Language of document : ECLI:EU:C:2011:123

AVIS 1/09 DE LA COUR (assemblée plénière)

8 mars 2011

«Avis rendu en vertu de l’article 218, paragraphe 11, TFUE – Projet d’accord – Création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets – Juridiction du brevet européen et du brevet communautaire – Compatibilité dudit projet avec les traités»

Table des matières

La demande d’avis

Le projet d’accord sur la juridiction du brevet européen et du brevet communautaire

Dispositions du projet d’accord

Appréciations formulées par le Conseil dans sa demande d’avis

Résumé des observations présentées à la Cour

Observations relatives à la recevabilité de la demande d’avis

Observations concluant à l’incompatibilité du projet d’accord avec les traités

Observations concluant à la compatibilité du projet d’accord avec les traités sous réserve d’amendements à apporter audit projet

Observations concluant à la compatibilité du projet d’accord avec les traités

Prise de position de la Cour

Sur la recevabilité de la demande d’avis

Sur le fond

Observations liminaires

Sur la compatibilité du projet d’accord avec les traités


Dans la procédure d’avis 1/09,

ayant pour objet une demande d’avis soumise à la Cour au titre de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, introduite le 6 juillet 2009 par le Conseil de l’Union européenne,

LA COUR (assemblée plénière)

composée de M. V. Skouris, président, MM. J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, K. Schiemann, A. Arabadjiev, J.-J. Kasel et D. Šváby, présidents de chambre, M. A. Rosas, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. E. Juhász, G. Arestis, A. Borg Barthet, M. Ilešič, U. Lõhmus, E. Levits, A. Ó Caoimh et L. Bay Larsen, Mme P. Lindh, M. T. von Danwitz, Mme C. Toader, M. M. Safjan et Mme M. Berger, juges,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 mai 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par MM. J.-C. Piris, F. Florindo Gijón et L. Karamountzos, ainsi que par Mme G. Kimberley, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement belge, par Mme C. Pochet, ainsi que par MM. J.-C. Halleux et T. Materne, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement danois, par Mme V. Pasternak Jørgensen, ainsi que par MM. R. Holdgaard et C. Vang, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement estonien, par M. L. Uibo, en qualité d’agent,

–        pour l’Irlande, par M. D. J. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. E. Fitzsimons, SC, et M. N. Travers, BL,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mmes A. Samoni-Rantou et G. Alexaki ainsi que par M. K. Boskovits, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement français, par Mmes E. Belliard et B. Beaupère-Manokha ainsi que par MM. G. de Bergues et A. Adam, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri et M. M. Fiorilli, en qualité d’agents, assistés de M. G. Nori, vice-avvocato generale dello Stato,

–        pour le gouvernement chypriote, par Mmes V. Christoforou et M. Chatzigeorgiou, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement lituanien, par M. I. Jarukaitis, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement luxembourgeois, par M. C. Schiltz, en qualité d’agent, assisté de Me P.-E. Partsch, avocat,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels et M. Y. de Vries, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par MM. M. Dowgielewicz et M. Szpunar, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Fernandez et J. Negrão, ainsi que par Mme M. L. Duarte, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement roumain, par M. A. Popescu et Mme M.-L. Colonescu, en qualité d’agents, assistés de Mmes E. Gane et A. Stoia, conseillères,

–        pour le gouvernement slovène, par Mmes V. Klemenc et T. Mihelič Žitko, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme A. Guimaraes-Purokoski et M. J. Heliskoski, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suédois, par Mme A. Falk et M. A. Engman, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes I. Rao et F. Penlington, en qualité d’agents, assistées de M. A. Dashwood, barrister,

–        pour le Parlement européen, par MM. E. Perillo et K. Bradley ainsi que par Mme M. Dean, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. L. Romero Requena, J.-P. Keppenne et H. Krämer, en qualité d’agents,

ayant entendu en chambre du conseil, le 2 juillet 2010, M. P. Mengozzi, premier avocat général, Mmes J. Kokott et E. Sharpston, MM. Y. Bot et J. Mazák, Mme V. Trstenjak, MM. N. Jääskinen et P. Cruz Villalón, avocats généraux,

rend le présent

Avis

 La demande d’avis

1.      La demande soumise à l’avis de la Cour par le Conseil de l’Union européenne est libellée comme suit:

«L’accord envisagé créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets (actuellement dénommé ‘Juridiction du brevet européen et du brevet communautaire’) est-il compatible avec les dispositions du traité instituant la Communauté européenne?»

2.      Le Conseil a transmis à la Cour, en tant qu’annexes à sa demande:

–        le document 8588/09 du Conseil, du 7 avril 2009, relatif à la proposition révisée de règlement du Conseil sur le brevet communautaire, élaboré par la présidence du Conseil à l’intention du groupe «Propriété intellectuelle» (Brevets);

–        le document 7928/09 du Conseil, du 23 mars 2009, relatif à un texte révisé de la présidence sur un projet d’accord sur la juridiction du brevet européen et du brevet communautaire et sur un projet de statut de cette juridiction;

–        le document 7927/09 du Conseil, du 23 mars 2009, concernant une recommandation de la Commission au Conseil visant à autoriser la Commission à ouvrir des négociations en vue de l’adoption d’un accord international «créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets» européens et communautaires.

 Le projet d’accord sur la juridiction du brevet européen et du brevet communautaire

3.      La convention sur le brevet européen (ci-après la «CBE»), signée à Munich le 5 octobre 1973, est un traité auquel trente-huit États, parmi lesquels tous les États membres de l’Union européenne, sont aujourd’hui parties. Cette dernière n’est pas partie à la CBE. Ladite convention prévoit une procédure unique de délivrance des brevets européens par l’Office européen des brevets (ci-après l’«OEB»). Si la procédure de délivrance de ce titre est unique, le brevet européen se décompose en un faisceau de brevets nationaux, relevant chacun du droit interne des États que le titulaire a désignés.

