiement de droits d’enregistrement, celles-ci ne sauraient être considérées en elles-mêmes comme constituant une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique. Il convient de préciser, à cet égard, que cette collecte est réalisée par le notaire pour le compte du débiteur, qu’elle est suivie d’une remise des sommes correspondantes au service compétent de l’État et que, ainsi, elle n’est pas fondamentalement différente de celle afférente à la taxe sur la valeur ajoutée.

115    En ce qui concerne le statut spécifique des notaires dans l’ordre juridique luxembourgeois, il suffit de rappeler, ainsi qu’il ressort des points 85 et 88 du présent arrêt, que c’est au regard de la nature des activités en cause, prises en elles-mêmes, et non pas au regard de ce statut en tant que tel, qu’il convient de vérifier si ces activités relèvent de la dérogation prévue à l’article 45, premier alinéa, CE.

116    Deux précisions s’imposent néanmoins à cet égard. Premièrement, il est constant que, en dehors des cas où la désignation d’un notaire est prévue par voie de justice, chaque partie a le libre choix d’un notaire, ainsi qu’il découle notamment de l’article 7, point 4, de la loi relative à l’organisation du notariat. S’il est vrai que le tarif des honoraires des notaires est fixé par règlement grand-ducal, il n’en reste pas moins que la qualité des services fournis peut varier d’un notaire à l’autre en fonction, notamment, des aptitudes professionnelles des personnes concernées. Il s’ensuit que les notaires exercent leur profession, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 18 de ses conclusions, dans des conditions de concurrence, ce qui n’est pas caractéristique de l’exercice de l’autorité publique.

117    Il y a lieu de relever, deuxièmement, ainsi que le fait valoir la Commission sans être contredite sur ce point par le Grand-Duché de Luxembourg, que les notaires sont directement et personnellement responsables, à l’égard de leurs clients, des dommages résultant de toute faute commise dans l’exercice de leurs activités.

118    Au demeurant, l’argument que tire le Grand-Duché de Luxembourg de certains actes de l’Union et du droit international n’emporte pas davantage la conviction. S’agissant des actes mentionnés au point 48 du présent arrêt, il convient de préciser que le fait que le législateur ait choisi d’exclure les activités notariales du champ d’application d’un acte donné ne signifie pas que ces dernières relèvent nécessairement de la dérogation prévue à l’article 45, premier alinéa, CE. S’agissant, en particulier, de la directive 2005/36, il ressort du libellé même du quarante et unième considérant de cette directive, selon lequel celle-ci «ne préjuge pas l’application [...] de l’article 45 [CE], notamment en ce qui concerne les notaires», que le législateur de l’Union n’a précisément pas pris position sur l’applicabilité de l’article 45, premier alinéa, CE à la profession de notaire.

119    L’argumentation fondée sur les actes de l’Union visés aux points 49 et 50 du présent arrêt n’est pas pertinente non plus. S’agissant des règlements mentionnés au point 49 de cet arrêt, ceux-ci portent sur la reconnaissance et l’exécution d’actes authentiques reçus et exécutoires dans un État membre et n’affectent pas, par conséquent, l’interprétation de l’article 45, premier alinéa, CE. La même conclusion s’impose au regard des actes de l’Union mentionnés au point 50 du présent arrêt dans la mesure où ils se limitent, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, à confier aux notaires, ainsi qu’à d’autres autorités compétentes désignées par l’État, la tâche de certifier l’accomplissement de certains actes et formalités préalables au transfert du siège, à la constitution et à la fusion de sociétés.

120    Le Grand-Duché de Luxembourg ne saurait non plus tirer argument de l’article 1er de la convention supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers, conclue le 5 octobre 1961 à La Haye, cette disposition se limitant à définir la notion d’«acte public» au sens de ladite convention.

121    S’agissant des résolutions de 1994 et de 2006, mentionnées au point 52 du présent arrêt, force est de souligner que celles-ci sont dépourvues d’effets juridiques, étant donné que de telles résolutions ne constituent pas, par nature, des actes contraignants. Au demeurant, bien qu’elles indiquent que la profession de notaire relève de l’article 45 CE, le Parlement a explicitement exprimé son souhait, dans la première de ces résolutions, que des mesures soient prises pour que la condition de nationalité pour l’accès à la profession de notaire soit supprimée, cette position étant de nouveau implicitement confirmée dans la résolution de 2006.

