CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. DÁMASO Ruiz-Jarabo Colomer
présentées le 20 mars 2007 (1)
Affaires jointes C‑11/06 et C‑12/06
Rhiannon Morgan
contre
Bezirksregierung Köln
et
Iris Bucher
contre
Landrat des Kreises Düren
[demandes de décision préjudicielle formées par le Verwaltungsgericht Aachen (Allemagne)]
«Libre circulation des étudiants – Conditions d’octroi d’aides à la formation dans d’autres États membres – Assistance préalable, pendant au moins un an, à des cours dans un établissement national – Résidence permanente dans les localités frontalières»
I – Introduction
1. Selon un juriste hispano-américain, il y a trois sortes de juges: les artisans, véritables automates qui, n’utilisant que les mains, produisent des arrêts en série et en quantité industrielle, sans entrer à considérer ce qui touche à l’humain et à l’ordre social; les acteurs, qui utilisent les mains et le cerveau, en se soumettant aux méthodes d’interprétation traditionnelles, qui les conduisent inévitablement à se contenter de transcrire la volonté du législateur; et les artistes, qui, à l’aide des mains, de la tête et du cœur, ouvrent des horizons meilleurs aux citoyens, sans tourner le dos aux réalités et aux situations concrètes (2).
2. Bien qu’ils soient tous nécessaires pour mener à bien la tâche juridictionnelle, la Cour, assumant le rôle qui lui revient, s’est toujours identifiée à la dernière catégorie, notamment lorsque l’inéluctable évolution des idées ayant conduit à la naissance de la Communauté européenne a ralenti.
3. La libre circulation est l’une de ces idées originaires, devenue postulat fondamental, mais de contenu variable, car elle se projette sur une réalité versatile, qui évolue en fonction des exigences sociales, des progrès dans les transports, de l’accroissement des échanges et d’autant d’autres facteurs qui facilitent la mobilité de l’individu et de sa famille (3).
4. C’est dans ce contexte que se situent les questions préjudicielles posées par le Verwaltungsgericht Aachen (tribunal administratif d’Aix-la-Chapelle) (Allemagne), qui permettent d’examiner plus en profondeur les conséquences de la libre circulation des étudiants européens et des aides à la formation dans d’autres États, en précisant certains des principaux éléments de cette liberté.
5. En résumé, les litiges concernent deux jeunes Allemandes qui ont vu leur demande d’aides à la formation au Royaume-Uni et aux Pays-Bas rejetée, dans le premier cas au motif que l’enseignement ne fait pas suite à celui reçu, pendant au moins un an, en Allemagne, dans le second, faute de résidence permanente dans une localité frontalière.
6. Étant donné l’importance de ces questions, après avoir tracé les contours juridiques (II) et décrit les faits ainsi que le déroulement de la procédure dans les deux affaires (III et IV), j’attirerai l’attention sur la mobilité des étudiants (V), j’exposerai la jurisprudence sur les deux points fondamentaux des questions posées (VI) et j’examinerai divers aspects significatifs des bourses destinées à la formation, comme leur caractérisation et leurs liens avec les libertés de circulation et de prestation de services (VII). Ces considérations permettront de répondre aux questions posées (VIII). Enfin, il conviendra de dissiper les craintes quant aux conséquences de ma proposition (IX).
II – Le cadre juridique
A – La réglementation communautaire
7. La juridiction de renvoi estime que les dispositions du traité CE sur la citoyenneté européenne et la libre circulation (1) sont pertinentes dans les litiges dont elle a à connaître; le cadre réglementaire est complété par les mentions dudit traité relatives à l’éducation (2) et par les dispositions de droit dérivé concernant les étudiants (3).
1. La citoyenneté européenne et la libre circulation
8. L’article 17, paragraphe 1, CE crée une «citoyenneté de l’Union», plaçant l’individu au centre de ses activités (4); «[e]st citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre»; il incombe donc aux législations de ces États de déterminer cet attribut (5).
9. Aux termes de l’article 17, paragraphe 2, CE, les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le traité. La possession d’une telle qualité donne notamment, selon l’article 18 CE, le «droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres», sous réserve des limitations et des conditions prévues par le traité et par les réglementations pertinentes.
10. La citoyenneté de l’Union offre également des pouvoirs électoraux (article 19 CE), de protection à l’étranger (article 20 CE), ainsi que de réclamation et de pétition (article 21 CE).
11. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (6) utilise la notion de l’article 17 CE à certaines occasions (7) et, à l’article 45, paragraphe 1, proclame le «droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres».
2. Les compétences communautaires en matière d’éducation
12. L’action de la Communauté pour atteindre les objectifs qu’elle s’est assignés implique, selon l’article 3, paragraphe 1, sous q), CE, «une contribution à une éducation et à une formation de qualité ainsi qu’à l’épanouissement des cultures des États membres».
13. Au titre XI de la troisième partie du traité, le chapitre 3 est consacré à l’«éducation, à la formation professionnelle et à la jeunesse»; il contient les articles 149 CE et 150 CE, introduits en 1992 par le traité sur l’Union européenne.
14. L’article 149 CE stipule que:
«1. La Communauté contribue au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action tout en respectant pleinement la responsabilité des États membres pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique.
2. L’action de la Communauté vise:
– à développer la dimension européenne dans l’éducation, notamment par l’apprentissage et la diffusion des langues des États membres,
– à favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants, y compris en encourageant la reconnaissance académique des diplômes et des périodes d’études,
– à promouvoir la coopération entre les établissements d’enseignement,
– à développer l’échange d’informations et d’expériences sur les questions communes aux systèmes d’éducation des États membres,
– à favoriser le développement des échanges de jeunes et d’animateurs socio-éducatifs,
– à encourager le développement de l’éducation à distance.
[…]
4. Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au présent article, le Conseil adopte:
– statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, des actions d’encouragement, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres,
– statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, des recommandations.»
15. L’article 150 CE s’exprime dans des termes analogues relativement à la formation professionnelle.
3. Le droit dérivé
16. Compte tenu de l’existence de groupes réunissant des qualités différentes, il n’est pas étonnant que la Commission leur accorde une attention particulière, comme l’a fait la directive 93/96/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative au droit de séjour des étudiants (8).
17. L’instauration de la citoyenneté européenne a révélé la nécessité d’adapter la réglementation des libertés de circulation et de séjour, ce qui a été fait par la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement dans les États membres (9), qui a abrogé la directive 93/96.
18. La directive 2004/38 régit l’entrée et la sortie du territoire des États membres (articles 4 et 5), ainsi que le séjour, pour lequel elle fixe des conditions, variables selon la durée de ce dernier: a) pour un séjour allant jusqu’à trois mois, une carte d’identité ou un passeport en cours de validité est nécessaire (article 6); b) pour un séjour d’une durée de trois mois à cinq ans, les personnes inscrites dans un établissement public ou privé doivent disposer d’une assurance maladie couvrant tous les risques dans le pays d’accueil et de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale dudit pays [article 7, paragraphe 1, sous c)]; c) un séjour légal de plus de cinq ans ouvre un droit qui n’est soumis à aucune condition (article 16).
