Language of document : ECLI:EU:C:2017:631

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

6 septembre 2017 (*)

Table des matières


I. La décision attaquée : contexte, genèse et contenu

A. Le contexte de la décision attaquée

B. La genèse de la décision attaquée

C. Le contenu de la décision attaquée

II. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

III. Sur les recours

A. Aperçu des moyens

B. Observation liminaire

C. Sur les moyens tirés de l’inadéquation de l’article 78, paragraphe 3, TFUE en tant que base juridique de la décision attaquée

1. Sur le deuxième moyen de la République slovaque et le premier moyen de la Hongrie, tirés du caractère législatif de la décision attaquée

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

2. Sur la première branche du cinquième moyen de la République slovaque et le deuxième moyen de la Hongrie, tirés de l’absence de caractère provisoire de la décision attaquée et de la durée d’application excessive de cette décision

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

3. Sur la seconde branche du cinquième moyen de la République slovaque, tiré de ce que la décision attaquée ne satisfait pas aux conditions d’application de l’article 78, paragraphe 3, TFUE

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

D. Sur les moyens relatifs à la régularité de la procédure d’adoption de la décision attaquée et tirés de la violation des formes substantielles

1. Sur le premier moyen de la République slovaque et le septième moyen de la Hongrie, tirés d’une violation de l’article 68 TFUE

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

2. Sur la troisième branche du troisième moyen et la première branche du quatrième moyen de la République slovaque ainsi que le cinquième moyen de la Hongrie, tirés d’une violation des formes substantielles, en ce que le Conseil n’a pas respecté l’obligation de consultation du Parlement prévue à l’article 78, paragraphe 3, TFUE

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

3. Sur la seconde branche du quatrième moyen de la République slovaque et le troisième moyen de la Hongrie, tirés d’une violation de formes substantielles en ce que le Conseil n’a pas statué à l’unanimité contrairement à l’article 293, paragraphe 1, TFUE

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

4. Sur les première et deuxième branches du troisième moyen de la République slovaque et le quatrième moyen de la Hongrie, tirés d’une violation de formes substantielles, en ce que le droit des parlements nationaux de rendre un avis conformément aux protocoles (no 1) et (no 2) n’a pas été respecté et que le Conseil a méconnu l’exigence du caractère public des débats et du vote en son sein

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

5. Sur le sixième moyen de la Hongrie, tiré d’une violation de formes substantielles en ce que, lors de l’adoption de la décision attaquée, le Conseil n’a pas respecté les règles du droit de l’Union en matière d’emploi des langues

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

E. Sur les moyens au fond

1. Sur le sixième moyen de la République slovaque ainsi que sur les neuvième et dixième moyens de la Hongrie, tirés d’une violation du principe de proportionnalité

a) Observations liminaires

b) Sur le sixième moyen de la République slovaque, en ce qu’il est tiré de l’inaptitude de la décision attaquée à atteindre l’objectif qu’elle poursuit

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

c) Sur le sixième moyen de la République slovaque, en ce qu’il est tiré du caractère non nécessaire de la décision attaquée au regard de l’objectif qu’elle vise à atteindre

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

d) Sur le neuvième moyen de la Hongrie, tiré du caractère non nécessaire de la décision attaquée au regard de l’objectif qu’elle vise à atteindre

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

e) Sur le dixième moyen de la Hongrie, tiré de la violation du principe de proportionnalité en raison des effets particuliers de la décision attaquée sur la Hongrie

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

2. Sur le huitième moyen de la Hongrie, tiré d’une violation des principes de sécurité juridique et de clarté normative ainsi que de la convention de Genève

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

IV. Sur les dépens


« Recours en annulation – Décision (UE) 2015/1601 – Mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de la République hellénique et de la République italienne – Situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur le territoire de certains États membres – Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres États membres – Contingents de relocalisation – Article 78, paragraphe 3, TFUE – Base juridique – Conditions d’application – Notion d’“acte législatif” – Article 289, paragraphe 3, TFUE – Caractère obligatoire pour le Conseil de l’Union européenne de conclusions adoptées par le Conseil européen – Article 15, paragraphe 1, TUE et article 68 TFUE – Formes substantielles – Modification de la proposition de la Commission européenne – Exigences d’une nouvelle consultation du Parlement européen et d’un vote unanime au sein du Conseil de l’Union européenne – Article 293 TFUE – Principes de sécurité juridique et de proportionnalité »

Dans les affaires jointes C‑643/15 et C‑647/15,

ayant pour objet des recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduits respectivement les 2 et 3 décembre 2015,

République slovaque, représentée par le Ministerstvo spravodlivosti Slovenskej republiky (C‑643/15),

et

Hongrie, représentée par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents (C‑647/15),

parties requérantes,

soutenues par :

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna et Mme M. Kamejsza, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Chavrier et K. Pleśniak ainsi que par Mmes N. Pethő et Z. Kupčová, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par :

Royaume de Belgique, représenté par Mmes J. Van Holm, M. Jacobs et C. Pochet, en qualité d’agents,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T Henze, R. Kanitz et J. Möller (C‑647/15), en qualité d’agents,

République hellénique, représentée par Mmes M. Michelogiannaki et A. Samoni-Rantou, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

République française, représentée par MM. D. Colas et F.-X. Bréchot ainsi que par Mme E. Armoet, en qualité d’agents,

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. L. D’Ascia, avvocato dello Stato,

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par MM. A. Germeaux et C. Schiltz ainsi que par Mme D. Holderer, en qualité d’agents,

Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, U. Persson et O. Widgren ainsi que par MM. E. Karlsson et L. Swedenborg, en qualité d’agents,

Commission européenne, représentée par Mmes M. Condou-Durande et K. Talabér-Ritz (C‑647/15) ainsi que par MM. J. Baquero Cruz, A. Tokár (C‑643/15) et G. Wils, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen et Mme A. Prechal (rapporteur), présidents de chambre, MM. J.–C. Bonichot, A. Arabadjiev, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, E. Jarašiūnas, C. G. Fernlund, C. Vajda, S. Rodin et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 mai 2017,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 juillet 2017,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs requêtes, la République slovaque et la Hongrie demandent l’annulation de la décision (UE) 2015/1601 du Conseil, du 22 septembre 2015, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce (JO 2015, L 248, p. 80, ci-après la « décision attaquée »).

I.      La décision attaquée : contexte, genèse et contenu

A.      Le contexte de la décision attaquée

2        Le contexte dans lequel a été adoptée la décision attaquée est décrit comme suit aux considérants 3 à 7 et 10 à 16 de celle-ci :

« (3)      La récente situation de crise en Méditerranée a amené les institutions de l’Union [européenne] à reconnaître immédiatement le caractère exceptionnel des flux migratoires dans cette région et impose des mesures concrètes de solidarité à l’égard des États membres situés en première ligne. En particulier, à l’occasion d’une session conjointe des ministres des affaires étrangères et de l’intérieur, le 20 avril 2015, la Commission [européenne] a présenté un plan de mesures immédiates en dix points pour faire face à cette crise, comprenant un engagement à examiner les possibilités d’instaurer un mécanisme de relocalisation d’urgence.

(4)      Lors de sa réunion du 23 avril 2015, le Conseil européen a notamment décidé de renforcer la solidarité et la responsabilité internes, en s’engageant en particulier à accroître l’aide d’urgence destinée aux États membres qui se trouvent en première ligne et à examiner les possibilités d’organiser une “répartition” d’urgence entre les États membres sur une base volontaire, ainsi qu’à déployer, dans les États membres qui se trouvent en première ligne, des équipes du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) chargées d’assurer un traitement conjoint des demandes de protection internationale, y compris l’enregistrement et le relevé d’empreintes digitales.

(5)      Dans sa résolution du 28 avril 2015, le Parlement européen a réaffirmé la nécessité pour l’Union de répondre aux récentes tragédies survenues en Méditerranée en se fondant sur le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités, et d’accentuer ses efforts dans ce domaine envers les États membres qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés et de demandeurs de protection internationale, en valeur aussi bien absolue que relative.

(6)      Outre des mesures dans le domaine de l’asile, les États membres situés en première ligne devraient accroître les efforts qu’ils déploient pour mettre en place des mesures destinées à faire face aux flux de migration mixte aux frontières extérieures de l’Union européenne. De telles mesures devraient être de nature à préserver les droits des personnes ayant besoin d’une protection internationale et à prévenir l’immigration irrégulière.

(7)      Lors de sa réunion des 25 et 26 juin 2015, le Conseil européen a entre autres décidé qu’il convenait de développer en parallèle trois volets essentiels : relocalisation/réinstallation, retour/réadmission/réintégration et coopération avec les pays d’origine et de transit. Compte tenu de la situation d’urgence actuelle et de l’engagement qui a été pris de renforcer la solidarité et la responsabilité, le Conseil européen est convenu en particulier de la relocalisation temporaire et exceptionnelle sur deux ans, depuis l’Italie et la Grèce vers d’autres États membres, de 40 000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale, à laquelle tous les États membres participeraient.

[...]

(10)      Parmi les États membres qui font face à des pressions considérables et à la lumière des tragédies récentes en Méditerranée, l’Italie et la Grèce en particulier ont connu un afflux sans précédent de migrants arrivant sur leur territoire, dont des demandeurs de protection internationale qui ont manifestement besoin d’une protection internationale, ce qui exerce une forte pression sur leurs régimes d’asile et de migration.

(11)      Le 20 juillet 2015, compte tenu de la situation particulière de chaque État membre, une résolution des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil [européen], concernant la relocalisation depuis la Grèce et l’Italie de 40 000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale a été adoptée par consensus. Sur deux ans, 24 000 personnes seront relocalisées depuis l’Italie et 16 000 personnes depuis la Grèce. Le 14 septembre 2015, le Conseil [de l’Union européenne] a adopté la décision (UE) 2015/1523 [instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce (JO 2015, L 239, p. 146)] instituant un mécanisme temporaire et exceptionnel de relocalisation, depuis l’Italie et la Grèce vers d’autres États membres, de personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale.

(12)      Ces derniers mois, la pression migratoire aux frontières méridionales extérieures, tant terrestres que maritimes, s’est encore fortement accrue et le déplacement des flux migratoires s’est poursuivi, de la route de la Méditerranée centrale vers celle de la Méditerranée orientale et vers la route des Balkans occidentaux, en raison du nombre croissant de migrants arrivant en Grèce et provenant de ce pays. Compte tenu de la situation, il convient de garantir la mise en place de mesures provisoires supplémentaires pour alléger la pression qui s’exerce en matière d’asile sur l’Italie et la Grèce.

(13)      Selon les données de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex), les itinéraires de la Méditerranée centrale et orientale ont constitué la principale zone de franchissement irrégulier des frontières dans l’Union au cours des huit premiers mois de 2015. Depuis le début de 2015, près de 116 000 migrants sont arrivés en Italie de manière irrégulière [...] Au cours des mois de mai et de juin 2015, 34 691 franchissements irréguliers des frontières ont été détectés par l’agence Frontex, et pendant les mois de juillet et août, ce chiffre a atteint 42 356, soit une augmentation de 20 %. Une forte augmentation a également été observée en 2015 en Grèce, où plus de 211 000 migrants en situation irrégulière sont arrivés sur le territoire grec [...] Au cours des mois de mai et de juin 2015, 53 624 franchissements irréguliers des frontières ont été détectés par l’agence Frontex, et pendant les mois de juillet et août, ce chiffre a atteint 137 000, soit une augmentation de 250 %. Une partie importante du nombre total de migrants en situation irrégulière détectés dans ces deux régions était des personnes possédant une nationalité qui, selon les données [de l’office statistique de l’Union européenne (Eurostat)], fait l’objet, à l’échelle de l’Union, d’un taux élevé de reconnaissance.

(14)      Selon les chiffres d’Eurostat et de l’EASO, 39 183 personnes ont demandé une protection internationale en Italie entre janvier et juillet 2015, contre 30 755 au cours de la même période en 2014 (soit une progression de 27 %). Une augmentation similaire du nombre de demandes a été enregistrée en Grèce, qui a recensé 7 475 demandeurs (soit une hausse de 30 %).

(15)      De nombreuses mesures ont été prises à ce jour pour venir en aide à l’Italie et à la Grèce dans le cadre de la politique de migration et d’asile, notamment en leur fournissant une aide d’urgence substantielle et un important soutien opérationnel de l’EASO. [...]

(16)      L’instabilité et les conflits constants dans le voisinage immédiat de l’Italie et de la Grèce, ainsi que les répercussions des flux migratoires sur d’autres États membres, continueront très probablement à exercer une pression significative et croissante sur leurs régimes d’asile et de migration, une grande partie des migrants pouvant avoir besoin d’une protection internationale. Il est dès lors essentiel de faire preuve de solidarité à l’égard de l’Italie et de la Grèce et de compléter les mesures prises à ce jour par des mesures provisoires dans le domaine de l’asile et de la migration. »

B.      La genèse de la décision attaquée

3        Le 9 septembre 2015, la Commission a présenté, sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, une proposition de décision du Conseil instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie, de la Grèce et de la Hongrie [COM(2015) 451, ci-après la « proposition initiale de la Commission »].

4        Le même jour, la Commission a également présenté, sur le fondement de l’article 78, paragraphe 2, sous e), TFUE, une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un mécanisme de relocalisation en cas de crise et modifiant le règlement (UE) no 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride [COM(2015) 450].

5        La proposition initiale de la Commission prévoyait la relocalisation de 120 000 demandeurs de protection internationale, au départ de l’Italie (15 600 personnes), de la Grèce (50 400 personnes) et de la Hongrie (54 000 personnes) vers les autres États membres. L’annexe accompagnant cette proposition comportait trois tableaux répartissant ces demandeurs à partir de chacun de ces trois États membres entre les autres États membres, à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark, sous forme de contingents fixés pour chacun de ces États membres d’accueil.

6        Le 13 septembre 2015, la Commission a transmis cette proposition aux parlements nationaux.

7        Par une lettre du 14 septembre 2015, le Conseil a transmis ladite proposition au Parlement pour consultation. Dans cette lettre, le Conseil demandait au Parlement de donner son avis le plus rapidement possible, compte tenu de la situation d’urgence en mer Méditerranée et sur la route occidentale des Balkans, et s’engageait à tenir le Parlement informé de manière informelle des développements du dossier au Conseil.

8        Le 17 septembre 2015, le Parlement a adopté une résolution législative approuvant la même proposition au vu, notamment, de la « situation d’urgence exceptionnelle et [de] la nécessité d’y remédier sans plus tarder », tout en demandant au Conseil de le consulter à nouveau s’il entendait modifier de manière substantielle la proposition initiale de la Commission.

9        Au cours des différentes réunions qui se sont tenues au sein du Conseil entre les 17 et 22 septembre 2015, la proposition initiale de la Commission a été modifiée sur certains points.

10      En particulier, lors de ces réunions, la Hongrie a fait savoir qu’elle refusait l’idée d’être qualifiée d’« État membre situé en première ligne » et qu’elle ne souhaitait pas figurer parmi les États membres bénéficiaires de la relocalisation au même titre que l’Italie et la Grèce. Partant, dans le texte final de la proposition, toute mention de la Hongrie en tant qu’État membre bénéficiaire, y compris dans le titre de la proposition, a été supprimée. De même, l’annexe III de la proposition initiale de la Commission portant sur la répartition de 54 000 demandeurs de protection internationale au sujet desquels il avait été initialement prévu qu’ils seraient relocalisés depuis la Hongrie a été supprimée. En revanche, la Hongrie a été incluse dans les annexes I et II en tant qu’État membre de relocalisation des demandeurs de protection internationale au départ, respectivement, de l’Italie et de la Grèce, et des contingents lui ont par conséquent été attribués dans ces annexes.

11      Le 22 septembre 2015, la proposition initiale de la Commission ainsi modifiée a été adoptée par le Conseil à la majorité qualifiée. La République tchèque, la Hongrie, la Roumanie et la République slovaque ont voté contre l’adoption de cette proposition. La République de Finlande s’est abstenue.

C.      Le contenu de la décision attaquée

12      Les considérants 2, 22, 23, 26, 30, 32, 35 et 44 de la décision attaquée énoncent :

« (2)      Conformément à l’article 80 [TFUE], les politiques de l’Union relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration, et leur mise en œuvre, doivent être régies par le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres, et les actes de l’Union adoptés dans ce domaine doivent contenir des mesures appropriées pour l’application de ce principe.

[...]

(22)      Conformément à l’article 78, paragraphe 3, [TFUE], les mesures envisagées au profit de l’Italie et de la Grèce devraient être de nature provisoire. Une période de vingt-quatre mois constitue un délai raisonnable pour s’assurer que les mesures prévues par la présente décision produisent un effet réel aux fins de l’aide accordée à l’Italie et à la Grèce pour gérer les flux migratoires importants sur leur territoire.

(23)      Les mesures de relocalisation depuis l’Italie et la Grèce prévues dans la présente décision impliquent une dérogation temporaire à la règle fixée à l’article 13, paragraphe 1, du [règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci-après le « règlement Dublin III »)], selon laquelle l’Italie et la Grèce auraient autrement été responsables de l’examen d’une demande de protection internationale sur la base des critères énoncés au chapitre III dudit règlement, ainsi qu’une dérogation temporaire aux étapes de la procédure, y compris les délais, définis aux articles 21, 22 et 29 dudit règlement. Les autres dispositions du règlement [Dublin III] [...] restent applicables [...] La présente décision implique également une dérogation au consentement du demandeur d’une protection internationale, tel qu’il est visé à l’article 7, paragraphe 2, du [règlement (UE) no 516/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, portant création du Fonds “Asile, migration et intégration”, modifiant la décision 2008/381/CE du Conseil et abrogeant les décisions no 573/2007/CE et no 575/2007/CE du Parlement européen et du Conseil et la décision 2007/435/CE du Conseil (JO 2014, L 150, p. 168)].

[...]

(26)      Le but des mesures provisoires est d’alléger la pression considérable qui s’exerce sur les régimes d’asile italien et grec, notamment en relocalisant un nombre important de demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale et qui seront arrivés sur le territoire de l’Italie ou de la Grèce après la date à laquelle la présente décision deviendra applicable. Sur la base du nombre global de ressortissants de pays tiers qui sont entrés irrégulièrement en Italie ou en Grèce en 2015, et du nombre de ceux qui ont manifestement besoin d’une protection internationale, un total de 120 000 demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale devraient être relocalisés depuis l’Italie et la Grèce. Ce nombre représente environ 43 % du nombre total de ressortissants de pays tiers ayant manifestement besoin d’une protection internationale qui sont entrés irrégulièrement en Italie ou en Grèce en juillet et en août 2015. Cette mesure de relocalisation prévue par la présente décision constitue un partage équitable de la charge entre l’Italie et la Grèce, d’une part, et les autres États membres, d’autre part, compte tenu de l’ensemble des chiffres disponibles sur les franchissements irréguliers de frontières en 2015. Eu égard aux chiffres en jeu, 13 % de ces demandeurs devraient être relocalisés depuis l’Italie, 42 % depuis la Grèce, et 45 % devraient l’être selon les dispositions de la présente décision.

[...]

(30)      En vue de mettre en œuvre le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités, et compte tenu du fait que la présente décision constitue une nouvelle évolution des politiques dans ce domaine, il convient de veiller à ce que les États membres qui, en vertu de la présente décision, assurent la relocalisation, depuis l’Italie ou la Grèce, de demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale, reçoivent, pour chaque personne relocalisée, une somme forfaitaire qui soit identique à celle prévue à l’article 18 du [règlement no 516/2014], à savoir 6 000 EUR, et soit mise en œuvre au moyen des mêmes procédures. [...]

[...]

(32)      Il y a lieu de prendre en considération la sécurité nationale et l’ordre public tout au long de la procédure de relocalisation, jusqu’au transfert effectif du demandeur. Dans le plein respect des droits fondamentaux du demandeur, y compris des règles pertinentes sur la protection des données, lorsqu’un État membre a de bonnes raisons de considérer qu’un demandeur représente un danger pour sa sécurité nationale ou l’ordre public sur son territoire, il devrait en informer les autres États membres.

