CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NIILO JÄÄSKINEN
présentées le 15 juillet 2010 (1)
Affaire C‑147/08
Jürgen Römer
contre
Freie und Hansestadt Hamburg
[demande de décision préjudicielle formée par l’Arbeitsgericht Hamburg (Allemagne)]
«Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Article 141 CE – Directive 2000/78/CE – Champ d’application – Notion de ‘rémunération’ – Exclusions – Méthode de calcul d’une pension de retraite complémentaire moins favorable en l’absence de mariage – Partenariat de vie enregistré – Discrimination fondée sur l’orientation sexuelle»
I – Introduction
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
B – Le droit national
III – Le litige au principal
IV – Le renvoi préjudiciel
V – Analyse
A – Introduction
B – Sur le champ d’application matériel de la directive 2000/78
C – Sur l’existence d’une discrimination en raison de l’orientation sexuelle au sens de la directive 2000/78
D – Sur la violation de l’article 141 CE ou d’un principe général du droit de l’Union
E – Sur les aspects temporels de l’affaire
F – Sur la combinaison entre le principe de l’égalité de traitement et un objectif issu du droit national tel que la protection particulière du mariage et de la famille
VI – Conclusion
I – Introduction
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des principes généraux et des dispositions du droit de l’Union, tant primaire que dérivé, concernant la discrimination en raison de l’orientation sexuelle en matière d’emploi et de travail.
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Römer à la Freie und Hansestadt Hamburg (2) au sujet du refus de cette dernière de lui accorder le bénéfice d’une pension de retraite complémentaire d’un montant aussi élevé qu’il le demandait, sachant que le mode de calcul retenu par son ancien employeur était plus favorable pour les prestataires mariés que pour les prestataires qui, comme lui, vivent dans les liens d’un partenariat de vie enregistré conformément au droit allemand.
3. Le renvoi préjudiciel donne à la Cour l’opportunité de préciser, voire de compléter, la position qu’elle a prise dans l’arrêt Maruko (3), rendu en grande chambre le 1er avril 2008, qui portait sur le refus opposé à un homme ayant conclu un partenariat de vie enregistré dont le compagnon était décédé de bénéficier d’une pension versée au titre des prestations aux survivants prévues par le régime obligatoire de prévoyance professionnelle auquel son défunt partenaire était affilié. En outre, la Cour a la possibilité de s’exprimer sur la portée de sa jurisprudence concernant le droit à l’égalité de traitement qu’elle a développée, notamment, via les arrêts Mangold (4) et Kücükdeveci (5), dans un domaine parallèle à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, à savoir celui de la discrimination basée sur l’âge.
4. Dans la présente affaire, la Cour est notamment invitée à circonscrire le champ d’application matériel de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (6), à détailler les éléments constitutifs d’une discrimination directe ou indirecte en raison de l’orientation sexuelle, au sens de ce texte ou d’autres normes du droit de l’Union, ainsi qu’à définir les effets dans le temps des réponses qui seront données. Malheureusement, cette mission est rendue plus difficile à remplir par la Cour, s’agissant en particulier de l’appréhension du droit national, du fait que la République fédérale d’Allemagne s’est abstenue de présenter des observations sur les questions préjudicielles, tandis que le Land de Hambourg s’est contenté de déposer des écritures très sommaires dans le dossier ouvert devant la Cour.
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union (7)
1. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
5. L’article 21, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (8) est libellé de la façon suivante: «Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.»
2. Le traité CE
6. Le traité d’Amsterdam (9) a introduit une nouvelle rédaction de l’article 13, paragraphe 1, dans le traité CE, aux termes de laquelle «[s]ans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui‑ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle».
7. L’article 141 CE prévoit:
«1. Chaque État membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur.
2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimal, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.
L’égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique:
a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d’une même unité de mesure;
b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail. […]»
3. La directive 2000/78
8. Les treizième et vingt‑deuxième considérants de la directive 2000/78, qui a été adoptée sur le fondement de l’article 13 CE, énoncent:
«(13) La présente directive ne s’applique pas aux régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 141 du traité CE ni aux versements de toute nature effectués par l’État qui ont pour objectif l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi. […]
(22) La présente directive est sans préjudice des lois nationales relatives à l’état civil et des prestations qui en dépendent.»
9. L’article 1er de la même directive dispose:
«La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.»
10. Aux termes de l’article 2 de ladite directive:
«1. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.
2. Aux fins du paragraphe 1:
a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;
b) une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que:
i) cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires […]»
11. L’article 3 de la directive 2000/78 est libellé de la manière suivante:
«1. Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne: […]
c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération; […]
3. La présente directive ne s’applique pas aux versements de toute nature effectués par les régimes publics ou assimilés, y compris les régimes publics de sécurité sociale ou de protection sociale. […]»
12. Conformément à l’article 18, premier alinéa, de la directive 2000/78, les États membres devaient en principe adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle‑ci au plus tard le 2 décembre 2003 ou pouvaient confier aux partenaires sociaux la mise en œuvre de cette directive pour ce qui est des dispositions relevant des accords collectifs.
B – Le droit national
1. La Loi fondamentale
13. L’article 6, paragraphe 1, de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne (Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland, ci‑après la «Loi fondamentale») (10) dispose que «[l]e mariage et la famille sont placés sous la protection particulière de l’État».
2. La loi relative au partenariat de vie enregistré
14. L’article 1er de la loi relative au partenariat de vie enregistré (Gesetz über die Eingetragene Lebenspartnerschaft) du 16 février 2001 (11), dans sa version modifiée par la loi du 15 décembre 2004 (12) (ci‑après le «LPartG»), prévoit, s’agissant de la forme et des conditions d’établissement d’un tel partenariat:
«(1) Deux personnes de même sexe établissent un partenariat lorsqu’elles déclarent mutuellement, personnellement et en présence l’une de l’autre qu’elles souhaitent mener ensemble un partenariat pour la vie (partenaires de vie). Les déclarations ne peuvent être faites sous condition ou à terme. Les déclarations produisent leurs effets lorsqu’elles sont effectuées devant l’autorité compétente. […]»
15. L’article 2 du LPartG dispose:
«Les partenaires de vie se doivent mutuellement secours et assistance et s’obligent mutuellement à une communauté de vie. Ils assument des responsabilités l’un envers l’autre.»
16. Aux termes de l’article 5 de ladite loi:
«Les partenaires de vie sont mutuellement tenus de contribuer de manière adéquate aux besoins de la communauté partenariale par leur travail et leur patrimoine. Les articles 1360, deuxième phrase, 1360a et 1360b du code civil [Bürgerliches Gesetzbuch, ci-après le ‘BGB’] ainsi que l’article 16, alinéa 2, s’appliquent par analogie.»
17. L’article 11, paragraphe 1, de la même loi, relatif aux autres effets du partenariat de vie prévoit:
«Sauf disposition contraire, le partenaire de vie est considéré comme un membre de la famille de l’autre partenaire de vie.»
3. Les dispositions applicables dans le Land de Hambourg en matière de prévoyance
18. Le droit interne pertinent concernant le litige au principal est composé de deux actes législatifs qui ont été adoptés par le Land de Hambourg (13), à savoir la loi du 7 mars 1995 relative à l’assurance complémentaire (Hamburgisches Zusatzversorgungsgesetz, ci‑après le «HmbZVG») (14) et la loi relative aux pensions complémentaires de retraite et de survie des employés de la Freie und Hansestadt Hamburg (Erstes Ruhegeldgesetz der Freien und Hansestadt Hamburg, ci‑après le «premier RGG»)(15) dans sa version du 30 mai 1995, modifiée en dernier lieu le 2 juillet 2003.
4. Le HmbZVG
19. L’article 1er du HmbZVG indique que celui‑ci s’applique aux personnes employées par la Freie und Hansestadt Hamburg ainsi qu’à toute personne à laquelle la Freie und Hansestadt Hamburg doit verser une pension au sens de l’article 2 (titulaires de pensions). Selon cet article, la pension est octroyée sous la forme d’une pension de retraite (articles 3 à 10) ou de survie (articles 11 à 19). L’article 2 bis dispose que les employés participent aux dépenses de pension en versant une cotisation dont le taux initial s’élève à 1,25 %. Selon l’article 2 ter, l’obligation de cotisation commence à la date de la conclusion de la relation de travail et prend fin à la date de la cessation de cette dernière. L’article 2 quater énonce que la cotisation est calculée sur la base de la rémunération imposable perçue par l’employé et qu’elle est réglée au moyen d’une retenue sur la rémunération.
20. L’article 6 du HmbZVG prévoit que le montant mensuel de la retraite correspond pour chaque année pleine de la période d’emploi donnant droit à une retraite à 0,5 % des rémunérations entrant dans le calcul de la retraite (16).
21. Les rémunérations entrant dans le calcul de la retraite sont détaillées à l’article 7 du HmbZVG, tandis que les périodes d’emploi donnant droit à une retraite ainsi que celles étant exclues sont définies à l’article 8.
22. L’article 29 du HmbZVG porte sur les dispositions transitoires concernant les titulaires de pensions qui relevaient du premier RGG au sens de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième phrase. Le paragraphe 1 de l’article 29, lu en combinaison avec son paragraphe 5, énonce que ladite catégorie de titulaires de pensions continuent à percevoir, par dérogation notamment à l’article 6, paragraphes 1 et 2, une pension égale au montant dont ils bénéficiaient en juillet 2003 ou à celle à laquelle ils auraient eu droit, en vertu des paragraphes 2 et 4 du même article, en décembre 2003.
5. Le premier RGG
23. L’article 10, paragraphe 6, du premier RGG prévoit:
«(6) Le revenu net à prendre en compte aux fins du calcul de la pension est déterminé en déduisant des rémunérations entrant dans le calcul de la retraite (article 8)
1. le montant qui aurait dû être payé au titre de l’impôt sur les salaires [déduction faite de la partie reversée à l’Église (Kirchenlohnsteuer)] en application de la classe d’impôt III/0, dans le cas d’un prestataire marié non durablement séparé au jour où débute le versement de la pension de retraite (article 12, paragraphe 1), ou d’un prestataire qui, le même jour, peut prétendre bénéficier d’allocations familiales ou de prestations correspondantes,
2. le montant qui aurait dû être payé, le jour où débute le versement de la pension de retraite, au titre de l’impôt sur les salaires (déduction fait de la partie reversée à l’Église) en application de la classe d’impôt I, dans le cas des autres prestataires. […]»
24. Selon l’article 8, paragraphe 10, dernière phrase, du premier RGG, si les conditions prévues par l’article 10, paragraphe 6, point 1, du premier RGG ne sont réunies qu’après le début du versement de la pension de retraite, il convient, si l’intéressé le demande, d’appliquer à partir de cette date la classe d’impôt III/0.
25. Il convient d’ajouter que le montant à déduire au titre de la classe d’impôt III/0 est nettement inférieur à celui à déduire au titre de la classe d’impôt I.
III – Le litige au principal
26. Les parties s’opposent sur le montant de la pension à laquelle le requérant au principal, M. Römer, peut prétendre à compter de novembre 2001.
27. De 1950 jusqu’à la survenance de son incapacité de travail, le 31 mai 1990, M. Römer a travaillé pour la défenderesse au principal, la Freie und Hansestadt Hamburg, en qualité d’employé administratif. À compter de 1969, il a vécu de façon ininterrompue avec M. U. Le 15 octobre 2001, le requérant au principal et son compagnon ont, conformément au LPartG, conclu un partenariat de vie enregistré. M. Römer en a informé son employeur par une lettre du 16 octobre 2001. Par une nouvelle lettre, datée du 28 novembre 2001, il a demandé que soit recalculée la pension de retraite lui étant versée, en appliquant la retenue sur salaire plus avantageuse prévue par la classe d’impôt III, et ce avec effet à partir du 1er août 2001 selon les indications données par la juridiction de renvoi alors que le requérant au principal affirme dans ses observations avoir demandé cette augmentation de sa retraite seulement à partir du 1er novembre 2001.
28. Par lettre du 10 décembre 2001, la Freie und Hansestadt Hamburg a informé M. Römer qu’il ne pouvait pas bénéficier de l’application de la classe d’impôt III, à la place de la classe d’impôt I, aux motifs que aux termes de l’article 10, paragraphe 6, point 1, du premier RGG, seuls les prestataires mariés non durablement séparés et les prestataires ayant droit à des allocations familiales ou autre prestation correspondante pouvaient se voir appliquer la classe d’impôt III.