B – La législation allemande
19. Les aides à la formation sont régies par la loi fédérale sur l’aide individuelle à la formation (Bundesgesetz über individuelle Förderung der Ausbildung, ci-après le «BAföG») (10). Son article 4 délimite le champ d’application territorial, n’accordant ces aides qu’aux fins de la formation dans le pays, sauf quelques exceptions, visées aux articles 5 et 6.
20. L’article 5, paragraphe 1, porte sur la formation transfrontalière:
«Les étudiants visés à l’article 8, paragraphe 1, bénéficient de l’aide à la formation à condition de fréquenter tous les jours, à partir de leur domicile permanent sur le territoire allemand, un établissement de formation situé à l’étranger. Le domicile permanent au sens de la présente loi est établi au lieu où se trouve, de façon non seulement temporaire, le centre des relations de l’intéressé […]; une personne qui séjourne en un lieu uniquement à des fins de formation n’y a pas établi son domicile permanent.»
21. L’article 5, paragraphe 2, concerne la formation hors du pays:
«Les étudiants dont le domicile permanent se trouve sur le territoire allemand et qui suivent des études dans un établissement de formation situé à l’étranger bénéficient de l’aide à la formation si
1. lesdites études sont profitables à la formation de l’intéressé, eu égard à l’état actuel de celle-ci, et qu’au moins une partie de ces études peut être imputée sur la durée requise ou habituelle de la formation, ou si
2. dans le cadre de la collaboration internationale entre un établissement de formation allemand et un établissement étranger, les cours d’une formation unique, qui s’appuient les uns sur les autres, sont alternativement dispensés par l’établissement allemand et par l’établissement étranger, ou si
3. l’étudiant, après avoir fréquenté un établissement de formation allemand pendant au moins un an, continue sa formation dans un établissement de formation d’un État membre de l’Union européenne
[…]»
22. L’article 6 permet la prise en considération de cas particuliers:
«Des citoyens allemands au sens de la loi fondamentale, dont le domicile permanent se trouve dans un État étranger et qui y fréquentent un établissement de formation ou qui, à partir de ce domicile, fréquentent un établissement situé dans un État voisin, peuvent bénéficier de l’aide à la formation lorsque les circonstances particulières du cas concret le justifient. […]»
23. L’article 8, paragraphe 1, délimite le champ d’application subjectif du BAföG, en indiquant que:
«Bénéficient de l’aide à la formation
1. les citoyens allemands au sens de la loi fondamentale,
[…]
8. les étudiants qui, eu égard aux conditions de l’article 3 de la loi sur la libre circulation des citoyens de l’Union (Freizügigkeitsgesetz/EU), ont, en tant que conjoint ou enfant, un droit à entrer et à séjourner sur le territoire allemand ou qui ne peuvent se prévaloir d’un tel droit en qualité d’enfant du seul fait qu’ils sont âgés de 21 ans ou plus et ne reçoivent pas d’aliments de leurs père et mère ou du conjoint de ceux-ci,
9. les étudiants ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’un autre État membre de l’Espace économique européen qui ont occupé un emploi sur le territoire allemand avant de commencer la formation; il doit en principe exister un lien entre l’activité exercée à ce titre et l’objet de la formation […]»
III – Les faits et les litiges au principal
A – L’affaire C‑11/06
24. Mme Rhiannon Morgan est née en 1983 en Allemagne, pays dont elle a la nationalité et où elle a effectué ses études secondaires. Après avoir obtenu l’examen d’«Abitur» (baccalauréat), elle a passé une année en Grande-Bretagne en tant que fille au pair.
25. Depuis le 20 septembre 2004, elle suit des études de génétique appliquée à la University of the West of England, à Bristol. Les autorités britanniques lui ont reconnu le statut de travailleuse migrante et lui ont accordé une allocation de subsistance (11).
26. Avant de commencer ses études au Royaume-Uni, elle a sollicité une aide, en août 2004, que le Bezirksregierung Köln a refusée, par décision du 25 août 2004, au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions de l’article 5, paragraphe 2, du BAföG, décision confirmée par une autre, en date du 3 février 2005, qui n’a pas non plus admis l’application des dispositions combinées des articles 6 et 5, paragraphe 1, du BAföG.
27. Mme Morgan a introduit un recours juridictionnel contre cette décision administrative devant le Verwaltungsgericht Aachen, recours qui est à l’origine de l’affaire C‑11/06.
B – L’affaire C‑12/06
28. Mme Iris Bucher, Allemande née en 1983, vivait avec ses parents à Bonn jusqu’au 1er juillet 2003, date à laquelle elle a déménagé avec son compagnon à Düren (12).
29. Depuis le 1er juillet 2003, elle suit des cours d’ergothérapie à la Hogeschool Zuyd de Heerlen (13) (Pays-Bas).
30. Le 28 janvier 2004, elle a demandé une aide, qui lui a été refusée, le 7 juillet 2004, par le Landrat des Kreises Düren, au motif que les conditions de l’article 5, paragraphe 1, du BAföG n’étaient pas remplies, car le changement de résidence aurait obéi à de simples fins de formation, ce qu’a confirmé le Bezirksregierung Köln, le 16 novembre 2004.
31. Mme Bucher a introduit un recours contre ce refus devant le Verwaltungsgericht Aachen, fondement de l’affaire C‑12/06.
IV – Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
32. Considérant que, bien que les demandes des requérantes ne puissent être fondées ni sur l’article 5 ni sur l’article 6 du BAföG, celles-ci pourraient se prévaloir des règles communautaires, le Verwaltungsgericht Aachen a sursis à statuer dans les deux procédures et a posé les questions suivantes à la Cour:
«1) La libre circulation garantie aux citoyens de l’Union par les articles 17 CE et 18 CE fait-elle obstacle à ce que, dans un cas tel que celui se présentant en l’espèce, un État membre refuse à son ressortissant la prestation d’aide à la formation en vue d’accomplir une formation en totalité dans un autre État membre, au motif que cette formation ne constitue pas la continuation d’études d’une durée d’au moins un an suivies auprès d’un établissement de formation situé sur le territoire national?
2) La libre circulation garantie aux citoyens de l’Union par les articles 17 CE et 18 CE fait-elle obstacle à ce que, dans un cas tel que celui se présentant en l’espèce, un État membre refuse la prestation d’aide à la formation à son ressortissant qui, en tant que ‘frontalier’, accomplit sa formation dans un État membre voisin, au motif qu’il ne séjourne dans la commune allemande près de la frontière qu’à des fins de formation et que ce lieu de séjour n’est pas son domicile permanent?»
33. La première question est commune aux deux litiges, alors que la seconde n’a été posée que dans l’affaire de Mme Bucher.
34. Par ordonnance du 16 mars 2006, le président de la Cour a ordonné la jonction des affaires C‑11/06 et C‑12/06, eu égard à leur connexité objective.
