Language of document : ECLI:EU:C:2012:663

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO Cruz VillalÓn

présentées le 25 octobre 2012 (1)

Affaire C‑32/11

Allianz Hungária Biztosító Zrt.,

Generali-Providencia Biztosító Zrt.,

Gépjármű Márkakereskedők Országos Szövetsége,

Magyar Peugeot Márkakereskedők Biztosítási Alkusz Kft.,

Paragon-Alkusz Zrt., successeur en droit de Magyar Opelkereskedők Bróker Kft,

contre

Gazdasági Versenyhivatal

[demande de décision préjudicielle formée par la Magyar Köztársaság Legfelsőbb Bírósága (Hongrie)]

«Concurrence – Accords entre entreprises – Accords bilatéraux conclus entre une société d’assurances et certains réparateurs automobiles faisant dépendre le taux horaire de réparation versé à ces derniers par la société d’assurances du nombre et de la proportion de contrats d’assurance souscrits par ladite entreprise d’assurances par le biais des réparateurs agissant en qualité d’intermédiaires – Notion d’‘accords ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence’»





I –    Introduction

1.        Dans la présente affaire, la Magyar Köztársaság Legfelsőbb Bírósága (Cour suprême, Hongrie) a soumis à la Cour une question relative à l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE aux fins de l’examen d’un recours ayant pour objet de contester la légalité d’une décision adoptée par l’autorité nationale de la concurrence par laquelle ont été sanctionnés comme étant restrictifs de la concurrence et incompatibles avec la législation hongroise différents accords diversement conclus par une série de sociétés d’assurances, de concessionnaires et de réparateurs automobiles, ainsi que par une association regroupant ces derniers.

2.        L’affaire présente un double aspect. En premier lieu, les circonstances qui la caractérisent impliquent, à mes yeux, un examen de la recevabilité de la demande préjudicielle soumise. Bien que celle-ci porte sur une notion du droit de l’Union, il est constant que l’affaire au principal est régie par les règles nationales hongroises en matière de concurrence. En conséquence, je proposerai à la Cour de déclarer que, en raison de l’absence manifeste de «renvoi clair et inconditionnel» de la législation nationale au droit de l’Union tel que l’entend la jurisprudence de la Cour, les conditions nécessaires à l’admission de la recevabilité de ce type de demande préjudicielle ne sont pas réunies en l’espèce.

3.        Indépendamment de cela, j’analyserai, à titre subsidiaire, le fond de l’affaire qui porte, ainsi que je viens de l’indiquer, sur des pratiques ayant prétendument pour objet de restreindre la concurrence et s’inscrivant dans un contexte particulièrement complexe caractérisé par un certain nombre d’accords verticaux qui sont néanmoins susceptibles d’avoir été influencés par un accord à caractère horizontal.

II – Cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

4.        L’article 3 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (2), régit le rapport entre les articles 81 CE et 82 CE (devenus articles 101 TFUE et 102 TFUE) et les droits nationaux de la concurrence.

5.        Conformément à son paragraphe 1, «[l]orsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à des accords, des décisions d’associations d’entreprises ou des pratiques concertées au sens de l’article [101], paragraphe 1, [TFUE] susceptibles d’affecter le commerce entre États membres au sens de cette disposition, elles appliquent également l’article [101 TFUE] à ces accords, décisions ou pratiques concertées. Lorsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à une pratique abusive interdite par l’article [102 TFUE], elles appliquent également l’article [102 TFUE]».

6.        L’article 3, paragraphe 2, dispose que «[l]’application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l’interdiction d’accords, de décisions d’associations d’entreprises ou de pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, mais qui n’ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article [101], paragraphe 1, [TFUE], ou qui satisfont aux conditions énoncées à l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] ou qui sont couverts par un règlement ayant pour objet l’application de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE]. Le présent règlement n’empêche pas les États membres d’adopter et de mettre en œuvre sur leur territoire des lois nationales plus strictes qui interdisent ou sanctionnent un comportement unilatéral d’une entreprise».

7.        Enfin, l’article 3, paragraphe 3, est rédigé comme suit: «Sans préjudice des principes généraux et des autres dispositions du droit communautaire, les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas lorsque les autorités de concurrence et les juridictions des États membres appliquent la législation nationale relative au contrôle des concentrations, et ils n’interdisent pas l’application de dispositions de droit national qui visent à titre principal un objectif différent de celui visé par les articles [101 TFUE] et [102 TFUE]».

B –    La législation hongroise

8.        Le législateur hongrois a adopté en 1996 une loi portant interdiction des pratiques commerciales déloyales ou restrictives de la concurrence (3), dont le préambule indique que l’adoption du texte a été réalisée en considération de l’«exigence du rapprochement des réglementations de la Communauté européenne et des traditions de la loi hongroise sur la concurrence».

9.        Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, du Tpvt, les dispositions de ladite loi sont applicables aux pratiques régies par les articles 81 CE et 82 CE (devenus articles 101 TFUE et 102 TFUE) si l’affaire relève de la compétence de l’Office hongrois de la concurrence (Gazdasági Versenyhivatal).

10.      L’article 11, paragraphe 1, intitulé «Interdictions des accords restrictifs de la concurrence», du chapitre IV du Tpvt déclare interdits «tous accords entre entreprises, toutes pratiques concertées et toutes décisions d’associations d’entreprises, d’organismes de droit public, d’associations et d’autres entités similaires […] qui ont pour objet ou qui ont ou sont susceptibles d’avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Ne relèvent pas de cette définition les accords conclus entre des entreprises qui ne sont pas indépendantes les unes des autres».

III – Litige au principal et question préjudicielle

11.      À partir de la fin de l’année 2002, un certain nombre de concessionnaires automobiles qui exerçaient aussi des activités de réparation ont mandaté l’association nationale des concessionnaires automobiles de marque (Gépjármű Márkakereskedők Országos Szövetsége, ci-après le «GÉMOSZ») afin de négocier chaque année en leur nom avec les sociétés d’assurances un accord-cadre relatif aux taux horaires applicables aux réparations de véhicules accidentés prises en charge par lesdits assureurs.

12.      Les concessionnaires en question étaient doublement liés aux sociétés d’assurances, en particulier à la société Allianz Hungária Biztosító Zrt. (ci-après «Allianz») ainsi qu’à la société Generali-Providencia Biztosító Zrt. (ci-après «Generali»). D’une part, ils agissaient en tant qu’«intermédiaires» des assureurs, en proposant à leurs clients de souscrire, lors de la vente ou de la réparation de véhicules, une assurance automobile auprès des sociétés précitées. D’autre part, les concessionnaires assuraient la réparation des véhicules assurés pour le compte des assureurs en cas de sinistre.

13.      En 2004 et en 2005, le GÉMOSZ et Allianz ont, chaque année, conclu un accord-cadre relatif aux taux horaires de réparation. Allianz a ensuite conclu une série d’accords individuels avec différents concessionnaires en vertu desquels la quotité du taux horaire de réparation serait majorée si les polices d’assurance automobile souscrites auprès d’Allianz atteignaient un pourcentage déterminé du total des contrats commercialisés par le concessionnaire en question (4).

14.      Generali n’a, pour sa part, conclu aucun accord-cadre avec le GÉMOSZ au cours de la période considérée, mais des accords individuels avec des concessionnaires, faisant, en pratique, bénéficier ces derniers d’une clause de majoration du taux horaire similaire aux stipulations ci-dessus décrites (5).

