Language of document : ECLI:EU:C:2012:297

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 15 mai 2012 (1)

Affaire C‑79/11

Procura della Repubblica

contre

Maurizio Giovanardi e.a.

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Firenze (Italie)]

«Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Responsabilité pénale des personnes morales — Droit des victimes à la réparation»





1.        Par la présente demande de décision préjudicielle, la Cour est invitée à interpréter les dispositions de la décision-cadre 2001/220/JAI (2) et, en particulier, l’article 9 de cette décision.

2.        La question est de savoir si et, dans l’affirmative, dans quelle mesure la victime d’une infraction pénale peut obtenir la réparation du préjudice qui en découle, non seulement contre la ou les personnes physiques auteurs de l’infraction, mais aussi contre une personne morale qui, en vertu de la législation nationale de l’État membre concerné, est considérée comme responsable de la perpétration de cette infraction.

 Cadre juridique

 Le droit de l’Union

3.        Lors de la réunion spéciale tenue à Tampere les 15 et 16 octobre 1999, consacrée à la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union européenne, le Conseil européen a résolu, entre autres, d’établir des normes minimales pour la protection des victimes de la criminalité. Ces normes devaient comprendre les droits des victimes à obtenir réparation des préjudices découlant d’une infraction (3).

4.        La décision-cadre a été adoptée en vue de mettre en œuvre cette résolution (4).

5.        Les quatrième, cinquième et septième considérants de la décision-cadre énoncent:

«4)      Il convient que les États membres rapprochent leurs dispositions législatives et réglementaires dans la mesure nécessaire à la réalisation de l’objectif consistant à offrir aux victimes de crimes un niveau élevé de protection, indépendamment de l’État membre dans lequel elles se trouvent.

5)      Il importe de considérer les besoins des victimes et d’y répondre de manière globale et coordonnée, en évitant les solutions parcellaires ou incohérentes qui risquent d’entraîner pour la victime des préjudices secondaires.

[…]

7)      Les mesures d’aide aux victimes de crimes, et notamment les dispositions en matière d’indemnisation ainsi que de médiation, ne concernent, toutefois, pas les solutions qui sont propres à la procédure civile.»

6.        L’article 1er contient les définitions suivantes:

«[…] on entend par:

a)      ‘victime’: la personne physique qui a subi un préjudice […] directement causé par des actes ou des omissions qui enfreignent la législation pénale d’un État membre;

[…]

c)      ‘procédure pénale’: la procédure pénale conformément à la loi nationale applicable;

[...]»

7.        L’expression «auteur de l’infraction» n’est pas définie.

8.        L’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre (intitulé «Droit à réparation dans le cadre de la procédure pénale») dispose:

«Chaque État membre garantit qu’il existe, pour la victime d’une infraction pénale, le droit d’obtenir qu’il soit statué dans un délai raisonnable sur la réparation par l’auteur de l’infraction dans le cadre de la procédure pénale, sauf lorsque, pour certains cas, la loi nationale prévoit que l’indemnisation interviendra dans un autre cadre.»

 La législation nationale

9.        L’article 185 du Codice penale (code pénal italien) prévoit que les auteurs d’une infraction sont tenus d’indemniser la victime de tout préjudice que leurs actes lui ont causé. Ces actes peuvent également obliger la personne (physique ou morale) responsable du comportement de l’auteur de l’infraction à indemniser la victime.

10.      L’article 74 du Codice di procedura penale (code de procédure pénale italien) permet à la victime d’une infraction de participer en tant que partie civile à la procédure contre la personne poursuivie dans le procès pénal. Si elle obtient gain de cause dans cette procédure, la victime obtiendra réparation de la part de l’auteur de l’infraction de la même manière mais (dans la plupart des cas) plus rapidement que si elle avait intenté une action distincte contre celui-ci devant les juridictions civiles, pour le même préjudice.

11.      Jusqu’à l’adoption du Decreto legislativo (décret législatif) no 231/2001 (ci-après le «décret législatif»), le droit italien suivait la maxime societas delinquere non potest (5). Les personnes morales pouvaient être indirectement appelées à répondre, dans un procès civil, des actes illicites commis par ceux dont elles étaient responsables, mais le droit italien ne permettait pas de les poursuivre, comme telles, pour avoir commis une infraction pénale.

12.      L’article 1er du décret législatif institue la responsabilité des personnes morales, responsabilité qui est formellement qualifiée d’«administrative», du chef d’un acte illicite. Cette disposition s’applique aux sociétés et entreprises dotées de la personnalité juridique ainsi qu’aux associations, même si elles ne sont pas dotées de la personnalité juridique. Elle ne s’applique toutefois pas à l’État, aux collectivités territoriales, aux organismes publics non économiques ni aux organismes exerçant des fonctions constitutionnelles (6).

13.      Le chapitre I du décret législatif se compose de trois sections. La première d’entre elles établit les conditions générales requises pour que la responsabilité d’une personne morale soit engagée en vertu du décret. La troisième énumère (par référence aux dispositions du code pénal) les infractions particulières dont une personne morale peut être déclarée responsable.