4.      Au cours de l’année 2000, les discussions sur un futur brevet communautaire ont été relancées par le Conseil européen. Le 5 juillet 2000, la Commission européenne a déposé une proposition de règlement du Conseil sur le brevet communautaire [COM(2000) 412 final], prévoyant l’adhésion de la Communauté à la CBE, la création d’un titre unitaire de propriété industrielle valable pour toute la Communauté et la délivrance de ce titre par l’OEB.

5.      À la suite des conclusions du Conseil «Compétitivité», du 4 décembre 2006, et du Conseil européen, des 8 et 9 mars 2007, la Commission a présenté au Parlement européen et au Conseil, le 3 avril 2007, une communication intitulée «Améliorer le système de brevet en Europe» [COM(2007) 165 final].

6.      La Commission a notamment proposé la création d’un système intégré pour le brevet européen et le futur brevet communautaire. Ce dernier serait délivré par l’OEB en vertu des dispositions de la CBE. Il aurait un caractère unitaire et autonome produisant les mêmes effets dans l’ensemble de l’Union et ne pourrait être délivré, transféré, annulé ou s’éteindre que pour cet espace territorial. Les dispositions de la CBE s’appliqueraient au brevet communautaire dans la mesure où le règlement sur le brevet communautaire ne prévoit pas de règles spécifiques.

7.      Dans le cadre des travaux au sein du Conseil, a également été élaboré un projet d’accord international à conclure entre les États membres, l’Union européenne et les États tiers parties à la CBE (ci-après le «projet d’accord»), créant une juridiction compétente pour le contentieux des brevets européens et communautaires.

8.      L’accord envisagé instaurerait une juridiction du brevet européen et du brevet communautaire (ci-après la «JB») qui serait composée d’un tribunal de première instance, comprenant une division centrale ainsi que des divisions locales et régionales, et d’une cour d’appel, celle-ci étant compétente pour connaître des appels formés contre les décisions rendues par le tribunal de première instance. Le troisième organe de la JB serait un greffe commun.

 Dispositions du projet d’accord

9.      L’article 14 bis de ce projet prévoit:

«Droit applicable

1)      Lorsqu’elle a à connaître d’une affaire dont elle est saisie conformément au présent accord, la Juridiction du brevet respecte le droit communautaire et fonde ses décisions sur:

a)      le présent accord;

b)      la législation communautaire directement applicable, notamment le règlement […] du Conseil sur le brevet communautaire, et la législation nationale des États contractants mettant en œuvre la législation communautaire; […]

c)      la Convention sur le brevet européen et la législation nationale adoptée par les États contractants conformément à ladite Convention;

d)      toute disposition des accords internationaux applicables aux brevets et contraignants à l’égard de toutes les parties contractantes.

2)      Dans les cas où la Juridiction du brevet fonde ses décisions sur la législation nationale des États contractants, la loi applicable est déterminée:

a)      par les dispositions directement applicables de la législation communautaire; ou

b)      en l’absence de dispositions directement applicables de la législation communautaire, par les instruments internationaux de droit international privé auxquels toutes les parties contractantes sont parties; ou

c)      en l’absence de dispositions visées aux points a) et b), par les dispositions nationales de droit international privé déterminées par la Juridiction du brevet.

3)      Un État contractant qui n’est pas partie à l’Accord sur l’Espace économique européen met en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la législation communautaire relative au droit matériel des brevets.»

10.    L’article 15 du projet d’accord est libellé comme suit:

«Compétence

1)      La Juridiction du brevet a une compétence exclusive pour:

a)      les actions en contrefaçon ou en menace de contrefaçon de brevets et de certificats complémentaires de protection et les défenses y afférentes, y compris les demandes reconventionnelles concernant les licences;

a 1)      les actions en constatation de non-contrefaçon;

b)      les actions visant à obtenir des mesures provisoires et conservatoires ou des ordonnances;

c)      les actions en nullité ou les demandes reconventionnelles en nullité de brevets;

d)      les actions en dommages-intérêts ou en réparation découlant de la protection provisoire conférée par une demande de brevet publiée;

e)      les actions relatives à l’utilisation de l’invention avant la délivrance du brevet ou au droit fondé sur une utilisation antérieure du brevet;

f)      les demandes d’octroi ou de révocation de licences obligatoires sur les brevets communautaires; et

g)      les actions en réparation concernant les licences […]

2)      Les juridictions nationales des États contractants sont compétentes pour les actions relatives aux brevets communautaires et aux brevets européens qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de la Juridiction du brevet.»

11.    Les compétences territoriales des différentes divisions du tribunal de première instance de la JB sont délimitées à l’article 15 bis, paragraphe 1, du projet d’accord comme suit:

«Les actions visées à l’article 15, paragraphe 1, points a), b), d) et e) sont portées devant:

a)      la division locale située sur le territoire de l’État contractant où la contrefaçon ou la menace de contrefaçon s’est produite ou est susceptible de se produire, ou devant la division régionale à laquelle ledit État contractant participe; ou

b)      la division locale située sur le territoire de l’État contractant où le défendeur est domicilié ou devant la division régionale à laquelle ledit État contractant participe.

Les actions formées contre des défendeurs domiciliés en dehors du territoire des États contractants sont portées devant la division locale ou la division régionale conformément au point a).

Si aucune division locale ne se trouve sur le territoire de l’État contractant et que ce dernier ne participe pas à une division régionale, les actions sont portées devant la division centrale.»

