Language of document : ECLI:EU:T:2017:90

Édition provisoire

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

16 février 2017 (*)

« Tarif douanier commun – Réglementation concernant la suspension des droits autonomes sur certains produits agricoles et industriels – Objection à l’encontre de suspensions existantes – Équivalence des produits – Procédure de traitement des objections » 

Dans l’affaire T‑191/14,

Lubrizol France SAS, établie à Rouen (France), représentée par MM. R. MacLean, solicitor, B. Hartnett, barrister, et Me A. Bochon, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. F. Florindo Gijón et Mme M. Balta, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée initialement par M. A. Caeiros et Mme M. Clausen, puis par MM. Caieros et A. Lewis, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation des articles 1er et 4 du règlement (UE) n° 1387/2013 du Conseil, du 17 décembre 2013, portant suspension des droits autonomes du tarif douanier commun sur certains produits agricoles et industriels et abrogeant le règlement (UE) n° 1344/2011 (JO 2013, L 354, p. 201), dans la mesure où ces dispositions ont privé la requérante de trois suspensions dont elle bénéficiait antérieurement conformément aux codes TARIC 2918 2900 80, 3811 2900 10 et 3811 9000 30,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. A. Dittrich (président), J. Schwarcz (rapporteur) et Mme V. Tomljenović, juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 10 novembre 2016,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, Lubrizol France SAS, est une société qui fabrique commercialise et vend des additifs pour les huiles de moteur, les carburants et pour d’autres utilisations industrielles.

2        Les 30 janvier et 9 février 2012, la requérante a déposé, trois demandes de suspension des droits de douane autonomes appliqués par l’Union européenne couvrant une gamme de produits qu’elle importait de sociétés enregistrées aux États-Unis d’Amérique et qui lui sont liées. L’une des demandes de suspension a été déposée auprès des autorités compétentes du Royaume de Belgique et les deux autres l’ont été auprès de celles de la République française.

3        Le Royaume de Belgique et la République française ont soumis les demandes de suspension au groupe de travail « Économie tarifaire » (ci-après le « GTET »), dont la tâche est de soutenir la Commission européenne dans l’examen des demandes de suspension des droits de douanes ou de contingents tarifaires, conformément au point 4.1.5 de la communication 2011/C 363/02 de la Commission, concernant les suspensions et contingents tarifaires autonomes (JO 2011, C 363, p. 6, ci-après la « communication de la Commission »).

4        L’examen des demandes de suspension par le GTET s’est conclu par la soumission d’une proposition de règlement au Conseil de l’Union européenne en vue de l’adoption des suspensions de droits proposées.

5        Le règlement (UE) n° 1232/2012 du Conseil, du 17 décembre 2012, modifiant le règlement (UE) n° 1344/2011 portant suspension des droits autonomes du tarif douanier commun sur certains produits industriels, agricoles et de la pêche (JO 2012, L 350, p. 8), a accordé la suspension des droits de douane pour les produits faisant l’objet des demandes présentées par la requérante auprès des autorités compétentes belges et françaises et a inscrit ces produits à l’annexe I du règlement (UE) n° 1344/2011 du Conseil, du 19 décembre 2011, portant suspension des droits autonomes du tarif douanier commun sur certains produits industriels, agricoles et de la pêche et abrogeant le règlement (CE) n° 1255/96 (JO 2011, L 349, p. 1), en attribuant à chacun d’eux un code relevant du tarif intégré de l’Union européenne (TARIC). Par suite, alors que ces produits étaient auparavant soumis, pour deux d’entre eux, à des droits de douane de 5,8 %, et, pour le dernier, à des droits de douane de 6,5 %, ils pouvaient désormais être importés dans l’Union sans application de droits de douane.

6        Après l’entrée en vigueur du règlement n° 1232/2012, les autorités compétentes belges et françaises ont notifié à la requérante qu’une société établie dans l’Union (ci-après l’« opposante ») s’était opposée à la poursuite de la mise en œuvre des suspensions accordées par ledit règlement aux produits importés par la requérante.

7        Dans des courriels des 10 et 30 mai 2013, la requérante a indiqué à l’opposante que les produits de cette dernière n’étaient pas comparables à ceux bénéficiant des suspensions des droits de douane ou que, s’ils l’étaient, ils ne pouvaient remplacer les produits importés, dans la mesure où, les combinaisons d’additifs de l’opposante étant différentes de celles qu’elle produisait, ces combinaisons n’auraient pas été conformes aux spécifications de ses clients européens. En outre, la requérante a demandé des informations complémentaires à l’opposante afin de vérifier notamment si les produits fabriqués par celle-ci étaient substituables aux produits importés, sans toutefois obtenir de réponse de sa part.

8        Par courriels des 4, 5 juillet et 16 août 2013, l’opposante a répondu à la requérante afin de lui apporter des précisions sur les trois produits présentés comme comparables aux produits bénéficiant de la suspension des droits de douanes en vertu du règlement n° 1232/2012. Il ressort de ces courriels que l’opposante reconnaissait, premièrement, que son produit Kerocom Piba 03 ne pouvait être classé sous le même code TARIC que le produit Mannich au polyisobutylène phénol et aux dérivés de diméthylamine (ci-après le « DMP »)importé par la requérante, qu’il avait une structure différente de celui-ci et qu’il était fabriqué selon un processus différent de celui par lequel ledit produit était élaboré, deuxièmement, que le produit Irganox L 67 était identique au produit Benzèneamine, N-phényl- avec nonène (ramifié) (ci‑après le « BNP ») importé par la requérante et, troisièmement, que le produit Irganox L 35 n’était, en revanche, pas identique au produit Benzènepropanoïque, 3,5‑bis (1,1-dimethylethylène)-4-hydroxy-, butyle (ci‑après le « BPA »)importé par la requérante. S’agissant de son produit Kerocom Piba 03, l’opposante contestait les remarques de la requérante sur les meilleurs résultats obtenus par le produit de celle-ci, notait le meilleur rapport prix-résultat de son produit et l’inexistence, selon elle, de deux marchés distincts pour les produits de la requérante et pour les siens.