14.      Pour ce qui concerne les conditions requises, l’article 5 du décret législatif désigne les personnes physiques qui, en tant qu’auteurs d’une infraction pénale, peuvent engager la responsabilité de la personne morale. Il s’agit essentiellement a) des personnes qui exercent des fonctions de direction ou d’encadrement et b) des personnes qui se trouvent sous le contrôle des premières. Les articles 6 et 7 précisent les circonstances dans lesquelles la responsabilité d’une personne morale peut être engagée. Si l’infraction a été commise par une personne agissant en qualité de dirigeant ou de cadre, la responsabilité de la personne morale sera présumée. Cette présomption ne peut être renversée que si la personne morale est en mesure d’établir qu’elle avait prévu et effectivement mis en œuvre une organisation et un système de gestion de nature à garantir que les infractions en question ne seraient pas commises ou que l’individu concerné a déjoué irrégulièrement ce système ou en a abusé. Pour ce qui concerne les personnes n’agissant pas en qualité de dirigeants ou de cadres, la responsabilité de la personne morale n’est pas présumée. Il faut établir dans ce cas qu’il y a un manquement dans l’application des nécessaires normes de direction ou de supervision qui a rendu possible la perpétration de l’infraction.

15.      En vertu de l’article 25 septies du décret législatif, les infractions énumérées dans la section spéciale comprennent l’homicide involontaire et les violences ayant entraîné des lésions corporelles graves.

16.      Quatre autres dispositions du décret législatif méritent d’être mentionnées. L’article 8 dispose que la responsabilité pénale d’une personne morale peut être autonome, c’est-à-dire qu’elle peut être engagée même si la personne physique qui est l’auteur de l’infraction ne peut pas être identifiée ou que cette personne ne peut pas être poursuivie. L’article 34 dispose que les règles de procédure applicables à la personne morale poursuivie en vertu des dispositions mentionnées ci-dessus sont celles que prévoit le décret législatif et, dans la mesure où elles sont compatibles, celles du code de procédure pénale et du décret législatif no 271/1989 (7). L’article 35 prévoit que les règles de procédure relatives à une personne physique poursuivie pour avoir commis une infraction s’appliquent à la personne morale poursuivie en vertu des dispositions indiquées ci-dessus, dans la mesure de leur compatibilité. En vertu de l’article 36, les juridictions compétentes pour juger les personnes morales inculpées sont celles qui sont compétentes pour juger les infractions commises par les personnes physiques.

17.      Selon l’article 74 du code de procédure pénale, la victime d’une infraction (ou ses successeurs) peut se constituer partie civile dans le procès pénal dirigé contre, notamment, la personne poursuivie pour avoir commis l’infraction, afin d’obtenir réparation de tout préjudice qui lui a été causé par celle-ci.

18.      L’article 83 du code de procédure pénale dispose:

«Le civilement responsable du fait de l’inculpé peut être cité à comparaître dans le procès pénal par la [victime de ces faits] […]. L’inculpé peut être cité comme civilement responsable du fait de ses coïnculpés s’il a été acquitté ou qu’une décision de non-lieu a été prononcée à son égard».

 Les faits, les antécédents de la procédure et la question préjudicielle

19.      Un accident s’est produit le 2 octobre 2008 sur une jonction ferroviaire près de Florence. Cet accident serait dû à la violation, par M. Giovanardi et quatre autres personnes (8), des règles de sécurité au travail (ce qui revient, en l’espèce, en vertu des articles 41, 113 et 589, deuxième et quatrième alinéas, du code pénal italien, à une négligence criminelle). Ces personnes font l’objet de réquisitions de renvoi soumises par le Pubblico Ministero (ministère public) à l’Ufficio del Giudice delle indagini preliminari (bureau du juge des enquêtes préliminaires) du Tribunale di Firenze (tribunal de première instance de Florence) (Italie) le 28 juillet 2010. Les personnes en cause étaient des salariés de Rete Ferroviaria Italiana (ci-après «RFI»), l’entreprise publique d’exploitation des chemins de fer. En conséquence de l’accident, M. Marrai est décédé, M. Bardelli a été amputé d’une jambe et M. Tomberli a subi des blessures graves. Toutes les victimes étaient également des salariés de RFI.

20.      Les réquisitions de renvoi des personnes physiques en question concluent également au renvoi de deux personnes morales du fait de l’accident, à savoir Elettri Fer Srl (ci-après «Elettri Fer») et RFI. Ces réquisitions sont fondées, notamment, sur l’article 25 septies du décret législatif.

21.      Dans la procédure devant la juridiction de renvoi, M. Bardelli et les représentants des héritiers de M. Marrai (ci-après les «demandeurs au principal») ont présenté des actes de constitution de parties civiles en vertu des articles 74 et suivants du code de procédure pénale. Ils demandent la réparation de tous les préjudices patrimoniaux et moraux qu’ils ont subis en conséquence de l’accident et demandent à la juridiction de renvoi de recevoir leur constitution de partie civile non seulement contre les personnes physiques qui seraient les auteurs des infractions en question, mais aussi contre Elettri Fer et RFI.

22.      La juridiction nationale est appelée à statuer sur des conclusions s’opposant à cette demande au motif que le droit italien n’autorise pas les victimes d’infractions et leurs représentants à poursuivre directement des personnes morales dans le cadre d’une procédure pénale.

23.      Le juge de renvoi observe que la question soulevée par cette objection a déjà été largement débattue, mais considère qu’elle n’a pas encore été résolue. Il observe que, en droit interne, une infraction pénale commise par une personne morale est qualifiée d’indirecte et subsidiaire et ne peut, en conséquence, pas être considérée comme déterminante, sur le plan causal, de la perpétration des infractions en question. Après avoir examiné les arguments pour et contre l’objection, il estime que, même si tous les doutes ne sont pas écartés, l’interprétation correcte du droit interne est favorable aux arguments des parties qui ont soulevé l’objection.

24.      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:

«La réglementation italienne relative à la responsabilité administrative des organismes/personnes morales prévue par le décret législatif no 231/2001 et ses modifications successives, en ne prévoyant pas ‘expressément’ la possibilité que ceux-ci soient appelés à répondre dans le procès pénal des préjudices causés aux victimes des infractions, est-elle conforme aux dispositions du droit communautaire en matière de protection des victimes d’infractions dans le procès pénal?»