15.      Dans sa décision du 21 décembre 2006, l’Office hongrois de la concurrence a déclaré contraires à l’article 11 du Tpvt les accords suivants:

–        en premier lieu, trois décisions adoptées par le GÉMOSZ entre 2003 et 2005, établissant les «tarifs recommandés» aux concessionnaires automobiles de marque pour la réparation de véhicules accidentés sinistrés, à appliquer aux assureurs;

–        en deuxième lieu, les accords-cadres conclus en 2004 et en 2005 entre le GÉMOSZ et Allianz, et les différents accords individuels conclus au cours de la même période entre différents concessionnaires et, respectivement, Allianz et Generali;

–        en troisième lieu, différents accords conclus entre 2000 et 2005 entre Allianz et Generali, d’une part, et différents courtiers d’assurance (Magyar Peugeot Márkakereskedők Biztosítási Alkusz kft, Magyar Opelkereskedők Bróker kft et Porsche Biztosítási Alkusz kft), d’autre part, au sujet des commissions à percevoir par ces derniers en fonction du nombre de polices de la société d’assurances en question commercialisées.

16.      Au soutien de sa décision, l’Office hongrois de la concurrence a affirmé que ce type d’accords, pris dans leur ensemble et individuellement, avait pour objet de restreindre la concurrence tant sur le marché des contrats d’assurance que sur celui des services de réparation automobile. Selon cette même autorité de la concurrence, l’article 101 TFUE ne serait pas applicable aux accords en question, faute d’incidence sur le commerce intracommunautaire, de sorte que leur illégalité résulterait uniquement des dispositions hongroises de protection de la concurrence.

17.      Après avoir constaté l’illégalité des accords, ledit Office a interdit la poursuite des pratiques litigieuses et a infligé des amendes d’un montant de 5 319 000 000 HUF à Allianz, de 1 046 000 000 HUF à Generali, de 360 000 000 HUF au GÉMOSZ, de 13 600 000 HUF à Magyar Peugeot Márkakereskedők Biztosítási Alkusz et de 45 000 000 HUF à Magyar Opelkereskedők Bróker.

18.      Saisi d’un recours à l’encontre de ladite décision, la Fővárosi Bíróság (Cour métropolitaine de Budapest) y a fait partiellement droit, mais un appel a été interjeté à l’encontre de sa décision, dans le cadre duquel la Fővárosi ítélőtábla (Cour d’appel métropolitaine) a de nouveau admis la légalité de la décision attaquée dans son intégralité.

19.      Un pourvoi dirigé contre cet arrêt a été formé devant la Legfelsőbb Bíróság (Cour suprême de Hongrie), qui, après avoir observé que le libellé de l’article 11, paragraphe 1, du Tpvt était presque identique à celui de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, a invoqué l’intérêt manifeste à ce que des dispositions ou des notions tirées du droit de l’Union fassent l’objet d’une interprétation uniforme et formulé la question préjudicielle suivante:

«Des accords bilatéraux conclus entre une société d’assurances et certains réparateurs automobiles ou entre une société d’assurances et une association de réparateurs automobiles en vertu desquels le taux horaire de réparation versé au réparateur par la société d’assurances au titre de la réparation de véhicules assurés par cette dernière dépend, entre autres facteurs, du nombre et de la proportion de contrats d’assurance souscrits par ladite entreprise d’assurances par le biais du réparateur agissant en qualité d’intermédiaire d’assurance peuvent-ils être considérés comme contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en tant qu’accords qui ont pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur?»

IV – Sur la recevabilité de la question préjudicielle

20.      La juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 101, paragraphe 1, TFUE s’oppose à un certain type d’accords entre entreprises. Dans sa propre demande préjudicielle, ladite juridiction a néanmoins affirmé que cette disposition du traité n’était pas applicable en l’espèce, étant donné que les accords litigieux n’avaient pas d’incidence sur le commerce entre les États membres. En conséquence, leur légalité devrait être examinée uniquement au regard des dispositions de droit hongrois en matière de concurrence, en l’occurrence au regard de l’article 11, paragraphe 1, du Tpvt. Ce postulat de départ de la décision de l’Office hongrois de la concurrence n’a été contesté par aucune des parties.

21.      En dépit du caractère purement interne de l’affaire à l’origine du litige au principal, le Legfelsőbb Bíróság a jugé nécessaire de soumettre une question portant sur l’interprétation de l’article 101 TFUE en faisant valoir que la qualification des accords litigieux au regard du droit national hongrois (Tpvt) se fonde sur des notions qui sont en substance identiques à celles visées dans l’article précité du TFUE.

22.      Effectivement, l’article 11, paragraphe 1, du Tpvt reproduit presque mot pour mot, sans aucune variation, l’interdiction des accords restrictifs de la concurrence édictée par l’article 101, paragraphe 1, TFUE (ex-article 81 CE). Pour cette raison, la juridiction de renvoi considère que la qualification des accords litigieux comme accords ayant pour objet de restreindre la concurrence implique une interprétation des dispositions de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, et que l’intervention de la Cour apparaît justifiée par l’«intérêt communautaire manifeste à ce que les dispositions ou notions tirées du droit communautaire (au nombre desquelles figurent les notions visées à l’article 11, paragraphe 1, du Tpvt applicables en l’espèce) fassent l’objet d’une interprétation uniforme, indépendamment des circonstances de leur application, afin de parer à tout risque d’interprétation divergente à l’avenir».

23.      La Commission européenne s’est également prononcée en faveur de la recevabilité de la demande préjudicielle. La Commission a affirmé en particulier que, bien que le droit de l’Union n’ait pas été directement appliqué en l’espèce, à la différence de ce qui s’est produit dans les affaires ci-dessous mentionnées, le lien particulier entre la loi sur la concurrence et le droit de l’Union rendrait nécessaire l’interprétation sollicitée par la juridiction hongroise.

24.      Effectivement, dans une série de décisions à l’origine desquelles se trouve l’arrêt Dzodzi (6), la Cour a jugé recevables des demandes de décision préjudicielle portant sur une disposition du droit de l’Union, bien que celle-ci ne fût pas applicable en l’espèce, «dans le cas particulier où le droit national d’un État membre renvoie au contenu de cette disposition pour déterminer les règles applicables à une situation purement interne à cet État». Au soutien de cette solution, l’arrêt précité invoque l’existence d’un «intérêt manifeste à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, toute disposition de droit communautaire reçoive une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle est appelée à s’appliquer», bien qu’il appartienne ensuite aux seules juridictions nationales d’appliquer la disposition ainsi interprétée par la Cour, en tenant compte des circonstances de fait et de droit de l’affaire dont elles sont saisies, ainsi que d’apprécier la portée exacte dudit renvoi au droit de l’Union (7).

25.      Par le passé, ce sont plusieurs avocats généraux qui ont manifesté des réserves nettes à l’égard de cette approche jurisprudentielle (8). En dépit de ces critiques, la Cour a maintenu sa jurisprudence (9).

26.      Pour autant, il convient de tenir compte du fait que l’admission de la recevabilité de ce type de demandes préjudicielles a été subordonnée à des conditions. Ainsi, dès l’arrêt Kleinwort Benson (10), la Cour a introduit une précision importante, en exigeant que le renvoi au droit de l’Union opéré par le droit national fût «direct et inconditionnel», ce qui a valu à cette condition une mention positive de la part de différents avocats généraux (11). Conformément à cette approche, l’ordonnance rendue dans l’affaire Club Náutico de Gran Canaria a fait un usage strict de ladite exception dans un cas qui concernait l’Impuesto general indirecto canario (l’impôt général indirect canarien, ci-après l’«IGIC»). Cet impôt correspondait en substance à la TVA, mais s’appliquait dans les îles Canaries en dehors du champ d’application du droit de l’Union. Bien que la disposition relative à l’IGIC dont la juridiction de renvoi sollicitait l’interprétation reproduisît le contenu de la loi espagnole relative à la TVA, la Cour a souligné que ladite disposition opérait non pas un renvoi «direct et inconditionnel», mais simplement une reproduction, ce qui l’a amenée à rejeter la demande préjudicielle comme irrecevable (12).