29. Conformément au «relevé des droits à la retraite» établi par la Freie und Hansestadt Hamburg le 2 septembre 2001, la pension de retraite versée mensuellement à M. Römer, à partir de septembre 2001, se chiffrait, en application de la classe d’impôt I, à 1 204,55 DEM (615,88 euros). Selon les calculs de l’intéressé, non contestés par son ancien employeur, cette pension de retraite mensuelle aurait été, en septembre 2001, supérieure de 590,87 DEM (302,11 euros) si la classe d’impôt III avait été appliquée.
30. Le litige a été porté devant l’Arbeitsgericht Hambourg (Allemagne). M. Römer estime qu’il a le droit d’être traité comme un prestataire marié non durablement séparé aux fins du calcul de sa pension sur le fondement de l’article 10, paragraphe 6, point 1, du premier RGG. Il fait valoir que le critère du «prestataire marié non durablement séparé», prévu par ladite disposition, doit être interprété en ce sens qu’il inclut les prestataires ayant conclu un partenariat de vie enregistré conformément au LPartG.
31. M. Römer considère que son droit à l’égalité de traitement avec les prestataires mariés non durablement séparés résulte, en toute hypothèse, de la directive 2000/78. Selon lui, la justification de la différence de traitement entre les prestataires mariés et ceux ayant conclu un partenariat, tirée de la capacité des conjoints à avoir des enfants, n’emporte pas la conviction étant donné que, même dans le cadre de partenariats de vie conclus entre des personnes de même sexe, les enfants conçus par l’un des partenaires sont élevés et peuvent être adoptés par un couple formé ayant conclu un partenariat de vie. Il avance également que, dès lors que ladite directive n’a pas été transposée en droit national dans le délai prévu par son article 18, paragraphe 2, c’est‑à‑dire au plus tard le 2 décembre 2003, elle s’applique directement à la défenderesse au principal.
32. La Freie und Hansestadt Hamburg conclut au rejet du recours. Elle fait valoir que le terme «marié» au sens de l’article 10, paragraphe 6, point 1, du premier RGG ne saurait être interprété dans le sens demandé par M. Römer. Elle invoque, pour l’essentiel, que l’article 6, paragraphe 1, de la Loi fondamentale place le mariage et la famille sous la protection spéciale de l’ordre public parce qu’ils constitueraient depuis très longtemps l’unité de base de la communauté nationale et que, pour ce motif, le mariage sans enfant – que cela soit délibéré ou non – serait également protégé, car il permettrait l’équilibre des sexes au premier niveau de la communauté nationale. En outre, d’après elle, le mariage serait en général le préalable à la fondation d’une famille, dans la mesure où, en tant que forme la plus courante de communauté entre homme et femme reconnue par le droit, il constituerait le cadre pour la naissance des enfants, et donc la transformation du couple marié en famille.
33. Toujours selon la Freie und Hansestadt Hamburg, il existerait un parallèle entre la question de l’imposition commune et celle de la possibilité d’appliquer d’une manière fictive la classe d’impôt III au calcul des pensions versées au titre du premier RGG. Elle fait valoir que les ressources financières dont les intéressés disposeront mensuellement pour assurer les besoins de la vie courante sont déterminées tant par l’imposition commune pendant la période d’activité professionnelle que par l’application fictive de la classe d’impôt III pour le calcul des pensions. L’avantage octroyé aux personnes ayant fondé une famille, ou qui auraient pu le faire, aurait pour objectif de compenser la charge financière supplémentaire impliquée.
IV – Le renvoi préjudiciel
34. Par ordonnance déposée le 10 avril 2008 (17), l’Arbeitsgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes (18):
«1) Les pensions complémentaires versées aux anciens employés de la Freie und Hansestadt Hamburg […] et à leurs survivants, régies par le [premier RGG], constituent‑elles des ‘versements […] effectués par les régimes publics ou assimilés, y compris les régimes publics de sécurité sociale ou de protection sociale’, au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la [directive 2000/78], de sorte que ladite directive ne trouve pas à s’appliquer au domaine couvert par le premier RGG?
2) S’il est répondu par la négative à la précédente question:
a) Les dispositions du premier RGG, qui distinguent, aux fins de déterminer le montant des pensions, entre les prestataires mariés et les autres prestataires, et avantagent les premiers – par rapport aux personnes ayant conclu un partenariat de vie enregistré avec une personne de même sexe […] en vertu de la loi de la République fédérale d’Allemagne relative au partenariat de vie enregistré (Lebenspartnerschaftsgesetz) – constituent‑elles des ‘lois nationales relatives à l’état civil [ou] des prestations qui en dépendent’, au sens du vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78?
b) S’il est répondu par l’affirmative à la précédente question: Cela entraîne‑t‑il l’inapplicabilité de la directive 2000/78 aux dispositions précitées du premier RGG bien que ladite directive ne comporte en elle‑même aucune limitation de son champ d’application correspondant au vingt‑deuxième considérant?
3) S’il est répondu par la négative à la première partie de la deuxième question ou à la seconde partie de la deuxième question: L’article 10, paragraphe 6, du premier RGG, aux termes duquel les pensions versées aux prestataires mariés non durablement séparés sont réputées relever de la classe d’impôt III/0 (avantageuse pour le contribuable), les pensions de tous les autres prestataires étant réputées relever de la classe d’impôt I (désavantageuse pour le contribuable), viole‑t‑il les dispositions combinées des articles 1er, 2, et 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, dans le cas d’un prestataire ayant conclu un partenariat avec une personne de même sexe et n’étant pas durablement séparé de celle‑ci?
4) S’il est répondu par l’affirmative à la première question ou à la seconde partie de la deuxième question, ou s’il est répondu par la négative à la troisième question: L’article 10, paragraphe 6, du premier RGG viole‑t‑il, eu égard aux règles mentionnées dans la question 3, ou à leurs conséquences sur le plan juridique, l’article 141 CE ou un principe général du droit communautaire?
5) S’il est répondu par l’affirmative à la troisième question ou à la quatrième question: Cela a‑t‑il pour conséquence que, aussi longtemps que l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG n’est pas modifié de manière à remédier à l’inégalité de traitement invoquée, le prestataire non durablement séparé et ayant conclu un partenariat de vie enregistré peut exiger d’être traité, aux fins du calcul de sa pension, comme un prestataire marié non durablement séparé? Si tel est le cas, cela vaut‑il également – pour autant que la directive 2000/78 soit applicable et qu’une réponse positive soit apportée à la question 3 – dès avant l’expiration du délai de mise en œuvre prévu par l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2000/78?
6) S’il est répondu par l’affirmative à la cinquième question: Cela ne vaut‑il, conformément aux motifs de l’arrêt du 17 mai 1990, Barber (C‑262/88, Rec. p. I‑1889), qu’avec la réserve que l’égalité de traitement aux fins du calcul de la pension ne s’applique qu’aux droits acquis par le prestataire à partir du 17 mai 1990?»
35. Par ordonnance datée du 23 janvier 2009, l’Arbeitsgericht Hamburg a décidé de compléter sa demande initiale de décision préjudicielle en y adjoignant une série de questions qui sont libellées comme suit:
«7) Si la Cour de justice devait conclure à l’existence d’une discrimination directe:
a) Quelle importance faut‑il accorder au fait que tant la Loi fondamentale [...] que le droit communautaire imposent, d’un côté, de respecter le principe d’égalité de traitement, mais que, de l’autre, le droit de la République fédérale d’Allemagne prévoit que le mariage et la famille sont placés sous la protection spéciale de l’État, en vertu de la valeur juridique constitutionnelle qui leur est expressément reconnue par l’article 6, paragraphe 1, de la Loi fondamentale?
b) Une disposition légale directement discriminatoire peut‑elle se justifier en dépit des termes de la directive [2000/78], au motif qu’elle sert un autre objectif relevant du droit interne de l’État membre mais pas du droit communautaire? Dans un tel cas, l’autre objectif poursuivi par le droit de l’État membre peut‑il primer tout simplement le principe de l’égalité de traitement?
En cas de réponse négative à la question précédente:
c) Sur la base de quel critère juridique peut‑on décider comment, dans un tel cas, l’équilibre entre le principe communautaire d’égalité de traitement et l’autre objectif juridique du droit interne de l’État membre doit être assuré? Les conditions énoncées à l’article 2, paragraphe 2, sous b) [(19)], i), de la directive [2000/78] en matière d’admission des discriminations indirectes, à savoir que la réglementation discriminatoire doit être objectivement justifiée par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif doivent être appropriés et nécessaires, valent‑elles aussi à cet égard?
d) Une réglementation telle que l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG répond‑elle aux conditions de légalité posées par le droit communautaire, définies dans la réponse à la question précédente? Remplit‑elle ces conditions du seul fait de la disposition particulière du droit national qui n’a pas d’équivalent en droit communautaire, à savoir l’article 6, paragraphe 1, de la Loi fondamentale?»
V – Analyse
A – Introduction
36. Malgré leur apparente complexité, tenant à un libellé détaillé et à une articulation en cascade, il me semble que les diverses questions préjudicielles qui sont soumises à l’examen de la Cour peuvent, en substance, se rattacher à cinq problématiques d’ordre général.
37. Premièrement, la juridiction de renvoi souhaite savoir si le régime des pensions complémentaires versées par la Freie und Hansestadt Hamburg relève ratione materiæ de la directive 2000/78, et ce sous deux angles différents. Elle s’interroge, tout d’abord, sur la portée de l’exclusion des versements effectués par les régimes publics ou assimilés qui est prévue dans ce texte et, ensuite, sur la démarcation à tracer entre la compétence des États membres en matière d’état civil et la mise en œuvre des normes du droit de l’Union relatives à la non‑discrimination en raison de l’orientation sexuelle.
38. Deuxièmement, au cas où la directive 2000/78 serait effectivement applicable à l’égard de l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG, la juridiction de renvoi demande à être guidée dans l’évaluation de l’existence d’une discrimination directe ou indirecte au regard des dispositions de ladite directive.
39. Troisièmement, dans le cas contraire, elle requiert, à titre subsidiaire, une clarification en ce qui concerne l’impact, sur le litige au principal, de l’article 141 CE et des principes généraux du droit de l’Union.
40. Quatrièmement, la juridiction a quo s’interroge sur les effets ratione temporis, d’une part, des normes du droit de l’Union qu’elle a visées ainsi que, d’autre part, de l’arrêt qui sera rendu par la Cour.
41. Cinquièmement, elle invite la Cour à définir les règles permettant de trancher un conflit entre les orientations données par une règle constitutionnelle qui est présente dans l’ordre juridique national et les exigences découlant du principe de l’égalité de traitement tenant à l’orientation sexuelle qui est applicable en vertu du droit de l’Union.
42. À mes yeux, c’est sans doute le troisième de ces volets qui suscite le plus de difficultés d’interprétation, à défaut d’une jurisprudence établie sur le point de savoir s’il existe un principe général du droit de l’Union dans le domaine concerné.
43. Dans le cadre de ses conclusions portant sur l’affaire Maruko, précitée, l’avocat général Ruiz‑Jarabo Colomer, a expliqué de façon approfondie les évolutions juridiques qui ont présidé à la reconnaissance du droit à l’égalité de traitement pour les personnes d’orientation homosexuelle, au sens du droit de l’Union (20).
44. L’arrêt que la Cour a rendu dans ladite affaire a dit pour droit que les dispositions combinées des articles 1er et 2 de la directive 2000/78 s’opposaient à une réglementation telle que celle qui était en cause au principal en vertu de laquelle, après le décès de son partenaire de vie, le partenaire survivant ne percevait pas une prestation de survie équivalente à celle octroyée à un époux survivant, alors que, en droit national, le partenariat de vie aurait placé les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux pour ce qui concerne ladite prestation de survie, étant précisé qu’il incombait à la juridiction de renvoi de vérifier si un partenaire de vie survivant était dans une situation comparable à celle d’un époux bénéficiaire de la prestation en cause (21).
