Language of document : ECLI:EU:C:2014:2040

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

3 juillet 2014 (*)

«Pourvoi – Concentration d’entreprises – Décision de la Commission – Condamnation au paiement d’une amende – Violation de l’article 7 du règlement (CEE) n° 4064/89 – Contrôle des opérations de concentration entre entreprises – Article 14, paragraphe 3 – Critères à prendre en compte pour déterminer le montant de l’amende – Prise en compte de la durée de l’infraction – Principe de non‑rétroactivité de la loi – Application du règlement (CE) n° 139/2004 – Obligation de motivation»

Dans l’affaire C‑84/13 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 21 février 2013,

Electrabel SA, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes M. Pittie et P. Honoré, avocats,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. C. Giolito, V. Di Bucci et A. Bouquet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. E. Juhász, président de chambre (rapporteur), MM. D. Šváby et C. Vajda, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Electrabel SA (ci-après «Electrabel») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2009) 4416 final de la Commission, du 10 juin 2009, infligeant une amende pour la réalisation d’une opération de concentration en violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil (Affaire COMP/M.4994 – Electrabel/Compagnie nationale du Rhône) (ci-après la «décision litigieuse»).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        L’article 3 du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1, ci-après le «règlement n° 4064/89»), intitulé «Définition de la concentration», prévoyait à son paragraphe 1:

«Une opération de concentration est réalisée:

a)      lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent,

ou

b)      lorsque:

–        une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins,

ou

–        une ou plusieurs entreprises

acquièrent directement ou indirectement, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises.»

3        Aux termes de l’article 7, du règlement n° 4064/89, intitulé «Suspension de l’opération de concentration», une concentration «ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée, ni avant d’avoir été déclarée compatible avec le marché commun [...]».

4        L’article 14, de ce règlement, intitulé «Amendes», prévoyait à ses paragraphes 2 à 4:

«2.      La Commission peut, par voie de décision, infliger aux personnes ou entreprises des amendes jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées au sens de l’article 5, lorsque de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles contreviennent à une charge imposée par décision prise en vertu de l’article 7 paragraphe 4 ou de l’article 8 paragraphe 2 deuxième alinéa;

b)      elles réalisent une opération de concentration en ne respectant pas l’article 7 paragraphe 1 ou une décision prise en application de l’article 7 paragraphe 2;

c)      elles réalisent une opération de concentration déclarée incompatible avec le marché commun par décision prise en application de l’article 8 paragraphe 3 ou ne prennent pas les mesures ordonnées par décision prise en application de l’article 8 paragraphe 4.

3.      Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération la nature et la gravité de l’infraction.

4.      Les décisions prises en vertu des paragraphes 1 et 2 n’ont pas un caractère pénal.»

5        En vertu de ses articles 25 et 26, le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1), a abrogé le règlement n° 4064/89 avec effet au 1er mai 2004 et est devenu applicable à partir de cette même date.

6        L’article 3 du règlement n° 139/2004, intitulé «Définition de la concentration», prévoit à son paragraphe 1:

«Une concentration est réputée réalisée lorsqu’un changement durable du contrôle résulte:

a)      de la fusion de deux ou de plusieurs entreprises ou parties de telles entreprises, ou

b)      de l’acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle direct ou indirect de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen.»

7        L’article 7 dudit règlement, intitulé «Suspension de la concentration», dispose à son paragraphe 1:

«Une concentration de dimension communautaire telle que définie à l’article 1er ou qui doit être examinée par la Commission en vertu de l’article 4, paragraphe 5, ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée ni avant d’avoir été déclarée compatible avec le marché commun par une décision [...]»

8        L’article 14 du même règlement, intitulé «Amendes», dispose à ses paragraphes 2 à 4:

«2.      La Commission peut, par voie de décision, infliger aux personnes visées à l’article 3, paragraphe 1, point b), ou aux entreprises concernées des amendes jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées au sens de l’article 5, lorsque de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles omettent de notifier une concentration conformément à l’article 4 ou à l’article 22, paragraphe 3, avant sa réalisation, à moins qu’elles n’y soient expressément autorisées par l’article 7, paragraphe 2, ou par une décision prise en vertu de l’article 7, paragraphe 3;

b)      elles réalisent une concentration en violation de l’article 7;

c)      elles réalisent une concentration déclarée incompatible avec le marché commun par voie de décision prise en vertu de l’article 8, paragraphe 3, ou ne prennent pas les mesures ordonnées par voie de décision prise en vertu de l’article 8, paragraphe 4 ou 5;

d)      elles contreviennent à une condition ou une charge imposée par décision prise en vertu de l’article 6, paragraphe 1, point b), de l’article 7, paragraphe 3, ou de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa.