27.      Ainsi, des arrêts tels les arrêts Leur-Bloem ou Kofisa Italia (13) ont confirmé indirectement la validité de ladite jurisprudence par un raisonnement «a contrario», et, dans le même sens, l’arrêt ETI e.a. (14) a relevé, quoique sans faire expressément référence à l’arrêt Kleinwort Benson, dans un cas similaire, que le renvoi au droit de l’Union que comportait la disposition nationale en question n’était pas soumis à une quelconque condition (15).

28.      Bien plus récemment encore, l’arrêt Cicala (16) (que les participants à la procédure préjudicielle n’ont pas eu l’occasion d’invoquer dans leurs observations) n’a pas admis la recevabilité d’une demande de décision préjudicielle, faute d’un «renvoi direct et inconditionnel» de la norme de droit national au droit de l’Union. L’arrêt en question énonce, à cet égard, qu’«une interprétation, par la Cour, des dispositions du droit de l’Union dans des situations purement internes se justifie au motif que celles-ci ont été rendues applicables par le droit national de manière directe et inconditionnelle» (17). Enfin, cette exigence vient d’être réitérée dans la récente affaire Nolan, dans laquelle la Cour s’est déclarée incompétente en se fondant sur l’absence, en l’espèce, de renvoi explicite et précis au droit de l’Union par l’ordre juridique national (18).

29.      S’agissant du sens qu’il convient de donner à la condition précitée, je considère, d’une part, que l’expression «renvoi direct» signifie qu’il doit être exprès et non équivoque. Il doit s’agir, au final, d’un véritable renvoi, sans qu’une simple mention en tant que source d’inspiration puisse suffire. D’autre part, le terme «inconditionnel» implique, selon moi, que le renvoi porte sur l’ensemble de la réglementation en question. Un renvoi isolé du législateur national à un principe isolé tiré de la législation de l’Union pourrait, selon moi, ne pas suffire, étant donné que l’application à un tel cas de la jurisprudence de la Cour et, en définitive, la réponse à la question préjudicielle risqueraient alors d’apparaître inadaptées.

30.      Lorsque les deux conditions sont remplies, je considère que le renvoi préjudiciel est non seulement légitime, mais devrait de surcroît être accueilli favorablement. Il peut, voire doit, découler de la volonté spontanée du législateur national de se conformer au droit de l’Union la conséquence logique que la juridiction nationale ne puisse s’écarter de l’interprétation du droit de l’Union réalisée par la juridiction de l’Union. Plus encore, le recours au renvoi préjudiciel par le juge national ne devrait pas être, dans ces hypothèses et en bonne logique, le fruit du hasard, mais devrait devenir une pratique systématique et stable.

31.      Enfin, je considère qu’il n’y a pas lieu, en la matière, de soulever la question de savoir si le juge national va se conformer ou non à la réponse donnée par la Cour. Il découle, à l’évidence, du principe de coopération loyale que le juge national qui a saisi la Cour d’une demande préjudicielle dans de telles circonstances ne pourra que respecter la réponse donnée par cette dernière (19).

32.      Comme dans l’affaire Cicala, il convient donc, en l’espèce, de rechercher tout d’abord si la loi hongroise opère un «renvoi direct et inconditionnel» aux règles du droit de l’Union en matière de concurrence afin de déterminer la recevabilité de la demande de décision préjudicielle.

33.      Ainsi que cela a déjà été souligné, l’arrêt précité n’a pas pu être invoqué par les participants à la présente procédure préjudicielle, étant donné qu’il a été rendu postérieurement au dépôt de leurs observations respectives. Il n’en constitue pas moins un précédent particulièrement pertinent aux fins de la présente affaire, étant donné qu’il présente un certain nombre de similitudes avec cette dernière.

34.      D’une part, l’arrêt Cicala souligne, aux points 25 et 26, que, dans l’hypothèse où la disposition nationale en question «renvoie […] de manière générale aux ‘principes tirés de l’ordre juridique communautaire’», et non spécifiquement aux principes du droit de l’Union auxquels se réfère la demande préjudicielle ni à d’autres principes relatifs au même domaine, «il ne saurait être considéré que les dispositions visées par les questions posées ont, en tant que telles, été rendues applicables de manière directe par le droit italien». S’agissant de la loi hongroise examinée en l’espèce, le renvoi est encore plus général, puisque ladite loi se borne à faire allusion de manière abstraite, dans son préambule, à une «exigence d[e] rapprochement des réglementations de la Communauté européenne et des traditions de la loi hongroise sur la concurrence». Cela ne saurait surprendre, au reste, de la part du législateur d’un État qui était encore loin du statut d’État membre de l’Union européenne.

35.      Par ailleurs, il convient de souligner le fait que, dans un cas comme dans l’autre, les juridictions de renvoi sollicitent l’interprétation de dispositions de droit primaire, ayant de surcroît un caractère particulièrement général, voire de disposition de principe: dans un cas, il s’agit des articles 296, deuxième alinéa, TFUE et 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union; dans l’autre, de la notion de «restriction de la concurrence par objet» visée à l’article 101 TFUE.

36.      Dans ces circonstances, on ne saurait affirmer que la loi hongroise sur la concurrence opère un «renvoi direct et inconditionnel» à l’article 101 TFUE: d’une part, le préambule de ladite loi se borne à se référer en général aux réglementations «de la Communauté européenne» en matière de concurrence, sans faire mention d’aucun principe en particulier de manière expresse et non équivoque, et alors que lesdites réglementations sont mentionnées, de surcroît, à titre de source supplémentaire d’inspiration, aux côtés de la tradition nationale. D’autre part, et à l’instar de la loi italienne dans l’affaire Cicala, la loi hongroise n’indique nullement que ce renvoi a pour conséquence d’écarter les règles nationales (20). Enfin, la question posée manque de précision, dès lors qu’elle porte sur la notion même de pratique restrictive de la concurrence au regard du droit primaire.

37.      Il découle des considérations qui précèdent qu’il conviendrait en principe de conclure qu’il n’existe pas, en l’espèce, d’intérêt manifeste de l’Union à préserver une interprétation uniforme de la disposition faisant l’objet de la demande de décision préjudicielle et qui découlerait d’une réception directe et inconditionnelle du droit de l’Union.

38.      Cela étant (21), il y a lieu, néanmoins, de se prononcer sur la thèse de la Commission selon laquelle il conviendrait de réserver un traitement exceptionnel aux hypothèses dans lesquelles la législation nationale suppose une réception du droit de l’Union en matière de pratiques restrictives de la concurrence.

39.      En invoquant au soutien de sa thèse l’article 3 du règlement no 1/2003 ainsi que différents arrêts, la Commission suggère que ledit intérêt manifeste existe de manière générale dans le cadre du droit de la concurrence. Je considère, pour ma part, que, nonobstant l’existence d’arguments susceptibles d’accréditer l’idée selon laquelle, en matière de droit de la concurrence, l’intérêt précité est susceptible d’être légèrement plus important, ces arguments ne sauraient se substituer à la nécessité d’un renvoi direct et inconditionnel, pour les raisons que je me propose d’exposer ci-dessous.

40.      D’une part, il ne fait aucun doute que l’application de la jurisprudence Dzodzi a été confirmée de manière particulièrement forte dans le domaine du droit de la concurrence. Dans les arrêts précités Bronner, Poseidon Chartering, ETI e.a., ainsi que dans l’arrêt Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio (22), la Cour a admis la recevabilité de différentes demandes préjudicielles dans des affaires dans lesquelles le litige au principal ne relevait pas, en principe, du champ d’application du droit de l’Union et portait, en réalité, sur une disposition de droit national en matière de concurrence.