45. Le dossier de la présente affaire montre que les juridictions allemandes ont retenu des interprétations différentes s’agissant de l’application des critères de la comparabilité prévus par la Cour. En particulier, s’est posée la question de savoir s’il s’agit de rechercher une identité abstraite entre les institutions juridiques ou plutôt une similarité suffisante entre les situations juridiques et factuelles dans lesquelles se trouvent les personnes concernées.
46. La jurisprudence développée par la Cour concernant la non‑discrimination en raison de l’âge conduit aussi à s’interroger sur le point de savoir si la non‑discrimination en raison de l’orientation sexuelle a ou non le statut d’un principe général du droit de l’Union. Une réponse affirmative à cette question aurait une influence sur les aspects temporels de cette affaire. Une réponse négative demanderait une explication concernant la raison pour laquelle l’interdiction de la discrimination en raison dudit critère aurait un statut normatif plus faible que celle relative aux autres motifs prohibés par l’article 13 CE et par la Charte des droits fondamentaux.
B – Sur le champ d’application matériel de la directive 2000/78
47. Les deux premières questions préjudicielles étant relatives au champ d’application ratione materiæ de la directive 2000/78, il convient de les examiner conjointement. La juridiction de renvoi rappelle que pour qu’il y ait violation de ladite directive, il faudrait au préalable que celle‑ci soit applicable en l’espèce, ce qui pourrait, selon elle, être contesté pour deux motifs: d’une part, sur le fondement de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/78 et, d’autre part, sur le fondement de son vingt‑deuxième considérant.
1. Sur l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/78
48. Il ressort de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78 qu’elle s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne, notamment, les conditions de rémunération.
49. La première question tend à déterminer si ladite directive trouve à s’appliquer au domaine couvert par le premier RGG, qui régit les pensions complémentaires versées aux anciens employés de la Freie und Hansestadt Hamburg et à leurs survivants, bien que l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/78 exclue les «versements de toute nature effectués par les régimes publics ou assimilés, y compris les régimes publics de sécurité sociale ou de protection sociale» (22).
50. Cette exclusion est annoncée en des termes similaires au treizième considérant de ladite directive, qui prévoit que celle‑ci «ne s’applique pas aux régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 141 du traité CE» (23).
51. L’appréciation de la portée de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/78 a posé des problèmes d’application uniforme au sein des systèmes juridiques nationaux, étant observé que les termes qui sont employés varient d’une version linguistique à l’autre. En Allemagne, les juridictions nationales ont adopté des positions divergentes concernant l’interprétation, plus ou moins restrictive, de cette disposition. L’éventuelle exclusion des pensions de survie du champ d’application de la directive 2000/78 a particulièrement divisé les juridictions allemandes (24).
52. D’emblée, je relève que plusieurs arrêts de la Cour, en particulier l’arrêt Maruko (25), apportent des éléments utiles pour interpréter l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/78, et ce dans le sens d’une applicabilité de ladite directive en l’espèce. À l’instar du requérant au principal et de la Commission, je ne doute nullement que ce texte s’applique aux pensions de retraite fournies, sur la base du premier RGG, aux anciens employés de la Freie und Hansestadt Hamburg et à leurs ayants droit.
53. La Cour a affirmé que le champ d’application de la directive 2000/78 doit s’entendre, à la lumière des paragraphes 1, sous c), et 3 de l’article 3, lus en combinaison avec le treizième considérant de celle‑ci, comme ne couvrant pas les régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 141 CE, ni aux versements de toute nature effectués par l’État qui ont pour objectif l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi. A contrario, si une prestation telle que celle en cause au principal peut être assimilée à une «rémunération» au sens de l’article 141 CE, elle relèvera des dispositions de la directive 2000/78.
54. Or, la notion de «rémunération» contenue dans l’article 141, paragraphe 2, CE est conçue de façon très large par la Cour (26). Cette notion comprend, en particulier, les pensions de toutes sortes qui sont versées à titre professionnel, par opposition à celles qui résultent d’un régime d’origine légale et ayant un caractère général (27). Selon une jurisprudence bien établie (28), la circonstance que certaines prestations, comme les pensions de retraite, sont versées après la cessation de la relation d’emploi n’exclut pas qu’elles puissent avoir un caractère de «rémunération» au sens de l’article 141 CE (29).
55. Pour déterminer si une pension peut être qualifiée de rémunération, la Cour a retenu que le seul critère susceptible de revêtir un caractère déterminant est celui de l’emploi, critère tiré du libellé même de l’article 119 du traité (devenu article 141 CE), ce qui implique de constater que l’avantage est alloué au travailleur en raison de la relation de travail qui l’unit à son ancien employeur (30).
56. Toutefois, il est constant que le critère de l’emploi ne saurait avoir un caractère exclusif, puisque les pensions versées par des régimes légaux de sécurité sociale peuvent, en tout ou en partie, tenir compte de la rémunération d’activité (31). La Cour a donc ajouté d’autres éléments dont il faut tenir compte pour qualifier de «rémunération» une pension prévue par un régime professionnel de retraite. Il convient d’examiner, d’une part, si elle n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs, d’autre part, si elle est directement fonction du temps de service accompli et, enfin, si son montant est calculé sur la base du dernier (32) traitement.
57. En l’espèce (33), il ressort de l’article 1er du HmbZVG que les prestations en cause au principal vérifient le premier de ces trois critères, dès lors que les pensions de retraite complémentaire fournies par la Freie und Hansestadt Hamburg concernent seulement une catégorie particulière de travailleurs.
58. En effet, lesdites pensions sont versées en complément des prestations du régime légal général de sécurité sociale, qui est qualifié par la juridiction de renvoi de «premier pilier» du système des retraites en Allemagne, et elles se différencient des prestations résultant de l’assurance privée, qui représente le «troisième pilier».
59. Selon la juridiction de renvoi, le «deuxième pilier» est constitué par l’assurance vieillesse professionnelle accordée, directement ou indirectement, par l’ancien employeur privé ou public. Le régime légal d’assurance vieillesse professionnelle des anciens employés de la Freie und Hansestadt Hamburg relève de cette catégorie. Il est réservé aux employés ayant appartenu, pendant leur vie active, au secteur public, sans toutefois disposer du statut de fonctionnaire, en travaillant pour la Freie und Hansestadt Hamburg dans le cadre d’un contrat de travail de droit civil.
60. D’après les indications données par la Commission, ledit régime est financé par les travailleurs et par l’employeur, qui, certes, est un organe public, mais qui, en l’occurrence, n’intervient qu’en qualité d’employeur de droit privé.
61. S’agissant du deuxième critère pertinent , selon lequel la pension doit être directement fonction du temps de service accompli, l’article 6 du HmbZVG prévoit que le mode de calcul dépend de la période d’emploi. Les périodes d’emploi donnant droit à la pension complémentaire («Ruhegeldfähige Beschäftigungszeit») sont définies à l’article 8 de ladite loi.
62. S’agissant du troisième critère, qui consiste à déterminer si le montant de la pension est calculé sur la base du dernier traitement de l’employé, il résulte de ce même article 6 du HmbZVG que le montant mensuel de la pension de retraite n’est pas fixé par la loi, mais correspond, pour chaque année pleine de la période d’emploi donnant droit à une retraite, à 0,5 % des rémunérations entrant dans le calcul de la retraite, conformément à l’article 7 qui détermine ces traitements («Ruhegäldfähige Bezüge») d’une façon assez détaillée.
63. Il en découle que les trois critères caractérisant la relation d’emploi, donnée que la Cour a considérée comme jouant un rôle décisif aux fins d’attribuer la qualification de rémunération au sens de l’article 141 CE, apparaissent réunis s’agissant des prestations en cause au principal.
64. La juridiction de renvoi semble surtout gênée par l’interprétation de la notion de «régimes publics ou assimilés» contenue dans l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/78. Elle s’interroge sur le point de savoir si, en dépit d’une qualification de «rémunération» au sens large qui serait retenue pour les pensions versées au requérant au principal en vertu du premier RGG, ladite directive ne s’appliquerait néanmoins pas, étant donné que ces prestations constitueraient des versements effectués par un régime public ou assimilé au sens de cet article. Elle met en exergue que dans l’hypothèse où la Cour répondrait par l’affirmative à cette interrogation, la première partie du treizième considérant de la directive 2000/78 serait clairement trompeuse et, en substance, dépourvue de portée.
65. À mon avis, les «régimes publics ou assimilés» autres que ceux relevant de la sécurité sociale ou de la protection sociale qui restent en dehors du champ d’application de la directive 2000/78 peuvent être des régimes publics spéciaux qui ne se sont pas liés à une relation de travail, telles que, par exemple, les prestations fournies par l’État aux personnes ayant été handicapées pendant un service militaire ou civil obligatoire, aux anciens combattants ou invalides de guerre, aux victimes de guerres ou de persécutions, aux artistes éminents, etc. Comme des régimes de ce type, à caractère public ou assimilé, existent dans les États membres, la locution inclusive «y compris», qui figure à l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/78, n’est pas sans objet.
66. La jurisprudence de la Cour permet de considérer que la qualification de ce régime de pension professionnel ne saurait être remise en cause ni par le fait que la Freie und Hansestadt Hamburg a la qualité de personne morale de droit public, ni par le caractère obligatoire de l’affiliation au régime donnant droit à la pension de retraite en cause au principal (34). Puisque le triple critère ci‑dessus examiné se vérifie en l’espèce, la pension versée par l’employeur public ne se distingue pas de celle que verserait un employeur privé à ses anciens salariés.
67. La Cour a décidé que la constatation qu’un régime de pensions est prévu par la loi ne suffit pas en soi à le faire relever des catégories «sécurité sociale» ou «protection sociale» et donc à exclure un tel régime du champ d’application de l’article 119 du traité (devenu article 141 CE) (35). En outre, les éléments structurels du système de prestations ne sont pas considérés comme jouant un rôle décisif, contrairement à l’existence d’un lien entre la relation de travail et la prestation concernée (36).
68. Dès lors que la pension de retraite complémentaire en cause au principal est fonction, pour l’essentiel, de la relation de travail ayant existé entre M. Römer et la Freie und Hansestadt Hamburg, elle constitue une «rémunération» au sens de l’article 141 CE et elle ne relève pas de la dérogation prévue à l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/78.
2. Sur le vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78
69. À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où il serait répondu par la négative à sa précédente question, ce qui m’apparaît devoir être le cas, l’Arbeitsgericht Hamburg demande, d’une part, si les dispositions du premier RGG qui distinguent, aux fins de déterminer le montant des pensions de retraite, entre les prestataires mariés et les autres, et qui avantagent les premiers, relèvent de la réserve mentionnée au vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78 et, d’autre part, s’il faudrait en ce cas laisser cette dernière inappliquée bien qu’aucune disposition de sa partie normative ne contienne de limitation du champ d’application de la directive qui corresponde explicitement audit considérant.
70. Il convient de rappeler que le vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78 indique que celle‑ci «est sans préjudice des lois nationales relatives à l’état civil et des prestations qui en dépendent».
71. La Commission approuve le point de vue de la juridiction de renvoi selon lequel l’article 10, paragraphe 6, point 1, du premier RGG n’est pas une loi nationale relative à l’état civil. En effet, comme l’une et l’autre le relèvent, cet article ne contient aucune disposition relative au mariage en tant que tel, mais exige que l’état civil du prestataire soit celui d’une personne mariée, en faisant ainsi de cet état une condition préalable au bénéfice du calcul plus avantageux de la pension qu’il prévoit. Dès lors, ledit article peut tout au plus constituer une disposition relative à une prestation qui dépend de l’état civil au sens du vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78.
72. L’Arbeitsgericht Hamburg précise qu’il pose cette question car deux des juridictions supérieures de la République fédérale d’Allemagne (37) ont retenu comme évidente une conception extensive de la portée du vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78 en excluant du champ d’application de celle-ci des dispositions qui fixent le calcul d’une rémunération, au sens large, en fonction de l’état civil, comme c’est le cas de l’article 10, paragraphe 6, point 1, du premier RGG.
73. Je suis du même avis que la Commission en ce qu’elle estime que le vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78 ne fait que reprendre la limitation, qui va de soi, du champ d’application prévue à l’article 3, paragraphe 1, in limine, aux termes duquel ladite directive ne s’applique que «[d]ans les limites des compétences conférées à la Communauté». En effet, l’Union européenne ne dispose d’aucune compétence pour légiférer en ce qui concerne «l’état civil et [les] prestations qui en dépendent».