122    En ce qui concerne l’argument que tire le Grand-Duché de Luxembourg de l’arrêt Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española, précité, il convient de préciser que l’affaire à l’origine de cet arrêt portait sur l’interprétation de l’article 39, paragraphe 4, CE, et non pas sur celle de l’article 45, premier alinéa, CE. En outre, il ressort du point 42 dudit arrêt que, lorsqu’elle a jugé que les fonctions confiées aux capitaines et aux seconds de navires constituent une participation à l’exercice de prérogatives de puissance publique, la Cour visait l’ensemble des fonctions exercées par ceux-ci. La Cour n’a donc pas examiné l’unique attribution en matière notariale confiée aux capitaines et aux seconds de navires, à savoir la réception, la garde et la remise de testaments, séparément de leurs autres compétences, telles que, notamment, les pouvoirs de coercition ou de sanction dont ils sont investis.

123    Quant à l’arrêt Unibank, précité, auquel se réfère également le Grand-Duché de Luxembourg, force est de constater que l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ne portait aucunement sur l’interprétation de l’article 45, premier alinéa, CE. En outre, la Cour a jugé, au point 15 dudit arrêt, que, pour qu’un acte soit qualifié d’«authentique» au sens de l’article 50 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), est nécessaire l’intervention soit d’une autorité publique soit de toute autre autorité habilitée par l’État d’origine.

124    S’agissant de la nécessité, évoquée par le Grand-Duché de Luxembourg, de garantir l’emploi de la langue luxembourgeoise dans l’exercice des activités du notaire, force est de constater que le premier grief du présent litige porte uniquement sur la condition de nationalité en cause. Si la sauvegarde de l’identité nationale des États membres constitue un but légitime respecté par l’ordre juridique de l’Union, ainsi que le reconnaît d’ailleurs l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’intérêt invoqué par le Grand-Duché peut toutefois être utilement préservé par d’autres moyens que l’exclusion, à titre général, des ressortissants des autres États membres (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 1996, Commission/Luxembourg, C-473/93, Rec. p. I‑3207, point 35).

125    Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les activités notariales, telles qu’elles sont définies en l’état actuel de l’ordre juridique luxembourgeois, ne participent pas à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 45, premier alinéa, CE.

126    Il convient par conséquent de constater que la condition de nationalité requise par la réglementation luxembourgeoise pour l’accès à la profession de notaire constitue une discrimination fondée sur la nationalité interdite par l’article 43 CE.

127    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que le premier grief est fondé.

 Sur le second grief

 Argumentation des parties

128    La Commission reproche au Grand-Duché de Luxembourg de ne pas avoir transposé la directive 89/48 en ce qui concerne la profession de notaire. Selon elle, cette profession ne saurait être soustraite au champ d’application de ladite directive, le notaire ne participant pas, de manière directe et spécifique, à l’exercice de l’autorité publique.

129    Cette institution rappelle que la directive 89/48 permet aux États membres de prévoir soit un test d’aptitude, soit un stage d’adaptation, qui seraient de nature à assurer le haut niveau de qualification requis des notaires. En outre, l’application de cette directive aurait pour effet non pas d’empêcher le recrutement de notaires par concours, mais seulement de donner accès audit concours aux ressortissants des autres États membres. Une telle application serait également sans incidence sur la procédure de nomination des notaires.

130    En outre, le Royaume-Uni estime que la référence à la profession de notaire au quarante et unième considérant de la directive 2005/36 n’exclut pas cette profession dans son ensemble du champ d’application de cette directive.

131    Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, le Grand-Duché de Luxembourg fait observer que le second grief est tiré d’un prétendu défaut de transposition non pas de la directive 2005/36 mais de la directive 89/48. Or, la directive 2005/36 aurait abrogé cette dernière avec effet à compter du 20 octobre 2007.

132    Sur le fond, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Hongrie, la République de Pologne et la République slovaque font valoir que la directive 2005/36, à son quarante et unième considérant, énonce expressément qu’elle «ne préjuge pas l’application de l’article 39, paragraphe 4, [CE] et de l’article 45 [CE], notamment en ce qui concerne les notaires». Cette réserve confirmerait le fait que la profession de notaire est couverte par l’article 45, premier alinéa, CE, de sorte que la directive 2005/36 ne trouverait pas à s’appliquer à cette profession. En outre, la République de Lituanie rappelle qu’une réserve moins spécifique, mais semblable, figure au douzième considérant de la directive 89/48.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité

133    Il est de jurisprudence constante que l’existence d’un manquement, dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 226 CE, doit être appréciée au regard de la législation de l’Union en vigueur au terme du délai que la Commission a imparti à l’État membre concerné pour se conformer à son avis motivé (voir, notamment, arrêts du 9 novembre 1999, Commission/Italie, C-365/97, Rec. p. I-7773, point 32; du 5 octobre 2006, Commission/Belgique, C-275/04, Rec. p. I-9883, point 34, et du 19 mars 2009, Commission/Allemagne, C‑270/07, Rec. p. I‑1983, point 49).