41.      Dans ces affaires, la compétence de la Cour a été étayée par un argument supplémentaire selon lequel il faudrait se prémunir contre le risque de divergences d’interprétation d’une seule et même disposition juridique du droit de l’Union, selon qu’elle serait appelée à s’appliquer indirectement seulement (au travers du renvoi opéré par le droit national) ou directement (car relevant du champ d’application à la fois du droit national et de l’article 101 TFUE) (23).

42.      Effectivement, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, les dispositions nationales en matière de concurrence (telles que l’article 11, paragraphe 1, du Tpvt) doivent s’appliquer conjointement aux articles 101 TFUE et 102 TFUE, lorsque les accords, décisions ou pratiques concertées en cause sont «susceptibles d’affecter le commerce entre États membres» au sens du traité.

43.      Inversement, en conséquence, il apparaît que lesdites dispositions nationales s’appliquent indépendamment du droit de l’Union, en l’absence de risque d’affectation du commerce intracommunautaire. Le législateur de l’Union a été très clair sur ce point: les paragraphes 1 et 2 de l’article 3 du règlement no 1/2003 comportent expressément cette précision et la communication de la Commission elle-même portant lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce stipule que ce critère «détermine aussi le champ d’application de l’article 3 du règlement (CE) no 1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité» (24).

44.      En conséquence, lorsqu’il existe un risque d’affectation du commerce entre les États membres, le droit national devra s’appliquer conjointement au droit de l’Union (article 3, paragraphe 1, du règlement no 1/2003), et ce dernier posera des limites au droit national (article 3, paragraphe 2, du règlement no 1/2003), mais, en dehors de ces cas, le droit national de la concurrence s’appliquera (et, en conséquence, devra être interprété), en principe, indépendamment du droit de l’Union.

45.      En effet, il ressort du traité et du règlement no 1/2003 que les États membres disposent d’un domaine propre d’action en matière de concurrence qui ne se limite pas à de simples facultés administratives et d’exécution, mais qui comprend aussi des pouvoirs normatifs. Lorsqu’ils agissent dans le domaine qui leur a été réservé, les pouvoirs qui leur sont ainsi conférés ne sont en aucune façon limités par application du principe de primauté du droit de l’Union, puisque les articles 101 TFUE et 102 TFUE ne leur sont pas applicables et qu’il n’existe aucune législation européenne harmonisée en la matière.

46.      L’article 3 du règlement no 1/2003 ne peut donc, à lui seul, fonder la compétence de la Cour dans de tels cas dans lesquels le litige au principal doit être tranché uniquement en application de dispositions de droit national (25). La thèse contraire priverait de tout effet utile le critère de l’«affectation du commerce entre États membres» et serait constitutive d’une atteinte injustifiée à la sphère de souveraineté laissée volontairement et à titre exclusif auxdits États membres.

47.      Certes, au cours des dernières années, une «européanisation» progressive des législations nationales en matière de concurrence s’est réalisée en prenant fréquemment pour modèle, en particulier dans les nouveaux États membres, le droit de l’Union (26). Cela ne signifie pas, pour autant, que cette «européanisation» doive être réalisée de manière prétorienne. Bien qu’il puisse être utile, voire souhaitable, qu’il existe, dans les États membres, une congruence entre le droit de l’Union et la législation en matière de concurrence applicable aux situations purement internes (dépourvues d’effets sur le commerce entre États), et que les autorités nationales s’inspirent, aux fins d’appliquer et d’interpréter ladite législation nationale, de la jurisprudence de la Cour au sujet des articles 101 TFUE et 102 TFUE, cette harmonisation ne devrait pas être imposée par le biais de procédures préjudicielles.

48.      En conclusion, il conviendrait donc d’admettre la recevabilité de la demande préjudicielle uniquement en présence d’un renvoi «direct et inconditionnel» au droit de l’Union, ainsi que l’exigent les arrêts Kleinwort Benson et Cicala, précités, sans qu’il y ait lieu de faire une exception à ce critère dans les hypothèses où le renvoi opéré par le législateur national porte sur une disposition de droit de la concurrence. Puisque lesdites conditions ne sont pas réunies en l’espèce, je considère que la Cour ne devrait pas admettre la recevabilité de la présente demande préjudicielle, et se déclarer incompétente pour en connaître.

V –    Analyse de la question préjudicielle

49.      Sans préjudice des considérations exposées dans la partie qui précède, je me propose d’analyser ci-dessous le fond de l’affaire, dans l’hypothèse où la Cour considérerait qu’il y a lieu d’admettre la recevabilité de la demande préjudicielle.

A –    Considérations préalables

50.      Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la possibilité de qualifier une série d’accords entre différentes entreprises et une association d’entreprises d’accords ayant pour objet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. L’analyse de cette question présuppose quelques considérations préalables relatives aux particularités factuelles et juridiques de l’affaire, ainsi que quelques précisions relatives à l’identification des accords litigieux et, enfin, sur la notion de «restrictions par objet».

1.      Les particularités de l’affaire

51.      L’affaire au principal soulève la question de la légalité d’un ensemble complexe d’accords dont les acteurs principaux sont deux sociétés d’assurances, Allianz et Generali, une série de concessionnaires automobiles et l’association qui représente ces derniers (GÉMOSZ). La particularité de ladite affaire tient, à cet égard, à ce que, dans leurs relations avec les assureurs, les concessionnaires interviennent à double titre: lors de la souscription de l’assurance automobile par leurs clients, les concessionnaires agissent en tant qu’intermédiaires d’assurance ou courtiers d’assurance, alors que, lors de la réparation des véhicules accidentés, lesdits concessionnaires agissent en tant que réparateurs rémunérés par les sociétés d’assurances en question, notamment en fonction des assurances préalablement commercialisées pour le compte de ces dernières.

52.      Allianz et Generali s’accordent annuellement avec les réparateurs automobiles sur les conditions de réparation et les tarifs applicables par lesdits réparateurs aux véhicules assurés par leurs soins. Sur la base de ces accords, les ateliers peuvent procéder à la réparation des véhicules assurés sans consulter au préalable les assureurs.

53.      Depuis la fin de l’année 2002, de nombreux concessionnaires automobiles de marque qui agissent également en tant que réparateurs ont demandé au GÉMOSZ de négocier chaque année en leur nom, avec les assureurs, des accords-cadres portant sur les tarifs en question.

54.      En 2004 et en 2005, l’assureur Allianz a conclu des accords-cadres portant sur les tarifs en question avec le GÉMOSZ. Ultérieurement, Allianz a conclu, sur la base desdits accords-cadres, des accords individuels avec les concessionnaires‑réparateurs. En vertu des accords individuels en question, les concessionnaires-réparateurs pouvaient prétendre à une rémunération supérieure à celle prévue dans le cadre de l’accord avec le GÉMOSZ, à condition d’atteindre ou de conserver une certaine proportion de contrats d’assurance Allianz sur le total des contrats d’assurance automobile commercialisés par le concessionnaire en question.

55.      Generali n’a conclu aucun accord-cadre avec le GÉMOSZ au cours de la période de référence, mais bien des accords individuels avec les concessionnaires. Ces accords ne comportaient pas, semble-t-il, de clauses de majoration tarifaire comparables à celles figurant dans les accords conclus par Allianz; l’autorité hongroise de la concurrence a cependant constaté que Generali appliquait, en pratique, des incitations commerciales analogues.

56.      Par ailleurs, aussi bien Allianz que Generali ont conclu différents accords avec des courtiers d’assurance entre 2000 et 2005 afin de dynamiser les ventes des produits desdites compagnies d’assurances en échange d’une meilleure rémunération.