12.    L’article 48 dudit projet énonce:

«1)      Lorsque le tribunal de première instance est saisi d’une question portant sur l’interprétation du traité [CE] ou la validité et l’interprétation d’actes adoptés par les institutions de la Communauté européenne, il peut, s’il le juge nécessaire pour pouvoir rendre une décision, demander à la Cour de justice […] de statuer sur la question. Lorsque la cour d’appel est saisie d’une telle question, elle demande à la Cour de justice […] de statuer sur ladite question.

2)      La décision rendue par la Cour de justice […] concernant l’interprétation du traité [CE] ou la validité et l’interprétation d’actes adoptés par les institutions de la Communauté européenne est contraignante à l’égard du tribunal de première instance et de la cour d’appel.»

 Appréciations formulées par le Conseil dans sa demande d’avis

13.    Le Conseil indique que «la majorité de [ses membres] estiment que l’accord envisagé constitue un moyen juridiquement acceptable de réaliser les objectifs visés. Toutefois, un certain nombre de préoccupations d’ordre juridique ont été exprimées et débattues». Le Conseil précise que «les différentes questions abordées sont présentées de manière neutre, sans qu’il soit fait mention du niveau de soutien apporté aux diverses approches et qu[‘il] ne prend position ni pour l’une ni pour l’autre des solutions proposées».

14.    Le Conseil considère que l’accord envisagé n’a pas pour effet de dénaturer les compétences de la Cour. Les États membres devraient pouvoir organiser la structure du système juridictionnel visé de la manière qu’ils jugent appropriée, y compris en instituant une juridiction de nature internationale.

15.    Le Conseil relève que l’obligation qui incombe à la JB de respecter le droit de l’Union est censée avoir un champ d’application très large, dans la mesure où elle concerne non seulement les traités et les actes pris par les institutions, mais aussi les principes généraux de l’ordre juridique de l’Union et la jurisprudence de la Cour.

 Résumé des observations présentées à la Cour

16.    Les observations présentées concluent soit à l’irrecevabilité de la demande d’avis, soit à l’incompatibilité du projet d’accord avec les traités, soit à la nécessité d’apporter des amendements audit projet afin d’assurer sa conformité avec les traités, soit à la compatibilité de l’accord envisagé avec ces derniers.

 Observations relatives à la recevabilité de la demande d’avis

17.    Le Parlement et le gouvernement espagnol font, en substance, valoir que la demande d’avis est prématurée et repose sur des informations incomplètes et insuffisantes, compte tenu de l’objet de l’accord envisagé, de l’avancement des travaux préparatoires ainsi que du contexte institutionnel et juridique. Le Parlement, quant à lui, estime également que, dans la mesure où il n’a pas été consulté par le Conseil au sujet du projet de règlement sur le brevet communautaire, le principe de l’équilibre institutionnel a été mis en cause.

18.    L’Irlande, tout en déclarant appuyer la demande d’avis, considère que la Cour doit s’assurer qu’elle a compétence pour se prononcer sur cette demande, notamment au regard de l’état d’avancement que le processus de négociation a atteint. En effet, le texte soumis à l’avis de la Cour ne constituerait encore largement qu’un document de travail qui n’a pas recueilli l’accord de tous les membres du Conseil.

 Observations concluant à l’incompatibilité du projet d’accord avec les traités

19.    L’Irlande ainsi que les gouvernements hellénique, espagnol (à titre subsidiaire), italien, chypriote, lituanien et luxembourgeois estiment que le projet d’accord est incompatible avec les traités.

20.    L’Irlande soutient que le projet d’accord n’assure pas que la primauté des dispositions du droit de l’Union qui pourraient être soulevées dans des litiges pendants devant la JB sera respectée. Il ne garantirait pas non plus la soumission de cette juridiction à une obligation d’interprétation visant à éviter, dans toute la mesure du possible, des conflits entre les dispositions du droit de l’Union qu’elle aurait à appliquer et d’autres dispositions d’ordre national et international éventuellement applicables.

21.    Le gouvernement hellénique observe que les dispositions du projet d’accord concernant la création et le fonctionnement des divisions du tribunal de première instance de la JB siégeant dans des États tiers et compétentes pour les brevets communautaires posent la question de la préservation de l’autonomie de l’ordre juridique et du système juridictionnel de l’Union. En effet, les traités auraient établi un cadre juridique contraignant à l’intérieur duquel les institutions de l’Union et les États membres doivent agir lorsqu’ils choisissent tant la méthode générale que les dispositions concrètes relatives au règlement des litiges concernant les titres de propriété industrielle.

22.    Le gouvernement espagnol, à titre subsidiaire, relève que le projet d’accord est incompatible avec les traités, étant donné qu’il porte notamment atteinte aux articles 19 TUE et 344 TFUE dans la mesure où le monopole de juridiction dont jouit la Cour pour connaître des litiges dans le domaine du droit de l’Union est mis en cause. En outre, le système envisagé ne garantirait pas la primauté du droit de l’Union, puisque la JB ne relèvera de la structure juridictionnelle d’aucun État membre, les manquements au droit de l’Union commis par une telle juridiction n’étant, dès lors, soumis à aucun type de contrôle.

23.    Le gouvernement italien souligne que le projet d’accord revêt la forme d’un acte de droit international par lequel les États membres et les États parties à la CBE transfèrent leurs compétences constitutionnelles en matière juridictionnelle à une juridiction internationale. Étant donné que, à l’heure actuelle, il n’existerait pas de titre de brevet couvrant le territoire de l’ensemble des États membres ni de système unitaire de règlement des litiges dans ce domaine, l’Union ne serait pas habilitée à transférer sa compétence juridictionnelle à une instance internationale. L’adhésion de l’Union à la CBE serait sans incidence sur cette appréciation, parce que la juridiction internationale qu’il est envisagé de créer ne serait pas un organe relevant de la CBE. Par conséquent, faute de base juridique, l’accord envisagé ne serait pas compatible avec les dispositions des traités.