9        Parallèlement, la requérante a informé les délégués du GTET des actions qu’elle avait entreprises en raison de l’opposition aux suspensions des droits de douane dont bénéficiaient ses produits et des discussions avec l’opposante.

10      Par ailleurs, les réponses de l’opposante, mentionnées au point 8 ci-dessus, ont été communiquées au délégué représentant la République fédérale d’Allemagne au sein du GTET.

11      Le GTET s’est réuni les 12 et 13 juillet 2013 et, si aucune autre réunion n’a été organisée, des échanges d’informations ont cependant continué à avoir lieu. Le 3 septembre 2013, la Commission a alors décidé de ne pas rejeter les objections transmises par l’opposante. Par la suite, le Conseil a adopté le règlement (UE) n° 1387/2013, du 17 décembre 2013, portant suspension des droits autonomes du tarif douanier commun sur certains produits agricoles et industriels et abrogeant le règlement n° 1344/2011 (JO 2013, L 354, p. 201). L’article 1er du règlement n° 1387/2013 prévoit que les droits autonomes du tarif douanier commun pour les produits agricoles et industriels énumérés à l’annexe I de ce règlement sont suspendus, et l’article 4 prévoit que le règlement n° 1344/2011 est abrogé (ci-après les « dispositions attaquées »). Il en ressort que les suspensions des droits de douane dont bénéficiaient les produits importés par la requérante ont été abrogées, avec effet au 1er janvier 2014.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 mars 2014, la requérante a introduit le présent recours.

13      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 mai 2014, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité, au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991.

14      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 2 juin 2014, la requérante a introduit une demande de traitement confidentiel à l’égard du public de certaines parties de la requête et de certaines de ses annexes.

15      Le Conseil ne s’étant pas opposé à la confidentialité desdites pièces dans le délai imparti, leur confidentialité a été admise et une version non confidentielle de la requête a été communiquée au Conseil.

16      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 juin 2014, la Commission a demandé à intervenir au soutien des conclusions du Conseil, conformément à l’article 115 du règlement de procédure du 2 mai 1991. Dans leurs observations des 7 et 10 juillet 2014, la requérante et le Conseil n’ont pas soulevé d’objections à l’encontre de cette demande d’intervention.

17      Le 14 juillet 2014, la requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité et a demandé au Tribunal de suspendre la procédure jusqu’à ce que la Cour se soit prononcée sur le pourvoi introduit contre l’ordonnance du 4 décembre 2013, Forgital Italy/Conseil (T‑438/10, non publiée, EU:T:2013:648).

18      Par un acte déposé au greffe du Tribunal le 28 juillet 2014, le Conseil a fait savoir au Tribunal qu’il n’était pas opposé à la demande de suspension présentée par la requérante.

19      Par ordonnance du 15 septembre 2014 du président de la cinquième chambre du Tribunal, la procédure a été suspendue conformément à l’article 77, sous c), du règlement de procédure du 2 mai 1991, jusqu’à la décision de la Cour mettant fin à l’instance introduite sous le numéro C‑84/14 P, mentionnée au point 17 ci-dessus.

20      Par ordonnance du 14 juillet 2015, Forgital Italy/Conseil (C‑84/14 P, non publiée, EU:C:2015:517), la Cour a rejeté le pourvoi formé par Forgital Italy SpA.

21      Le 6 août 2015, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 88 du règlement de procédure du Tribunal, la requérante et le Conseil ont été invités à présenter leurs observations sur l’ordonnance du 14 juillet 2015, Forgital Italy/Conseil (C‑84/14 P, non publiée, EU:C:2015:517), et, plus particulièrement, sur les points 38 à 69. Elles ont déféré à la demande du Tribunal dans le délai qui leur avait été imparti.

22      Par ordonnance du Tribunal (cinquième chambre) du 14 décembre 2015, adoptée sur le fondement de l’article 130, paragraphe 7, du règlement de procédure, l’exception d’irrecevabilité a été jointe au fond et les dépens ont été réservés.

23      Par décision du 15 février 2016, le président de la cinquième chambre du Tribunal a admis l’intervention de la Commission. Le 30 mars 2016, la Commission a présenté son mémoire en intervention.

24      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 31 mars 2016.

25      La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 17 mai 2016.

26      La requérante a présenté ses observations sur le mémoire en intervention de la Commission le 30 mai 2016.

27      La requérante conclut, dans la requête ainsi que dans ses observations sur le mémoire en intervention de la Commission, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler les dispositions attaquées dans la mesure où elles l’ont privée de trois suspensions des droits autonomes du tarif douanier commun dont elle bénéficiait ;

–        condamner le Conseil aux dépens ;

–        condamner la Commission aux dépens afférents à son intervention.

28      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant manifestement irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant manifestement non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

29      En l’espèce, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité dans le cadre de laquelle il a fait valoir deux fins de non-recevoir, tirées, respectivement, de ce que les dispositions attaquées n’affecteraient pas individuellement la requérante et de ce que lesdites dispositions comporteraient des mesures d’exécution.

30      Dans son mémoire en intervention ainsi que lors de l’audience, la Commission a soutenu les conclusions et les arguments invoqués par le Conseil à l’appui de son exception d’irrecevabilité.

31      La requérante, au cours des phases des procédures écrite et orale, a contesté le bien-fondé de ces deux fins de non-recevoir.

32      Il convient de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52, et du 25 avril 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, T‑526/10, EU:T:2013:215, point 20).

33      Dans les circonstances du cas d’espèce et dans un souci d’économie de la procédure, il y a lieu d’examiner d’emblée les conclusions en annulation de la requérante, sans statuer préalablement sur la recevabilité du recours dans son ensemble, ni sur celle de certains des arguments ainsi que de l’exception d’illégalité soulevés par le Conseil, le recours étant, en tout état de cause et pour les motifs exposés ci-après, dépourvu de fondement.