[...]

(35)      Les garanties juridiques et procédurales énoncées dans le règlement [Dublin III] demeurent applicables à l’égard des demandeurs relevant du champ d’application de la présente décision. En outre, les demandeurs devraient être informés de la procédure de relocalisation énoncée dans la présente décision et se voir notifier la décision de relocalisation, laquelle constitue une décision de transfert au sens de l’article 26 du règlement [Dublin III]. Dans la mesure où le droit de l’Union ne permet pas aux demandeurs de choisir l’État membre responsable de l’examen de leur demande, ceux-ci devraient disposer d’un droit de recours effectif contre la décision de relocalisation, conformément au règlement [Dublin III], et ce aux seules fins du respect de leurs droits fondamentaux. Conformément à l’article 27 dudit règlement, les États membres peuvent prévoir dans leur droit national que le recours contre la décision de transfert ne suspend pas automatiquement le transfert du demandeur, mais que la personne concernée a la possibilité de demander que l’exécution de la décision de transfert soit suspendue en attendant l’issue de son recours.

[...]

(44)      Étant donné que les objectifs de la présente décision ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres mais peuvent, en raison des dimensions et des effets de l’action, l’être mieux au niveau de l’Union, celle-ci peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 [TUE]. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, la présente décision n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs. »

13      Aux termes de l’article 1er de la décision attaquée, intitulé « Objet » :

« 1.      La présente décision institue des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce, en vue de les aider à mieux faire face à une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur leur territoire.

2.      La Commission assure un suivi permanent de la situation relative aux afflux massifs de ressortissants de pays tiers sur le territoire d’États membres.

La Commission présente, le cas échéant, des propositions visant à modifier la présente décision afin de tenir compte de l’évolution de la situation sur le terrain et de son incidence sur le mécanisme de relocalisation, ainsi que de l’évolution de la pression qui s’exerce sur des États membres, en particulier ceux qui sont situés en première ligne. »

14      L’article 2 de cette décision, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente décision, on entend par :

[...]

e)      “relocalisation”, le transfert d’un demandeur du territoire de l’État membre que les critères énoncés au chapitre III du règlement [Dublin III] désignent comme responsable de l’examen de sa demande de protection internationale vers le territoire de l’État membre de relocalisation ;

f)      “État membre de relocalisation”, l’État membre qui devient responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur en vertu du règlement [Dublin III] à la suite de la relocalisation de la personne en question sur le territoire de cet État membre. »

15      L’article 3 de ladite décision, intitulé « Champ d’application », prévoit :

« 1.      Une relocalisation en vertu de la présente décision ne peut concerner qu’un demandeur ayant introduit sa demande de protection internationale en Italie ou en Grèce et à l’égard duquel ces États membres auraient autrement été responsables en vertu des critères de détermination de l’État membre responsable énoncés au chapitre III du règlement [Dublin III].

2.      Une relocalisation en vertu de la présente décision ne s’applique qu’à un demandeur possédant une nationalité pour laquelle, selon les dernières moyennes trimestrielles actualisées d’Eurostat disponibles au niveau de l’Union, la part des décisions accordant une protection internationale [...] est égale ou supérieure à 75 %. [...] »

16      L’article 4 de la même décision, intitulé « Relocalisation de 120 000 demandeurs dans les États membres », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.      Cent vingt mille demandeurs font l’objet d’une relocalisation vers les autres États membres comme suit :

a)      15 600 demandeurs font l’objet d’une relocalisation depuis l’Italie vers le territoire des autres États membres, conformément au tableau figurant à l’annexe I ;

b)      50 400 demandeurs font l’objet d’une relocalisation depuis la Grèce vers le territoire des autres États membres, conformément au tableau figurant à l’annexe II ;

c)      54 000 demandeurs font l’objet d’une relocalisation vers le territoire d’autres États membres proportionnellement aux chiffres figurant aux annexes I et II, soit conformément au paragraphe 2 du présent article, soit au moyen d’une modification de la présente décision, ainsi qu’il est indiqué à l’article 1er, paragraphe 2, et au paragraphe 3 du présent article.

2.      À compter du 26 septembre 2016, les 54 000 demandeurs visés au paragraphe 1, point c), font l’objet d’une relocalisation depuis l’Italie et la Grèce, dans une proportion résultant du paragraphe 1, points a) et b), vers le territoire d’autres États membres, et proportionnellement aux chiffres figurant aux annexes I et II. La Commission présente au Conseil une proposition portant sur les chiffres qui doivent être attribués en conséquence à chaque État membre.

3.      Si, au plus tard le 26 septembre 2016, la Commission estime qu’une adaptation du mécanisme de relocalisation est justifiée du fait de l’évolution de la situation sur le terrain ou qu’un État membre est confronté à une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers en raison d’une importante réorientation des flux migratoires, et en tenant compte du point de vue de l’État membre bénéficiaire potentiel, elle peut, le cas échéant, présenter des propositions au Conseil, ainsi qu’il est indiqué à l’article 1er, paragraphe 2.

De la même façon, un État membre peut, en invoquant des motifs dûment justifiés, notifier au Conseil et à la Commission qu’il est confronté à une situation d’urgence semblable. La Commission examine les motifs invoqués et présente, le cas échéant, des propositions au Conseil, ainsi qu’il est indiqué à l’article 1er, paragraphe 2. »

17      L’article 1er de la décision (UE) 2016/1754 du Conseil, du 29 septembre 2016 (JO 2016, L 268, p. 82), a complété l’article 4 de la décision attaquée par le paragraphe suivant :

« 3 bis.      En ce qui concerne la relocalisation des demandeurs visés au paragraphe 1, point c), les États membres peuvent choisir de satisfaire à leurs obligations en admettant sur leur territoire des ressortissants syriens présents en Turquie en vertu de mécanismes nationaux ou multilatéraux d’admission légale de personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale, autres que le programme de réinstallation faisant l’objet des conclusions des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil le 20 juillet 2015. Le nombre de personnes ainsi admises par un État membre entraîne une réduction correspondante de l’obligation de l’État membre concerné.

[...] »

18      Il découle de l’article 2 de la décision no 2016/1754 que celle-ci est entrée en vigueur le 2 octobre 2016 et est applicable jusqu’au 26 septembre 2017 à toutes les personnes qui, aux fins de l’article 4, paragraphe 3 bis, de la décision attaquée, ont été admises par les États membres en provenance de la Turquie à compter du 1er mai 2016.

19      L’article 4, paragraphe 4, de la décision attaquée envisage la possibilité d’une participation à la mise en œuvre de la décision attaquée, sur une base volontaire, de l’Irlande et du Royaume-Uni. La participation de l’Irlande ayant par la suite été confirmée par la Commission, le Conseil a fixé un nombre de demandeurs devant être relocalisés vers cet État membre et a adapté les contingents des autres États membres en conséquence.

20      L’article 4, paragraphe 5, de cette décision prévoit que, dans des circonstances exceptionnelles, un État membre peut, dans les conditions prévues par cette disposition, demander, au plus tard le 26 décembre 2015, à bénéficier d’une suspension temporaire de la relocalisation de demandeurs dans une proportion pouvant atteindre 30 % du contingent de demandeurs qui lui a été attribué.

21      Cette disposition a été appliquée à la demande de la République d’Autriche et a fait l’objet de la décision d’exécution (UE) 2016/408 du Conseil, du 10 mars 2016, concernant la suspension temporaire de la relocalisation de 30 % du contingent de demandeurs attribué à l’Autriche en application de la décision [attaquée] (JO 2016, L 74, p. 36). L’article 1er de la décision 2016/408 prévoit que la relocalisation vers cet État membre de 1 065 demandeurs parmi le contingent de demandeurs qui lui a été attribué au titre de la décision attaquée est suspendue jusqu’au 11 mars 2017.

22      L’article 5 de la décision attaquée, intitulé « Procédure de relocalisation », prévoit :

« [...]

2.      À intervalles réguliers, et au moins tous les trois mois, les États membres indiquent le nombre de demandeurs pouvant faire rapidement l’objet d’une relocalisation sur leur territoire et toute autre information utile.

3.      Sur la base de ces informations, l’Italie et la Grèce identifient, avec l’aide de l’EASO et, le cas échéant, des officiers de liaison des États membres visés au paragraphe 8, les demandeurs individuels pouvant faire l’objet d’une relocalisation vers les autres États membres et, dans les meilleurs délais, communiquent toute information utile aux points de contact de ces États membres. La priorité est accordée à cet effet aux demandeurs vulnérables au sens des articles 21 et 22 de la [directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96)].

4.      À la suite de l’accord de l’État membre de relocalisation, l’Italie et la Grèce prennent, dès que possible, une décision visant à relocaliser chacun des demandeurs identifiés vers un État membre de relocalisation donné, en concertation avec l’EASO, et notifient cette décision au demandeur conformément à l’article 6, paragraphe 4. L’État membre de relocalisation ne peut décider de ne pas approuver la relocalisation d’un demandeur que s’il existe des motifs raisonnables tels qu’ils sont visés au paragraphe 7 du présent article.

[...]

6.      Le transfert du demandeur vers le territoire de l’État membre de relocalisation a lieu dès que possible après la date de notification, à la personne concernée, de la décision de relocalisation visée à l’article 6, paragraphe 4, de la présente décision. L’Italie et la Grèce communiquent à l’État membre de relocalisation la date et l’heure du transfert ainsi que toute autre information utile.

7.      Les États membres ne conservent le droit de refuser de relocaliser un demandeur que lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer que celui-ci représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public sur leur territoire [...]

[...] »

23      L’article 6 de la décision attaquée, intitulé « Droits et obligations des demandeurs de protection internationale relevant de la présente décision », dispose :

« 1.      L’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale pour les États membres lors de la mise en œuvre de la présente décision.

2.      Les États membres veillent à ce que les membres de la famille relevant du champ d’application de la présente décision soient relocalisés vers le territoire du même État membre.

3.      Préalablement à la décision de relocaliser un demandeur, l’Italie et la Grèce informent le demandeur, dans une langue qu’il comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend, de la procédure de relocalisation telle qu’elle est énoncée dans la présente décision.

4.      Lorsque la décision de relocaliser un demandeur a été prise et préalablement à sa relocalisation effective, l’Italie et la Grèce notifient par écrit à l’intéressé la décision de relocalisation le concernant. Cette décision précise l’État membre de relocalisation.

5.      Le demandeur ou le bénéficiaire d’une protection internationale qui entre sur le territoire d’un État membre autre que son État membre de relocalisation sans remplir les conditions de séjour dans cet autre État membre est tenu de rentrer immédiatement dans son État membre de relocalisation. Ce dernier reprend en charge la personne sans délai. »

24      L’article 7 de la décision attaquée contient des dispositions en matière de soutien opérationnel au profit de la République hellénique et de la République italienne.

25      L’article 8 de cette décision prévoit des mesures complémentaires devant être prises par ces deux États membres.

26      L’article 9 de ladite décision habilite le Conseil à prendre des mesures provisoires en vertu de l’article 78, paragraphe 3, TFUE si les conditions posées par cette disposition sont réunies et indique que de telles mesures peuvent, le cas échéant, comprendre une suspension de la participation de l’État membre qui est confronté à un afflux soudain de ressortissants de pays tiers à la relocalisation prévue par la décision attaquée.

27      Cette disposition a été appliquée à la demande du Royaume de Suède et a fait l’objet de la décision (UE) 2016/946 du Conseil, du 9 juin 2016, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de la Suède, conformément à l’article 9 de la décision 2015/1523 et à l’article 9 de la décision 2015/1601 (JO 2016, L 157, p. 23). L’article 2 de la décision 2016/946 dispose que les obligations qui incombent à cet État membre en tant qu’État membre de relocalisation au titre de la décision 2015/1523 et de la décision attaquée sont suspendues jusqu’au 16 juin 2017.

28      L’article 10 de la décision attaquée prévoit un soutien financier pour chaque personne faisant l’objet d’une relocalisation en vertu de cette décision, et ce tant pour l’État membre de relocalisation que pour la République hellénique ou la République italienne.

29      L’article 11 de la décision attaquée prévoit que, avec l’aide de la Commission, des arrangements bilatéraux peuvent être conclus par ces deux États membres avec les États dits « associés », à savoir la République d’Islande, la Principauté de Liechtenstein, le Royaume de Norvège et la Confédération suisse, et que, au cas où de tels arrangements sont conclus, le Conseil adapte, en conséquence, sur proposition de la Commission, les contingents de relocalisation des États membres en les réduisant proportionnellement. De tels accords ont par la suite été conclus et les États associés participent donc à la relocalisation prévue par la décision attaquée.

30      L’article 12 de la décision attaquée prévoit, notamment, que la Commission fait rapport au Conseil, tous les six mois, sur la mise en œuvre de cette décision. La Commission s’est, par la suite, engagée à présenter des rapports mensuels sur la mise en œuvre des différentes mesures de relocalisation et de réinstallation des demandeurs de protection internationale prises au niveau de l’Union, dont la décision attaquée.

31      Enfin, conformément à l’article 13, paragraphes 1 et 2, de la décision attaquée, celle-ci est entrée en vigueur le 25 septembre 2015 et est applicable jusqu’au 26 septembre 2017. L’article 13, paragraphe 3, de cette décision dispose que celle-ci s’applique aux personnes qui arrivent sur les territoires italien et grec entre le 25 septembre 2015 et le 26 septembre 2017 ainsi qu’aux demandeurs qui sont arrivés sur ces territoires à partir du 24 mars 2015.

II.    La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

32      Dans l’affaire C‑643/15, la République slovaque demande à la Cour d’annuler la décision attaquée et de condamner le Conseil aux dépens.

33      Dans l’affaire C‑647/15, la Hongrie demande à la Cour :

–        à titre principal, d’annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, d’annuler cette décision pour autant qu’elle concerne la Hongrie, et

–        de condamner le Conseil aux dépens.

34      Dans les affaires C‑643/15 et C‑647/15, le Conseil demande à la Cour de rejeter les recours comme étant non fondés et de condamner, respectivement, la République slovaque et la Hongrie aux dépens.

35      Par décision du président de la Cour du 29 avril 2016, le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume de Suède et la Commission ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil dans les affaires C‑643/15 et C‑647/15.

36      Par cette même décision, la République de Pologne a été admise à intervenir, dans l’affaire C‑643/15, au soutien des conclusions de la République slovaque et, dans l’affaire C‑647/15, au soutien des conclusions de la Hongrie.

37      Les parties et M. l’avocat général ayant été entendus sur ce point, il y a lieu, pour cause de connexité, de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 54 du règlement de procédure de la Cour.

III. Sur les recours

A.      Aperçu des moyens

38      À l’appui de son recours dans l’affaire C‑643/15, la République slovaque invoque six moyens, tirés de la violation, le premier, de l’article 68 TFUE, de l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi que du principe de l’équilibre institutionnel, le deuxième, de l’article 10, paragraphes 1 et 2, TUE, de l’article 13, paragraphe 2, TUE, de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, des articles 3 et 4 du protocole (no 1) sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne, annexé aux traités UE et FUE [ci-après le « protocole (no 1) »], et des articles 6 et 7 du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé aux traités UE et FUE [ci-après le « protocole (no 2) »], ainsi que des principes de sécurité juridique, de la démocratie représentative et de l’équilibre institutionnel, le troisième, des formes substantielles relatives à la procédure législative ainsi que de l’article 10, paragraphes 1 et 2, TUE, de l’article 13, paragraphe 2, TUE et des principes de la démocratie représentative, de l’équilibre institutionnel et de bonne administration (à titre subsidiaire), le quatrième, des formes substantielles ainsi que de l’article 10, paragraphes 1 et 2, TUE, de l’article 13, paragraphe 2, TUE et des principes de la démocratie représentative, de l’équilibre institutionnel et de bonne administration (à titre partiellement subsidiaire), le cinquième, des conditions d’application de l’article 78, paragraphe 3, TFUE (à titre subsidiaire), et, le sixième, du principe de proportionnalité.

39      À l’appui de son recours dans l’affaire C‑647/15, la Hongrie invoque dix moyens.

40      Les premier et deuxième moyens sont tirés de la violation de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, en ce que cette disposition ne fournirait pas au Conseil une base juridique appropriée pour adopter des mesures qui, en l’espèce, dérogeraient de manière contraignante aux dispositions d’un acte législatif, qui seraient applicables pendant une période de 24 mois, voire de 36 mois dans certains cas, et dont les effets se prolongeraient au-delà de cette période, ce qui serait contraire à la notion de « mesures provisoires ».

41      Les troisième à sixième moyens sont tirés de la violation de formes substantielles, en ce que, premièrement, lors de l’adoption de la décision attaquée, le Conseil aurait enfreint les dispositions de l’article 293, paragraphe 1, TFUE en s’écartant de la proposition initiale de la Commission sans vote unanime (troisième moyen), deuxièmement, la décision attaquée emporterait une dérogation aux dispositions d’un acte législatif et serait elle-même un acte législatif par son contenu, si bien que, même s’il devait être décidé qu’elle a pu être valablement adoptée sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, il n’en demeurerait pas moins qu’il aurait fallu, lors de son adoption, respecter le droit des parlements nationaux de donner un avis sur les actes législatifs, prévu par le protocole (no 1) et par le protocole (no 2) (quatrième moyen), troisièmement, après avoir consulté le Parlement, le Conseil aurait modifié substantiellement le texte du projet sans consulter de nouveau le Parlement à ce sujet (cinquième moyen), et, quatrièmement, lors de l’adoption de la décision attaquée par le Conseil, les versions linguistiques du projet de décision n’auraient pas été disponibles dans les langues officielles de l’Union (sixième moyen).

42      Le septième moyen est tiré d’une violation de l’article 68 TFUE et des conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015.

43      Le huitième moyen est tiré d’une violation des principes de sécurité juridique et de clarté normative en ce que, sur plusieurs points, les conditions de mise en œuvre de la décision attaquée ne seraient pas claires, pas plus que la manière dont les dispositions de celles-ci s’articulent avec celles du règlement Dublin III.

44      Le neuvième moyen est tiré d’une violation des principes de nécessité et de proportionnalité, en ce que, la Hongrie ne figurant plus parmi les États membres bénéficiaires, il serait injustifié que la décision attaquée prévoie la relocalisation de 120 000 personnes sollicitant une protection internationale.

45      Le dixième moyen, présenté à titre subsidiaire, est tiré d’une violation du principe de proportionnalité et de l’article 78, paragraphe 3, TFUE en ce qui concerne la Hongrie, dès lors que la décision attaquée lui attribue un contingent obligatoire en tant qu’État membre d’accueil, alors même qu’il serait reconnu qu’un grand nombre de migrants en situation irrégulière a pénétré sur le territoire de cet État membre et y a introduit des demandes de protection internationale.

B.      Observation liminaire

46      Dès lors que la base juridique d’un acte détermine la procédure à suivre pour l’adoption de celui–ci (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C 363/14, EU:C:2015:579, point 17), il convient d’examiner, en premier lieu, les moyens tirés de l’inadéquation de l’article 78, paragraphe 3, TFUE en tant que base juridique de la décision attaquée, en deuxième lieu, les moyens tirés d’irrégularités de procédure commises lors de l’adoption de cette décision et constitutives de violations de formes substantielles, et, en troisième lieu, les moyens au fond.

C.      Sur les moyens tirés de l’inadéquation de l’article 78, paragraphe 3, TFUE en tant que base juridique de la décision attaquée

1.      Sur le deuxième moyen de la République slovaque et le premier moyen de la Hongrie, tirés du caractère législatif de la décision attaquée

a)      Argumentation des parties

47      La République slovaque et la Hongrie font valoir que la décision attaquée, même si elle a été adoptée selon la procédure non législative et constitue donc formellement un acte non législatif, doit néanmoins être qualifiée d’acte législatif par son contenu et par ses effets, dès lors que, ainsi que le confirmerait expressément le considérant 23 de ladite décision, elle modifie, de surcroît de manière fondamentale, plusieurs actes législatifs du droit de l’Union.