24.    Le gouvernement chypriote estime que la création de la JB va à l’encontre des compétences exclusives attribuées à la Cour et au Tribunal, telles qu’articulées dans les différentes voies de recours prévues par les traités.

25.    Le gouvernement lituanien considère que, compte tenu du fait que l’accord envisagé ne pourrait être conclu sur le fondement des dispositions des traités, il serait incompatible avec ces derniers. Le projet d’accord ne garantirait pas que l’autonomie du droit de l’Union et la nature essentielle des pouvoirs attribués par les traités aux institutions de l’Union soient préservées.

26.    Le gouvernement luxembourgeois fait valoir que les traités ne fournissent aucune base légale permettant de transférer des compétences telles que celles visées dans le projet d’accord à une juridiction telle que la JB. Les dispositions du droit de l’Union et la jurisprudence de la Cour encadrant l’autonomie et l’homogénéité de l’ordre juridique et du système juridictionnel de l’Union s’opposeraient à la création d’une telle juridiction. Les traités et la jurisprudence de la Cour imposeraient que les compétences que l’accord envisagé prévoit d’attribuer à la JB ne puissent être exercées que par la Cour elle-même.

 Observations concluant à la compatibilité du projet d’accord avec les traités sous réserve d’amendements à apporter audit projet

27.    Le Parlement, à titre subsidiaire, les gouvernements belge et français ainsi que la Commission, tout en considérant que le projet d’accord est, en principe, compatible avec les traités, préconisent un certain nombre d’amendements à ce projet.

28.    Dans l’hypothèse où la Cour déclarerait recevable la demande du Conseil, le Parlement estime qu’il serait opportun d’indiquer, dans le texte de l’accord lui-même, le champ d’application très large de l’obligation incombant à la JB de respecter le droit de l’Union et la jurisprudence de la Cour, y compris les arrêts à venir de celle-ci. Il conviendrait également de préciser que la JB sera tenue d’assurer la protection des droits fondamentaux.

29.    En ce qui concerne la procédure de renvoi préjudiciel envisagée, le Parlement observe qu’il serait approprié d’introduire un système au moyen duquel la Commission pourrait intervenir dans les procédures introduites devant la JB. Il pourrait également se révéler utile de soumettre la JB à une obligation explicite de déférer à la Cour toute question portant sur la validité d’une disposition du droit de l’Union.

30.    Le gouvernement belge propose à la Cour de répondre à la demande d’avis du Conseil que l’accord envisagé est compatible avec les traités pour autant que la compétence confiée à la Cour en matière préjudicielle soit complétée par des mécanismes permettant d’assurer le respect de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union.

31.    Le gouvernement français soutient que le projet d’accord est, en principe, compatible avec les traités. Toutefois, la procédure de renvoi préjudiciel prévue devrait être complétée par un mécanisme ouvert aux parties et/ou, le cas échéant, aux États membres ainsi qu’à la Commission, en vue d’assurer le respect du droit de l’Union et de sa primauté par la JB. Il pourrait également être envisagé la mise en place d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi, à l’initiative de la Commission ou d’un État membre ou d’une procédure de réexamen par la Cour des arrêts de la cour d’appel de la JB, en cas de risque sérieux d’atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit de l’Union.

32.    La Commission estime que l’accord envisagé est compatible avec les dispositions des traités, pourvu que la faculté de dénoncer, à tout moment, cet accord soit reconnue expressément non seulement aux États tiers, mais également à l’Union et aux États membres.

 Observations concluant à la compatibilité du projet d’accord avec les traités

33.    Les gouvernements tchèque, danois, allemand, estonien, néerlandais, polonais, portugais, roumain, slovène, finlandais, suédois ainsi que du Royaume-Uni soutiennent que le projet d’accord est compatible avec les traités.

34.    Le gouvernement tchèque estime que ce projet d’accord est compatible avec les traités dans la mesure où il respecte les exigences relatives à la protection de l’autonomie du droit de l’Union et de sa primauté, la JB pouvant notamment saisir la Cour de demandes de décisions préjudicielles.

35.    Le gouvernement danois fait remarquer que le projet d’accord n’est pas contraire aux règles institutionnelles énoncées aux traités et que l’accord devrait être conclu aussi bien par l’Union que par ses États membres, en vertu des articles 81 TFUE et 114 TFUE.

36.    Le gouvernement allemand considère que le système de contrôle juridictionnel prévu dans le projet d’accord est conforme aux traités. En particulier, l’article 262 TFUE ne s’opposerait pas à ce système. Par ailleurs, la primauté et l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union seraient préservées. Le système juridictionnel envisagé n’entraînerait pas une «dénaturation» des compétences de la Cour et ne soumettrait pas l’Union à une interprétation déterminée du droit quant à l’exercice de ses compétences internes.

37.    Le gouvernement estonien observe que le projet d’accord concerne non seulement les compétences de l’Union, mais aussi celles des États membres, si bien que l’article 352 TFUE constitue la base juridique appropriée pour la conclusion de l’accord envisagé. Ni la primauté, ni l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, ni les compétences de la Cour ne seraient mises en cause par le projet d’accord.

38.    Le gouvernement néerlandais souligne que l’article 262 TFUE ne fait pas obstacle au projet d’accord. Par ailleurs, ce dernier ne porterait pas atteinte à l’unité et à l’intégrité du droit de l’Union. L’accord envisagé n’aurait pas non plus pour conséquence de modifier le système de protection juridique et de contrôle juridictionnel exercé par les juges nationaux et par les juridictions de l’Union, tel que prévu par les traités, ni d’y porter atteinte.