25.      Les représentants des héritiers de M. Marrai, les gouvernements allemand, italien, néerlandais et autrichien ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. À l’audience du 15 mars 2012, les représentants des héritiers de M. Marrai, les gouvernements allemand et néerlandais ainsi que la Commission ont présenté des observations orales.

 Analyse

 Observations préliminaires

 Compétence de la Cour

26.      La décision-cadre a été adoptée en vertu des articles 31 et 34, paragraphe 2, sous b), UE. Ces dispositions faisaient partie du titre VI du traité UE, intitulé «Dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale». L’article 35, paragraphe 1, UE conférait à la Cour la compétence de statuer à titre préjudiciel notamment sur l’interprétation des décisions-cadres établies en vertu de ce titre, sous réserve des conditions définies par cet article. En vertu de l’article 35, paragraphe 2, ces conditions comprenaient une déclaration préalable de l’État membre acceptant la compétence de la Cour pour statuer à titre préjudiciel dans les conditions définies au paragraphe 1. La République italienne a accepté cette compétence par une déclaration entrée en vigueur le 1er mai 1999, le même jour que l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam (9).

27.      Depuis l’adoption de la décision-cadre, le traité de Lisbonne est entré en vigueur (10).

28.      Ainsi que la Cour l’a expliqué dans l’arrêt X (11), conformément aux articles 9 et 10, paragraphe 1, du protocole no 36 sur les dispositions transitoires, annexé au traité FUE, les effets juridiques de la décision-cadre sont préservés malgré l’entrée en vigueur de ce traité et la compétence de la Cour pour statuer à titre préjudiciel reste inchangée (12).

29.      Dans ces conditions, la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel.

 La directive 2004/80/CE

30.      Même si le juge de renvoi ne soulève pas expressément le problème dans la question préjudicielle, il indique dans son ordonnance qu’il sollicite l’interprétation de la Cour non seulement pour ce qui concerne la décision-cadre, mais aussi pour savoir si la directive 2004/80/CE (13) s’applique aux circonstances décrites ci-dessus.

31.      Comme le précise l’article 1er de ladite directive, celle-ci ne s’applique qu’en cas d’«infraction intentionnelle violente» présentant un élément transfrontalier. Dans la présente affaire, rien n’indique que, à supposer que des infractions pénales aient été commises, elles l’aient été intentionnellement. Il n’existe pas non plus d’élément transfrontalier. Dans ces circonstances, la directive en question ne peut pas s’appliquer au cas d’espèce (14) et je ne l’examinerai pas davantage.

 La question préjudicielle

32.      Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si certaines dispositions de la législation nationale sont compatibles avec l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre. Il est clair que la législation nationale permet à la victime d’une infraction commise par une personne physique d’obtenir réparation de la part de cette personne en se constituant partie civile à cette fin dans un procès pénal (15). Si l’infraction a été commise par une personne morale, toutefois, la juridiction de renvoi estime que cette demande n’est pas recevable et que la victime doit la former dans un procès civil distinct intenté à cette fin (16). La juridiction de renvoi observe que, pour intenter cette action civile, la victime a le choix. Elle peut attendre que l’éventuelle décision déclarant la culpabilité des auteurs de l’infraction passe en force de chose jugée, ce qui (au moins en cas d’appel contre la déclaration de culpabilité ou la peine) peut durer des années, pour intenter ensuite une action devant les juridictions civiles, action qui, elle-même, durerait vraisemblablement quelques années de plus. La victime peut aussi intenter immédiatement une procédure civile parallèle mais, même dans ce cas, les délais nécessaires seraient «très longs» et les dépens seraient considérablement alourdis.

33.      Dans la mesure où, par sa question, la juridiction de renvoi demande à la Cour de statuer sur la compatibilité d’une mesure nationale avec le droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître. Elle peut cependant fournir à la juridiction de renvoi les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui sont de nature à permettre à cette juridiction de statuer sur cette question de compatibilité pour trancher le litige dont elle se trouve saisie (17). Ainsi que le fait à juste titre observer la Commission, la question peut être reformulée de manière à fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi. La question est en substance de savoir si l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre autorise à établir une distinction entre les personnes physiques et les personnes morales auteurs d’une infraction pour ce qui concerne le droit de la victime, dans le cadre du procès pénal dirigé contre ces personnes, à obtenir réparation du préjudice qui lui a été causé par cette infraction.

34.      Dans leurs observations, les gouvernements allemand, néerlandais et autrichien soulignent unanimement la grande latitude que la décision-cadre laisse aux États membres pour sa mise en œuvre. La Cour a effectivement reconnu le large pouvoir d’appréciation dont ils disposent à cet égard (18). Cette question peut s’avérer particulièrement importante dans le cas où une interprétation est susceptible de se heurter aux règles constitutionnelles de l’État membre concerné alors qu’une autre interprétation pourrait ne pas le faire (19). Dans le même temps, il convient cependant de ne pas perdre de vue que la décision-cadre a été conçue de manière à imposer des obligations aux États membres en ce qui concerne les objectifs à atteindre. Il s’agit donc ici d’un domaine dans lequel la Cour devrait avancer avec précaution. Cela ne signifie cependant pas qu’elle doive se garder d’intervenir du tout.