48      Il en irait ainsi surtout de l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, en vertu duquel la République hellénique ou la République italienne, selon le cas, seraient en principe responsables de l’examen de la demande de protection internationale, règle à laquelle dérogerait l’article 3, paragraphe 1, de la décision attaquée.

49      Si la décision attaquée qualifie ces modifications de simples « dérogations », la distinction entre une dérogation et une modification serait artificielle, dès lors que, dans les deux cas, ces interventions auraient pour effet d’écarter l’application d’une disposition normative et, de ce fait, d’en affecter l’effectivité.

50      En revanche, il découlerait du caractère provisoire et urgent des mesures visées à l’article 78, paragraphe 3, TFUE que cette disposition serait destinée à fournir une base juridique à des mesures de soutien pouvant accompagner des actes législatifs adoptés sur la base de l’article 78, paragraphe 2, TFUE. Il s’agirait en particulier de mesures visant à gérer ou à alléger rapidement une situation de crise, notamment l’octroi d’une aide financière ou technique ou la mise à disposition de personnel qualifié.

51      L’article 78, paragraphe 3, TFUE ne fournirait ainsi pas de base juridique pour l’adoption de mesures législatives, dès lors que cette disposition ne comporterait aucune indication selon laquelle les mesures prises en vertu de celle-ci doivent être adoptées selon une procédure législative.

52      La République slovaque soutient en particulier qu’un acte non législatif fondé sur l’article 78, paragraphe 3, TFUE, tel que la décision attaquée, ne peut en aucun cas déroger à un acte législatif. L’ampleur de la dérogation et le caractère fondamental ou non de la disposition à laquelle il est dérogé seraient sans importance. Toute dérogation, aussi infime soit-elle, par un acte non législatif à un acte législatif serait interdite dès lors qu’elle équivaudrait à un contournement de la procédure législative, en l’occurrence celle prévue à l’article 78, paragraphe 2, TFUE.

53      La Hongrie fait valoir que, en tout état de cause, les dérogations à des actes législatifs que prévoit la décision attaquée, même si elles sont limitées dans le temps, opèrent une ingérence dans des dispositions fondamentales d’actes législatifs existants qui se rapportent aux droits et obligations fondamentaux des particuliers concernés.

54      Enfin, la Hongrie soutient que l’article 78, paragraphe 3, TFUE pourrait être interprété en ce sens que l’exigence d’une consultation du Parlement prévue par cette disposition devrait être considérée comme une « participation » du Parlement, au sens de l’article 289, paragraphe 2, TFUE, de sorte que la procédure législative spéciale s’appliquerait. En ce cas, l’article 78, paragraphe 3, TFUE pourrait effectivement constituer une base juridique valable de la décision attaquée, en tant qu’acte législatif.

55      Toutefois, si une telle interprétation de l’article 78, paragraphe 3, TFUE devait être admise, les exigences procédurales entourant l’adoption d’un acte législatif devraient être respectées, en particulier la participation du Parlement et des parlements nationaux dans le processus législatif, ce qui n’aurait manifestement pas été le cas en l’espèce.

56      Le Conseil soutient qu’il découle de l’article 289, paragraphe 3, TFUE que le critère d’identification du caractère législatif ou non d’un acte est exclusivement procédural, en ce sens que, à chaque fois qu’une base juridique du traité prévoit expressément qu’un acte est adopté « conformément à la procédure législative ordinaire » ou « conformément à une procédure législative spéciale », il s’agit d’un acte législatif. Il conteste que la décision attaquée ait modifié plusieurs actes législatifs du droit de l’Union, de telle sorte qu’elle devrait être qualifiée d’acte législatif par son contenu. Il ne pourrait non plus être soutenu que les dérogations apportées par la décision attaquée constituent un contournement de la procédure législative ordinaire, telle que prévue à l’article 78, paragraphe 2, TFUE.

b)      Appréciation de la Cour

57      Il y a lieu d’examiner, en premier lieu, si, ainsi que le soutient la Hongrie, l’article 78, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens que les actes adoptés en vertu de cette disposition doivent être qualifiés d’« actes législatifs », au motif que l’exigence d’une consultation du Parlement que prévoit ladite disposition constituerait une forme de participation de cette institution de l’Union, au sens de l’article 289, paragraphe 2, TFUE, de sorte que l’adoption de tels actes devrait obéir à la procédure législative spéciale, ce qui n’a pas été le cas de la décision attaquée.

58      Aux termes de l’article 289, paragraphe 3, TFUE, les actes juridiques adoptés par procédure législative constituent des actes législatifs. Partant, les actes non législatifs sont ceux qui sont adoptés par une procédure autre qu’une procédure législative.

59      La distinction entre actes législatifs et non législatifs revêt une importance certaine, dès lors que seule l’adoption d’actes législatifs est assujettie au respect de certaines obligations tenant, notamment, à la participation des parlements nationaux conformément aux articles 3 et 4 du protocole (no 1) et aux articles 6 et 7 du protocole (no 2), ainsi qu’à l’exigence, découlant de l’article 16, paragraphe 8, TUE et de l’article 15, paragraphe 2, TFUE, selon laquelle le Conseil siège en séance publique lorsqu’il délibère et vote sur un projet d’acte législatif.

60      Il ressort en outre d’une lecture combinée des dispositions de l’article 289, paragraphe 1, et de l’article 294, paragraphe 1, TFUE que la procédure législative ordinaire, caractérisée par l’adoption conjointe d’un acte du droit de l’Union par le Parlement et le Conseil sur proposition de la Commission, s’applique uniquement si la disposition des traités constituant la base juridique de l’acte en cause « fait référence » à une telle procédure législative.

61      S’agissant de la procédure législative spéciale, caractérisée quant à elle par le fait qu’elle prévoit l’adoption d’un acte de l’Union soit par le Parlement avec la participation du Conseil, soit par le Conseil avec la participation du Parlement, l’article 289, paragraphe 2, TFUE dispose qu’elle s’applique « dans les cas spécifiques prévus par les traités ».

62      Il en découle qu’un acte juridique ne peut être qualifié d’acte législatif de l’Union que s’il a été adopté sur le fondement d’une disposition des traités qui se réfère expressément soit à la procédure législative ordinaire, soit à la procédure législative spéciale.

63      Une telle approche systémique assure la sécurité juridique nécessaire lors des procédures d’adoption d’actes de l’Union, en ce qu’elle permet d’identifier de manière certaine les bases juridiques habilitant les institutions de l’Union à adopter des actes législatifs et de distinguer ces bases de celles ne pouvant servir que de fondement à l’adoption d’actes non législatifs.

64      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Hongrie, il ne peut être déduit de la référence à l’exigence, figurant dans la disposition des traités qui sert de base juridique de l’acte en cause, d’une consultation du Parlement que la procédure législative spéciale s’appliquerait à l’adoption de cet acte.

65      En l’occurrence, l’article 78, paragraphe 3, TFUE, s’il prévoit que le Conseil adopte les mesures provisoires y visées sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement, ne comporte aucune référence expresse ni à la procédure législative ordinaire ni à la procédure législative spéciale. En revanche, l’article 78, paragraphe 2, TFUE dispose expressément que les mesures énumérées aux points a) à g) de cette disposition sont adoptées « conformément à la procédure législative ordinaire ».

66      Eu égard à ce qui précède, il doit être considéré que des mesures susceptibles d’être adoptées sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE doivent être qualifiées d’« actes non législatifs », parce qu’elles ne sont pas adoptées à l’issue d’une procédure législative.

67      Le Conseil, lorsqu’il a arrêté la décision attaquée, a dès lors considéré à bon droit que cette décision devait être adoptée suivant une procédure non législative et constituait, partant, un acte non législatif de l’Union.

68      En conséquence, se pose, en second lieu, la question de savoir si, ainsi que le soutiennent la République slovaque et la Hongrie, l’article 78, paragraphe 3, TFUE ne pouvait servir de base juridique à l’adoption de la décision attaquée, au motif que cette décision constitue un acte non législatif qui déroge à plusieurs actes législatifs, alors que seul un acte législatif pourrait déroger à un autre acte législatif.

69      À cet égard, le considérant 23 de la décision attaquée indique que la relocalisation depuis l’Italie et la Grèce prévue par cette décision implique une « dérogation temporaire » à certaines dispositions d’actes législatifs du droit de l’Union, dont l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, en vertu duquel la République hellénique ou la République italienne auraient été en principe responsables de l’examen d’une demande de protection internationale sur la base des critères énoncés au chapitre III dudit règlement, et l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 516/2014, qui exige le consentement du demandeur d’une protection internationale.

70      L’article 78, paragraphe 3, TFUE ne définit pas la nature des « mesures provisoires » pouvant être adoptées en vertu de cette disposition.

71      Ainsi, le libellé de ladite disposition ne saurait, contrairement à ce que soutiennent la République slovaque et la Hongrie, étayer, en lui-même, une interprétation restrictive de la notion de « mesures provisoires », impliquant que celle-ci ne viserait que des mesures d’accompagnement appuyant un acte législatif adopté sur la base de l’article 78, paragraphe 2, TFUE et portant, en particulier, sur un soutien financier, technique ou opérationnel apporté aux États membres se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers.

72      Ce constat est corroboré par l’économie générale et les objectifs des dispositions figurant à l’article 78, paragraphes 2 et 3, TFUE.

73      Il s’agit en effet de deux dispositions de droit primaire de l’Union distinctes poursuivant des objectifs différents et ayant des conditions d’application propres qui fournissent une base juridique pour l’adoption, s’agissant de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, de mesures provisoires à caractère non législatif visant à répondre à brève échéance à une situation d’urgence donnée à laquelle des États membres seraient confrontés, et, pour ce qui concerne l’article 78, paragraphe 2, TFUE, d’actes à caractère législatif qui visent à régler, pour une durée indéterminée et de manière générale, un problème structurel se posant dans le cadre de la politique commune de l’Union en matière d’asile.

74      Partant, lesdites dispositions revêtent un caractère complémentaire, permettant à l’Union d’adopter, dans le cadre de cette politique commune, des mesures diversifiées afin de se doter des outils nécessaires, notamment, pour répondre de manière effective, tant à court terme que sur le long terme, à des situations de crise migratoire.

75      À cet égard, une interprétation restrictive de la notion de « mesures provisoires » figurant à l’article 78, paragraphe 3, TFUE, selon laquelle celle-ci ne permettrait que l’adoption de mesures d’accompagnement s’ajoutant aux actes législatifs adoptés sur le fondement de l’article 78, paragraphe 2, TFUE et non des mesures dérogeant à de tels actes, outre qu’elle ne trouve pas d’appui dans le texte de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, réduirait également de manière significative son effet utile, dès lors que lesdits actes ont couvert ou peuvent couvrir les différents aspects du système européen commun d’asile, énumérés aux points a) à g) de l’article 78, paragraphe 2, TFUE.

76      Il en va ainsi spécifiquement de la matière visée à l’article 78, paragraphe 2, sous e), TFUE, relative aux critères et aux mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile ou de protection subsidiaire, qui fait l’objet d’un ensemble complet de règles, au premier rang desquelles figurent celles prévues par le règlement Dublin III.

77      Au vu de ce qui précède, la notion de « mesures provisoires », au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, doit revêtir une portée suffisamment large afin de permettre aux institutions de l’Union de prendre toutes les mesures provisoires nécessaires pour répondre de manière effective et rapide à une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers.

78      Si, dans cette perspective, il doit être admis que les mesures provisoires adoptées sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE peuvent en principe également déroger à des dispositions d’actes législatifs, de telles dérogations doivent néanmoins être encadrées quant à leur champ d’application tant matériel que temporel, de manière à ce qu’elles se limitent à répondre de manière rapide et effective, par un dispositif provisoire, à une situation de crise précise, ce qui exclut que ces mesures puissent avoir pour objet ou pour effet de remplacer ou de modifier de manière permanente et générale ces actes législatifs, contournant ainsi la procédure législative ordinaire prévue à l’article 78, paragraphe 2, TFUE.

79      Or, en l’occurrence, il y a lieu de constater que les dérogations prévues par la décision attaquée obéissent à cette exigence d’un encadrement de leur champ d’application matériel et temporel et qu’elles n’ont ni pour objet ni pour effet de remplacer ou de modifier de manière permanente des dispositions d’actes législatifs.

80      En effet, les dérogations à des dispositions particulières d’actes législatifs que prévoit la décision attaquée ne s’appliquent que pendant une période de deux ans, sous réserve de la possibilité d’une prorogation de ce délai prévue à l’article 4, paragraphe 5, de la décision attaquée, et expireront, en l’occurrence, le 26 septembre 2017. De plus, elles concernent un nombre limité de 120 000 ressortissants de certains pays tiers, ayant introduit une demande de protection internationale en Grèce ou en Italie, qui possèdent l’une des nationalités visées à l’article 3, paragraphe 2, de la décision attaquée, qui seront relocalisés à partir de l’un de ces deux États membres et qui sont arrivés ou arriveront dans lesdits États membres entre le 24 mars 2015 et le 26 septembre 2017.

81      Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu que, par l’adoption de la décision attaquée sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, la procédure législative ordinaire prévue à l’article 78, paragraphe 2, TFUE aurait été contournée.

82      Eu égard à ce qui précède, la circonstance que la décision attaquée, dont la qualification d’acte non législatif ne saurait être remise en cause, emporte des dérogations à des dispositions particulières d’actes législatifs n’était pas de nature à empêcher son adoption sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE.

83      Pour les mêmes motifs, il convient également de rejeter l’argumentation de la République slovaque tirée d’une violation de l’article 10, paragraphes 1 et 2, TUE, de l’article 13, paragraphe 2, TUE, ainsi que des principes de sécurité juridique, de démocratie représentative et de l’équilibre institutionnel.

84      Partant, le deuxième moyen de la République slovaque et le premier moyen de la Hongrie doivent être rejetés comme non fondés.

2.      Sur la première branche du cinquième moyen de la République slovaque et le deuxième moyen de la Hongrie, tirés de l’absence de caractère provisoire de la décision attaquée et de la durée d’application excessive de cette décision

a)      Argumentation des parties

85      La République slovaque et la Hongrie soutiennent que l’article 78, paragraphe 3, TFUE ne constitue pas une base juridique adéquate pour l’adoption de la décision attaquée, dès lors que celle-ci ne revêt pas un caractère provisoire, contrairement à ce qu’exige cette disposition.

86      La décision attaquée, dès lors qu’elle s’applique, en vertu de son article 13, paragraphe 2, jusqu’au 26 septembre 2017, soit pendant une période de deux ans, période pouvant d’ailleurs être prolongée d’un an en vertu de l’article 4, paragraphes 5 et 6, de la même décision, ne pourrait être qualifiée de « mesure provisoire », au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE.

87      Cela est d’autant plus vrai, selon la République slovaque et la Hongrie, que les effets temporels de la décision attaquée à l’égard des demandeurs de protection internationale concernés dépasseront largement cette période de deux, voire de trois ans. En effet, cette décision conduirait, selon toute probabilité, à créer des liens durables entre les demandeurs d’une protection internationale et les États membres de relocalisation.

88      Le Conseil précise que, conformément à l’article 13, paragraphe 2, de la décision attaquée, celle-ci s’applique pendant 24 mois, soit jusqu’au 26 septembre 2017. Une prorogation pour une période maximale de 12 mois dans le cadre spécifique du mécanisme de suspension prévu à l’article 4, paragraphe 5, de la décision attaquée ne serait plus possible. La durée des effets que la décision attaquée est susceptible de produire à l’égard des personnes ayant fait l’objet d’une relocalisation ne serait pas un élément pertinent pour déterminer le caractère provisoire de celle-ci. Ce caractère devrait être apprécié au regard de l’application dans le temps du mécanisme de relocalisation que prévoit cette décision, soit une période de 24 mois.

b)      Appréciation de la Cour

89      L’article 78, paragraphe 3, TFUE ne permet que l’adoption de « mesures provisoires ».

90      Un acte ne peut être qualifié de « provisoire », au sens habituel de ce terme, que s’il ne vise pas à régler de manière permanente une matière et ne s’applique que pendant une période limitée.

91      Cela étant, contrairement à l’article 64, paragraphe 2, CE, aux termes duquel la période d’application des mesures adoptées sur la base de cette disposition ne pouvait excéder six mois, l’article 78, paragraphe 3, TFUE, qui a succédé à cette disposition, ne prévoit plus une telle limitation temporelle.

92      Il s’ensuit que l’article 78, paragraphe 3, TFUE, s’il exige que les mesures y visées soient temporaires, réserve au Conseil une marge d’appréciation pour fixer, au cas par cas, leur période d’application en fonction des circonstances de l’espèce et, en particulier, au regard des spécificités de la situation d’urgence justifiant ces mesures.

93      Or, il ressort de l’article 13 de la décision attaquée que celle-ci est applicable du 25 septembre 2015 au 26 septembre 2017, soit pendant une période de 24 mois, aux personnes qui arrivent en Grèce et en Italie au cours de cette même période ainsi qu’aux demandeurs de protection internationale qui sont arrivés sur le territoire de ces États membres à partir du 24 mars 2015.

94      Quant à l’article 4, paragraphe 5, de la décision attaquée, il prévoit, « dans des circonstances exceptionnelles », et en fonction d’une notification d’un État membre devant intervenir au plus tard le 26 décembre 2015, la possibilité d’une prorogation de la période de 24 mois visée à l’article 13, paragraphe 2, de cette décision pour une période maximale de 12 mois dans le cadre du mécanisme de suspension temporaire et partielle de l’obligation de relocalisation des demandeurs de protection internationale incombant à l’État membre concerné. Il confirme ainsi le caractère temporaire des différentes mesures contenues dans ladite décision. Par ailleurs, ce mécanisme ne pouvant plus être déclenché après le 26 décembre 2015, la décision attaquée expirera définitivement le 26 septembre 2017.

95      Partant, il y a lieu de constater que la décision attaquée s’applique pendant une période limitée.

96      Par ailleurs, le Conseil n’a pas manifestement outrepassé son pouvoir d’appréciation lorsqu’il a fixé la durée des mesures que comporte la décision attaquée, en ce qu’il a estimé, au considérant 22 de cette décision, qu’une « période de vingt-quatre mois constitue un délai raisonnable pour s’assurer que les mesures prévues par la présente décision produisent un effet réel aux fins de l’aide accordée à l’Italie et à la Grèce pour gérer les flux migratoires importants sur leur territoire ».

97      Ce choix d’une période d’application de 24 mois apparaît justifié compte tenu du fait qu’une relocalisation d’un nombre important de personnes telle que celle prévue par la décision attaquée est une opération à la fois inédite et complexe qui nécessite un certain temps de préparation et de mise en place, notamment sur le plan de la coordination entre les administrations des États membres, avant qu’elle ne produise des effets concrets.

98      Il y a également lieu de rejeter l’argument de la République slovaque et de la Hongrie selon lequel la décision attaquée n’a pas un caractère provisoire dès lors qu’elle aura des effets à long terme, au motif que de nombreux demandeurs de protection internationale resteront, après leur relocalisation, sur le territoire de l’État membre de relocalisation bien au-delà de la période d’application de 24 mois de la décision attaquée.

99      En effet, s’il devait être tenu compte de la durée des effets d’une mesure de relocalisation sur les personnes relocalisées afin d’apprécier son caractère provisoire au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, aucune mesure de relocalisation de personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale ne pourrait être prise en vertu de cette disposition, dès lors que de tels effets à plus ou moins long terme sont inhérents à une telle relocalisation.

100    Ne saurait pas non plus prospérer l’argument de la République slovaque et de la Hongrie selon lequel, afin de pouvoir être considérée comme étant de nature provisoire, au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, la durée d’application de la mesure en cause ne devrait pas être supérieure à la durée minimale nécessaire pour l’adoption d’un acte législatif adopté sur le fondement de l’article 78, paragraphe 2, TFUE.

