Language of document : ECLI:EU:C:2002:44

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 24 janvier 2002 (1)

Affaire C-499/99

Commission des Communautés européennes

contre

Royaume d'Espagne

«Manquement d'État - Aides d'État - Décision de la Commission du 20 décembre 1989 - Décision de la Commission du 14 octobre 1998»

1.
    La Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n'adoptant pas dans le délai imparti les mesures nécessaires pour se conformer aux décisions de la Commission, 91/1/CEE, du 20 décembre 1989, concernant les aides accordées en Espagne par le gouvernement central et plusieurs gouvernements autonomes à Magefesa, producteur d'ustensiles de cuisine en acier inoxydable et de petits appareils électriques (2) (ci-après la «décision de 1989»), et 1999/509/CE, du 14 octobre 1998, concernant des aides accordées par l'Espagne aux entreprises du groupe Magefesa et à ses successeurs (3) (ci-après la «décision de 1998»), le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 249, quatrième alinéa, CE, ainsi que des articles 2 et 3 des décisions susmentionnées.

I - Les antécédents du litige

Les entreprises concernées

2.
    Le groupe Magefesa est constitué essentiellement de quatre entreprises industrielles: Investigación y Desarrollo Udala SA (ci-après «Indosa»), établie au Pays basque, Cubertera del Norte SA (ci-après «Cunosa») et Manufacturas Gur SA (ci-après «GURSA»), établies en Cantabrie, et Manufacturas Inoxidables de Gibraltar SA (ci-après «MIGSA»), établie en Andalousie.

3.
    La situation de ces entreprises peut être résumée ainsi:

-    Indosa a été déclarée en faillite le 19 avril 1994, à la demande de ses employés, mais a poursuivi ses activités.

-    Cunosa a cessé ses activités en 1994 et a été déclarée en faillite le 13 avril 1994, à la demande de ses employés. Les opérations de liquidation ont commencé en mars 1998.

-    MIGSA a cessé ses activités en 1993 et a été déclarée en faillite le 27 mai 1999, à la demande de ses employés.

-    GURSA est inactive depuis 1994, mais n'a pas été déclarée en faillite.

4.
    Dans le but d'attribuer les aides en cause, des sociétés de gestion ont été créées dans les communautés autonomes concernées: Fiducias de la Cocina y Derivados SA (ci-après «Ficodesa») au Pays basque, Gestión de Magefesa en Cantabria SA (ci-après «Gemacasa») en Cantabrie, et Manufacturas Damma SA (ci-après «Damma») en Andalousie. Le rôle de ces sociétés est décrit de la façon suivante dans la décision de 1989 (4):

«[...] Ces sociétés avaient deux principales fonctions: premièrement, permettre aux pouvoirs publics de contrôler tant l'utilisation des aides qui devaient être accordées que la mise en oeuvre des directives de Gestiber [société espagnole privée d'experts-conseils]; deuxièmement, garantir l'activité des sociétés du groupe Magefesa, essentiellement en empêchant les créanciers de saisir les ressources financières et les stocks desdites sociétés . À cette fin, sur la base d'accords conclus avec lesdites entreprises, les sociétés écrans en question commercialisent la totalité de la production de Magefesa achetée auparavant aux différentes entreprises et gèrent en même temps les ressources, la matière première et les produits semi-finis nécessaires aux entreprises, qu'elles approvisionnent en fonction de l'état d'avancement des travaux ou de la justification de leurs dépenses.»

5.
    Ficodesa a été déclarée en faillite le 19 janvier 1995 à la demande des employés du groupe Magefesa. Damma est inactive depuis 1993, mais n'a pas été déclarée en faillite.

La décision de 1989

6.
    Le dispositif de la décision de 1989 se lit ainsi:

«Article premier

Les aides publiques accordées aux sociétés du groupe Magefesa et consistant en:

i)    des garanties d'un montant de 1,580 milliard de pesetas espagnoles sur des prêts,

ii)    un prêt de 2,085 milliards de pesetas espagnoles accordé à des conditions autres que celles du marché,

iii)    des aides non remboursables d'un montant de 1,095 milliard de pesetas espagnoles

    et

iv)    une bonification d'intérêt d'un montant évalué à 9 millions de pesetas espagnoles

ont été octroyées illégalement et sont incompatibles avec le marché commun en vertu de l'article 92 du traité CEE.

Article 2

En conséquence, les éléments d'aide qu'elles contiennent doivent être supprimés. Le gouvernement espagnol est donc invité à appliquer les dispositions suivantes:

a)    retrait des garanties d'un montant de 1,580 milliard de pesetas espagnoles accordées par l'État sur des prêts;

b)    transformation du prêt à taux réduit en un crédit normal assorti des conditions du marché pour ce qui concerne le taux d'intérêt et le remboursement, ou retrait du prêt ou encore toute autre mesure appropriée permettant de garantir que les éléments d'aide soient entièrement supprimés; la mesure adoptée, quelle que soit la nature, doit prendre effet à la date à laquelle le prêt a été accordé;

c)    en cas de transformation, l'assurance que les remboursements du prêt en question se feront conformément au calendrier fixé;

d)    récupération de 1,104 milliard de pesetas espagnoles correspondant aux aides non remboursables accordées.

Article 3

Les autorités espagnoles informent la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures prises pour s'y conformer. Si la décision est mise à exécution après l'expiration de ce délai, les dispositions en vigueur en Espagne en matière de paiement d'intérêts de retard à l'État seront applicables.

Article 4

Le royaume d'Espagne est destinataire de la présente décision.»

7.
    Les aides déclarées incompatibles avaient été accordées par les entités suivantes:

-    Le gouvernement basque:

    -    une garantie de prêt de 300 millions de ESP accordée directement à Indosa;

    -    une garantie de 672 millions de ESP accordée à Ficodesa pour être appliquée aux entreprises des sous-groupes Magefesa et Licasa établies au Pays basque, dont Indosa;

    -    des aides, sous forme d'une aide non remboursable s'élevant à 794 millions de ESP et d'une bonification d'intérêts s'élevant à 9 millions de ESP, également octroyées à Ficodesa pour être appliquées aux entreprises des sous-groupes Magefesa et Licasa situées au Pays basque.