35.      Avant d’aborder la question de l’interprétation à donner de l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre il est utile d’examiner brièvement ce que cette disposition ne fait pas. Elle n’impose pas aux États membres de modifier leur droit pénal sur le fond de manière à introduire ou à étendre la notion de responsabilité pénale des personnes morales (20). Autrement dit, elle n’oblige pas un État membre à créer cette responsabilité si elle n’existe pas. En conséquence, un État membre dont le droit interne prévoit que seules des personnes physiques peuvent être déclarées coupables d’une infraction pénale n’enfreindra pas les dispositions de la décision-cadre en n’étendant pas cette possibilité aux personnes morales qui pourraient être considérées comme portant une part de responsabilité corrélative pour cette infraction et en ne permettant pas d’obtenir réparation de la part de ces personnes morales en vertu de l’article 9, paragraphe 1. Dans un tel État membre, la victime qui désire obtenir réparation des conséquences d’une infraction dont la personne morale serait responsable devra intenter une action civile, avec toutes les conséquences qui en découlent en droit interne.

36.      Tel n’est toutefois pas le cas en l’espèce. Il résulte, selon moi, de la combinaison de l’ordonnance de renvoi, des observations écrites présentées à la Cour et des observations orales faites à l’audience que, en droit italien:

–        les personnes morales peuvent être responsables de la perpétration d’un acte illicite en vertu des dispositions du décret législatif;

–        l’acte illicite pour lequel la personne morale peut être inculpée est qualifié d’infraction administrative: cette qualification a été adoptée afin d’éviter d’éventuels problèmes qui pourraient surgir en vertu du droit constitutionnel italien si un acte commis par une personne morale devait être qualifié spécifiquement de «criminel»;

–        les critères de la section générale du décret législatif qui définissent l’acte illicite sont formulés par référence expresse aux dispositions du code pénal (21);

–        un acte illicite commis par une personne morale n’est pas à considérer comme constituant le même acte que l’acte équivalent commis par une personne physique; la responsabilité qui en découle sera qualifiée d’«indirecte et subsidiaire»; pour qu’une personne morale soit responsable, il est nécessaire d’établir qu’elle doit endosser la responsabilité des actes de ses dirigeants ou de ses salariés;

–        il s’ensuit qu’une personne morale ne doit pas être considérée comme l’«auteur» direct de l’infraction commise par une personne physique;

–        néanmoins, la responsabilité de la personne morale a pour fondement essentiel le fait qu’un acte illicite a été commis par une personne physique (22); autrement dit, faute d’un acte (criminel), la personne morale concernée ne pourrait pas voir sa responsabilité engagée;

–        les procédures dirigées contre des personnes morales sont portées devant les juridictions pénales, sont régies par les dispositions du code de procédure pénale et doivent être jointes aux procédures pénales dirigées contre la ou les personnes physiques poursuivies pour avoir commis l’acte illicite en question (23).

37.      Alors que le droit italien ne permet pas à une victime d’obtenir la condamnation d’une personne morale à des dommages et intérêts en se constituant partie civile contre cette personne morale dans le procès pénal en application de l’article 74 du code de procédure pénale, il semble que, en pratique, le même résultat puisse être atteint par une autre voie. Dans un arrêt rendu en octobre 2010, la sixième chambre pénale de la Corte suprema di cassazione a jugé:

«[…] dans la procédure prévue par le décret législatif, la situation de la personne lésée est de toute façon garantie, dans la mesure où non seulement elle peut obtenir immédiatement la protection de ses intérêts devant le juge civil, mais elle peut aussi citer l’organisme/personne morale comme civilement responsable au sens de l’article 83 du code de procédure pénale dans le cadre du procès ayant pour objet la responsabilité pénale de l’auteur de l’acte illicite commis dans l’intérêt de la personne morale et elle peut le faire — normalement — dans le cadre même de la procédure relative à la responsabilité de l’organisme/personne morale» (24).

38.      Il incombe évidemment à la juridiction de renvoi de vérifier que cette affirmation reflète fidèlement la situation en droit interne.

39.      Les règles que j’ai décrites ci-dessus sont-elles compatibles avec l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre?

40.      L’article 9, paragraphe 1, protège les victimes d’infractions en obligeant les États membres à prendre des dispositions pour que ces victimes obtiennent réparation dans un délai raisonnable dans le cadre de la procédure pénale. En obtenant qu’il soit statué sur leurs droits dans ce cadre, les victimes devraient, comme le souligne la Commission, bénéficier d’une procédure qui est à la fois plus rapide et moins coûteuse que si elles devaient établir le bien-fondé de leur demande par la voie d’un procès civil distinct.

41.      La disposition en question se divise en deux parties. Dans sa première partie, elle établit la règle générale selon laquelle les États membres sont tenus de garantir qu’il existe, pour la victime d’une infraction pénale, le droit d’obtenir qu’il soit statué dans un délai raisonnable sur la réparation par l’auteur de l’infraction dans le cadre de la procédure pénale. La seconde partie introduit une exception à cette règle générale. Cette exception s’applique lorsque, «pour certains cas», la loi nationale prévoit que l’indemnisation interviendra dans un autre cadre.

42.      J’examinerai la règle générale établie par la première partie de l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre avant de me tourner vers l’exception introduite par la seconde partie.

 La règle générale

43.      Quelles sont les conditions essentielles dans lesquelles l’article 9, paragraphe 1, impose aux États membres de garantir qu’une décision soit prise dans un délai raisonnable sur la réparation à accorder à une victime pour le préjudice causé par une infraction pénale? Premièrement, il faut qu’une infraction ait été commise. Deuxièmement, le droit de l’État membre concerné doit permettre de poursuivre pénalement l’inculpé du fait de cette infraction. Troisièmement, il faut un procès pénal.