74. Dans l’arrêt Maruko (38), la Cour a pris position sur une question similaire en indiquant que, certes, l’état civil et les prestations qui en découlent, au sens du vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78, sont des matières relevant de la compétence des États membres et le droit communautaire ne porte pas atteinte à cette compétence. Elle a rappelé que, toutefois, les États membres doivent, dans l’exercice de ladite compétence, respecter le droit communautaire, notamment les dispositions relatives au principe de non‑discrimination.
75. À mon avis, il serait utile de préciser cette constatation en indiquant que la compétence laissée aux États membres dans le domaine de l’état civil signifie que la réglementation du mariage ou de toute autre forme d’union juridiquement reconnue entre des personnes de même sexe comme de sexe opposé, ainsi que le statut juridique des enfants et des autres membres de la famille au sens large, est réservée aux États membres.
76. Ce sont ces derniers qui doivent seuls décider si leur ordre juridique national admet ou non une forme quelconque de lien juridique qui est accessible aux couples homosexuels, ou encore si l’institution du mariage est ou non réservée uniquement aux couples de sexes opposés. Selon moi, un cas de figure dans lequel un État membre n’admettrait aucune forme d’union légalement reconnue qui soit ouverte aux personnes de même sexe pourrait être considéré comme constituant une discrimination liée à l’orientation sexuelle, parce qu’il est possible de faire dériver du principe d’égalité, combiné avec le devoir de respecter la dignité humaine des personnes homosexuelles (39), une obligation de reconnaître à celles‑ci la faculté de vivre une relation affective durable dans le cadre d’un engagement juridiquement consacré (40). Toutefois, cette problématique, qui concerne la réglementation de l’état civil, demeure à mon avis en dehors de la sphère d’intervention du droit de l’Union.
77. À l’inverse, dans les matières relevant du champ d’application du droit de l’Union, telles que l’exercice des libertés fondamentales ou les conditions de traitement des travailleurs dans leur vie professionnelle, un État membre ne saurait justifier la violation de ce droit en invoquant le contenu de règles nationales relatives à l’état civil.
78. Il convient de dire, de même que la Cour l’a fait dans le cadre de l’affaire Maruko, précitée, que dès lors qu’une prestation telle que celle en cause au principal a été qualifiée de «rémunération» au sens de l’article 141 CE et qu’elle entre dans le champ d’application de la directive 2000/78, pour les raisons données au titre de la réponse à la première question posée en l’espèce, le vingt‑deuxième considérant de ladite directive ne saurait être de nature à remettre en cause l’application de celle‑ci.
79. L’interprétation ainsi donnée par la Cour du vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78 me paraît de nature à éviter les divergences dans la jurisprudence nationale relevées par la juridiction de renvoi et propre à garantir une application uniforme de ce texte. En tout cas, ledit considérant qui est dépourvu de toute force contraignante autonome, pour les raisons déjà exposées par l’avocat général Ruiz‑Jarabo Colomer (41), ne devrait plus être utilisé comme permettant à lui seul d’exclure un contrôle de la conformité à la directive 2000/78 de dispositions de droit interne prévoyant que les époux ont des avantages plus larges que ceux accordés aux partenaires enregistrés. Effectivement, le vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78 se borne à rappeler la limitation, dérivée de l’article 13, paragraphe 1, CE, au demeurant évidente, de l’application de celle‑ci aux «compétences conférées à la Communauté», conformément aux termes de l’article 3, paragraphe 1 in limine, de ladite directive.
80. En tout état de cause, je rappelle que lorsqu’ils agissent dans la sphère de compétences qui leur est réservée, les États membres ne peuvent s’exonérer de l’obligation générale qui pèse sur eux de respecter le droit de l’Union, ce qui inclut le respect des normes relatives au principe de non‑discrimination.
81. Il en résulte que contrairement à ce qui a pu être estimé dans la jurisprudence nationale, le vingt‑deuxième considérant de la directive 2000/78 ne saurait conduire à remettre en cause l’application de celle‑ci à des dispositions, telles que celles du premier RGG, qui sont relatives au calcul d’une rémunération, au sens large, et qui retiennent comme facteur déterminant un état civil précis, à savoir celui de personne mariée.
82. Pour conclure, je suis d’avis qu’il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que les pensions complémentaires versées aux anciens employés de la Freie und Hansestadt Hamburg et à leurs survivants, qui sont régies par le premier RGG lu en combinaison avec le HmbZVG, entrent dans le champ d’application matériel de la directive 2000/78 et que ces dispositions internes doivent donc être examinées à l’aune des exigences posées par celle‑ci.
C – Sur l’existence d’une discrimination en raison de l’orientation sexuelle au sens de la directive 2000/78
83. La troisième question est posée dans l’hypothèse où il résulterait des réponses apportées aux questions précédentes que, comme je le considère, la directive 2000/78 est applicable à l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG, aux termes duquel, en substance, les pensions versées aux prestataires mariés sont plus avantageuses que celles versées dans le cas d’un prestataire ayant conclu un partenariat avec une personne de même sexe. La juridiction de renvoi demande si ce texte est incompatible avec les dispositions combinées des articles 1er, 2, et 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, en ce qu’il discriminerait le requérant au principal en raison de son orientation sexuelle, de façon directe ou seulement de façon indirecte (42).
1. Sur la discrimination directe
84. La juridiction a quo précise qu’elle incline à penser que l’article 10, paragraphe 6, point 1, du premier RGG est directement discriminatoire. Elle met en exergue que le mariage, pour les personnes d’orientation hétérosexuelle, et le partenariat de vie, pour les personnes d’orientation homosexuelle, représentent respectivement la forme de communauté de vie prévue en droit ou l’état civil le plus courant, même s’il ne saurait être exclu qu’en dépit de son orientation homosexuelle, une personne décide de se marier avec une personne appartenant au sexe opposé. Il convient de souligner que, selon les indications données dans la décision de renvoi, le fait que seules deux personnes de sexe différent puissent se marier ensemble n’est pas explicitement précisé par le BGB, mais est en pratique considéré comme un préalable nécessaire. En revanche, il résulte de l’article 1er, paragraphe 1, du LPartG que seules deux personnes de même sexe peuvent conclure un partenariat de vie au sens de ladite loi.
85. La Freie und Hansestadt Hamburg affirme que la réglementation litigieuse, qui prévoit un droit au régime complémentaire pour tout partenaire en fonction de la classe d’imposition I et non III/0, n’engendre pas de différence de traitement fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle.
86. M. Römer met en exergue que dans l’arrêt Maruko, précité, la Cour a certes laissé à la juridiction de renvoi le soin de vérifier s’il existait une «situation comparable», mais qu’elle a toutefois fixé des critères matériels clairs à cette fin. Il rappelle d’abord que, conformément à la directive 2000/78, la Cour n’exige pas une identité de nature au sens d’une assimilation maximale, mais seulement un caractère comparable. Il ajoute que celui‑ci doit être vérifié en mettant en balance non pas les institutions juridiques, d’une façon abstraite, mais les deux catégories de personnes concernées, et ce au regard de la prestation sociale qui est en cause, d’une façon concrète. Contrairement à la jurisprudence de juridictions supérieures allemandes qui, selon lui, ont mal compris la directive 2000/78 ainsi que les éléments d’interprétation donnés dans l’arrêt Maruko, il faudrait donc en l’occurrence comparer, d’une part, un ancien employé de la Freie und Hansestadt Hamburg vivant avec son compagnon sous le régime du partenariat de vie enregistré et, d’autre part, un ancien employé de la Freie und Hansestadt Hamburg vivant avec son époux ou épouse sous le régime du mariage. M. Römer soutient principalement que afin d’assurer le recours effectif contre la discrimination que ladite directive entend garantir, la Cour devrait énoncer plus explicitement les critères matériels que les juridictions nationales doivent appliquer lorsqu’elles procèdent à la comparaison.
87. La Commission estime, comme l’Arbeitsgericht Hamburg, qu’en l’espèce, les partenaires de vie sont traités moins favorablement que les époux s’agissant de leurs retraites, sans qu’une raison valable puisse expliquer cette inégalité de traitement. Elle fait valoir qu’en particulier, la circonstance que des époux aient éventuellement la charge d’enfants à éduquer ne saurait justifier une telle différenciation car l’article 10, paragraphe 6, point 1, du premier RGG avantage tous les prestataires mariés non durablement séparés, indépendamment de l’existence d’une descendance. La Commission partage aussi l’avis de la juridiction de renvoi selon lequel aucune preuve empirique ne confirme que les prestataires mariés auraient un besoin de soutien accru par rapport aux prestataires ayant conclu un partenariat de vie, au vu de la situation de pension de leur partenaire respectif. Elle ajoute qu’en tout cas, le texte en question ne serait pas propre à atteindre l’objectif ainsi envisagé puisqu’il ne prend pas en compte l’existence d’un enfant né du prestataire et de son époux ou épouse, et n’érige même pas cet élément en condition. La Commission considère que, contrairement à la voie suivie dans l’arrêt Maruko, précité, il serait ici superflu de laisser à la juridiction a quo le soin de décider si un époux et un partenaire de vie sont dans des situations comparables quant à la prestation concernée, aux motifs que, dans sa décision de renvoi, la juridiction a déjà effectué les examens nécessaires quant au statut juridique de ce dernier et tiré les conclusions utiles à cet égard. Elle propose qu’il soit décidé qu’une réglementation telle que celle en cause au principal constitue une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle.
88. Il résulte du libellé de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 que l’existence d’une discrimination directe, au sens de ce texte, est fonction du caractère comparable des situations mises en balance. Les critères sur la base desquels la recherche d’une telle comparabilité doit être effectuée sont donc déterminants. La Cour se doit de donner une réponse conciliant plusieurs impératifs, à savoir non seulement fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments lui permettant de trancher le litige au principal, tout en veillant à ne pas empiéter sur les attributions des juges nationaux, mais également assurer le plein effet du droit de l’Union, tout en respectant les sphères de compétence exclusive des États membres, notamment en matière d’état civil.
89. À titre liminaire, je relève que dans la grande majorité des États membres, le mariage est une union entre un homme et une femme. L’accès à un partenariat enregistré ou une forme de lien juridique similaire peut être restreint aux couples de même sexe ou ouvert aussi aux couples de sexes différents, comme c’est le cas du pacte civil de solidarité en droit français. Le lien entre l’homosexualité et la forme de l’union entre deux personnes n’est pas automatique. En effet, il ne saurait être exclu qu’une personne d’orientation homosexuelle fasse le choix social de se marier avec une personne de sexe opposé et, réciproquement, rien n’empêcherait une personne d’orientation hétérosexuelle d’opter pour une vie sous le régime du partenariat enregistré avec une personne du même sexe. Toutefois, à mon avis, il ne faut pas s’en tenir à ce sophisme dans le cadre de la présente analyse juridique. Il serait contraire à la réalité dominante de refuser d’admettre que dans un pays, comme l’Allemagne, où le mariage est exclu pour les personnes de même sexe et où le partenariat de vie enregistré est la forme d’union juridique qui leur est réservée, une différence de traitement exercée au détriment des personnes unies par un tel partenariat constitue une source de discrimination en raison de l’orientation sexuelle (43).
90. Dans l’arrêt Maruko (44), bien que la Cour ait indiqué laisser la question à l’examen de la juridiction nationale, elle semble avoir implicitement opté pour la comparabilité des situations, en définissant des critères assez limpides. Conformément aux termes employés dans l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78, la Cour n’a pas fait état de situations identiques, mais elle s’est référée à l’existence de situations suffisamment comparables, en se basant sur l’analyse du droit allemand effectuée par la juridiction de renvoi. La Cour européenne des droits de l’homme adopte la même approche (45).
91. Il convient de rappeler que, indépendamment de sa pertinence sur le plan moral, religieux ou sociologique, le mariage, sur le plan juridique, est une institution complexe dont le contenu est défini par les droits et obligations des époux l’un envers l’autre, ainsi qu’envers les tiers et envers la société dans son ensemble. En outre, l’existence d’un mariage peut être un fait constituant une condition préalable à divers effets juridiques, que ce soit en droit social, fiscal ou administratif. De même, un partenariat de vie enregistré, ou toute autre forme d’une union légalement reconnue, se caractérise soit par les droits et obligations des parties, soit par les conséquences juridiques que l’ordre juridique concerné attache à l’existence d’un tel partenariat.