-    Le gouvernement cantabrique:

    -    une garantie de prêt d'un montant total de 512 millions de ESP à Gemacasa pour être appliquée à Cunosa et à GURSA;

    -    une aide non remboursable de 262 millions de ESP ayant la même destination.

-    Le gouvernement andalou:

    -    une garantie de prêt d'un montant total de 96 millions de ESP accordée à Damma pour être appliquée à MIGSA;

    -    une aide non remboursable de 29 millions de ESP (5) ayant la même destination.

-    Le Fogasa (Fonds national de garantie des droits des travailleurs en cas d'insolvabilité de leur employeur): prêt à des conditions autres que celles du marché d'un montant de 2,085 milliards de ESP.

8.
    Pour se conformer à la décision de 1989, les entreprises du groupe Magefesa et le Fogasa ont conclu un contrat de remboursement du prêt accordé par ce dernier, contrat qui a été modifié pour être adapté aux exigences de ladite décision. Cette mesure n'est pas contestée par la Commission.

9.
    Pour les autres aides, le royaume d'Espagne a informé la Commission par lettres des 23 octobre 1991, 8 avril 1994 et 23 avril 1997 des mesures prises par les autorités espagnoles.

10.
    Ces mesures sont considérées comme insuffisantes par la Commission.

La décision de 1998

11.
    Le dispositif de la décision de 1998 se lit ainsi:

«Article premier

L'aide que constitue le non-paiement constant d'impôts et de cotisations sociales:

-    par Indosa et Cunosa jusqu'à leur déclaration de faillite,

-    par MIGSA et GURSA jusqu'à l'interruption de leurs activités,

-    par Indosa après sa déclaration de faillite et jusqu'en mai 1997

est illégale, car elle a été accordée par l'Espagne en manquement à l'obligation qui lui incombait en vertu de l'article 93, paragraphe 3, du traité.

L'aide est considérée comme incompatible avec le marché commun, au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, car elle ne remplit aucune des conditions requises pour l'application de l'une des exceptions prévues aux paragraphes 2 et 3 dudit article.

Article 2

1.    L'Espagne adopte les mesures qui s'imposent pour récupérer auprès des bénéficiaires l'aide mentionnée à l'article 1er, qui leur a été accordée de manière illégale.

2.    La récupération de l'aide s'effectue conformément aux procédures et dispositions prévues par la législation espagnole. Les montants qui devront être récupérés comprendront les intérêts dus à compter de l'octroi de l'aide jusqu'à la date effective de remboursement de celle-ci. Les intérêts seront calculés sur la base du taux de référence utilisé pour calculer l'équivalent-subvention net des aides régionales en Espagne.

Article 3

L'Espagne informera la Commission dans un délai de deux mois, à compter de la date de notification de la présente décision, des mesures adoptées en application de celle-ci.»

12.
    Cette décision a fait l'objet d'un recours introduit par le royaume d'Espagne. Par son arrêt du 12 octobre 2000, Espagne/Commission (6), la Cour a rejeté, pour l'essentiel, ce recours, tout en annulant la décision de 1998 en tant qu'elle impose, dans les montants des aides qui doivent être récupérés, la perception d'intérêts échus postérieurement à la déclaration de faillite des entreprises Indosa et Cunosa sur les aides illégalement perçues avant cette déclaration.

13.
    Le gouvernement espagnol a informé la Commission par lettres du 21 janvier 1998, dans le cadre de la procédure contradictoire, ainsi que du 21 janvier 1999 et du 22 juillet 1999, en réponse à la décision de la Commission, des mesures prises pour récupérer le montant des aides.

14.
    L'efficacité de ces mesures a été contestée par la Commission.

II - Le recours

15.
    La Commission demande à la Cour:

-    de constater que, en n'adoptant pas dans le délai imparti les mesures qui s'imposent pour se conformer aux décisions de la Commission, du 20 décembre 1989 et du 14 octobre 1998, déclarant que certaines aides aux entreprises du groupe Magefesa ont été accordées illégalement et sont, en outre, incompatibles avec le marché commun, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 249, quatrième alinéa, CE, ainsi que des articles 2 et 3 des décisions en cause;

-    de condamner le royaume d'Espagne aux dépens.

16.
    Le royaume d'Espagne demande à la Cour de rejeter le recours en manquement et de condamner la Commission aux dépens.

17.
    Il demande également que la procédure soit suspendue en attendant l'arrêt dans l'affaire C-480/98. Cependant, cet arrêt étant déjà prononcé, la demande de suspension formulée par le royaume d'Espagne est devenue sans objet.

III - Analyse

Les aides déclarées incompatibles par la décision de 1989

A - Les aides consenties par le gouvernement basque

18.
    Pour ce qui concerne les garanties de prêt, la Commission relève que «le gouvernement basque a décidé, le 28 juin 1988 (c'est-à-dire avant l'adoption de la décision de 1989) d'intervenir par subrogation dans le remboursement des prêts garantis [(7)] [...]. Conformément à cette décision, le gouvernement basque a effectué plusieurs versements, entre 1988 et 1993, en faveur des organismes de crédit créanciers pour un montant total de 1 365 717 623 ESP [...]. Au fur et à mesure qu'il effectuait ces versements, le gouvernement basque en réclamait le remboursement à Ficodesa. Au 30 décembre 1993, le montant total ainsi réclamé par voie de contrainte à Ficodesa s'élevait à 1 638 315 148 ESP [...].»

19.
    En ce qui concerne l'aide non remboursable et la bonification d'intérêt, la Commission indique que «le gouvernement basque [a envoyé le 25 janvier 1995] une mise en demeure aux ‘représentants légaux de l'entreprise Ficodesa du groupe Magefesa [...]’. À ce moment, Ficodesa, qui avait demandé la cessation des paiements le 4 mai 1994, était en situation légale de faillite depuis une semaine (le 19 janvier 1995) [...]».

20.
    Toujours selon la Commission, «[a]près la déclaration de faillite de Ficodesa, les paiements effectués en exécution des garanties et des aides non remboursables ont été reconnus au passif par l'assemblée générale des créanciers de la faillite de cette société, pour un montant total de 2 168 717 623 ESP».

