Language of document : ECLI:EU:C:2010:44

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

28 janvier 2010 (*)

«Manquement d’État – Libre circulation de marchandises – Articles 28 CE et 30 CE – Restriction quantitative à l’importation – Mesure d’effet équivalent – Régime d’autorisation préalable – Auxiliaires technologiques et denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques en provenance d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés –Procédure permettant aux opérateurs économiques d’obtenir l’inscription de telles substances sur une ‘liste positive’ – Clause de reconnaissance mutuelle − Cadre réglementaire national créant une situation d’insécurité juridique pour des opérateurs économiques»

Dans l’affaire C‑333/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 18 juillet 2008,

Commission européenne, représentée par M. B. Stromsky, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, Mme P. Lindh, MM. A. Rosas, A. Ó Caoimh (rapporteur) et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. R. Grass,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2009,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en prévoyant, pour les auxiliaires technologiques (ci-après les «AT») et les denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des AT provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés, un régime d’autorisation préalable ne respectant pas le principe de proportionnalité, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2        Les AT sont des substances qui interviennent dans le processus d’élaboration ou de fabrication d’une denrée alimentaire et dont le but est d’obtenir un certain effet technique durant ce processus.

3        Si le droit communautaire harmonise certaines catégories d’AT, ces derniers ne font pas l’objet d’une harmonisation horizontale au niveau communautaire, de sorte que, en général, les États membres restent libres de réglementer l’usage des AT dans le respect des règles du traité CE.

 La directive 89/107

4        L’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 89/107/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les additifs pouvant être employés dans les denrées destinées à l’alimentation humaine (JO 1989, L 40, p. 27), définit les AT, dans une note en bas de page, comme étant «toute substance non consommée comme ingrédient alimentaire en soi et volontairement utilisée dans la transformation des matières premières, des denrées alimentaires ou de leurs ingrédients, pour répondre à un certain objectif technologique pendant le traitement ou la transformation et pouvant avoir pour résultat la présence non intentionnelle de résidus techniquement inévitables de cette substance ou de ses dérivés dans le produit fini et à condition que ces résidus ne présentent pas de risque sanitaire et n’aient pas d’effets technologiques sur le produit fini».

5        Il ressort de cette même disposition de la directive 89/107 que les AT sont exclus du champ d’application de celle-ci.

 La directive 98/34

6        L’article 8 de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 204, p. 37), prévoit:

«1.      Sous réserve de l’article 10, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit. Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet.

[…]

Lorsque le projet de règle technique vise en particulier la limitation de la commercialisation ou de l’utilisation d’une substance, d’une préparation ou d’un produit chimique, pour des motifs de santé publique ou de protection des consommateurs ou de l’environnement, les États membres communiquent également soit un résumé, soit les références des données pertinentes relatives à la substance, à la préparation ou au produit visé et celles relatives aux produits de substitution connus et disponibles, dans la mesure où ces renseignements seront disponibles, ainsi que les effets attendus de la mesure au regard de la santé publique ou de la protection du consommateur et de l’environnement, avec une analyse des risques effectuée, dans des cas appropriés […].

[…]

2.      La Commission et les États membres peuvent adresser à l’État membre qui a fait part d’un projet de règle technique des observations dont cet État membre tiendra compte dans la mesure du possible lors de la mise au point ultérieure de la règle technique.

[…]»

 La directive 2000/13

7        L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 mars 2000, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard (JO L 109, p. 29), prévoit que l’étiquetage des denrées alimentaires comporte, dans les conditions et sous réserve des dérogations prévues aux articles 4 à 17 de cette même directive, certaines mentions obligatoires, y comprise la liste des ingrédients.

8        Aux termes de l’article 6, paragraphe 4, sous c), ii), de la directive 2000/13, ne sont toutefois pas considérés comme ingrédients les additifs qui sont utilisés en tant qu’AT.

9        L’article 18 de la directive 2000/13 est libellé comme suit:

«1.      Les États membres ne peuvent interdire le commerce des denrées alimentaires conformes aux règles prévues dans la présente directive par l’application de dispositions nationales non harmonisées qui règlent l’étiquetage et la présentation de certaines denrées alimentaires ou des denrées alimentaires en général.

2.      Le paragraphe 1 n’est pas applicable aux dispositions nationales non harmonisées justifiées par des raisons:

–        de protection de la santé publique,

[…]»

 Le règlement (CE) n° 178/2002

10      Le troisième considérant du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO L 31, p. 1), est libellé comme suit:

«La libre circulation des denrées alimentaires et des aliments pour animaux dans la Communauté ne peut être réalisée que si les prescriptions relatives à la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux ne diffèrent pas de manière significative d’un État membre à l’autre.»

11      Conformément à l’article 1er du règlement n° 178/2002, ce dernier contient les dispositions de base permettant d’assurer, en ce qui concerne les denrées alimentaires, un niveau élevé de protection de la santé des personnes et des intérêts des consommateurs, compte tenu notamment de la diversité de l’offre alimentaire, y compris les productions traditionnelles, tout en veillant au fonctionnement effectif du marché intérieur. Ce règlement établit des principes et des responsabilités communs, le moyen de fournir une base scientifique solide, des dispositions et des procédures organisationnelles efficaces pour étayer la prise de décision dans le domaine de la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux.

12      L’article 5 du règlement n° 178/2002, intitulé «Objectifs généraux», dispose:

«1.      La législation alimentaire poursuit un ou plusieurs des objectifs généraux de la protection de la vie et de la santé des personnes, de la protection des intérêts des consommateurs, y compris les pratiques équitables dans le commerce des denrées alimentaires, en tenant compte, le cas échéant, de la protection de la santé et du bien-être des animaux, de la santé des plantes et de l’environnement.

2.      La législation alimentaire vise à réaliser la libre circulation, dans la Communauté, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux fabriqués et commercialisés conformément aux principes généraux et aux prescriptions générales définis au présent chapitre.

[…]»

13      L’article 6 du règlement n° 178/2002, intitulé «Analyse des risques», est libellé comme suit:

«1.      Afin d’atteindre l’objectif général d’un niveau élevé de protection de la santé et de la vie des personnes, la législation alimentaire se fonde sur l’analyse des risques, sauf dans les cas où cette approche n’est pas adaptée aux circonstances ou à la nature de la mesure.

2.      L’évaluation des risques est fondée sur les preuves scientifiques disponibles et elle est menée de manière indépendante, objective et transparente.

3.      La gestion des risques tient compte des résultats de l’évaluation des risques, et notamment des avis de l’[Autorité européenne de sécurité des aliments], d’autres facteurs légitimes pour la question en cause et du principe de précaution lorsque les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, sont applicables, afin d’atteindre les objectifs généraux de la législation alimentaire énoncés à l’article 5.»

14      L’article 7 du règlement n° 178/2002, intitulé «Principe de précaution», dispose:

«1.      Dans des cas particuliers où une évaluation des informations disponibles révèle la possibilité d’effets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque.

2.      Les mesures adoptées en application du paragraphe 1 sont proportionnées et n’imposent pas plus de restrictions au commerce qu’il n’est nécessaire pour obtenir le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, en tenant compte des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes en fonction des circonstances en question. Ces mesures sont réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque identifié pour la vie ou la santé et du type d’informations scientifiques nécessaires pour lever l’incertitude scientifique et réaliser une évaluation plus complète du risque.»