39.    Le gouvernement polonais fait valoir que l’octroi des compétences envisagées à la JB est en principe compatible avec les traités et que l’article 262 TFUE n’y fait pas obstacle. Compte tenu de l’absence d’acte de l’Union se rapportant au domaine des brevets, la Cour ne se serait pas vu attribuer de compétence exclusive dans ce domaine. En outre, le projet d’accord ne porterait pas atteinte à la primauté du droit de l’Union. La procédure de renvoi préjudiciel prévue garantirait l’uniformité et la cohérence du droit de l’Union dans le domaine en question.

40.    Le gouvernement portugais soutient que l’octroi des compétences envisagées à la JB est compatible avec les traités. Les objections avancées quant aux risques encourus concernant la primauté et l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union ne seraient pas fondées. Étant donné la complexité de la matière et l’objectif d’instaurer un système unitaire de protection de la propriété intellectuelle en Europe, des «solutions flexibles», susceptibles de répondre à cet objectif, devraient être recherchées. Le projet d’accord répondrait à ce défi.

41.    Le gouvernement roumain observe que l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union est garantie par l’obligation pour la JB de respecter le droit de l’Union, la possibilité ou l’obligation, selon le cas, pour la JB de saisir la Cour de questions préjudicielles, ainsi que par les effets contraignants des arrêts rendus par la Cour dans le cadre de cette procédure. En outre, aucune disposition des traités ne s’opposerait à ce qu’un accord international confère à la Cour une compétence pour l’interprétation des dispositions d’un tel accord aux fins de son éventuelle application dans des États tiers.

42.    Le gouvernement slovène estime que l’attribution à la JB d’une compétence exclusive relative aux litiges concernant la validité et/ou les effets d’un brevet communautaire est compatible avec les traités. Ni l’article 257 TFUE ni l’article 262 TFUE ne préjugeraient le choix du cadre juridictionnel en la matière. Les articles 14 bis et 48 du projet d’accord garantiraient l’autonomie et le respect de l’ordre juridique de l’Union.

43.    Le gouvernement finlandais fait valoir que, dans la mesure où l’accord envisagé a pour objet et contenu la création d’un système juridictionnel international en matière de brevets, la conclusion de cet accord au nom de l’Union doit être fondée tant sur l’article 262 TFUE que sur l’article 352 TFUE. Par ailleurs, le projet d’accord ne soulèverait pas de problème de compatibilité avec les traités.

44.    Le gouvernement suédois souligne que le projet d’accord garantit une application uniforme du droit de l’Union. Les compétences de la Cour ne se trouveraient pas dénaturées et le pouvoir exclusif de celle-ci de contrôler la légalité des actes de l’Union ne serait pas remis en cause.

45.    Le gouvernement du Royaume-Uni considère que l’accord envisagé doit être conclu comme un accord mixte. La nature essentielle des compétences de la Cour serait préservée dans le cadre du système de règlement des litiges prévu par l’accord envisagé, dans la mesure où ni la compétence exclusive de la Cour ni l’effet contraignant de ses décisions ne seraient mis en cause. L’attribution de compétences à la JB pour des affaires tenant à la validité et/ou à l’application des brevets communautaires serait compatible avec le traité FUE. Dans le cadre du système du règlement des litiges prévus par l’accord envisagé, la primauté du droit de l’Union serait garantie. La procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 48 du projet d’accord, donnant à la JB le pouvoir de déférer des questions à la Cour, serait compatible avec les traités.

 Prise de position de la Cour

 Sur la recevabilité de la demande d’avis

46.    Les observations qui ont été formulées en ce qui concerne la recevabilité de la demande d’avis visent, en substance, trois questions, à savoir, en premier lieu, le degré de précision du contenu de l’accord envisagé, en deuxième lieu, l’état des travaux préparatoires et, en troisième lieu, le respect de l’équilibre institutionnel.

47.    Avant de répondre à ces trois questions, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, le Parlement, le Conseil, la Commission ou un État membre peut recueillir l’avis de la Cour sur la compatibilité d’un accord envisagé avec les dispositions des traités. Cette disposition vise à prévenir les complications qui résulteraient de contestations en justice relatives à la compatibilité avec les traités d’accords internationaux engageant l’Union (voir avis 2/94, du 28 mars 1996, Rec. p. I‑1759, point 3, et 1/08, du 30 novembre 2009, Rec. p. I‑11129, point 107).

48.    En effet, une décision judiciaire constatant éventuellement, après la conclusion d’un accord international engageant l’Union, que celui-ci est, au vu soit de son contenu, soit de la procédure adoptée pour sa conclusion, incompatible avec les dispositions des traités ne manquerait pas de créer, non seulement sur le plan interne de l’Union, mais également sur celui des relations internationales, des difficultés sérieuses et risquerait de porter préjudice à toutes les parties intéressées, y compris les États tiers (voir avis 3/94, du 13 décembre 1995, Rec. p. I‑4577, point 17).

49.    S’agissant, en premier lieu, de la question du degré de précision du projet d’accord, il convient de rappeler que, lorsqu’il s’agit pour la Cour de se prononcer sur la compatibilité des dispositions d’un accord envisagé avec les règles du traité, il est nécessaire que celle-ci dispose d’éléments suffisants sur le contenu même dudit accord (voir avis 2/94, précité, points 20 à 22).

50.    En l’occurrence, le Conseil a fourni à la Cour le texte complet du projet d’accord qui contient, notamment, des dispositions sur l’organisation et les modalités de fonctionnement de la JB, ses compétences et les différents types de recours ainsi que sur le droit applicable et les effets des décisions de cette juridiction.

51.    En outre, il importe de relever que le contexte dans lequel se présente le projet d’accord est évoqué dans la demande d’avis. En effet, ce projet fait partie d’un ensemble de mesures, actuellement à l’étude au sein de diverses instances de l’Union, telles que la création d’un brevet communautaire en tant que nouveau titre de propriété intellectuelle et l’adhésion de l’Union à la CBE.

52.    Dans ces conditions, la Cour considère qu’elle dispose de suffisamment d’informations quant au contenu et au contexte de l’accord envisagé.