21.
    Sur la base de ces faits, qui ne sont pas contestés par le gouvernement espagnol, la Commission formule, en substance, deux griefs s'agissant de l'exécution par le royaume d'Espagne de la décision de 1989. L'un concerne le non-retrait par le gouvernement basque de la garantie de prêt accordée à Ficodesa et l'autre l'absence d'action par ce même gouvernement à l'encontre d'Indosa.

Le grief relatif au non-retrait par le gouvernement basque des garanties de prêt

22.
    Selon la Commission, «par la subrogation dans le prêt sur garantie et la demande de remboursement ultérieure à Ficodesa des montants ainsi versés à mesure que les délais du prêt sur garantie expiraient», «[l]e gouvernement basque s'est [...] contenté de transformer un prêt garanti par le gouvernement autonome basque en un prêt octroyé directement par le gouvernement autonome basque aux mêmes conditions, c'est-à-dire des conditions autres que celles du marché et constituant, à ce titre, une aide. Ainsi, même en supposant que Ficodesa aurait remboursé ponctuellement les montants réclamés, le gouvernement autonome basque ne se serait pas conformé à la décision de 1989. Pour ce faire, le gouvernement autonome basque aurait dû rembourser le montant total du crédit, sans attendre qu'il vînt à échéance, et réclamer immédiatement son remboursement au bénéficiaire».

23.
    Le gouvernement espagnol estime qu'«il n'est pas vrai que le gouvernement basque s'est contenté de transformer un prêt qu'il a lui-même garanti en un prêt qu'il a accordé à des conditions non commerciales. Il a libéré la garantie, est intervenu par subrogation aux entités qui avaient accordé le prêt et a exigé le remboursement intégral de ce dernier par voie de contrainte, avec intérêts de retard et 20 % de majoration, en faisant inclure ce montant aux créances admises par l'assemblée des créanciers».

24.
    Que faut-il penser de ce premier grief de la Commission?

25.
    Il échet de constater que la décision de 1989, dans son article 2, oblige le royaume d'Espagne de procéder au «retrait des garanties d'un montant de 1,580 milliard de pesetas espagnoles accordées par l'État sur des prêts».

26.
    Dès lors, en tenant compte de la jurisprudence constante (8) selon laquelle l'obligation pour l'État membre de supprimer une aide considérée par la Commission comme incompatible avec le marché commun vise au rétablissement de la situation antérieure, le gouvernement basque se trouvait dans l'obligation de mettre fin à tout effet que pourraient avoir les garanties sur prêt qu'il avait accordées et qui étaient déclarées incompatibles avec le marché commun.

27.
    Or, c'est à bon droit que la Commission indique que le gouvernement basque aurait dû, pour ce faire, rembourser dès 1989 le montant total du crédit, sans attendre qu'il vînt à échéance, et réclamer immédiatement son remboursement au bénéficiaire. Cette même solution avait d'ailleurs été proposée par le Conseil d'État, organe consultatif suprême espagnol, à l'occasion d'une consultation en 1990 sur la façon dont le royaume d'Espagne devait appliquer la décision de 1989 (9).

28.
    Une telle démarche aurait, en effet, été le seul moyen pour mettre fin aux effets de la garantie, le simple retrait de la garantie n'étant plus possible parce que celle-ci avait déjà donné lieu à une subrogation en 1988, donc antérieurement à la décision de 1989. En revanche, en effectuant des versements aux organismes de crédit créanciers entre 1988 et 1993, donc au rythme des échéances, et en demandant ensuite le remboursement de ces versements à Ficodesa, le gouvernement basque n'a pas retiré la garantie mais n'a fait rien d'autre que continuer à l'exécuter.

29.
    L'argument du gouvernement espagnol selon lequel le gouvernement basque s'est conformé à la décision de 1989 en demandant le remboursement des versements effectués aux organismes de crédit créanciers ne saurait être accueilli. En effet, il convient de rappeler que l'aide consistait en une garantie et non dans une subvention. Dès lors, il n'était que normal que le gouvernement basque demande le remboursement des versements effectués. Le seul fait que le gouvernement basque a réclamé ce remboursement ne démontre donc pas qu'il aurait retiré la garantie.

30.
    Je suis donc d'avis que le nécessaire n'a pas été fait pour qu'il soit procédé au retrait des garanties sur prêt accordées par le gouvernement basque.

Le grief relatif à l'absence d'action par le gouvernement basque à l'encontre d'Indosa

31.
    La Commission reproche également au royaume d'Espagne que le gouvernement basque n'a pas fait le nécessaire pour obtenir le remboursement des versements effectués, ainsi que pour récupérer l'aide non remboursable et la bonification d'intérêts, dès lors que «celui-ci a dirigé toutes ses actions contre Ficodesa. Cette société n'est toutefois qu'une simple société écran, qui n'a aucune activité de production ni patrimoine propre et qui a été créée dans le seul but de canaliser les aides publiques en faveur d'Indosa». Or, selon la Commission, «il est incontestable que les véritables bénéficiaires des aides sont les entreprises du groupe Magefesa, et en particulier Indosa, et non Ficodesa».

32.
    À cet égard, la Commission relève, sans être contredite par le gouvernement espagnol, que tant la garantie de 672 millions de ESP que l'aide non remboursable et la bonification d'intérêts ont été octroyées à Ficodesa «pour être appliquées» aux entreprises des sous-groupes Magefesa et Licasa établies au Pays basque, parmi lesquelles figure Indosa. Par ailleurs, sans être contredite par le gouvernement espagnol, la Commission souligne que la garantie de prêt de 300 millions de ESP a été octroyée directement à Indosa, et non à Ficodesa.

33.
    Pour ce qui concerne les aides accordées à Ficodesa, le gouvernement espagnol répond que le nécessaire a été fait dès lors que le gouvernement basque a, d'abord, demandé par voie de contrainte à Ficodesa le remboursement des sommes en cause et, ensuite, lors de la procédure de redressement judiciaire, obtenu l'inclusion de ces sommes dans les créances admises par l'assemblée des créanciers de la faillite de Ficodesa.

34.
    Le gouvernement espagnol soutient également que le gouvernement basque ne pouvait réclamer ces aides directement à Indosa. En effet, selon lui, «les aides accordées par le gouvernement basque sous forme de garanties et d'aides non remboursables l'ont été en faveur de Ficodesa; le remboursement des aides ne peut par conséquent être réclamé qu'à cette entreprise, seule débitrice du gouvernement basque».