15      L’article 14 du règlement n° 178/2002, intitulé «Prescriptions relatives à la sécurité des denrées alimentaires», est libellé comme suit:

«1.      Aucune denrée alimentaire n’est mise sur le marché si elle est dangereuse.

2.      Une denrée alimentaire est dite dangereuse si elle est considérée comme:

a)      préjudiciable à la santé;

b)      impropre à la consommation humaine.

[…]

7.      Sont considérées comme sûres les denrées alimentaires conformes à des dispositions communautaires spécifiques régissant la sécurité des denrées alimentaires, en ce qui concerne les aspects couverts par ces dispositions.

[…]

9.      En l’absence de dispositions communautaires spécifiques, les denrées alimentaires sont considérées comme sûres si elles sont conformes aux dispositions spécifiques de la législation alimentaire nationale de l’État membre sur le territoire duquel elles sont commercialisées, ces dispositions étant établies et appliquées sans préjudice du traité, et notamment de ses articles 28 et 30.»

 La réglementation nationale

 Le décret de 1912

16      Aux termes de l’article 1er du décret du 15 avril 1912 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes dans la vente des marchandises et des falsifications des denrées alimentaires, tel que modifié à plusieurs reprises (ci-après le «décret de 1912»):

«Il est interdit de détenir en vue de la vente, de mettre en vente ou de vendre toutes marchandises et denrées destinées à l’alimentation humaine lorsqu’elles ont été additionnées de produits chimiques autres que ceux dont l’emploi est déclaré licite par les arrêtés pris de concert par le ministre de l’[A]griculture et du [D]éveloppement rural, le ministre de l’[É]conomie et des [F]inances, le ministre du [D]éveloppement industriel et scientifique et le ministre de la [S]anté publique, sur l’avis du Conseil supérieur d’hygiène publique de France [CSHPF] et de l’académie nationale de médecine.»

17      Le CSHPF est une instance d’expertise scientifique et technique, placée auprès du ministère chargé de la santé.

18      L’article 2 du décret de 1912 dispose:

«Il est également interdit de faire intervenir, même à titre temporaire, au cours de la préparation des marchandises et denrées destinées à l’alimentation humaine, des produits chimiques autres que ceux dont l’emploi est déclaré licite par arrêtés pris dans les formes prévues à l’article 1er ci-dessus.»

19      Une série d’arrêtés ont été adoptés en application du décret de 1912 fixant les conditions dans lesquelles les AT peuvent être utilisés dans le processus de fabrication.

20      Ces arrêtés réglementent en général la substance autorisée ainsi que l’usage et la denrée alimentaire pour lesquels elle est autorisée. Ils précisent les critères de pureté et autres caractéristiques que doit respecter l’AT employé, et fixent, outre les conditions d’emploi de l’AT concerné dans le processus de fabrication, les teneurs résiduelles maximales de l’AT employé dans la denrée alimentaire finie.

21      Seuls contiennent une clause de reconnaissance mutuelle quatre de ces arrêtés, à savoir les arrêtés du 6 février 1989 fixant la liste des AT pouvant être utilisés en sucrerie, du 24 mars 1993 relatif à l’emploi de la ß cyclodextrine comme AT, du 23 février 1995 relatif à l’emploi de divers AT en alimentation humaine et du 9 mars 1995 relatif à l’emploi d’agents antimousses pour le lavage des pommes de terre et des champignons.

 Le décret de 2001

22      L’article 1er, premier alinéa, du décret n° 2001-725, du 31 juillet 2001, relatif aux AT pouvant être employés dans la fabrication de denrées destinées à l’alimentation humaine (JORF du 5 août 2001, ci-après le «décret de 2001») définit les AT comme étant «toute substance non consommée comme ingrédient alimentaire en soi et volontairement utilisée dans la transformation des matières premières, des denrées alimentaires ou de leurs ingrédients, pour répondre à un objectif technologique déterminé pendant le traitement ou la transformation, et pouvant avoir pour résultat la présence non intentionnelle de résidus techniquement inévitables de cette substance ou de ses dérivés dans le produit fini, et à condition que ces résidus ne présentent pas de risque sanitaire et n’aient pas d’effets technologiques sur le produit fini.»

23      L’article 1er, second alinéa, dudit décret dispose:

«Les dispositions du présent décret s’appliquent aux [AT] appartenant aux catégories énumérées à l’annexe au présent décret, employés ou destinés à être employés dans la fabrication des denrées destinées à l’alimentation humaine.

Elles ne s’appliquent pas:

1°      Aux [AT] utilisés pour la production d’additifs alimentaires, d’arômes, de vitamines et d’autres additifs nutritionnels;

2°      Aux substances utilisées durant les opérations de traitement des eaux minérales naturelles ou des eaux de source lorsque ces opérations précèdent la mise sur le marché de ces eaux sous l’une des dénominations de vente fixées par le décret du 6 juin 1989 […];

3°      Aux substances utilisées au cours de la mise en œuvre des méthodes de correction des eaux destinées à l’alimentation humaine, lorsque ces méthodes sont fixées en application des dispositions réglementaires fondées sur l’article L. 1321‑4 du code de la santé publique.»

24      L’article 2 du décret de 2001 est libellé comme suit:

«Un arrêté des ministres chargés de la consommation, de l’agriculture, de la santé et de l’industrie pris après avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments [ci-après l’‘AFSSA’] fixe, pour les catégories mentionnées à l’annexe au présent décret:

1°      La liste des [AT] dont l’emploi est autorisé, et, le cas échéant, les conditions de leur emploi et les limites maximales de résidus admissibles;

2°      Les critères d’identité et de pureté auxquels ils doivent répondre;

3°      Les règles concernant les substances utilisées comme produits de support ou de dilution.

Les [AT] doivent être utilisés dans le respect des bonnes pratiques d’hygiène et de fabrication, notamment dans le cas où aucune condition d’emploi n’est imposée par l’arrêté prévu au présent article.

La dose d’[AT] utilisée ne doit pas dépasser la quantité strictement nécessaire pour obtenir l’effet désiré et ne pas induire le consommateur en erreur.

Les éléments de nature à établir que ces substances ont été utilisées dans le respect des bonnes pratiques de fabrication doivent être tenus à la disposition des agents de contrôle par les fabricants.»

25      Il ressort de l’article L. 1323‑1 du code de la santé publique que l’AFSSA est un établissement public de l’État, placé sous la tutelle des ministres chargés de l’agriculture, de la consommation et de la santé.

26      L’article 3 du décret de 2001 prévoit:

«Les demandes visant à modifier ou compléter les dispositions de l’arrêté prévu à l’article 2 peuvent être établies par toute personne physique ou morale. Elles sont adressées à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, accompagnées du dossier nécessaire à leur instruction, en vue de leur transmission à l’[AFSSA].

Un arrêté des ministres chargés de la consommation, de l’agriculture, de la santé et de l’industrie fixe les règles relatives à la constitution des dossiers.

Dès lors que le dossier est complet, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes accuse réception de celui-ci et assure sa transmission à l’[AFSSA]. L’agence dispose d’un délai de quatre mois à compter de la réception de la demande pour émettre un avis.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes notifie au demandeur l’avis de cette instance ainsi que la décision motivée du ministre prise suite à cet avis. Cette notification est faite dans le mois suivant l’adoption de l’avis.»

27      Conformément à l’article 4 de ce même décret:

«L’arrêté prévu à l’article 2 est mis à jour, notamment pour répondre aux obligations communautaires de la France, ainsi qu’aux propositions formulées par l’[AFSSA], à la suite d’informations nouvelles relatives à la toxicité éventuelle des [AT].»