44.      Si nous prenons un exemple simple, l’application de ces conditions est claire. Imaginons que, dans un État membre donné, X, par sa conduite imprudente au volant dans le cadre de son emploi comme salarié de Y (une personne morale) cause un accident qui inflige un préjudice à une ou plusieurs victimes. Cet État membre admet le principe de la responsabilité pénale des personnes morales et poursuit, devant les juridictions pénales et selon la procédure ordinaire, les personnes morales qui auraient commis de tels actes. Imaginons en outre que la notion d’«auteur de l’infraction» figurant à l’article 9, paragraphe 1, soit applicable aux personnes morales (je reviendrai ultérieurement sur cette question (25)). À la suite de cet accident, tant X (en qualité de personne physique qui l’a directement causé) que Y (en qualité de personne morale indirectement responsable de l’avoir causé) sont poursuivis devant les juridictions pénales. Ils sont poursuivis du chef d’infractions étroitement liées. Dans cette situation, il est clair que la décision-cadre impose à un État membre dont le droit interne ne prévoit pas encore la possibilité pour les victimes de demander et (le cas échéant) d’obtenir réparation dans le cadre du procès pénal de modifier sa législation nationale pour qu’elle respecte l’article 9, paragraphe 1.

45.      Cependant, la présente affaire n’est pas si simple.

46.      Si l’on examine chacune des conditions énoncées au point 42 des présentes conclusions, il me semble, premièrement, que la décision-cadre ne s’occupe pas tant de la qualification technique de l’«infraction» en droit interne que de sa nature essentielle. La décision-cadre vise le fond plutôt que la forme. Tout en relevant le large pouvoir d’appréciation qui est laissé aux autorités nationales quant aux modalités concrètes de mise en œuvre des objectifs de la décision-cadre, la Cour a également jugé que, afin de préserver son effet utile, il fallait lui donner une interprétation téléologique (26).

47.      Pour apprécier le respect de l’article 9, paragraphe 1, aucune pertinence ne peut donc être reconnue à la circonstance que le droit interne qualifie l’infraction en question d’«indirecte et subsidiaire». Par nature, il est peu probable que la responsabilité pénale des personnes morales soit directe ou primaire. Par souci d’exhaustivité, j’ajoute qu’il n’est pas nécessaire que les personnes physiques et les personnes morales soient poursuivies pour la même infraction. L’article 9, paragraphe 1, n’exige d’ailleurs pas, pour que des personnes morales relèvent de son champ d’application, qu’une ou plusieurs personnes physiques soient d’abord poursuivies du chef de l’infraction en question.

48.      En droit italien, l’infraction commise par une personne morale est qualifiée d’«administrative» (27). Il me semble, à cet égard, que le même principe d’interprétation devrait néanmoins s’appliquer. Il ressort clairement du quatrième considérant du préambule de la décision-cadre que l’objectif de celle-ci est d’offrir un «niveau élevé de protection» aux victimes de la criminalité. En vertu de l’article 9, paragraphe 1, l’un des moyens d’atteindre cet objectif est de garantir que les victimes puissent obtenir réparation dans le cadre du procès pénal consacré au jugement de l’infraction qui a causé le préjudice en question. J’admets volontiers que l’adoption de la décision-cadre n’obligeait pas les États membres à introduire dans leur droit interne la notion de responsabilité pénale des personnes morales si cette notion n’en faisait pas déjà partie (28). Il me semble toutefois qu’un État membre dont le droit interne connaît cette notion ne peut pas, au moyen de motifs essentiellement formels, s’exonérer de son obligation de garantir la protection des victimes conformément à l’article 9, paragraphe 1.

49.      En l’espèce, la législation de l’État membre concerné prévoit la responsabilité des personnes morales du fait d’actes illicites, au moyen de dispositions selon lesquelles 1) les critères de définition de l’acte illicite se réfèrent aux dispositions du code pénal, 2) la responsabilité du fait de cet acte repose nécessairement sur le fait qu’un acte illicite a été commis par une personne physique et 3) la procédure contre la personne morale est portée devant les juridictions pénales, relève des dispositions du code de procédure pénale et est, en principe, jointe à la procédure contre la ou les personnes physiques qui auraient commis l’acte illicite en question. L’article 9, paragraphe 1, devrait faire l’objet d’une interprétation téléologique privilégiant le fond sur la forme. En conséquence, le fait que le droit interne qualifie la responsabilité des personnes morales du fait d’un tel acte illicite de responsabilité «administrative» ne suffit pas, selon moi, pour exclure l’application de cette disposition et, partant, l’obligation de garantir une protection à la victime de ces actes.

50.      Deuxièmement, l’acte en question doit déboucher sur un procès contre un auteur d’infraction. Alors que l’article 1er, sous a), de la décision-cadre définit le terme «victime», il ne définit pas l’expression «auteur de l’infraction» (29). Dans ces circonstances, il me semble que cette expression doit se voir attribuer sa signification naturelle et ordinaire. C’est un terme large, utilisé dans un contexte où, si le législateur avait entendu s’exprimer de manière restrictive, il l’aurait fait. Je conclus donc sans grande difficulté que l’interprétation à donner à «auteur de l’infraction» devrait inclure non seulement les personnes physiques mais aussi les personnes morales qui sont poursuivies pour avoir commis des actes illicites.

51.      Troisièmement, il faut un procès pénal. Cette exigence est évidente; sans elle, l’article 9, paragraphe 1, n’aurait aucun sens. L’article 1er, sous c), de la décision-cadre précise que cette notion doit s’entendre en fonction de la loi nationale applicable. Autrement dit, il n’existe pas de notion harmonisée en droit de l’Union de ce que l’expression «procédure pénale» est censée recouvrir. Étant donné que, en l’espèce, il semble ne faire aucun doute que la procédure en question est une procédure pénale — ce qui a été confirmé à l’audience par le gouvernement italien (30) — je n’ai pas l’intention d’examiner plus longtemps cette question.