35.
    Le gouvernement espagnol ajoute que «la réclamation de ces sommes par le gouvernement basque aux entreprises qui ont pu, à leur tour, recevoir ces montants de Ficodesa est totalement infructueuse, comme le montre la tentative d'admission de créance effectuée par le gouvernement basque le 7 juin 1996 dans la procédure de règlement judiciaire de Magefesa. En effet, [...], l'assemblée des créanciers n'a pas admis la créance du gouvernement basque le 3 juillet 1996, bien qu'elle ait admis celle de Ficodesa».

36.
    Pour ce qui concerne la garantie accordée directement à Indosa, le gouvernement espagnol relève que «le gouvernement basque a bien réclamé à Indosa les montants correspondant aux créances dont il était titulaire vis-à-vis de cette entreprise. Ainsi, l'assemblée des créanciers a admis, le 12 juin 1995, une créance de 2 800 200 [ESP]».

37.
    Ce second grief de la Commission donne lieu aux observations suivantes.

38.
    En premier lieu, pour ce qui concerne les aides accordées à Ficodesa, le gouvernement espagnol ne conteste pas que les aides ont été accordées pour être appliquées à Indosa et que cette dernière en était en réalité le bénéficiaire principal.

39.
    En outre, le gouvernement espagnol ne conteste pas que Ficodesa était une simple société de gestion qui n'avait aucune activité de production ni patrimoine propre et qui a été créée dans le but de canaliser les aides publiques en faveur d'Indosa.

40.
    Dans ces circonstances, je suis d'avis que, du moment qu'il était clair que les demandes de remboursement adressées à Ficodesa restaient infructueuses, le gouvernement basque aurait dû également entreprendre des démarches afin d'obtenir du bénéficiaire réel des aides la récupération de celles-ci.

41.
    En effet, d'une part, la récupération des aides auprès d'Indosa entre dans le cadre de l'exécution de la décision de 1989 dans la mesure où celle-ci se réfère, à son article 1er, aux «aides publiques accordées aux sociétés du groupe Magefesa» dont fait partie Indosa.

42.
    D'autre part, comme le relève également la Commission, le fait d'en décider autrement permettrait aux États membres d'éluder les normes du traité en matière d'aides publiques en faisant en sorte que ces aides soient octroyées par l'intermédiaire des sociétés qui ne sont pas les réels bénéficiaires de l'aide. L'effet utile que doit comporter l'article 2 de la décision de 1989, qui ordonne la récupération des aides, exige donc que les autorités compétentes entreprennent des démarches pour récupérer les aides non seulement auprès d'une société de gestion qui les a réceptionnées mais également, si cela s'avère nécessaire afin d'aboutir à leur suppression auprès de la société qui en est le bénéficiaire réel.

43.
    Le gouvernement espagnol soutient, cependant, que le gouvernement basque était dans l'impossibilité de réclamer les aides à Indosa, la seule débitrice du gouvernement basque étant Ficodesa. Il invoque donc, en substance, une «impossibilité absolue» quant à la récupération des aides d'Indosa au motif qu'il n'aurait aucun titre à l'égard de celle-ci pour récupérer l'aide.

44.
    Or, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour se soustraire à l'exécution des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire (10).

45.
    Plus particulièrement, dans l'arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission (11), en réponse au gouvernement italien qui soutenait que «selon le droit italien, [la République italienne] n'a aucun titre pour récupérer (12), auprès des acheteurs des quatre filiales, des sommes qui n'ont pas été prises en considération dans les conditions de vente des entreprises en question» (13), la Cour a jugé que «si, en droit italien, l'ENI ne peut pas récupérer des sommes qui n'ont pas été prises en considération dans les conditions de vente des quatre filiales, ce fait ne saurait faire obstacle à la pleine application du droit communautaire et est, dès lors, sans incidence sur l'obligation de procéder au recouvrement des aides en question» (14).

46.
    Il résulte de cette jurisprudence que le fait que le gouvernement basque ne dispose pas de titre à l'égard d'Indosa est sans incidence sur son obligation de procéder au recouvrement des aides en question auprès du bénéficiaire réel de ces dernières. Ceci est d'autant plus vrai dès lors que le gouvernement basque a été impliqué dans la mise sur pied de la construction consistant dans l'attribution de l'aide au bénéficiaire réel, Indosa, par l'intermédiaire d'une société de gestion, Ficodesa. Ainsi qu'il résulte de la décision de 1989, c'est même le gouvernement basque qui a créé Ficodesa (15). Dans ces circonstances, l'absence de titre à l'égard d'Indosa ne peut être attribuée qu'au gouvernement basque lui-même.

47.
    Le gouvernement espagnol soutient encore que les mesures adoptées par les autorités espagnoles pour obtenir le remboursement des aides doivent rester dans le cadre des procédures de redressement judiciaire et, par conséquent, respecter les règles qui les régissent. Dès lors, si l'assemblée des créanciers n'admet pas, suivant les règles nationales en vigueur, une créance, comme cela s'est passé dans le cas de Magefesa, le créancier ne peut exercer aucune action sur le patrimoine du débiteur pour récupérer sa créance.

48.
    Or, à cet égard, le gouvernement espagnol se limite à se référer au cas de Magefesa pour en déduire que, dans le cas d'Indosa, la créance du gouvernement basque n'aurait pas été admise par l'assemblée des créanciers. Cependant, in concreto, ce dernier n'a entrepris aucune tentative pour faire admettre sa créance par l'assemblée des créanciers d'Indosa.

49.
    En outre, si la créance n'avait pas été admise, cela aurait été la conséquence directe du fait que le gouvernement basque ne disposait d'aucun titre à l'égard d'Indosa. Cette absence de titre est, comme nous l'avons déjà vu, à imputer au gouvernement basque lui-même et ne saurait donc avoir une incidence sur l'obligation de procéder au recouvrement des aides.