3.      Pour fixer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération la nature, la gravité et la durée de l’infraction.

4.      Les décisions prises en vertu des paragraphes 1, 2 et 3 n’ont pas un caractère pénal.»

 Les faits à l’origine du litige

9        Electrabel est une société belge qui exerce des activités dans les domaines de l’électricité et du gaz naturel et qui fait partie, depuis l’année 2008, du groupe Gaz de France (GDF) Suez.

10      La Compagnie nationale du Rhône (ci-après la «CNR»), chargée principalement de produire et de commercialiser de l’électricité, est une entreprise publique française faisant l’objet d’un encadrement législatif spécifique, ayant pour mission d’aménager et d’exploiter le Rhône dans le cadre d’une concession accordée par l’État français. Le capital de la CNR était, jusqu’au cours de l’année 2003, exclusivement détenu par des entités ou des entreprises publiques, dont le capital était intégralement détenu par cet État.

11      Le 23 décembre 2003, Electrabel, ayant acquis déjà au mois de juin 2003 des titres de la CNR représentant 17,86 % du capital et 16,88 % des droits de vote de cette dernière, est entrée en possession de titres portant sa participation à 49,95 % du capital et à 47,92 % des droits de vote de la CNR.

12      Le 9 août 2007, Electrabel a saisi la Commission aux fins de solliciter l’avis de cette institution sur l’acquisition par elle d’un contrôle exclusif de fait de la CNR.

13      La Commission ayant conclu qu’un tel contrôle avait bien été acquis, Electrabel a formellement notifié l’opération de concentration en cause à cette institution le 26 mars 2008.

14      Par une décision du 29 avril 2008, la Commission ne s’est pas opposée à cette opération de concentration et l’a déclarée compatible avec le marché commun. Toutefois, elle a laissé ouverte la question de la date précise de l’acquisition du contrôle exclusif de fait, par Electrabel, de la CNR.

15      Le 17 juin 2008, la Commission a envoyé une demande de renseignements à Electrabel, visant à l’instruction de l’infraction en cause.

16      Le 17 décembre 2008, Electrabel a reçu une communication des griefs, selon laquelle la Commission avait abouti provisoirement à la conclusion que l’opération de concentration réalisée entre cette société et la CNR avait été mise en œuvre le 23 décembre 2003, avant qu’elle ne lui ait été notifiée et avant qu’elle n’ait été déclarée compatible avec le marché commun, ce qui constituait, selon la Commission, une infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89.

17      Par la décision litigieuse, la Commission a infligé une amende de 20 millions d’euros à Electrabel, pour avoir réalisé une opération de concentration avant de l’avoir notifiée et avant qu’elle ne soit déclarée compatible avec le marché commun, pour la période comprise entre le 23 décembre 2003 et le 9 août 2007.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

18      Le 20 août 2009, Electrabel a introduit, devant le Tribunal, un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. À l’appui de ce recours, elle a invoqué quatre moyens.

19      Les deux premiers moyens d’Electrabel étaient soulevés au soutien de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse dans son intégralité. Le premier moyen était tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 et de l’article 253 CE, en ce que la Commission n’aurait pas correctement qualifié l’infraction et en ce que la décision litigieuse serait entachée d’une contradiction de motifs. Le deuxième moyen était tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe 3, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, ainsi que du principe selon lequel la Commission doit respecter les règles qu’elle s’est imposées.

20      Les deux autres moyens d’Electrabel étaient invoqués au soutien de ses conclusions tendant à l’annulation de l’amende infligée par la décision litigieuse ou à la réduction du montant de cette amende. Le troisième moyen du recours était tiré d’une violation de l’article 1er du règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1), en ce que le pouvoir de la Commission d’infliger une sanction à la requérante était prescrit. Le quatrième moyen était tiré d’une violation de l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 4064/89 et des principes de proportionnalité, de bonne administration et de protection de la confiance légitime.

21      Les quatre moyens du recours et, partant, celui-ci dans son ensemble ont été rejetés par l’arrêt attaqué.

 Les conclusions des parties à la procédure devant la Cour

22      Par son pourvoi, Electrabel conclut à ce que la Cour:

–        annule l’arrêt attaqué,

–        soit renvoie l’affaire au Tribunal pour qu’il statue de nouveau, soit statue définitivement en accueillant ses conclusions présentées en première instance, et

–        condamne la Commission aux dépens.