 Sur le fond

34      Au soutien du recours, la requérante soulève deux moyens. Le premier est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le Conseil en décidant la levée des suspensions contestées. Le second moyen est tiré de la violation d’exigences et de garanties de procédure essentielles lors de l’adoption du règlement n° 1387/2013.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le Conseil en décidant la levée des suspensions contestées

35      Par le premier moyen, la requérante fait valoir que le Conseil a méconnu les conditions matérielles d’annulation de suspensions des droits de douane prévues au point 3.2, premier tiret, de la communication de la Commission, selon lequel une suspension de droit est envisageable lorsque des produits identiques, équivalents ou de substitution au produit importé ne sont pas fabriqués en quantités suffisantes dans l’Union.

36      Premièrement, la requérante soutient que, s’agissant du BPA, la condition permettant la levée d’une suspension des droits de douane, à savoir celle tenant à ce que le produit en cause soit disponible en quantités suffisantes dans l’Union, n’est pas remplie. L’opposante aurait d’ailleurs admis, dans son courrier du 16 août 2013, ne pas être capable de fournir à la requérante un produit comparable au BPA.

37      Deuxièmement, la requérante soutient que les critères objectifs prévus dans la communication de la Commission aux fins de l’évaluation de l’existence d’une équivalence entre les produits importés et les produits de l’Union ont été méconnus en l’espèce.

38      Ainsi, tout d’abord, la requérante soutient qu’aucun des produits proposés n’est un produit identique, équivalent ou de substitution à la marchandise bénéficiant de la suspension de droit, compte tenu des normes techniques rigoureuses imposées. Outre les normes techniques imposées à la requérante par ses clients et d’autres considérations réglementaires externes, il aurait été nécessaire de remanier le mélange et les autres procédés de fabrication effectués sur le site de production si l’utilisation du produit de l’opposante avait dû être envisagée.

39      Ensuite, en ce qui concerne en particulier le BPA et le DMP, le GTET et le Conseil auraient adopté à tort l’approche de l’opposante en vertu de laquelle les produits en cause, bien que non identiques, étaient destinés à des utilisations similaires et donc substituables. Pareille conclusion constitue, selon la requérante, une interprétation extensive erronée des critères matériels applicables qui accorderait aux opposantes une possibilité trop importante de contester les demandes de suspensions ou le maintien de ces dernières. La requérante fait valoir que le critère de la fonction et de l’utilisation commerciale des produits ne peut prévaloir si, dans le cadre du premier critère d’évaluation, il est établi que les produits en cause sont suffisamment dissemblables. De plus, le marché considéré comme pertinent est trop vaste et ne prend pas en compte les normes à satisfaire imposées à la requérante par ses clients.

40      Dans la réplique et lors de l’audience, la requérante a insisté sur les caractéristiques physiques uniques des produits importés consistant en des combinaisons d’additifs spécifiquement développées pour ses clients. La requérante disposerait, au maximum, d’une faible latitude pour modifier lesdites combinaisons, ces modifications pouvant entraîner, outre le rejet par ses clients des nouvelles combinaisons d’additifs, la détérioration des performances des machines et véhicules dans lesquels elles auraient été introduites ainsi qu’une baisse de performances en termes de respect des normes environnementales.

41      La requérante rappelle encore que les réponses tardives de l’opposante aux questions qu’elle lui avait posées ont eu pour conséquence que le cas du BPA n’a pu être évoqué, en tenant compte desdites réponses, lors des réunions du GTET, que la requérante n’a eu que très peu de temps pour préparer une réponse approfondie et, enfin, que la requérante a été empêchée de négocier un contingent tarifaire en franchise de droits pour un volume limité de produits importés.

42      En ce qui concerne le BNP, et s’agissant plus particulièrement de la charge de la preuve, la requérante considère que rien dans la communication de la Commission n’exonère les opposantes de fournir les preuves au soutien de leur demande. Il serait, en outre, contraire aux principes fondamentaux du droit de l’Union d’accorder plus de poids aux arguments de l’opposante.Le Conseil aurait, qui plus est, dû permettre à la requérante de contester la validité de l’objection de l’opposante.Le Conseil s’en serait tenu à tort à l’idée que l’opposante, quand bien même elle n’avait pas répondu rapidement aux demandes d’éclaircissement de la requérante, était exonérée de l’obligation de démontrer que la suspension tarifaire contestée n’était plus justifiée.

43      Enfin, la requérante considère que le Conseil a aggravé son erreur en ne réagissant pas à la reconnaissance ultérieure par l’opposante du fait que les matériaux qu’elle destinait à la requérante en lieu et place du BPA n’étaient pas disponibles dans l’Union.

44      Le Conseil, soutenu par la Commission, se référant au large pouvoir d’appréciation et à l’importante marge de manœuvre en matière de choix techniques et politiques complexes dont il dispose dans le cadre du régime douanier commun, conteste avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant qu’il convenait de mettre fin aux suspensions au motif que des produits identiques, équivalents ou de substitution étaient disponibles en quantités suffisantes dans l’Union.

45      Aux termes de l’article 28 TFUE, l’« Union comprend une union douanière qui s’étend à l’ensemble des échanges de marchandises et qui comporte l’interdiction, entre les États membres, des droits de douane à l’importation et à l’exportation et de toutes taxes d’effet équivalent, ainsi que l’adoption d’un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers ». Dès lors, sauf dérogations prévues dans les dispositions de l’Union, les droits inscrits dans le tarif douanier commun doivent être acquittés pour tous les produits mis en libre pratique.

46      Les droits du tarif douanier commun sont fixés, en vertu de l’article 31 TFUE, par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission. Le Conseil est donc habilité à modifier ou à suspendre, partiellement ou totalement, ces droits (arrêt du 14 novembre 1985, Texas Instruments/Hauptzollamt München-Mitte, 227/84, EU:C:1985:461, point 12).

47      Les suspensions approuvées au titre de l’article 31 TFUE constituent des exceptions à l’acquittement des droits inscrits dans le tarif douanier commun, règle générale rappelée au point 45 ci-dessus.