35. Le Bezirksregierung Köln, le Landrat des Kreises Düren, les gouvernements allemand, autrichien, finlandais, italien, néerlandais, suédois et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission des Communautés européennes ont déposé des observations écrites dans le délai fixé à l’article 23 du statut de la Cour de justice.
36. Les représentants de Mme Morgan, de Mme Bucher, les gouvernements allemand, néerlandais, autrichien et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission ont comparu à l’audience, qui s’est tenue le 30 janvier 2007, et ont été entendus en leurs plaidoiries.
V – La mobilité des étudiants
A – Une constante historique
37. Bien que, selon Thomas More, l’instruction impartie dans sa propre langue «est riche, harmonieuse, fidèle interprète de la pensée» (14), la soif de savoir incite à aller chercher les sources, afin d’apprendre des plus érudits, quel que soit l’endroit où ils se trouvent et la langue dans laquelle ils enseignent. Ce désir engendre un flux d’élèves vers les maîtres, qui a été constaté à toutes les époques.
38. Dans l’Antiquité classique, parmi les centres qui ont attiré les personnes les plus diverses, rappelons l’Académie de Platon, le Lycée d’Aristote ou les écoles de Pythagore et d’Alexandrie, cette dernière fondée par Ptolémée Sôter au IIIe siècle avant J.-C., où Euclide a brillé.
39. À partir du IXe siècle, avec l’épanouissement de la vie monastique, des salles sont apparues dans les couvents et les abbayes aux fins d’instruction des moines qui, sous de nombreuses latitudes, ont réservé une annexe externe à l’accueil d’autres disciples (Jarrow, Cork, Corbie, Richenau, Montecassino, …). En parallèle, les évêques et les chapitres ont créé, à l’ombre des cathédrales, des écoles épiscopales (Reims, Chartres, Cologne, Mayence, Vienne, Liège, …). Le monde arabe n’ignorait pas non plus le phénomène, car Bagdad et Cordoue, par exemple, ont constitué des cabinets d’études dotés de riches bibliothèques et d’observatoires astronomiques.
40. Aux alentours du XIIe siècle, l’enseignement a commencé à être donné par des personnes extérieures aux écoles religieuses. C’est ainsi qu’est née l’idée des universités, ouvertes à des étudiants et à des professeurs de nationalités distinctes, qui, se servant du latin comme lingua franca, aspiraient à communiquer et à transmettre des savoirs. La première université a été créée à Bologne, mais elles se sont ensuite étendues dans toute l’Europe (Paris, Palencia, Oxford, Montpellier, Salamanque, …) (15).
41. L’université a engendré une grande mobilité sociale. Les enfants des nobles, des bourgeois, des commerçants, des artisans et des paysans étaient admis, les difficultés économiques étant surmontées grâce aux bourses et aux prébendes. Toutefois, l’apparition des États nationaux et les guerres de religion ont amoindri le caractère œcuménique des débuts.
42. Ainsi, Juan Luis Vives (1492-1540) a exercé son activité à l’université de Valence, à la Sorbonne à Paris, à Bruges, à Louvain et à Oxford; Miguel Servet (1511-1553) a suivi des cours de droit à Toulouse, de médecine à Paris et à Montpellier, ainsi que de théologie à Louvain; David Hume (1711-1776) a étudié la littérature et la philosophie à Reims et en Anjou, puis, après deux ans à Paris, est rentré en Écosse, où il a refusé la chaire qui lui a été offerte; Karl Marx (1818-1883) s’est formé à l’université de Bonn, mais il a vécu à Paris, à Bruxelles et à Londres, exerçant une influence intellectuelle profonde.
43. Parmi ces voyageurs du savoir, Érasme de Rotterdam (1469-1536) a une place privilégiée. Il a étudié à l’université de Paris, a été précepteur du fils du roi d’Écosse Jacques II, a obtenu son doctorat en théologie à Bologne, déclinant l’invitation du pape Léon X à rester à Rome. Il est parti en Angleterre, où il a été bien reçu par Henri VIII et a eu des contacts avec John Colet et Thomas More. Il a exercé en tant que professeur résident titulaire de théologie à Cambridge. Il a travaillé dans la maison d’édition d’Aldus Manutius à Venise. Il a gagné le respect de l’empereur Charles Quint, également roi d’Espagne, qui l’a nommé conseiller de Flandres (16). Il s’est installé quelque temps à Fribourg et s’est retiré à Bâle pour s’occuper de la publication de ses œuvres (17). Sa vie fait rêver aujourd’hui, démontrant que, à la fin du Moyen-Âge, l’Europe n’avait pas de frontières pour la vie intellectuelle et n’était pas compartimentée par des différences linguistiques, qui, sans nier la valeur culturelle qu’elles représentent, appauvrissent l’échange d’idées et la progression vers une union plus étroite et plus engagée des peuples de ce continent. Le mythe d’Érasme apporte une lueur d’espoir pour surmonter ces barrières (18).
B – Une préoccupation actuelle
44. L’évolution vertigineuse de la société actuelle s’accompagne d’une augmentation de la demande d’enseignement de haut niveau, de sa spécialisation et de la prise de conscience toujours plus grande de son importance pour la construction du futur. Partout se posent des problèmes et des défis analogues, ayant trait au financement, à la qualité, à l’égalité des conditions, à la formation des personnes, aux possibilités d’emploi des diplômés ou à la répartition des bénéfices que rapporte la coopération internationale.
45. C’est dans ce contexte que s’inscrit le processus dit «de Bologne», qui a débuté par la déclaration de 40 ministres, le 19 juin 1999 (19), en vue d’instaurer en 2010 un espace européen de l’enseignement supérieur (20), processus dans lequel on avance lentement vers une série d’objectifs, dont la mobilité des étudiants, qui revêt encore une grande importance, malgré le degré élevé de communication obtenu grâce aux réseaux informatiques.
46. Liés au processus de Bologne, il existe de nombreux instruments approuvés par les institutions communautaires relatifs à la circulation des étudiants (21), car les demandes visant à étudier hors du pays pour une période variable ont augmenté, coïncidant avec la possibilité de travailler et de s’intégrer ultérieurement aux structures de n’importe quel État de l’Union, ce qui offre des opportunités très stimulantes. Ces échanges bénéficient à ceux qui se déplacent, à la société qui les accueille et à celle qu’ils quittent, bien qu’ils comportent des risques, car ils peuvent compromettre la diversité, accélérer la commercialisation de l’enseignement et encourager la fuite des cerveaux.
47. En outre, les déplacements font naître des défis de différentes natures, principalement linguistiques ou d’adaptation (22), administratifs et économiques (23). Les aides à la formation tentent de remédier à ceux découlant des dépenses engagées pour payer les frais d’inscription, les mensualités et l’entretien ou le logement. Elles ont une triple provenance: privée, nationale ou européenne. Les premières sont versées par des particuliers dans les conditions qu’ils fixent; les deuxièmes sont régies par des dispositions locales, régionales ou nationales soumises à certains principes, comme ceux d’objectivité et d’égalité; les dernières s’articulent par actions communautaires, au premier rang desquelles figurent les programmes «Erasmus», commencé en 1987 et actuellement intégré dans le programme «Socrate» (24), et «Léonard de Vinci», mis en place en 1994 pour promouvoir la formation professionnelle.