23      La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi comme irrecevable ou, subsidiairement, comme non fondé et de condamner Electrabel aux dépens.

 Sur le pourvoi

24      À l’appui de son pourvoi, Electrabel invoque trois moyens, tirés d’une violation de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, d’une méconnaissance du principe de non‑rétroactivité de la loi ainsi que d’une erreur de droit et d’une contradiction de motifs.

25      La Commission estime que ces trois moyens sont irrecevables et, en tout état de cause, dépourvus de fondement.

26      Il convient d’examiner les deux premiers moyens conjointement.

 Sur les premier et deuxième moyens, tirés, d’une part, d’une violation de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 et, d’autre part, d’une méconnaissance du principe de non‑rétroactivité de la loi

 Argumentation des parties

27      Par son premier moyen, Electrabel soutient que l’arrêt attaqué viole les dispositions expresses de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, en ce qu’il retient la «durée» de l’infraction comme élément de détermination du montant de l’amende, alors que cette disposition, d’une part, ne prévoit pas que cette durée puisse constituer un critère pertinent devant être pris en compte et, d’autre part, dispose que le montant de l’amende doit être déterminé uniquement en fonction de la «nature» et de la «gravité» de l’infraction. Elle rappelle que ce règlement a une portée générale et qu’il est ainsi obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre. Ses dispositions s’imposeraient dès lors à la Commission et conféreraient aux particuliers des droits devant être protégés.

28      Electrabel souligne que le règlement n° 4064/89 donne compétence à la Commission pour infliger des amendes et fixe les limites des pouvoirs de la Commission dans l’exercice de cette compétence. Ainsi, l’article 14, paragraphe 2, de ce règlement fixerait une limite absolue à ce pouvoir de sanction en disposant que la Commission ne peut infliger des amendes dépassant 10 % du chiffre d’affaires total des entreprises sanctionnées. De même, l’article 14, paragraphe 3, dudit règlement énumérerait de façon impérative et limitative les critères que la Commission doit prendre en compte lorsqu’elle entend infliger une amende à une entreprise pour violation de l’article 7 du même règlement.

29      Electrabel soutient que l’arrêt attaqué ne saurait être interprété comme autorisant la Commission à apprécier la «durée» de l’infraction au titre du critère relatif à la «gravité» de cette dernière, spécifiquement prévu à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, dès lors qu’une telle appréciation serait liée aux effets dans le temps que l’infraction a pu avoir sur la concurrence sur les marchés en cause. Toutefois, selon Electrabel, la Commission et le Tribunal ont constaté que l’infraction en cause n’avait eu aucun effet négatif sur la concurrence. Il s’ensuivrait que la «durée» de cette infraction ne pourrait avoir aucune incidence sur l’appréciation de la «gravité», au sens de cet article 14, paragraphe 3, du règlement.

30      Par son deuxième moyen, Electrabel reproche au Tribunal d’avoir méconnu le principe de non‑rétroactivité de la loi, en ce qu’il a appliqué les dispositions du règlement n° 139/2004 à une opération de concentration réalisée avant l’entrée en vigueur de celui-ci. Elle considère que le Tribunal a commis une erreur en faisant une application rétroactive de l’article 14, paragraphe 3, de ce règlement et qu’il a également violé les dispositions transitoires prévues par ce règlement, à l’article 26 de celui-ci, qui dispose expressément que le règlement n° 4064/89 reste applicable à toute concentration qui a fait l’objet d’un accord ou d’une annonce ou pour laquelle le contrôle a été acquis, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de ce dernier règlement, avant la date d’application du règlement n° 139/2004, à savoir le 1er mai 2004.

31      Electrabel ajoute que le principe de non‑rétroactivité, consacré à l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, constitue un principe général du droit de l’Union, dont le respect s’impose lorsque des amendes sont infligées pour infraction aux règles de concurrence.

32      En ce qui concerne la recevabilité des deux premiers moyens du pourvoi, contestée par la Commission, Electrabel soutient que ces moyens constituent une amplification du quatrième moyen de sa requête introductive d’instance devant le Tribunal. Selon Electrabel, ces deux premiers moyens, qui développent une argumentation déjà invoquée devant le Tribunal et qui contiennent des arguments soulevés au soutien d’un moyen préalablement examiné par le Tribunal, s’inscrivent dans la parfaite continuité du quatrième moyen de sa requête introductive d’instance devant le Tribunal et évitent la répétition ou la reproduction, interdites dans le pourvoi, des moyens déjà soulevés devant le Tribunal.