48      Par ailleurs, au regard de l’article 2 du règlement n° 1344/2011, mais également de l’article 2 du règlement n° 1387/2013, la Commission, de sa propre initiative ou à la demande d’un ou de plusieurs États membres, réexamine régulièrement les suspensions accordées.

49      En outre, la communication de la Commission détermine les principes directeurs et les procédures à suivre par la Commission dans l’élaboration de ses propositions au Conseil.

50      Au sens du point 2.5.1 de la communication de la Commission, l’objectif poursuivi par les suspensions tarifaires est de permettre aux entreprises de l’Union d’utiliser des matières premières, des produits semi-finis ou des composants qui ne sont pas disponibles ou produits à l’intérieur de l’Union, à l’exception des produits finis.

51      Ainsi, en vertu du point 2.4.1 de la communication de la Commission, une mesure de suspension tarifaire autonome des droits du tarif douanier commun pendant une période donnée ne peut être accordée qu’en cas d’indisponibilité des produits au sein de l’Union. Dès lors, en application du point 3.2 de cette même communication, et sauf si l’intérêt de l’Union le justifie, une telle mesure ne peut être demandée lorsque des produits identiques, équivalents ou de substitution sont fabriqués en quantités suffisantes dans l’Union. Il en va de même dans les cas où, en l’absence de production dans l’Union, la mesure risque de causer une distorsion de concurrence entre les entreprises en ce qui concerne les produits finis dans lesquels les produits en question sont appelés à être incorporés ou les produits d’un secteur apparenté.

52      Dans le cas où il existe dans l’Union une production de produits identiques, équivalents ou de substitution au produit à importer, mais que cette production n’est pas suffisante pour satisfaire les besoins de l’ensemble des entreprises de production ou de transformation concernées, la Commission a prévu, au point 3.3 de sa communication, que des contingents tarifaires, c’est-à-dire des mesures limitées aux quantités indisponibles, ou des suspensions tarifaires partielles puissent être accordés.

53      S’agissant de l’examen de l’équivalence entre les produits importés et les produits de l’Union, il ressort du point 3.4 de la communication de la Commission que celle-ci est appréciée, dans la mesure du possible, à l’aide de critères objectifs, en tenant compte des caractéristiques chimiques, physiques et techniques essentielles de ceux-ci, de leur fonction et de leur utilisation commerciale prévues et, en particulier, de leur mode d’utilisation et de leur disponibilité actuelle ou future sur le marché de l’Union. Les différences de prix entre les produits importés et les produits de l’Union ne sont pas prises en considération.

54      Concernant plus particulièrement la procédure aboutissant à l’adoption de mesures de suspension tarifaire, il convient de constater, au regard du titre 4 de la communication de la Commission, intitulé « Modalités administratives », que les demandes de suspensions sont regroupées par cycle afin que les nouveaux contingents et suspensions tarifaires ainsi que les modifications adoptées entrent en vigueur soit le 1er janvier soit le 1er juillet de chaque année.

55      À la lumière du titre 4.1 de la communication de la Commission, intitulé « Transmission des nouvelles demandes », il apparaît que les demandes de suspensions sont présentées à un bureau central dans chaque État membre. Ces derniers s’assurent que les demandeurs ont fourni toutes les informations nécessaires au soutien de leur demande et transmettent celles-ci à la Commission. Les demandes de suspensions tarifaires sont alors examinées par le GTET, qui, après avoir vérifié le caractère approprié de celles-ci, analyse, au cours d’au minimum trois réunions par cycle, les mesures proposées. Au cours de la procédure, la Commission peut, notamment, demander à l’État membre concerné de fournir tout élément d’information supplémentaire qu’elle considère comme essentiel. Aux termes de ces rencontres, le GTET remet un avis à la Commission, laquelle soumet ses propositions au Conseil.

56      Concernant plus particulièrement la transmission des objections, la procédure est précisée aux points 4.5.1 et suivants de la communication de la Commission. Toute objection à une mesure actuelle doit être présentée par écrit au plus tard lors de la première réunion du GTET. Les objections sont présentées à un bureau central dans chaque État membre. Les États membres décident, après les avoir examinées pour s’assurer que les demandes remplissent les conditions, s’ils les présentent aux membres du GTET et à la Commission. Les États membres doivent, par ailleurs, veiller à ce que des contacts soient pris entre les sociétés concernées.

57      Il convient encore de rappeler que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2007/436/CE, Euratom du Conseil, du 7 juin 2007, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO 2007, L 163, p. 17), les droits de douane contribuent aux ressources propres traditionnelles de l’Union. L’opportunité d’adopter une suspension tarifaire doit, en conséquence, être appréciée en fonction de l’intérêt général de l’Union.

58      Enfin, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que le Conseil disposait d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne l’adoption de mesures de suspension (arrêts du 14 novembre 1985, Texas Instruments/Hauptzollamt München-Mitte, 227/84, EU:C:1985:461, point 16, et du 18 mars 1986, Ethicon/Hauptzollamt Itzehoe, 58/85, EU:C:1986:128, point 18). Le contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union à l’égard de telles décisions doit donc se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir.

59      S’agissant de l’examen, par le juge de l’Union, de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation, entachant un acte d’une institution, il convient de préciser que, afin d’établir que cette institution a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de faits complexes de nature à justifier l’annulation dudit acte, les éléments de preuve apportés par la partie requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenues dans cet acte. Sous réserve de cet examen, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation de faits complexes à celle de l’auteur de cette décision (voir, par analogie, arrêt du 21 mai 2015, Rubinum/Commission, T‑201/13, non publié, EU:T:2015:311, point 58 et jurisprudence citée). Il y a lieu d’ajouter que la légalité d’une décision doit s’apprécier en fonction des éléments d’informations dont l’institution pouvait disposer au moment où elle a arrêté celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234/84, EU:C:1986:302, point 16).