48. Dans les litiges de Mmes Morgan et Bucher, le débat porte sur les subventions prévues par la réglementation nationale, sous réserve que la compatibilité entre les trois systèmes de financement obéisse aux règles fixées par chacun d’entre eux, car, comme ils ne couvrent généralement pas tous les frais (25), leur perception simultanée est fréquemment admise.
VI – La jurisprudence en matière d’aides à la formation et de libre circulation
49. Les réponses au Verwaltungsgericht Aachen nécessitent l’examen de la jurisprudence relative aux deux points soulevés dans les questions préjudicielles.
A – Les aides à la formation
50. La Cour a examiné à d’autres reprises des aides de différentes natures sollicitées à l’occasion du début, de la réalisation ou de l’achèvement d’une formation. Dans les arrêts rendus à ce jour, la réclamation était faite à l’État membre d’accueil ou à celui d’origine, mais après un déplacement, alors que Mmes Morgan et Bucher ont adressé leur demande à leur État d’origine sans avoir quitté le pays. Bien que, comme cela a été souligné dans la plupart des observations présentées, ce fait s’opposerait à la constatation d’une inégalité de traitement entre les Allemands et les ressortissants d’autres pays communautaires, écartant l’application de la jurisprudence existant à cet égard, il n’empêche pas de rappeler les considérations pouvant être utiles en la matière.
51. Parmi les arrêts abordant des aspects connexes à ceux soulevés en l’espèce, il convient de souligner ceux rendus dans les affaires Grzelczyk (26), D’Hoop (27) et Bidar (28), qui ont en outre trait à la citoyenneté de l’Union, apportant de précieuses contributions.
52. Auparavant, il avait été affirmé dans l’arrêt Gravier (29) que l’imposition d’une redevance, d’un droit d’inscription ou d’un minerval aux étudiants ressortissants des autres États membres, comme condition pour l’accès aux cours d’enseignement professionnel, constitue une discrimination en raison de la nationalité prohibée par le traité (point 26). Dans le même ordre d’idées, l’arrêt Blaizot e.a. (30) a constaté une inégalité dans un «droit d’inscription complémentaire perçu à charge des étudiants ressortissants d’autres États membres qui veulent s’inscrire à ce cycle d’études», car «les études universitaires de médecine vétérinaire relèvent de la notion de formation professionnelle» (point 24).
53. Cette jurisprudence a été précisée peu de temps après dans les arrêts Lair (31) et Brown (32), qui ont distingué les aides visant à «couvrir les frais d’inscription ou d’autres frais, notamment de scolarité, exigés pour l’accès à l’enseignement» et celles dédiées à «l’entretien et à la formation», estimant que seules les premières relèvent du traité (points 14 à 16 de l’arrêt Lair et 17 à 19 de l’arrêt Brown). Les innovations du traité sur l’Union européenne (33) et l’approbation de la directive 93/96 ont conduit, après l’arrêt Grzelczyk, à renoncer à une telle distinction.
1. L’arrêt Grzelczyk
54. M. Grzelczyk, français, a étudié l’éducation physique à l’université catholique de Louvain-la-Neuve (Belgique), assumant ses frais de formation et de séjour. Au début de la quatrième et dernière année, il a demandé à bénéficier du minimex – minimum de moyens d’existence –, mais cela lui a été refusé au motif qu’il n’était pas belge.
55. La Cour a rappelé que, dans l’arrêt Hoeckx (34), elle avait qualifié le minimex d’«avantage social au sens du règlement [CEE] n° 1612/68» (35) (point 27); elle a également signalé les changements intervenus dans la réglementation nationale applicable (point 28), en vertu de laquelle un étudiant de nationalité belge n’ayant pas la qualité de travailleur au sens du règlement n° 1612/68 qui se serait trouvé dans des conditions identiques à celles de M. Grzelczyk aurait réuni les conditions pour obtenir la prestation, démontrant une «discrimination opérée sur la seule base de la nationalité» (point 29), contraire, «en principe», à l’article 6 du traité CE (devenu, après modification, article 12 CE), interprété «en combinaison avec les dispositions du traité sur la citoyenneté de l’Union pour apprécier le domaine d’application de celui-ci» (point 30).
56. Après quelques considérations sur cette citoyenneté européenne (points 31 à 33) et le rappel de la jurisprudence Lair et Brown (points 34 et 35), la Cour a relié l’interdiction d’un traitement inégal au «droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres», limité par la directive 93/96, soulignant la solvabilité économique requise, directive dont elle a signalé les différences avec les directives 90/364 et 90/365 «étant donné les particularités du séjour des étudiants» (points 37 à 44) (36), en insistant sur le caractère changeant des situations (point 45).
2. L’arrêt D’Hoop
57. Mme D’Hoop, belge, a obtenu en France son diplôme d’études secondaires, qui a été reconnu par les autorités de son pays d’origine, où elle est entrée à l’université. Elle a ensuite demandé l’allocation d’attente, une aide économique ouvrant l’accès à des programmes de mise au travail, destinée aux jeunes recherchant leur premier emploi. Celle-ci lui a été refusée, car les études secondaires n’avaient pas été suivies dans un lycée belge.
58. Bien que les allocations d’attente constituent un avantage social au sens du règlement n° 1612/68 (37), les circonstances du cas d’espèce ont entraîné la non-application de ce règlement et de l’article 48 CE au litige (points 17 à 20). La Cour a donc orienté ses réflexions sur la citoyenneté de l’Union, temporellement applicable (points 23 à 26), qui impliquerait l’incompatibilité avec le droit de la libre circulation du fait qu’un citoyen «puisse se voir appliquer dans l’État membre dont il est ressortissant un traitement moins favorable que celui dont il bénéficierait s’il n’avait pas fait usage des facilités ouvertes par le traité en matière de circulation» (points 30 et 31), considération qui s’avère particulièrement importante «dans le domaine de l’éducation» (point 32).
59. Dans ces conditions, elle a constaté une différence «entre les ressortissants belges qui ont fait toutes leurs études secondaires en Belgique et ceux qui, ayant fait usage de leur liberté de circuler, ont obtenu leur diplôme […] dans un autre État membre» (point 33), à qui il est donc porté préjudice (point 34). La discrimination pourrait être fondée sur des raisons objectives, indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi, mais, dans le cas examiné, s’il est légitime «pour le législateur national de vouloir s’assurer de l’existence d’un lien réel entre le demandeur desdites allocations et le marché géographique du travail concerné», la condition unique relative au lieu d’obtention du diplôme scolaire présente un «caractère trop général et exclusif» (points 36 à 39).
3. L’arrêt Bidar
60. M. Bidar, français, s’est installé au Royaume-Uni, où il a terminé ses études secondaires. En vue de commencer des études supérieures, il a demandé le financement pertinent au London Borough of Ealing, qui lui a accordé une aide pour l’inscription, mais lui a refusé un prêt destiné à couvrir ses frais d’entretien, au motif que l’intéressé ne s’était pas «établi» dans le pays.