92. La Cour a pris soin de préciser que le caractère comparable doit être vérifié au regard de la prestation qui est concrètement en cause, c’est‑à‑dire en se focalisant sur l’élément de droit pertinent et non en ayant seulement une approche globale de la situation juridique. Ainsi, étant rappelé que la question préjudicielle posée dans l’affaire Maruko portait sur l’octroi d’une pension de réversion au partenaire de vie d’un prestataire décédé, la Cour, après avoir constaté qu’un «rapprochement progressif du régime mis en place pour le partenariat de vie avec celui applicable au mariage» existait en droit allemand, a mis en exergue que «le partenariat de vie est assimilé au mariage pour ce qui concerne la pension de veuve ou de veuf» (46).
93. La comparaison des situations doit donc être fondée sur une analyse focalisée, tendant à identifier spécialement les droits et obligations des personnes mariées énoncés par des dispositions de droit privé et ceux des personnes liées par un partenariat enregistré qui sont pertinents par rapport à la prestation concernée. À mon avis, l’effet utile de l’interdiction de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle ne serait pas garanti si une identité complète des institutions juridiques était requise ou si des droits ou obligations inopérants à l’égard de la situation propre à l’espèce devaient être pris en compte.
94. En particulier, les réglementations qui sont applicables en cas d’éventuelle dissolution du lien unissant les partenaires, par décès ou toute autre cause, ne devraient pas influer sur la comparaison des situations existant pendant le mariage et pendant le partenariat enregistré, en ce qui concerne des versements qui dépendent du fait que le prestataire marié n’est pas durablement séparé. À l’inverse, de telles réglementations pourraient avoir une influence dans l’appréciation de la comparabilité des situations d’époux et de partenaires qui sont séparés.
95. Les effets attachés au mariage, par des dispositions de droit fiscal, social ou administratif, en tant que condition d’octroi d’un avantage ou d’un droit, ne devraient pas non plus avoir d’impact sur l’opération de comparaison des situations de personnes liées par un mariage ou par un partenariat enregistré car une différence de traitement établie par lesdites dispositions vaut plutôt comme une indication de l’existence d’une discrimination que comme un facteur définissant la comparabilité des situations.
96. La Cour les ayant déjà décrites dans l’arrêt Maruko (47), il me paraît inutile de retracer ici les étapes suivies par le droit civil allemand dans le sens d’un alignement du régime applicable au partenariat de vie enregistré sur celui existant pour le mariage.
97. S’agissant plus particulièrement de la prestation en cause au principal, à savoir la pension de retraite complémentaire versée par la Freie und Hansestadt Hamburg à l’un de ses anciens employés, elle relève du domaine juridique des obligations patrimoniales entre conjoints. J’observe que, selon les informations figurant dans la décision de renvoi, les partenaires de vie ont les devoirs mutuels, d’une part, de se prêter secours et assistance et, d’autre part, de contribuer de manière adéquate aux besoins de la communauté partenariale par leur travail et leur patrimoine (48), comme cela est aussi le cas entre les époux pendant leur vie commune (49). Même si le LPartG n’a pas consacré une unification totale des droits des couples mariés et des couples unis par un partenariat de vie enregistré, il a cependant créé des obligations largement similaires pour ces deux unions, spécialement sur le plan pécuniaire.
98. Selon la juridiction a quo, à la suite des réformes successives du LPartG (50), «il n’existe par conséquent plus de différences juridiques notables entre ces deux états des personnes proposés par l’ordre juridique allemand, à savoir le mariage et le partenariat de vie enregistré […]. La différence ne revêt plus, pour l’essentiel, qu’une nature factuelle: le mariage suppose que les époux soient de sexe différent, alors que le partenariat de vie enregistré suppose que les partenaires soient de même sexe». Il n’y a donc pas une différence de situations suffisante pour justifier une inégalité de traitement telle que celle en cause au principal.
99. Il ressort du dossier que la pension de M. Römer aurait été augmentée, par application de l’article 8, paragraphe 10, dernière phrase, du premier RGG, si, en octobre 2001, il avait conclu un mariage avec une femme et non pas un partenariat de vie enregistré avec un homme. Ce traitement plus favorable n’aurait été lié ni aux revenus des parties à l’union, ni à l’existence d’enfants, ni à d’autres facteurs tels que ceux relatifs aux besoins économiques du conjoint. En outre, durant sa vie professionnelle, les cotisations dues par l’intéressé n’étaient nullement affectées par son état civil, sachant qu’il était tenu de contribuer aux dépenses de pension en versant une cotisation égale à celle de ses collègues mariés. La différence de traitement constatée repose ainsi exclusivement sur un critère prohibé par la directive 2000/78, à savoir l’orientation sexuelle.
100. Compte tenu des éléments exposés par la juridiction de renvoi, il semblerait que, s’agissant de la prestation qui est en cause au principal, la situation des personnes ayant conclu un contrat de mariage et celle des personnes liées par un partenariat de vie enregistré conformément à la législation nationale applicable soient comparables, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78. Dans ces conditions, l’augmentation d’une pension de retraite fondée uniquement sur le critère du mariage, telle qu’elle est prévue à l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG, apparaît constituer une discrimination directe en raison de l’orientation sexuelle.
2. Sur la discrimination indirecte
101. La question de l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78, relatif à la notion de discrimination indirecte, ne se pose que dans l’hypothèse où l’existence d’une discrimination directe ne serait pas acquise, soit au terme de l’examen de comparabilité des situations qui serait effectué par la Cour elle‑même si elle estime pouvoir le faire, comme la Commission le lui suggère, soit à l’issue de l’analyse de cette nature qui sera laissée à l’appréciation de la juridiction nationale. Ce n’est donc qu’à titre subsidiaire, et afin d’être complet, que j’entends présenter les observations qui suivent.
102. Le requérant au principal invite la Cour à étendre la jurisprudence Maruko, précitée, en apportant également une réponse à la question portant sur la discrimination indirecte. Pour soutenir qu’il est victime d’une discrimination indirecte fondée sur son orientation sexuelle, M. Römer invoque que le fait de lier les prestations à un mariage exclusivement valable entre personnes de sexes différents aboutit à un tel résultat, sans que cela soit objectivement justifié conformément au droit de l’Union. Il fait valoir que la Freie und Hansestadt Hamburg n’a pas expliqué en quoi la protection des couples mariés nécessiterait qu’il perçoive une pension moins élevée que celle de ses collègues hétérosexuels, bien qu’il ait versé les mêmes cotisations qu’eux à la caisse de prévoyance professionnelle pendant 45 ans.
103. La Commission, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour relative au principe de non‑discrimination en raison de l’âge (51), relève que les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation quant au choix des moyens susceptibles de réaliser les objectifs de leur politique sociale, mais que ce pouvoir ne saurait avoir pour effet de vider de sa substance la mise en œuvre du principe de non‑discrimination.
104. Au cas où il ne serait pas acquis que les partenaires de vie et les époux sont dans des situations comparables s’agissant de la prestation concernée, ce qui exclurait l’existence d’une discrimination directe en l’espèce, les dispositions de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78 devraient être interprétées afin d’aider la juridiction de renvoi à déterminer si une réglementation telle que celle en cause au principal est susceptible d’engendrer une discrimination indirecte en raison de l’orientation sexuelle.
105. À ma connaissance, la jurisprudence ne contient pas d’éléments concernant l’interprétation de la notion de discrimination indirecte, en particulier fondée sur l’orientation sexuelle, au sens de la directive 2000/78.
106. Selon les termes de ladite directive, il faut d’abord s’interroger sur l’existence, en l’espèce, d’«une disposition [ou d’]un critère […] apparemment neutre […] susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes […] d’une orientation sexuelle donné[e], par rapport à d’autres personnes». Le critère tenant au lien matrimonial, qui est inscrit dans l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG, peut a priori apparaître comme un facteur de différenciation neutre. Toutefois, dès lors que le mariage et les avantages qui en résultent sont exclusivement réservés aux personnes de sexes différents, comme cela est le cas notamment en Allemagne, l’effet distinctif d’un tel critère n’est pas anodin. Celui‑ci s’avère particulièrement désavantageux pour les personnes homosexuelles puisqu’elles n’ont pas de moyens juridiques autres que le partenariat enregistré pour formaliser leur union et elles ne peuvent donc pas accéder au groupe favorisé, sauf à renier leur orientation sexuelle.
107. L’approche doit ici être non pas subjective, mais objective. Peu importe de savoir si l’exigence d’un mariage actuel a ou non pour vocation d’exclure spécifiquement les couples de même sexe, dès l’instant qu’en soi, celle‑ci les défavorise nettement par rapport aux couples de sexes différents. Certes, la disposition en cause au principal exclut l’ensemble des prestataires non mariés (52), mais, de fait, les personnes homosexuelles sont plus fortement lésées que, par exemple, les personnes hétérosexuelles vivant en concubinage, car ces dernières ne sont pas définitivement évincées de la possibilité d’obtenir un tel avantage, dès lors que l’accès au mariage leur est offert, si elles en ont un jour le souhait.
108. La constatation qu’un «désavantage particulier» est susceptible de résulter de l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG n’est pas à elle seule suffisante pour caractériser une discrimination indirecte puisqu’un «objectif légitime» pourrait le justifier «objectivement», au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78. L’explication avancée par la Freie und Hansestadt Hamburg tient à des préoccupations d’ordre fiscal, dont ni la réalité ni la légitimité ne sont toutefois étayées par des éléments de preuve, alors qu’il appartenait à la défenderesse au principal de le faire. Pour sa part, la juridiction de renvoi fait état d’une possible intention du législateur de protéger le mariage et la famille (53).
109. J’indique d’emblée que le lien de causalité entre l’inégalité de traitement en cause et la protection du mariage et de la famille, qui en soi pourrait être un «objectif légitime», est douteux à mon avis.
110. À supposer même que le caractère légitime d’un tel objectif puisse être retenu, les dispositions de l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG ne me paraissent pas, quoi qu’il en soit, pouvoir passer avec succès l’examen du bien‑fondé et de la proportionnalité que la directive 2000/78 prévoit ensuite, en imposant que «les moyens de réaliser cet objectif […] soient appropriés et nécessaires». J’estime que pour promouvoir l’institution du mariage, il y a d’autres moyens que de nuire, même de façon indirecte, aux intérêts financiers des couples homosexuels, qui de toute façon n’ont pas accès au mariage en Allemagne et ne risquent donc pas de s’en détourner pour opter pour un partenariat de vie enregistré. En tout état de cause, l’institution du mariage peut être protégée sans qu’il soit ni adéquat ni indispensable d’avantager un mode de vie conjugale juridiquement reconnu par rapport à un autre (54).
111. Au vu de ces observations, il appartiendra à la juridiction a quo, qui est seule compétente pour apprécier les faits du litige dont elle est saisie et pour interpréter la législation nationale applicable, de déterminer, concrètement, s’il existe une discrimination indirecte. Elle devra apprécier dans quelle mesure le fait que M. Römer perçoive une pension moins élevée que celle perçue par une personne mariée, en vertu de l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG, est ou non objectivement justifié par un but légitime et dans quelle mesure l’existence d’un mariage actuel comme condition préalable à l’obtention de cet avantage est ou non un moyen proportionné pour atteindre un tel but.
3. Conclusion intermédiaire
112. Pour conclure sur l’ensemble des problématiques contenues dans la troisième question, je propose à la Cour de répondre à cet égard que les dispositions combinées des articles 1er, 2, et 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78 s’opposent à une réglementation telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un prestataire lié par un partenariat de vie enregistré ne perçoit pas une pension de retraite complémentaire équivalente à celle octroyée à un prestataire marié non durablement séparé, alors que, en droit national, ledit partenariat placerait les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux pour ce qui concerne ladite pension. L’analyse de la comparabilité doit être focalisée sur les droits et obligations des époux et des partenaires, tels qu’ils découlent respectivement des dispositions applicables au mariage et de celles applicables au partenariat enregistré, qui sont pertinents compte tenu des conditions d’octroi de la prestation en question. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si un partenaire de vie est dans une situation juridique et factuelle comparable à celle d’un époux bénéficiaire de la pension de retraite complémentaire qui est prévue par le régime de prévoyance professionnelle géré par la Freie und Hansestadt Hamburg.