57.      Le principal élément de complexité de la présente affaire résulte donc de ce que s’y mêlent des activités éventuellement restrictives de la concurrence propres à deux marchés parfaitement distincts: le marché des assurances et le marché des services de réparation de véhicules automobiles. La réponse à la question préjudicielle exigera donc de distinguer clairement entre les deux marchés affectés.

2.      Sur les accords litigieux

58.      Outre cet ensemble complexe d’accords, nous ne pouvons omettre de souligner que la question préjudicielle déférée par le Legfelsőbb Bíróság se réfère exclusivement aux «accords bilatéraux conclus entre une société d’assurances et certains réparateurs automobiles» ainsi qu’à ceux conclus «entre une société d’assurances et une association de réparateurs automobiles».

59.      La présente question préjudicielle concerne donc uniquement les accords précités, c’est-à-dire ceux conclus entre les sociétés d’assurances Allianz et Generali et différents concessionnaires-réparateurs, d’une part, et ceux conclus entre Allianz et l’association représentant les concessionnaires (le GÉMOSZ), d’autre part.

60.      Le gouvernement hongrois et la Commission considèrent néanmoins qu’il convient d’analyser les accords précités avec certaines décisions du GÉMOSZ ainsi qu’avec les accords conclus entre les sociétés d’assurances et les courtiers d’assurance des concessionnaires. Nonobstant le libellé de la question préjudicielle et pour des raisons que j’exposerai ci-dessous, il me paraît difficile de ne pas procéder à une telle analyse d’ensemble.

3.      Sur la notion de «restrictions par objet»

61.      Par sa question préjudicielle, le Legfelsőbb Bíróság cherche à savoir si les accords ci-dessus évoqués peuvent être considérés comme restrictifs de la concurrence à raison de leur objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

62.      Conformément à cette disposition, «[s]ont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur».

63.      L’article 101, paragraphe 1, du TFUE envisage donc deux catégories de restrictions interdites de la concurrence – les accords ou pratiques ayant «pour objet» de restreindre la concurrence et ceux ayant «pour effet» de restreindre la concurrence. Ainsi que l’a relevé la jurisprudence, l’emploi de la conjonction «ou» indique que la deuxième de ces qualifications est subsidiaire par rapport à la première: en premier lieu, il convient de considérer l’«objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué», mais, «[a]u cas […] où l’analyse des clauses de cet accord ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait alors d’en examiner les effets et, pour le frapper d’interdiction, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint ou faussé de façon sensible». La distinction entre «infractions par objet» et «infractions par effet» tient donc à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (27).

64.      Qualifier un accord ou une pratique de restrictif de la concurrence par son objet équivaut à une sorte de présomption, puisque, si cette nature restrictive est établie, il ne sera pas nécessaire de rechercher quels sont les effets de l’accord ou de la pratique en question sur la concurrence. De surcroît, l’interdiction pourra être prononcée à titre préventif, sans attendre que les éventuels effets néfastes sur la concurrence se soient effectivement produits (28).

65.      Ainsi que l’indique la Commission dans ses lignes directrices concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, «[i]l s’agit de restrictions qui, au regard des objectifs poursuivis par les règles communautaires de concurrence, sont tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence, qu’il est inutile, aux fins de l’application de l’article [101], paragraphe 1, [TFUE] de démontrer qu’elles ont des effets concrets sur le marché. Cette présomption repose sur la gravité de la restriction et sur l’expérience qui montre que les restrictions de concurrence par objet sont susceptibles d’avoir des effets négatifs sur le marché et de mettre en péril les objectifs poursuivis par les règles communautaires de concurrence» (29). Il résulte des considérations qui précèdent que cette catégorie doit être comprise de manière restrictive et se limiter aux cas dans lesquels il existe un risque intrinsèque d’effets préjudiciables particulièrement graves.

66.      Pour autant, conformément à une jurisprudence constante, pour apprécier le caractère anticoncurrentiel de l’objet d’un accord, il convient de s’attacher notamment à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord, rien n’interdit à la Commission ou aux juridictions de l’Union d’en tenir compte (30).

67.      Conformément à cette jurisprudence, j’analyserai en l’espèce la teneur et la finalité objective poursuivie par les accords mentionnés par la juridiction de renvoi, à savoir, les accords entre, d’une part, les sociétés d’assurances et, d’autre part, certains concessionnaires-réparateurs ou l’association qui les réunit (le GÉMOSZ). En second lieu, j’examinerai le contexte économique et juridique dans lequel lesdits accords s’insèrent. Ce contexte doit comprendre, selon moi, les accords et décisions auxquels se réfèrent le gouvernement hongrois et la Commission, c’est-à-dire les décisions du GÉMOSZ et les accords conclus avec les courtiers d’assurance.

B –    Teneur et finalité objective des accords litigieux

68.      S’agissant, premièrement, de la teneur et de la finalité objective des accords visés dans la question préjudicielle, je considère que les accords par lesquels les sociétés d’assurances offrent aux concessionnaires une rémunération de la réparation des véhicules d’autant plus élevée que le pourcentage de contrats d’assurance de la société en question placés par le concessionnaire est important ne méritent pas d’être qualifiés d’accords ayant pour objet de restreindre la concurrence.

69.      Tout d’abord, il convient de souligner qu’il s’agit d’accords verticaux auxquels l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne s’applique généralement pas, sauf exception (31). Or, à la différence des accords horizontaux (32), où il est nettement plus facile d’identifier un objet ou des effets restrictifs de la concurrence, les accords verticaux présentent une complexité sensiblement plus grande.

70.      Le gouvernement hongrois et la Commission contestent néanmoins que les accords en question puissent être qualifiés d’accords verticaux. Selon eux, il n’existe aucune relation juridique entre les sociétés d’assurances et les concessionnaires réparateurs en vertu de laquelle une des parties fournirait un service à l’autre. Dans la mesure où les ateliers de réparation ne sont pas des clients des sociétés d’assurances et où les tarifs horaires de réparation ne sauraient être considérés comme la contreprestation de la commercialisation de contrats d’assurance, il ne pourrait être question, en l’espèce, d’une véritable «verticalité». Les parties précitées considèrent, au final, qu’il ne peut s’agir d’accords verticaux, en l’absence de relation juridique en vertu de laquelle une des parties fournit un service à l’autre.

71.      Au contraire, Allianz soutient que les accords qu’elle a conclus avec les concessionnaires sont clairement verticaux, étant donné que ces derniers lui fournissent, contre rémunération, un service de réparation des véhicules assurés ou d’intermédiation dans le cadre de la commercialisation de contrats d’assurance.

72.      Selon moi, la thèse défendue par Allianz est davantage conforme à la définition large des accords verticaux donnée par le règlement no 330/2010. En effet, l’article 1er, paragraphe 1, sous a), dudit règlement les définit comme s’entendant d’«un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l’accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services».

73.      C’est pourquoi je considère, en premier lieu, que les sociétés d’assurances et les concessionnaires-réparateurs opèrent, aux fins de l’accord, à des niveaux différents de la chaîne de distribution et, en second lieu, que, dans les accords en cause, les parties ont fixé les conditions auxquelles les concessionnaires réalisent des prestations de services en faveur des sociétés d’assurances que ces dernières leur rémunèrent selon les tarifs convenus. Cela est corroboré par le fait qu’il n’est pas contesté, par exemple, que les concessionnaires commercialisent des produits d’assurance desdites sociétés d’assurances en contrepartie d’une rémunération et, de fait, la demande préjudicielle porte sur le point de savoir si les modalités de rémunération retenues (sous forme de taux horaire de réparation) sont conformes à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En conséquence, les accords visés par la question préjudicielle sont, à mon sens, des accords verticaux.