61. La Cour devait vérifier si le refus d’octroi de l’aide était contraire au traité, notamment à l’article 12 CE. Elle a pour cela rappelé la jurisprudence relative à cette disposition et à l’article 18 CE, ainsi que l’évolution de la jurisprudence et du droit communautaire (points 28 à 41), affirmant que la situation d’un citoyen de l’Union qui séjourne légalement dans un autre État membre entre dans le champ d’application du traité au sens de l’article 12, premier alinéa, CE en vue de l’obtention d’une aide accordée aux étudiants, que ce soit sous la forme d’un prêt subventionné ou d’une bourse, et visant à couvrir ses frais d’entretien (point 42), ce qu’elle a confirmé eu égard à la directive 2004/38 (point 43).
62. Elle s’est ensuite penchée sur les limitations de l’article 18 CE, qui renvoie à celles du traité et des dispositions prises pour son application, parmi lesquelles figure la directive 93/96, dont l’article 3 excluait le paiement de bourses d’entretien aux étudiants bénéficiant d’un droit de séjour (point 44). Elle a considéré, conformément à l’arrêt Grzelczyk, que l’impossibilité de fonder les aides destinées à couvrir les frais d’entretien sur la directive (point 45) n’empêchait pas d’invoquer l’article 12 CE (point 46).
63. L’applicabilité de l’article 12 CE étant admise, elle a examiné la question relative au caractère objectif des conditions d’octroi des aides. Elle a estimé que les exigences de la législation quant à un «établissement» au Royaume-Uni risquent de désavantager «principalement les ressortissants d’autres États membres», car elles sont «plus facilement remplies par les ressortissants nationaux» (points 50 à 53). Toutefois, la différence de traitement pourrait être justifiée, pour favoriser les «étudiants ayant démontré un certain degré d’intégration» (points 54 à 57), la preuve que l’étudiant «a, pendant une certaine période, séjourné dans l’État membre d’accueil» étant suffisante (point 59), car la situation «n’est pas comparable à celle du demandeur d’une allocation d’attente […] ou d’une allocation de recherche d’emploi» (point 58). Elle en a déduit que les règles britanniques en cause étaient contraires à l’article 12 CE (points 60 à 63).
B – La libre circulation
64. Il est de plus en plus souvent demandé à la Cour de tracer les contours de la citoyenneté européenne et des droits qu’elle comporte.
65. L’arrêt Grzelczyk a annoncé l’importance d’un tel attribut, appelé à devenir le «statut fondamental des ressortissants des États membres» (point 31) (38), qui a acquis une grande portée du fait de l’interdiction de discrimination de l’article 12 CE, pouvant être invoqué, à la suite de l’arrêt Martínez Sala (39), par toute personne titulaire d’un passeport communautaire dans toutes les situations «relevant du domaine d’application ratione materiae du droit communautaire» (point 63), sans toutefois englober celles étant purement internes (40).
66. Parmi les situations concernées se trouvent celles relatives à l’exercice des libertés fondamentales, comme la libre circulation et le libre séjour (41). Il s’ensuit que, à plusieurs reprises, l’égalité de traitement et la libre circulation apparaissent ensemble, étant opposées à l’État d’accueil – arrêts Grzelczyk et Bidar – ou d’origine – arrêt D’Hoop –, dans ce dernier cas du fait de l’incompatibilité d’une réglementation portant préjudice aux ressortissants du pays qui avaient exercé leurs droits (42).
67. La mention combinée de l’interdiction de discrimination et de la libre circulation n’empêche pas que ces principes aient leur substance propre, évaluable en tant que telle (43). Ainsi, l’arrêt Baumbast et R (44) a défendu l’effet direct de l’article 18 CE (45), au motif qu’il s’agit d’une «disposition claire et précise du traité» (point 84) (46), la libre circulation – de même que le libre séjour – étant le «droit essentiel qui est attaché à la citoyenneté de l’Union» (47).
68. L’arrêt Grzelczyk a également rappelé que les libertés précitées ont des limites (point 37), découlant du traité et des dispositions prises pour son application, de sorte que, lorsqu’il existe une réglementation spécifique, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’article 18 CE (48); dans les autres cas, pour que les restrictions, comme l’exigence d’un lien réel entre la personne et l’État (49), soient valables, elles doivent être objectives, indépendantes de la nationalité et proportionnées (50).
VII – Les aspects significatifs des aides à la formation dans un autre État membre
69. Après cet examen des arrêts de la Cour les plus importants dans les présents litiges, il convient de s’arrêter sur d’autres aspects sous-jacents dans les questions préjudicielles, qui tracent leurs contours juridiques: la nature et les particularités des aides à la formation à l’étranger (A); la possibilité d’invoquer la liberté de circulation dans les cas d’espèce (B) et l’incidence de la libre prestation de services (C).
A – La caractérisation des aides à la formation à l’étranger
70. Comme je l’ai déjà indiqué, les aides à la formation sont très variées, car elles pallient toutes sortes d’inconvénients. Ainsi, certaines aides, qui couvrent les frais d’inscription ou les mensualités d’études, sont directement liées à la formation, et d’autres, de manière indirecte, réduisent la charge résultant de l’achat de livres ou d’autre matériel, des transports ou des frais d’entretien.
71. De manière générale, relèvent des aides à la formation toutes les aides accordées à ceux souhaitant commencer ou recevant une instruction à des fins éducative, culturelle, professionnelle ou scientifique, ainsi que les prix académiques.
72. La nature de l’activité des administrations publiques en la matière a été débattue, notamment le point de savoir s’il s’agit d’une activité de service public ou de promotion. Dans le premier cas, les autorités fournissent des prestations aux particuliers; dans le second, elles les encouragent à orienter leurs occupations en fonction de l’intérêt général (51).
73. La réponse dépend de la configuration de chaque aide, pour la détermination de laquelle il convient d’examiner le concept et les objectifs de cette dernière. Dans les niveaux d’enseignement obligatoire, la puissance publique procure aux citoyens un certain degré de formation. Il existe donc un élément de prestation certain.
74. Dans les niveaux supérieurs, au contraire, les organismes nationaux ne garantissent pas le droit à l’éducation, mais l’égalité dans l’exercice de ce droit, évitant les discriminations pour motifs économiques; ils tentent également de permettre l’augmentation des connaissances et de fournir celles demandées ou celles qui conviennent à la société. Ils utilisent pour cela des techniques de promotion, par des aides directes – une bourse – et indirectes – l’exonération des droits d’inscription –, l’élément de prestation passant au second plan.
75. De nouveaux éléments apparaissent lorsque l’étudiant demande à son propre pays d’aplanir les problèmes, surtout ceux d’ordre financier, pour se former à l’étranger. Surgissent ainsi des notions déjà évoquées – la mobilité et la libre circulation –, avec une dimension transfrontalière spécifique, l’européenne.