60      Toutefois, la limitation du contrôle du juge de l’Union n’affecte pas le devoir de celui-ci de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, ainsi que de contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, par analogie, arrêt du 21 mai 2015, Rubinum/Commission, T‑201/13, non publié, EU:T:2015:311, point 59 et jurisprudence citée).

61      Par conséquent, à la lumière des considérations qui précèdent, le Tribunal est invité à se prononcer, en l’espèce, sur l’éventuelle existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la situation économique commise par le Conseil en ce qu’il a accueilli l’objection soulevée à l’encontre des suspensions en cause (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 1986, Ethicon/Hauptzollamt Itzehoe, 58/85, EU:C:1986:128, point 18).

62      À cet égard, il convient de constater que la procédure suivie aboutissant à l’adoption par le Conseil du règlement n° 1387/2013 correspond à la procédure mise en place par la Commission dans sa communication et rappelée aux points 54 à 56 ci-dessus.

63      En effet, le Conseil a mis fin aux suspensions en cause à l’initiative de la République fédérale d’Allemagne, laquelle avait reçu une demande en ce sens de la part de l’opposante. La demande formulée par la République fédérale d’Allemagne a fait l’objet, avant son adoption par le Conseil, d’un examen de la part du GTET, sous l’auspice de la Commission, au terme duquel cette dernière a soumis sa proposition au Conseil.

64      Par ailleurs, il convient de constater que l’opposante a fourni, au soutien de son objection, l’ensemble des informations et des documents requis par la communication de la Commission, en son annexe IV. Ainsi l’opposante a, pour les trois produits proposés, indiqué les raisons pour lesquelles ses produits pouvaient remplacer les produits importés par la requérante et assorti ses affirmations de fiches techniques détaillées quant à la nature chimique, physique et technique de ceux-ci. En outre, aucun élément du dossier ne permet de mettre en cause la fiabilité et la cohérence des éléments fournis par l’opposante au soutien de son objection.

65      Aucun des arguments invoqués par la requérante n’est susceptible d’infirmer le constat opéré au point précédent.

66      Premièrement, selon la requérante, l’opposante aurait, dans son formulaire concernant l’objection à l’encontre de la suspension dont bénéficiait le BPA, indiqué que sa capacité de production en Suisse s’élevait à 11 000 tonnes par année, ce qu’elle aurait, par la suite, dans sa réponse aux questions de la requérante, explicitement démenti. Or, si, certes, la réponse de l’opposante aux interrogations de la requérante peut prêter à confusion, il convient néanmoins d’admettre que celle-ci ne revient, à aucun moment, sur sa déclaration concernant sa capacité de production en Suisse d’un produit comparable au BPA. En effet, l’opposante apporte simplement une nuance aux termes employés par la requérante dans ses commentaires quant à l’objection de l’opposante. Là où la requérante demandait à l’opposante d’indiquer si elle était en mesure de fournir des biens comparables depuis la Suisse, l’opposante précisait le faire déjà et ajoutait, en outre, ne pas être la seule entreprise à fournir des produits comparables.

67      Deuxièmement, la requérante considère également à tort que, consciente du fait que le BPA et le produit proposé n’étaient en rien « identiques, équivalents ou substituables », l’opposante n’a ni fourni des informations sur ledit produit au cours de la procédure d’évaluation ni apporté les éclaircissements demandés le 10 mai 2013 par la requérante. À cet égard, il ressort du point 4.5.3 de la communication de la Commission que celle-ci peut rejeter une objection lorsque l’échantillon demandé n’a pas été fourni par l’opposante. Or, la requérante ne démontre pas qu’un échantillon du produit Irganox L135 a été demandé, en l’espèce, à l’opposante. En outre, quand bien même un échantillon dudit produit aurait été demandé, il revenait à la Commission d’apprécier les conséquences d’un tel manquement et, donc, l’opportunité du rejet de l’objection. Quant aux éclaircissements demandés par la requérante, l’opposante, qui a répondu par courriel du 16 août 2013, avait, au soutien de son objection, communiqué l’ensemble des informations requises par la communication de la Commission et nécessaires aux fins de l’examen, par les institutions en cause, de l’objection soulevée. Or, il apparaît que la requérante n’apporte aucun élément permettant de douter de la fiabilité de ces informations.

68      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le Conseil n’a commis aucune erreur manifeste en concluant à l’identité, à l’équivalence ou au caractère substituable des produits en cause.

69      Le constat opéré au point 68 ci-dessus n’est pas susceptible d’être remis en cause par les autres arguments présentés par la requérante.

70      Premièrement, dans le cas du BPA, la requérante soutient que, dans le formulaire accompagnant son objection à l’encontre des suspensions en cause, l’opposante n’a présenté son produit ni comme « identique » ni comme « équivalent ou de substitution » au produit importé par la requérante, mais, plutôt, comme « comparable ». En conséquence, des normes d’appréciation plus élevées seraient alors requises. Force est de constater que cette lecture du formulaire est erronée et que, partant, cet argument doit être rejeté.

71      L’opposante, si elle a certes coché la case intitulée « autre » dans le formulaire accompagnant son objection, a indiqué ne fonder celle-ci ni sur l’existence de marchandises identiques produites actuellement dans l’Union ou en Turquie et disponibles sur le marché, ni sur l’existence de produits équivalents ou de substitution actuellement disponibles dans l’Union ou en Turquie. La production des marchandises de l’opposante se trouvant en Suisse, celle-ci n’a pu fonder son objection sur l’une de ces deux justifications et a donc, par élimination, opté pour l’option « autre ». Le fait que l’opposante indique, toujours dans le formulaire, être une entreprise produisant actuellement un produit identique, équivalent ou de substitution en Suisse, biffant et remplaçant ainsi la mention « au sein de l’Union européenne ou en Turquie », confirme cette interprétation.

72      Par ailleurs, et toujours dans le formulaire d’objection, l’opposante indique, en guise de remarques explicatives, ne connaître aucun cas dans lequel le produit importé par la requérante ne pourrait être « remplacé » ou « substitué » par le produit qu’elle propose. La requérante ne conteste, au demeurant, pas que ces termes ont été employés par l’opposante dans son objection concernant le BPA. Partant, il apparaît clairement que l’opposante considère les produits en cause comme « substituables ».