28      L’article 6 du décret de 2001 dispose:

«Il est interdit de détenir ou d’exposer en vue de la vente, de mettre en vente, de vendre ou de distribuer à titre gratuit:

1°      Des denrées destinées à l’alimentation de l’homme pour la préparation desquelles ont été utilisés des [AT] ne répondant pas aux dispositions de l’article 2 ou aux dispositions du décret n° 2004-187 du 26 février 2004 portant transposition de la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 concernant la mise sur le marché des produits biocides;

2°      Des [AT] qui ne répondent pas aux dispositions des articles 2 et 5 ou aux dispositions du décret n° 2004-187 du 26 février 2004 portant transposition de la directive 98/8 […];

Toutefois, ces dispositions ne font pas obstacle au principe de libre circulation:

a)      Des denrées visées au 1° du présent article provenant d’autres États membres de la Communauté européenne, ou d’autres parties contractantes de l’accord sur l’Espace économique européen, dès lors que ces États ont mis en place un mode d’évaluation des risques que présente l’emploi d’[AT], permettant d’assurer un niveau de sécurité équivalant à celui garanti par le présent décret;

b)      Des [AT] provenant d’autres États membres de la Communauté européenne, ou d’autres parties contractantes de l’accord sur l’Espace économique européen, présentant des critères de pureté différents de ceux fixés par l’arrêté prévu à l’article 2, lorsque ces critères ont été fixés par l’un de ces États, ou ont fait l’objet d’un avis favorable d’une instance compétente dans l’un de ces pays, officiellement publié.»

29      Aux termes de l’article 7 du décret de 2001:

«[L]es dispositions du présent décret entreront en vigueur à compter de la date de publication de l’arrêté prévu à l’article 2 ci-dessus. Les responsables de la mise sur le marché d’[AT] disposeront d’un délai de six mois à compter de la date de publication de ce même arrêté pour se conformer aux prescriptions de l’article 5 ci-dessus.»

30      L’annexe du décret de 2001 énumère les catégories d’AT couvertes par celui-ci. Il s’agit des antimousses, des catalyseurs, des agents de clarification/adjuvants de filtration, des agents décolorants, des agents de lavage et de pelage/épluchage, des agents de plumaison et d’épilation, des résines échangeuses d’ions, des agents de congélation par contact et agents de refroidissement, des agents de dessiccation/antiagglomérants, des enzymes, des agents d’acidification, d’alcalinisation ou de neutralisation, des agents de démoulage, des floculants et coagulants, des biocides, des antitartres, des solvants d’extraction, et d’une catégorie intitulée «Divers».

 L’arrêté ministériel du 19 octobre 2006

31      Un projet d’arrêté ministériel a été notifié à la Commission et aux États membres le 5 octobre 2005 en application des dispositions de l’article 8 de la directive 98/34.

32      Il ressort du dossier que ce projet d’arrêté n’a pas fait l’objet d’observations de la part de la Commission mais a donné lieu à l’émission d’avis circonstanciés de la part du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et du Royaume de Danemark.

33      L’arrêté du 19 octobre 2006 relatif à l’emploi d’AT dans la fabrication de certaines denrées alimentaires (JORF du 2 décembre 2006) a abrogé les dispositions des arrêtés pris en application du décret de 1912.

34      Cet arrêté contient, en annexe, une liste des AT dont l’utilisation est autorisée en France. Il prescrit les conditions d’emploi desdits AT, les doses résiduelles maximales autorisées et les critères de pureté applicables.

 L’avis aux entreprises

35      Les autorités françaises ont, le 19 janvier 2002, publié un avis aux entreprises du secteur alimentaire (JORF du 19 janvier 2002, p. 1234, ci-après l’«avis aux entreprises»).

36      Cet avis aux entreprises prévoit:

«L’article 7 du [décret de 2001] dispose que ‘les dispositions du présent décret entreront en vigueur à compter de la date de publication de l’arrêté prévu à l’article 2’. […]

Toutefois, il n’y a pas d’obstacle à l’application, à compter de la date de parution du présent avis, des dispositions relatives au dépôt des dossiers (art. 3) et relatives au principe de libre circulation (art. 6) du [décret de 2001] susvisé.»

 La procédure précontentieuse

37      À la suite d’une première lettre de mise en demeure datée du 3 juillet 1996 et d’un avis motivé daté du 27 mars 1998, la Commission a adressé à la République française une lettre de mise en demeure complémentaire, datée du 12 octobre 2005, annulant et remplaçant la lettre de mise en demeure et l’avis motivé précédents.

38      Dans cette lettre, la Commission estimait que la réglementation française, tant le décret de 1912 que le décret de 2001, était contraire à l’article 28 CE dans la mesure où elle prévoyait, pour les AT et les denrées alimentaires, lorsque leur processus d’élaboration emploie des AT provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés, un régime d’autorisation préalable et, à titre subsidiaire, dans la mesure où elle a omis d’établir, pour l’obtention d’autorisations d’emploi d’AT une procédure suffisamment claire, facilement accessible, transparente et répondant aux exigences de sécurité juridique.

39      En ce qui concerne le décret de 2001, la Commission a constaté que, faute d’adoption d’un arrêté ministériel, ce décret n’était toujours pas entré en vigueur. La Commission maintient, s’agissant de l’avis aux entreprises, que ce dernier n’étant pas de nature contraignante, il n’offrait pas la sécurité juridique nécessaire aux opérateurs économiques.

40      Il ressort de la requête et de la lettre de mise en demeure complémentaire que celle-ci a été envoyée en raison de l’abondante correspondance échangée entre la République française et la Commission, du temps qui s’était écoulé depuis l’envoi de la première lettre de mise en demeure, de la réforme alors non aboutie de la réglementation française et de réflexions nouvelles de la Commission.

41      À la suite d’une prolongation du délai de réponse à la lettre de mise en demeure complémentaire, la République française a répondu à celle-ci par lettre du 16 février 2006. Elle a transmis à la Commission l’ensemble des arrêtés pris en application du décret de 1912 et a rappelé que c’était essentiellement à cause de l’absence d’un dispositif assurant la reconnaissance mutuelle que la réforme dudit décret, aboutissant à l’adoption du décret de 2001, a été entreprise. La République française a insisté sur le fait qu’un avis aux entreprises permettait d’ores et déjà en pratique la mise en œuvre du principe de libre circulation, même si l’arrêté ministériel prévu par le décret de 2001 n’avait pas encore été adopté.

42      S’agissant de la nouvelle réglementation nationale devant à l’avenir régir l’emploi des AT, la République française a affirmé vouloir adopter dans les meilleurs délais cet arrêté d’application du décret de 2001, a tenté de justifier le régime d’autorisation préalable des AT, et a proposé de modifier la rédaction de la clause de reconnaissance mutuelle figurant dans ledit décret de 2001.

43      Par courrier du 4 juillet 2006, la Commission a adressé à cet État membre un avis motivé complémentaire.

44      Par lettre du 8 septembre 2006, la République française a répondu à l’avis motivé complémentaire, indiquant qu’elle avait engagé la procédure de signature de l’arrêté d’application du décret de 2001. Rappelant que certaines catégories d’AT étaient réglementées ou en cours d’harmonisation au niveau communautaire, elle a soutenu que l’existence d’un régime d’autorisation préalable pour les AT était justifiée. Elle a notamment attiré l’attention de la Commission sur les risques présentés par les AT employés en tant que biocides ou agents de décontamination dans les produits d’origine végétale et par l’emploi des antimousses dans certaines conditions. S’agissant de la clause de reconnaissance mutuelle, la République française a indiqué avoir entamé une réflexion au sujet de la modification de la disposition pertinente du décret de 2001 afin de répondre aux arguments de la Commission.