76. Une bourse de l’État d’origine ne s’«exporte» pas vers l’État d’accueil et le premier État ne subventionne pas non plus la libre circulation, contrairement à ce qu’estime la Commission. Chaque aide est accordée dans des conditions déterminées, celle assignée à une formation sur un certain territoire n’étant pas transférée à d’autres cours ou à d’autres lieux, sauf si cela est prévu par les dispositions qui régissent de telles modifications. Toutefois, en ce qui concerne les aides à la formation hors du pays, l’exportation est inhérente, car elles sont demandées pour couvrir des frais globaux exposés dans d’autres États.
77. Par conséquent, ces aides permettant de se rendre à l’étranger constituent des avantages, aides pour lesquelles l’État jouit d’un plus grand pouvoir discrétionnaire que si elles revêtaient un caractère de prestation et dans lesquelles subsiste un aspect transnational.
78. Cette configuration exclut la transposition de la jurisprudence relative à l’imposition lors d’un changement de domicile, selon laquelle «le traité ne garantit pas à un travailleur que le transfert de ses activités dans un État membre autre que celui dans lequel il résidait jusque-là est neutre en [la] matière» (52). Ces situations ne sauraient être comparées à celles des litiges au principal, car, outre le fait qu’elles visent des finalités différentes, les unes portent sur l’obligation de contribuer au Trésor public, alors que les autres concernent la perception de sommes de ce même organisme.
B – La possibilité d’invoquer le droit à la libre circulation
79. Il est allégué, dans plusieurs des observations écrites déposées devant la présente Cour, que l’Union européenne n’a pas compétence en matière d’aides à la formation offertes par les États membres. Les situations de fait des présentes questions préjudicielles ne portant pas sur des matières communautaires, les droits de l’article 18 CE ne pourraient s’appliquer, et il n’y aurait pas lieu de répondre à la juridiction de renvoi, les affaires de Mmes Morgan et Bucher devant être tranchées en application des règles allemandes.
80. Je ne partage pas ces affirmations. Pour les réfuter, il suffit d’exposer deux lignes d’argumentation complémentaires, l’une relative à la liberté de circulation proprement dite et l’autre aux compétences en matière d’éducation.
1. Le champ d’application de la libre circulation
81. La liberté communautaire pour se déplacer peut d’emblée être invoquée à l’encontre d’un État par ses propres ressortissants. L’article 17 CE indique clairement que sont citoyens de l’Union les personnes ayant la «nationalité d’un État membre» (53), et qu’elles jouissent des droits qui en découlent (54).
82. J’ai expliqué, dans des conclusions précédentes, ma position relativement à l’autonomie de la libre circulation. Je répète que «la création d’une citoyenneté de l’Union, qui a pour corollaire le droit pour ceux qui la possèdent de circuler librement sur le territoire de tous les États membres, représente un progrès qualitatif considérable, dans la mesure où elle dissocie cette liberté de circuler de ses éléments fonctionnels ou instrumentaux (puisqu’elle n’est plus liée à l’exercice d’une activité économique ou à la mise en place du marché intérieur) et dans la mesure également où elle élève ce droit au rang de droit propre et indépendant, inhérent au statut politique des citoyens de l’Union» (55).
83. Le récent arrêt Tas-Hagen et Tas, précité, a repris cette thèse lors de la détermination du point de savoir si, pour invoquer l’article 18 CE, il est nécessaire, outre l’exercice du droit à la libre circulation, que soit impliqué un domaine communautaire.
84. Mme Tas-Hagen et M. Tas, néerlandais, ont demandé aux autorités des Pays-Bas le versement de prestations accordées aux victimes civiles de guerre, qui leur ont été refusées au motif que, à la date de la demande, ils vivaient en Espagne.
85. Aux points 27 à 43 des conclusions présentées dans cette affaire, l’avocat général Kokott a démontré de manière convaincante que le fait que l’objet de la demande soit régi par le droit communautaire ou vise à la réalisation de ses objectifs ne joue qu’un «rôle accessoire» dans l’appréciation de chaque cas d’espèce, ne constituant en aucun cas une condition pour l’application de l’article 18 CE.
86. La Cour a suivi cette direction, en reconnaissant que, au stade actuel du développement du droit communautaire, l’indemnisation sollicitée «relève de la compétence des États membres» (point 21), mais en rappelant que cette dernière doit être exercée dans le respect des «dispositions du traité relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire» de la Communauté (point 22). Elle a ajouté que, bien que la citoyenneté de l’Union n’implique pas le recours au traité dans des situations internes, l’exercice d’un droit découlant de l’ordre juridique communautaire ayant eu une incidence sur la possibilité d’obtenir une prestation prévue par la réglementation nationale, une telle situation ne saurait être considérée comme étant purement interne et n’ayant aucun rattachement au droit communautaire (point 28).
87. Cette jurisprudence ne doit toutefois pas être limitée aux cas dans lesquels il y a eu circulation, car elle s’applique également à ceux dans lesquels la circulation est empêchée ou découragée, lorsque les aides sont destinées à la formation dans d’autres États membres, démontrant ainsi le lien communautaire nécessaire pour invoquer l’article 18 CE.
88. Le droit européen reste en marge de la politique des États sur les aides à la formation à l’étranger, mais, si ces derniers décident d’accorder de telles aides, le droit communautaire vérifie que les conditions imposées pour pouvoir en bénéficier ne limitent pas indûment la libre circulation.
2. Les compétences en matière d’éducation
89. La Communauté promeut une éducation et une formation de qualité [article 3, paragraphe 1, sous q), CE], encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, appuyant et complétant leur action tout en respectant pleinement leur responsabilité pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif (article 149, paragraphe 1, CE); elle favorise également la «mobilité des étudiants» et le «développement des échanges de jeunes» (article 149, paragraphe 2, CE). Les instruments juridiques visant à réaliser les objectifs des interventions communautaires consistent en «actions d’encouragement», à l’exclusion de toute harmonisation des réglementations des États membres, et en «recommandations» (article 149, paragraphe 4, CE) (56).
90. J’en déduis que les États membres ont le pouvoir de régir exclusivement des aspects primordiaux des études, mais non tout ce qui touche à cette matière.
91. L’éducation contient des facettes qui forment son noyau dur, telles que les programmes d’études ou l’organisation du système, dont la définition, la précision et la délimitation incombent aux législateurs nationaux, les institutions se contentant d’assumer les fonctions d’orientation et de promotion. Ainsi, l’article 14 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclame le droit de toute personne «à l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle» (paragraphe 1), qui comporte la «faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire» (paragraphe 2), ne renvoyant aux lois nationales qu’en ce qui concerne la réglementation de l’exercice de la liberté de créer des établissements d’enseignements, ainsi que du droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques (paragraphe 3) (57).
92. Il existe toutefois aussi des facettes accessoires, dont le lien avec les libertés et les principes de la Communauté est variable. Il en va ainsi des aides pour commencer ou continuer les études afin d’améliorer les techniques, les talents, les aptitudes à la réalisation d’une tâche, sans rapport direct avec le noyau dur précité. Dans ces cas, l’ordre juridique européen est plus présent.