74.      Il n’en demeure pas moins que jusqu’à présent, parmi les accords verticaux, la Cour n’a qualifié d’accord ayant pour objet de restreindre le jeu de la concurrence que la fixation d’un prix minimal à la revente (33), l’interdiction du commerce parallèle entre États membres, avec l’établissement d’une exclusivité territoriale (34), et, plus récemment, les clauses qui interdisent aux distributeurs d’utiliser Internet pour vendre des produits déterminés, sauf lorsque ladite interdiction est objectivement justifiée, comme dans le cadre d’un système de distribution sélective (35).

75.      Au contraire, ainsi que je l’exposerai ci-dessous, pris isolément, les accords en cause dans la présente affaire n’ont pas le potentiel restrictif qui caractérisait les clauses ci-dessus décrites.

76.      Le gouvernement hongrois et la Commission affirment que le fait que les accords litigieux fassent dépendre le taux horaire de réparation à régler par les sociétés d’assurances du placement par le concessionnaire-réparateur d’une proportion déterminée de produits desdites sociétés, et non du placement d’un nombre déterminé de produits, tend à pérenniser la répartition des parts de marché des sociétés d’assurances telle qu’elle se présente au moment de la conclusion des accords; or, un tel objectif serait, en lui-même, anticoncurrentiel. Les accords auraient pour effet d’établir un lien entre des activités qui sont en principe indépendantes les unes des autres, à savoir la réparation de véhicules automobiles et la commercialisation de produits d’assurance, altérant ainsi le fonctionnement normal du marché et confirmant l’objectif anticoncurrentiel des accords en cause.

77.      À cet égard, il convient, tout d’abord, de rappeler que le droit de la concurrence n’interdit pas expressément ce type de clauses comportant des objectifs exprimés sous forme de pourcentages, et ne sanctionne pas davantage tout accord vertical destiné à augmenter les ventes de l’intéressé au dépend de celles de ses concurrents. La preuve la plus claire de cet état de fait est la tolérance, sous certaines limites temporelles, de ce qu’il est convenu d’appeler le «monomarquisme» ou les «clauses de non-concurrence» (36).

78.      Ainsi, l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement no 330/2010 exclut du bénéfice de l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE uniquement les clauses de non-concurrence «dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans» (et les soumet, en conséquence, à l’article 101, paragraphe 1, TFUE), de sorte que l’exemption est bien applicable aux clauses d’une durée inférieure. Pour leur part, les lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales énoncent que l’«[o]n considère en général que des obligations de monomarquisme d’une durée inférieure à un an contractées par des entreprises n’occupant pas de position dominante ne donnent pas lieu à des effets anticoncurrentiels sensibles ou à des effets négatifs nets» (37).

79.      Bien entendu, le fait que le règlement no 330/2010 prévoit que l’exemption ne s’applique pas à un type déterminé d’accords verticaux ne signifie pas que ceux-ci relèvent nécessairement de la catégorie des restrictions par objet. Il est toutefois tout aussi certain que la «liste noire» prévue par le règlement no 330/2010 et les restrictions considérées comme caractérisées par la Commission se chevauchent, dans une mesure importante, avec les accords et les pratiques qualifiées par la jurisprudence de restrictions par objet. En conséquence, quand bien même il ne s’agirait pas d’un critère décisif, il semble évident que ces listes peuvent être utilisées comme indice, notamment de ce qui ne constitue pas une restriction par objet.

80.      En outre, la jurisprudence elle-même a analysé des accords verticaux précis qui comportaient des clauses de non-concurrence de ce type, parvenant à la conclusion qu’ils n’avaient pour objet de restreindre la concurrence, même s’il fallait vérifier s’ils avaient pour effet de l’empêcher, de la restreindre ou de la fausser (38).

81.      Selon moi, les accords litigieux ne présentent pas, au vu de leur teneur et de leur finalité, un potentiel restrictif de la concurrence aussi élevé que les accords verticaux qui ont été considérés dans le passé par la jurisprudence comme ayant pour objet de restreindre la concurrence. De surcroît, leur potentiel restrictif de la concurrence paraît même inférieur à celui d’accords verticaux qui, conformément à la jurisprudence, n’ont pas pour objet de restreindre la concurrence, mais sont tout au plus susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels (39).

C –    Contexte économique et juridique des accords litigieux

82.      Comme je l’ai indiqué, pour apprécier le caractère anticoncurrentiel d’un accord, il convient toutefois d’examiner également le contexte économique et juridique dans lequel il s’insère, ainsi que l’énonce la jurisprudence (40).

83.      Dans le même sens, la communication de la Commission portant lignes directrices concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE indique qu’«[i]l peut également s’avérer nécessaire d’examiner le contexte dans lequel [l’accord] est (doit être) appliqué ainsi que la conduite et le comportement effectifs des parties sur le marché. En d’autres termes, avant de pouvoir déterminer si une restriction donnée a pour objet de restreindre la concurrence, il peut s’avérer nécessaire d’examiner les faits sur lesquels repose l’accord ainsi que les circonstances spécifiques dans lesquelles il fonctionnera. Il arrive que les modalités concrètes de mise en œuvre d’un accord révèlent une restriction par objet, alors que celle-ci n’est pas expressément stipulée dans l’accord» (41).

84.      Ainsi, en l’espèce, les accords litigieux ont été appliqués dans un contexte très particulier qui présente certains aspects à première vue problématiques.

85.      D’une part, les décisions du GÉMOSZ paraissent, de toute évidence, constitutives d’un accord horizontal entre concessionnaires automobiles de marque au sujet des tarifs et des conditions du service de réparation des véhicules à moteur. D’autre part, les sociétés d’assurances qui ont conclu les accords litigieux, à savoir Allianz et Generali, détenaient conjointement, selon les déclarations faites à l’audience, une part supérieure à 70 % du marché pertinent. En conséquence, en parvenant à des accords avec les concessionnaires et/ou avec le GÉMOSZ au sujet des tarifs de réparation qui se fondaient sur les tarifs antérieurement convenus au sein de ladite association, les sociétés d’assurances les plus importantes du marché auraient consolidé et donné effet à l’accord horizontal liant les concessionnaires. Enfin, les accords conclus par les sociétés d’assurances avec les courtiers seraient venus renforcer les éventuels effets anticoncurrentiels résultant des accords conclus entre les sociétés d’assurances et les concessionnaires.

86.      Je considère, en me plaçant, tout d’abord, du strict point de vue du marché des assurances automobiles, que l’ensemble des circonstances ci-dessus décrites ne suffisent pas pour pouvoir qualifier les accords verticaux visés par la juridiction nationale d’accords ayant pour objet de restreindre la concurrence.

87.      Il ne fait aucun doute qu’Allianz et Generali cherchaient, par leurs accords avec le GÉMOSZ et les concessionnaires-réparateurs, à accroître leurs parts respectives de marché, produisant un effet d’exclusion des concurrents. Pour autant, ainsi que cela a déjà été indiqué, cette finalité ne rend pas les accords litigieux restrictifs à raison de leur objet.

88.      Pour pouvoir constater une restriction par objet sur le marché des assurances, il serait nécessaire, selon moi, d’établir qu’il existait, entre Allianz et Generali, un accord horizontal anticoncurrentiel ou, à tout le moins, une pratique concertée destinée à exclure les concurrents du marché qui serait, elle, restrictive de la concurrence à raison de son objet. Cela semble correspondre, au reste, à la position que suggère la Commission dans ses observations, lorsqu’elle affirme que l’existence d’une pratique concertée entre les sociétés d’assurances ne pourrait être exclue, en l’espèce, compte tenu du parallélisme des conditions des contrats respectivement conclus par Allianz avec le GÉMOSZ et différents concessionnaires, et par Generali avec différents concessionnaires.