45      N’étant pas satisfaite de la réponse apportée par cet État membre, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

46      Dans sa requête, la Commission soulève, en substance, trois griefs à l’encontre de la réglementation en cause, à savoir, premièrement, l’absence de justification tirée de l’objectif de protection de la santé publique pour les entraves à la libre circulation des marchandises créées par les régimes d’autorisation préalable prévus par cette réglementation, deuxièmement et à titre subsidiaire, en ce qui concerne le décret de 2001, l’existence d’une entrave à l’article 28 CE résultant de l’insécurité juridique créée par ce décret et, troisièmement, l’absence de procédures simplifiées d’inscription des AT sur la liste nationale des AT autorisés.

 Observations liminaires sur la portée du recours

47      Il convient de préciser, d’une part, que le recours de la Commission relatif à la violation de l’article 28 CE concerne tous les AT à l’exception de ceux pour lesquels il existe des mesures d’harmonisation au niveau communautaire.

48      D’autre part, même si l’objet du recours de la Commission a été décrit comme visant, de manière générale, la réglementation française, il découle de la procédure précontentieuse ainsi que des motifs de la requête que le recours vise les deux régimes d’autorisation préalable prévus par les décrets de 1912 et de 2001.

49      À l’égard du décret de 2001, ainsi qu’il ressort du dossier, la Commission et la République française divergent sur la question de savoir si l’avis aux entreprises permettait d’ores et déjà, et notamment au terme du délai fixé dans l’avis motivé, la mise en œuvre du principe de libre circulation consacré par le décret de 2001, l’arrêté ministériel prévu par l’article 2 dudit décret n’ayant pas encore été adopté à cette date. Selon cet État membre, l’avis aux entreprises permettait, au terme dudit délai, la mise en œuvre dudit principe et des articles 3 et 6 du décret de 2001.

50      Il convient, à cet égard, de constater que, sur la base des informations transmises à la Cour au sujet de la valeur juridique et de la portée de l’avis aux entreprises et compte tenu du libellé même du décret de 2001, ledit avis ne saurait être considéré comme palliant le défaut d’adoption de l’arrêté ministériel prévu par l’article 2 dudit décret, permettant l’entrée en vigueur notamment des articles 3 et 6 du décret de 2001 et sa substitution définitive au décret de 1912.

51      Premièrement, en réponse aux arguments de la Commission relatifs à l’avis aux entreprises, la République française n’a pas démontré que cet avis ne constitue pas une simple circulaire administrative dépourvue de caractère obligatoire et juridiquement non contraignante. En effet, dans sa réponse à la lettre de mise en demeure de la Commission, cet État membre a reconnu que la mise en application complète du décret de 2001 nécessiterait la publication d’un arrêté ministériel fixant la liste de toutes les substances autorisées ainsi que leurs conditions d’emploi et a constaté que ce n’était que lorsqu’un tel arrêté aurait été publié que le décret de 2001 se substituerait définitivement au décret de 1912.

52      Deuxièmement, rien dans le libellé clair et explicite des articles 2 et 7 du décret de 2001 n’apparaît conforter les effets accordés par la République française audit avis. Ainsi, conformément à l’article 2 de ce décret, un arrêté ministériel devrait être adopté fixant la liste des AT dont l’emploi est autorisé. S’agissant de l’article 7 dudit décret, il résulte de ses termes que «les dispositions [de ce dernier] entreront en vigueur à compter de la date de publication de l’arrêté prévu à l’article 2». Par conséquent, la publication d’un tel arrêté ministériel apparaît comme une condition nécessaire à l’entrée en vigueur du décret de 2001 ainsi que cela a été explicitement rappelé dans l’avis aux entreprises lui-même.

53      Troisièmement, si ledit avis indique qu’il n’y avait pas d’obstacle à l’application, à partir du 19 janvier 2002, date de sa publication, des dispositions du décret de 2001 relatives, par exemple, au dépôt de dossiers par les opérateurs économiques en vertu de l’article 3 de ce décret, il est difficile de comprendre comment un opérateur économique pourrait présenter un dossier demandant la modification de la liste des AT autorisés établie par un arrêté ministériel lorsque cette liste n’a pas encore été établie faute de l’adoption de l’arrêté en cause.

54      Dans ces circonstances, il convient de constater que l’avis aux entreprises n’a pas permis de remédier au défaut d’adoption de l’arrêté ministériel prévu par l’article 2 du décret de 2001 et que, au terme du délai fixé dans l’avis motivé, le décret de 1912 n’avait pas encore cessé de produire ses effets.

55      Dans le cadre d’un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, l’existence du manquement doit être appréciée en fonction de la situation telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (arrêt du 25 novembre 1998, Commission/Espagne, C‑214/96, Rec. p. I‑7661, point 25).

56      Dans le cadre du présent recours, la Commission a soutenu à maintes reprises que le décret de 2001 conditionne son entrée en vigueur à la publication d’un arrêté ministériel et que, à défaut d’une telle publication, ce décret n’est pas entré en vigueur. Dans sa requête, par exemple, elle a constaté que «[d]eux régimes ont été successivement applicables en France aux AT. Le premier de ces régimes est demeuré en vigueur durant la procédure précontentieuse et n’a pris fin que le 2 décembre 2006. Le [second] régime a été adopté définitivement le 31 juillet 2001, mais son entrée en vigueur a été différée jusqu’à ce que le premier régime prenne fin».

57      Le délai fixé dans l’avis motivé a expiré le 4 septembre 2006. L’arrêté ministériel prévu à l’article 2 du décret de 2001 a été adopté le 19 octobre 2006 et publié au Journal officiel de la République française le 2 décembre 2006.

58      Il s’ensuit que, faute d’adoption de l’arrêté ministériel prévu à l’article 2 du décret de 2001, le recours de la Commission relatif audit décret ne peut faire l’objet d’un examen de la part de la Cour qu’à l’égard de son grief tiré de l’existence d’une entrave à l’article 28 CE découlant de l’insécurité juridique créée par celui-ci.

 Sur le premier grief concernant l’absence de justification tirée de l’objectif de protection de la santé publique

 Argumentation des parties

59      La Commission soutient qu’il incombe à la République française de justifier l’existence d’un régime d’autorisation préalable pour les différentes catégories d’AT. Le recours à un régime d’autorisation préalable, qui n’est pas exclu par principe, devrait être ciblé et précisément justifié sur un fondement scientifique. Le régime français d’autorisation préalable reposerait sur une présomption généralisée du risque, dont le principe n’est pas compatible avec l’article 28 CE.

60      Le régime général d’autorisation préalable, tel que prévu par le décret de 1912, serait disproportionné au regard des risques éventuels que les AT peuvent présenter pour la santé humaine. Le respect de certaines conditions pour l’emploi d’un AT autorisé ou le respect de certains critères de pureté ne pourraient pas être justifiés pour un motif de santé publique lorsque les produits finis ne contiennent pas de résidus d’AT ou lorsque les résidus ne présentent pas de danger pour la santé humaine quand ils sont ingérés par les consommateurs.