93. Je ne partage pas l’affirmation du gouvernement autrichien, selon laquelle les bourses relèvent du contenu de l’enseignement, car ce dernier est constitué des programmes d’études, des disciplines enseignées, des thèmes traités, des connaissances imparties et des méthodes employées pour y parvenir. Elles ne dépendent pas non plus de l’organisation du système d’éducation, qui touche aux moyens matériels et humains, ainsi qu’à la répartition des tâches entre les uns et les autres, «la préservation ou l’amélioration» dudit système incombant aux États (58).
94. La Cour a inclus dans le champ d’application du traité les conditions d’accès à la formation professionnelle (59), qui comprend les enseignements supérieur et universitaire (60).
95. Les aides aux étudiants permettent de remédier aux obstacles, généralement économiques, qui empêchent de suivre une formation. Elles relèvent donc des «conditions d’accès», affirmation également valable lorsque l’objectif n’est pas de commencer, mais de continuer l’instruction.
96. Par conséquent, la réglementation des aides à la formation n’est pas exclusivement réservée aux législateurs nationaux, les règles communautaires l’imprégnant de leur philosophie d’intégration (61). Quand bien même cette réglementation entrerait dans la sphère des pouvoirs étatiques en matière d’enseignement, elle devrait respecter le droit communautaire (62), en garantissant ses principes fondamentaux, comme celui de la libre circulation.
C – L’incidence de la libre prestation de services
97. Les décisions de renvoi et les observations qui ont été présentées dans la procédure ont analysé les questions préjudicielles sous l’angle de la libre circulation des citoyens européens, se référant à la position des requérantes dans les litiges au principal. Je crois cependant qu’un autre facteur pourrait être pris en considération.
98. En effet, dans les affaires de Mmes Morgan et Bucher, les obstacles pour suivre des cours en dehors de leur pays d’origine, outre qu’ils limitent l’éventail de choix des étudiantes, ont une incidence sur les établissements, réduisant leurs possibilités d’attirer des étudiants étrangers.
99. Il se produit un phénomène analogue à celui du malade souhaitant recevoir un traitement dans une clinique étrangère. La Cour a réuni dans la libre prestation des services en matière de santé, d’une part, la liberté des destinataires de se rendre dans un autre État membre afin d’y recevoir les soins pertinents (63) et, d’autre part, les thérapies médicales rémunérées (64).
100. Bien que les prestations en matière d’éducation diffèrent de celles relatives aux soins, il est tout à fait possible de reproduire les arguments permettant l’application des articles 49 CE et suivants, sans que la nature particulière de telles prestations leur permette d’échapper aux règles du traité (65). Les universités offrant des connaissances en échange d’une rémunération, tout obstacle dans l’accès à leurs amphithéâtres doit être considéré comme une restriction à la liberté communautaire précitée.
101. La contrepartie est un élément indispensable du service au sens de l’article 50 CE et, dans le cas d’espèce, son existence ne ferait aucun doute, l’intéressé devant normalement payer des frais d’inscription ou des mensualités, car l’enseignement gratuit n’est généralement dispensé que dans les niveaux inférieurs. Des cas isolés doivent être considérés comme des exceptions et n’infirment pas ce qui a été exposé.
102. Par conséquent, l’article 49 CE pourrait être invoqué si les questions du juge de renvoi étaient examinées sous l’angle des établissements sollicités par les étudiants, sans préjudice de reconnaître aux intéressées, en tant que citoyennes communautaires, le droit à la libre circulation qui, selon la jurisprudence, s’applique à défaut des droits plus spécifiques des articles 39 CE, 43 CE et 49 CE (66).
103. Un examen des questions du Verwaltungsgericht Aachen sous l’angle de la libre prestation de services nécessiterait toutefois certaines données relatives aux établissements étrangers méconnues à l’heure actuelle (67).
VIII – L’examen des questions préjudicielles
A – La première question préjudicielle
104. Les explications précédentes montrent que Mmes Morgan et Bucher jouissent, comme n’importe quel autre citoyen de l’Union, de la liberté de se rendre de leur pays d’origine dans d’autres États membres à des fins d’éducation.
105. La première question préjudicielle, commune aux deux litiges au principal, souhaite une réponse sur le point de savoir si cette liberté s’oppose au refus d’accorder des aides à la formation dans un autre État membre, au motif que les études ne continuent pas celles suivies, pendant au moins un an, dans le pays d’origine (article 5, paragraphe 2, point 3, du BAföG). Il convient donc de déterminer s’il y a eu obstacle à la liberté fondamentale précitée, en analysant en outre, ainsi que je l’ai indiqué, si un tel obstacle est justifié et proportionné.
1. L’existence d’une restriction
106. Le BAföG n’empêche pas de se rendre dans d’autres États de l’Union pour obtenir une formation, mais conditionne l’aide à ce que la formation constitue la prolongation de celle suivie pendant une année dans un établissement allemand. Cette condition engendre deux inconvénients majeurs.
107. En premier lieu, elle ignore la disparité en matière d’éducation, découlant des compétences que les articles 149 CE et 150 CE réservent aux États, en ce sens que, faute d’harmonisation, les connaissances imparties ne sont pas les mêmes dans tous les établissements. La continuité requise limite le choix, car elle dissuade de commencer certaines formations dans le pays choisi. Les décisions de renvoi indiquent l’existence de spécialités sans équivalent en Allemagne, auquel cas l’intéressé doit choisir entre les études souhaitées ou l’aide (68), opinion également partagée par le gouvernement italien (69).
108. En second lieu, lors de l’année passée dans un établissement déterminé, l’étudiant noue des relations personnelles, matérielles et d’autre nature qui rendent le départ difficile, car la commodité conseille de rester là où l’on est installé et où une expérience a été commencée.
109. Comme l’observe le juge de renvoi, ces facteurs dissuadent de s’inscrire dans des universités d’autres États membres en vue de suivre une formation complète, en renonçant aux avantages financiers accordés à ceux qui, dans les mêmes conditions, restent dans le pays d’origine.
110. Il y a donc une restriction à la liberté des étudiants de se rendre dans des établissements hors du pays.
2. La justification et la proportionnalité de la restriction
111. Le Royaume des Pays-Bas et la République de Finlande affirment que, si une restriction aux droits de l’article 18 CE était constatée, elle aurait une finalité légitime, par exemple éviter une charge économique excessive, l’évaluation du caractère approprié ou non de la mesure incombant au juge national.
112. La Cour ne devrait pas accepter cette suggestion et dissocier l’analyse, car elle dispose de suffisamment d’éléments pour rédiger une solution complète, qui, en outre, évite des renvois ultérieurs (70).
113. Deux arguments essentiels ont été avancés pour justifier l’obstacle au financement de la formation dans des États de l’Union: d’une part, l’exigence d’un lien réel entre l’intéressé et son lieu d’origine; d’autre part, les insuffisances budgétaires.