101    En effet, outre le fait qu’une telle interprétation de l’article 78, paragraphes 2 et 3, TFUE ne repose sur aucun argument de texte et méconnaît la complémentarité des mesures visées, respectivement, aux paragraphes 2 et 3 de cet article, il apparaît très difficile, voire impossible, de fixer à l’avance le délai minimal nécessaire dans lequel un acte législatif peut être adopté sur la base de l’article 78, paragraphe 2, TFUE, de sorte que ce critère apparaît impraticable.

102    Cela est d’ailleurs mis en évidence par le fait que, en l’espèce, la proposition de règlement comportant un mécanisme de relocalisation permanent, alors qu’elle a été présentée le 9 septembre 2015, soit le même jour où fut présentée la proposition initiale de la Commission qui deviendra par la suite la décision attaquée, n’a, au jour du prononcé du présent arrêt, pas été adoptée.

103    Eu égard à ce qui précède, la première branche du cinquième moyen de la République slovaque et le deuxième moyen de la Hongrie doivent être écartés comme non fondés.

3.      Sur la seconde branche du cinquième moyen de la République slovaque, tiré de ce que la décision attaquée ne satisfait pas aux conditions d’application de l’article 78, paragraphe 3, TFUE

a)      Argumentation des parties

104    La République slovaque soutient que, à trois égards, la décision attaquée ne respecte pas la condition d’application de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, selon laquelle l’État membre bénéficiaire des mesures provisoires doit se trouver « dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers ».

105    En premier lieu, la République slovaque soutient que l’afflux de ressortissants de pays tiers en Grèce et en Italie au moment de l’adoption de la décision attaquée ou immédiatement avant son adoption était raisonnablement prévisible et ne saurait dès lors être qualifié de « soudain ».

106    À cet égard, les données statistiques pour les années 2013 et 2014 et les premiers mois de l’année 2015 indiqueraient que le nombre de ressortissants de pays tiers se dirigeant vers la Grèce et l’Italie avait augmenté de manière continue et que, dès la fin de l’année 2013 et au début de l’année 2014, cette augmentation a été considérable. En outre, pour ce qui est de l’Italie, les données pour l’année 2015 auraient plutôt indiqué une baisse interannuelle du nombre de migrants.

107    En deuxième lieu, la République slovaque fait valoir que, à tout le moins s’agissant de la situation en Grèce, il n’existe pas de lien causal entre la situation d’urgence et l’afflux de ressortissants de pays tiers dans cet État membre, alors que l’existence d’un tel lien serait exigée par l’adjonction du qualificatif « caractérisée » à la situation d’urgence visée à l’article 78, paragraphe 3, TFUE. Il serait en effet constant que l’organisation de la politique d’asile de la République hellénique accuserait, depuis longtemps, d’importantes déficiences, lesquelles seraient sans lien de causalité direct avec le phénomène migratoire caractéristique de la période au cours de laquelle la décision attaquée a été adoptée.

108    En troisième lieu, la République slovaque soutient que, alors que l’article 78, paragraphe 3, TFUE vise à résoudre des situations d’urgence existantes ou imminentes, la décision attaquée régit, au moins en partie, des situations hypothétiques futures.

109    En effet, la période d’application de deux, voire de trois ans de la décision attaquée serait trop longue pour pouvoir affirmer que, tout au long de cette période, les mesures adoptées répondront à la situation d’urgence, actuelle ou imminente, qui touche la République hellénique et la République italienne. Ainsi, au cours de ladite période, la situation d’urgence pourrait être amenée à disparaître dans ces États membres. De plus, le mécanisme de relocalisation de 54 000 personnes prévu à l’article 4, paragraphe 3, de la décision attaquée viserait à répondre à des situations totalement hypothétiques dans d’autres États membres.

110    La République de Pologne soutient ce point de vue en arguant que l’article 78, paragraphe 3, TFUE vise une situation de crise à la fois préexistante et actuelle qui exige l’adoption de mesures correctives immédiates et non, comme le ferait la décision attaquée, des situations de crise pouvant se produire à l’avenir, mais dont la survenance, la nature et l’ampleur sont incertaines ou difficilement prévisibles.

111    Le Conseil et les États membres le soutenant font valoir que la situation d’urgence sans précédent qui est à l’origine de la décision attaquée, mise en évidence par les données statistiques mentionnées aux considérants 13 et 26 de cette décision, a été à la fois caractérisée et principalement causée par un afflux soudain et massif de ressortissants de pays tiers, en particulier lors des mois de juillet et d’août 2015.

112    Le Conseil soutient en outre que le fait que la décision attaquée se réfère à des événements ou à des situations futurs n’est pas incompatible avec l’article 78, paragraphe 3, TFUE.

b)      Appréciation de la Cour

113    Il convient, en premier lieu, d’examiner l’argument de la République slovaque selon lequel l’afflux de ressortissants de pays tiers sur les territoires grec et italien au cours de l’année 2015 ne pourrait être qualifié de « soudain », au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, dès lors qu’il s’inscrivait dans le prolongement d’un afflux déjà important constaté durant l’année 2014, de sorte qu’il était prévisible.

114    À cet égard, il y a lieu de considérer que peut être qualifié de « soudain », au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, un afflux de ressortissants de pays tiers d’une ampleur telle qu’il était imprévisible, et ce alors même qu’il prendrait place dans un contexte de crise migratoire s’étalant sur plusieurs années, dès lors qu’il rend impossible le fonctionnement normal du système commun d’asile de l’Union.

115    En l’espèce, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 3 de ses conclusions, la décision attaquée est intervenue dans le contexte de la crise migratoire, évoquée au considérant 3 de cette décision, qui a frappé l’Union à partir de l’année 2014 puis s’est accrue durant l’année 2015, en particulier au cours des mois de juillet et d’août de cette année, ainsi que de la situation humanitaire catastrophique à laquelle cette crise a donné lieu dans les États membres, en particulier ceux situés en première ligne, tels la République hellénique et la République italienne, qui ont été confrontés à un afflux massif de migrants dont la plupart provenant de pays tiers tels que la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak et l’Érythrée.

116    Selon des données statistiques de l’agence Frontex, fournies en annexe du mémoire en intervention du Grand-Duché de Luxembourg, au cours de l’année 2015, pour toute l’Union, 1,83 million de franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Union ont été dénombrés contre 283 500 s’agissant de l’année 2014. Par ailleurs, d’après les données statistiques d’Eurostat, au cours de l’année 2015, près de 1,3 million de migrants ont demandé une protection internationale dans l’Union contre 627 000 au cours de l’année précédente.

117    Il ressort en outre spécifiquement des données statistiques mentionnées au considérant 13 de la décision attaquée, provenant de l’agence Frontex, que la République hellénique et la République italienne ont été confrontées, au cours des huit premiers mois de l’année 2015 et, en particulier, au cours des mois de juillet et d’août de cette année, à un afflux massif de ressortissants de pays tiers sur leur territoire, en particulier de ressortissants ayant une nationalité visée à l’article 3, paragraphe 2, de cette décision, de sorte que la pression migratoire sur les régimes d’asile italien et grec s’est fortement accrue pendant cette période.

118    Ainsi, selon ces données, s’agissant de la République italienne, pendant les huit premiers mois de l’année 2015, 116 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures de cet État membre ont été détectés. Au cours des mois de juillet et d’août 2015, 34 691 migrants sont arrivés en Italie de manière irrégulière, soit une augmentation de 20 % par rapport aux mois de mai et de juin 2015.

119    Les données statistiques concernant la République hellénique, mentionnées au considérant 13 de la décision attaquée, sont plus révélatrices encore de cette forte augmentation de l’afflux de migrants. Au cours des huit premiers mois de l’année 2015, plus de 211 000 migrants en situation irrégulière sont arrivés sur le territoire grec. Pendant les seuls mois de juillet et d’août de cette année, l’agence Frontex a dénombré 137 000 franchissements irréguliers des frontières, soit une augmentation de 250 % par rapport aux mois de mai et de juin 2015.

120    Par ailleurs, il ressort du considérant 14 de la décision attaquée que, selon des chiffres provenant d’Eurostat et de l’EASO, 39 183 personnes ont demandé une protection internationale en Italie entre les mois de janvier et de juillet 2015, contre 30 755 au cours de la même période de l’année 2014 (soit une progression de 27 %) et qu’une augmentation similaire du nombre de demandes a été enregistrée en Grèce, qui a recensé 7 475 demandeurs (soit une hausse de 30 %).

121    Il ressort en outre du considérant 26 de la décision attaquée que le Conseil a précisément fixé le nombre total de 120 000 personnes à relocaliser sur la base du nombre global de ressortissants de pays tiers qui sont entrés irrégulièrement en Grèce ou en Italie aux mois de juillet et d’août de l’année 2015 et qui ont manifestement besoin d’une protection internationale.

122    Il s’ensuit que le Conseil a ainsi constaté, sur la base de données statistiques non contestées par la République slovaque, une forte augmentation de l’afflux de ressortissants de pays tiers en Grèce et en Italie sur un court laps de temps, en particulier pendant les mois de juillet et d’août de l’année 2015.

123    Or, il convient de considérer que, dans de telles conditions, le Conseil pouvait qualifier, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, de « soudaine » au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, une telle augmentation même si elle s’inscrivait dans le prolongement d’une période d’arrivées déjà massives de migrants.

124    À cet égard, il convient de rappeler qu’il doit être reconnu aux institutions de l’Union un large pouvoir d’appréciation lorsqu’elles adoptent des mesures dans des domaines qui impliquent de leur part des choix notamment de nature politique et des appréciations complexes (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2016, Pologne/Parlement et Conseil, C‑358/14, EU:C:2016:323, point 79 et jurisprudence citée).

125    Pour ce qui concerne, en deuxième lieu, l’argument, soulevé par la République slovaque, tiré de l’interprétation stricte de l’adjectif « caractérisée » qualifiant la « situation d’urgence » visée à l’article 78, paragraphe 3, TFUE, il convient de relever que, si une minorité des versions linguistiques de l’article 78, paragraphe 3, TFUE utilise non pas le terme « caractérisée » mais le terme « causée », ces deux termes doivent, dans le contexte de cette disposition et au vu de son objectif visant à permettre l’adoption rapide de mesures provisoires destinées à réagir de manière efficace à une situation d’urgence migratoire, être compris dans le même sens de l’exigence d’un lien suffisamment étroit entre la situation d’urgence en cause et l’afflux soudain de ressortissants de pays tiers.

126    Or, il ressort des considérants 12, 13 et 26 de la décision attaquée ainsi que des données statistiques y mentionnées qu’un lien suffisamment étroit a été constaté entre la situation d’urgence en Grèce et en Italie, à savoir la pression considérable s’exerçant sur les régimes d’asile de ces États membres, et l’afflux de migrants au cours de l’année 2015 et en particulier lors des mois de juillet et d’août de cette année.

127    Cette constatation factuelle ne saurait être remise en cause par l’existence d’autres facteurs ayant également pu contribuer à cette situation d’urgence, parmi lesquels les déficiences structurelles de ces régimes en termes de manque de capacité d’hébergement et de traitement des demandes.

128    Par ailleurs, l’ampleur de l’afflux de migrants auquel étaient confrontés les régimes d’asile grec et italien au cours de l’année 2015 était telle qu’elle aurait perturbé tout régime d’asile, y compris un régime ne connaissant pas de faiblesses structurelles.

129    En troisième lieu, il y a lieu de rejeter l’argument de la République slovaque, soutenu par la République de Pologne, selon lequel la décision attaquée ne pouvait pas être valablement adoptée sur la base de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, dès lors qu’elle viserait à résoudre non pas une situation d’urgence survenue ou imminente touchant la République hellénique et la République italienne, mais, du moins en partie, des situations hypothétiques et futures, c’est-à-dire des situations pour lesquelles, lors de l’adoption de cette décision, il n’était pas possible d’affirmer avec un degré de probabilité suffisant qu’elles se produiraient.

130    En effet, il ressort des considérants 13 et 26 de la décision attaquée qu’elle a été adoptée en raison d’une situation d’urgence à laquelle la République hellénique et la République italienne ont été confrontées durant l’année 2015, plus précisément aux mois de juillet et d’août de cette année, et qui, partant, était bel et bien survenue avant la date d’adoption de cette décision, même s’il ressort du considérant 16 de celle-ci que le Conseil a également pris en compte le fait que cette situation d’urgence persisterait très probablement en raison de l’instabilité et des conflits constants dans le voisinage immédiat de l’Italie et de la Grèce.

131    En outre, compte tenu du fait qu’il est inhérent aux flux migratoires que ceux-ci peuvent évoluer rapidement, notamment en se déplaçant vers d’autres États membres, la décision attaquée comporte divers mécanismes, en particulier à son article 1er, paragraphe 2, à son article 4, paragraphes 2 et 3, et à son article 11, paragraphe 2, visant à ajuster son dispositif au regard d’un changement éventuel de la situation d’urgence initiale, notamment si celle-ci venait à se manifester dans d’autres États membres.

132    L’article 78, paragraphe 3, TFUE ne s’oppose pas à ce que de tels mécanismes d’ajustement s’ajoutent aux mesures provisoires prises au titre de cette disposition.

133    En effet, ladite disposition confère un large pouvoir d’appréciation au Conseil dans le choix des mesures pouvant être prises afin de répondre de manière rapide et efficace à une situation d’urgence particulière ainsi qu’à de possibles évolutions dont celle-ci pourrait faire l’objet.

134    Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 130 de ses conclusions, répondre à l’urgence n’exclut pas le caractère évolutif et adapté de la réponse, pourvu que celle-ci conserve son caractère provisoire.

135    Partant, la seconde branche du cinquième moyen de la République slovaque doit être rejetée.

D.      Sur les moyens relatifs à la régularité de la procédure d’adoption de la décision attaquée et tirés de la violation des formes substantielles

1.      Sur le premier moyen de la République slovaque et le septième moyen de la Hongrie, tirés d’une violation de l’article 68 TFUE

a)      Argumentation des parties

136    La République slovaque et la Hongrie soutiennent que, dès lors que la décision attaquée a été adoptée à la majorité qualifiée alors qu’il découlait des conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 que celle-ci devait être adoptée « par consensus » et « en tenant compte de la situation particulière de chaque État membre », le Conseil a enfreint l’article 68 TFUE et a violé les formes substantielles.

137    La République slovaque et la Hongrie estiment que, lors de l’adoption de la décision attaquée, le Conseil aurait dû respecter les orientations découlant de ces conclusions, en particulier l’exigence d’une répartition des demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale entre les États membres par une décision adoptée à l’unanimité, soit sous la forme de contingents volontairement consentis par les États membres.

138    Le respect par le Conseil des conclusions du Conseil européen aurait été d’autant plus important que le Conseil aurait dû prendre en compte le fait que la relocalisation de demandeurs d’une protection internationale est une question politiquement sensible pour plusieurs États membres car une telle mesure porterait une atteinte considérable à l’actuel système découlant de l’application du règlement Dublin III.

139    La Hongrie estime en particulier que, puisque les conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 ne prévoyaient expressément une prise de décision du Conseil que pour la relocalisation de 40 000 demandeurs de protection internationale, le Conseil ne pouvait décider de la relocalisation de 120 000 demandeurs supplémentaires sans avoir obtenu un accord de principe du Conseil européen à cet effet. Partant, tant la présentation par la Commission d’une proposition de décision comportant une telle relocalisation supplémentaire que l’adoption par le Conseil de cette proposition constitueraient une violation de l’article 68 TFUE et des formes substantielles.

140    Le Conseil soutient qu’il n’existe pas de contradiction entre la décision attaquée et les conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015.

141    En outre, cette institution fait valoir que les conclusions par lesquelles le Conseil européen définit des orientations, même si celles-ci s’imposent à l’Union en vertu de l’article 15 TUE et ne sont dès lors pas de nature purement politique, ne fournissent à l’action des autres institutions ni une base juridique ni des règles et des principes au regard desquels peut être exercé le contrôle juridictionnel de la légalité des actes des autres institutions de l’Union.

142    La Commission soutient que les conclusions du Conseil européen n’ayant aucun caractère contraignant mais uniquement des incidences sur le plan politique, de telles conclusions ne peuvent conditionner ni limiter, du point de vue juridique, le droit d’initiative de la Commission pour proposer des mesures sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE ou le pouvoir de décision dont dispose le Conseil en vertu de cette disposition après consultation du Parlement.

b)      Appréciation de la Cour

143    Les conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 énoncent que les États membres devraient décider « par consensus » de la répartition « en tenant compte de la situation particulière de chaque État membre ». Sur ce point, ces conclusions visent expressément « la relocalisation temporaire et exceptionnelle sur deux ans, depuis l’Italie et la Grèce vers d’autres États membres, de 40 000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale » par la voie de « l’adoption rapide par le Conseil d’une décision à cet effet ».

144    Or, ce mécanisme de relocalisation de 40 000 personnes a fait l’objet de la décision 2015/1523 qui a été adoptée, le 14 septembre 2015, par consensus. Aussi, cette décision a-t-elle, sur ce point, intégralement mis en œuvre lesdites conclusions.

145    S’agissant de la prétendue incidence de la nature dite « politique » des conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015, tant sur le pouvoir d’initiative législative de la Commission que sur les règles de vote au sein du Conseil prévus à l’article 78, paragraphe 3, TFUE, une incidence de cette nature, à la supposer avérée et délibérée dans le chef du Conseil européen, ne saurait constituer un motif d’annulation de la décision attaquée par la Cour.

146    En effet, d’une part, le pouvoir d’initiative législative reconnu à la Commission par l’article 17, paragraphe 2, TUE et par l’article 289 TFUE, qui s’inscrit dans le principe d’attribution des pouvoirs consacré à l’article 13, paragraphe 2, TUE et, plus largement, dans le principe de l’équilibre institutionnel, caractéristique de la structure institutionnelle de l’Union, implique qu’il revient à la Commission de décider de la présentation d’une proposition d’acte législatif. Dans ce contexte, il revient également à la Commission, qui, conformément à l’article 17, paragraphe 1, TUE, promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin, de déterminer l’objet, la finalité ainsi que le contenu de cette proposition (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission, C‑409/13, EU:C:2015:217, points 64 et 70).

147    Ces principes s’appliquent également au pouvoir d’initiative de la Commission dans le cadre de l’adoption, sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, d’actes non législatifs, tels que la décision attaquée. À cet égard, ainsi que l’a également observé M. l’avocat général au point 145 de ses conclusions, l’article 78, paragraphe 3, TFUE ne subordonne pas le pouvoir d’initiative de la Commission à l’existence préalable d’orientations définies par le Conseil européen au titre de l’article 68 TFUE.

148    D’autre part, l’article 78, paragraphe 3, TFUE permet au Conseil d’adopter des mesures à la majorité qualifiée, ainsi que l’a fait le Conseil en adoptant la décision attaquée. Le principe de l’équilibre institutionnel interdit que le Conseil européen modifie cette règle de vote en imposant au Conseil, au travers de conclusions prises conformément à l’article 68 TFUE, une règle de vote à l’unanimité.

149    En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, dans la mesure où les règles relatives à la formation de la volonté des institutions de l’Union sont établies par les traités et ne sont à la disposition ni des États membres ni des institutions elles-mêmes, seuls les traités peuvent, dans des cas particuliers, habiliter une institution à modifier une procédure décisionnelle qu’ils établissent (arrêt du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C‑363/14, EU:C:2015:579, point 43).

150    Il s’ensuit que le premier moyen de la République slovaque et le septième moyen de la Hongrie doivent être rejetés comme étant non fondés.

2.      Sur la troisième branche du troisième moyen et la première branche du quatrième moyen de la République slovaque ainsi que le cinquième moyen de la Hongrie, tirés d’une violation des formes substantielles, en ce que le Conseil n’a pas respecté l’obligation de consultation du Parlement prévue à l’article 78, paragraphe 3, TFUE

a)      Argumentation des parties

151    La République slovaque et la Hongrie font valoir que, dès lors que le Conseil a apporté des modifications substantielles à la proposition initiale de la Commission et a adopté la décision attaquée sans consulter à nouveau le Parlement, il a violé les formes substantielles prescrites à l’article 78, paragraphe 3, TFUE, ce qui doit entraîner l’annulation de la décision attaquée. La République slovaque estime que, en procédant ainsi, le Conseil a également enfreint l’article 10, paragraphes 1 et 2, et l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi que les principes de la démocratie représentative, de l’équilibre institutionnel et de bonne administration.