61      Selon la Commission, la présomption de risque sur laquelle le régime français repose est d’autant plus difficile à justifier à l’égard du règlement n° 178/2002. Conformément à ce règlement, les autres États membres procéderaient normalement à une évaluation des risques que présentent les denrées alimentaires et à des contrôles du respect de leur législation alimentaire.

62      La Commission observe que la République française semble être l’un des rares États membres à soumettre l’emploi d’AT à une procédure d’autorisation préalable. Si cette circonstance, à elle seule, n’impliquerait pas que le régime d’autorisation préalable établi par la République française soit incompatible avec l’article 28 CE, elle démontrerait que le risque allégué par cet État membre est loin d’être généralement admis et qu’un régime soumettant systématiquement tous les AT à une autorisation préalable va au-delà de l’objectif légitime poursuivi par celui-ci.

63      La Commission maintient, en ce qui concerne les clauses de reconnaissance mutuelle incluses dans certains arrêtés adoptés en application du décret de 1912, que celles-ci ne peuvent avoir aucune efficacité pratique dès lors que la France semble être l’un des rares États membres à prévoir une procédure d’autorisation préalable de l’emploi des AT. Dans ces circonstances, toute référence à une «teneur résiduelle supérieure» reconnue dans d’autres États membres n’aurait qu’une utilité théorique. Ce serait la réglementation française qui serait d’application dans tous les cas.

64      Elle fait valoir que, dès lors que les autres États membres doivent respecter les exigences, notamment, de l’article 14 du règlement n° 178/2002 concernant les prescriptions relatives aux denrées alimentaires mises sur le marché et qu’une violation du droit communautaire par ceux-ci ne peut pas être présumée, une clause de reconnaissance mutuelle devrait se limiter à prévoir que les dispositions de la réglementation nationale pertinente ne font pas obstacle au principe de libre circulation des denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des AT ne répondant pas aux dispositions de ladite réglementation mais provenant d’autres États membres de la Communauté où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés.

65      La République française reconnaît que les AT peuvent présenter, à première vue, moins de risques sanitaires que des substances nutritives telles que les vitamines et les additifs alimentaires qui sont ajoutés dans une denrée alimentaire où ils demeurent jusqu’à ce que le consommateur ait ingéré cette denrée. Il n’en reste pas moins que les AT peuvent présenter des risques pour la santé publique. Ceux-ci proviendraient de la présence des résidus des AT eux-mêmes et/ou de la présence de produits dits «néoformés». À ce dernier égard, la République française explique que, sous l’effet de certains procédés de transformation, les AT peuvent engendrer des modifications de structure des molécules constitutives de l’aliment et ces nouvelles molécules sont susceptibles de présenter des effets toxiques pour la santé du consommateur.

66      La République française se réfère à la note du 13 août 2008 de l’AFSSA adressée au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans laquelle celle-ci a résumé son bilan de huit années d’évaluation des demandes d’autorisation d’emploi d’AT. Dans cette lettre, l’AFSSA a constaté que, dans la plupart des cas, les quantités résiduelles d’AT dans la denrée alimentaire finale ne sont pas connues et que l’exposition du consommateur aux AT présente le risque de dépasser dans certains cas les valeurs toxicologiques de référence, lorsqu’elles ont été établies. Elle a également soulevé la formation de produits néoformés résultant de l’emploi de certains AT dans les processus de fabrication.

67      Selon la République française, pour savoir si un produit ne contient pas de résidus d’AT, il faut que cet AT soit connu et qu’il ait été identifié par un dispositif d’autorisation ou de déclaration. Par ailleurs, pour savoir si des résidus ne présentent pas de risque pour la santé humaine, il faudrait que l’AT lui-même ait donné lieu à une évaluation sanitaire des résidus présents dans les denrées alimentaires, en prenant en compte des conditions normales de consommation de ces denrées. Ce type d’évaluation du risque sanitaire final présenté par la denrée alimentaire qui contient l’AT ne serait efficace que s’il est pratiqué dans le cadre soit d’une procédure d’autorisation de mise sur le marché, soit d’une évaluation scientifique pertinente dans le cadre d’instances internationales, communautaires ou nationales. Compte tenu des risques potentiels que présentent pour la santé publique certaines catégories d’AT, un État membre est tout à fait en droit de prévoir, pour celles de ces catégories qui ne font pas l’objet de dispositions communautaires d’harmonisation, une procédure d’autorisation préalable pour leur mise sur le marché. Elle soutient en outre que, eu égard à l’évolution permanente des procédés de fabrication, il n’est pas possible d’identifier à l’avance des catégories d’AT qui seraient inoffensifs.

68      Quant à l’argument de la Commission selon lequel les autorités nationales doivent démontrer l’existence d’un risque précis pour chaque catégorie d’AT, la République française rappelle l’application du principe de précaution dans le domaine de la santé publique. Selon elle, conformément à ce principe, il appartient aux États membres d’établir le risque que peut présenter l’utilisation des AT mais ils ne doivent pas établir précisément et scientifiquement l’existence du risque qu’ils présentent.

69      En l’absence de dispositif d’évaluation des AT dans la très grande majorité des États membres, la circonstance qu’une substance ait été commercialisée dans un autre État membre ne saurait la dispenser d’un examen par l’AFSSA et par l’administration française. Le fait qu’un État membre impose des règles moins strictes que celles applicables dans un autre État membre ne signifierait pas en soi que ces dernières soient disproportionnées.

70      S’agissant des clauses de reconnaissance mutuelle, la République française se limite à faire valoir que c’est précisément pour répondre au reproche de la Commission selon lequel le décret de 1912 ne comportait pas de telles clauses mutuelles que le décret de 2001 a été adopté.

71      Quant à la possibilité d’informer et de protéger les consommateurs par voie d’étiquetage, la République française fait valoir, d’une part, que l’étiquetage ne saurait se substituer à un dispositif d’analyse de risques pour la santé des consommateurs. D’autre part, dès lors que la directive 2000/13 dispense les AT de l’obligation d’étiquetage, imposer la mention de ces substances sur l’étiquetage constituerait une violation de cette directive.

72      En ce qui concerne le rapport d’étude de l’AFSSA du mois d’avril 2007 joint en annexe à son mémoire en duplique pour la première fois, la République française observe que si ce rapport est ciblé sur certains produits et certains procédés, ainsi que la Commission l’a observé, un tel ciblage est logique compte tenu du problème particulier posé par la production de produits néoformés. Un examen exhaustif des AT ne serait pas envisageable en raison de la quantité considérable d’AT utilisables. En tout état de cause, contrairement à ce que prétend la Commission, la réglementation française n’aurait pas été adoptée sans étude préalable d’ensemble approfondie de l’impact des AT sur la santé, une étude ayant été entamée entre 2001 et 2003 et la seconde phase de cette étude étant envisagée pour la période allant de 2009 à 2011.

 Appréciation de la Cour

73      Il convient, à titre liminaire, de rappeler que la libre circulation des marchandises entre les États membres est un principe fondamental du traité qui trouve son expression dans l’interdiction, énoncée à l’article 28 CE, des restrictions quantitatives à l’importation entre les États membres ainsi que de toutes mesures d’effet équivalent.

74      L’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions édictée à l’article 28 CE vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, point 5; du 23 septembre 2003, Commission/Danemark, C‑192/01, Rec. p. I‑9693, point 39, et du 5 février 2004, Commission/France, C‑24/00, Rec. p. I‑1277, point 22).