114. La manière dont se manifeste l’exigence d’un lien entre l’intéressé et le pays qui accorde l’aide me surprend. Non parce que j’estime non souhaitable la preuve de l’enracinement, mais du fait de son évidence, car elle concerne les propres ressortissants, dont on exige un lien avec les programmes d’études, complètement étranger au territoire. Je suis d’accord avec la réflexion du Verwaltungsgericht Aachen, selon laquelle le degré d’intégration est démontré par le séjour habituel de l’étudiant dans l’État avant d’entamer la formation dans un autre État, où la résidence n’est transférée que pour la durée de l’enseignement (71).
115. Associer l’individu à l’État par le début des études engendre des conséquences plus préjudiciables pour la liberté fondamentale, car cela donne une trop grande importance à cette première phase et ne représente pas de manière appropriée le degré réel et effectif du lien ni, contrairement à ce que pense le gouvernement suédois, ne le renforce. Il existe d’autres solutions qui s’accordent mieux avec la liberté précitée, comme celle adoptée par la République de Finlande, qui exige que l’étudiant ait vécu dans le pays au moins deux ans dans les cinq années précédant le séjour à l’extérieur (72).
116. Quant aux justifications financières, le manque de fonds publics pour faire face aux intérêts collectifs est indubitable. L’exigence par l’État que les études en dehors du pays continuent celles suivies, pendant au moins un an, sur son territoire ne semble obéir à aucune barrière économique. Il conviendrait d’orienter les aides vers ceux qui montrent le plus grand mérite et la meilleure capacité, afin que les crédits budgétaires disponibles soient distribués aux plus aptes à profiter des possibilités offertes (73).
117. L’invocation des directives 93/96 et 2004/38 (74) est sans incidence sur cette argumentation, car elles régissent le séjour des étudiants dans le pays d’accueil, thème étranger aux litiges au principal, dans lesquels le débat ne porte pas sur l’entrée et le séjour dans un État autre que celui d’origine.
B – La seconde question préjudicielle
118. Dans le cas de Mme Bucher, la décision de renvoi ajoute une seconde question, relative à la compatibilité de la libre circulation avec le refus d’accorder des aides à des étudiants transfrontaliers au motif que leur résidence n’est pas le domicile habituel et qu’elle n’a été choisie qu’à des fins de formation (article 5, paragraphe 1, du BAföG).
119. La dérogation à la règle de l’année d’études précédente dans un établissement national est limitée aux étudiants ayant un domicile permanent près des frontières allemandes, ce qui porte atteinte à la libre circulation au détriment de ceux qui, pour assister avec plus d’assiduité aux cours du pays voisin, déménagent dans des localités adjacentes.
120. Je comprends, comme l’illustre le gouvernement allemand, que des considérations de politique régionale conseillent l’adoption de mesures compensant les préjudices causés aux citoyens qui, comme l’indique le gouvernement italien, vivent, parfois par hasard, à peu de distance d’un autre État et qui sentent que les frontières portent atteinte à leur possibilité de choisir des établissements proches de leur domicile. L’exclusion de toute autre catégorie de personnes ne saurait être admise.
121. Dans le litige au principal, le lien constitué par la résidence est suffisant. Je ne conteste pas la qualification du domicile de Mme Bucher à Düren, qui incombe au juge national, mais l’exigence que celui-ci soit «permanent». Je partage l’objection du Verwaltungsgericht Aachen, le domicile habituel de l’intéressée se trouvant en Allemagne (75), tant au début de ses études que durant toute la période de formation, démontrant le lien avec le système éducatif national.
122. Il existe d’autres moyens plus équitables et à la fois moins restrictifs de la libre circulation, comme celui consistant à moduler les aides en fonction des résultats obtenus par les étudiants.
IX – Corollaire
123. Je déduis de ce qui précède que la République fédérale d’Allemagne, comme tout autre État membre, n’a pas l’obligation communautaire d’accorder des aides à la formation en dehors du pays, car elle jouit d’un grand pouvoir discrétionnaire pour les octroyer et, si tel est le cas, pour fixer les conditions d’attribution. Toutefois, si elle les prévoit, elle doit respecter le droit de l’Union.
124. L’article 5, paragraphes 1 et 2, point 3, du BAföG régit de telles aides en les subordonnant, respectivement, à ce que la formation prolonge celle reçue pendant au moins un an dans un établissement allemand et à ce que seule la résidence permanente aux environs immédiats de la frontière soit valable, conditions qui non seulement portent atteinte à la libre circulation des étudiants, en les dissuadant d’exercer cette liberté, mais sont excessives par rapport aux objectifs visés.
125. Les observations faites dans les présentes procédures laissent apparaître une crainte quant aux conséquences qui découleraient de la thèse développée, car, comme l’avocat général Geelhoed l’expose fort justement dans les conclusions dans l’affaire Hartmann (76), «[t]oute décision de se rendre dans un autre État membre implique à la fois de subir certains désavantages et d’acquérir de nouveaux avantages du fait des différences entre les législations des États membres concernés […]. C’est au citoyen communautaire de peser les avantages et les inconvénients à l’heure de prendre sa décision, mais il ne devrait pas pouvoir espérer étendre ainsi ses droits à une prestation sociale, quelle qu’elle soit, pouvant être versée par son État membre d’origine pour différentes raisons de politique générale. […] cela dépend entièrement de la nature des prestations concernées. […] Il ne faudrait pas oublier que, en transférant sa résidence dans un autre État membre, d’autres formes de droits peuvent s’ouvrir dans l’État membre [et que], si les États membres sont tenus de ne pas imposer de restrictions à leurs ressortissants désirant transférer leur résidence dans un autre État membre, ils ne sont pas non plus tenus de leur octroyer une prime au départ» (point 86).
126. Toutefois, outre la configuration particulière des aides nationales à la formation dans les États membres, si la Cour assume le rôle de juge artiste que j’ai évoqué au début des présentes conclusions et, conformément aux considérations exposées, reconnaît la dimension européenne de telles aides, elle ne manquera pas d’éléments pour corriger et empêcher les éventuelles conséquences indésirables pouvant surgir.
127. En premier lieu, les réglementations nationales relatives à de telles aides contiennent elles-mêmes des limitations valables et proportionnées, portant sur des aspects économiques ou des résultats obtenus par les étudiants, prévoient des incompatibilités (77) et limitent l’enrichissement sans cause (78).
128. En second lieu, la jurisprudence de la Cour permet de moduler légitimement les mesures de promotion de la libre circulation des étudiants, ayant confirmé que l’ordre juridique communautaire ne couvre pas les abus en la matière (79).
X – Conclusion
129. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles du Verwaltungsgericht Aachen comme suit:
«La libre circulation de l’article 18 CE doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale sur des aides à la formation dans d’autres États de la Communauté européenne qui: a) subordonne ces dernières à ce que les études fassent suite à celles suivies, pendant au moins un an, dans un établissement du pays versant les aides; et b) refusent lesdites aides lorsque les étudiants séjournent dans les localités frontalières dudit pays à des fins de formation.»