33      Electrabel, en faisant référence, notamment, aux points 105 et 128 de cette requête introductive d’instance, soutient qu’elle a expressément critiqué la pertinence et la prise en compte de la durée de l’infraction aux fins de la détermination du montant de l’amende. Elle ajoute que, ainsi qu’il ressort du point 264 de l’arrêt attaqué, c’est en ce sens que le Tribunal a compris son moyen et que, après avoir débattu cette question lors de l’audience, il l’a tranchée dans un sens contraire au moyen soulevé devant lui. Electrabel estime que la question écrite adressée à la Commission par le Tribunal et la réponse apportée par celle-ci avant l’audience étayent ce constat.

34      La Commission fait valoir que ces deux moyens du pourvoi doivent être écartés en tant qu’ils constituent des moyens nouveaux, qui sont, dès lors, irrecevables, ou, en tout état de cause, en tant qu’ils sont non fondés.

 Appréciation de la Cour

35      Selon une jurisprudence constante, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est, en principe, limitée à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens qui ont été débattus devant lui (voir arrêts Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 111, ainsi que FIFA/Commission, C‑204/11 P, EU:C:2013:477, point 54).

36      Il résulte également de la jurisprudence qu’un moyen qui constitue une amplification d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance doit être considéré comme recevable (voir arrêt Gualtieri/Commission, C‑485/08 P, EU:C:2010:188, point 37 et jurisprudence citée).

37      Il ressort du dossier afférent au recours introduit devant le Tribunal qu’Electrabel n’a invoqué directement, en première instance, ni une argumentation tirée de la violation de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, résultant de la prise en considération de la durée de l’infraction comme critère aux fins de déterminer le montant de l’amende, ni une argumentation tirée de l’application rétroactive et, ainsi, illégale du règlement n° 139/2004.

38      Dans ces conditions, il convient d’examiner la question de savoir si ces deux moyens d’Electrabel constituent des moyens nouveaux.

39      En premier lieu, en ce qui concerne le quatrième moyen de la requête introductive d’instance d’Electrabel présentée devant le Tribunal, il convient de constater que ce moyen était tiré de la violation de l’article 14, paragraphe 2, de règlement n° 4064/89, des principes de proportionnalité, de bonne administration ainsi que de protection de la confiance légitime et que les points 105 à 128 de cette requête, invoqués par Electrabel, étaient consacrés au caractère disproportionné du montant de l’amende infligée, par rapport à l’objectif de répression de l’infraction individuelle commise.

40      Dans ladite partie de cette requête, Electrabel a tout d’abord fait valoir que, eu égard à l’énoncé des circonstances de l’infraction en cause (point 105), le montant de l’amende infligée était totalement disproportionné (point 106) et que l’infliction d’une telle amende devait poursuivre un double objectif de répression des infractions individuelles et de dissuasion des autres entreprises (point 107).

41      Ensuite, dans la partie de ladite requête intitulée «Absence de gravité de l’infraction», Electrabel a, aux points 109 à 124 de celle-ci, soutenu qu’il était erroné de qualifier cette infraction de «grave», étant donné que celle-ci avait été commise par pure négligence et n’avait entraîné aucune atteinte à la concurrence, que l’acquisition du contrôle exclusif n’était pas prévisible et que la mise œuvre de cette acquisition avait nécessité une analyse factuelle et juridique complexe. Electrabel a également soutenu que les précédents cités dans la décision litigieuse ne devaient pas être retenus à sa charge.

42      Enfin, dans la partie de la même requête intitulée «Absence de pertinence de la durée de l’infraction», Electrabel a reproché à la Commission d’avoir commis deux erreurs d’appréciation quant à la durée de l’infraction retenue dans la décision litigieuse.

43      Elle a relevé, d’une part, que la Commission avait qualifié des infractions graves commises par des cartels d’infractions de «durée moyenne», alors qu’elles étaient d’une durée supérieure à celle de l’infraction en cause, qualifiée d’infraction d’une «durée considérable», et que les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, CECA (JO 1998, C 9, p. 3) prévoyaient trois catégories d’infractions, en fonction de leur durée, à savoir les infractions de courte durée (en général inférieures à un an), les infractions de moyenne durée (en général d’un à cinq ans) et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans) (point 126 de la requête introductive d’instance devant le Tribunal).