152    Les modifications les plus importantes de la proposition initiale de la Commission concerneraient le fait que, dans la décision attaquée, la Hongrie ne figure plus parmi les États membres bénéficiaires de la relocalisation au même titre que la République hellénique et la République italienne, mais parmi les États membres de relocalisation, ce qui aurait notamment conduit à la suppression de l’annexe III de la proposition initiale de la Commission, relative aux contingents de relocalisation à partir de la Hongrie, et à l’inclusion de ce dernier État membre dans les annexes I et II de la décision attaquée.

153    La République slovaque fait état d’autres modifications figurant dans la décision attaquée par rapport à la proposition initiale de la Commission, dont le fait que cette décision n’arrête pas une liste exhaustive des États membres pouvant bénéficier du régime de relocalisation qu’elle instaure, mais prévoit, à son article 4, paragraphe 3, que d’autres États membres peuvent en bénéficier s’ils remplissent les conditions prévues à cette disposition.

154    Les parties requérantes font grief au Conseil de ne pas avoir consulté à nouveau le Parlement après avoir apporté ces modifications à la proposition initiale de la Commission, alors même que, dans sa résolution du 17 septembre 2015, le Parlement avait demandé au Conseil de le consulter à nouveau si celui-ci entendait modifier de manière substantielle la proposition de la Commission.

155    Bien que la présidence de l’Union aurait régulièrement informé le Parlement, en particulier la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement, de l’évolution du dossier au Conseil, ces informations ne pourraient remplacer une résolution formelle du Parlement adoptée en séance plénière.

156    La Hongrie se réfère à cet égard à deux lettres adressées par le président de la commission des affaires juridiques du Parlement au président du Parlement, dans lesquelles cette commission serait arrivée à la conclusion selon laquelle le Conseil avait modifié de façon substantielle la proposition initiale de la Commission en retirant la Hongrie du cercle des États membres bénéficiaires, de sorte que le Parlement aurait dû à nouveau être consulté.

157    Le Conseil soutient à titre principal que, eu égard notamment à l’urgence du dossier, il a procédé à une consultation suffisante du Parlement permettant à cette institution de connaître, en temps utile, le contenu du texte final de la décision attaquée et de se prononcer à ce sujet. En tout état de cause, le texte de la décision attaquée, tel que finalement adopté et considéré dans son ensemble, ne s’écarterait pas substantiellement de celui sur lequel le Parlement avait été consulté le 14 septembre 2015.

b)      Appréciation de la Cour

158    À titre liminaire, il y a lieu de relever que le Conseil fait valoir que les lettres de la commission des affaires juridiques du Parlement qui ont été produites par la Hongrie en annexe de son mémoire en réplique et qui sont visées au point 156 du présent arrêt constituent des éléments de preuve irrecevables dès lors qu’elles ont été obtenues de manière irrégulière. Il demande à la Cour, à titre conservatoire, de les écarter du dossier des présentes affaires. À l’instar de la Hongrie, il sollicite de la Cour l’adoption d’une mesure d’instruction consistant à inviter le Parlement à confirmer l’authenticité de ces lettres et, le cas échéant, à clarifier leur statut juridique, ainsi qu’à informer la Cour de son accord éventuel pour que la Hongrie les utilise comme éléments de preuve.

159    À cet égard, la Cour estime que, dès lors qu’elle a été suffisamment informée des éléments factuels relatifs à la question de savoir si, en l’espèce, le Conseil s’est conformé à son obligation de consultation du Parlement, telle que prévue à l’article 78, paragraphe 3, TFUE, elle est en mesure de trancher cette question de droit sans qu’il soit besoin d’imposer au Parlement la mesure d’instruction sollicitée.

160    Quant au fond, il y a lieu de rappeler que la consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l’acte concerné. La participation effective du Parlement au processus décisionnel, selon les procédures prévues par le traité, représente, en effet, un élément essentiel de l’équilibre institutionnel voulu par le traité. Cette compétence constitue l’expression d’un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative (voir en ce sens, notamment, arrêts du 11 novembre 1997, Eurotunnel e.a., C‑408/95, EU:C:1997:532, point 45, et du 7 mars 2017, RPO, C‑390/15, EU:C:2017:174, points 24 et 25).

161    Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’obligation de consulter le Parlement au cours de la procédure décisionnelle, dans les cas prévus par le traité, implique l’exigence d’une nouvelle consultation à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s’écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l’exception des cas où les amendements correspondent, pour l’essentiel, au souhait exprimé par le Parlement lui-même (voir, notamment, arrêts du 11 novembre 1997, Eurotunnel e.a., C‑408/95, EU:C:1997:532, point 46, et du 7 mars 2017, RPO, C‑390/15, EU:C:2017:174, point 26).

162    Constituent des modifications substantielles nécessitant une nouvelle consultation du Parlement les modifications qui touchent le cœur même du dispositif mis en place ou qui affectent le système du projet dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 1994, Parlement/Conseil, C‑388/92, EU:C:1994:213, points 13 et 18).

163    À cet égard, si les différentes modifications de la proposition initiale de la Commission relatives au changement de statut de la Hongrie ont été apportées par le Conseil à la suite du refus de cet État membre de bénéficier du mécanisme de relocalisation tel que prévu par cette proposition, il n’en demeure pas moins que, compte tenu en particulier du fait que l’article 78, paragraphe 3, TFUE vise l’adoption de mesures provisoires au profit d’un ou de plusieurs États membres se trouvant dans une situation d’urgence au sens de cette disposition, la détermination des États membres bénéficiaires desdites mesures provisoires constitue un élément essentiel de toute mesure adoptée sur le fondement de cette même disposition.

164    Il doit donc être considéré que le texte de la décision attaquée tel que finalement adopté, considéré dans son ensemble, s’écarte dans sa substance même de celui de la proposition initiale de la Commission.

165    Il importe toutefois de relever que, le 16 septembre 2015, la présidence du Conseil a déclaré, lors d’une session plénière extraordinaire du Parlement :

« Vu l’urgence de la situation et comme annoncé dans la lettre de consultation du Parlement, je profite de l’occasion pour vous informer qu’il y aura un changement important par rapport à la proposition initiale [de la Commission].

La Hongrie ne se considère pas comme un pays de première ligne et nous a informés qu’elle ne souhaite pas être bénéficiaire de la relocalisation.

Le Parlement pourra prendre en compte cet élément dans son avis. »

166    Partant, dans sa résolution législative du 17 septembre 2015 exprimant son soutien à la proposition initiale de la Commission, le Parlement a forcément dû tenir compte de cette modification fondamentale du statut de la Hongrie qui s’imposait au Conseil.

167    En outre, si, après l’adoption par le Parlement de ladite résolution législative, le Conseil a apporté d’autres modifications à la proposition initiale de la Commission, ces modifications n’ont pas affecté la substance même de cette proposition.

168    Par ailleurs, la présidence du Conseil a, dans le cadre des contacts informels annoncés dans la lettre de consultation, pleinement informé le Parlement de ces modifications.

169    Partant, l’obligation de consultation du Parlement prévue à l’article 78, paragraphe 3, TFUE a été respectée.

170    Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter comme étant non fondés la troisième branche du troisième moyen et la première branche du quatrième moyen de la République slovaque ainsi que le cinquième moyen de la Hongrie.

3.      Sur la seconde branche du quatrième moyen de la République slovaque et le troisième moyen de la Hongrie, tirés d’une violation de formes substantielles en ce que le Conseil n’a pas statué à l’unanimité contrairement à l’article 293, paragraphe 1, TFUE

a)      Argumentation des parties

171    La République slovaque et la Hongrie soutiennent que le Conseil, en adoptant la décision attaquée, a violé la forme substantielle prescrite à l’article 293, paragraphe 1, TFUE, en ce qu’il a amendé la proposition de la Commission sans respecter l’unanimité exigée par cette disposition. La République slovaque considère que, ce faisant, le Conseil a également violé l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi que les principes de l’équilibre institutionnel et de bonne administration.

172    L’exigence d’unanimité prévue à l’article 293, paragraphe 1, TFUE s’appliquerait à toute modification de la proposition de la Commission, y compris en cas de modification mineure et indépendamment du point de savoir si la Commission a explicitement ou implicitement accepté les modifications apportées à sa proposition lors des discussions au sein du Conseil.

173    Les parties requérantes font valoir que rien n’indique que, au cours de la procédure d’adoption de la décision attaquée, la Commission aurait retiré sa proposition et présenté une nouvelle proposition rédigée en des termes identiques à ceux du texte finalement adopté. Il découlerait au contraire du procès-verbal de la session du Conseil du 22 septembre 2015 que la Commission n’a ni déposé de nouvelle proposition ni fait de déclaration préalable au sujet du projet modifié tel que finalement adopté par le Conseil.

174    Or, il serait exigé que la Commission adhère activement et explicitement aux modifications concernées afin de pouvoir considérer que celle-ci a modifié sa proposition, au sens de l’article 293, paragraphe 2, TFUE. Le cas d’espèce serait à cet égard différent de celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C‑280/93, EU:C:1994:367).

175    Le Conseil rétorque que, le 22 septembre 2015, lors de la réunion du Conseil à laquelle la décision attaquée a été adoptée, la Commission, représentée par son premier vice-président et par le commissaire compétent en matière d’asile et d’immigration, a accepté toutes les modifications apportées par le Conseil à la proposition initiale de la Commission. Cet accord, même s’il était considéré comme implicite, équivaudrait à une modification de sa proposition par cette dernière institution.

176    De même, la Commission soutient qu’elle a modifié sa proposition conformément aux modifications adoptées par les commissaires compétents en son nom afin de faciliter son adoption.

b)      Appréciation de la Cour

177    L’article 293 TFUE assortit le pouvoir d’initiative de la Commission, en l’occurrence celui conféré par l’article 78, paragraphe 3, TFUE dans le cadre d’une procédure non législative, d’une double garantie. D’une part, l’article 293, paragraphe 1, TFUE dispose que, en dehors des cas visés par les dispositions du traité FUE qui y sont mentionnées et qui sont sans pertinence en l’espèce, le Conseil, lorsqu’il statue, en vertu des traités, sur proposition de la Commission, ne peut amender la proposition qu’en statuant à l’unanimité. D’autre part, aux termes de l’article 293, paragraphe 2, TFUE, tant que le Conseil n’a pas statué, la Commission peut modifier sa proposition tout au long des procédures conduisant à l’adoption d’un acte de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission, C‑409/13, EU:C:2015:217, points 71 à 73).

178    Il s’ensuit que, si, conformément à l’article 293, paragraphe 2, TFUE, la Commission modifie sa proposition au cours de la procédure d’adoption d’un acte de l’Union, l’exigence d’unanimité prévue à l’article 293, paragraphe 1, TFUE ne s’impose pas au Conseil.

179    S’agissant de l’article 293, paragraphe 2, TFUE, la Cour a déjà jugé que les propositions modifiées qu’adopte la Commission ne doivent pas nécessairement prendre une forme écrite dès lors qu’elles font partie du processus d’adoption d’actes de l’Union qui se caractérise par une certaine souplesse, nécessaire pour atteindre une convergence de vues entre les institutions (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C‑280/93, EU:C:1994:367, point 36).

180    Or, de telles considérations de souplesse doivent a fortiori prévaloir dans le cadre de la procédure d’adoption d’un acte sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, dès lors que cette disposition vise à permettre que des mesures provisoires soient prises rapidement afin de remédier dans de brefs délais et de manière effective à une « situation d’urgence », au sens de cette disposition.

181    Il en découle que, dans le cadre particulier de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, il peut être considéré que la Commission a exercé son pouvoir de modification visé à l’article 293, paragraphe 2, TFUE lorsqu’il ressort clairement de la participation de cette institution au processus d’adoption de l’acte concerné que la proposition modifiée a été approuvée par la Commission. Une telle interprétation répond à l’objectif de l’article 293, paragraphe 2, TFUE qui vise à protéger le pouvoir d’initiative de la Commission.

182    En l’occurrence, la Commission estime que le pouvoir d’initiative qui lui est reconnu par l’article 78, paragraphe 3, TFUE n’a pas été méconnu.

183    À cet égard, cette institution soutient qu’elle a modifié sa proposition initiale dès lors qu’elle a approuvé les modifications apportées à ce texte lors des différentes réunions tenues au sein du Conseil.

184    Elle relève dans ce contexte qu’elle était représentée auxdites réunions par deux de ses membres, à savoir son premier vice-président et le commissaire chargé, notamment, de l’immigration, qui étaient dûment habilités par le collège des commissaires, conformément à l’article 13 de son règlement intérieur, pour approuver les modifications à sa proposition initiale dans le respect de l’objectif prioritaire, fixé par le collège des commissaires lors de sa réunion du 16 septembre 2015, à savoir l’adoption par le Conseil d’une décision contraignante et applicable sans délai comportant la relocalisation de 120 000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale.

185    À cet égard, il résulte de l’article 13 du règlement intérieur de la Commission, interprété à l’aune de l’objectif de l’article 293, paragraphe 2, TFUE qui vise à protéger le pouvoir d’initiative de la Commission, que le collège des commissaires peut habiliter certains de ses membres à procéder à la modification, en cours de procédure, de la proposition de la Commission dans les limites qu’il a au préalable déterminées.

186    Si la République slovaque et la Hongrie contestent le fait que les deux membres de la Commission en cause avaient été dûment habilités par le collège des commissaires, conformément à l’article 13 du règlement interne de cette institution, pour approuver les modifications apportées à sa proposition, force est de constater que ces États membres n’avancent aucun élément de preuve de nature à mettre en doute la véracité des propos de la Commission et des éléments de preuve versés par celle-ci au dossier.

187    Au vu de ces éléments, il doit être considéré que, en l’occurrence, la Commission a exercé son pouvoir de modification visé à l’article 293, paragraphe 2, TFUE, dès lors qu’il ressort clairement de la participation de cette institution au processus d’adoption de la décision attaquée que la proposition modifiée a été approuvée par la Commission par l’intermédiaire de deux de ses membres qui étaient habilités par le collège des commissaires à adopter les modifications concernées.

188    Partant, l’exigence d’unanimité prévue à l’article 293, paragraphe 1, TFUE ne s’imposait pas au Conseil.

189    Au vu de ce qui précède, il convient d’écarter la seconde branche du quatrième moyen de la République slovaque et le troisième moyen de la Hongrie comme non fondés.

4.      Sur les première et deuxième branches du troisième moyen de la République slovaque et le quatrième moyen de la Hongrie, tirés d’une violation de formes substantielles, en ce que le droit des parlements nationaux de rendre un avis conformément aux protocoles (no 1) et (no 2) n’a pas été respecté et que le Conseil a méconnu l’exigence du caractère public des débats et du vote en son sein

a)      Argumentation des parties

190    La République slovaque, à titre subsidiaire, et la Hongrie font valoir que, lors de l’adoption de la décision attaquée, le droit des parlements nationaux de rendre un avis sur tout projet d’acte législatif, tel que prévu par les protocoles (no 1) et (no 2), n’a pas été respecté.

191    En outre, la République slovaque soutient, à titre subsidiaire, que, si la Cour devait juger que la décision attaquée devait être adoptée selon la procédure législative, le Conseil a violé une forme substantielle, en ce qu’il l’a adoptée à huis clos, conformément à la règle applicable dans l’exercice de ses activités non législatives, alors que l’article 16, paragraphe 8, TUE et l’article 15, paragraphe 2, TFUE prévoient que les réunions du Conseil sont publiques lors de la délibération et du vote sur un projet d’acte législatif.

192    Le Conseil soutient que, dès lors que la décision attaquée est un acte non législatif, cette décision n’était pas soumise aux conditions qui sont attachées à l’adoption d’un acte législatif.

b)      Appréciation de la Cour

193    Dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 67 du présent arrêt, la décision attaquée doit être qualifiée d’acte non législatif, il s’ensuit que l’adoption de cet acte dans le cadre d’une procédure non législative n’était pas assujettie aux exigences relatives à la participation des parlements nationaux prévues par les protocoles (no 1) et (no 2) ni à celles relatives au caractère public de la délibération et du vote au sein du Conseil, qui ne prévalent que dans le cadre de l’adoption de projets d’actes législatifs.

194    Il en découle que les première et deuxième branches du troisième moyen de la République slovaque et le quatrième moyen de la Hongrie doivent être rejetés comme non fondés.

5.      Sur le sixième moyen de la Hongrie, tiré d’une violation de formes substantielles en ce que, lors de l’adoption de la décision attaquée, le Conseil n’a pas respecté les règles du droit de l’Union en matière d’emploi des langues

a)      Argumentation des parties

195    La Hongrie soutient que la décision attaquée est entachée d’une irrégularité procédurale substantielle en ce que le Conseil n’a pas respecté le droit de l’Union en matière d’emploi des langues.

196    En particulier, le Conseil aurait violé l’article 14, paragraphe 1, de son règlement intérieur, dans la mesure où les textes reprenant les modifications successivement apportées à la proposition initiale de la Commission, y compris, in fine, le texte de la décision attaquée tel qu’adopté par le Conseil, auraient été adressés aux États membres uniquement en langue anglaise.

197    Dans son mémoire en réplique, la République slovaque soulève un moyen similaire, qu’elle qualifie d’ordre public, tiré d’une violation des formes substantielles, en ce que le Conseil n’aurait pas respecté le régime d’emploi des langues, en particulier l’article 14, paragraphe 1, de son règlement intérieur, lors de l’adoption de la décision attaquée.

198    Le Conseil soutient que les délibérations du Conseil ont eu lieu en pleine conformité avec le droit de l’Union en matière d’emploi des langues et, en particulier, avec le régime linguistique simplifié s’appliquant aux amendements, conformément à l’article 14, paragraphe 2, de son règlement intérieur.

b)      Appréciation de la Cour

199    À titre liminaire, il y a lieu de relever, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité du moyen soulevé par la République slovaque et tiré d’une violation du droit de l’Union en matière d’emploi des langues, que ce moyen se confond avec le sixième moyen avancé par la Hongrie, qu’il incombe d’examiner au fond.

200    Ledit sixième moyen de la Hongrie est tiré d’une violation de l’article 14 du règlement intérieur du Conseil, intitulé « Délibérations et décisions sur la base de documents et projets établis dans les langues prévues par le régime linguistique en vigueur », et en particulier de l’article 14, paragraphe 1, de ce règlement, qui dispose que, sauf décision contraire prise par le Conseil à l’unanimité et motivée par l’urgence, cette institution ne délibère et ne décide que sur la base de documents et de projets établis dans les langues prévues par le régime linguistique en vigueur. Aux termes de l’article 14, paragraphe 2, dudit règlement, chaque membre du Conseil peut s’opposer au délibéré si le texte des amendements éventuels n’est pas établi dans les langues désignées en vertu du paragraphe 1 de cet article.

201    Le Conseil soutient que ledit article doit être interprété ‑ et est appliqué en pratique par cette institution ‑ en ce sens que, alors que son paragraphe 1 requiert que les projets qui sont « à la base » des délibérations du Conseil, en l’occurrence la proposition initiale de la Commission, doivent en principe être établis dans toutes les langues officielles de l’Union, le paragraphe 2 du même article prévoit un régime simplifié pour les amendements qui ne doivent pas impérativement être disponibles dans toutes les langues officielles de l’Union. Ce serait uniquement en cas d’opposition d’un État membre que les versions linguistiques désignées par celui-ci devraient également être soumises au Conseil avant qu’il puisse continuer à délibérer.

202    Le commentaire du Conseil relatif à son règlement intérieur précise, dans le même sens, que l’article 14, paragraphe 2, de ce règlement permet en particulier à chaque membre du Conseil de s’opposer au délibéré si le texte des amendements éventuels n’est pas établi dans l’ensemble des langues officielles de l’Union.