50.
    Par ailleurs, même si l'absence de titre ou l'(hypothétique) refus d'admettre la créance du gouvernement basque dans la faillite d'Indosa pouvaient être qualifiés comme une difficulté imprévue et imprévisible pour le gouvernement basque, ce qui me paraît déjà très discutable, le gouvernement espagnol aurait dû, selon une jurisprudence constante (16), soumettre le problème à l'appréciation de la Commission et, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment l'article 10 CE, collaborer de bonne foi avec la Commission en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité. Or, il n'y a aucun indice selon lequel le gouvernement espagnol, auquel il appartenait de prendre l'initiative (17), aurait effectué une démarche quelconque afin de soumettre le problème à la Commission. Ainsi qu'il résulte du dossier, il s'est limité à invoquer l'absence de titre dans le chef du gouvernement basque envers Indosa.

51.
    Il convient d'ajouter que, comme le relève la Commission, dans la phase précontentieuse, le gouvernement basque s'était encore référé à l'impossibilité de déterminer les montants dont avait bénéficié chaque entreprise du groupe, en raison des lacunes de leur comptabilité, pour justifier le fait qu'il n'avait entrepris aucune action contre Indosa.

52.
    Or, à cet égard, il suffit de constater que, sous peine de vider l'obligation de récupérer les aides de tout contenu, des difficultés de nature comptable relatives à la détermination exacte du bénéficiaire d'une aide ne sauraient être considérées comme une «impossibilité absolue» de récupérer l'aide en question.

53.
    Je suis donc d'avis que, en ne s'adressant, pour récupérer les aides, qu'à Ficodesa, simple société de gestion par laquelle les aides ont transité, et non à Indosa, bénéficiaire réel et principal des aides, le gouvernement basque n'a pas fait le nécessaire afin de correctement exécuter la décision de 1989.

54.
    En second lieu, pour ce qui concerne la garantie de prêt de 300 millions de ESP accordée directement par le gouvernement basque à Ficodesa, la Commission indique dans sa requête que, «alors que dix années se sont écoulées depuis l'adoption de la décision de 1989, le gouvernement basque n'a entrepris aucune action à l'encontre d'Indosa».

55.
    Certes, le gouvernement espagnol relève, en réponse à cet argument de la Commission, que l'assemblée des créanciers d'Indosa a admis, le 12 juin 1995, une créance pour un montant de 2 800 200 ESP.

56.
    Cependant, il me paraît que cette démarche ne suffit pas pour supprimer une aide ayant consisté dans une garantie de prêt d'un montant de 300 millions de ESP qui a donné lieu à une subrogation et dont le montant devait donc être remboursé par Indosa. En effet, il suffit de constater, à cet égard, que le montant de la créance admise ne représente même pas 1 % du montant de la garantie ayant donné lieu à la subrogation.

57.
    Je suis donc d'avis que le second grief de la Commission est également fondé.

58.
    Il résulte de ce qui précède que, les deux griefs de la Commission étant fondés et ceux-ci couvrant, dans leur ensemble, toutes les aides consenties par le gouvernement basque, la Commission a, selon moi, démontré que les articles 2 et 3 de la décision de 1989 n'ont pas été correctement exécutés s'agissant des aides consenties par le gouvernement basque.

B - Les aides consenties par le gouvernement cantabrique

59.
    Selon la Commission, le gouvernement cantabrique n'a pris aucune mesure en vue de la récupération des aides ni à l'encontre des sociétés bénéficiaires (Cunosa et GURSA) ni à l'encontre de la société de gestion ayant permis de canaliser l'aide (Gemacasa).

60.
    Le gouvernement espagnol répond que le gouvernement cantabrique a annulé plusieurs garanties entre décembre 1994 et mai 1995 mais qu'il était impossible d'obtenir le remboursement des montants des aides par GURSA, Cunosa et Gemacasa puisque ces entreprises n'étaient plus en activité et ne disposaient pas de biens permettant l'exécution des créances pendantes.

61.
    Or, c'est à bon droit que la Commission estime que la décision de 1989 n'a pas été correctement exécutée s'agissant des aides consenties par le gouvernement cantabrique. En effet, selon une jurisprudence constante, la condition d'impossibilité d'exécuter correctement la décision de la Commission «n'est [...] pas remplie lorsque le gouvernement défendeur se borne à faire part à la Commission des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présentait la mise en oeuvre de la décision, sans entreprendre quelque démarche que ce soit auprès des entreprises en cause aux fins de récupérer l'aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en oeuvre de la décision qui auraient permis de surmonter les difficultés» (18).

62.
    Dès lors, le gouvernement cantabrique se limitant à dire qu'il était impossible d'obtenir le remboursement sans qu'aucune tentative à ce sujet n'ait été entreprise, on ne saurait considérer que la décision de 1989 a été correctement exécutée s'agissant de la récupération des aides consenties par ce gouvernement.

63.
    Le gouvernement espagnol souligne encore que, en tout état de cause, Cunosa et MIGSA (ainsi que GURSA) ont cessé leur activité ou ont déjà fait l'objet d'une liquidation. Il s'ensuit, selon lui, que, «si l'objet de l'obligation de restitution d'une aide est de rétablir la situation antérieure en évitant que le bénéficiaire de l'aide jouisse d'un avantage concurrentiel par rapport à ses autres concurrents, exiger le remboursement n'a plus rien à voir avec la finalité de cette obligation».

64.
    Or, cet argument ne saurait être accueilli.

65.
    En effet, d'abord, cet argument ne tient pas compte du fait que, selon une jurisprudence constante, «le seul (19) moyen de défense susceptible d'être invoqué par un État membre contre le recours en manquement, introduit par la Commission sur la base de l'article 93, paragraphe 2, du traité, est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision» (20).

66.
    Ensuite, l'argument du gouvernement espagnol implique que l'exécution d'une décision prise par la Commission sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, CE serait subordonnée à une analyse de la situation concurrentielle de l'entreprise au moment de l'exécution de la décision ordonnant la récupération. Or, outre le fait qu'une telle condition ne figure pas dans la réglementation, elle viderait la décision de tout son sens, celle-ci étant précisément basée sur une analyse de l'effet sur la concurrence qu'a eue l'aide accordée. La condition aurait donc en réalité pour effet que l'on revoie la décision chaque fois que l'on commence à l'exécuter.