52.      Si ces conditions sont remplies, l’État membre concerné devra garantir que son droit interne contienne des dispositions permettant à la victime d’un acte illicite de participer à la procédure pénale de manière à ce qu’elle soit en mesure, dans le cadre de ladite procédure, de présenter sa demande de réparation contre les personnes poursuivies. Cela comprend les personnes morales.

53.      Au point 36 des présentes conclusions, j’ai mentionné un arrêt de la Corte Suprema di Cassazione sur lequel le gouvernement italien a attiré l’attention de la Cour dans ses observations et qui a fait l’objet de longues discussions à l’audience. Selon cet arrêt, les victimes d’actes illicites impliquant des personnes morales ne peuvent pas, en effet, revendiquer l’application de l’article 74 du code de procédure pénale pour se constituer parties civiles dans le procès contre les personnes morales. Elles seront cependant protégées en pratique, car 1) elles peuvent intenter une action civile pour faire valoir leur créance contre ces personnes et 2) elles peuvent s’appuyer sur l’article 83 du même code pour faire valoir leur demande devant les juridictions pénales par une autre voie. La première de ces possibilités — c’est-à-dire celle d’intenter une action civile — est sans pertinence pour la présente discussion. La juridiction de renvoi a indiqué, en effet, que les délais qu’implique cette voie sont généralement assez longs (31). Si tel est le cas, la protection que la décision-cadre a pour objectif de garantir ne sera pas atteinte. En revanche, la possibilité de s’appuyer sur l’article 83 du code me semble potentiellement pertinente. Si les victimes des actes illicites peuvent effectivement emprunter cette voie, la circonstance que le droit italien puisse les empêcher de devenir parties civiles dans les procédures en question restera sans influence sur la question de savoir si la législation nationale répond aux exigences de l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre.

54.      Les parties ont exprimé des vues divergentes quant à la possibilité d’appliquer l’enseignement de cet arrêt dans l’affaire au principal. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de décider si tel est ou non le cas.

55.      Au vu de toutes les considérations qui précèdent, je considère que la règle générale établie par la première partie de l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre devrait s’interpréter en ce sens que, si le droit interne d’un État membre permet de poursuivre les personnes morales du fait d’un acte illicite, la circonstance que ce droit qualifie la responsabilité du fait d’un tel acte de responsabilité «indirecte et subsidiaire» et/ ou «administrative» n’exonère pas cet État membre de son obligation d’appliquer les dispositions de cet article en ce qui concerne les personnes morales dès lors que 1) les critères de définition de l’acte illicite se réfèrent aux dispositions du code pénal, 2) la responsabilité du fait de cet acte repose nécessairement sur le fait qu’un acte illicite a été commis par une personne physique et 3) la procédure contre la personne morale est portée devant les juridictions pénales, relève des dispositions du code de procédure pénale et est, en principe, jointe à la procédure contre la ou les personnes physiques qui auraient commis l’acte illicite en question.

 L’exception

56.      La règle générale de l’article 9, paragraphe 1, ne s’applique pas «lorsque, pour certains cas, la loi nationale prévoit que l’indemnisation interviendra dans un autre cadre».

57.      Les gouvernements allemand et néerlandais soutiennent que cette exception doit s’appliquer dans l’affaire au principal. Dès lors que les victimes ont la possibilité de saisir les juridictions civiles de leurs demandes contre les personnes morales qui auraient commis les infractions, un État membre n’a aucune obligation de garantir que ces demandes puissent être formées dans le cadre du procès pénal dirigé contre lesdites personnes.

58.      Je ne suis pas d’accord.

59.      L’exception, qui constitue une dérogation à la règle générale établie par la première partie de l’article 9, paragraphe 1, doit être interprétée strictement (32). Une interprétation de cette exception qui exclurait de la règle générale tous les cas impliquant une catégorie spécifique d’auteurs d’infractions, à savoir les personnes morales, risquerait de transformer l’exception en règle. Telle ne peut pas avoir été l’intention du législateur. L’exception est appelée à s’appliquer «pour certains cas». Je voudrais me référer à cet égard aux travaux préparatoires de la décision-cadre, qui font état d’une discussion ayant eu lieu lors d’une réunion du groupe de travail compétent du Conseil, réunion au cours de laquelle le texte du projet de décision-cadre a été examiné (33). Selon le compte-rendu de la réunion, les délégations suédoise, autrichienne et allemande avaient proposé de supprimer les mots en question (34). Le compte-rendu ajoute que la présidence (française) avait souligné que «sans ces termes, le paragraphe 1 était vide de sens».

60.      Cela ne signifie pas que l’exception ne peut s’appliquer dans aucune circonstance. À cet égard, je suis d’accord avec la Commission pour dire qu’il doit y avoir des justifications objectives pour appliquer cette exception. Il s’agirait notamment des cas dans lesquels des raisons pratiques font obstacle à l’application de la règle générale, par exemple lorsque le préjudice découlant de l’infraction ne peut pas être établi, ou ne peut pas l’être avec une précision suffisante pour permettre que la demande soit formulée avant la conclusion de la procédure pénale dirigée contre l’auteur de l’infraction. L’exclusion des personnes morales du champ d’application de l’article 9, paragraphe 1, en tant que catégorie, ne peut toutefois pas se justifier objectivement.

61.      En conséquence, je conclus que l’exception à la règle générale qui est introduite par la deuxième partie de l’article 9, paragraphe 1, ne peut pas être interprétée comme permettant d’exclure, de la règle générale établie à la première partie de cette disposition, une catégorie particulière d’auteurs d’infractions, telle que les personnes morales.