203    Même si, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, l’Union est attachée à la préservation du multilinguisme, dont l’importance est rappelée à l’article 3, paragraphe 3, quatrième alinéa, TUE (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2015, Espagne/Conseil, C‑147/13, EU:C:2015:299, point 42), l’interprétation par le Conseil de son règlement intérieur doit être retenue. Elle procède en effet d’une approche équilibrée et flexible favorisant l’efficacité et la célérité des travaux du Conseil qui sont d’une importance singulière dans le contexte particulier d’urgence caractérisant la procédure d’adoption des mesures provisoires prises sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE.

204    Il est constant que, en l’occurrence, la proposition initiale de la Commission a été mise à la disposition de toutes les délégations des États membres dans toutes les langues officielles de l’Union. En outre, la Hongrie n’a pas non plus contesté le fait qu’aucun État membre ne s’est opposé à une délibération sur la base de textes reprenant les modifications convenues rédigés en langue anglaise et que, par ailleurs, toutes les modifications ont été lues par le président du Conseil et interprétées simultanément dans toutes les langues officielles de l’Union.

205    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le moyen soulevé par la République slovaque ainsi que le sixième moyen de la Hongrie, tirés d’une violation du régime linguistique de l’Union, comme non fondés.

E.      Sur les moyens au fond

1.      Sur le sixième moyen de la République slovaque ainsi que sur les neuvième et dixième moyens de la Hongrie, tirés d’une violation du principe de proportionnalité

a)      Observations liminaires

206    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir, notamment, arrêt du 4 mai 2016, Pologne/Parlement et Conseil, C‑358/14, EU:C:2016:323, point 78 et jurisprudence citée).

207    S’agissant du contrôle juridictionnel du respect de ce principe, il convient également de rappeler, comme cela a déjà été indiqué au point 124 du présent arrêt, qu’il doit être reconnu aux institutions de l’Union un large pouvoir d’appréciation lorsqu’elles adoptent des mesures dans des domaines qui impliquent de leur part des choix notamment de nature politique et des appréciations complexes. Par conséquent, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée dans un de ces domaines, par rapport à l’objectif que ces institutions entendent poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir en ce sens, notamment, arrêt du 4 mai 2016, Pologne/Parlement et Conseil, C‑358/14, EU:C:2016:323, point 79 et jurisprudence citée).

208    Les principes consacrés par cette jurisprudence de la Cour s’appliquent pleinement aux mesures adoptées dans le domaine de la politique commune de l’Union en matière d’asile et, en particulier, aux mesures provisoires arrêtées sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, telles que celles prévues par la décision attaquée, qui impliquent des choix essentiellement de nature politique et des appréciations complexes devant, de surcroît, être opérés dans de brefs délais afin de répondre de manière rapide et concrète à une « situation d’urgence », au sens de cette disposition.

b)      Sur le sixième moyen de la République slovaque, en ce qu’il est tiré de l’inaptitude de la décision attaquée à atteindre l’objectif qu’elle poursuit

1)      Argumentation des parties

209    La République slovaque, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que la décision attaquée n’est pas apte à atteindre l’objectif qu’elle poursuit et que cette décision est dès lors contraire au principe de proportionnalité, tel que consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE ainsi qu’aux articles 1er et 5 du protocole (no 2).

210    La décision attaquée ne serait pas apte à réaliser cet objectif dès lors que le mécanisme de relocalisation qu’elle prévoit n’est pas de nature à remédier aux déficiences structurelles des régimes d’asile grec et italien. Ces déficiences, liées au manque de capacités d’accueil et de traitement des demandes de protection internationale, devraient d’abord être résolues avant que cette relocalisation puisse effectivement être mise en œuvre. Par ailleurs, le nombre peu élevé de relocalisations ayant été effectuées à ce jour démontrerait que le mécanisme de relocalisation prévu par la décision attaquée était, dès son adoption, impropre à atteindre l’objectif escompté.

211    Le Conseil et les États membres le soutenant font valoir que, même si les régimes d’asile grec et italien connaissent des déficiences structurelles, le mécanisme de relocalisation que prévoit la décision attaquée est apte à réaliser son objectif, en ce qu’il allège la pression intenable s’exerçant sur les régimes d’asile de la République hellénique et de la République italienne à la suite de l’afflux sans précédent de migrants sur leurs territoires respectifs au cours de l’année 2015, lequel aurait d’ailleurs été intenable pour n’importe quel État membre, y compris pour ceux dont le régime d’asile ne présente pas de faiblesses structurelles. Par ailleurs, ce mécanisme de relocalisation ferait partie d’un large éventail de mesures financières et opérationnelles visant à venir en aide aux régimes d’asile de la République hellénique et de la République italienne. En outre, la décision attaquée imposerait des obligations à ces deux États membres, destinées à améliorer l’efficacité de leur régime d’asile respectif.

2)      Appréciation de la Cour

212    L’objectif du mécanisme de relocalisation que prévoit la décision attaquée, à l’aune duquel la proportionnalité de celui-ci doit être examinée, est, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision, lu à la lumière du considérant 26 de celle-ci, d’aider la République hellénique et la République italienne à affronter une situation d’urgence, caractérisée par un afflux soudain, sur leur territoire respectif, de ressortissants de pays tiers ayant manifestement besoin d’une protection internationale, en allégeant la pression considérable pesant sur les régimes d’asile de ces deux États membres.

213    Or, il ne saurait être considéré que le mécanisme de relocalisation d’un nombre important de demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale que prévoit la décision attaquée est une mesure qui serait manifestement impropre à contribuer à cet objectif.

214    Il apparaît tout autant difficilement contestable que tout régime d’asile, même un régime ne connaissant pas de faiblesses structurelles en termes d’accueil et de capacité de traitement des demandes de protection internationale, aurait été gravement perturbé par l’afflux sans précédent de migrants qui a eu lieu en Grèce et en Italie au cours de l’année 2015.

215    En outre, le mécanisme de relocalisation que prévoit la décision attaquée fait partie d’un ensemble de mesures visant à alléger la charge pesant sur ces deux États membres, dont un certain nombre ont précisément pour objet d’améliorer le fonctionnement de leur régime d’asile respectif, de sorte que l’aptitude de ce mécanisme à atteindre ses objectifs ne saurait être évaluée isolément, mais doit être appréhendée dans le cadre de l’ensemble des mesures dont il fait partie.

216    Ainsi, la décision attaquée prévoit-elle, à son article 8, des mesures complémentaires, notamment en matière de renforcement de la capacité, de la qualité et de l’efficacité des régimes d’asile devant être prises par la République hellénique et par la République italienne, qui s’ajoutent aux mesures déjà imposées par l’article 8 de la décision 2015/1523, et dont le but est, selon le considérant 18 de la décision attaquée, d’obliger ces États membres à « fournir des solutions structurelles permettant de faire face aux pressions exceptionnelles exercées sur leurs régimes d’asile et de migration par la mise en place d’un cadre stratégique solide pour faire face à la situation de crise et intensifier le processus de réforme en cours dans ces domaines ».

217    En outre, l’article 7 de la décision attaquée prévoit la fourniture d’un soutien opérationnel auxdits États membres et son article 10 prévoit un soutien financier à leur profit pour chaque personne relocalisée.

218    Le mécanisme de relocalisation que prévoit la décision attaquée s’ajoute du reste à d’autres mesures qui visent à soulager les régimes d’asile italien et grec qui ont été gravement perturbés par les afflux massifs successifs constatés à partir de l’année 2014. Il en va ainsi du programme européen de réinstallation de 22 504 personnes ayant besoin d’une protection internationale, dont les États membres et les États associés au système découlant de l’application du règlement Dublin III sont convenus le 20 juillet 2015, de la décision 2015/1523 portant sur la relocalisation de 40 000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale, ou encore de la mise en place de « hotspots » en Italie et en Grèce dans le cadre desquels l’ensemble des agences de l’Union compétentes en matière d’asile et des experts des États membres travaillent concrètement avec les autorités nationales et locales pour aider les États membres concernés à remplir leurs obligations prévues par le droit de l’Union vis-à-vis de telles personnes, en termes de contrôle, d’identification, d’enregistrement des témoignages et de prises d’empreintes digitales.

219    Par ailleurs, ainsi que le rappelle le considérant 15 de la décision attaquée, la République hellénique et la République italienne ont pu bénéficier d’un soutien opérationnel et d’aides financières importants de l’Union dans le cadre de la politique de migration et d’asile.

220    Enfin, il ne peut être déduit a posterioridu nombre peu élevé de relocalisations effectuées à ce jour en application de la décision attaquée que celle-ci était, dès son origine, impropre à atteindre l’objectif poursuivi, ainsi que le soutiennent la République slovaque, de même que la Hongrie dans le cadre de son neuvième moyen.

221    En effet, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que la validité d’un acte de l’Union ne saurait dépendre d’appréciations rétrospectives concernant son degré d’efficacité. Lorsque le législateur de l’Union est amené à apprécier les effets futurs d’une réglementation à prendre alors que ces effets ne peuvent être prévus avec exactitude, son appréciation ne peut être censurée que si elle apparaît manifestement erronée au vu des éléments dont il disposait au moment de l’adoption de la réglementation en cause (voir, notamment, arrêts du 12 juillet 2001, Jippes e.a., C‑189/01, EU:C:2001:420, point 84, et du 9 juin 2016, Pesce e.a., C‑78/16 et C‑79/16, EU:C:2016:428, point 50).

222    En l’occurrence, ainsi qu’il ressort notamment des considérants 13, 14 et 26 de la décision attaquée, lorsqu’il a adopté le mécanisme de relocalisation d’un nombre important de demandeurs d’une protection internationale, le Conseil s’est livré, sur le fondement d’un examen détaillé des données statistiques disponibles à l’époque, à une analyse prospective des effets de cette mesure sur la situation d’urgence en cause. Or, au vu de ces données, cette analyse n’apparaît pas manifestement erronée.

223    Par ailleurs, il apparaît que le nombre peu élevé de relocalisations effectuées à ce jour en application de la décision attaquée peut s’expliquer par un ensemble d’éléments que le Conseil ne pouvait prévoir au moment de l’adoption de celle-ci dont, notamment, le manque de coopération de certains États membres.

224    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter le sixième moyen de la République slovaque, en ce qu’il est tiré de l’inaptitude de la décision attaquée à atteindre l’objectif qu’elle poursuit, comme non fondé.

c)      Sur le sixième moyen de la République slovaque, en ce qu’il est tiré du caractère non nécessaire de la décision attaquée au regard de l’objectif qu’elle vise à atteindre

1)      Argumentation des parties

225    La République slovaque, soutenue par la République de Pologne, fait, tout d’abord, valoir que l’objectif que poursuit la décision attaquée pouvait être réalisé de manière tout aussi efficace en ayant recours à d’autres mesures qui auraient pu être prises dans le cadre d’instruments existants et qui auraient été moins contraignantes pour les États membres et moins intrusives dans le droit « souverain » de chacun de ceux-ci de décider librement de l’admission de ressortissants de pays tiers sur son territoire et du droit des États membres, énoncé à l’article 5 du protocole (no 2), à ce que la charge financière et administrative soit la moins élevée possible.

226    En effet, en premier lieu, il aurait été possible d’appliquer le mécanisme prévu par la directive 2001/55/CE du Conseil, du 20 juillet 2001, relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil (JO 2001, L 212, p. 12).

227    La directive 2001/55 viserait en substance à répondre aux mêmes situations d’afflux massif de migrants que la décision attaquée en prévoyant une procédure de relocalisation des personnes bénéficiant d’une protection temporaire. Toutefois, cette directive serait moins attentatoire au droit souverain de chaque État membre de décider librement de l’admission de ressortissants de pays tiers sur son territoire, surtout en ce qu’elle permettrait aux États membres de décider eux-mêmes du nombre de personnes à relocaliser sur leur territoire au vu de leurs capacités d’accueil. En outre, le statut de protection temporaire conférerait moins de droits que le statut de protection internationale que vise à accorder la décision attaquée, notamment quant à la durée d’une telle protection, et il imposerait ainsi nettement moins de charges à l’État membre de relocalisation.

228    En deuxième lieu, la République slovaque soutient que la République hellénique et la République italienne auraient pu activer le mécanisme dit de « protection civile de l’Union », prévu à l’article 8 bis du règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil, du 26 octobre 2004, portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (JO 2004, L 349, p. 1). Ce mécanisme aurait été susceptible de leur fournir l’assistance matérielle nécessaire.

229    La République hellénique et la République italienne auraient également pu, en troisième lieu, demander une assistance à l’agence Frontex sous la forme d’« interventions rapides ». De même, conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous f), et à l’article 9, paragraphes 1 et 1 ter, du règlement no 2007/2004, ces deux États membres auraient pu solliciter l’agence Frontex pour qu’elle leur procure l’assistance nécessaire à l’organisation des opérations de retour.

230    Une telle assistance par l’agence Frontex serait de nature à soulager directement les régimes d’asile et de migration des deux États membres concernés, en ce qu’elle leur aurait permis de concentrer leurs moyens sur les migrants qui demandent l’octroi d’une protection internationale.

231    Ensuite, il n’aurait pas été nécessaire d’adopter d’autres mesures sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, la décision 2015/1523 laissant aux États membres le soin de décider, dans un esprit de solidarité, dans quelle mesure ils entendent participer à l’engagement commun. Cette décision serait donc moins attentatoire à leur souveraineté. Dès lors que la décision attaquée n’a été adoptée que huit jours après la décision 2015/1523 prévoyant la relocalisation de 40 000 personnes, il aurait été impossible, dans un laps de temps aussi court, de conclure au caractère inapproprié de la décision 2015/1523 pour répondre à la situation qui prévalait à l’époque. En effet, au moment de l’adoption de la décision attaquée, rien n’aurait permis au Conseil de considérer que les mesures d’accueil prévues par la décision 2015/1523 seraient rapidement insuffisantes et que des mesures supplémentaires seraient nécessaires.

232    En outre, l’article 78, paragraphe 3, TFUE permettrait également d’adopter des mesures moins contraignantes pour les États membres, tout en étant aptes à la réalisation de l’objectif poursuivi, telles que la fourniture d’une aide pour faciliter le retour et l’enregistrement ou un soutien financier, matériel, technique et personnel aux régimes d’asile italien et grec. Les États membres pourraient également prendre, sur une base volontaire, des initiatives bilatérales afin de fournir un tel soutien et de telles initiatives auraient d’ailleurs été prises.

233    Enfin, la relocalisation des demandeurs prévue par la décision attaquée entraînerait inévitablement une charge financière et administrative pour les États membres. Or, l’imposition d’une telle charge n’aurait pas été nécessaire puisque d’autres mesures moins contraignantes auraient été envisageables. Par conséquent, cette décision constituerait une mesure superflue et prématurée qui serait contraire au principe de proportionnalité et à l’article 5 du protocole (no 2).

234    Le Conseil soutient que, lors de l’adoption de la décision attaquée, il s’est assuré, conformément au principe de proportionnalité, qu’il n’existait pas de mesure alternative permettant d’atteindre de manière aussi efficace l’objectif visé par cette décision, tout en portant le moins possible atteinte à la souveraineté des États membres ou à leurs intérêts financiers. Les mesures alternatives énumérées par la République slovaque n’iraient cependant pas en ce sens.

2)      Appréciation de la Cour

235    Avant d’examiner les différents arguments que soulève la République slovaque pour démontrer que la décision attaquée ne serait pas nécessaire, dès lors que le Conseil aurait pu atteindre l’objectif visé par cette décision en prenant des mesures moins restrictives et attentatoires au droit des États membres de décider, dans le respect des règles adoptées par l’Union dans le domaine de la politique commune en matière d’asile, de l’accès sur leur territoire de ressortissants de pays tiers, il y a lieu de rappeler le contexte particulièrement délicat dans lequel la décision attaquée a été prise, à savoir la situation d’urgence grave, existant à l’époque en Grèce et en Italie, caractérisée par un afflux massif et soudain de ressortissants de pays tiers durant les mois de juillet et d’août de l’année 2015.

236    Dans un tel contexte particulier, et eu égard aux principes déjà rappelés aux points 206 à 208 du présent arrêt, il doit être admis que la décision d’adopter un mécanisme contraignant de relocalisation de 120 000 personnes au titre de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, si elle doit être fondée sur des critères objectifs, ne saurait être censurée par la Cour que s’il est constaté que, lorsqu’il a arrêté la décision attaquée, le Conseil a, à la lumière des informations et des données disponibles à ce moment, commis une erreur manifeste d’appréciation, en ce sens qu’une autre mesure moins contraignante, mais tout aussi efficace, aurait pu être prise dans les mêmes délais.

237    Or, à cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que, s’il est vrai que la décision 2015/1523 a été adoptée le 14 septembre 2015, soit huit jours avant la décision attaquée, il existe un lien entre ces actes.

238    En effet, la décision 2015/1523 entendait mettre en œuvre les conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 ainsi que l’accord intervenu entre les États membres, ayant pris la forme d’une résolution datée du 20 juillet 2015. Ainsi qu’il ressort des données statistiques mentionnées aux considérants 10 et 11 de la décision 2015/1523, celle-ci visait à remédier à une situation d’urgence qui s’était manifestée au cours des six premiers mois de l’année 2015.

239    Il ressort en outre du considérant 21 de cette même décision que le nombre total de 40 000 demandeurs a été fixé sur la base, d’une part, du nombre global de ressortissants de pays tiers qui sont entrés irrégulièrement en Grèce ou en Italie au cours de l’année 2014 et, d’autre part, du nombre de ceux qui avaient manifestement besoin d’une protection internationale, lesquels représentaient environ 40 % du nombre global de ressortissants de pays tiers. C’est sur la base de ces données statistiques relatives à l’année 2014 qu’il a été décidé que 60 % de ces 40 000 personnes devaient être relocalisés depuis l’Italie et 40 % depuis la Grèce.

240    En revanche, il ressort des considérations et des données statistiques sur lesquelles le Conseil s’est fondé lorsqu’il a adopté la décision attaquée et qui ressortent en particulier des considérants 12, 13 et 26 de celle-ci que cette institution a considéré qu’un mécanisme de relocalisation de 120 000 personnes, s’ajoutant à celui prévu par la décision 2015/1523, devait être instauré pour alléger la pression qui s’exerçait sur la République italienne et surtout sur la République hellénique au regard d’une nouvelle situation d’urgence résultant de l’afflux massif de migrants en situation irrégulière dans ces États membres qui avait eu lieu au cours des huit premiers mois de l’année 2015 et en particulier au cours des mois de juillet et d’août de cette année.

241    Ce nouvel afflux, d’une ampleur sans précédent, était également caractérisé par le fait qu’il résultait, ainsi que l’énonce le considérant 12 de la décision attaquée, d’un déplacement des flux migratoires qui s’était poursuivi, de la route de la Méditerranée centrale vers celle de la Méditerranée orientale et vers la route des Balkans occidentaux. Ce déplacement partiel de la crise de l’Italie vers la Grèce explique d’ailleurs pourquoi, sur le total de 120 000 demandeurs de protection internationale, il a été décidé que 13 % d’entre eux seraient relocalisés depuis l’Italie et 42 % depuis la Grèce.

242    Dans ces circonstances, il ne saurait être considéré que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il a estimé, eu égard aux données les plus récentes qui étaient à sa disposition, que la situation d’urgence existant au 22 septembre 2015 justifiait la relocalisation de 120 000 personnes et que la relocalisation de 40 000 personnes déjà prévue par la décision 2015/1523 ne serait pas suffisante.

243    En deuxième lieu, s’agissant de l’incidence de la décision attaquée sur le cadre juridique régissant l’admission de ressortissants de pays tiers, il convient de relever que le mécanisme de relocalisation que prévoit cette décision, s’il est de nature contraignante, ne s’applique cependant que pendant une période de deux ans et concerne un nombre limité de migrants ayant manifestement besoin d’une protection internationale.