75      Il n’est pas contesté que le régime d’autorisation préalable prévu par le décret de 1912 constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article 28 CE.

76      En effet, le régime d’autorisation préalable prévu par ce décret rend plus coûteuse et difficile, voire, dans certains cas, impossible, la commercialisation d’AT et de denrées alimentaires dans la préparation desquelles ont été utilisés des AT légalement fabriqués et/ou commercialisés dans d’autres États membres.

77      Premièrement, ce régime entrave la libre circulation des AT, destinés à être utilisés dans la préparation de denrées alimentaires, provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés, dans la mesure où ils sont soumis aux critères de pureté ou autres caractéristiques, telles les doses résiduelles maximales autorisées, établis par la réglementation française.

78      Deuxièmement, il entrave la libre circulation de denrées alimentaires finies provenant d’autres États membres dans lesquelles peuvent être décelées la présence, fût-elle infinitésimale, de résidus d’un AT non autorisé en France ou celle de résidus d’AT autorisés en France lorsque les teneurs résiduelles maximales fixées par les arrêtés d’autorisation français sont dépassées.

79      Troisièmement, ledit régime d’autorisation préalable entrave la libre circulation des denrées alimentaires finies provenant d’autres États membres dans la préparation desquelles est intervenu un AT non autorisé en France, ou un AT autorisé mais ne satisfaisant pas aux critères de pureté ou autres caractéristiques établis par la réglementation française, ou un AT autorisé en France mais employé de manière différente de celle autorisée par la réglementation française et ceci même en l’absence de tout résidu dans la denrée alimentaire finie, ou en présence de résidus dans des teneurs autorisées.

80      Selon une jurisprudence constante, une réglementation nationale soumettant à une autorisation préalable l’adjonction d’une substance nutritive dans une denrée alimentaire légalement fabriquée et/ou commercialisée dans d’autres États membres n’est pas, en principe, contraire au droit communautaire pourvu que certaines conditions soient remplies (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 1992, Commission/France, C‑344/90, Rec. p. I‑4719, point 8, et Commission/Danemark, précité, point 44).

81      D’une part, une telle réglementation doit être assortie d’une procédure permettant aux opérateurs économiques d’obtenir l’inscription de cette substance nutritive sur la liste nationale des substances autorisées. Cette procédure doit être aisément accessible, doit pouvoir être menée à terme dans des délais raisonnables et, si elle débouche sur un refus, la décision de refus doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel (voir, en ce sens, arrêts précités du 16 juillet 1992, Commission/France, point 9, et du 5 février 2004, Commission/France, point 26).

82      D’autre part, une demande visant à obtenir l’inscription d’une substance nutritive sur la liste nationale des substances autorisées ne peut être rejetée par les autorités nationales compétentes que si cette substance présente un risque réel pour la santé publique (voir arrêts précités Commission/Danemark, point 46, et du 5 février 2004, Commission/France, point 27).

83      En l’espèce, la Commission fait valoir que, à la différence des additifs et des substances nutritives, telles les vitamines, qui ont fait l’objet des arrêts précités Commission/Danemark et du 5 février 2004, Commission/France, les AT ne sont pas des substances ajoutées aux denrées alimentaires mais seulement des substances utilisées dans le processus d’élaboration ou de fabrication d’une denrée alimentaire dont des traces peuvent être décelées dans certains cas. Contrairement aux vitamines et aux additifs, leur présence dans la denrée alimentaire finie serait rare et involontaire. Eu égard à ces différences, la Commission estime qu’un régime d’autorisation préalable n’est pas justifié pour les AT, ces derniers ne présentant pas la même nocivité potentielle pour la santé publique que les additifs ou les vitamines.

84      Il convient, à cet égard, de relever que ces différences entre les substances nutritives volontairement et intentionnellement ajoutées aux denrées alimentaires et les AT ne sont pas de nature à exclure la possibilité pour un État membre de se fonder, en principe, sur l’article 30 CE et l’objectif de protection de la santé publique afin de justifier des régimes d’autorisation préalable tels que ceux en cause en l’espèce. Si de telles différences existaient à l’égard des substances faisant l’objet d’un régime d’autorisation préalable, elles seraient pertinentes non pas pour déterminer si le choix d’un tel régime est en principe exclu aux États membres, mais en ce qui concerne les modalités d’application du principe de proportionnalité s’agissant du régime qui leur est applicable.

85      En ce qui concerne l’objectif de protection de la santé, il appartient aux États membres, à défaut d’harmonisation et dans la mesure où des incertitudes subsistent en l’état actuel de la recherche scientifique, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes ainsi que de l’exigence d’une autorisation préalable à la mise sur le marché d’AT et des denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des AT, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l’intérieur de la Communauté (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 1983, Sandoz, 174/82, Rec. p. 2445, point 16; du 13 décembre 1990, Bellon, C‑42/90, Rec. p. I‑4863, point 11; Commission/Danemark, précité, point 42, et du 5 février 2004, Commission/France, précité, point 49).

86      Ce pouvoir d’appréciation relatif à la protection de la santé publique est particulièrement important lorsqu’il est démontré que des incertitudes subsistent en l’état actuel de la recherche scientifique quant à certaines substances utilisées dans la préparation des denrées alimentaires (voir arrêts précités Commission/Danemark, point 43, et du 5 février 2004, Commission/France, point 50).

87      L’article 30 CE contenant une exception, d’interprétation stricte, à la règle de la libre circulation des marchandises à l’intérieur de la Communauté, il incombe aux autorités nationales qui l’invoquent de démontrer dans chaque cas d’espèce, compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale, que leur réglementation est nécessaire pour protéger effectivement les intérêts visés à ladite disposition et, notamment, que la commercialisation des produits en question présente un risque réel pour la santé publique (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/Danemark, point 46, et du 5 février 2004, Commission/France, point 53 et jurisprudence citée).

88      Une interdiction de commercialisation d’AT ou de denrées alimentaires dans la préparation desquelles ont été utilisés des AT légalement fabriqués et/ou commercialisés dans d’autres États membres doit donc être fondée sur une évaluation approfondie du risque allégué par l’État membre qui invoque l’article 30 CE (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/Danemark, point 47, et du 5 février 2004, Commission/France, point 54, ainsi que arrêt du 2 décembre 2004, Commission/Pays-Bas, C‑41/02, Rec. p. I‑11375, point 48).

89      Une décision d’interdire la commercialisation, qui constitue, d’ailleurs, l’entrave la plus restrictive aux échanges concernant les produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres, ne saurait être adoptée que si le risque réel allégué pour la santé publique apparaît comme suffisamment établi sur la base des données scientifiques les plus récentes qui sont disponibles à la date de l’adoption d’une telle décision. Dans un tel contexte, l’évaluation du risque que l’État membre est tenu d’effectuer a pour objet l’appréciation du degré de probabilité des effets néfastes de l’emploi des AT dans la préparation des denrées alimentaires pour la santé humaine et de la gravité de ces effets potentiels (arrêts précités Commission/Danemark, point 48; du 5 février 2004, Commission/France, point 55, et Commission/Pays-Bas, point 49).

90      En exerçant leur pouvoir d’appréciation relatif à la protection de la santé publique, les États membres doivent respecter le principe de proportionnalité. Les moyens qu’ils choisissent doivent donc être limités à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé publique, ils doivent être proportionnés à l’objectif ainsi poursuivi, lequel n’aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d’une manière moindre les échanges intracommunautaires (voir arrêts précités Commission/Danemark, point 45, et du 5 février 2004, Commission/France, point 52).