44      D’autre part, selon Electrabel, la Commission a accordé, de manière erronée, une importance à la durée de l’infraction, étant donné que, au point 217 des motifs de la décision litigieuse, cette institution a considéré que «le risque d’un effet préjudiciable sur les consommateurs augment[ait] avec la durée de l’infraction», alors que la Commission aurait reconnu que, en l’espèce, l’infraction retenue n’avait eu aucun effet préjudiciable sur la concurrence ou sur les consommateurs (point 127 de cette requête).

45      Electrabel en a déduit, au point 128 de sa requête introductive d’instance devant le Tribunal, dans le cadre de son quatrième moyen, que la durée prétendument «considérable» de l’infraction ne pouvait en l’espèce être prise en compte pour la détermination du montant de l’amende. En retenant cette durée dans le cadre de la fixation de ce montant, la Commission aurait donc commis une erreur manifeste d’appréciation et, par là même, infligé une amende disproportionnée à la requérante.

46      Force est de constater, en ce qui concerne le quatrième moyen de cette requête, que, par celui-ci, contrairement à ce que soutient Electrabel, cette société n’a nullement invoqué, en première instance, même de manière indirecte, une violation de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 ou une application rétroactive du règlement n° 139/2004, et que les arguments invoqués au soutien des deux premiers moyens du pourvoi ne constituent en aucune manière une amplification de ce quatrième moyen.

47      En fait, il ressort dudit moyen qu’Electrabel n’a abordé la question de la durée de l’infraction retenue que pour contester le caractère disproportionné de l’amende qui lui a été infligée et invoquer certaines erreurs qui auraient été commises dans l’appréciation de cette durée.

48      Le constat selon lequel, en première instance, le litige n’avait pas porté sur la question de l’applicabilité du critère relatif à la durée des infractions aux fins de déterminer les amendes devant être infligées aux entreprises est confirmé au point 262 de l’arrêt attaqué, qui reprend les arguments avancés par Electrabel en ce qui concerne la durée de l’infraction en cause, lesquels arguments portaient sur d’autres aspects juridiques de la durée de l’infraction.

49      En second lieu, en ce qui concerne la question écrite adressée par le Tribunal à la Commission et la réponse de celle-ci, il convient de constater qu’il découle des règles régissant la procédure devant les juridictions de l’Union, notamment des articles 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, que le litige est en principe déterminé et circonscrit par les parties et que le juge de l’Union ne peut statuer ultra petita (voir arrêt Commission/Irlande e.a., C-272/12 P, EU:C:2013:812, point 27).

50      Ainsi, si certains moyens, tels que ceux se rapportant aux formes substantielles, peuvent être relevés d’office, ou doivent l’être, un moyen portant sur la légalité au fond d’une décision, qui est tiré de la violation des traités ou de toute règle de droit relative à l’application de ceux‑ci, au sens de l’article 263 TFUE, ne peut, en revanche, être examiné par le juge de l’Union que s’il est invoqué par le requérant (voir, en ce sens, arrêts Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67; VBA/Florimex e.a., C‑265/97 P, EU:C:2000:170, point 114, ainsi que Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, point 40).

51      Il s’ensuit qu’une question posée par le Tribunal en vue d’une réponse écrite ou lors de l’audience devant celui-ci ne peut modifier l’objet du litige, tel qu’il a été déterminé par l’argumentation invoquée par les parties à la procédure.

52      De plus, il convient de rappeler que, par sa question, le Tribunal avait invité la Commission à développer son argumentation contenue dans la partie de son mémoire en défense consacrée au troisième moyen du recours, selon laquelle la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, consistant en la réalisation d’une concentration avant qu’elle soit déclarée compatible avec le marché commun, constitue une «infraction continue», au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 2988/84.

53      Il y a lieu de constater qu’il ne découle ni de cette question ni de la réponse de la Commission que celles-ci auraient pu modifier l’objet du litige dans le sens indiqué par Electrabel.

54      Il convient de relever que, ainsi que la Commission l’a fait valoir à juste titre, le point de droit relatif à la faculté de prendre en compte la «durée» des infractions en tant que critère autonome ou en tant qu’élément faisant partie du critère tiré de la «gravité» de celles-ci, en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, constitue une question qui a un contenu et des fondements juridiques distincts de ceux de la question de la proportionnalité du montant de l’amende infligée en application de ce règlement, de la question de la possibilité de qualifier la durée de l’infraction en cause de très importante et de celle de la prise en compte de cette durée, même si cette infraction n’a pas eu d’effet préjudiciable sur la concurrence. Ce point de droit aurait dû, par conséquent, être invoqué de manière expresse dans la requête introductive d’instance pour qu’il puisse faire également l’objet du litige.