244    L’effet contraignant de la décision attaquée est également limité du fait que cette décision pose comme condition d’une relocalisation que les États membres indiquent, à intervalles réguliers, et au moins tous les trois mois, le nombre de demandeurs pouvant rapidement faire l’objet d’une relocalisation sur leur territoire (article 5, paragraphe 2, de la décision attaquée) et qu’ils soient d’accord avec la relocalisation de la personne concernée (article 5, paragraphe 4, de cette décision), étant entendu toutefois que, conformément à l’article 5, paragraphe 7, de ladite décision, un État membre ne peut refuser de relocaliser un demandeur qu’en cas de motif légitime lié à l’ordre public et à la sécurité nationale.

245    En troisième lieu, s’agissant de l’argumentation de la République slovaque selon laquelle la décision attaquée constituerait une mesure disproportionnée dès lors qu’elle imposerait sans nécessité un mécanisme contraignant comportant une répartition chiffrée et obligatoire, sous forme de contingents, des personnes relocalisées entre les États membres, il n’apparaît pas que le Conseil, en ayant choisi d’imposer un tel mécanisme contraignant de relocalisation, aurait commis une erreur manifeste d’appréciation.

246    En effet, le Conseil a pu estimer à bon droit, dans le cadre de la large marge d’appréciation qui doit lui être reconnue à cet égard, que le caractère contraignant de la répartition des personnes relocalisées s’imposait au vu de la situation d’urgence particulière dans laquelle la décision attaquée devait être adoptée.

247    Le Conseil a d’ailleurs relevé, sans être contredit sur ce point, qu’il avait dû constater que la répartition par consensus entre les États membres des 40 000 personnes concernées par la décision 2015/1523 s’était, même après de longs pourparlers, soldée par un échec, de sorte que cette décision a finalement été adoptée sans qu’un tableau reprenant les engagements des États membres de relocalisation y soit joint.

248    Il est de même constant que, dans le cadre des négociations relatives à la décision attaquée au sein du Conseil, il était rapidement apparu qu’une décision par consensus, en particulier sur la répartition des personnes relocalisées, s’avérerait impossible à court terme.

249    Or, le Conseil se devait, face à la situation d’urgence dans laquelle se trouvaient la République hellénique et la République italienne à la suite d’un afflux sans précédent de migrants pendant les mois de juillet et d’août de l’année 2015, de prendre des mesures pouvant rapidement être mises en place et produire un effet concret aux fins d’aider ces États membres à maîtriser les flux migratoires importants sur leur territoire.

250    En outre, eu égard aux considérations et données statistiques visées, notamment, aux considérants 12 à 16 de la décision attaquée, il ne saurait être valablement soutenu que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en ayant considéré que cette situation nécessitait l’adoption d’une mesure temporaire de relocalisation de nature contraignante.

251    Il ressort ainsi, d’une part, du considérant 15 de la décision attaquée que le Conseil a constaté que de nombreuses mesures avaient déjà été prises pour venir en aide à la République hellénique et à la République italienne dans le cadre de la politique de migration et d’asile ainsi que, d’autre part, du considérant 16 de cette décision que, dès lors que la pression significative et croissante sur les régimes d’asile grec et italien risquait de perdurer, le Conseil a considéré qu’il était essentiel de faire preuve de solidarité à l’égard de ces deux États membres et de compléter les mesures prises jusqu’alors par les mesures provisoires prévues par ladite décision.

252    À cet égard, lors de l’adoption de la décision attaquée, le Conseil était effectivement tenu, ainsi qu’il ressort d’ailleurs du considérant 2 de cette décision, de mettre en œuvre le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres, y compris sur le plan financier, qui s’impose, en vertu de l’article 80 TFUE, lors de la mise en œuvre de la politique commune de l’Union en matière d’asile.

253    Ainsi, en l’espèce, il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’il a estimé devoir prendre, au vu de l’urgence spécifique de la situation, sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, lu à la lumière de l’article 80 TFUE et du principe de solidarité entre États membres qui y est consacré, des mesures provisoires consistant à imposer un mécanisme de relocalisation contraignant, tel que celui prévu par la décision attaquée.

254    En quatrième lieu, contrairement à ce que soutiennent la République slovaque et la Hongrie, le choix d’un mécanisme de relocalisation contraignant ne saurait être critiqué au motif que l’article 78, paragraphe 3, TFUE permettrait uniquement l’adoption de mesures provisoires pouvant être rapidement déployées, alors qu’un tel mécanisme de relocalisation nécessiterait un certain temps de préparation et de mise en œuvre avant qu’un rythme soutenu de relocalisations puisse être atteint.

255    En effet, cette disposition visant la mise en place de mesures utiles et ne fixant à cet effet aucun délai dans lequel des mesures provisoires doivent être déployées, il y a lieu de considérer que le Conseil n’a pas excédé sa large marge d’appréciation lorsqu’il a considéré que la situation qui prévalait en juillet et en août 2015 justifiait que soit adopté un mécanisme de relocalisation contraignant pour y remédier et que ce dernier soit mis en place le plus rapidement possible afin de produire des résultats concrets tout aussi rapidement, au terme d’une éventuelle période de préparation et de mise en œuvre.

256    S’agissant en particulier de la directive 2001/55, le Conseil a également soutenu, sans être contredit sur ce point, que le système de la protection temporaire prévu par cette directive n’apportait pas de réponse effective au problème se posant en l’espèce, à savoir la saturation complète des infrastructures d’accueil en Grèce et en Italie et la nécessité de décharger ces États membres le plus rapidement possible d’un nombre important de migrants déjà arrivés sur leur territoire, dans la mesure où ce système de protection temporaire prévoit que les personnes qui y sont éligibles ont droit à une protection dans l’État membre où elles se trouvent.

257    En cinquième lieu, le choix opéré dans la décision attaquée d’accorder une protection internationale plutôt qu’un statut conférant des droits plus limités, tel que celui de la protection temporaire prévu par la directive 2001/55, est un choix essentiellement politique dont l’opportunité ne saurait être examinée par la Cour.

258    Pour ce qui concerne, en sixième lieu, les autres mesures qu’avance la République slovaque et qui constitueraient des mesures moins restrictives que la décision attaquée, il y a d’abord lieu d’observer que des mesures visant au renforcement des frontières extérieures ou encore des mesures visant à accorder un soutien financier ou opérationnel aux régimes d’asile grec et italien ne constituent pas, à la différence du mécanisme de relocalisation prévu par la décision attaquée, une réponse suffisante à la nécessité d’alléger la pression sur ces régimes occasionnée par un afflux de migrants qui s’était déjà produit.

259    Il s’agit, en effet, de mesures complémentaires qui peuvent contribuer à mieux maîtriser de nouveaux afflux de migrants mais qui, en tant que telles, ne peuvent remédier au problème existant de la saturation des régimes d’asile grec et italien par des personnes qui sont déjà présentes sur le territoire de ces États membres.

260    Enfin, en septième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la mise en place du mécanisme de relocalisation prévu par la décision attaquée entraînerait des charges disproportionnées pour les États membres, la République slovaque n’a avancé aucun élément concret démontrant que les mesures alternatives qu’elle propose, telles que l’augmentation des moyens, notamment techniques et financiers, au profit de la République hellénique et de la République italienne, entraîneraient manifestement moins de coûts qu’un mécanisme temporaire de relocalisation.

261    Il s’ensuit que les arguments soulevés par la République slovaque visant à contester le caractère nécessaire de la décision attaquée doivent être écartés comme non fondés. Partant, le sixième moyen de la République slovaque doit être rejeté dans son intégralité.

d)      Sur le neuvième moyen de la Hongrie, tiré du caractère non nécessaire de la décision attaquée au regard de l’objectif qu’elle vise à atteindre

1)      Argumentation des parties

262    La Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que, étant donné que, contrairement à ce que prévoyait la proposition initiale de la Commission, dans le texte final de la décision attaquée, la Hongrie ne figure plus parmi les États membres bénéficiaires, il n’était pas justifié que la décision attaquée prévoie la relocalisation de 120 000 demandeurs et que, de ce fait, ladite décision est contraire au principe de proportionnalité.

263    En effet, la fixation de ce nombre total de 120 000 personnes dont la relocalisation est prévue par la décision attaquée irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par cette décision puisque ce nombre inclut un nombre de 54 000 personnes qui, selon la proposition initiale de la Commission, devaient être relocalisées à partir de la Hongrie. Il ne serait pas justifié que le nombre total de demandeurs devant faire l’objet d’une opération de relocalisation n’ait pas été revu à la baisse, dès lors que ce nombre total avait été fixé, initialement, sur la base non pas de deux mais de trois États membres bénéficiaires.

264    En outre, la répartition des 54 000 demandeurs au sujet desquels il était initialement prévu qu’ils seraient relocalisés à partir de la Hongrie serait devenue hypothétique et incertaine, dans la mesure où la décision attaquée prévoirait que cette répartition fera l’objet d’une décision définitive en fonction d’évolutions ultérieures.

265    La Hongrie soutient que, alors que l’article 78, paragraphe 3, TFUE vise à réagir rapidement à une situation non pas hypothétique, mais existante, il n’était pas clairement établi, lors de l’adoption de la décision attaquée, que la relocalisation de ces 54 000 demandeurs était nécessaire, et, quand bien même aurait-ce été le cas, à partir de quels États membres bénéficiaires celle-ci devait être opérée.

266    Le Conseil réfute les arguments de la Hongrie et soutient, notamment, que, sur la base de toutes les données statistiques disponibles au moment de l’adoption de la décision attaquée, il a pu valablement considérer que, même après le retrait de la Hongrie en tant qu’État membre bénéficiaire, il y avait lieu de maintenir le total de 120 000 personnes à relocaliser.

2)      Appréciation de la Cour

267    Il ressort, tout d’abord, du considérant 26 de la décision attaquée que le Conseil a estimé qu’il y avait lieu de relocaliser « un nombre important de demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale » et que le nombre de 120 000 demandeurs a été fixé « [s]ur la base du nombre global de ressortissants de pays tiers qui sont entrés irrégulièrement en Italie ou en Grèce en 2015, et du nombre de ceux qui ont manifestement besoin d’une protection internationale ».

268    Au considérant 13 de la décision attaquée, le Conseil a notamment précisé les données statistiques relatives au nombre d’entrées irrégulières en Grèce et en Italie au cours de l’année 2015, et plus particulièrement pendant les mois de juillet et d’août de cette année, qu’il a ainsi prises en compte pour déterminer ce nombre de 120 000 demandeurs.

269    Il découle de ces indications que le Conseil a choisi, même après le retrait de la Hongrie en tant qu’État membre bénéficiaire, de conserver le nombre total de 120 000 personnes devant être relocalisées au regard de la gravité de la situation prévalant en Grèce et en Italie au cours de l’année 2015, et en particulier au cours des mois de juillet et d’août de cette année.

270    Il peut également être déduit du considérant 26 de la décision attaquée que le Conseil a maintenu ce nombre total de 120 000 personnes dès lors qu’il estimait que seule la relocalisation d’un nombre « important » de demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale pouvait réduire concrètement la pression pesant, à l’époque, sur les régimes d’asile grec et italien.

271    La nécessité de conserver le nombre de 54 000 demandeurs qui était initialement affecté à des relocalisations depuis la Hongrie peut également s’appuyer sur le considérant 16 de la décision attaquée. Il en ressort en effet que, en raison de la situation d’instabilité et des conflits constants dans le voisinage immédiat de la Grèce et de l’Italie, il était très probable qu’une pression significative et croissante continuerait à s’exercer sur les régimes d’asile grec et italien après l’adoption de la décision attaquée.

272    La Hongrie ne démontrant pas, sur la base d’éléments précis, que les données statistiques prises en compte par le Conseil pour fixer à 120 000 le nombre total de personnes à relocaliser n’étaient pas pertinentes, il y a lieu de constater que, en ayant retenu ce nombre, sur la base de ces considérations et de ces données, même après le retrait de la Hongrie en tant qu’État membre bénéficiaire de la relocalisation, le Conseil n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

273    Ensuite, la Hongrie soutient que les règles régissant le nombre de 54 000 demandeurs, dont il était initialement prévu qu’il serait affecté à des relocalisations depuis la Hongrie, constituent un dispositif hypothétique et incertain, au motif que la décision attaquée prévoit que les relocalisations feront, à cet égard, l’objet d’une décision définitive prise à la lumière d’évolutions ultérieures.

274    Toutefois, il ressort de l’article 4, paragraphe 1, sous c), paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée que l’affectation dudit nombre de 54 000 demandeurs est réglée par un dispositif qui comporte une règle principale, énoncée à l’article 4, paragraphe 2, de cette décision, selon laquelle, à compter du 26 septembre 2016, ces demandeurs feront l’objet d’une relocalisation depuis la Grèce et l’Italie vers le territoire d’autres États membres dans une proportion résultant des nombres de demandeurs prévus à l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de ladite décision.

275    Cette règle principale constitue une règle par défaut, en ce qu’elle est assortie d’une règle de nature flexible, prévue à l’article 4, paragraphe 3, de la décision attaquée, permettant à ladite règle principale d’être adaptée ou modifiée, si cela est justifié du fait de l’évolution de la situation ou du fait qu’un État membre est confronté à une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers en raison d’une importante réorientation des flux migratoires.

276    Une telle règle permet de réagir, en cas de besoin, aux évolutions futures et permet, ainsi, de mieux adapter les relocalisations aux besoins les plus urgents.

277    En effet, l’efficacité d’un mécanisme de relocalisation d’un nombre important de demandeurs, mis en œuvre en deux phases sur une période de deux ans, tel que celui mis en place par la décision attaquée, nécessite que ce mécanisme puisse, sous certaines conditions, être adapté au cours de sa période d’application.

278    Partant, le neuvième moyen de la Hongrie doit être rejeté comme non fondé.

e)      Sur le dixième moyen de la Hongrie, tiré de la violation du principe de proportionnalité en raison des effets particuliers de la décision attaquée sur la Hongrie

1)      Argumentation des parties

279    La Hongrie soutient, à titre subsidiaire, que, si la Cour ne devait accueillir aucun de ses moyens en annulation, la décision attaquée serait en tout état de cause illégale, en ce qu’elle méconnaîtrait l’article 78, paragraphe 3, TFUE et le principe de proportionnalité en ce qui concerne la Hongrie.

280    La Hongrie reproche au Conseil de l’avoir fait figurer parmi les États membres de relocalisation après qu’elle eut renoncé au statut d’État membre bénéficiaire tel que prévu par la proposition initiale de la Commission. Or, il ne serait pas contestable que cet État membre était soumis à une pression migratoire particulièrement forte, tant au cours de la période qui a précédé l’adoption de la décision attaquée que lors de l’adoption de cette décision. Dans ces circonstances, la décision attaquée ferait supporter à la Hongrie une charge disproportionnée en lui imposant des contingents de relocalisation obligatoires au même titre que les autres États membres.

281    L’imposition de tels contingents à la Hongrie, alors qu’elle avait elle-même besoin d’aide pour gérer le flux des migrants, serait contraire à l’article 78, paragraphe 3, TFUE, dès lors que cette disposition prévoit l’adoption de mesures provisoires au profit des États membres confrontés à un afflux soudain de ressortissants de pays tiers et s’oppose, partant, à l’imposition d’un fardeau supplémentaire à un État membre se trouvant dans une situation d’urgence caractérisée par un tel afflux.

282    Le Conseil soutient que ce moyen est irrecevable dès lors que celui-ci tend à l’annulation partielle de la décision attaquée pour autant que celle-ci concerne la Hongrie,alors même que cette décision formerait un ensemble indivisible. Sur le fond, le Conseil soutient, notamment, que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, la Hongrie ne se trouvait plus dans une « situation d’urgence », au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, qui aurait justifié qu’elle figure parmi les États membres bénéficiaires au titre de la décision attaquée. En outre, le mécanisme de relocalisation prévu par la décision attaquée serait assorti de mécanismes d’ajustement permettant à un État membre de demander que ses obligations de relocalisation soient suspendues en cas de réorientation importante des flux migratoires.

2)      Appréciation de la Cour

283    À titre liminaire, il y a lieu de considérer que, aux fins d’une bonne administration de la justice, il est justifié, dans les circonstances de l’espèce, d’examiner sur le fond le dixième moyen que soulève la Hongrie à titre subsidiaire, tiré de la violation du principe de proportionnalité en raison des effets particuliers de la décision attaquée sur cet État membre, sans statuer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil, dès lors que ce moyen doit en tout état de cause être rejeté sur le fond (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 193 et jurisprudence citée).

284    L’examen sur le fond de ce dixième moyen de la Hongrie nécessite de rappeler la genèse de la décision attaquée.

285    Dans sa proposition du 9 septembre 2015, la Commission avait placé la Hongrie au rang des États membres bénéficiaires de la relocalisation dès lors que les données pour les huit premiers mois de l’année 2015 et, en particulier, pour les mois de juillet et d’août de cette année, révélaient une arrivée massive, par la route dite des « Balkans occidentaux », de migrants en provenance majoritairement de la Grèce, exerçant ainsi une pression considérable sur le régime d’asile hongrois, comparable à celle exercée sur les régimes d’asile grec et italien.

286    Toutefois, à la suite de la construction par la Hongrie d’une barrière sur sa frontière avec la Serbie et du transit massif de migrants présents en Hongrie vers l’ouest, principalement vers l’Allemagne, cette pression s’est considérablement amoindrie vers la mi-septembre 2015, dès lors que le nombre de migrants en situation irrégulière présents sur le territoire hongrois a baissé de manière significative.

287    C’est dans le contexte de ces événements, survenus au mois de septembre 2015, que la Hongrie a formellement demandé au Conseil à ne plus figurer parmi les États membres bénéficiaires de la relocalisation.

288    Le Conseil a pris acte de cette demande et a fait la déclaration citée au point 165 du présent arrêt lors de la session plénière du Parlement du 16 septembre 2015.

289    Or, selon la Hongrie, l’imposition de contingents contraignants à son encontre constituerait une charge disproportionnée, compte tenu du fait qu’elle se trouvait, même après la mi-septembre de l’année 2015, dans une situation d’urgence, dès lors que la pression migratoire sur ses frontières n’avait pas diminué mais s’était tout au plus déplacée vers sa frontière avec la Croatie où d’importants franchissements irréguliers auraient quotidiennement eu lieu. Partant, dans la mesure où la Hongrie aurait ainsi toujours été confrontée, même lors de l’adoption de la décision attaquée, à une situation d’urgence, ce serait en violation de l’objectif de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, visant à aider les États membres se trouvant dans une telle situation, qu’il aurait été décidé de l’inclure parmi les États membres de relocalisation et de lui imposer à ce titre des charges supplémentaires sous forme de contingents de relocalisation.

290    À cet égard, il ne saurait être contesté que la décision attaquée, en ce qu’elle prévoit notamment une répartition obligatoire entre tous les États membres des migrants devant être relocalisés depuis la Grèce et l’Italie, d’une part, a un impact sur l’ensemble des États membres de relocalisation et, d’autre part, nécessite qu’un équilibre entre les différents intérêts en présence, compte tenu des objectifs poursuivis par cette décision, soit assuré. Dès lors, la recherche d’un tel équilibre prenant en considération non pas la situation particulière d’un seul État membre, mais celle de l’ensemble de ceux-ci, ne saurait être regardée comme étant contraire au principe de proportionnalité (voir, par analogie, arrêt du 18 juin 2015, Estonie/Parlement et Conseil, C‑508/13, EU:C:2015:403, point 39).

291    Lorsqu’un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d’urgence, au sens de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, les charges que comportent les mesures provisoires adoptées en vertu de cette disposition au profit de ce ou ces États membres doivent, en principe, être réparties entre tous les autres États membres, conformément au principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre les États membres, dès lors que, conformément à l’article 80 TFUE, ce principe régit la politique de l’Union en matière d’asile.

292    Partant, c’est à juste titre que, en l’espèce, lors de l’adoption de la décision attaquée, la Commission et le Conseil ont considéré que la répartition des demandeurs relocalisés entre tous les États membres, conformément au principe consacré à l’article 80 TFUE, constituait un élément fondamental de la décision attaquée. Ceci ressort des références multiples audit principe dans la décision attaquée, notamment aux considérants 2, 16, 26 et 30 de celle-ci.