91      Certes, l’évaluation que l’État membre est tenu d’effectuer pourrait révéler un grand degré d’incertitude scientifique et pratique à cet égard. Une telle incertitude, inséparable de la notion de précaution, influe sur l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’État membre et se répercute ainsi sur les modalités d’application du principe de proportionnalité. Dans de telles circonstances, il doit être admis qu’un État membre peut, en vertu du principe de précaution, prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées (voir, en ce sens, arrêts du 5 mai 1998, National Farmers’ Union e.a., C‑157/96, Rec. p. I‑2211, point 63, ainsi que Commission/Pays-Bas, précité, points 51 et 52). Toutefois, l’évaluation du risque ne peut pas se fonder sur des considérations purement hypothétiques (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2003, Monsanto Agricoltura Italia e.a., C‑236/01, Rec. p. I‑8105, point 106; Commission/Danemark, précité, point 49, ainsi que Commission/Pays-Bas, précité, point 52).

92      Une application correcte du principe de précaution présuppose, en premier lieu, l’identification des conséquences potentiellement négatives pour la santé de l’utilisation proposée d’AT et, en second lieu, une évaluation compréhensive du risque pour la santé fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale (voir arrêts précités Monsanto Agricoltura Italia e.a., point 113; Commission/Danemark, point 51, ainsi que Commission/Pays-Bas, point 53).

93      Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives, sous réserve qu’elles soient non discriminatoires et objectives (voir arrêts précités Commission/Danemark, point 52, et Commission/Pays-Bas, point 54).

94      En l’espèce, la République française justifie le régime d’autorisation préalable prévu par sa réglementation en se référant aux risques potentiels que présentent pour la santé certaines catégories d’AT.

95      Toutefois, s’il existe des risques concernant certaines catégories d’AT, la réglementation nationale doit être ciblée et clairement justifiée à l’égard desdites catégories et ne doit pas viser tous les AT ou toutes les denrées alimentaires dans la préparation desquelles ont été utilisés des AT n’entrant pas dans ces catégories dangereuses ou suspectes. Il ne suffit pas de se fonder sur des risques potentiels posés par les substances ou les produits soumis à autorisation.

96      Certes, un État membre peut se fonder sur le principe de précaution lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué. Toutefois, une application correcte dudit principe présuppose que l’État membre démontre l’existence des conditions, rappelées au point 92 du présent arrêt, requises pour l’application de celui-ci.

97      En ce qui concerne le régime d’autorisation préalable prévu par le décret de 1912, la démonstration de l’existence de ces conditions fait défaut. En effet, à supposer même qu’il lui appartient, conformément au principe de précaution, d’établir seulement le risque que peut présenter l’utilisation d’AT, ainsi que la République française le prétend, il n’en reste pas moins que la présomption généralisée d’un risque pour la santé avancée par cet État membre en l’espèce n’est pas supportée par des éléments de preuve justifiant pour quelle raison la commercialisation de toute denrée alimentaire dans la préparation desquelles ont été utilisés des AT, légalement fabriqués et/ou commercialisés dans d’autres États membres, doit dépendre de l’inscription de l’AT en question sur une liste positive établie par la réglementation française, laquelle dépend, à son tour, de la conformité de la denrée en question avec des critères de pureté, des exigences relatives aux doses résiduelles maximales autorisées ou des conditions d’emploi des AT établies par cette réglementation.

98      En outre, en ce qui concerne les éléments avancés par la République française pour démontrer que le choix des régimes en cause se fonde sur une analyse compréhensive des risques conformément aux articles 28 CE et 30 CE, il convient de constater que la note de l’AFSSA du 13 août 2008 et son rapport d’étude du mois d’avril 2007 pour démontrer que la réglementation en cause est conforme aux articles 28 CE et 30 CE sont largement postérieures au décret de 1912. À la suite de la publication, le 2 décembre 2006, de l’arrêté ministériel prévu à l’article 2 du décret de 2001, le décret de 1912 n’était d’ailleurs plus en vigueur lors de l’établissement de ces documents.

99      Ainsi qu’il ressort du point 90 du présent arrêt, afin de respecter le principe de proportionnalité, les moyens que les États membres choisissent doivent être limités à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé.

100    L’examen du dossier à l’égard du régime d’autorisation préalable prévu par le décret de 1912 révèle que celui-ci est disproportionné dans la mesure où, sauf autorisation préalable, il interdit systématiquement la commercialisation de tout AT ou de toutes denrées alimentaires dans la préparation desquelles ont été utilisés des AT légalement fabriqués et/ou commercialisés dans d’autres États membres, sans distinguer selon les différents AT ou selon le niveau du risque que leur utilisation peut éventuellement présenter pour la santé.

101    Par son caractère systématique, le décret de 1912 ne permet pas de respecter le droit communautaire en ce qui concerne l’identification au préalable des effets nocifs des AT et l’évaluation du risque réel pour la santé qu’ils présentent, lesquels exigent une évaluation approfondie, au cas par cas, des effets que pourrait entraîner l’utilisation des AT en cause.

102    En outre, ledit régime entrave, de manière systématique, la commercialisation des denrées alimentaires dans la préparation desquelles ont été utilisés des AT si le mode d’emploi de ces derniers ne correspond pas au mode d’emploi prescrit par la réglementation française, même en l’absence de résidus décelables desdits AT dans les denrées alimentaires finales.

103    Un État membre ne peut pas justifier un régime d’autorisation préalable systématique et non ciblé tel que celui prévu par le décret de 1912 en soulignant l’impossibilité d’entamer des examens préalables plus exhaustifs en raison de la quantité considérable d’AT utilisables ou en raison du fait que les processus de fabrication sont en évolution constante. Ainsi qu’il ressort des articles 6 et 7 du règlement n° 178/2002 relatifs à l’analyse des risques et à l’application du principe de précaution, une telle approche ne correspond pas aux exigences établies par le législateur communautaire en ce qui concerne la réglementation alimentaire tant communautaire que nationale et visant à atteindre l’objectif général d’un niveau élevé de protection de la santé.

104    Certes, ainsi que la République française l’a fait valoir, une des voies alternatives moins restrictives de la libre circulation suggérée par la Commission, à savoir la mention des AT utilisés dans le processus de fabrication d’une denrée alimentaire, n’est pas susceptible d’atteindre l’objectif de protection visé par la réglementation française s’agissant des AT à l’égard desquels un risque réel pour la santé est établi. Toutefois, il convient de rejeter l’argument de cet État membre selon lequel une telle mention constituerait en tout état de cause une violation de la directive 2000/13. En effet, s’il ressort de l’article 6, paragraphe 4, sous c), ii), de cette directive que les AT ne constituent pas des ingrédients devant être mentionnés obligatoirement sur l’étiquetage, conformément à son article 3, paragraphe 1, les États membres peuvent, conformément à l’article 18, paragraphe 1, de ladite directive, de prévoir des mesures relatives à l’étiquetage justifiées par des raisons de protection de la santé publique.

105    Il y a lieu également de rappeler, ainsi que la République française l’observe, que le simple fait qu’un État membre impose des règles moins strictes que celles applicables dans un autre État membre ne signifie pas que ces dernières sont incompatibles avec les articles 28 CE et 30 CE (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2006, Commission/Espagne, C‑514/03, Rec. p. I‑963, point 49). Toutefois, l’absence de régime d’autorisation préalable à l’égard de l’utilisation des AT dans la préparation des denrées alimentaires dans tous ou presque tous les autres États membres peut être pertinente lors de l’appréciation de la justification objective avancée à l’égard de la réglementation française et, notamment, à l’égard de l’appréciation de la proportionnalité de celle-ci.