113. À titre subsidiaire, si l’analyse de la comparabilité exclut l’existence d’une discrimination directe en raison de l’orientation sexuelle, il y aurait à tout le moins une discrimination indirecte au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78, dès lors que les dispositions de l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG, qui prévoient un mode de calcul d’une pension de retraite complémentaire plus favorable à l’égard d’un prestataire marié non durablement séparé, d’une part, engendrent un désavantage particulier au détriment d’un prestataire lié par un partenariat de vie enregistré et d’autre part, ne répondent pas objectivement à un objectif légitime ou ne constituent pas un moyen tant approprié que nécessaire pour atteindre un tel objectif, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer.
D – Sur la violation de l’article 141 CE ou d’un principe général du droit de l’Union
114. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans l’hypothèse où il ne serait pas constaté que l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG viole la directive 2000/78, ladite disposition de droit interne viole néanmoins l’article 141 CE ou un principe général du droit de l’Union.
115. Plus précisément, cette question se subdivise en trois alternatives. Des éclaircissements ont été apportés à ce sujet par l’Arbeitsgericht Hamburg dans sa demande complémentaire de décision préjudicielle.
116. J’observe que les première et deuxième hypothèses visées par la quatrième question sont celles d’après lesquelles il serait répondu par l’affirmative aux interrogations portant sur une éventuelle exclusion de l’application de la directive 2000/78. Quant à la troisième branche de la quatrième question, elle vise l’hypothèse dans laquelle il serait jugé que l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG ne porte pas atteinte au principe de la non‑discrimination, tant directe que indirecte, énoncé par la directive 2000/78. Pour les raisons que j’ai développées ci‑dessus, les trois branches de cette question préjudicielle sont à mon avis sans objet. Cependant, afin d’être exhaustif, pour le cas où la Cour ne suivrait pas mes propositions, je donnerai à titre subsidiaire les éléments de réponse qui suivent.
117. S’agissant de l’éventuelle violation de l’article 141 CE, il ne me paraît pas qu’elle puisse être constituée dans le litige au principal. Je rappelle que ledit article pose le «principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur».
118. Le contenu législatif de l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG ne saurait enfreindre le principe ainsi énoncé dès lors que la différence de traitement dans le calcul des pensions qui est faite au détriment du requérant au principal repose sur une distinction non pas entre les hommes et les femmes, mais entre les employés mariés et les autres. La juridiction de renvoi en fait le constat elle‑même, mais elle suggère que ledit article pourrait cependant être une disposition discriminatoire basée sur le fait que le requérant au principal est de sexe masculin, dans la mesure où M. Römer n’a pu créer comme lien juridique avec un autre homme qu’un partenariat de vie et non un mariage.
119. Néanmoins, à l’instar de la Commission, j’observe que la disposition interne en cause porte préjudice aux prestataires de pensions de même sexe, indépendamment du fait que le partenariat de vie ait été conclu entre deux hommes ou deux femmes. En outre, le désavantage subi par M. Römer n’est lié ni à son sexe, ni à celui de son partenaire, mais tient seulement à l’inexistence d’un mariage. Il me semble évident qu’une telle disposition ne peut être contraire à l’article 141 CE, qui vise les différences de traitement en raison du sexe et non celles en raison de l’orientation sexuelle.
120. Certes, l’argumentation présentée par la juridiction a quo ressemble au raisonnement suivi par la Cour dans l’arrêt K. B. (55), selon lequel l’article 141 CE s’oppose, en principe, à une législation qui, en violation de la Convention européenne des droits de l’homme (ci‑après la «CEDH»), empêche un couple dont l’un des membres est une personne transsexuelle, ayant subi une opération de changement de sexe mais restant enregistrée à l’état civil comme étant du même sexe que l’autre, de remplir la condition de mariage nécessaire pour que l’un d’entre eux puisse bénéficier d’un élément de la rémunération de l’autre au sens de l’article 141 CE, à savoir une pension de veuf.
121. Même si M. Römer et son partenaire se trouvent dans une situation analogue à celle des intéressés dans l’affaire K. B. parce que le mariage est réservé aux personnes de sexes différents, je ne crois toutefois pas qu’en l’espèce, cet empêchement puisse être qualifié comme étant une discrimination fondée sur le sexe. Dans ladite affaire, la Cour a mis en doute la conformité au droit communautaire de la législation du Royaume‑Uni non pas en ce qu’elle n’ouvre pas le mariage aux couples de même sexe, mais seulement en ce qu’elle engendre une inégalité de traitement se rapportant à une condition préalable indispensable à l’octroi d’une pension de veuf, à savoir la capacité de se marier (56). De même, l’impossibilité dont pâtit M. Römer est une conséquence du choix fait par la République fédérale d’Allemagne, exerçant ses pouvoirs en matière d’état civil, de réserver l’institution du mariage aux couples de sexes opposés. Dès lors que les personnes homosexuelles subissent les conséquences de ce choix législatif d’une façon similaire, indépendamment du fait qu’il s’agisse d’individus de sexe féminin ou de sexe masculin, cette exigence ne peut en soi être regardée comme discriminatoire en fonction du sexe.
122. S’agissant de l’éventuelle violation d’un principe général du droit de l’Union par l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG, dans la mesure où il désavantage le requérant au principal en raison de son orientation sexuelle, la juridiction a quo fonde sa demande sur l’arrêt Mangold (57). Elle rappelle que, selon ledit arrêt, la directive 2000/78 ne consacre pas elle‑même le principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, celui‑ci devant ainsi être considéré comme un principe général du droit communautaire. Dans sa demande complémentaire, la juridiction évoque la possible violation d’un «(autre) principe général du droit communautaire», semble‑t‑il par opposition avec le principe de l’égalité des rémunérations entre hommes et femmes qui est contenu dans l’article 141 CE, mais elle ne précise pas quel pourrait être cet autre principe en l’espèce.
123. Au cas où la Cour considérerait que cette question ne s’avère pas sans objet au regard de la combinaison des hypothèses qui y sont énoncées à titre de prémisses, je relève que les arrêts Mangold et Kücükdeveci (58) confirment de façon certaine que la directive 2000/78 n’a pas consacré le principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lequel trouve sa source dans divers instruments internationaux et dans les traditions constitutionnelles communes aux États membres, comme cela ressort de l’article 1er ainsi que des premier et quatrième considérants de ladite directive.
124. Dans ce contexte, la Cour a reconnu l’existence d’un principe de non‑discrimination en fonction de l’âge qui doit être considéré comme un principe général du droit de l’Union, principe que ladite directive n’a fait que concrétiser, en posant un cadre général dans la matière qu’elle couvre (59). En outre, elle a souligné que «toute discrimination fondée notamment sur [...] l’âge […] est interdite», selon l’article 21, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux, qui est dotée de la même valeur juridique que les traités en application de l’article 6, paragraphe 1, TUE (60).
125. Il reste à déterminer si cette jurisprudence peut être transposée de façon à ce que l’interdiction des discriminations en raison de l’orientation sexuelle possède le même statut de principe général du droit de l’Union que celui dont bénéficie l’interdiction des discriminations en raison de l’âge.
126. Comme je l’ai déjà relevé, le traité d’Amsterdam, signé le 2 octobre 1997 et entré en vigueur le 1er mai 1999, a modifié l’article 13, paragraphe 1, CE, aux fins d’octroyer à la Communauté, dans la limite de ses compétences matérielles, des pouvoirs spécifiques pour lutter contre toutes les formes de discriminations reposant sur l’une des six catégories de motifs qu’il énumérait, dont l’orientation sexuelle fait partie (61).
127. À cette époque, tous les États membres ne condamnaient pas les discriminations fondées sur ledit critère et la CEDH ne le mentionnait pas non plus. Dans l’arrêt Grant prononcé le 17 février 1998 (62), la Cour a indiqué que, en l’état du droit au sein de la Communauté, les relations homosexuelles stables n’étaient pas assimilées aux relations entre personnes mariées ou aux relations hétérosexuelles stables hors mariage. Elle en a déduit qu’une différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle n’était pas interdite, dès lors qu’aucune norme communautaire ne l’interdisait expressément, et a ajouté qu’il ne pouvait appartenir qu’au législateur d’adopter, le cas échéant, des mesures susceptibles d’affecter cette situation.
128. Comme l’avocat général Ruiz‑Jarabo Colomer l’a observé, l’approche restrictive ainsi choisie par la Cour se trouvait en contraste avec, par exemple, la jurisprudence en matière de discrimination liée à la maternité (63). La jurisprudence postérieure révèle également une certaine réticence à mettre en œuvre l’interdiction de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle (64).
129. Selon moi, sur un plan strictement juridique, il n’existe aucune justification pour faire une application moins vigoureuse du principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les discriminations en raison de l’orientation sexuelle qu’en ce qui concerne celles fondées sur les autres motifs mentionnés à l’article 13 CE. Le fait d’admettre qu’il existerait dans ce domaine des sensibilités spéciales ayant une portée juridique signifierait que la Cour accorderait une importance à des préjugés non justifiés, quelle que soit leur origine, et dénierait une protection juridique égalitaire à des personnes d’orientation sexuelle minoritaire.
130. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, dès 1999, qu’une différence de traitement reposant sur l’orientation sexuelle relevait de l’article 14 de la CEDH, dont le contenu n’est pas limitatif, et qu’une telle discrimination ne saurait être tolérée en vertu de la Convention (65). Or, les droits fondamentaux garantis par la CEDH font partie intégrante des normes dont l’Union européenne assure le respect, en tant que principes généraux, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE. L’interdiction de «toute discrimination fondée notamment […] sur l’orientation sexuelle» a ainsi été inscrite à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux, dont la vocation était non pas de créer de nouveaux droits, mais de confirmer les droits fondamentaux reconnus par le droit de l’Union (66).
131. Au vu de ces considérations, il m’apparaît qu’à l’instar de ce que la Cour a décidé en ce qui concerne la discrimination en raison de l’âge, l’interdiction de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle devrait être considérée comme un principe général du droit de l’Union (67).
132. Dans l’hypothèse, peu probable selon moi, où la réglementation en cause dans le litige au principal ne relèverait pas du champ d’application de la directive 2000/78, il ne saurait être exclu que cette réglementation – concrètement le terme «marié» qui restreint son champ d’application – porte atteinte au principe général du droit de l’Union relatif à l’interdiction de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle.
133. Il convient néanmoins de souligner que si la Cour fonde ledit contrôle sur ce principe général, et non sur la directive 2000/78, cela aura une incidence sur la réponse à donner à la cinquième question posée par la juridiction de renvoi, à savoir en ce qui concerne les conséquences ratione temporis de la violation du droit de l’Union.
134. En résumé, je considère, à titre principal, qu’il ne devrait pas y avoir lieu, en l’espèce, de répondre à la quatrième question préjudicielle. Néanmoins dans le cas contraire, je propose, à titre subsidiaire, à la Cour de dire que l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG ne saurait emporter violation de l’article 141 CE mais pourrait, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de trancher au regard des données du litige dont elle est saisie, porter atteinte au principe général du droit de l’Union que constitue l’interdiction des discriminations en raison de l’orientation sexuelle.
E – Sur les aspects temporels de l’affaire
135. Il convient d’examiner conjointement les cinquième et sixième questions dès lors qu’elles portent toutes deux sur des problèmes d’application dans le temps, sous des angles différents.
1. Sur les effets dans le temps du droit à l’égalité de traitement
136. La juridiction de renvoi indique que la cinquième question vise à clarifier les conséquences juridiques devant être tirées, par elle‑même, des réponses apportées par la Cour aux quatre premières questions préjudicielles aux fins de se prononcer en l’espèce.
137. Elle expose qu’elle s’interroge, en premier lieu, sur le point de savoir si, dans l’hypothèse où la Cour admettrait que le désavantage subi par le requérant au principal constitue une violation du droit de l’Union, l’intéressé pourrait exiger de la défenderesse au principal d’être traité à l’égal des prestataires mariés non durablement séparés, et ce avant même que l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG ne soit modifié en ce sens.