89.      Dans ce contexte, il convient néanmoins de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, «une pratique concertée au sens de l’article [101], paragraphe 1, [TFUE] constitue une forme de coordination entre entreprises, qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence. La Cour a aussi affirmé, dans son arrêt du 16 décembre 1975 (Suiker Unie/Commission […]), que les critères de coordination et de coopération constitutifs d’une pratique concertée, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable ‘plan’, doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun et les conditions qu’il entend réserver à sa clientèle. S’il est exact que cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet d’aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l’importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché» (42).

90.      En conséquence, l’existence d’une pratique concertée implique, d’une part, la constatation d’un concours de volontés par lequel des entreprises concurrentes décident de substituer une coordination entre elles aux risques inhérents à la concurrence, et, d’autre part, une forme quelconque de contact direct ou indirect entre lesdites entreprises (43). En outre, une pratique concertée «implique, outre la concertation entre les entreprises, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments» (44).

91.      À la lumière de cette jurisprudence, la Commission considère que le fait que les sociétés d’assurances ont accepté les conditions standard proposées par les concessionnaires ainsi que le fait que les conditions des contrats soient similaires, voire identiques, font apparaître qu’il s’agit d’accords horizontaux ou, à tout le moins, de pratiques concertées, mises en œuvre séparément, tant par les sociétés d’assurances que par les concessionnaires.

92.      À cet égard, il convient toutefois de rappeler que le parallélisme de comportement ne suffit pas, à lui seul, à établir l’existence d’une pratique concertée, s’il existe une autre explication possible au comportement en question. Ainsi que l’énonce clairement la Cour, «[e]n vue de statuer sur la valeur probatoire de ces divers éléments, il y a lieu de rappeler qu’un parallélisme de comportement ne peut être considéré comme apportant la preuve d’une concertation que si la concertation en constitue la seule explication plausible. Il importe, en effet, de tenir compte du fait que, si l’article 85 du traité interdit toute forme de collusion de nature à fausser le jeu de la concurrence, il n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents» (45).

93.      Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier s’il existe des preuves de ladite coordination ou pratique concertée. Ce n’est que dans l’hypothèse où de telles preuves existassent que nous nous trouverions clairement en présence d’une restriction par objet sur le marché des assurances, dès lors que la coordination entre des entreprises concurrentes aux fins de la répartition du marché constitue l’une des restrictions de la concurrence qui mérite cette qualification conformément à la jurisprudence ci-dessus citée.

94.      Si, au contraire, seules l’intention de chaque société d’assurances d’augmenter ses ventes, d’une part, et la conclusion avec les concessionnaires de contrats comportant des clauses similaires, d’autres part, peuvent être constatées, alors que ladite similitude est favorisée par le fait que les concessionnaires s’étaient préalablement entendus entre eux sur les taux horaires qu’ils entendaient exiger, ces éléments ne me paraissent pas suffisants pour établir l’existence d’une pratique concertée.

95.      En revanche, il semble moins ardu de constater que ce même entrelacs d’accords est constitutif d’une restriction de la concurrence par objet sur le marché des services de réparation des véhicules.

96.      En effet, il semble établi que l’augmentation des tarifs convenue horizontalement par les concessionnaires a été répercutée sur les contrats conclus avec les sociétés d’assurances qui ont non seulement pris en charge le niveau tarifaire sur lequel les concessionnaires s’étaient accordés au sein du GÉMOSZ, mais l’ont même augmenté sous certaines conditions.

97.      À première vue, en conséquence, les effets de l’accord horizontal précité sur les tarifs de réparation dépendaient de l’acceptation de ses termes par les sociétés d’assurances, comme cela semble avoir été le cas. Les accords verticaux conclus entre les concessionnaires-réparateurs (ou le GÉMOSZ lui-même) et les sociétés d’assurances sont venus entériner un accord horizontal intrinsèquement anticoncurrentiel. Pour cette raison, l’ensemble des accords (et pas uniquement l’accord horizontal) est devenu illégal, de sorte que le comportement des sociétés d’assurances peut aussi être sanctionné, aux côtés de celui des concessionnaires-réparateurs.

98.      En tout état de cause, il appartient au juge national d’établir les termes exacts de l’accord en question ou de la décision du GÉMOSZ. En particulier, il convient de déterminer s’il lie un nombre de concessionnaires-réparateurs suffisamment important pour pouvoir parler d’un véritable accord horizontal anticoncurrentiel.

99.      Sous réserve desdites vérifications, l’ensemble des considérations qui précèdent conduirait à constater l’existence d’une restriction de la concurrence sur le marché des services de réparation des véhicules automobiles que les accords conclus par les sociétés d’assurances avec le GÉMOSZ et avec chacun des concessionnaires auraient contribué à renforcer. Ainsi que l’a rappelé la Commission, un ensemble d’accords entre des parties présentes sur deux marchés différents a déjà été sanctionné par la jurisprudence dans l’arrêt du 18 décembre 2008, Coop de France bétail et viande/Commission (46).

VI – Conclusion

100. En conséquence, je suggère à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Magyar Köztársaság Legfelsőbb Bírósága de la façon suivante:

1)      La Cour n’est pas compétente pour répondre à la demande de décision préjudicielle.

2)      À titre subsidiaire, les accords bilatéraux conclus entre une société d’assurances et certains réparateurs automobiles ou entre une société d’assurances et une association de réparateurs automobiles en vertu desquels le taux horaire de réparation versé au réparateur par la société d’assurances au titre de la réparation de véhicules assurés par cette dernière dépend, entre autres facteurs, du nombre et de la proportion de contrats souscrits par ladite société d’assurances par le biais du réparateur agissant en qualité d’intermédiaire d’assurance:

a)      ne constituent pas des accords qui ont pour objet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en ce qui concerne le marché des assurances, à moins qu’il existât une pratique concertée des assureurs destinée à exclure les entreprises concurrentes du marché, ce qu’il appartient au juge national de le vérifier;

b)      sont susceptibles de constituer des accords qui ont pour objet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en ce qui concerne le marché de la réparation des véhicules automobiles, compte tenu du contexte dans lequel lesdits accords se sont appliqués et, en particulier, de l’existence d’un accord tarifaire horizontal entre les concessionnaires. C’est au juge national qu’il appartient d’établir l’existence dudit accord et sa portée.


1 –      Langue originale: l’espagnol.


2 –      JO 2003, L 1, p. 1.


3 –      Loi no LVII de 1996 (A tisztességtelen piaci magatartás és a versenykorlátozás tilalmáról szóló 1996. évi LVII. Törvény, ci-après le «Tpvt»).


4 –      Selon Allianz, l’accord type de cet assureur comprenait trois tranches différentes de rémunération, en fonction de la part des contrats d’assurance Allianz commercialisés par le concessionnaire, à savoir i) moins de 30 %, ii) entre 30 et 50 %, ou iii) plus de 50 % du total des contrats d’assurance commercialisés par le concessionnaire. L’augmentation convenue du taux horaire de réparation des véhicules était i) de 10-11 % pour les concessionnaires réalisant moins de 30 % de leurs ventes d’assurances avec des produits d’Allianz, ii) de 12‑13 % pour ceux réalisant entre 30 et 50 % de leurs ventes d’assurances avec des produits d’Allianz, et iii) de 14‑15 % pour ceux réalisant plus de 50 % de leurs ventes d’assurances avec des produits d’Allianz. Nonobstant ce qui précède, l’autre assureur en cause, Generali, soutient que la plupart des accords conclus par Allianz avec des concessionnaires prévoyaient une augmentation du taux horaire de réparation uniquement dans l’hypothèse où les produits d’Allianz commercialisés par lesdits concessionnaires représenteraient 50 % de leurs ventes.