106    Quant aux arguments de la Commission au sujet de la nature des clauses de reconnaissance mutuelle qu’il incombe à un État membre d’incorporer dans sa réglementation nationale relative à un régime d’autorisation préalable tel que celui en cause en l’espèce, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 80 du présent arrêt, qu’une réglementation nationale soumettant à une autorisation préalable les denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des AT légalement fabriqués et/ou commercialisés dans d’autres États membres n’est pas, en principe, contraire au droit communautaire pourvu que les conditions énumérées aux points 81 et 82 du présent arrêt soient remplies.

107    L’argument de la Commission au point 64 du présent arrêt relatif à la nature de la clause de reconnaissance mutuelle nécessaire pour se conformer au droit communautaire ne saurait être accueilli.

108    Certes, il incombe à l’État membre qui met en place un régime d’autorisation préalable de prévoir une procédure simplifiée d’inscription et de justifier le régime en démontrant l’existence d’un risque réel pour la santé. Cet État doit démontrer que le régime qu’il a choisi afin d’atteindre l’objectif légitime de protection de la santé ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, ce que la République française n’a pas réussi à faire en l’espèce s’agissant du régime prévu par le décret de 1912.

109    Toutefois, exiger dans une réglementation nationale prévoyant un régime d’autorisation préalable l’inclusion d’une clause de reconnaissance mutuelle telle que celle prévue par la Commission au point 64 du présent arrêt irait à l’encontre de la ratio même d’un tel régime dès lors que l’État membre concerné serait obligé d’admettre la commercialisation sur son territoire des AT et des denrées alimentaires bénéficiant de cette clause sans pouvoir vérifier l’absence de risques réels pour la santé publique.

110    Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que le premier grief de la Commission doit être considéré comme étant fondé en ce qu'il concerne le décret de 1912.

 Sur le deuxième grief tiré de l’existence d’une entrave à l’article 28 CE résultant de l’insécurité juridique créée par le décret de 2001

111    Lors de la procédure précontentieuse et devant la Cour, la Commission a fait valoir que l’adoption du décret de 2001, qui est uniquement entré en vigueur le 2 décembre 2006 à la suite de la publication de l’arrêté ministériel prévu par son article 2, la publication, en 2002, de l’avis aux entreprises et, celle, en 2003, de lignes directrices pour la constitution d’un dossier relatif à l’emploi d’un AT applicables aux catégories d’AT énumérées à l’annexe du décret de 2001 (ci-après les «lignes directrices») ont créé une situation d’insécurité juridique qui elle-même constitue une entrave injustifiée à l’article 28 CE.

112    À cet égard, il convient de relever que le laps de temps entre l’adoption du décret de 2001 et la publication, le 2 décembre 2006, de l’arrêté ministériel permettant l’entrée en vigueur dudit décret ainsi que la coexistence pendant cette période dudit décret et du décret de 1912 ont donné lieu à une situation de fait ambiguë en maintenant, pour les opérateurs économiques, un état d’incertitude en ce qui concerne les possibilités de commercialiser en France des AT ou des denrées alimentaires dans la préparation desquelles ont été utilisés des AT, légalement fabriqués et/ou commercialisés dans d’autres États membres.

113    Cette insécurité juridique a été renforcée, d’une part, par l’avis aux entreprises indiquant aux opérateurs économiques qu’il n’y avait pas d’obstacle, à partir de la date de publication de cet avis, à l’application de certaines dispositions du décret de 2001 et, d’autre part, par les lignes directrices publiées par l’AFSSA le 2 juillet 2003 qui étaient, selon ses propres termes, applicables aux catégories d’AT énumérées à l’annexe du décret de 2001.

114    À supposer même que lesdites lignes directrices fussent conformes aux exigences résultant de la jurisprudence de la Cour relative à l’existence d’une procédure simplifiée d’inscription, un opérateur économique n’aurait pu constituer un dossier relatif à l’emploi d’un AT et visant à inscrire celui-ci sur une liste positive prévue à l’article 2 du décret de 2001 alors que cette liste n’avait pas été établie, l’arrêté ministériel destiné à prévoir cette liste n’ayant pas encore été adopté ni publié.

115    Il convient, dans ces circonstances, de constater que le deuxième grief de la Commission relatif au décret de 2001 doit être considéré comme étant fondé.

 Sur le troisième grief tiré d’une absence de procédure simplifiée d’inscription des AT

116    La Commission estime que la procédure d’inscription prévue par le décret de 1912 ne respecte pas les exigences ressortant de la jurisprudence de la Cour et rappelées au point 81 du présent arrêt. Le décret de 1912 ne comporterait aucune indication sur la durée de la procédure ni sur le droit des opérateurs économiques de la déclencher ou leurs possibilités de recours en cas de refus. Aucune indication ne serait par ailleurs donnée auxdits opérateurs sur l’instance à laquelle ils doivent adresser leurs demandes ou les documents qu’ils doivent joindre au dossier.

117    À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 81 du présent arrêt, une réglementation nationale soumettant à une autorisation préalable l’adjonction d’une substance telle qu’un AT dans une denrée alimentaire doit être assortie d’une procédure permettant aux opérateurs économiques d’obtenir l’inscription de cette substance sur la liste nationale des substances autorisées. Cette procédure doit être aisément accessible, doit pouvoir être menée à terme dans des délais raisonnables et, si elle débouche sur un refus, la décision de refus doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel (voir, en ce sens, arrêts précités du 16 juillet 1992, Commission/France, point 9, et du 5 février 2004, Commission/France, point 26).

118    Au point 40 de l’arrêt du 5 février 2004, Commission/France, précité, la Cour a déjà relevé que, compte tenu des exemples qui lui avaient été fournis par la Commission s’agissant de la procédure d’inscription prévue par le décret de 1912, les demandes d’inscription ou d’autorisation déposées par les opérateurs économiques n’étaient traitées ni dans des délais raisonnables ni selon une procédure suffisamment transparente quant aux possibilités de recours juridictionnel offertes en cas de refus d’autorisation.

119    Dans la présente espèce, il ressort du dossier que la procédure d’inscription applicable aux substances nutritives telles que les vitamines en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 février 2004, Commission/France, précité, est analogue, voire identique, à celle prévue par le décret de 1912 pour l’inscription d’AT sur la liste de substances autorisées en France. Aucun élément n’a été fourni par la République française démontrant que tel n’est pas le cas.

120    Dans ces circonstances, les conclusions auxquelles la Cour est arrivée dans l’arrêt du 5 février 2004, Commission/France, précité, relatives à la procédure d’inscription prévue par le décret de 1912, peuvent être transposées à la procédure d’inscription applicable, en vertu du même décret, aux AT.

121    Il convient de conclure que, en ce qui concerne le décret de 1912, le troisième grief de la Commission tiré d’une absence de procédure simplifiée d’inscription doit être considéré comme fondé.

122    Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que, en prévoyant, pour les AT et les denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des AT provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés, un régime d’autorisation préalable ne respectant pas le principe de proportionnalité, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

 Sur les dépens

123    Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française, et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      En prévoyant, pour les auxiliaires technologiques et les denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés, un régime d’autorisation préalable ne respectant pas le principe de proportionnalité, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

2)      La République française est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.