67.
    Enfin, c'est à bon droit que la Commission indique que «[t]ant que l'on n'aura pas procédé à la liquidation des entreprises en question, la possibilité qu'elles reprennent leur activité subsistera». À cet égard, elle souligne que cette possibilité n'est pas purement théorique. «En atteste», selon elle, «le fait que les sociétés Idisur S.A.L., Loc S.A.L. et Vitrinor S.A.L., créées respectivement par les travailleurs de Migsa, Cunosa et Gursa, opèrent, en partie, avec les actifs de ces dernières, ce qui a motivé l'ouverture d'un dossier par le ministère des finances en vue de déterminer l'existence d'une succession éventuelle d'entreprises».

68.
    Le gouvernement espagnol ne conteste pas ces informations. Il se limite à indiquer, au stade de son mémoire en duplique, que Cunosa aurait été liquidée. Il ne fournit, cependant, aucune information relative à cette liquidation permettant de conclure que celle-ci aurait déjà eu lieu avant l'introduction du présent recours et que, par conséquent, l'argument évoqué par la Commission, et fondé sur la cessation des activités, ne s'appliquerait plus à Cunosa.

C - Les aides consenties par le gouvernement andalou

69.
    Pour ce qui concerne la garantie de prêt, selon les informations de la Commission, non contestées par le gouvernement espagnol, l'Instituto de Fomento Andaluz (ci-après l'«IFA») a procédé, le 6 novembre 1990, au paiement du montant garanti en faveur de l'organisme de crédit concerné. Le 20 novembre 1990, il a envoyé à Damma une lettre réclamant ce montant dans les plus brefs délais. Selon la Commission, aucune autre démarche n'a été entreprise, à l'exception de la déclaration par l'IFA de cette créance, en juin 1992, au passif de la faillite de Damma.

70.
    S'agissant de l'aide non remboursable, la Commission soutient, sans être contredite par le gouvernement espagnol, que le gouvernement andalou a introduit, le 21 novembre 1990, une procédure de réexamen d'office pour la faire annuler. Il a, toutefois, décidé de ne pas poursuivre la procédure, estimant qu'elle pourrait s'avérer infructueuse, Damma ne disposant pas d'actifs saisissables.

71.
    Concrètement, le grief de la Commission consiste dans le fait que la décision de 1989 n'a pas été correctement exécutée, le gouvernement andalou n'ayant entrepris aucune démarche envers MIGSA, le bénéficiaire réel des aides, afin de récupérer ces dernières.

72.
    Or, je me rallie à la position de la Commission pour les raisons déjà expliquées ci-dessus à l'occasion de l'examen des aides consenties par le gouvernement basque à Ficodesa pour être appliquées à Indosa. Les circonstances sont, en effet, identiques en ce sens que Damma n'est, comme Ficodesa, qu'une simple société de gestion sans activité ni patrimoine propre, créée dans le but de canaliser les aides, et que, comme Indosa, MIGSA est le bénéficiaire réel des aides accordées. Le gouvernement andalou aurait donc dû entreprendre des démarches auprès de MIGSA afin de récupérer ces aides, sans que l'absence de titre puisse être considérée comme une «impossibilité absolue».

Les aides déclarées incompatibles par la décision de 1998

73.
    Quant à la décision de 1998, le gouvernement espagnol souligne qu'il la considère comme illégale et que, pour cette raison, un recours en annulation a été introduit contre cette décision et a été inscrit sous le numéro C-480/98.

74.
    Or, mis à part le fait que la présente affaire ne concerne pas la validité de la décision de 1998 mais son exécution, il convient de constater que, par son arrêt du 12 octobre 2000, Espagne/Commission, précité, la Cour a, en substance, confirmé cette décision, réformant seulement le calcul des intérêts à joindre aux montants des sommes à récupérer. Il y a donc lieu de ne s'intéresser qu'à l'exécution de la décision de 1998.

A - Les aides consenties à Indosa

75.
    La Commission souligne que la trésorerie de la sécurité sociale (ci-après la «TSS») et la Hacienda Foral de Vizcaya (Trésor public régional) représentent, avec les autres créanciers publics d'Indosa, 82,65 % du montant des prêts déclarés au passif de la faillite et disposent, par conséquent, d'une large majorité à l'assemblée des créanciers d'Indosa.

76.
    Nonobstant ce fait, les créanciers publics d'Indosa n'ont, selon la Commission, pris aucune initiative pour que les syndics de la faillite procèdent une fois pour toutes à la mise en liquidation de la masse active de la faillite ou soumettent à l'assemblée des créanciers une proposition d'accord, ou encore demandent au juge de révoquer les syndics pour sanctionner leur inactivité.

77.
    La Commission admet que, le 28 décembre 1998, la TSS a adressé au tribunal saisi de la faillite d'Indosa une requête demandant la mise en liquidation de cette dernière ou la conclusion d'un accord avec les créanciers «mettant fin à la situation irrégulière de la faillite d'Indosa». Néanmoins, selon la Commission, cette requête n'était fondée sur aucune disposition de l'ordre juridique espagnol concernant les faillites et n'a reçu aucune suite judiciaire, ni ne pouvait en avoir.

78.
    Le gouvernement espagnol conteste que cette requête n'a eu aucune suite. Il décrit la procédure qui a eu lieu en 1999 devant le Juzgado de Primera Instancia n° 7 de Bilbao et qui a abouti à l'ordonnance du 17 novembre 1999 par laquelle celui-ci a accepté de convoquer une assemblée générale des créanciers. Initialement prévue pour le 18 février 2000, cette assemblée a, selon le gouvernement espagnol, eu lieu le 4 juillet 2000. Il y a été convenu, toujours selon ce gouvernement, sur proposition de la TSS et après vote favorable de tous les présents, de procéder, sur base d'un accord, à la liquidation de l'entreprise dans un délai de quatre mois.

79.
    En ayant renoncé à la tenue d'une audience, la Commission n'a pas voulu prendre position sur ces dernières informations du gouvernement espagnol, qui figuraient dans le mémoire en duplique de celui-ci. J'en déduis que la Commission ne les conteste pas.

80.
    Il résulte donc de ce qui précède que, après la décision de 1998, les autorités espagnoles compétentes ont pris des mesures qui visaient, concrètement, à liquider Indosa.

81.
    Or, comme la Commission le relève elle-même, la Cour a jugé dans son arrêt du 15 janvier 1986, Commission/Belgique (21), que «[l]e fait qu'en raison de la situation financière de l'entreprise, les autorités belges ne pouvaient pas récupérer la somme versée ne constitue pas une impossibilité d'exécution, dès lors que l'objectif poursuivi par la Commission était la suppression de l'aide, objectif qui [...] était susceptible d'être atteint par la liquidation de la société (22), que les autorités belges pouvaient provoquer en leur qualité d'actionnaires ou de créanciers».