5 –      Selon cette société d’assurances, les contrats conclus par Generali avec les concessionnaires prévoyaient une augmentation de leur rémunération dans l’hypothèse où les produits Generali représenteraient 30 % des contrats commercialisés par lesdits concessionnaires. Cet objectif était de 10 points supérieur à la part de marché de Generali au cours de la période considérée, à savoir 20 %.


6 –      Arrêt du 18 octobre 1990 (C‑297/88 et C‑197/89, Rec. p. I‑3763). Un précédent peut aussi être trouvé dans l’arrêt du 26 septembre 1985, Thomasdünger (166/84, Rec. p. 3001).


7 –      Arrêt Dzodzi, points 34 à 41.


8 –      Un bon aperçu des critiques formulées peut être trouvé dans les conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 26 septembre 2000 dans l’affaire Kofisa Italia (arrêt du 11 janvier 2001, C‑1/99, Rec. p. I‑207), aux points 22 et suiv. Antérieurement déjà, l’avocat général Mancini, dans ses conclusions présentées le 15 mai 1985 dans l’affaire Thomasdünger, précitée, avait manifesté son opposition à l’admission de la recevabilité de ce type de demandes préjudicielles qui irait même, selon lui, à l’encontre des dispositions du traité. Se sont également prononcés dans le même sens l’avocat général Darmon, dans ses conclusions rendues le 3 juillet 1990 dans l’affaire Dzozi, précitée, l’avocat général Tizzano, dans ses conclusions rendues dans l’affaire Adam (arrêt du 11 octobre 2001, C‑267/99, Rec. p. I‑7467), et l’avocat général Jacobs dans ses conclusions présentées le 17 septembre 1996 dans l’affaire Leur-Bloem (arrêt du 17 juillet 1997, C‑28/95, Rec. p. I‑4161), ainsi que le 15 novembre 2001 dans l’affaire BIAO (arrêt du 7 janvier 2003, C‑306/99, Rec. p. I‑1).


9 –      Voir, notamment, arrêts Leur-Bloem, précité; du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, Rec. p. I‑7791); Kofisa Italia, précité; Adam, précité; BIAO, précité, et du 16 mars 2006, Poseidon Chartering (C‑3/04, Rec. p. I‑2505).


10 –      Arrêt du 28 mars 1995 (C‑346/93, Rec. p. I‑615).


11 –      Conclusions, précitées, des avocats généraux Ruiz-Jarabo Colomer, dans l’affaire Kofisa Italia, Jacobs, dans l’affaire BIAO, et Tizzano, dans l’affaire Adam.


12 –      Ordonnance du 16 avril 2008 (C‑186/07).


13 –      Voir arrêts précités, respectivement, aux points 27 et 29.


14 –      Arrêt du 11 décembre 2007 (C‑280/06, Rec. p. I‑10893).


15 –      Ibidem, point 25.


16 –      Arrêt du 21 décembre 2011 (C‑482/10, Rec. p. I‑14139).


17 –      Ibidem, point 19.


18 –      Arrêt du 18 octobre 2012 (C‑583/10, point 47).


19 –      S’agissant du principe de coopération loyale, voir arrêt du 21 octobre 2008, Marra (C‑200/07 et C‑201/07, Rec. p. I‑7929, point 41 et jurisprudence citée).


20 –      Arrêt précité, point 28.


21 –      Et outre le fait que, au cours de l’audience, la Commission a admis l’absence de «renvoi direct et inconditionnel» en l’espèce.


22 – Arrêt du 14 décembre 2006 (C‑217/05, Rec. p. I‑11987).


23 –      Voir arrêts précités Bronner, points 19 et 20; Poseidon Chartering, point 16; Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, point 20, et ETI e.a., point 26. Voir, en ce sens également, conclusions de l’avocat général Kokott, présentées le 13 juillet 2006 dans l’affaire Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, et le 3 juillet 2007 dans l’affaire ETI e.a.


24 –      Communication de la Commission – Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JO 2004, C 101, p. 81, point 8). Voir, également, communication de la Commission sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l’application des articles 81 et 82 du traité CE (JO 2004, C 101, p. 54, point 6).


25 –      Il en irait autrement s’il était démontré que les accords litigieux sont néanmoins susceptibles d’affecter le commerce entre États membres. Or, ce point, ainsi que je l’ai déjà indiqué, n’a pas été contesté en l’espèce.


26 –      Voir, à ce sujet, Cseres, K. J., «The impact of regulation 1/2003 in the new Member States», The Competition Law Review, vol. 6, no 2 (juillet 2010).


27 –      Arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, Rec. p. I‑8637, points 15 et 17).


28 –      En ce sens également, une jurisprudence bien établie énonce que, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, «la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue dès qu’il apparaît qu’il a pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence». Voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, Rec. p. 429, point 496), et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 491).


29 –      Communication de la Commission – Lignes directrices concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité (JO 2004, C 101, p. 97, point 21).


30 –      Arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission (96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 23 à 25), et du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a. (C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, Rec. p. I‑9291, point 58).


31 –      Voir, à cet égard, article 2 du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO L 102, p. 1). L’article 3 dudit règlement détermine les seuils de parts de marché à ne pas dépasser afin que l’exemption s’applique et l’article 5 énumère une série de restrictions verticales exclues du bénéfice de l’exemption.


32 –      Ceux entre des entreprises concurrentes: ce serait, à l’évidence, le cas, par exemple, d’un hypothétique accord entre Allianz et Generali au sujet des tarifs de réparation.


33 –      Arrêt du 3 juillet 1985, Binon (243/83, Rec. p. 2015).


34 –      Arrêts Consten et Grundig/Commission, précité note 28, et du 1er février 1978, Miller International Schallplatten/Commission (19/77, Rec. p. 131).


35 –      Arrêt du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (C‑439/09, Rec. p. I‑9419).


36 –      Conformément à l’article 1er, paragraphe 1, sous d), du règlement no 330/2010, l’expression «clause de non-concurrence» s’entend de «toute obligation directe ou indirecte interdisant à l’acheteur de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services qui sont en concurrence avec les biens ou les services contractuels, ou toute obligation directe ou indirecte imposant à l’acheteur l’obligation d’acquérir auprès du fournisseur ou d’une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché en cause, calculés sur la base de la valeur ou, si cela est de pratique courante dans le secteur, du volume des achats qu’il a effectués au cours de l’année civile précédente».


37 –      JO 2010, C 130, p. 1, point 133.


38 –      Voir, en ce sens, arrêts du 28 février 1991, Delimitis (C‑234/89, Rec. p. I‑935, points 13 à 15); du 7 décembre 2000, Neste (C‑214/99, Rec. p. I‑11121, point 25); du 11 septembre 2008, CEPSA (C‑279/06, Rec. p. I‑6681, point 43), et du 2 avril 2009, Pedro IV Servicios (C‑260/07, Rec. p. I‑2437, point 83).


39 –      Voir jurisprudence citée dans la note précédente.


40 –      Voir, ex multis, arrêt IAZ International Belgium e.a./Commission, précité note 30, points 23 à 25.


41 –      Communication citée note 29, point 22.


42 –      Arrêt du 14 juillet 1981, Züchner (172/80, Rec. p. 2021, points 12 à 14).


43 –      À cet égard, on peut citer l’arrêt du 14 juillet 1972, ICI/Commission (48/69, Rec. p. 619, point 64): «si l’article 85 distingue la notion de ‘pratique concertée’ de celle d’’accords entre entreprises’ ou de ‘décisions d’associations d’entreprises’, c’est dans le dessein d’appréhender sous les interdictions de cet article une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence».


44 –      Arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, point 161).


45 –      Arrêt du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, Rec. p. I‑1307, point 71).


46 –      C‑101/07 P et C‑110/07 P, Rec. p. I‑10193.