53.    En ce qui concerne, en deuxième lieu, la question de savoir si le processus décisionnel relatif au projet d’accord a atteint un état d’avancement suffisant pour permettre à la Cour de se prononcer sur la compatibilité de ce projet avec les traités, il y a lieu de rappeler que la Cour peut être saisie d’une demande d’avis avant le début des négociations au niveau international, lorsque l’objet de l’accord envisagé est connu, même s’il subsiste un certain nombre d’alternatives encore ouvertes et de divergences relatives à la rédaction des textes en question, si les documents soumis à la Cour permettent à celle-ci de former un jugement suffisamment sûr au sujet de la question soulevée par le Conseil (voir, en ce sens, avis 1/78, du 4 octobre 1979, Rec. p. 2871, point 34) et que la recevabilité d’une demande d’avis ne saurait être contestée au motif que le Conseil n’a pas encore adopté la décision d’ouvrir les négociations au niveau international (voir avis 2/94, précité, point 13).

54.    Quant à la présente demande, il convient de faire remarquer que le projet de créer un système juridictionnel unifié en matière de brevets se trouvait à l’étude du Conseil au moment de la saisine de la Cour. La circonstance que le projet d’accord ou certains projets de mesures législatives étroitement liées à celui-ci, tels que la proposition de règlement sur le brevet communautaire, ne trouvent pas, pour l’heure, de soutien unanime au sein du Conseil ne saurait, pour sa part, affecter la recevabilité de la présente demande d’avis.

55.    S’agissant, en troisième lieu, de la question soulevée relative à l’équilibre institutionnel, il importe d’observer que la possibilité d’introduire une demande d’avis, en vertu de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, n’exige pas, comme condition préalable, un accord définitif entre les institutions concernées. En effet, le droit accordé au Conseil, au Parlement, à la Commission et aux États membres de demander à la Cour son avis peut être exercé de façon individuelle, sans une concertation quelconque et sans attendre le résultat final d’une procédure législative connexe. En tout état de cause, le Parlement conserve le droit d’introduire lui-même une demande d’avis.

56.    Ainsi, la circonstance que l’adoption de l’accord dont il s’agit ne pourra intervenir qu’après la consultation, voire l’approbation, du Parlement et que l’adoption d’éventuelles mesures d’accompagnement législatives au sein de l’Union, comme le futur règlement sur le brevet communautaire, sera soumise à une procédure législative impliquant cette institution est sans incidence sur la faculté octroyée au Conseil, en vertu de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, de solliciter un avis de la Cour.

57.    La demande d’avis présentée par le Conseil est donc recevable.

 Sur le fond

 Observations liminaires

58.    La présente demande d’avis et les observations soumises à la Cour s’étant référées aux dispositions du traité UE et du traité CE, il y a lieu, toutefois, d’apprécier les questions soulevées sur la base des dispositions du traité UE et du traité FUE, qui sont entrées en vigueur le 1er décembre 2009, à savoir après le dépôt de la demande du Conseil en date du 6 juillet 2009.

59.    Il convient de préciser, également, que la question qui se trouve au centre de la présente demande d’avis concerne non pas les compétences de la JB en matière de brevet européen, mais celles relatives au futur brevet communautaire.

 Sur la compatibilité du projet d’accord avec les traités

60.    D’emblée, la Cour considère utile de répondre à des considérations avancées par un certain nombre d’États membres selon lesquelles les articles 262 TFUE et 344 TFUE pourraient s’opposer au transfert des compétences envisagé.

61.    S’agissant de l’article 262 TFUE, celui-ci ne saurait s’opposer à la création de la JB. S’il est vrai que cet article permet de confier à la Cour certaines des compétences qu’il est prévu d’attribuer à la JB, la voie indiquée par ledit article n’est pas la seule concevable pour créer une juridiction unifiée en matière de brevets.

62.    En effet, l’article 262 TFUE prévoit la faculté d’étendre les compétences de juridictions de l’Union aux litiges liés à l’application d’actes de l’Union qui créent des titres européens de propriété intellectuelle. Par conséquent, il n’instaure pas un monopole de la Cour dans le domaine considéré et ne préjuge pas du choix du cadre juridictionnel susceptible d’être mis en place pour les litiges entre particuliers relatifs aux titres de la propriété intellectuelle.

63.    La création de la JB ne saurait non plus se heurter à l’article 344 TFUE, étant donné que cet article se borne à interdire aux États membres de soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci. Or, les compétences que le projet d’accord vise à attribuer à la JB ne porteraient que sur les seuls litiges entre particuliers dans le domaine des brevets.

64.    Le projet d’accord établissant, en substance, une nouvelle structure juridictionnelle, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, les éléments fondamentaux de l’ordre juridique et du système juridictionnel de l’Union, tel qu’ils ont été conçus par les traités fondateurs et développé par la jurisprudence de la Cour, afin d’apprécier la compatibilité de la création de la JB avec lesdits éléments.

65.    Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que les traités fondateurs de l’Union ont, à la différence des traités internationaux ordinaires, instauré un nouvel ordre juridique, doté d’institutions propres, au profit duquel les États ont limité, dans des domaines de plus en plus étendus, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants (voir, notamment, arrêts du 5 février 1963, van Gend & Loos, 26/62, Rec. p. 1, 3, ainsi que du 15 juillet 1964, Costa, 6/64, Rec. p. 1141, 1149). Les caractéristiques essentielles de l’ordre juridique de l’Union ainsi constitué sont, en particulier, sa primauté par rapport aux droits des États membres ainsi que l’effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes (voir avis 1/91, du 14 décembre 1991, Rec. p. I‑6079, point 21).