 Observations finales

 Application de ces principes

62.      Dans l’affaire au principal, il incombera au juge de renvoi de procéder de la manière suivante. Premièrement, il doit déterminer si une infraction pénale au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre a été commise par les personnes morales concernées. Pour statuer sur cette question, il devrait avoir égard non seulement aux règles de droit interne relatives à la nature d’un acte illicite, mais aussi aux principes exposés au point 48 des présentes conclusions. Deuxièmement, il doit vérifier si ces personnes morales peuvent être qualifiées d’auteurs de l’infraction aux fins de cette disposition. Il devrait prendre en compte les observations exposées au point 49 des présentes conclusions pour se prononcer sur cette question. Troisièmement, il devrait vérifier si la procédure en question est une procédure pénale au sens de la disposition en question. Ce faisant, il devrait avoir égard aux considérations exposées au point 50 des présentes conclusions. Quatrièmement, il doit établir si des circonstances exceptionnelles justifient l’application de l’exception prévue à la deuxième partie de l’article 9, paragraphe 1. Si, à l’issue de cet examen, il conclut que la règle générale s’applique et que l’exception ne s’applique pas, il doit poursuivre et vérifier si le droit interne est bien conforme à cette règle générale.

63.      À cet égard, je voudrais présenter les observations générales suivantes.

64.      La Cour a déjà jugé que le principe d’interprétation conforme s’impose au regard des décisions-cadres adoptées dans le cadre du titre VI du traité sur l’Union européenne. En appliquant le droit national, la juridiction de renvoi appelée à interpréter celui-ci est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la décision-cadre afin d’atteindre le résultat visé par celle-ci et de se conformer aux dispositions du traité UE (35).

65.      Toutefois, dans le même temps, la Cour a jugé à plusieurs reprises que l’obligation, pour le juge de renvoi, d’interpréter son droit national conformément au droit de l’Union trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité. En d’autres termes, le principe d’interprétation conforme ne peut servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national. Ce principe requiert néanmoins que la juridiction de renvoi prenne en considération, le cas échéant, l’ensemble du droit national pour apprécier dans quelle mesure celui-ci peut recevoir une application telle qu’il n’aboutisse pas à un résultat contraire à celui visé par la décision-cadre (36).

66.      Enfin, la juridiction de renvoi observe que l’interprétation du droit national qui est proposée par les demandeurs au principal risquerait d’enfreindre la règle de droit interne qui interdit l’application par analogie in malam partem des dispositions du code pénal.

67.      Le droit national n’est pas le seul à interdire une telle application des règles du droit pénal. Dès 1963, la commission européenne des Droits de l’homme a estimé qu’il en résulterait une violation de l’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), en vertu duquel nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international (37). La Cour européenne des droits de l’homme a adopté une approche similaire dans sa jurisprudence (38).

68.      La formulation de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH est identique à celle de la partie pertinente de l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. À la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la charte a la même valeur juridique que le droit primaire, à savoir depuis le 1er décembre 2009 (39). En vertu de son article 52, paragraphe 3, les droits qu’elle contient et qui correspondent à des droits garantis par la CEDH ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère cette dernière.

69.      Une application par analogie in malam partem des dispositions du droit pénal interne peut contrevenir au droit national ou non (je ne me prononce pas sur ce point). Il reste cependant la question de l’application de ce principe dans le contexte de l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre.

70.      L’article 9, paragraphe 1, n’impose nullement à un État membre de modifier son droit pénal interne sur le fond (40). Cette disposition n’a pas plus d’incidence sur le niveau de la réparation qui est due à une victime pour le préjudice causé par la perpétration d’un acte illicite — rien dans la décision-cadre n’indique que le montant en question devrait faire l’objet d’un calcul différent selon qu’il a lieu dans le cadre d’une procédure civile ou d’une procédure pénale. Ce que fait la décision-cadre, pour atteindre son objectif de protection des intérêts des victimes d’infractions, c’est réduire les délais dans lesquels la réparation en question sera due. Il s’agit d’une question procédurale qui n’affecte en rien la responsabilité pénale du débiteur. Dans ces circonstances, je ne vois pas en quoi le principe in malam partem pourrait s’appliquer à l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, que je propose dans le cadre des présentes conclusions.

 Conclusion

71.      J’estime en conséquence que la Cour devrait répondre comme suit à la question posée par le Tribunale di Firenze:

Il convient d’interpréter la règle générale prévue à la première partie de l’article 9, paragraphe 1, de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, en ce sens que, si le droit interne d’un État membre prévoit que les personnes morales peuvent être poursuivies du fait d’un acte illicite, la circonstance que ce droit qualifie la responsabilité du fait d’un tel acte de responsabilité «indirecte et subsidiaire» et/ou «administrative» n’exonère pas cet État membre de son obligation d’appliquer les dispositions de cet article en ce qui concerne les personnes morales dès lors que, premièrement, les critères de définition de l’acte illicite se réfèrent aux dispositions du code pénal, deuxièmement, la responsabilité du fait de cet acte repose nécessairement sur le fait qu’un acte illicite a été commis par une personne physique et, troisièmement, la procédure contre la personne morale est portée devant les juridictions pénales, relève des dispositions du code de procédure pénale et est, en principe, jointe à la procédure contre la ou les personnes physiques qui auraient commis l’acte illicite en question.

L’exception à cette règle générale qui est énoncée à la deuxième partie de l’article 9, paragraphe 1, doit être interprétée strictement. Elle ne peut pas être interprétée d’une manière qui exclurait de la règle générale établie à la première partie de cet article tous les cas impliquant une catégorie spécifique d’auteurs d’infractions, à savoir les personnes morales.