82.
    Autrement dit, s'il n'y a plus d'autre solution pour récupérer l'aide, la liquidation de l'entreprise reste la mesure à prendre afin d'aboutir à l'objectif poursuivi par la Commission, qui est celui de la suppression de l'aide.

83.
    En l'espèce, il n'y a pas d'indice que la TSS, pour récupérer les aides, aurait pu faire plus que demander la liquidation d'Indosa. Ayant demandé cette liquidation, il me paraît que les mesures nécessaires tendant à la récupération des aides accordées à Indosa et visées par la décision de 1998 ont été prises. Le recours en manquement n'est donc, selon moi, pas fondé s'agissant de l'exécution de l'article 2 de la décision de 1998.

84.
    Pour ce qui concerne la question de savoir si le royaume d'Espagne a correctement exécuté l'article 3 de la décision de 1998, qui l'obligeait à informer la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la décision, des mesures adoptées en application de celle-ci, il convient de constater que le gouvernement espagnol a avisé la Commission, par lettre du 21 janvier 1999, de la démarche qu'avait entreprise, le 28 décembre 1998, la TSS. Une référence à cette démarche, appuyée par des pièces justificatives, figure, en effet, dans une lettre de la TSS du 29 décembre 1998, jointe à la lettre précitée du 21 janvier 1999.

85.
    Or, cette dernière lettre date de plus de deux mois après la notification de la décision de 1998, qui est intervenue le 29 octobre 1998 (23).

86.
    Je suis donc d'avis que, s'agissant des aides consenties à Indosa, le royaume d'Espagne n'a pas correctement exécuté l'article 3 de la décision de 1998.

B - Les aides consenties à Cunosa

87.
    La Commission rappelle que Cunosa a été déclarée en faillite en avril 1994, à la demande de ses employés, et non des créanciers publics, la procédure de liquidation ayant commencé en mars 1998. Selon elle, les autorités espagnoles n'ont pas pris, dans le cadre de cette procédure, les mesures qui s'imposent pour récupérer les aides, y compris les intérêts dus conformément à l'article 2, paragraphe 2, de la décision de 1998.

88.
    Le gouvernement espagnol se limite à répondre que, s'agissant des dettes envers la sécurité sociale, le recours en appel contre l'ordonnance du Juzgado de lo Social n° 1 de Santander, du 7 février 1996, déclarant l'insolvabilité de l'entreprise, est actuellement pendant devant le Tribunal Superior de Justicia de Cantabrie.

89.
    Or, sans contester qu'aucune mesure n'a été prise postérieurement à la décision de 1998, le gouvernement espagnol n'explique même pas en quoi le recours en appel susmentionné, selon toute vraisemblance introduit avant la décision de 1998, participerait à l'exécution de cette décision.

90.
    De même, s'agissant des dettes envers le trésor public, le gouvernement espagnol n'explique pas en quoi la mesure adoptée le 23 juin 1999 - déjà largement tardive par rapport au délai fixé par l'article 3 de la décision de 1998 - par l'Office national de recouvrement et consistant dans la notification de l'audience et la communication du dossier à Industrias Domésticas Inoxidables del Sur SAL, du fait de l'existence d'indices de succession dans l'exercice de l'activité de Cunosa, participerait concrètement à la récupération des aides déclarées incompatibles avec le marché commun.

91.
    Dès lors, je suis d'avis que c'est à bon droit que la Commission considère que les autorités espagnoles n'ont pris aucune mesure pour récupérer les aides consenties à Cunosa et déclarées incompatibles avec le marché commun par la décision de 1998.

C - Les aides consenties à GURSA

92.
    Selon la Commission, les créanciers publics de GURSA n'ont introduit aucune demande de déclaration de faillite de cette société, en alléguant l'«inefficacité probable d'une telle procédure».

93.
    Le gouvernement espagnol signale, s'agissant des dettes envers la sécurité sociale, que, après l'adoption de la décision de 1998, les tribunaux ont fait droit à la tierce opposition intentée à l'encontre de la TSS par les employés de GURSA en se fondant sur le caractère privilégié de leur créance. Toutefois, selon lui, la diligence de l'action de la TSS a permis de saisir les uniques biens dont disposait la société et, par l'exécution de la saisie, de liquider l'unique actif d'une société qui a cessé son activité et ne dispose plus de biens depuis 1994. S'agissant des dettes envers le trésor public, le gouvernement espagnol se limite à indiquer que l'Office national de recouvrement a adopté, le 23 juin 1999, une mesure similaire à celle qu'il avait adoptée pour Cunosa.

94.
    Or, c'est à bon droit que la Commission estime que ces mesures ne suffisent pas afin d'exécuter correctement la décision de 1998.

95.
    En effet, si les actifs d'une entreprise ne permettent pas de rembourser les aides déclarées incompatibles avec le marché commun, ce dont le gouvernement espagnol ne conteste pas que c'est le cas en l'espèce, la suppression de ces aides passe, comme la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 15 janvier 1986, Commission/Belgique, précité, par la liquidation de l'entreprise. En effet, cette mesure reste alors la seule qui permet d'obtenir la suppression intégrale des aides en question.

96.
    Par ailleurs, si, comme le souligne le gouvernement espagnol, GURSA n'a plus d'activités ni de biens depuis des années, je ne vois pas quelle raison s'opposerait encore à sa liquidation si ce n'est la perspective de reprise d'activité, laquelle pourrait être facilitée par l'absence de remboursement des aides.

97.
    Le gouvernement espagnol allègue encore que la liquidation totale du patrimoine d'un failli et le paiement de ses créanciers doivent être effectués conformément aux règles nationales en matière de faillite. À cet égard, il précise que les créanciers publics, s'ils n'ont pas atteint la majorité exigée, ne peuvent obtenir la liquidation de l'entreprise contre la volonté des autres créanciers.