73      Deuxièmement, dans le cas du BNP, la requérante soutient, en substance, que le GTET ne disposait pas des informations suffisantes pour conclure à l’identité du produit importé par elle et du produit proposé par l’opposante. À cet égard, comme le soutien à juste titre le Conseil, il convient de constater que l’opposante avait fourni toutes les informations requises afin de fonder son objection à l’encontre des suspensions dont bénéficiaient les produits importés par la requérante. Or, si dans sa lettre du 10 mai 2013 la requérante conteste l’identité des produits en cause, elle n’apporte pour autant aucun élément au soutien de son affirmation. À titre surabondant, les informations supplémentaires demandées par la requérante dans ladite lettre se trouvent, en grande partie, explicitement dans les fiches techniques accompagnant l’objection de l’opposante.

74      Le constat opéré au point 73 ci-dessus n’est pas de nature, contrairement à ce qu’affirme la requérante, à violer les règles portant sur la répartition de la charge de la preuve.

75      Au regard du titre 4.5 de la communication de la Commission intitulé « Transmission des objections » ainsi que de l’annexe IV de ladite communication, il incombe à l’opposante qui formule une objection à l’encontre de suspensions existantes de fournir l’ensemble des informations et des documents au soutien de sa demande. Au sens du point 4.1.1 de la communication de la Commission, l’État membre saisi de la demande s’assure que celle-ci remplit les conditions fixées dans la communication et que les informations qu’elle contient sont exactes, à tous égards. Il transmet ensuite la demande à la Commission, laquelle peut, au regard de sa mission, demander à l’État membre concerné de fournir tout élément d’information supplémentaire se rapportant à la demande. Si les informations ne sont pas apportées, la Commission peut rejeter la demande.

76      En l’espèce, comme il a déjà été indiqué au point 64 ci-dessus, l’opposante a fourni, aux fins de son objection, tous les documents requis par l’annexe IV de la communication de la Commission. La Commission n’ayant pas jugé nécessaire de demander des informations supplémentaires, il appartenait dès lors à la requérante de produire elle-même les éléments attestant du caractère unique des produits qu’elle importait. Or, il apparaît que les institutions en cause, disposant d’un large pouvoir d’appréciation, ont pu considérer que la requérante, s’appuyant sur ses propres allégations, n’avait pas apporté les éléments suffisants et pertinents permettant d’étayer son affirmation selon laquelle les produits importés constituaient des produits uniques.

77      Troisièmement, dans le cas du DMP, la requérante soutient, en se fondant sur une analyse réalisée par ses soins, que le produit importé et le produit proposé par la requérante ne sont pas identiques, ce qu’aurait admis par la suite l’opposante dans sa réponse du 4 juillet 2013. Or, force est de constater que, à aucun moment, l’opposante n’a modifié son point de vue quant à son objection. Au contraire, elle affirme que le produit qu’elle propose, bien qu’il ne soit pas identique, est équivalent ou substituable au produit importé par la requérante en ce qu’il est adapté à l’objectif poursuivi par cette dernière.

78      Quatrièmement,et ce en ce qui concerne l’ensemble des produits en cause, si la requérante soutient que, en raison des normes techniques rigoureuses imposées par ses clients et d’autres considérations réglementaires externes, aucun des produits proposés ne peut être considéré comme identique, équivalent ou substituable aux produits bénéficiant des suspensions en cause, cet argument peine à convaincre. Le même constat s’impose quant à l’argument de la requérante selon lequel l’utilisation des produits de l’opposante aurait nécessité le remaniement du mélange et des autres procédés de fabrication effectués sur le site de production. En effet, il y a lieu de considérer que les critères utilisés aux fins de l’examen de l’équivalence des produits en cause, rappelés au point 53 ci-dessus, ont été strictement délimités par la Commission dans sa communication. Or, les exigences auxquelles doivent répondre les entreprises concernées ou les coûts supplémentaires auxquels elles devraient faire face ne constituent aucunement un critère susceptible d’entrer dans l’examen de l’équivalence des produits. Cela est d’autant plus justifié que la situation économique est appréciée, comme cela est indiqué au point 57 ci-dessus, au regard de l’intérêt général de l’Union et non de celui des opérateurs économiques.

79      Par ailleurs, si, par cet argument, la requérante fait valoir que, en raison du caractère hautement spécialisé des produits qu’elle importe, un niveau plus élevé d’appréciation était nécessaire, il apparaît, comme le soutient à juste titre le Conseil, que la communication de la Commission ne prévoit aucun traitement différent en fonction de ce que la substance importée est banale ou hautement spécialisée.

80      De même, concernant l’argument de la requérante selon lequel les combinaisons d’additifs reformulées auraient, d’une part, détérioré les performances des machines dans lesquelles ils auraient été introduits et, d’autre part, méconnu les normes d’émission dans l’environnement, force est de constater que la requérante n’étaye aucunement ses affirmations.

81      Le fait que l’opposante n’a pas indiqué à la requérante si elle pouvait utiliser, dans ses propres installations, les produits bénéficiant de la suspension est sans incidence.

82      Cinquièmement, si la requérante allègue que la Commission et le Conseil auraient méconnu les critères d’appréciation prévus dans la communication de la Commission en ce qu’ils se seraient uniquement fondés, s’agissant du BPA et du DMP, sur l’utilisation potentielle ou possible des produits en cause afin de conclure au caractère identique, équivalent ou substituable de ceux-ci, cet argument doit également être écarté.