138. À cet égard, la juridiction a quo relève qu’en l’espèce, la Freie und Hansestadt Hamburg n’est pas un employeur de droit privé, bien qu’il s’agisse d’un contrat de travail de droit civil, mais une collectivité locale publique agissant à la fois en qualité d’employeur et en qualité de législateur en ce qui concerne la disposition en cause au principal.
139. J’estime qu’au cas où l’existence d’une discrimination serait retenue, qu’elle soit directe ou indirecte, le droit à l’égalité de traitement pourra être revendiqué par le requérant au principal sans qu’il y ait lieu d’attendre que la disposition interne litigieuse soit réformée par le législateur allemand.
140. En deuxième lieu, la juridiction de renvoi se demande en substance à partir de quelle date l’éviction de l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG devrait intervenir. Elle précise qu’elle est d’avis que si la Cour devait considérer que ladite disposition ne viole que la directive 2000/78, il semblerait logique de reconnaître au requérant au principal, à l’égard de la défenderesse au principal, le droit au paiement de pensions du même montant que celles versées aux prestataires mariés au plus tôt à partir de l’expiration du délai de mise en œuvre prévu par l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2000/78, c’est‑à‑dire à partir du 3 décembre 2003.
141. Elle ajoute qu’il lui semble que le point de départ pourrait être fixé à une date ultérieure, au cas où la Cour accorderait une importance déterminante au fait qu’en droit national, le partenariat de vie conclu par des personnes de même sexe a été rapproché de l’institution du mariage seulement en plusieurs étapes. Elle suggère que, dans une telle hypothèse, les effets juridiques de l’interprétation donnée par la Cour pourraient n’être applicables au requérant au principal, par exemple, qu’à partir de l’entrée en vigueur de la loi du 15 décembre 2004 réformant le droit du partenariat, à savoir le 1er janvier 2005.
142. Alors que la Commission adhère à la position ainsi prise par la juridiction de renvoi, le point de vue du requérant au principal n’est similaire que s’agissant de la première date proposée par la juridiction (68). M. Römer admet que la Cour puisse dire que les effets seront limités aux versements de pension de retraite postérieurs au 2 décembre 2003. Toutefois, il estime que les versements de sa pension devraient, en tout état de cause, être calculés à partir de cette date sur la base de toutes les cotisations qu’il a versées, indépendamment de leur date.
143. En revanche, il s’oppose à l’idée selon laquelle le point de départ pourrait être reporté au‑delà aux fins de tenir compte d’une évolution du régime applicable au partenariat de vie enregistré en droit allemand. Concernant la discrimination directe, il soutient que les obligations d’entretien existant entre les partenaires de vie coïncident avec celles pesant sur les époux, depuis la création du partenariat survenue en 2001 (69). Il en déduit que les anciens employés de la Freie und Hansestadt Hamburg ayant conclu un partenariat de vie se sont toujours trouvés dans la même situation que les anciens employés mariés quant à l’accès aux prestations de retraite complémentaire litigieuses. À titre subsidiaire, concernant la discrimination indirecte, il affirme qu’il aurait, dès l’origine, été victime d’une discrimination fondée sur son orientation sexuelle.
144. Pour répondre à cette question, il serait envisageable de distinguer entre différents cas de figure. D’une part, dans l’hypothèse où la Cour estimerait qu’il existe, en l’espèce, une discrimination liée à la violation de dispositions de la directive 2000/78, il pourrait être considéré que le requérant au principal ne saurait bénéficier des mêmes droits à pension complémentaire que les prestataires mariés à une date antérieure à l’expiration du délai imparti aux États membres pour la transposer, à savoir le 2 décembre 2003. Un argument plaidant en ce sens serait qu’il ne pourrait pas être donné à ladite directive un effet rétroactif en décidant de l’application de celle‑ci avant la fin du délai de transposition. D’autre part, dans l’hypothèse où la Cour répondrait, au contraire, par la négative à la troisième question, la juridiction de renvoi demande à titre subsidiaire si l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG viole l’article 141 CE ou un principe général du droit de l’Union. En ce cas, l’expiration du délai de transposition de la directive 2000/78 serait sans incidence sur le traitement du litige au principal.
145. Cependant, opérer une telle distinction reviendrait à oublier que, comme je l’ai rappelé, la Cour a souligné que la directive 2000/78 ne consacre pas elle‑même le principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (70). La Cour en a déduit que le principe de non‑discrimination en fonction de l’âge devait être considéré comme un principe général du droit communautaire et que le respect du principe général de l’égalité de traitement ne saurait, comme tel, dépendre de l’expiration du délai accordé aux États membres pour transposer une directive destinée à mettre en place un cadre général pour lutter contre les discriminations fondées sur ce critère. Elle a ajouté qu’il incombait à la juridiction nationale d’assurer le plein effet de ce principe général en laissant inappliquée toute disposition contraire de la loi nationale, et ce alors même que le délai de transposition de ladite directive, tel que prévu par l’article 18 de celle‑ci, n’était pas encore expiré.
146. Selon moi, un raisonnement en tous points identiques doit être tenu concernant le principe de non‑discrimination en fonction de l’orientation sexuelle. La directive 2000/78 étant essentiellement destinée à faciliter l’application concrète de ce principe général du droit de l’Union, elle n’affecte ni son contenu ni sa portée. Comme il n’est pas consacré, mais seulement décliné, par la directive 2000/78, il est possible de considérer que la violation dudit principe, ainsi que les effets juridiques qui en découlent, peuvent remonter à une date antérieure au 2 décembre 2003. Le cas échéant, les conséquences que la juridiction de renvoi devra tirer dans l’affaire dont elle est saisie ne seraient pas attachées à la date d’entrée en vigueur de la directive 2000/78 ou à l’échéance du délai de transposition de celle‑ci, dès lors que le principe général de non‑discrimination ainsi reconnu transcenderait une telle norme de droit dérivé.
147. Au vu de l’évolution que j’ai déjà retracée, il apparaît que le principe de non‑discrimination en raison de l’orientation sexuelle n’a pas été reconnu par la Cour dans sa jurisprudence des années 1990. Cependant, je rappelle que la Cour de Strasbourg a statué, en décembre 1999 (71), en ce sens qu’une telle discrimination n’est pas conforme à la CEDH. Compte tenu du fait que l’Union européenne garantit, en tant que principes généraux, les droits fondamentaux qui sont protégés par cette Convention (72) et sachant que la Charte des droits fondamentaux n’a fait que codifier des droits déjà garantis dans l’Union (73), il me semble évident que le droit à l’égalité de traitement en raison de l’orientation sexuelle constituait déjà un principe général du droit reconnu par le droit de l’Union au moment où M. Römer a enregistré son partenariat avec son conjoint, à savoir le 15 octobre 2001.
148. Si la Cour ne suivait pas mon raisonnement sur ce point et souhaitait s’en tenir à la mise en œuvre des dispositions de la directive 2000/78, il conviendrait de faire une différence, s’agissant de la date de prise d’effet, en fonction de la qualification de la discrimination qui serait retenue par la Cour.
149. En effet, en cas de discrimination directe, celle‑ci sera constituée seulement à partir du moment où la situation des prestataires engagés dans un partenariat de vie est devenue comparable à celle des prestataires mariés en ce qui concerne la pension complémentaire en cause au principal.
150. Il pourrait s’avérer que, conformément à ce que la juridiction a quo suggère et contrairement à ce que le requérant au principal soutient, une concordance suffisante entre les droits et devoirs qui résultent du mariage et ceux qui résultent du partenariat de vie, en se limitant aux éléments pertinents par rapport à l’avantage concerné, n’est intervenue que de façon progressive, et non dès l’adoption de la première loi régissant celui‑ci. Or, comme la détermination de ce seuil de convergence devra être effectuée via l’analyse et l’interprétation du droit national, elle relèvera de la juridiction de renvoi.
151. À cet égard, il convient de souligner que la décision de renvoi indique que dans sa version initiale, telle qu’issue de la loi du 16 février 2001, le statut juridique du partenariat de vie au sens du LPartG s’inspirait pour partie de celui du mariage, mais s’en écartait pour le reste (74), et que ce statut a fait l’objet de trois réformes dont l’une qui, avec effet au 1er janvier 2005, a renforcé les similitudes entre le partenariat de vie et l’institution du mariage (75) à un point tel qu’il n’existe plus de différences juridiques notables entre ces deux états des personnes proposés par l’ordre juridique allemand. Bien que cette analyse d’un rapprochement par étapes soit contestée par le requérant au principal, il paraît évident que la juridiction a quo tiendra compte de l’évolution progressive du droit national qu’elle a ainsi décrite et qui, d’ailleurs, rejoint la position retenue par deux Cours fédérales suprêmes allemandes dans le cadre de décisions (76) prises dans le prolongement direct de l’arrêt Maruko (77). Néanmoins, la possibilité pour M. Römer de prétendre à l’égalité de traitement à un moment donné, et non à tel autre, dépendra essentiellement des critères que la Cour aura considérés comme étant ceux que la juridiction de renvoi devra utiliser pour effectuer la comparaison entre les deux catégories de situations.
152. Au contraire, en cas de discrimination indirecte, il n’est pas nécessaire de caractériser l’existence de situations juridiquement comparables, mais seulement l’existence d’un désavantage particulier qui n’est pas justifié par un objectif légitime. L’obligation, pesant sur la juridiction de renvoi, de tirer des conséquences conformes au droit de l’Union pourrait alors prendre effet à partir de la création du partenariat de vie enregistré par le législateur allemand, à savoir le 1er août 2001, date d’entrée en vigueur du LPartG. En ce qui le concerne, le requérant au principal pourrait exiger d’être traité, aux fins du calcul de sa pension complémentaire, comme un prestataire marié non durablement séparé, à compter du mois suivant la conclusion de son partenariat de vie.
153. Par conséquent, je propose de répondre à la cinquième question qu’il incombe à la juridiction nationale d’assurer le plein effet du principe général de non‑discrimination en fonction de l’orientation sexuelle en laissant inappliquée toute disposition du droit interne, telle que l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG, qui serait contraire à ce principe, et ce même à compter d’une date antérieure à l’expiration du délai de transposition de la directive 2000/78.
2. Sur la limitation dans le temps des effets de l’arrêt de la Cour
154. Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, au cas où la Cour devrait juger que la directive 2000/78, l’article 141 CE ou un principe général du droit de l’Union s’opposent à une réglementation telle que celle en cause au principal, s’il y a lieu de limiter dans le temps le bénéfice du droit à une pension du même montant que celle versée aux prestataires mariés, et singulièrement s’il y a lieu de considérer que l’égalité de traitement aux fins du calcul des pensions ne s’applique qu’aux droits acquis par le prestataire au titre des périodes de cotisations postérieures au 17 mai 1990, en vertu de l’arrêt Barber, prononcé à cette date (78).
155. Le requérant au principal et la Commission s’accordent à considérer qu’il n’existe aucune raison de limiter dans le temps les effets de l’arrêt à intervenir, cette dernière se référant à l’arrêt Maruko, dans le cadre duquel une question similaire a été examinée (79).
156. Conformément à une jurisprudence constante, l’interprétation que la Cour donne d’une règle de droit de l’Union, dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 267 TFUE, éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies (80).
157. À titre exceptionnel, compte tenu des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner pour le passé, la Cour peut être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer l’interprétation que, saisie par voie de question préjudicielle, elle donne d’une disposition. Pareille limitation temporelle, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique de l’Union, ne peut être admise que par la Cour, dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée (81).
158. Il convient de rappeler que la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, lorsque, d’une part, il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et que, d’autre part, il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à un comportement non conforme à la réglementation de l’Union en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions de l’Union, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission (82).
159. Au cas où la Cour entendrait apporter une réponse concernant la limitation dans le temps des effets de l’arrêt qu’elle est appelée à rendre, bien que ni la République fédérale allemande ni la Freie und Hansestadt Hamburg ne l’aient requis, je relèverais que dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, il ne ressort nullement du dossier que l’équilibre financier du régime de pension complémentaire géré par la défenderesse au principal risquerait d’être rétroactivement bouleversé par l’absence d’une telle limitation.