55      Eu égard aux considérations qui précèdent, les deux premiers moyens du pourvoi doivent être qualifiés de moyens nouveaux et doivent, dès lors, être écartés comme irrecevables.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation

 Argumentation des parties

56      Electrabel fait valoir que, aux termes de l’article 3 du règlement n° 4064/89, une opération de concentration est «réalisée», dès lors qu’une entreprise acquiert le contrôle d’une autre entreprise, et que le Tribunal a confirmé, dans son arrêt Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281, point 63), le caractère instantané de la réalisation d’une opération de concentration qui est déclenchée et qui est entièrement achevée, par le changement de contrôle de l’entreprise cible. Par conséquent, selon Electrabel, étant donné que l’opération de concentration en cause, à savoir l’acquisition par Electrabel du contrôle exclusif de la CNR, a été réalisée «en un trait de temps», le 23 décembre 2003, et que l’article 7 du règlement n° 4064/89 interdit précisément la «réalisation» d’une opération de concentration sans notification ni autorisation préalable, le Tribunal a commis une erreur de droit en qualifiant l’infraction reprochée à Electrabel d’infraction continue.

57      Electrabel soutient également que le Tribunal s’est contredit au sujet de la nature de l’infraction en cause, ce qui constituerait un défaut de motivation. Elle fait remarquer que, alors que, dans un premier temps, au point 212 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a semblé confirmer l’analyse de la Commission relative au caractère prétendument continu de l’infraction, il a considéré, au point 267 de celui-ci, qu’il était légitime, pour la Commission, de tenir compte de la durée pendant laquelle l’activité était exercée, même s’il s’agissait de circonstances postérieures à la date à laquelle l’infraction avait été commise. Selon Electrabel, cette qualification erronée de l’infraction litigieuse d’«infraction continue» a permis la prise en compte de la «durée» dans la détermination du montant de la sanction infligée.

58      La Commission fait valoir que les arguments invoqués au soutien du troisième moyen du pourvoi sont irrecevables ou inopérants et que, en tout état de cause, ils doivent être écartés comme non fondés.

 Appréciation de la Cour

59      Il convient de constater qu’Electrabel ne formule aucune critique à l’égard des points 209 et 214 de l’arrêt attaqué.

60      Or, dans ces points, le Tribunal a considéré que, quand bien même il s’agirait, en l’occurrence, d’une infraction instantanée impliquant que le point de départ de la prescription devait être fixé au 23 décembre 2003, le délai de prescription, de cinq ans, en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2988/74, avait été interrompu par la demande de renseignements du 17 juin 2008 et par la communication des griefs du 17 décembre 2008, conformément à l’article 2 de ce règlement, dont il ressort que la prescription en matière de poursuites est interrompue par tout acte de la Commission visant à l’instruction ou à la poursuite de l’action. Le Tribunal a ajouté que le point 180 des motifs de la décision litigieuse comportait déjà ces précisions.

61      Il s’ensuit que, à supposer que l’infraction en cause doive être considérée comme instantanée et non pas comme continue, elle ne serait pas non plus prescrite, dès lors que les actes d’instruction et de poursuite ont été effectués avant l’expiration du délai de prescription.

62      Dans ces conditions, le prétendu caractère instantané de l’infraction en cause, à supposer qu’il doive être retenu, est dénué de pertinence aux fins de la prescription de cette infraction et, partant, n’est susceptible d’invalider ni l’arrêt attaqué ni la décision litigieuse.

63      Quant à l’allégation spécifique tirée d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué, résultant d’une contradiction entre les deux points de celui-ci indiqués par Electrabel, en ce qui concerne la nature de l’infraction en cause, il suffit de relever qu’une telle contradiction, à la supposer établie, ne saurait être de nature à invalider l’arrêt attaqué. En effet, ainsi qu’il a été constaté aux points 61 et 62 du présent arrêt, le fait que l’infraction commise par Electrabel soit, en l’occurrence, qualifiée d’instantanée ou de continue est dénué de pertinence.

64      Dès lors, le troisième moyen doit être écarté comme étant inopérant.

65      Aucun moyen invoqué par Electrabel au soutien de son pourvoi n’étant accueilli, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son intégralité.

 Sur les dépens

66      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation d’Electrabel et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Electrabel SA est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.