83      À cet égard, il est vrai que l’opposante, dans son objection, avance que les produits en cause sont utilisés de manière alternative. Toutefois, et comme le soutient à juste titre la Commission, si les caractéristiques chimiques, physiques et techniques des produits revêtent de l’importance, il convient de constater, au regard du point 3.4 de sa communication, que l’équivalence entre les produits importés et les produits de l’Union est appréciée en tenant également compte de leur fonction et de leur utilisation commerciale et, en particulier, de leur mode d’utilisation. La Commission ne prévoyant aucune hiérarchie entre les critères objectifs prévus dans sa communication, rien ne permet de conclure, à l’instar de la requérante, que ce n’est que lorsque les produits en cause sont suffisamment ressemblants d’un point de vue chimique, physique et technique qu’il peut être tenu compte de leur fonction et de leur utilisation commerciale. Au contraire, il y a lieu de considérer que l’examen de l’équivalence des produits importés et des produits de l’Union, tel que prévu au point 3.4 de la communication de la Commission, consiste en une appréciation globale au regard de différents critères objectifs dont il ne peut être décidé, au préalable et sans connaissance des spécificités de chaque cas, lequel prévaudra sur les autres.

84      Par ailleurs, l’exemple donné par la requérante au soutien de sa démonstration selon laquelle le critère de l’utilisation commerciale est un critère plus subjectif que le critère des caractéristiques chimiques, physiques et techniques, n’est pas convaincant. La requérante illustre, en effet, ses propos en considérant que les producteurs de jus d’orange de l’Union seraient autorisés à empêcher le café importé de bénéficier d’une quelconque suspension de droit au motif que le marché concerné peut être défini comme étant le marché des boissons de l’Union.Or, il y a lieu de rappeler que les suspensions tarifaires s’appliquent aux seuls matières premières, produits semi-finis et composants. Aucune suspension tarifaire ne peut dès lors être accordée lorsque les produits en cause constituent des produits finis.

85      En outre, considérant que les produits importés et les produits de l’Union présentent de fortes dissemblances chimiques, physiques et techniques, la requérante considère que le GTET n’a pu apprécier l’équivalence des produits que sur le critère de l’utilisation commerciale de ceux-ci. Comme il a déjà été indiqué au point 64 ci-dessus, l’opposante avait transmis, au soutien de son objection, les données chimiques, physiques et techniques requises par la communication de la Commission. En conséquence, le GTET a pu notamment apprécier, sur la base des caractéristiques chimiques, physiques et techniques essentielles, l’équivalence des produits en cause, considérer ceux-ci comme totalement, ou en partie, identiques, similaires ou substituables au regard de ce critère et poursuivre son analyse au regard des autres critères. En effet, outre le fait que la requérante n’étaye ses affirmations par aucun élément de preuve concret, elle ne démontre aucunement en quoi les produits qu’elle importe sont à ce point différents par rapport à ceux de l’opposante, que, partant, le GTET ne pouvait que conclure à l’absence de toute équivalence chimique, physique ou technique et, dès lors, ne pouvait pas aller plus loin dans son analyse. L’argument de la requérante selon lequel le Conseil aurait admis, dans le mémoire en défense, que les produits importés seraient uniques ou les seuls adaptés à leur finalité relève d’une interprétation erronée, le Conseil se référant simplement au propos de la requérante dans sa requête.

86      Il y a lieu d’ajouter au demeurant que, il est certes vrai que le Conseil, dans le mémoire en défense, a précisé que le BPA et le produit proposé par l’opposante n’avaient pas été présentés par cette dernière comme identiques, équivalents ou similaires, mais comme concurrents. Il se serait dès lors fondé sur la thèse relative à la distorsion de concurrence prévue au point 3.2, premier tiret, deuxième phrase, de la communication de la Commission. Toutefois, outre le fait que, comme cela a déjà été constaté aux points 71 et 72 ci-dessus, l’opposante considère ces produits comme équivalents ou substituables, il y a lieu de relever que le Conseil est revenu, dans la duplique, sur son affirmation.Dès lors que, dans le mémoire en défense, le Conseil a indiqué à de nombreuses reprises considérer les produits importés et les produits proposés comme identiques, équivalents ou substituables, il apparaît que le Conseil a considéré être en présence, s’agissant du BPA, de produits pour le moins substituables.

87      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, et sous réserve des arguments mentionnés au point 41 ci-dessus auxquels il est répondu dans le cadre du second moyen (voir points 97 à 102 ci-après), il convient de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.

 Sur le second moyen, tiré de la violation d’exigences et de garanties de procédure essentielles lors de l’adoption du règlement n° 1387/2013

88      La requérante estime qu’un certain nombre d’événements auraient dû contraindre la Commission à rejeter les objections formées par l’opposante contre le maintien des suspensions en cause en l’espèce. En ne le faisant pas, des exigences et des garanties de procédure essentielles, telles que celles prévues notamment au point 4.5.3 de la communication de la Commission, auraient été violées, ce qui justifierait l’annulation du règlement n° 1387/2013 adopté par le Conseil à la suite de la proposition faite par la Commission.

89      Premièrement, la requérante invoque la violation des règles de procédure exigeant que les contacts entre l’opposante et la requérante aient lieu en temps voulu. La requérante rappelle que, entre la communication formelle par la requérante de sa position à l’opposante, le 10 mai 2013, et les réponses de cette dernière se sont écoulés, en jours calendaires, 55 jours pour le DMP, 56 jours pour le BNP et 98 jours pour le BPA. Dès lors, et ce malgré les interventions du délégué allemand, le délai de 15 jours fixé par la Commission dans sa communication serait largement dépassé. Or, la Commission, bien que parfaitement au courant de la situation, n’a pris aucune mesure afin de menacer l’opposante de rejeter ses objections. Par son inaction, la Commission a contribué à la violation des règles et des garanties de procédure essentielles régissant le déroulement de la procédure d’évaluation des objections.

90      En outre, ces retards n’ont pas permis à la Commission d’évaluer correctement s’il convenait ou non de maintenir les suspensions contestées. L’opposante n’ayant par ailleurs répondu qu’à deux des trois communications avant ce qui devait être la dernière réunion du GTET, la requérante n’a pas disposé d’un délai suffisant pour préparer une réponse complémentaire. Par ailleurs, la requérante soutient, en substance, que ce manque de coopération laisse transparaître un comportement stratégique de la part de l’opposante.