66.    Ainsi qu’il ressort de l’article 19, paragraphe 1, TUE, il est veillé au respect de cet ordre juridique et du système juridictionnel de l’Union par la Cour et les juridictions des États membres.

67.    En outre, il appartient à la Cour d’assurer le respect de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union ainsi créé par les traités (voir avis 1/91, précité, point 35).

68.    Il convient de relever, également, qu’il incombe aux États membres, notamment, en vertu du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, d’assurer, sur leur territoire respectif, l’application et le respect du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 1998, Oelmühle et Schmidt Söhne, C‑298/96, Rec. p. I‑4767, point 23). De plus, en vertu du deuxième alinéa de cette même disposition, les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union. Dans ce cadre, il incombe aux juridictions nationales et à la Cour de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent dudit droit (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, Rec. p. I‑2271, point 38 et jurisprudence citée).

69.    En effet, le juge national remplit, en collaboration avec la Cour, une fonction qui leur est attribuée en commun, en vue d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités (voir arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, Rec. p. 3045, point 16, ainsi que du 15 juin 1995, Zabala Erasun e.a., C‑422/93 à C‑424/93, Rec. p. I‑1567, point 15).

70.    Le système juridictionnel de l’Union est par ailleurs constitué par un ensemble complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions (voir, notamment, arrêt du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 40).

71.    Quant aux caractéristiques de la JB, il importe d’observer, d’abord, que cette juridiction se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l’Union. En effet, elle ne fait pas partie du système juridictionnel prévu à l’article 19, paragraphe 1, TUE. La JB est une organisation dotée d’une personnalité juridique propre en vertu du droit international.

72.    Conformément aux dispositions de l’article 15 du projet d’accord, la JB est investie de compétences exclusives pour un important nombre d’actions intentées par des particuliers dans le domaine des brevets. Cette compétence porte, notamment, sur les actions en contrefaçon ou en menace de contrefaçon de brevets, les demandes reconventionnelles concernant les licences, les actions en constatation de non-contrefaçon, les actions visant à obtenir des mesures provisoires et conservatoires, les actions en nullité ou les demandes reconventionnelles en nullité de brevets, les actions en dommages-intérêts ou en réparation découlant de la protection provisoire conférée par une demande de brevet publiée, les actions relatives à l’utilisation de l’invention avant la délivrance du brevet ou au droit fondé sur une utilisation antérieure du brevet, les demandes d’octroi ou de révocation de licences obligatoires sur les brevets communautaires, ainsi que sur les actions en réparation concernant les licences. Dans cette mesure, les juridictions des États contractants, y inclus celles des États membres, sont privées de ces compétences et ne conservent alors que des attributions qui ne relèvent pas des compétences exclusives de la JB.

73.    Il y a lieu d’ajouter que, conformément à l’article 14 bis du projet d’accord, la JB, dans l’exercice de ses fonctions, est chargée d’interpréter et d’appliquer le droit de l’Union. Il est attribué à cette juridiction l’essentiel des compétences matérielles, habituellement du ressort des juridictions nationales, de connaître de litiges relevant du domaine du brevet communautaire et d’assurer, dans ce domaine, la pleine application du droit de l’Union ainsi que la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent de ce droit.

74.    S’agissant d’un accord international, prévoyant la création d’une juridiction chargée de l’interprétation de ses dispositions, la Cour a, certes, jugé qu’un tel accord n’est, en principe, pas incompatible avec le droit de l’Union. En effet, la compétence de l’Union en matière de relations internationales et sa capacité à conclure des accords internationaux comportent nécessairement la faculté de se soumettre aux décisions d’une juridiction créée ou désignée en vertu de tels accords, pour ce qui concerne l’interprétation et l’application de leurs dispositions (voir avis 1/91, précité, points 40 et 70).

75.    En outre, la Cour a souligné qu’un accord international conclu avec des États tiers peut attribuer à la Cour de nouvelles compétences juridictionnelles à condition que cette attribution ne dénature pas la fonction de la Cour telle qu’elle est conçue dans les traités UE et FUE (voir, par analogie, avis 1/92, du 10 avril 1992, Rec. p. I‑2821, point 32).

76.    La Cour a également précisé qu’un accord international peut avoir des incidences sur ses propres compétences pourvu que les conditions essentielles de préservation de la nature de celles-ci soient remplies et que, partant, il ne soit pas porté atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union (voir avis 1/00, du 18 avril 2002, Rec. p. I‑3493, points 21, 23 et 26).

77.    Cependant, les systèmes juridictionnels ayant fait l’objet des avis susmentionnés visaient, en substance, à résoudre des litiges portant sur l’interprétation ou l’application des dispositions elles-mêmes des accords internationaux en question. En outre, tout en prévoyant des compétences particulières pour des juridictions d’États tiers de saisir la Cour de renvois préjudiciels, lesdits systèmes n’affectaient pas les compétences des juridictions des États membres concernant l’interprétation et l’application du droit de l’Union, ni la faculté, voire l’obligation, de ces dernières de saisir la Cour à titre préjudiciel et la compétence de celle-ci d’y répondre.

78.    En revanche, la juridiction internationale envisagée dans le présent projet d’accord est appelée à interpréter et à appliquer non seulement les dispositions dudit accord, mais également le futur règlement sur le brevet communautaire ainsi que d’autres instruments du droit de l’Union, notamment des règlements et des directives avec lesquels ledit règlement devrait, le cas échéant, être lu conjointement, à savoir des dispositions relatives à d’autres régimes de propriété intellectuelle, ainsi que des règles du traité FUE concernant le marché intérieur et le droit de la concurrence. De même, la JB peut être appelée à trancher un litige pendant devant elle au regard des droits fondamentaux et des principes généraux du droit de l’Union, voire à examiner la validité d’un acte de l’Union.