98.
    Or, il convient de constater que, en l'espèce, le manquement ne réside pas dans le fait que les autorités espagnoles compétentes auraient omis d'obtenir la liquidation contre la volonté des autres créanciers mais qu'elles n'ont pris, contrairement à ce qu'elles avaient fait dans le cas d'Indosa, aucune mesure susceptible d'aboutir à la liquidation de GURSA. L'argument du gouvernement espagnol ne me paraît donc pas pertinent pour réfuter la constatation selon laquelle le royaume d'Espagne n'a pas correctement exécuté la décision de 1998 s'agissant des aides consenties à GURSA.

D - Les aides consenties à MIGSA

99.
    La Commission rappelle que MIGSA a été déclarée en faillite le 27 mai 1999 à la demande de ses employés, et non à celle de la TSS ou du fisc. Selon elle, ni la TSS ni le fisc n'ont adopté de mesure visant à obtenir la liquidation de MIGSA ou la conclusion d'un accord avec les créanciers.

100.
    Le gouvernement espagnol répond, s'agissant des dettes envers la sécurité sociale, que l'attitude hostile des travailleurs et les charges élevées pesant sur les biens ont ruiné les efforts de vente. Il soutient, cependant, qu'il sera procédé à la saisie, par la TSS, de l'unique bien existant, qui est par ailleurs quasiment sans valeur. En outre, selon ce gouvernement, il résulte d'une décision de la TSS du 20 janvier 2000 que la responsabilité des dettes de MIGSA envers Indosa a été transférée à un administrateur de cette première. S'agissant des dettes envers le trésor public, le gouvernement espagnol fait état de la même mesure que celle qui a été adoptée dans les cas de Cunosa et de GURSA.

101.
    Or, il convient de constater que ces mesures ne permettent pas de récupérer les aides qui ont été consenties à MIGSA, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par le gouvernement espagnol. Il en résulte, selon moi, comme le relève également la Commission, que les autorités espagnoles compétentes auraient dû entreprendre des démarches en vue de la liquidation de MIGSA, cette mesure étant encore la seule à permettre la suppression des aides.

102.
    Les autorités espagnoles n'ayant pas entrepris de telles démarches, je suis d'avis que la décision de 1998 n'a pas été correctement exécutée.

Les dépens

103.
    Il résulte de ce qui précède que le royaume d'Espagne a succombé dans la plupart de ses moyens. Dès lors, la Commission ayant conclu à la condamnation du royaume d'Espagne aux dépens, je propose, en application de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, de répartir les dépens entre les parties et de condamner le royaume d'Espagne à supporter, outre ses propres dépens, les trois quarts des dépens de la Commission et la Commission à supporter un quart de ses propres dépens.

IV - Conclusions

104.
    En tenant compte de tout ce qui précède, je propose de:

-    déclarer que, en ne se conformant pas,

    -    s'agissant des aides consenties par les gouvernements basque, cantabrique et andalou, aux articles 2 et 3 de la décision 91/1/CEE de la Commission, du 20 décembre 1989, concernant les aides accordées en Espagne par le gouvernement central et plusieurs gouvernements autonomes à Magefesa, producteur d'ustensiles de cuisine en acier inoxydable et de petits appareils électriques;

    -    s'agissant des aides consenties à Cubertera del Norte SA, à Manufacturas Gur SA et à Manufacturas Inoxidables de Gibraltar SA, aux articles 2 et 3 de la décision 1999/509/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, concernant des aides accordées par l'Espagne aux entreprises du groupe Magefesa et à ses successeurs;

    -    s'agissant des aides consenties à Investigación y Desarrollo Udala SA, à l'article 3 de la décision 1999/509;

    le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE;

-    rejeter le recours pour le surplus;

-    condamner le royaume d'Espagne à supporter, outre ses propres dépens, les trois quarts de ceux de la Commission des Communautés européennes;

-    condamner la Commission des Communautés européennes à supporter un quart de ses propres dépens.


1: -     Langue originale: le français.


2: -     JO 1991, L 5, p. 18.


3: -     JO 1999, L 198, p. 15.


4: -     Point I, dernier alinéa, des considérants.


5: -     Selon les informations de la Commission, non contestées par le gouvernement espagnol, le montant de 39 millions de ESP qui figurait dans la décision de 1989 a par la suite été corrigé sur la base des informations fournies par les autorités espagnoles.


6: -     C-480/98, Rec. p. I-8717.


7: -     À ce sujet, la Commission soumet un accord du gouvernement basque daté du 28 juin 1988 et confirmant la subrogation s'agissant des garanties accordées à Indosa et à Ficodesa.


8: -     Voir, notamment, arrêts du 14 septembre 1994, Espagne/Commission (C-278/92, C-279/92 et C-280/92, Rec. p. I-4103, point 75), et du 4 avril 1995, Commission/Italie (C-350/93, Rec. p. I-699, point 21).


9: -     Voir les considérants de la décision de 1998, point V, sous a).


10: -     Voir, notamment, arrêts du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne (C-5/89, Rec. p. I-3437, point 18), et du 20 septembre 2001, Banks (C-390/98, non encore publié au Recueil, point 122).


11: -     C-303/88, Rec. p. I-1433.


12: -     Souligné par l'auteur.


13: -     Arrêt Italie/Commission, précité, point 56.


14: -     Arrêt Italie/Commission, précité, point 60.


15: -     Voir point I, dernier alinéa, des considérants.


16: -     Voir, notamment, arrêts du 22 mars 2001, Commission/France (C-261/99, Rec. p. I-2537, point 24), et du 3 juillet 2001, Commission/Belgique (C-378/98, non encore publié au Recueil, point 31).


17: -     Arrêt Commission/Belgique, précité, point 50.


18: -     Arrêt du 29 janvier 1998, Commission/Italie (C-280/95, Rec. p. I-259, point 14). Voir également arrêts du 2 février 1989, Commission/Allemagne (94/87, Rec. p. 175, point 10), et du 10 juin 1993, Commission/Grèce (C-183/91, Rec. p. I-3131, point 20).


19: -     Souligné par l'auteur.


20: -     Voir, notamment, arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie, précité, point 16; du 27 juin 2000, Commission/Portugal (C-404/97, Rec. p. I-4897, point 39), et Commission/France, précité, point 23.


21: -     52/84, Rec. p. 89, point 14.


22: -     Souligné par l'auteur.


23: -     Voir arrêt du 12 octobre 2000, Espagne/Commission, précité, point 9.