293    Or, face au refus de la Hongrie de bénéficier du mécanisme de relocalisation comme l’avait proposé la Commission, le Conseil ne peut être critiqué, au regard du principe de proportionnalité, pour avoir déduit du principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités qu’impose l’article 80 TFUE, que la Hongrie devait se voir attribuer des contingents de relocalisation, à l’instar de tous les autres États membres ne bénéficiant pas de ce mécanisme de relocalisation.

294    Il convient, du reste, de relever que la décision attaquée prévoit, à son article 4, paragraphe 5, et à son article 9, la possibilité pour un État membre, sous certaines conditions, de demander une suspension des obligations lui incombant en tant qu’État membre de relocalisation au titre de cette décision.

295    Ainsi, par la décision 2016/408, adoptée en vertu de l’article 4, paragraphe 5, de la décision attaquée, le Conseil, reconnaissant notamment que la République d’Autriche était confrontée à des circonstances exceptionnelles et à une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur son territoire et que cet État membre était, après le Royaume de Suède, le deuxième pays de l’Union comptant le plus grand nombre de demandeurs de protection internationale par habitant, a décidé que les obligations incombant à la République d’Autriche au titre du contingent de relocalisation qui lui avait été alloué devaient être suspendues à concurrence de 30 % de ce contingent pour une durée d’un an.

296    De même, par la décision 2016/946, le Conseil, considérant notamment que le Royaume de Suède était confronté à une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur son territoire en raison d’une importante réorientation des flux migratoires et que cet État membre comptait, de loin, le plus grand nombre de demandeurs d’une protection internationale par habitant dans l’Union, a décidé que les obligations lui incombant en tant qu’État membre de relocalisation au titre de la décision attaquée devaient être suspendues pendant une période d’un an.

297    Surtout, il découle du mécanisme d’ajustement, prévu à l’article 4, paragraphe 3, de la décision attaquée, qu’un État membre qui estime se trouver dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers en raison d’une importante réorientation des flux migratoires, peut, en invoquant des motifs dûment justifiés, avertir la Commission et le Conseil de cette situation d’urgence, ce qui peut conduire à une modification de ladite décision, de sorte que cet État membre puisse bénéficier, à compter du 26 septembre 2016, de la relocalisation du nombre de 54 000 demandeurs visé à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de cette même décision.

298    Or, l’existence de ces différents mécanismes d’ajustement démontre que le mécanisme de relocalisation que prévoit la décision attaquée, considéré dans son ensemble, permet de tenir compte, de manière proportionnée, de la situation particulière de chaque État membre à cet égard.

299    Le caractère proportionné du mécanisme de relocalisation prévu par la décision attaquée ressort également de la clé de répartition en fonction de laquelle ont été fixés, respectivement à l’annexe I et à l’annexe II de la décision attaquée, les contingents de relocalisation en provenance de Grèce et d’Italie.

300    En effet, si le texte final de la décision attaquée se borne à énoncer, à son considérant 26, que le mécanisme de relocalisation prévu par cette décision « constitue un partage équitable de la charge entre l’Italie et la Grèce, d’une part, et les autres États membres, d’autre part, compte tenu de l’ensemble des chiffres disponibles sur les franchissements irréguliers de frontières en 2015 », il est constant que les contingents fixés par la décision attaquée l’ont été sur la base d’une clé de répartition dont le calcul est précisé au considérant 25 de la proposition initiale de la Commission dans les termes suivants :

« [...] La clé de répartition proposée devrait être fondée sur a) la taille de la population (40 % de la pondération), b) le total du PIB (40 % de la pondération), c) le nombre moyen de demandes d’asile par million d’habitants au cours de la période 2010-2014 (pondération de 10 %, avec un plafond de 30 % de l’effet cumulé de la population et du PIB sur la clé, afin d’éviter des effets disproportionnés de ce critère sur la répartition globale) et d) le taux de chômage (pondération de 10 %, avec un plafond de 30 % de l’effet cumulé de la population et du PIB sur la clé, afin d’éviter des effets disproportionnés de ce critère sur la répartition globale). [...] »

301    Il en ressort que cette clé vise à assurer une répartition des personnes relocalisées entre les États membres concernés qui soit notamment proportionnée au poids économique de chacun de ceux-ci et à la pression migratoire s’exerçant sur leur régime d’asile.

302    À cet égard, la République de Pologne développe, sur la base du dixième moyen de la Hongrie, tiré des effets disproportionnés sur cet État membre de l’imposition à son égard de contingents contraignants, une argumentation plus générale visant à critiquer les prétendus effets disproportionnés de ces contingents sur un nombre d’États membres d’accueil qui, afin de remplir leurs obligations de relocalisation, devraient fournir des efforts et supporter des charges bien plus importantes que d’autres États membres d’accueil. Il en irait ainsi des États membres qui sont « presque ethniquement homogènes comme la Pologne » et dont la population différerait, d’un point de vue culturel et linguistique, des migrants devant être relocalisés sur leur territoire.

303    Cette argumentation, outre qu’elle est irrecevable dès lors qu’elle est avancée dans un mémoire en intervention et va bien au-delà de l’argumentation de la Hongrie qui est strictement limitée à sa propre situation (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2014, Allemagne/Conseil, C‑399/12, EU:C:2014:2258, point 27), doit être rejetée.

304    En effet, si la relocalisation devait être strictement conditionnée par l’existence de liens culturels ou linguistiques entre chaque demandeur de protection internationale et l’État membre de relocalisation, il en découlerait qu’une répartition de ces demandeurs entre tous les États membres dans le respect du principe de solidarité qu’impose l’article 80 TFUE et, partant, l’adoption d’un mécanisme de relocalisation contraignant, seraient impossibles.

305    Il convient d’ajouter que des considérations liées à l’origine ethnique des demandeurs de protection internationale ne peuvent pas être prises en compte en ce qu’elles seraient, de toute évidence, contraires au droit de l’Union et notamment à l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

306    Enfin, il y a lieu de rejeter l’argument de la République de Pologne selon lequel la décision attaquée serait contraire au principe de proportionnalité, dès lors qu’elle ne permettrait pas aux États membres d’assurer l’exercice effectif des responsabilités qui leur incombent pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure au titre de l’article 72 TFUE, ce qui serait d’autant plus grave que cette décision donnerait lieu à d’importants mouvements dits « secondaires », provoqués par la sortie de demandeurs de leur État membre d’accueil avant que ce dernier ait pu statuer définitivement sur leur demande de protection internationale.

307    À cet égard, il y a lieu de constater que le considérant 32 de la décision attaquée énonce, notamment, qu’il y a lieu de prendre en considération la sécurité nationale et l’ordre public tout au long de la procédure de relocalisation, jusqu’au transfert effectif du demandeur, et que, dans ce cadre, le plein respect des droits fondamentaux du demandeur, y compris des règles pertinentes sur la protection des données, s’impose.

308    Dans cette perspective, l’article 5 de la décision attaquée, intitulé « Procédure de relocalisation », prévoit, à son paragraphe 7, que les États membres ne conservent le droit de refuser de relocaliser un demandeur que lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer que celui-ci représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public sur leur territoire.

309    Si, ainsi que le soutient la République de Pologne, le mécanisme que prévoit l’article 5, paragraphe 7, de la décision attaquée était inefficace dès lors qu’il obligerait les États membres à contrôler de nombreuses personnes en peu de temps, de telles difficultés d’ordre pratique n’apparaissent pas inhérentes audit mécanisme et doivent, le cas échéant, être résolues dans l’esprit de coopération et de confiance mutuelle entre les autorités des États membres bénéficiaires de la relocalisation et celles des États membres de relocalisation qui doit prévaloir dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure de relocalisation prévue à l’article 5 de cette décision.

310    Eu égard à tout ce qui précède, le dixième moyen de la Hongrie doit être écarté comme non fondé.

2.      Sur le huitième moyen de la Hongrie, tiré d’une violation des principes de sécurité juridique et de clarté normative ainsi que de la convention de Genève

a)      Argumentation des parties

311    La Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en premier lieu, que la décision attaquée méconnaît les principes de sécurité juridique et de clarté normative, car, sur plusieurs points, elle n’indique pas clairement la manière dont les dispositions de cette décision doivent être appliquées ni comment celles-ci s’articulent avec les dispositions du règlement Dublin III.

312    Ainsi, si le considérant 35 de la décision attaquée abordait la question des garanties juridiques et procédurales concernant les décisions de relocalisation, aucune de ses dispositions normatives ne réglerait cette matière ou ne se référerait aux dispositions pertinentes du règlement Dublin III. Cela poserait notamment problème du point de vue du droit de recours des demandeurs, en particulier ceux qui ne seront pas retenus pour être relocalisés.

313    La décision attaquée ne déterminerait pas non plus clairement les critères de choix pour la relocalisation des demandeurs. La manière dont les autorités des États membres bénéficiaires sont appelées à décider du transfert des demandeurs vers un État membre de relocalisation aurait pour effet qu’il serait extrêmement difficile pour ces demandeurs de savoir a priori s’ils feront partie des personnes relocalisées et, dans l’affirmative, dans quel État membre ils le seront.

314    De plus, la décision attaquée ne définirait pas de manière appropriée le statut des demandeurs dans l’État membre de relocalisation et ne veillerait pas à ce que ces demandeurs restent effectivement dans l’État membre de relocalisation le temps qu’il soit statué sur leur demande. En ce qui concerne les mouvements dits « secondaires », l’article 6, paragraphe 5, de la décision attaquée ne permettrait pas, à lui seul, d’assurer que la décision attaquée atteigne ses objectifs, à savoir la répartition des demandeurs entre les États membres, s’il n’est pas garanti que les demandeurs resteront effectivement dans les États membres de relocalisation.

315    En second lieu, le fait que les demandeurs risquent, le cas échéant, d’être relocalisés vers un État membre avec lequel ils n’entretiennent aucun lien particulier soulèverait la question de savoir si la décision attaquée est, à cet égard, compatible avec la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations Unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés du 31 janvier 1967 (ci-après la « convention de Genève »).

316    En effet, la Hongrie fait valoir que, selon l’interprétation livrée au point 192 du guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la convention de 1951 et du protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés [Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), mai 1992], le demandeur devrait être autorisé à demeurer sur le territoire de l’État membre dans lequel il a introduit sa demande jusqu’à ce que les autorités de ce pays aient pris une décision sur cette demande.

317    Ce droit de rester dans ledit État membre serait également reconnu à l’article 9 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).

318    Or, la décision attaquée priverait les demandeurs de protection internationale dudit droit et permettrait leur relocalisation sans leur consentement vers un autre État membre avec lequel ils n’entretiendraient aucun lien significatif.

319    La République de Pologne soutient que la décision attaquée enfreint les standards de la protection des droits de l’homme essentiellement en raison du fait que celle-ci se substitue au système prévu par le règlement Dublin III, tout en ne prévoyant aucun critère clair déterminant l’État membre vers lequel le demandeur sera relocalisé en vue de l’examen de sa demande de protection internationale.

320    Les personnes sollicitant la protection internationale pourraient, en vertu de la décision attaquée, être relocalisées dans des régions éloignées de l’Union avec lesquelles elles n’ont pas de liens culturels ou sociaux, ce qui rendrait impossible de réaliser leur intégration dans la société de l’État membre d’accueil.

321    Le Conseil conteste, en premier lieu, le fait que la décision attaquée ne respecterait pas les principes de sécurité juridique et de clarté normative. Il s’agirait d’une mesure d’urgence s’inscrivant, d’une part, dans l’acquis relatif au système européen commun d’asile, lequel resterait en principe pleinement applicable, et, d’autre part, dans l’ordre juridique créé par le système des traités ainsi que par la Charte.

322    En second lieu, quant à la prétendue violation du droit de rester sur le territoire tel qu’il serait garanti par la convention de Genève, le Conseil soutient que ni cette convention ni le droit de l’Union ne garantissent à un demandeur d’asile le droit de choisir librement son pays d’accueil.

b)      Appréciation de la Cour

323    S’agissant, en premier lieu, du grief tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de clarté normative, il y a lieu de rappeler que la décision attaquée est constituée d’un ensemble de mesures provisoires, comportant un mécanisme de relocalisation temporaire qui ne déroge à l’acquis relatif au système commun en matière d’asile que sur certains points précis et expressément énumérés. Ce mécanisme s’inscrit pleinement dans cet acquis, de sorte que ce dernier reste, d’une manière générale, applicable.

324    Dans cette perspective, le Conseil a respecté les principes de sécurité juridique et de clarté normative en précisant, notamment aux considérants 23, 24, 35, 36 et 40 de la décision attaquée, l’articulation entre les dispositions de cet acte et celles d’actes législatifs adoptés dans le cadre de la politique commune en matière d’asile de l’Union.

325    En outre, un droit de recours effectif doit être assuré sur le plan national, conformément à l’article 47 de la Charte, contre toute décision devant être prise par une autorité nationale dans le cadre de la procédure de relocalisation, telle que prévue à l’article 5 de la décision attaquée.

326    La Hongrie critique également la décision attaquée en ce que celle-ci ne comporterait pas de règles effectives assurant que les demandeurs resteront dans l’État membre de relocalisation le temps qu’il soit statué sur leur demande ou, en d’autres termes, assurant que soient évités les mouvements dits « secondaires ».

327    À cet égard, il y a lieu de constater que les considérants 38 à 41 de la décision attaquée évoquent, de manière suffisamment circonstanciée et précise, les mesures pouvant être prises par les États membres pour éviter ce type de mouvements, sur la base de plusieurs actes législatifs de l’Union faisant partie de l’acquis relatif à la politique commune en matière d’asile.

328    En outre, la disposition de l’article 6, paragraphe 5, de la décision attaquée prévoit, de manière claire et précise, que le demandeur ou le bénéficiaire d’une protection internationale qui entre sur le territoire d’un État membre autre que son État membre de relocalisation sans remplir les conditions de séjour dans ce dernier État est tenu de rentrer immédiatement dans son État membre de relocalisation.

329    Quant au reproche de la Hongrie selon lequel la décision attaquée ne comporterait pas de critères pour déterminer l’État membre de relocalisation, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort du considérant 2 de cette décision, et comme il a été relevé, notamment, aux points 253 et 291 à 293 du présent arrêt, ladite décision a pris en compte l’article 80 TFUE, qui s’impose dans la mise en œuvre de la politique de l’Union en matière d’asile et, en particulier, lors de l’adoption de mesures provisoires fondées sur l’article 78, paragraphe 3, TFUE, et dont il découle que la détermination de l’État membre de relocalisation doit reposer sur des critères liés à la solidarité et au partage équitable des responsabilités entre les États membres.

330    Il convient d’ajouter, d’une part, que l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la décision attaquée prévoit certains critères spécifiques de détermination de l’État membre de relocalisation, liés à l’intérêt supérieur de l’enfant et aux liens familiaux et qui sont d’ailleurs analogues à ceux que prévoit le règlement Dublin III.

331    D’autre part, le considérant 34 de la décision attaquée énumère un ensemble d’éléments qui visent notamment à ce que les demandeurs soient relocalisés vers un État membre avec lequel ils entretiennent des liens familiaux, culturels ou sociaux et dont il convient de tenir particulièrement compte lors de la désignation de l’État membre de relocalisation et ce dans le but de favoriser l’intégration des demandeurs au sein de ce dernier.

332    La décision attaquée ne saurait donc être décrite comme comportant un système arbitraire qui se serait substitué au système objectif arrêté par le règlement Dublin III.

333    Bien au contraire, ces deux systèmes ne diffèrent, en définitive, pas substantiellement l’un de l’autre, en ce sens que le système institué par la décision attaquée repose, comme le système institué par le règlement Dublin III, sur des critères objectifs, et non sur l’expression d’une préférence par le demandeur de protection internationale.

334    En particulier, la règle de la responsabilité de l’État membre de première entrée, prévue à l’article 13, paragraphe 1, du règlement Dublin III, qui est la seule règle de détermination de l’État membre responsable que prévoit ce règlement à laquelle déroge la décision attaquée, n’est pas liée aux préférences du demandeur pour un État membre d’accueil déterminé et ne vise pas spécifiquement à assurer qu’il existe un lien linguistique, culturel ou social entre ce demandeur et l’État membre responsable.

335    En outre, si, dans le cadre de la procédure de relocalisation, le consentement du demandeur à sa relocalisation n’est pas prévu, il n’en demeure pas moins que l’article 6, paragraphe 3, de la décision attaquée prévoit que, préalablement à la décision de relocalisation, celui-ci est informé du fait qu’il fait l’objet d’une telle procédure et que l’article 6, paragraphe 4, de cette décision oblige les autorités de l’État membre bénéficiaire concerné à notifier au demandeur la décision de relocalisation avant la relocalisation effective, cette décision devant préciser l’État membre de relocalisation.

336    Au demeurant, ainsi qu’il ressort du considérant 35 de la décision attaquée, l’absence de possibilité pour les demandeurs de choisir l’État membre qui sera responsable de l’examen de leur demande justifie que ceux-ci doivent disposer d’un droit de recours effectif contre la décision de relocalisation aux fins du respect de leurs droits fondamentaux.

337    Enfin, si une certaine marge d’appréciation est réservée aux autorités des États membres bénéficiaires lorsque ceux-ci sont appelés, en vertu de l’article 5, paragraphe 3, de la décision attaquée, à identifier les demandeurs individuels pouvant être relocalisés vers un État membre de relocalisation déterminé, une telle marge est justifiée au regard de l’objectif de cette décision qui est de soulager les régimes d’asile grec et italien d’un nombre important de demandeurs en les relocalisant, dans de brefs délais et de manière effective, vers d’autres États membres dans le respect du droit de l’Union et, en particulier, des droits fondamentaux garantis par la Charte.

338    En second lieu, contrairement à ce que soutient la Hongrie, il ne saurait être valablement soutenu que la décision attaquée, en ce qu’elle prévoit le transfert d’un demandeur d’une protection internationale avant qu’une décision sur sa demande soit prise, serait contraire à la convention de Genève, dès lors que cette convention comporterait un droit de rester dans l’État du dépôt de la demande tant que celle-ci est pendante.

339    À cet égard, le Conseil a rappelé à bon droit, au considérant 35 de la décision attaquée, que le droit de l’Union ne permet pas aux demandeurs de choisir l’État membre responsable de l’examen de leur demande. En effet, les critères que prévoit le règlement Dublin III pour déterminer l’État membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale ne sont pas liés aux préférences du demandeur pour un État membre d’accueil déterminé.

340    S’agissant ensuite du passage du guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la convention de 1951 et du protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés que mentionne la Hongrie, il ne saurait en être déduit que la convention de Genève consacrerait, au profit d’un demandeur de protection internationale, le droit de rester dans l’État du dépôt de la demande de protection tant que celle-ci est pendante.

341    En effet, ce passage doit être compris comme une expression particulière du principe de non-refoulement qui interdit qu’un demandeur de protection internationale soit expulsé vers un État tiers tant qu’il n’a pas été statué sur sa demande.

342    Or, le transfert dans le cadre d’une opération de relocalisation d’un demandeur de protection internationale d’un État membre vers un autre aux fins d’assurer un examen de sa demande dans des délais raisonnables ne saurait être considéré comme étant constitutif d’un refoulement vers un État tiers.

343    Il s’agit au contraire d’une mesure de gestion de crise, prise au niveau de l’Union, visant à assurer l’exercice effectif, dans le respect de la convention de Genève, du droit fondamental d’asile, tel que consacré à l’article 18 de la Charte.

344    Il s’ensuit que le huitième moyen de la Hongrie doit être écarté comme non fondé.

345    Aucun des moyens soulevés par la République slovaque et par la Hongrie ne pouvant être accueilli, il y a lieu de rejeter les recours.

IV.    Sur les dépens

346    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation de la République slovaque et de la Hongrie aux dépens et ces États membres ayant succombé en leur recours respectif, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil.

347    Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Pologne, le Royaume de Suède ainsi que la Commission supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      La République slovaque et la Hongrie sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

3)      Le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Pologne, le Royaume de Suède ainsi que la Commission européenne supportent leurs propres dépens.

Signatures


*      Langues de procédure : le slovaque et le hongrois.