160. Je rappelle qu’en vertu de l’article 8, paragraphe 10, dernière phrase, du premier RGG, si les conditions prévues à l’article 10, paragraphe 6, point 1, du premier RGG, à savoir l’existence d’un lien matrimonial sans séparation durable, ne sont réunies qu’après le début du versement de la pension de retraite, il convient, si l’intéressé le demande, d’appliquer à partir de cette date la classe d’impôt III/0, qui est plus favorable aux prestataires. Dans le cas hypothétique où M. Römer aurait pu conclure en octobre 2001 un mariage, au lieu d’un partenariat de vie, la Freie und Hansestadt Hamburg aurait dû accroître la pension complémentaire qui lui est versée, conformément aux dispositions susmentionnées. Or, le financement du système de retraites concerné doit avoir été planifié en tenant compte de la possible survenance de changements dans l’état civil des prestataires. Il n’y a aucune indication selon laquelle cette possibilité aurait augmenté de façon significative du fait de l’introduction dans le droit allemand du partenariat de vie enregistré.
161. Au demeurant, la défenderesse au principal, qui s’abstient de prendre position sur cette question, ne soutient même pas qu’un risque financier existerait. La juridiction de renvoi observe que, loin d’évoquer la crainte de graves difficultés, la Freie und Hansestadt Hamburg a au contraire souligné que seuls quelques cas de prestataires ayant conclu des partenariats de vie devraient faire l’objet de décisions appliquant les nouveaux modes de calcul des droits à pension. Le requérant au principal précise qu’il existe moins de 15 000 partenariats de vie enregistrés et que le nombre d’employés retraités de la Freie und Hansestadt Hamburg ayant un partenaire de même sexe n’est pas de nature à provoquer des conséquences financières graves. Dans l’hypothèse où la Cour répondrait par l’affirmative aux questions précédemment posées, les répercussions économiques de cette décision seraient donc minimes.
162. Par conséquent, je suis d’avis que s’il convenait de répondre à la sixième question, il n’y aurait pas lieu de limiter dans le temps les effets de l’arrêt à intervenir.
F – Sur la combinaison entre le principe de l’égalité de traitement et un objectif issu du droit national tel que la protection particulière du mariage et de la famille
163. Par voie d’ordonnance complémentaire, l’Arbeitsgericht Hamburg a posé une septième série de questions selon lesquelles elle demande, en substance, si une règle de droit constitutionnel interne comme le principe de la protection spéciale du mariage et de la famille par l’État, qui est inscrit à l’article 6, paragraphe 1, de la Loi fondamentale, est susceptible de poser des limites au principe communautaire de non‑discrimination, directe ou indirecte, tel qu’il résulte en particulier de la directive 2000/78.
1. Sur la primauté du principe du droit de l’Union relatif à l’égalité de traitement
164. Le premier volet de la septième question porte sur la place à accorder à une norme constitutionnelle allemande, à savoir l’article 6, paragraphe 1, de la Loi fondamentale, dans l’hypothèse où la Cour conclurait à l’existence d’une discrimination directe.
165. Une réponse négative s’impose au regard du principe fondateur du droit de l’Union selon lequel les règles dudit droit doivent primer sur toutes les règles de droit national, indépendamment du niveau de ces dernières, y compris lorsqu’elles ont une valeur constitutionnelle (83). Le principe de primauté a ainsi une portée absolue. Si tel n’était pas le cas, cela aurait pour effet de porter atteinte à l’unité et même à l’efficacité du droit de l’Union.
166. Il en résulte que les dispositions telles que celles de la Loi fondamentale qui visent la protection du mariage et de la famille, même si elles ont un rang constitutionnel, ne pourraient pas affecter la validité ou l’application du principe de non‑discrimination inscrit dans le droit de l’Union. Au cas où le droit de l’Union s’opposerait à des dispositions nationales, la primauté de celui‑ci imposerait à la juridiction nationale d’appliquer le droit de l’Union et de laisser inappliquées les dispositions nationales contraires (84).
167. La Commission souligne que l’existence d’une infraction à la directive 2000/78 ou à un principe général du droit de l’Union interdisant la discrimination ne saurait dépendre d’appréciations ou d’engagements du législateur national.
168. Cependant, toutes ces considérations présupposent qu’il y ait un conflit de normes, ce qui ne m’apparaît pas pouvoir être le cas ici. En effet, le risque de contradiction entre l’article 6, paragraphe 1, de la Loi fondamentale et le droit de l’Union est fortement amoindri depuis que le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) a dit pour droit que, s’agissant d’un statut relatif au régime de prévoyance professionnelle, une distinction entre le mariage et le partenariat de vie n’était pas justifiée et que, par conséquent, une personne ayant vécu en partenariat de vie avait, comme une personne ayant été mariée, droit à une prestation de survie en cas de décès de son partenaire (85). Pour en décider ainsi, il a fondé son raisonnement sur les dispositions du droit allemand, et notamment sur l’article 3, paragraphe 1, de la Loi fondamentale, qui énonce un principe d’égalité de tous les êtres humains devant la loi, mais il a aussi renvoyé à l’arrêt Maruko (86) s’agissant de l’existence d’une discrimination en raison de l’orientation sexuelle. Le Bundesverfassungsgericht s’est clairement prononcé sur l’incidence que les dispositions de l’article 6, paragraphe 1, de la Loi fondamentale pourraient avoir en la matière, en considérant que le fait de se référer au mariage et à sa protection en vertu des dispositions constitutionnelles, et particulièrement en application dudit article, n’était ici pas suffisant pour justifier un traitement inégal.
169. Il ressort de l’ensemble de ces éléments que le seul objectif tiré du droit constitutionnel national que la juridiction de renvoi mentionne expressément, à savoir la protection spéciale du mariage et de la famille par l’État, ne saurait faire obstacle au principe général d’égalité, tel qu’il existe en droit de l’Union.
2. Sur la justification éventuelle d’une discrimination par un objectif issu du droit national
170. Il sera nécessaire de répondre au second volet de la septième question dans la mesure où une réponse négative aura été apportée s’agissant du premier volet de cette question, en ce sens que le principe de l’égalité de traitement prévu par le droit de l’Union doit l’emporter sur tout objectif national qui pourrait ne pas être compatible avec ce principe.
171. La juridiction de renvoi s’interroge en ce cas sur le point de savoir si, et dans quelles conditions, un objectif présent dans l’ordre juridique interne d’un État membre, tel que la protection du mariage, pourrait néanmoins être concilié avec ledit principe du droit de l’Union et apporter une justification acceptable à l’égard d’une discrimination en raison de l’orientation sexuelle qui serait caractérisée.
172. Au préalable, je précise que, dans le cadre de la directive 2000/78, une disposition interne reconnue comme étant constitutive d’une discrimination à caractère direct, au sens de ce texte, ne saurait, selon moi, être validée a posteriori au motif qu’elle répondrait à un objectif issu du droit national, à supposer même que cet objectif soit légitime. En effet, l’article 2, paragraphe 2, sous a), de ladite directive (87) ne fait pas état d’une justification objective équivalente à celle prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la même directive concernant la discrimination indirecte.
173. Une lecture a contrario de ces dernières dispositions indique qu’une discrimination indirecte n’est pas constituée si une mesure apparemment neutre est certes susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une orientation sexuelle donnée, par rapport à d’autres personnes, mais que cependant, d’une part, elle est objectivement justifiée par un objectif légitime et, d’autre part, les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. La réunion de tels critères juridiques permet de rejeter la qualification de mesure à caractère indirectement discriminatoire.
174. Il est vrai que la protection du mariage et de la famille prévue en droit allemand à l’article 6, paragraphe 1, de la Loi fondamentale peut en soi constituer un objectif légitime. Cet objectif n’est d’ailleurs pas étranger au droit de l’Union. En effet, aux termes de l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux, «le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice». Cette disposition a été à l’évidence inspirée de l’article 12 de la CEDH (88). Au surplus, l’article 33, paragraphe 1, de la Charte dispose que «la protection de la famille est assurée sur le plan juridique, économique et social».
175. Toutefois, il me paraît aller de soi que l’objectif tenant à la sauvegarde du mariage ou de la famille ne saurait légitimer une discrimination en raison de l’orientation sexuelle. Il est difficile de concevoir quel rapport causal pourrait unir ce type de discrimination, en tant que moyen, et la protection du mariage, en tant qu’effet positif pouvant en résulter.
176. Pour qu’il n’y ait pas de discrimination indirecte malgré l’existence d’un «désavantage particulier» subi par les partenaires de vie retraités, il faudrait aussi, conformément à l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78, que les moyens utilisés, en l’occurrence dans le but de protéger le mariage et la famille, soient à la fois appropriés et nécessaires. Comme je l’ai déjà relevé dans les présentes conclusions, cela ne me paraît pas être le cas, sachant que la mesure en cause n’est pas indispensable, et encore moins proportionnée, pour atteindre l’objectif ainsi visé.
177. Dans sa décision du 7 juillet 2009, précitée, le Bundesverfassungsgericht a également pris position en ce sens dès lors qu’il a retenu que la distinction entre partenariat de vie et mariage ne peut pas être justifiée par la protection particulière du second et qu’il a souligné que l’institution du mariage peut être protégée sans qu’il soit nécessaire de désavantager d’autres modes de vie.
178. Conformément à une jurisprudence constante, il relèvera du rôle du juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits du litige dont il est saisi et pour interpréter la législation nationale applicable, de déterminer si et dans quelle mesure la réglementation en cause au principal est propre à garantir la réalisation d’un «objectif légitime» et si elle ne va pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78 (89).
179. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’objectif énoncé par l’article 6, paragraphe 1, de la Loi fondamentale ne devrait pas avoir d’incidence déterminante, et notamment être une cause valable de justification, aux fins d’apprécier si l’article 10, paragraphe 6, du premier RGG engendre une discrimination, qu’elle soit directe ou indirecte, au sens du droit communautaire, mais qu’il appartiendra en définitive au juge national d’en décider.
VI – Conclusion
180. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par l’Arbeitsgericht Hamburg:
«1) Les pensions de retraite complémentaires prévues par une réglementation telle que celle en cause au principal relèvent du champ d’application matériel de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
2) Les dispositions combinées des articles 1er , 2, et 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78 s’opposent à une réglementation telle que celle en cause au principal en vertu de laquelle un prestataire lié par un partenariat de vie enregistré ne perçoit pas une pension de retraite complémentaire équivalente à celle octroyée à un prestataire marié non durablement séparé, alors que, en droit national, ledit partenariat placerait les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux pour ce qui concerne ladite pension. L’analyse de la comparabilité doit être focalisée sur les droits et obligations des époux et des partenaires, tels qu’ils découlent respectivement des dispositions internes applicables au mariage et de celles applicables au partenariat enregistré, qui sont pertinents compte tenu des conditions d’octroi de la prestation en question. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si un partenaire de vie est dans une situation juridique et factuelle comparable à celle d’un époux bénéficiaire de la pension de retraite complémentaire qui est prévue par le régime de prévoyance professionnelle géré par la Freie und Hansestadt Hamburg.
À titre subsidiaire, si l’analyse de la comparabilité exclut l’existence d’une discrimination directe en raison de l’orientation sexuelle, il y aurait à tout le moins une discrimination indirecte au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78, dès lors que des dispositions telles que celles de la réglementation en cause au principal, qui prévoient un mode de calcul d’une pension de retraite complémentaire plus favorable à l’égard d’un prestataire marié non durablement séparé, d’une part, engendrent un désavantage particulier au détriment d’un prestataire lié par un partenariat de vie enregistré et d’autre part, ne répondent pas objectivement à un objectif légitime ou ne constituent pas un moyen tant approprié que nécessaire pour atteindre un tel objectif, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer.
3) Il n’y a pas lieu de répondre à la quatrième question préjudicielle. Subsidiairement, il sera répondu qu’une réglementation telle que celle en cause au principal ne peut violer l’article 141 CE mais pourrait, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer, porter atteinte au principe général du droit de l’Union que constitue l’interdiction de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle.
4) Il incombe à la juridiction nationale d’assurer le plein effet du principe général de non‑discrimination en fonction de l’orientation sexuelle en laissant inappliquée toute disposition du droit interne, telle que celle en cause au principal, qui serait contraire à ce principe, et ce, le cas échéant, même à compter d’une date antérieure à l’expiration du délai de transposition de la directive 2000/78.
5) Une disposition de droit interne, même de rang constitutionnel, ne peut en soi justifier une réglementation telle que celle en cause au principal qui entrerait en conflit avec le droit de l’Union, et en particulier avec le principe de l’égalité de traitement.»