1 —      Langue originale: l’anglais.


2 —      Décision-cadre du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (JO L 82, p. 1, ci-après la «décision-cadre»).


3 —      Conclusions du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 (point 32).


4 —      Voir décision-cadre, troisième considérant.


5 —      Ou, comme l’ordonnance de renvoi l’a ajouté, «no soul to damn, no body to kick».


6 —      Il a été confirmé à l’audience qu’aucune des personnes morales mentionnées au point 19 des présentes conclusions n’est couverte par cette exonération.


7 —      Décret législatif du 28 juillet 1989 portant des dispositions d’exécution et de coordination ainsi que des dispositions transitoires relatives au code de procédure pénale.


8 —      Telle est la situation indiquée dans l’ordonnance de renvoi. Le dossier de la procédure au principal suggère qu’il peut en réalité y avoir un total de six personnes physiques poursuivies pour les infractions en question, ce qui se reflète dans la liste des parties au principal figurant sur la page introductive des présentes conclusions.


9 —      Voir, à cet égard, l’information relative à la date d’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam publiée au Journal officiel des Communautés européennes (JO L 114, p. 56).


10 —      Le 1er décembre 2009.


11 —      Arrêt du 21 décembre 2011, X (C‑507/10, Rec. p. I‑14241, points 18 à 22).


12 —      En vertu de l’article 10, paragraphe 3, de ce protocole, la mesure transitoire visée à l’article 10, paragraphe 1, cessera, si l’instrument dont il fait partie n’est pas modifié, de produire ses effets cinq ans après la date d’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, c’est-à-dire le 30 novembre 2014.


13 —      Directive du Conseil du 29 avril 2004 relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité (JO L 261, p. 15).


14 —      Voir, à cet égard, arrêt du 28 juin 2007, Dell’Orto (C‑467/05, Rec. p. I‑5557, point 57).


15 —      En vertu de l’article 74 du code de procédure pénale.


16 —      Voir point 36 des présentes conclusions.


17 —      Voir notamment, à cet égard, arrêt du 8 juin 2006, WWF Italia e.a. (C‑60/05, Rec. p. I‑5083, point 18).


18 —      Arrêt du 21 octobre 2010, Eredics et Sápi (C‑205/09, Rec. p. I‑10231, point 38).


19 —      Pour ce qui concerne la situation en Italie, voir point 35 des présentes conclusions.


20 —      Voir, en ce sens, le point 39 des conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Gueye et Salmerón Sánchez (arrêt du 15 septembre 2011, C‑483/09 et C‑1/10, Rec. p. I‑8263).


21 —      Voir point 12 des présentes conclusions.


22 —      Voir arrêt de la Corte suprema di cassazione du 5 octobre 2010, no 2251/11, section 11.2.2, où celle-ci a qualifié la perpétration d’une infraction pénale par des personnes physiques de «condition fondamentale» («presupposto fondamentale») pour que la responsabilité des personnes morales responsables de leur conduite soit engagée.


23 —      La jonction ne se produira (évidemment) pas dans le cas où les dispositions de l’article 8 du décret législatif s’appliquent et où la procédure est dirigée contre la seule personne morale.


24 —      Voir arrêt mentionné à la note en bas de page 22 (section 11.2.5).


25 —      Voir point 49 des présentes conclusions.


26 —      Voir, en ce sens, arrêt Gueye et Salmerón Sánchez, précité (points 57 et 58). Même si cette affaire concerne l’interprétation de l’article 3 de la décision-cadre, tant l’article 3 que l’article 9 s’inscrivent dans le contexte d’une décision qui a été adoptée afin de garantir que les besoins des victimes soient pris en considération et traités de manière globale. Je ne vois pas de raison d’interpréter l’article 9 d’une autre manière que l’article 3 à cet égard.


27 —      Voir point 11 des présentes conclusions.


28 —      Voir point 34 des présentes conclusions.


29 —      Il a été question à l’audience de l’arrêt Dell’Orto, précité à la note 14, et des conclusions de l’avocat général Kokott dans cette affaire. Alors que l’arrêt Dell’Orto confirme que, à la fois littéralement et téléologiquement, une «victime» ne peut être qu’une personne physique, cette affaire ne fournit aucune indication pour l’interprétation de la notion d’«auteur de l’infraction».


30 —      En vertu de l’article 36 du décret législatif. Voir point 15 des présentes conclusions.


31 —      Voir point 31 des présentes conclusions.


32 —      Voir, à cet égard, les conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Dell’Orto, précitées (points 81 et 82).


33 —      Voir le rapport du groupe «Coopération en matière pénale» du 11 juillet 2000, référence 10387/00 COPEN 54.


34 —      À l’époque de cette discussion, la formulation de ce passage était «pour certains cas particuliers». Je ne pense pas que la suppression du terme «particuliers» soit significative.


35 —      Arrêt du 16 juin 2005, Pupino (C‑105/03, Rec. p. I‑5285, point 43).


36 —      Voir, à cet égard, arrêt Pupino, précité (points 44 et 47). Voir aussi, dans un autre contexte, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, Rec. p. I‑8835, points 118 et 119).


37 —      Voir X. c. Autriche, no 1852/63, décision de la Commission du 22 avril 1965, Annuaire 8, p. 190 et 198; voir, aussi, Cour eur. D. H., décision du 10 décembre 1975, X. c. Royaume-Uni, no 6683/74, D. R. 3, p. 95.


38 —      Cour eur. D. H., arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A no 260, point 51.


39 —      Voir article 6, paragraphe 1, TUE.


40 —      Voir point 34 des présentes conclusions.