91      Deuxièmement, la requérante fait valoir que l’objection concernant le BPA contient des informations trompeuses ou inexactes. En vertu des règles de procédure applicables, le GTET et la Commission auraient dû rejeter la demande d’objection.

92      Dans la réplique, la requérante ajoute que le Conseil a accepté l’ensemble des objections de l’opposante sans discussion au détriment de la requérante. De plus, la Commission, si elle avait exercé ses compétences, aurait probablement contraint l’opposante à répondre aux demandes d’éclaircissement de la requérante plus rapidement et de façon plus exhaustive, ce qui aurait permis de clarifier les faits. La requérante aurait pu, en outre, demander la conversion de certaines de ses suspensions tarifaires en contingents tarifaires en franchise de droits. Enfin, peu importe que la période de 15 jours ouvrables fixée par la communication de la Commission soit un délai souple ou impératif, il conviendrait de constater que les institutions en cause n’ont aucunement exercé leur pouvoir. En tout état de cause, la Commission ne dispose pas d’une latitude illimitée pour laisser des questions ouvertes sans réponse de la part de l’opposante.

93      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste le bien-fondé de ce moyen.

94       À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, s’agissant de la transmission des objections, la procédure est précisée aux points 4.5.1 et suivants de la communication de la Commission. Toute objection à une mesure actuelle doit être présentée par écrit au plus tard lors de la première réunion du GTET. Les objections sont présentées à un bureau central dans chaque État membre. Les États membres décident, après les avoir examinées pour s’assurer que les demandes remplissent les conditions, s’ils les présentent aux membres du GTET et à la Commission. Les États membres doivent, par ailleurs, veiller à ce que des contacts soient pris entre les sociétés concernées.

95      En vertu du point 4.5.3 de la communication de la Commission, celle-ci peut rejeter une objection, notamment, lorsque les contacts entre la société qui s’oppose à une demande et celle qui la présente n’ont pas eu lieu en temps voulu (environ 15 jours ouvrables) ou lorsque le formulaire d’objection contient des informations trompeuses ou inexactes. En outre, il ressort du point 4.5.4 de la communication que la Commission ne peut intervenir que lorsque la société qui s’oppose à une suspension et celle qui en bénéficie ne sont pas en mesure de communiquer. Elle intervient alors en tant qu’arbitre impartial. Enfin, au sens du point 4.5.5 de la communication, il revient à l’État membre de veiller à ce que des contacts soient pris entre les sociétés concernées et en fournir la preuve, à la demande de la Commission ou de membres du GTET.

96      Afin de statuer sur le bien-fondé de ce moyen, il convient donc de vérifier si, comme le soutient la requérante, ses arguments sont de nature à établir que la procédure suivie et ayant conduit le Conseil à adopter le règlement n° 1387/2013 n’a pas été correctement appliquée.

97      S’agissant, en premier lieu, du temps écoulé entre les demandes d’informations supplémentaires de la requérante et les réponses de l’opposante, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, si la requérante conteste le délai dans lequel l’opposante a répondu aux remarques qu’elle avait formulées, elle ne conteste nullement l’affirmation de la Commission selon laquelle le premier contact a été établi en respectant le délai prévu au point 4.5.3 de la communication de la Commission.

98      Or, comme le soutient la Commission dans son mémoire en intervention, il convient d’interpréter le point 4.5.3 de la communication de la Commission en ce sens que le délai de 15 jours ouvrables s’applique à la seule prise de contact et non aux échanges ultérieurs entre l’opposante et l’entreprise concernée. En effet, le processus de transmission des objections est contrôlé par le seul État membre auquel la demande d’objection a été transmise et non par la Commission.

99      Dès lors, le contact ayant été établi entre les parties concernées et la Commission n’ayant pas été invitée à intervenir en tant qu’arbitre impartial, les réponses tardives de l’opposante aux demandes formulées par la requérante n’entraînent pas la violation des exigences de procédure prévues par la communication de la Commission.

100    Ce constat n’est pas remis en cause par l’argument de la requérante selon lequel le GTET et la Commission ne disposaient pas des informations nécessaires permettant d’apprécier l’objection présentée par la République fédérale d’Allemagne à l’initiative de l’opposante. À cet égard, il y a lieu de constater que la requérante, dans le cadre de son premier moyen, ne démontre aucunement que le GTET, la Commission et, en conséquence, le Conseil ont, sur la base des éléments dont ils disposaient, conclu de manière erronée à l’existence de produits identiques, équivalents ou substituables aux produits bénéficiant des suspensions contestées. De même, lorsque la requérante considère ne pas avoir eu suffisamment de temps afin d’apporter des précisions supplémentaires quant aux réponses données par l’opposante, et ce en raison du caractère tardif de celles-ci, il apparaît que la requérante n’apporte aucun élément permettant de considérer que, si elle avait disposé d’un délai plus long, les institutions en cause auraient adopté une conclusion différente.

101    S’agissant, en second lieu, des informations prétendument trompeuses et inexactes transmises par l’opposante au soutien de son objection, il a déjà été constaté au point 66 ci-dessus que la requérante a considéré, à tort, que lesdites informations, et plus particulièrement celles concernant la capacité de production du BPA, étaient erronées.

102    Par ailleurs, contrairement à ce que prétend la requérante, la capacité de production étant suffisante pour satisfaire les besoins de l’ensemble des entreprises de production ou de transformation concernées dans l’Union, les conditions afin de demander à bénéficier de contingents tarifaires, prévues au point 3.3 de la communication de la Commission, n’étaient pas remplies en l’espèce. En outre, ce dernier argument, dès lors qu’il a été formulé pour la première fois au stade de la réplique, a été soulevé tardivement et doit, en conséquence, être déclaré irrecevable.

103    Partant, il y a lieu de rejeter le second moyen ainsi que le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

104    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil et de la Commission.

105    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. La Commission supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Lubrizol France SAS est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Dittrich

Schwarcz

Tomljenović

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 février 2017.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.