134    En l’espèce, ledit délai est venu à terme le 18 décembre 2006. Or, à cette date, la directive 89/48 était encore en vigueur, la directive 2005/36 n’ayant abrogé cette dernière qu’à partir du 20 octobre 2007. Partant, un recours fondé sur le défaut de transposition de la directive 89/48 n’est pas dépourvu d’objet (voir, par analogie, arrêt du 11 juin 2009, Commission/France, C-327/08, point 23).

135    L’objection émise par le Grand-Duché de Luxembourg doit, par conséquent, être écartée.

–       Sur le fond

136    La Commission reproche au Grand-Duché de Luxembourg de ne pas avoir transposé la directive 89/48 en ce qui concerne la profession de notaire. Il convient, par conséquent, d’examiner si ladite directive a vocation à s’appliquer à cette profession.

137    À cet égard, il y a lieu de tenir compte du contexte législatif dans lequel celle-ci s’inscrit.

138    Il convient ainsi de relever que le législateur a expressément prévu, au douzième considérant de la directive 89/48, que le système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur, instauré par celle-ci, «ne préjuge en rien l’application [...] de l’article [45 CE]». La réserve ainsi émise traduit la volonté du législateur de laisser les activités relevant de l’article 45, premier alinéa, CE en dehors du champ d’application de ladite directive.

139    Or, au moment de l’adoption de la directive 89/48, la Cour n’avait pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la question de savoir si les activités notariales relèvent ou non de l’article 45, premier alinéa, CE.

140    Par ailleurs, au cours des années qui ont suivi l’adoption de la directive 89/48, le Parlement, dans ses résolutions de 1994 et de 2006, mentionnées aux points 52 et 121 du présent arrêt, a affirmé, d’une part, que, l’article 45, premier alinéa, CE devait s’appliquer intégralement à la profession de notaire en tant que telle, alors que, d’autre part, il a fait état de son souhait que soit supprimée la condition de nationalité pour l’accès à cette profession.

141    En outre, lors de l’adoption de la directive 2005/36, laquelle s’est substituée à la directive 89/48, le législateur de l’Union a pris le soin de préciser, au quarante et unième considérant de la première de ces directives, que celle-ci ne préjuge pas l’application de l’article 45 CE, «notamment en ce qui concerne les notaires». Ainsi qu’il a été dit au point 118 du présent arrêt, en émettant cette réserve, le législateur de l’Union n’a pas pris position sur l’applicabilité de l’article 45, premier alinéa, CE, et, partant, de la directive 2005/36, aux activités notariales.

142    En attestent, notamment, les travaux préparatoires de cette dernière directive. En effet, le Parlement avait proposé, dans sa résolution législative sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2004, C 97E, p. 230), arrêtée en première lecture le 11 février 2004, qu’il soit explicitement indiqué dans le texte de la directive 2005/36 que celle-ci ne s’applique pas aux notaires. Si cette proposition n’a pas été retenue dans la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles [COM(2004) 317 final], ni dans la position commune (CE) n° 10/2005, du 21 décembre 2004, arrêtée par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 du traité instituant la Communauté européenne, en vue de l’adoption d’une directive du Parlement européen et du Conseil relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, C 58E, p. 1), c’est non pas au motif que la directive envisagée devait s’appliquer à la profession de notaire, mais au motif notamment qu’«une dérogation aux principes de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services pour les activités qui impliquent une participation directe et spécifique à l’autorité publique [était] prévue par l’article 45 [, premier alinéa,] CE».

143    À cet égard, compte tenu des circonstances particulières qui ont accompagné le processus législatif ainsi que de la situation d’incertitude qui en a résulté, comme il ressort du contexte législatif rappelé ci-dessus, il n’apparaît pas possible de constater qu’il existait, au terme du délai imparti dans l’avis motivé, une obligation suffisamment claire pour les États membres de transposer la directive 89/48 en ce qui concerne la profession de notaire.

144    Il y a lieu, par conséquent, de rejeter le second grief.

145    Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en imposant une condition de nationalité pour l’accès à la profession de notaire, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 43 CE et de rejeter le recours pour le surplus.

 Sur les dépens

146    En vertu de l’article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Étant donné qu’il n’est fait que partiellement droit au recours de la Commission, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

147    Aux termes de l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, de ce même règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République tchèque, la République française, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Hongrie, la République de Pologne, la République slovaque et le Royaume-Uni supporteront par conséquent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      En imposant une condition de nationalité pour l’accès à la profession de notaire, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 43 CE.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission européenne, le Grand-Duché de Luxembourg, la République tchèque, la République française, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Hongrie, la République de Pologne, la République slovaque et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.