79.    En ce qui concerne le projet d’accord soumis à l’examen de la Cour, il importe d’observer que la JB:

–        se substitue, dans le domaine de ses compétences exclusives, énoncées à l’article 15 de ce projet d’accord, aux juridictions nationales,

–        prive alors ces dernières de la faculté de saisir la Cour de renvois préjudiciels dans ledit domaine,

–        devient, dans le domaine de ses compétences exclusives, l’interlocuteur juridictionnel unique de la Cour, dans le cadre d’une procédure de renvoi préjudiciel, concernant l’interprétation et l’application du droit de l’Union et

–        est chargée, dans le cadre desdites compétences, conformément à l’article 14 bis dudit projet d’accord, d’interpréter et d’appliquer le droit de l’Union.

80.    S’il est vrai que la Cour n’est pas investie d’une compétence pour se prononcer sur des recours directs entre particuliers en matière de brevets, cette compétence relevant des juridictions des États membres, ces derniers ne sauraient toutefois attribuer la compétence pour résoudre de tels litiges à une juridiction créée par un accord international, qui priverait lesdites juridictions de leur mission de mise en œuvre du droit de l’Union, en tant que juges de «droit commun» de l’ordre juridique de l’Union, et, de ce fait, de la faculté prévue à l’article 267 TFUE, voire, le cas échéant, de l’obligation de renvoi préjudiciel, dans le domaine en question.

81.    Or, le projet d’accord prévoit un mécanisme préjudiciel qui réserve, dans le champ d’application dudit accord, la faculté de renvoi préjudiciel à la JB tout en soustrayant ladite faculté aux juridictions nationales.

82.    Il y a lieu de souligner que la situation de la JB envisagée par le projet d’accord serait différente de celle de la Cour de justice Benelux, ayant fait l’objet de l’arrêt du 4 novembre 1997, Parfums Christian Dior (C‑337/95, Rec. p. I‑6013, points 21 à 23). En effet, cette dernière étant une juridiction commune à plusieurs États membres, située, par conséquent, dans le système juridictionnel de l’Union, ses décisions sont passibles de mécanismes de nature à assurer la pleine efficacité des normes de l’Union.

83.    Il convient aussi de rappeler que l’article 267 TFUE, essentiel à la préservation du caractère communautaire du droit institué par les traités, a pour but d’assurer en toutes circonstances à ce droit le même effet dans tous les États membres. Le mécanisme préjudiciel ainsi établi vise à prévenir des divergences dans l’interprétation du droit de l’Union que les juridictions nationales ont à appliquer et tend à assurer cette application en ouvrant au juge national un moyen d’éliminer les difficultés que pourrait soulever l’exigence de donner au droit de l’Union son plein effet dans le cadre des systèmes juridictionnels des États membres. En outre, les juridictions nationales ont la faculté la plus étendue, voire l’obligation, de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions comportant une interprétation ou une appréciation en validité des dispositions du droit de l’Union nécessitant une décision de leur part (voir, en ce sens, arrêts du 16 janvier 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, 166/73, Rec. p. 33, points 2 et 3, ainsi que du 12 juin 2008, Gourmet Classic, C‑458/06, Rec. p. I‑4207, point 20).

84.    Le système instauré à l’article 267 TFUE établit, dès lors, une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales dans le cadre de laquelle ces dernières participent de façon étroite à la bonne application et à l’interprétation uniforme du droit de l’Union ainsi qu’à la protection des droits conférés par cet ordre juridique aux particuliers.

85.    Il découle de l’ensemble de ces éléments que les fonctions attribuées, respectivement, aux juridictions nationales et à la Cour sont essentielles à la préservation de la nature même du droit institué par les traités.

86.    À cet égard, la Cour a précisé que le principe selon lequel un État membre est obligé de réparer les dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables est valable pour toute hypothèse de violation dudit droit, et ce quel que soit l’organe de cet État dont l’action ou l’omission est à l’origine du manquement, ledit principe s’appliquant également, sous certaines conditions particulières, aux organes juridictionnels (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, Rec. p. I‑10239, points 31 et 33 à 36; du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo, C‑173/03, Rec. p. I‑5177, points 30 et 31, ainsi que du 12 novembre 2009, Commission/Espagne, C‑154/08, point 125).

87.    Il y a lieu d’ajouter que, lorsqu’une violation du droit de l’Union est commise par une juridiction nationale, les dispositions des articles 258 TFUE à 260 TFUE prévoient la possibilité d’une saisine de la Cour aux fins de la constatation d’un tel manquement à l’égard de l’État membre concerné (voir arrêt du 9 décembre 2003, Commission/Italie, C‑129/00, Rec. p. I‑14637, points 29, 30 et 32).

88.    Or, il convient de constater qu’une décision de la JB, qui violerait le droit de l’Union, ne pourrait faire l’objet d’une procédure en manquement ni entraîner une quelconque responsabilité patrimoniale dans le chef d’un ou de plusieurs États membres.

89.    Par conséquent, l’accord envisagé, en attribuant une compétence exclusive pour connaître un important nombre d’actions intentées par des particuliers dans le domaine du brevet communautaire ainsi que pour interpréter et appliquer le droit de l’Union dans ce domaine à une juridiction internationale, qui se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l’Union, priverait les juridictions des États membres de leurs compétences concernant l’interprétation et l’application du droit de l’Union ainsi que la Cour de la sienne pour répondre, à titre préjudiciel, aux questions posées par lesdites juridictions et, de ce fait, dénaturerait les compétences que les traités confèrent aux institutions de l’Union et aux États membres qui sont essentielles à la préservation de la nature même du droit de l’Union.

En conséquence, la Cour (assemblée plénière) émet l’avis suivant:

L’accord envisagé créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets (actuellement dénommé «Juridiction du brevet européen et du brevet communautaire») n’est pas compatible avec les dispositions du traité UE et du traité FUE.

Signatures